Préfaces
p. 9-12
Texte intégral
1« Foi et Pouvoir » : tel fut le credo des juristes bretons du Moyen Âge. Rappelons un prologue de la Très ancienne coutume de Bretagne, cité par M. Planiol (Très anc. Cout. 1896, p. 20) :
« Le Seigneur des Seigneurs, de touz princes le souverain, Dieu tout puissant voulant diriger humaine créature à béatitude, sa benoiste fin, et en la dirigeant la conserver, a establi cza bas seigneurs spirituelx et temporelx, et par leurs organes promulgé [ =promulga] et promulgue journelment droitz, establissements et coustumes… »
2Au Moyen Âge, toute institution éprouve le besoin de se fonder sur la volonté divine, la grâce de Dieu. Mais la foi est aussi la relation de confiance qui unit les hommes dans le système féodal : en latin, fides désigne autant la confiance que la fiabilité qui l’inspire. La qualité première du guerrier étant de vivre en confiance dans la fidélité.
3On ne s’étonnera donc pas de ce titre, Le pouvoir et la foi au Moyen Âge, qui résume les fondements des institutions médiévales. Mais il entend également rappeler le sens de l’œuvre d’Hubert Guillotel (1941-2004), à la mémoire duquel est offert ce volume. Professeur d’histoire du droit à l’université de Rennes 1, Hubert Guillotel voulut consacrer un séminaire à la recherche qu’il menait depuis les années 70 : « l’histoire des institutions et coutumes bretonnes ». Quelques jours encore avant sa mort, il y était entouré de ses disciples et élèves, dont les contributions se trouvent dans les pages qui suivent. Spécialiste du haut Moyen Âge, son profond attachement pour la Bretagne l’amena, en effet, à désirer en écrire l’histoire. Ce qu’il fit avec rigueur et brio, proposant des travaux, souvent totalement novateurs, vite reconnus par la communauté scientifique. Mais l’homme de convictions qu’il était n’oublia pas de les éclairer de la foi fervente qui était sienne.
4Le professeur Guillotel ne manquait jamais de venir aux séances du CIRDoMoC : ayant activement participé au colloque du xve centenaire de Landévennec, il avait veillé sur les destinées de notre association, qui fut créée peu après. À chacune de nos réunions, on voyait arriver sa frêle silhouette, toujours élégante. Mais sa voix ne manquait pas de force lorsqu’il s’agissait d’intervenir dans les débats, d’expliquer le nœud des problèmes, de redresser une opinion ou une datation, et d’introduire un point de vue auquel personne ne pensait. C’est cette force intellectuelle, et même spirituelle, qui le caractérise le mieux dans notre souvenir. Durant nos réunions, l’éminent universitaire mettait sa science au service de tous, avec patience et humour, avec bienveillance et simplicité. Nombreuses furent alors les controverses qui le virent rompre courtoisement des lances avec certains d’entre nous, comme par exemple Gwénaël le Duc, un autre ami trop tôt disparu.
5Histoire de la Bretagne, de ses institutions laïques ou religieuses, de ses hommes, entre autres dans le domaine politique ; histoire du droit qui s’exerça sur ce territoire, à l’époque médiévale et cela toujours dans une perspective large, en insérant la Bretagne dans tous les grands courants intellectuels qui parcouraient alors l’Europe : autant de thèmes que l’on retrouvera dans le présent recueil. Celui-ci réunit deux projets d’hommage, l’un émanant du CIRDoMoC en gage de gratitude pour tout ce que lui a apporté le professeur H. Guillotel, l’autre de ses collègues de l’université de Rennes 1. Juristes, historiens, archéologues, spécialistes parfois des temps modernes ou contemporains, ont souhaité, en effet, se retrouver pour rendre hommage à leur maître, collègue et ami ; ils témoignent de leur adhésion pour la démarche intellectuelle qui fut la sienne, soucieux qu’il était d’une compréhension globale de l’histoire pour une terre à laquelle il voulait rendre sa grandeur.
6Pour le bureau du CIRDoMoC : A.-Y. Bourgès, P.-Y. Lambert, B. Merdrignac, J. Quaghebeur.
*
7Il est très difficile d’embrasser en quelques mots ce qu’a signifié pour le Centre d’histoire du droit, l’arrivée du professeur Hubert Guillotel à l’université Rennes 1. Ni l’arrivée, ni l’immense espace laissé vacant à son décès.
8À compter de l’automne 1999, sa présence a déplacé, comme par magie, l’histoire du droit vers le Bas Empire et le premier Moyen Âge. Pour le comprendre, il convient de faire un bref retour en arrière.
9Dans les années 1980-2000, le Centre de recherche s’était peu à peu recentré sur la modernité et le xixe siècle. Il suffit de jeter un coup d’œil aux thèses soutenues pour apercevoir que le pivot chronologique était le plus souvent constitué par la Révolution française. Les thèmes traités (la justice, le droit pénal, le droit constitutionnel, l’administration et le droit administratif) trouvaient en 1789 leur terminus ad quem ou leur terminus a quo. Les enseignements eux-mêmes avaient largement suivi le mouvement. La faculté de droit était l’une des rares en France où le grand cours d’Histoire du droit public de licence 1 ne s’aventurait plus en deçà du xvie siècle, sauf pour de rares éléments d’introduction. L’aspiration vers la période contemporaine était si forte que l’un des prédécesseurs d’Hubert Guillotel en était même venu à entamer ses enseignements en 1789, l’Ancien Régime étant, en quelque sorte, renvoyé à la pré-histoire juridique et institutionnelle…
10À partir de l’automne 1999 et en quelques mois, tout a changé. Dans la salle de travail du CHD, où Hubert Guillotel s’est tout de suite senti chez lui, les conversations scientifiques ont progressivement remonté le temps. Tantôt il s’agissait de s’interroger sur la notion de souveraineté au Bas Empire, tantôt on réfléchissait sur la disparition du concept de propriété aux viiie-xe siècles, tantôt les uns et les autres se mettaient à débattre du sens de tel adjectif dans tel capitulaire. Des mots et des questions dont les murs de la salle Marcel Planiol avaient depuis longtemps oublié la saveur revenaient en force : princeps, cartulaires, honor, mutation de l’an mil, rituels bretons de couronnement…
11Car Hubert Guillotel avait cet étrange pouvoir d’impliquer collègues et étudiants dans ses propres interrogations. Il était un guide. Le ixe siècle devenait compréhensible et accueillant, y compris aux modernistes et aux contemporéanistes. La seconde marche de Neustrie devenait pour eux terra cognita.
12Derrière tout cela, Hubert Guillotel était l’homme, l’ami, le professeur, le maître. Tous se souviennent de la complicité qu’il savait entretenir avec ses collègues et ses étudiants. Quand il se plongeait dans ses débats favoris, il y avait dans ses yeux pétillants de malice, une lueur, une ferveur, et parfois même une nuance d’espièglerie à travers laquelle perçaient son humour et son amitié pour les siens. Ce sentiment était particulièrement palpable lorsqu’il travaillait avec ses élèves.
13Les années ont passé. Hubert Guillotel nous a quittés. Mais, à ce jour, trois de ses élèves ont soutenu leur thèse. Par amitié et par respect pour leur maître, ils ont choisi de demeurer au CHD et de devenir docteurs en droit de l’université Rennes 1. Le premier d’entre eux, Stéphane Morin, est entré dans les ordres. Les deux autres, Luc Guéraud et Nicolas Kermabon, viennent d’être recrutés comme maîtres de conférences à l’université de Limoges et du Mans. Telle est l’une des fécondités posthumes d’Hubert Guillotel…
14Sylvain Soleil
Auteurs
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