1 Un autre indice du changement de vocabulaire théorique au tournant des années 1980 nous est donné par la diffusion du concept de parent « consommateur », tel que décliné dans le « champ » ou plus exactement le « marché » scolaire, avec l’ouvrage pionnier de Robert Ballion : Les consommateurs d’école, Paris, Stock, 1982.
2 Pour une synthèse aussi concise que précise, voir : Queiroz J. -M. de, L’école et ses sociologies, Paris, Nathan, 1995 (en particulier : chapitre 3).
3 Selon l’expression de François de Singly qui note ainsi que le terme de famille ne figure pas dans l’index de La Reproduction. Voir : « L’école et la famille », in van Zanten A., L’école, l’état des savoirs, Paris, La Découverte, 2000, p. 271-279. J’ai complété cette observation avec les termes de « parent » et celui d’« élève » tout aussi absents de l’index de l’ouvrage cité.
4 On peut, à des fins d’illustration théorique, (re) lire la dernière phrase du chapitre final de La reproduction : « Instrument privilégié de la sociodicée bourgeoise qui confère aux privilégiésprivilège suprême de ne pas s’apparaître comme privilégiés, elle [l’École] parvient d’autant plus facilement à convaincre les déshérités qu’ils doivent leur destin scolaire et social à leur défaut de dons ou de mérites qu’en matière de culture la dépossession absolue exclut la conscience de la dépossession », in Bourdieu P., Passeron J. -C., 1987, p. 252.
5 En cohérence avec les réserves exprimées par Bernard Lahire (1995) à propos de l’extrême variabilité de ces notions, ajoutons que ces termes n’ont presque jamais été utilisés spontanément par les familles rencontrées dans École et familles populaires. Autrement dit, ce sont là des mots le plus souvent absents du vocabulaire générique des parents et surtout des catégories d’appréhension impropres à qualifier leur rapport à la scolarité, sous ses aspects de performances, de classements, d’échelles de valeur ou de « qualité » des élèves, donc des personnes.
6 Par exemple, 70 % des jeunes titulaires du baccalauréat à la fin des années 1960 accèdent à des postes de cadres contre un quart environ de nos jours. Cf. Duru-bellat M., L ‘ inflation scolaire, Paris, Le Seuil, 2006.
7 On peut être en accord avec la formule de Stéphane Beaud lorsqu’il évoque « le rêve de devenir fonctionnaire » des jeunes des « cités » qu’il a enquêtés (Beaud, 2002) mais un travail d’explicitation doit aussi nous conduire à préciser, au-delà du statut et de la sécurité qu’il est censé procurer, ce qu’une telle visée recouvre en termes de niveau d’études et de représentations de métiers.
8 Il nous semble sur ce point que la thèse du déclin de l’institution (Dubet, 2002) serait à nuancer en prenant davantage en compte la sociologie des familles qui ont affaire avec l’école. Moins les parents disposent de pouvoir ou sont en capacité d’opérer sur un mode stratégique face à l’institution scolaire, plus ils projettent sur elle et ses agents une autorité et une légitimité qui, inversement, lui sont volontiers disputées voire contestées par les parents les mieux dotés et les plus avertis.
9 Parmi de très nombreuses références, citons pour le caractère pionnier de ses analyses, l’ouvrage de Berthelot J. -M., Le piège scolaire, Paris, PUF, 1983.
10 Toutefois, il semble que l’autoritarisme des familles populaires et ouvrières en particulier décline fortement car elles sont aussi « rattrapées » par les modèles dominants à l’école (et dans la société) qui valorisent l’expressivité ou l’autonomie de l’enfant (cf. Singly F. de, Les adonaissants, Paris, Nathan, 2006) et surtout réprouvent tout châtiment corporel. L’interdit moral qui sanctionne ces pratiques déstabilise certains parents (dans les familles immigrées en particulier) dans leur fonction d’autorité face aux enfants, ne pouvant plus appliquer ce par quoi, sur le mode de la menace ou du passage à l’acte, ils pouvaient obtenir une obéissance que l’école leur reproche volontiers de ne plus suffisamment exiger aujourd’hui. Voici, à titre d’illustration, ce que confiait un père ouvrier (intérimaire dans le bâtiment, sept enfants) : « À l’heure actuelle, l’éducation veut moderniser, aller trop vite alors qu’avant il fallait un petit coup de pied au cul pour comprendre. C’est ce qui manque à nos jeunes. Beaucoup de discipline, c’est ce qui manque à l’Éducation nationale ! » Cf. aussi Bernard Lahire qui montre que les familles immigrées peuvent davantage recourir à des sanctions physiques ponctuelles, en rapport à de mauvais résultats scolaires par exemple (Lahire, 1995).
11 Les « petites classes » du lycée, les épreuves de connaissance d’entrée en sixième (jusqu’en 1959), la séparation du technique et du général, les paliers d’orientation au collège (fin de cinquième) ou ses classes aménagées aujourd’hui, sont autant de modalités d’organisation du système scolaire qui ont perpétué, sous des formes plus ou moins visibles, une répartition socialement inégale des élèves et de leurs carrières scolaires.
12 Précisons que notre propos portera principalement sur tout ce qui s’effectue en lien direct avec la scolarité et non sur ce qui, dans les pratiques éducatives familiales, concourt de près ou de loin à optimiser les parcours et chances de succès scolaires, y compris à travers des activités de loisirs en apparence désintéressées.
13 Les travaux de Roger Establet montrent ainsi que les parents de familles cadres et tout particulièrement la mère sont chargés d’un travail de production de « valeur scolaire » de l’enfant, par des investissements si conséquents qu’ils les font ressembler à des parents d’élèves professionnels. In L’école est-elle rentable ?, Paris, PUF, 1987.
14 Le critère du projet distingue précisément les familles de transfuges des autres membres de la classe ouvrière, ce qui permet de souligner qu’il ne va pas de soi. Cf. Terrail J. -P., Destins ouvriers. La fin d’une classe ?, Paris, PUF, 1990.
15 Les enfants et les jeunes ne s’approprient pas nécessairement les espérances scolaires de leurs parents, comme ils peuvent également les précéder et les élever à un niveau supérieur à ce qui leur semble « autorisé ». Il importe par conséquent de dissocier l’investissement scolaire des parents des formes de mobilisation – pour ne rien dire des performances scolaires stricto sensu – observées chez les jeunes.