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Stratégies d’influence et guerres de l’information

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Maud Quessard

Préface

Serge Ricard

Texte intégral

1Ce livre fera date parce que c’est un ouvrage majeur en français dans un domaine qui en compte peu ; il se situe au carrefour des relations internationales, des sciences politiques, de l’histoire et de la communication, et il inscrit l’histoire de l’USIA (United States Information Agency) et ses leçons en regard de la diplomatie publique post-11-Septembre, au terme d’une exploration qui embrasse une période s’étendant du début des années 1950 à nos jours. En cela il tire du passé des clés pour comprendre un avenir passablement obscurci par la présidence chaotique de l’imprévisible Donald J. Trump qui met à mal la capacité de séduction et de persuasion (soft power) des États-Unis.

2Maud Quessard fait montre d’une parfaite maîtrise du sujet de son étude. Cet impressionnant travail clarifie, en les définissant avec précision, plusieurs notions – information, propagande, diplomatie publique, diplomatie culturelle, guerre psychologique – qui constituent un « véritable kaléidoscope terminologique » dont l’emploi par les spécialistes est souvent source de confusion. Le point de vue – riche d’analyses – est résolument américain par la masse du matériau exploité et l’abondance de l’historiographie, sans pour autant que soit négligé l’appel à des sources non américaines.

3Alors que s’étend et se durcit la guerre froide avec le « coup de Prague », le blocus de Berlin, la victoire de Mao en Chine et la guerre de Corée, l’enjeu européen face à l’Union soviétique devient central pour Washington : il faut entreprendre la conquête des cœurs, notamment des élites, et contrer l’imposant appareil de propagande de l’adversaire. Or il existe des organes précurseurs comme le Creel Committee de la Grande Guerre, premier du genre, l’OSS (Office of Strategic Services), la « Voix de l’Amérique » (Voice of America), l’OWI (Office of War Information) dont va s’inspirer la bataille idéologique. À partir de 1953, avec la naissance de l’USIA, agence indépendante à la fois visée par le maccarthysme et en butte à l’opposition du sénateur J. William Fulbright qui souhaite que les échanges éducatifs restent confiés au département d’État, l’Amérique va passer de la guerre psychologique, chère au président Dwight D. Eisenhower, à la diplomatie publique, plus complexe et performante, bientôt pratique spécifique et arme privilégiée de la politique étrangère américaine de guerre froide. On ne comptera plus les enquêtes, réexamens, suggestions, suspicions dont l’Agence sera l’objet, lourde machine tiraillée entre ses responsables administratifs et les réalités et contraintes du terrain, tantôt associée au processus de sécurité nationale, tantôt écartée des centres décisionnels, jusqu’à son heure de gloire et sa consécration sous Reagan, puis son démantèlement sous Bill Clinton pour raisons budgétaires, avec la privatisation de son héritage par des organisations non gouvernementales.

4Le récit de Maud Quessard comporte des moments forts et passionnants, comme la « traversée du désert » de l’Agence sous Richard M. Nixon ou les années fastes (John F. Kennedy-Edward R. Murrow et, surtout, Ronald Reagan-Charles Wick) qui voient une parfaite harmonie entre le président et le directeur de l’USIA. La présidence Reagan y occupe, à juste titre, une place importante, notamment parce qu’elle ravive avec force le messianisme d’une nation d’exception et qu’elle voit aboutir le lent éveil de la démocratie à l’Est, auquel participe le très officieux et ambigu National Endowment for Democracy (NED). La fin de la guerre froide et l’éclatement de l’empire soviétique, dont le mérite est souvent attribué, exagérément, à l’Administration Reagan, a finalement rehaussé a posteriori le prestige de l’Agence et justifié aux yeux de ses défenseurs les moyens financiers et logistiques – contestés par ses détracteurs – mis au service de la promotion de la culture américaine par la diplomatie publique, fût-ce dans ses avatars les moins nobles, comme la désinformation.

5L’ouvrage ne retrace pas seulement l’histoire de l’Agence, alors fer de lance du soft power plus tard conceptualisé par Joseph Nye : outre la description de son fonctionnement institutionnel à diverses époques, il propose une analyse de son évolution et de ses stratégies, à la lumière de ses « plans de mission par pays » (country plans), instruments de croisades culturelles et politiques ; il identifie les « zones critiques », en Europe de l’Est bien sûr, mais aussi à l’Ouest (France, Italie, Allemagne) et examine le rôle de ses auxiliaires sur le terrain, les United States Information Services (USIS). Par ailleurs, la problématique de la réception est abordée de façon très convaincante en fonction des éléments accessibles au chercheur pour rendre compte d’une réalité pourtant difficilement saisissable et mesurable tant ses paramètres sont nombreux et complexes. Mais Maud Quessard va également au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler le « siècle américain » ; elle aborde la transition vers une nouvelle ère, un monde « post-américain » où s’amorce une perte d’influence des États-Unis et où se développent des tentatives de restaurer leur pouvoir d’attraction, avec notamment une place faite à l’économie et aux droits des femmes. Les attentats du 11-Septembre vont susciter une remise en cause des stratégies de communication et la recherche, sous les Administrations Bush et Obama, d’une « nouvelle diplomatie publique » associant le secteur privé, la société civile et les grandes entreprises et recourant massivement à Internet et au numérique à des fins de nation branding (l’Amérique comme « image de marque »), avec notamment la promotion par la secrétaire d’État Hillary Clinton de smart power (« exercice d’une influence intelligente »), subtil dosage de hard et soft power (« interventionnisme musclé » et « puissance douce »).

6Cette étude ouvre un certain nombre de pistes et en a clos, avec bonheur, de multiples au terme d’un développement qui marche sur les brisées de l’Américain Nicholas Cull (The Cold War and the United States Information Agency: American Propaganda and Public Diplomacy, 1945-1989 [2008]) dont il s’inspire en partie et qu’il complète pour ce qui concerne l’Europe.

7Il s’agit au total d’un formidable travail d’historienne sur le combat mené par les États-Unis pendant leur guerre de l’information et de la culture avec le monde communiste et, plus près de nous, face aux menaces protéiformes du xxie siècle, leur difficile adaptation à la lutte anti-terroriste dans le « monde en réseau » du cyberespace, sur fond de crise de l’exceptionnalisme des origines.

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