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La fabrique de l’honneur

 | 
Bruno Dumons
, 
Gilles Pollet

Deuxième partie. La République et les décorations

Les distinctions honorifiques au CNRS. Genèse, pratiques, usages

Olivier Ihl

Texte intégral

1Si historiens et sociologues se sont beaucoup interrogés sur la figure du « grand homme », celle du « découvreur », du « génie » des sciences, ils n’ont consacré que peu d’attention aux formes et formalités de la reconnaissance scientifique. Notamment aux distinctions honorifiques qui sont pourtant devenues, depuis le début du xixe siècle, un moyen habituel de consécration, sinon un moyen de contrôle des réputations. Que les procédures symboliques de rétribution tiennent une place de choix dans le développement de l’activité scientifique, depuis Merton, on le savait. En revanche, rares ont été les incursions pour comprendre la naissance et le fonctionnement de telles entreprises de cotation. Si nombre de controverses se sont nouées autour de l’impact des « facteurs externes » sur le développement du savoir scientifique, peu ont contribué à éclairer les conditions sociales et institutionnelles de développement de ce que j’appellerai volontiers des techniques d’exemplarisation. Celles-ci rendent compte du crédit à accorder aux recherches, voire du rôle réservé aux savants. Et de fait, en distinguant certains travaux ou certaines disciplines, les récompenses honorifiques concourent à définir la place de la recherche dans l’espace public, en participant directement de la constitution de son autorité.

2L’exemple du CNRS est révélateur. Depuis 1954, cet organisme distingue par des médailles les chercheurs à différentes étapes de leur carrière. Une politique d’envergure. Rappelons-le : plus d’une cinquantaine de médailles d’or ont été distribuées à ce jour, un chiffre auquel s’ajoutent plus de 600 médailles d’argent et près de 1 500 médailles de bronze. En 1992, une autre distinction est venue renforcer ce dispositif honorifique : le « cristal », une récompense accordée aux ITA (techniciens, ingénieurs), avec près de 200 « cristaux » décernés.

  • 1 Pour une présentation de ce cadre théorique : Olivier Ihl, « Emulation through Decoration : A Scie (...)

3Moyen de management, ces marques de grandeur sont d’abord un instrument de gouvernement. Sa fonction ? Encourager et assigner. Si l’on s’efforce de préciser le rôle de ces distinctions scientifiques, force est de constater qu’elles sont importantes pour au moins trois raisons. D’abord, titres et médailles sont un levier essentiel d’émulation, celui par lequel l’État oriente la recherche scientifique. C’est l’idée selon laquelle les découvertes, notamment fondamentales, sont « sensibles » aux stimulants externes, des aiguillons censés « motiver » les chercheurs en attachant la dignité à la capacité, sinon à la « performance ». Ensuite, les médailles participent de la consécration d’écoles de pensée : elles légitiment des paradigmes scientifiques et, ce faisant, contribuent à la structuration des réseaux et des espaces de production savante. Enfin, ces instruments de distinction forment une technique de cotation particulièrement éprouvée. Destinés à réglementer les formes de l’estime sociale1, ils objectivent une échelle de comparaison, à la fois individualiste et honorifique, qui s’avère caractéristique de l’ethos aristocratique de ces communautés savantes.

  • 2 La prime - il faut le préciser - dérive du latin primus (qui est en avant). Un terme d'où découle (...)

4Entreprendre l’étude sociohistorique de telles distinctions, c’est analyser la manière dont un gouvernement par les récompenses peut opérer dans le monde si singulier des sciences et des techniques : les fins professionnelles et personnelles qu’il peut servir, les normes intellectuelles dont il s’autorise, les techniques d’émulation auxquelles il recourt. En un mot, c’est se donner les moyens de penser les instruments matériels par lesquels, dans cet univers si attaché à son indépendance, s’élabore une émulation premiale des connaissances et des réputations2.

Le management honorifique

  • 3 JO, 15 octobre 1937, p.l 1605.
  • 4 1936 : C’est aussi l’année où fut crée un sous-secrétariat à la Recherche scientifique à la demand (...)
  • 5 Article no 53 de la loi de finances du 31 décembre 1936, paru au JO le 1er janvier 1937, complété (...)

5Dans son rapport au président de la République sur la création d’une « Médaille scientifique », le 17 octobre 1937, Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale, avait proposé « grâce à des récompenses nationales décernées aux chercheurs les plus distingués, d’exciter et de faciliter l’effort de ces chercheurs en même temps que d’accroître le prestige de la recherche3 ». L’idée était d’attirer de nouvelles vocations en mettant à profit un contexte marqué par la professionnalisation du travail scientifique et la formation d’un nouvel esprit de corps au sein du monde de la recherche4. Rappelons-le : c’est l’époque où fut créé un service central de la recherche scientifique auprès du ministère de l’Éducation nationale5. Sa mission ? « Diriger, provoquer, et coordonner toutes les activités qui sont consacrées à la recherche scientifique dans tous les domaines. » Encore fallait-il pour cela disposer d’instruments d’action.

  • 6 La « médaille d’honneur avec premier grand prix » était associée à une gratification de 250 000 fr (...)

6Les « Médailles de la Recherche » étaient l’un d’entre eux. Initialement, elles étaient associées à des primes d’importance notable au regard des traitements et indemnités des chercheurs. Elles ouvraient même droit à des « allocations d’honneur » pour les savants les plus en vue ou âgés de plus 70 ans6. Le mécanisme d’attribution répondait à un schéma classique. Des propositions étaient faites par un comité ad hoc avant d’être suivies d’une décision prise par le conseil d’administration de la Caisse nationale de la recherche scientifique. Le domaine d'application ? Il concernait les recherches « désintéressées » de ce qui s’appelait encore la « science pure » : mathématiques, physique, chimie, biologie, sciences naturelles et sciences humaines mais aussi les recherches de « médecine expérimentale » ainsi que les « inventions ».

  • 7 Archives nationales. F 17 17464 : dossier de création de la Médaille de la Recherche : 1935-37.

7Le plan dessiné par Jean Zay prévoyait une stricte hiérarchie : une « médaille d’honneur avec grand prix », une « médaille d’honneur avec premier grand prix » à un étranger (mais sans rétribution pécuniaire), « trois médailles d’honneur avec grand prix » (dont un en principe aux sciences humaines), neuf « médailles d’or », dix-huit « médailles d’argent », seize « médailles en bronze ». Ces signes de reconnaissance devaient être accordés par un « comité des médailles » qui comprenait les titulaires français de médailles d’honneur avec grand prix, les titulaires de l’année précédente de médailles d’honneur avec grand prix, de médailles d’or et de médailles d’argent. Cet aréopage était complété par deux savants élus pour un an par chaque section du Conseil supérieur de la recherche et dix membres choisis par le ministre, le directeur de l’Enseignement supérieur, le chef du Service central de la recherche scientifique et l’administrateur de la Caisse nationale de la recherche scientifique. Les « tableaux d’honneur » qui devaient résulter de ces délibérations étaient entérinés par le ministre de l’Éducation nationale lors d’une séance solennelle7.

Le décret sur les allocations d'honneur annoté par jean Zay, ministre de l'Éducation nationale. (Source : AN)

Le décret sur les allocations d'honneur annoté par jean Zay, ministre de l'Éducation nationale. (Source : AN)
  • 8 Voir les protestations de l’Association des professionnels du Muséum d’histoire naturelle du 18 no (...)

8Le rapport du Conseil supérieur de la recherche scientifique dans lequel siégeaient des savants comme Émile Picard, Aimé Cotton, Marcel Mauss, René Gosse ou Henri Piéron, le montre : cette technique de gouvernement s’inspirait des exemples étrangers, notamment de la Belgique, de la Grande-Bretagne ou de la Pologne. La valeur des travaux et des découvertes ? Elle justifiait une « marque spéciale de reconnaissance de la Nation » (Piéron) pour ses plus « éminents serviteurs dans le domaine de la Science ». Mais le comité des médailles eut du mal à voir le jour du fait de l’opposition provoquée par l’absence initiale de mention aux sciences naturelles8. Une situation qui poussa le législateur à corriger le tir et à rendre cette discipline éligible. D’autres réticences se manifestèrent, comme en témoigne la révolte des émules lancée par les facultés de Lettres. Celle de Dijon appelait à « surseoir à ce décret » qui allait « à l’encontre du but poursuivi » (16 décembre 1937) : une position aussitôt reprise par les facultés de Caen ou de Nancy. « L’indépendance des savants » et le « libre jeu de la discussion scientifique » paraissaient mis en péril par l’initiative du gouvernement. Pour la faculté d’Aix-en-Provence, emmenée par le doyen Bourrilly, il y avait plus : des « raisons d’ordre moral » faisaient « regretter cette création ». Le désintéressement des savants n’était-il pas « leur plus grand titre de noblesse » ? Or, le voilà qui risquait d’être mis à mal et même de devenir « illusoire si on leur offre d’importantes rémunérations de leurs efforts ». C’est pourquoi, accusée de « faire naître le goût du lucre et une sorte d’esprit mercantile dans la profession » la Médaille de la Recherche scientifique fut récusée. Elle le fut également par le conseil de la faculté de Strasbourg pour qui la médaille était synonyme « d’aliénation » de la liberté du savant. La perspective de gain qui y était associée engendrait, à l’en croire, une compétition entre les diverses écoles rivales et les clientèles du monde de la science. Les récompenses nationales étaient, en somme, suspectées du pire des maux : celui de doubler les conflits d’idées de conflits d’intérêts.

  • 9 Le nouveau CNRS a englobé le CSRS avec ses 14 sections. Il a aussi absorbé le CNRSA qui est devenu (...)

9Pourtant, si un tel mécanisme a pu être échafaudé ce fut pour des raisons précises. Il fallait organiser la « mobilisation » des laboratoires et de leur personnel. Le but était de conduire l’ensemble de la recherche nationale dans les voies tracées par le nouveau gouvernement. L’époque était à la création de structures : comme en 1938 un Haut Comité de coordination de la recherche scientifique et technique (HCCRST) ou le Centre national de la recherche scientifique appliquée (CNRSA) créé par le décret du 24 mai 1938 (d’où naîtra l’année suivante le Centre national de la recherche scientifique créé par le décret-loi du 19 octobre 19399) Mais les structures n’étaient bonnes qu’à former des corps de chercheurs ou une spécialisation des savoirs, pas des techniques de gouvernement. En d’autres termes, elles ne garantissaient pas une conduite effective.

  • 10 Christophe Charle, « Le personnel dirigeant du CNRS (1937-1966) », Cahiers pour l'Histoire du CNRS(...)
  • 11 Sur cette naissance : Jacques Lautman, « L’évaluation au CNRS », Cahiers pour l'Histoire du CNRS, (...)
  • 12 La prééminence du Comité national ne fut pas mise en cause : celui-ci conservait le soin d’évaluer (...)
  • 13 C’est dans ce contexte, celui d’une multiplication des organismes de recherche, que naît le princi (...)

10Or, pour le personnel dirigeant du nouvel organisme10, rien n’importait plus que de pouvoir orienter la recherche. Il ne s’agissait pas seulement d’évaluer les chercheurs ou de répartir les crédits mais d’inciter laboratoires et disciplines. L’ordonnance de refondation du CNRS du 2 novembre 1945 insiste sur ces missions en portant création d’un Comité national, assemblée composée de scientifiques cooptés et divisée en 30 sections11. La réorganisation du CNRS en juin 1949 va, elle-même, venir renforcer ce processus en développant ses organes de direction. C’est l’apparition d’une direction scientifique et administrative avec un « directeur du CNRS » et deux adjoints, l’un pour les sciences exactes, l’autre pour les sciences de 1 homme et de la société12. Toutefois, l’organisme peinait à se faire reconnaître. Face à une Université toute-puissante, il fallait trouver autre chose. A fortiori dans un contexte qui voyait se multiplier les organismes de recherche13.

Présentation au président de la République du décret sur les médailles de 1937 par le ministre de l’Éducation nationale (extrait). (Source : AN)

Présentation au président de la République du décret sur les médailles de 1937 par le ministre de l’Éducation nationale (extrait). (Source : AN)
  • 14 Procès-verbal de la séance du conseil d’administration en date du mardi 7 décembre 1954, archives (...)

11Le 7 décembre 1954, le conseil d’administration du CNRS décida la création d’une « Médaille de la Recherche scientifique ». La décision d’attribution, soumise à un « directoire » après proposition et classement des sections, pouvait prendre trois formes distinctes : une médaille de bronze (pour « les meilleures thèses de l’année »), une médaille d’argent (pour « reconnaître les travaux postérieurs à la thèse »), enfin une médaille d’or (pour récompenser « une des personnalité qui, à des titres divers, ont honoré la recherche scientifique française14 »). Une telle série de distinctions couronne, derrière l’œuvre et la qualité des travaux, une prétention institutionnelle : celle du CNRS à imposer sa hiérarchie des mérites. Ne l’oublions pas : les prix du CNRS devaient rivaliser avec ceux de l’Académie des sciences mais surtout les prix internationaux (comme la Médaille Humboldt). Des distinctions entre lesquelles la concurrence fut souvent vive : comme avec le prix Jeantet de médecine ou le prix Wolf de physique ou encore le grand prix scientifique de la ville de Paris. L’émulation premiale s’affirmait comme une véritable technique de gouvernement : au sein de groupes de pairs, souvent mal rémunérés, la médaille avait tout pour devenir un gage de considération et un aiguillon de la recherche.

12En 1954, alors que naît le CSRSPT (Conseil supérieur de la recherche scientifique et du progrès technique), une première médaille d’or du CNRS est attribuée au mathématicien Emile Borel. Un homme qui, on le sait, avait joué avec Jean Perrin un grand rôle dans l’organisation et le développement de la recherche scientifique. Il fut le premier récompensé. Remise chaque année à des personnalités ayant « contribué, d’une manière exceptionnelle et dans des disciplines diverses, au dynamisme et au rayonnement de la Recherche en France », la distinction n’a cessé, depuis, d’être distribuée.

  • 15 Sur ce système de patentes et d’encouragements : Charles C. Gillispie, « Invention », Science and (...)
  • 16 Séance du 17 vendémiaire an III, suivi du décret de la Convention nationale. Procès-verbaux du Com (...)

13Un tel management honorifique venait renouer avec une pratique ancienne. C’est avec l’Académie des sciences que fut établi le premier véritable système de prix en matière scientifique. Un dispositif que toute l’Europe s’était empressée d’imiter. Au début, la logique en était clairement aristocratique : les prix étaient des biens purement symboliques et, d’ailleurs, rarement distribués. En l’absence de patentes avant 1789 en France, les inventeurs étaient récompensés par des droits de monopole, des subsides ou des pensions15. Le système des prix évolua à nouveau, avec la Révolution française, d’une logique honorifique vers une logique monétaire : c’est le passage des médailles aux bourses. Un seul exemple, dans son Rapport sur les encouragements, récompenses et pensions à accorder aux savants, aux gens de lettres et aux artistes, l’abbé Grégoire intervient en ce sens : « Les savants ne demandent pas la richesse : la précieuse médiocrité d’Horace sera toujours leur devise ; cependant, nous devons observer que communément les places qui exigent le plus de talent sont le plus mal rétribuées. » D’où l’idée de « faire des avances pour des ouvrages d’un mérite reconnu et qui exigent une mise de fonds dont la rentrée ne se fait que lentement, comme des gravures pour l’histoire naturelle, des ouvrages de haute science16 ».

Un tableau d’honneur : les médaillés d’or du CNRS de 1954 à 2007.

2007

Jean Tirole (économie)

2006

Jacques Stern (cryptologie)

2005

Alain Aspect (physique)

2004

Alain Connes (mathématiques) Médaille Fields 1982

2003

Albert Fert (physique)

2002

Claude Lorius et Jean Jouzel (climatologie)

2001

Maurice Godelier (anthropologie)

2000

Michel Lazdunski (biochimie)

1999

Jean-Claude Risset (informatique musicale)

1998

Pierre Potier (chimie)

1997

Jean Rouxel (chimie)

1996

Claude Cohen-Tannoudji (physique) prix Nobel de physique 1997

1995

Claude Hagege (linguistique)

1994

Claude Allègre (physique du globe)

1993

Pierre Bourdieu (sociologie)

1992

Jean-Pierre Changeux (neurobiologie)

1991

Jacques Le Goff (histoire)

1990

Marc Julia (chimie)

1989

Michel Jouvet (biologie)

1988

Philippe Nozières (physique)

1987

Georges Canguilhem (philosophie)

Jean-Pierre Serre (mathématiques) Médaille Fields 1954

1986

Nicole Le Douarin (embryologie)

1985

Piotr Slonimski (génétique)

1984

Jean Brossel (physique)

Jean-Pierre Vernant (histoire)

1983

Evry Schatzman (astrophysique)

1982

Pierre Joliot (biochimie)

1981

Jean-Marie Lehn (chimie) prix Nobel de chimie 1987

Roland Martin (archéologie)

1980

Pierre-Gilles de Gennes (physique) prix Nobel de physique 1991

1979

Pierre Chambon (biologie) prix Lasker (recherche fondamentale) 2004

1978

Maurice Allais (économie) prix Nobel de sciences économiques 1988

Pierre Jacquinot (physique)

1977

Charles Fehrenbach (astronomie)

1976

Henri Cartan (mathématiques)

1975

Raymond Castaing (physique)

Christiane Desroches-Noblecourt (égyptologie)

1974

Edgar Lederer (biochimie)

1973

André Leroi-Gourhan (ethnologie)

1972

Jacques Oudin (immunologie)

1971

Bernard Halpern (immunologie

1970

Jacques Friedel (physique)

1969

Georges Chaudron (chimie)

1968

Boris Ephrussi (génétique)

1967

Claude Lévi-Strauss (ethnologie)

1966

Paul Pascal (chimie)

1965

Louis Neel (physique) prix Nobel de physique 1970

1964

Alfred Kastler (physique) prix Nobel de physique 1966

1963

Robert Courrier (biologie)

1962

Marcel Delépine (chimie)

1961

Pol Bouin (physiologie)

1960

Raoul Blanchard (géographie)

1959

André Danjon (astrophysique)

1958

Gaston Ramon (immunologie)

1957

Gaston Dupouy (physique) prix Nobel de physique 1929

1956

Jacques Hadamard (mathématiques)

1955

Louis de Broglie (physique)

1954

Émile Borel (mathématiques)

  • 17 Maurice Crosland et Antonio Galvez, « The Emergence of Research Grants within the Prize System of (...)
  • 18 Sur le schéma qui inspire cette problématique : Olivier Ihl, Martine Kaluszynski et Gilles Pollet (...)
  • 19 Sur la naissance de cette dynamique sociale : Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Ac (...)

14Avec le développement de la science expérimentale au xixe siècle, l’exigence de récompenses pécuniaires s’est renforcée. Les prix ont, de plus en plus, consisté en des fonds alloués à des chercheurs jugés prometteurs. Dans le même temps, le savant est devenu un scientifique. Non plus un philosophe offrant des synthèses dans le domaine des sciences mais un homme de laboratoire, rivé à des instruments et à des institutions techniques. La dimension prospective l’a alors emporté sur la gratification honorifique17. La spécialisation n’a pas pour autant fait disparaître l’auréole de gloire et de prestige. Car les méthodes du management industriel ont fini par s’imposer. Signe que l’activité scientifique changeait de nature : elle s’impliquait de plus en plus dans le type de production propre au monde économique en même temps qu'elle devenait un lieu d’affrontement entre nations18. La professionnalisation des voies de recrutement et de formation, la complexification des expériences de laboratoire19 en ont décidé ainsi : la science n’était plus une occupation d’amateurs mais une profession salariée. En France cela fut essentiel pour constituer des patronages scientifiques d’Etat. Le jeune CNRS devait en reprendre le principe mais dans le but d’imposer cette fois son propre modèle de scientificité.

Une récompense mise en scène. Dépliant montrant la médaille au milieu des années 1980. (Source : Archives du CNRS)

Une récompense mise en scène. Dépliant montrant la médaille au milieu des années 1980. (Source : Archives du CNRS)

Gouverner par les distinctions

  • 20 Les vues de Delsarte sur ces questions sont présentes dans « L’organisation de la recherche scient (...)

15Dès sa création, le système des récompenses du CNRS fut en butte à la contestation. Au point d’être présenté comme l’origine d’une véritable « guerre des médailles ». Figure de proue de cette critique radicale : le mathématicien et normalien Jean Delsarte qui fut dès 1937, le principal artisan de la fronde contre le projet de récompenses conçu par le physicien Jean Perrin, créateur du CNRS et alors premier sous-secrétaire d’Etat à la recherche scientifique20. Delsarte est une figure classique d’entrepreneur de scientificité. Personnalité importante dans l’histoire des mathématiques (il fut l’un des fondateurs de Bourbaki dont il tint longtemps le secrétariat), l’homme fut chargé de cours à la faculté des sciences de Nancy en 1927, maître de conférences en 1928, et enfin professeur en octobre 1936. À l’exception des années 1962 à 1965 où il fut nommé directeur de la Maison franco-japonaise, c’est dans cette université qu’il fit toute sa carrière. Réformateur de chaire, il participa en 1945 à la commission Langevin-Wallon de réforme de l’enseignement. Il fut également le créateur de l’Institut Élie Cartan en 1953.

  • 21 Dès 1920, avec la médaille « à la science » du lycée Corneille de Rouen, cet élève boursier en 192 (...)
  • 22 C’est au Congrès international des mathématiciens de 1924 à Toronto que fut avancée, par le mathém (...)

16L’opposition de Delsarte ne renvoie pas à une hostilité particulière aux médailles. Il avait d’ailleurs cumulé de multiples distinctions durant sa carrière21. Non, cette opposition tenait à un différend sur l’organisation de la recherche scientifique et de l’enseignement supérieur en France. Membre de la Commission de mathématiques pures du CNRS (de 1941 à 1949) ainsi que d’un groupe de travail sur la réforme des études scientifiques en France, il s’opposait à l’essor d’une « méthode d’émulation » propre au CNRS. Les mathématiques avaient déjà leur prix, notamment la Médaille Fields22. D’où sa crainte d’une perte d’autonomie pour sa discipline. Persuadé que les mécanismes d’attribution de médailles du CNRS allaient être aussi opaques que les mécanismes d’attribution de postes, Delsarte en nourrira le grief : il n’était pas possible que des évaluateurs extérieurs viennent sanctionner des renommées propres à la discipline mathématique. Ce serait là un ferment d’hétérodoxie. D’autant que les évaluateurs ne prendraient la peine ni de justifier ni d’argumenter leurs choix (« le jury est souverain »).

  • 23 Archives du CNRS, note Bureau 1 A, affaires générales et contentieux 28 janvier 1964. La médaille (...)

17La critique ne manquait pas de fondement. La décision d’attribution des médailles restait largement entre les mains du directoire. Pour les médailles d’argent, elle était même le fait du directeur général : certes, celui-ci s’appuyait sur les avis des directeurs des départements (transmis au comité de direction après sélection des propositions des sections). Mais la médaille d’argent (qui était attribuée « pour l’originalité et la qualité » des travaux d’un chercheur et qui devait être le « symbole d’une étape marquante dans une carrière scientifique ») n’en restait pas moins soumise à des considérations institutionnelles23. La critique d’une « dérive politique » reviendra plusieurs fois aux oreilles du comité. Le 7 juillet 1975, Paul Germain (de l’Institut de mécanique théorique) écrit au directeur général pour attirer son attention « sur la mise à l’écart constante depuis vingt ans des mathématiciens dans le choix des lauréats qu'elle propose et fait approuver ». Et d’insister :

« Je suis intervenu plusieurs fois au directoire sur cette politique du CNRS que j’estime regrettable. Le CNRS a certes attribué sa médaille d’or à Émile Borel en 1954 et Jacques Hadamard en 1956, l’un né en 1871 l’autre en 1865, dont les travaux majeurs ont été publiés dans les premières années du xxe siècle. Or, si le choix des lauréats dessine une image des points forts de la recherche française tels qu’ils sont vus par la direction du CNRS, les mathématiciens sont une branche mineure de la Science. »

18En décembre 1989, Jacques de Certaine dans la revue Réseau revient à la charge avec un article intitulé : « Faut-il supprimer les prix scientifiques ? » Il y dénonce l’archaïsme de ce mode de rétribution. N’était-ce pas céder à une personnalisation en tout point contraire à la réalité du travail scientifique, « quand plusieurs équipes dans le monde travaillent en parallèle et à la même vitesse sur les mêmes sujets, quand les mêmes techniques sont disponibles partout au même moment, quand une même expérience mobilise des dizaines de chercheurs » ? Et de prendre l’exemple en 1987 de la supraconductivité à haute température : une centaine de chercheurs ont bouleversé ce domaine scientifique. Lequel récompenser ? Est-ce le chimiste ayant produit l’alliage, celui qui a montré ses propriétés, celui qui a généralisé le résultat ? Non, décidément, l’arbre de la médaille ne pouvait que cacher la forêt des chercheurs. Une injustice qui lui fit conclure sa missive par cette sentence : « On ne peut récompenser la recherche du xxe siècle avec les méthodes du xixe siècle. »

19Que des « considérations de chapelle » puissent intervenir dans les récriminations comme dans les choix des récompensés, voilà une suspicion inévitable. Est-ce pour autant un fait observable ? Un rapide décompte des médailles les plus nombreuses, celles d’argent et de bronze, permet de répondre, même approximativement. Y aurait-il des prédispositions au mérite décoré ? On pourrait le croire en observant le profil disciplinaire des décorés les plus nombreux, ceux d’argent et de bronze, dont les effectifs permettent une première approche statistique.

Tableau 1 - Répartition par discipline des médailles d'argent et de bronze de 1980 à 1992.

Discipline

Argent

Bronze

Total

Mathématiques

0,0 %

0,0 %

0,0 %

Théories physiques

3,1 %

2,4 %

2,6 %

Mécanique générale

0,8 %

2,1 %

1,7 %

Astronomie

3,5 %

4,1 %

4,5 %

Minéralogie

3,1 %

3,8 %

3,6 %

Géologie

3,1 %

3,8 %

3,6 %

Physique moléculaire

3,1 %

4,1 %

3,8 %

Mécanique physique

1,6 %

4,1 %

3,3 %

Physique corpusculaire

3,1 %

4,1 %

3,8 %

Électronique

6,3 %

4,1 %

4,8 %

Chimie physique

3,9 %

4,1 %

4,1 %

Chimie minérale

2,3 %

4,5 %

3,8 %

Chimie organique

3,9 %

4,1 %

4,1 %

Chimie biologique

2,3 %

3,1 %

2,9 %

Physiologie

1,6 %

1,0 %

1,2 %

Biologie cellulaire

0,0 %

0,3 %

0,2 %

Biologie animale

3,9 %

2,7 %

3,1 %

Biologie végétale

3,9 %

4,1 %

4,1 %

Médecine

7,8 %

3,1 %

4,5 %

Anthropologie

4,7 %

3,8 %

4,1 %

Géographie

4,7 %

4,1 %

4,3 %

Linguistique

0,8 %

2,1 %

1,7 %

Philologie non classique

3,9 %

3,8 %

3,8 %

Philologie classique

0,8 %

3,1 %

2,4 %

Archéologie non classique

5,5 %

2,4 %

3,3 %

Archéologie classique

0,8 %

1,7 %

1,4 %

Histoire moderne

3,9 %

4,1 %

4,1 %

Droit et science politique

1,6 %

3,1 %

2,6 %

Sciences économiques

4,7 %

3,8 %

4,1 %

Sociologie et psychologie

6,3 %

4,5 %

5,0 %

Philosophie

3,1 %

3,8 %

3,6 %

Total en %

30,5 %

69,5 %

100 %

Total en val. abs.

128

291

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  • 24 La Mission pour la place des femmes au CNRS suscitera une enquête collective (Les Femmes dans l'Hi (...)

20Autre distorsion : la représentation hommes/femmes au sein des promotions. Quand elles sont distinguées, les femmes sont plus souvent élevées au simple cristal ou à la médaille de bronze. Faudra-t-il légiférer pour la parité honorifique comme pour la parité politique ? C’est la question que pose Martine Sonnet dans son enquête « Présence des femmes au CNRS, des années 1930 à nos jours24 ». Et de le noter :

« La présence des femmes au CNRS, originelle, numériquement significative et diversifiée, n’est soulignée dans l’histoire de l’institution que sous les traits de quelques grandes “figures-écrans”, Irène Joliot-Curie par exemple, laissant dans l’ombre la multitude des chercheuses, techniciennes et administratives quotidiennement essentielles à la marche de l’établissement et à ses résultats. »

21La production, depuis les années 1970, de statistiques sexuées sur le personnel a pourtant éveillé certaines interrogations. Le Courrier du CNRS (no 32, avril 1979) publia, par exemple, sous forme d’une « libre opinion » une étude de Josette Cachelou sur « Les femmes chercheurs au CNRS ».

  • 25 Pour des développements plus circonstanciés notamment selon les sections du CNRS, voir l’article p (...)

22Des chiffres précisés par une enquête syndicale deux ans plus tard (« La recherche des femmes », Syndicat national des chercheurs scientifiques, 198125). Les résultats sur le terrain des récompenses pour celles qui représentent près de 30 % du corps des chercheurs y demeurent très faibles. Deux médailles d’or seulement : la première en 1975 – année de la femme – attribuée à Christiane Desroches-Noblecourt fut partagée avec un physicien. Après les SHS en 1975, les sciences de la vie honorent à leur tour une femme en 1986 avec la médaille d’or décernée à l’embryologiste Nicole Le Douarin. Du côté de l’argent – avec 13,2 % de médailles féminines (77 sur 584 entre 1955 et 2001) – comme du bronze – 20,4 % pour les femmes (233 sur 1141 entre 1971 et 2000) –, le tableau des récompenses s’avère bien restreint. Pour les personnels féminins ITA, pourtant majoritaires, les chances d’obtenir un cristal demeurent tout aussi médiocres : la récompense est massivement attribuée à des ingénieurs de recherche, c’est-à-dire à la catégorie d’ITA la moins féminisée. D’où un net déséquilibre. De 1992 à 2001, les femmes n’ont obtenu que 31 des 136 cristaux décernés, soit 22,7 % du total. Une forme de reconnaissance qui se révèle donc inégalitaire.

23Autre distorsion majeure : le critère de l’âge. On peut le comprendre pour la médaille d’or où il faut justifier d’une consécration nationale et internationale des plus éclatantes. C’est ce qui explique que les plus jeunes nommés ont rarement moins de cinquante ans. On le comprend moins pour la médaille d’argent : catégorie intermédiaire de distinction, distribuée à raison d’une dizaine à quinzaine d’insignes par an, elle concerne certes en priorité les moins de 46 ans. Mais avec de forts pourcentages de 46 à 51 ans et des retours de pic vers 55 ans et chez les plus de 61 ans. Comme si son usage (être un titre de compensation) avait fini par faire oublier les intentions initiales de ses inventeurs. On pourrait affiner cette sociologie sommaire, par exemple pour souligner que la répartition géographique des consécrations marque la suprématie des centres de recherche parisiens ou pour s’étonner de la représentation écrasante de certaines écoles (depuis la création de la médaille d’or, près de 50 % de ces récompenses « supérieures » sont allées à des normaliens).

Tableau 2 – Évolution du pourcentage des femmes dans le total des médaillés de bronze de 1980 à 1992.

Tableau 2 – Évolution du pourcentage des femmes dans le total des médaillés de bronze de 1980 à 1992.

Tableau 3 – Âge moyen des médaillés d’argent du CNRS de 1980 à 1991.

Tableau 3 – Âge moyen des médaillés d’argent du CNRS de 1980 à 1991.

24L’élite scientifique décorée par le CNRS ne représente qu’imparfaitement la communauté des chercheurs. Même partiels, les chiffres dont on dispose témoignent d’une faible représentativité de ces signes de mérite. Le mérite reconnu ? Il concerne des individus déjà socialement distingués. Les médailles du CNRS ? Plus que d’autres, elles choisissent d’abord ceux – institutions, disciplines, réseaux – qui les ont choisies. Une affinité élective qui permet d’intégrer au cercle des « élus » des candidats déjà convaincus d’être « éligibles ».

  • 26 Archives du CNRS, procès-verbal du comité de direction du 5 avril 1976.

25De cette situation, les responsables du CNRS ont eu très tôt conscience. Revenant sur la procédure de sélection des candidats à la médaille d’or, M. Grégory posa, par exemple, dans un courrier envoyé au directeur général cette quadruple question : Doit-on maintenir le principe adopté en 1975 de décerner systématiquement à l’avenir deux médailles d’or (l’une en sciences exactes et naturelles l’autre en sciences de la vie et de l’homme) ? Ne devrait-on pas réfléchir à une « programmation des secteurs » qui, compte tenu des médailles attribuées les années précédentes, doivent à l’avenir être honorées ? Est-il raisonnable que la sélection soit faite exclusivement au sein du comité de direction ? Ne doit-on pas élargir la consultation ? Après débat, le principe d’une seule médaille d’or fut retenu. Mais avec la promesse de faire une étude statistique des secteurs honorés et d’en tenir compte dans les attributions futures, cela pour « mieux couvrir l’ensemble des disciplines26 ». Comment fut-il procédé à une consultation élargie ? Le principe consistera, non pas à s’adresser aux membres des comités sectoriels et thématiques, ni aux membres du directoire mais à consulter « à titre personnel » les 41 présidents de section, de même que les lauréats des années précédentes ainsi que des étrangers de renommée internationale.

26Comment ne pas en convenir : le bénéficiaire d’une distinction n’est pas seulement, ni peut être fondamentalement, celui qui la reçoit mais bien celui qui la décerne. D’autant que si la décoration ne se demande pas, elle s’obtient. Et déjà après un accord préalable que matérialise l’envoi d’un formulaire spécifique par les directeurs d’unité (en réponse à une circulaire de la direction). Ce formulaire de parrainage est ensuite débattu en section du Comité national, à charge pour ses membres d’assurer le contrôle des « mérites éminents » de chaque candidat. Ce qui favorise l’action des réseaux académiques, ceux propres à chaque discipline et à chaque gros laboratoire. L’enjeu est d’importance : derrière chaque carrière, c’est une école, un courant, une discipline qui se trouvent distingués. De sorte que l’attribution officielle ratifie une sorte de conversion, celle par laquelle la réussite devient mérite. Mieux : un mérite consacré.

Une pratique de distinction

  • 27 Sur cette alliance : Harry W. Paul et T. W. Shinn, « The structure and State of Science in France  (...)

27Que se passe-t-il lorsqu’est décernée une médaille ? Certes, une conduite se voit qualifiée. Certes, des mérites sont individualisés. Certes encore, des motifs de reconnaissance sont signalés. C’est toute la fonction impartie aux discours qui se succèdent le jour de la cérémonie d’attribution. Mais la solennité est surtout le moment où la décoration est remise. Où, transmise des mains mêmes du directeur général du CNRS ou de l’un de ses représentants en région, elle est déposée dans les mains du récipiendaire. Geste augurai qui, réalisé au nom de l’alliance de l’Etat et de la Science, vient solenniser le droit légitime de s’en revendiquer27. La personnalisation de la cérémonie d’attribution peut s’apparenter à un don, au moins de façon implicite. Certes, une telle lecture ne va pas de soi. La décoration n’est pas « donnée » car elle récompense (de compensare, dédommager) une qualité spécifique, une découverte faite, une réputation acquise. Bref, un mérite réputé préexister par lui-même. Récompense, la décoration serait une chose, non pas donnée, mais due. Si cette interprétation peut être avancée, force est de constater qu'elle est mise à mal par le déroulement concret de la cérémonie d’attribution. La médaille – il faut le noter – ne vaut que d’être remise solennellement des mains d’une autorité constituée.

28La presse, par ses comptes-rendus, parfois illustrés par une photographie, vient donner un éclat supplémentaire à un tel principe en soulignant combien la personne de qui l’on reçoit la décoration a au moins autant d’importance que la nature de la distinction. Toutefois, parler d’un don, c’est réveiller, en démocratie, l’imaginaire de la « faveur », sinon celui de la « courtisanerie ». Le vocabulaire journalistique en témoigne. Pour le récit de presse, on ne « donne » pas une médaille : on la « décerne », on « l’accorde », on la « concède », on « l’octroie », on la « confère ». Décerner, c’est accorder une récompense qui est due. Faire don, en revanche, c’est abandonner toute référence à un rapport institutionnel formalisé : celui d’une récompense légale, née d’un acte de souveraineté, à la fois anonyme et collectif. Il n’empêche. L’investigation sociologique oblige à réévaluer l’importance du geste d’attribution. Émanant de l’institution qui l’institue et la concède, la médaille n’est plus dans les mains du directeur qui la remet une récompense impersonnelle. Là est le réalisme du terme de don. Pour celui qui l’accorde, elle est devenue un signe de sa propre confiance, sinon un témoignage de gratitude. Et pour celui qui la reçoit, une marque de reconnaissance, synonyme de supériorité scientifique.

Un exemple de clientélisme honorifique : la réponse à l'intervention du député-maire de Nantes pour l'obtention d'une médaille en faveur d’un scientifique local (Source : AN, 1938)

Un exemple de clientélisme honorifique : la réponse à l'intervention du député-maire de Nantes pour l'obtention d'une médaille en faveur d’un scientifique local (Source : AN, 1938)

29Signe qui ne trompe pas : le discours des récipiendaires. Il est tout entier marqué par la dénégation. Depuis l’« hésitation à [se] considérer comme vraiment digne d’une aussi haute distinction » (Raymond Castaing, 1976) à la tentative de plaider la cause d’une discipline : « Par delà ma personne, je pense que c’est une discipline qui est ainsi honorée » (Philippe Nozières, 1988). Pour Évry Schatzman (1983) : « Bien au delà de la reconnaissance de mes mérites personnels, il s’agit d’un événement significatif qui marque un tournant astrophysique en France, qui exprime la reconnaissance de principes que je crois essentiels à la fécondité et au succès de la recherche fondamentale en astrophysique ». L’hommage se retourne alors pour concerner non pas le récipiendaire mais le donateur. « Quelles que soient les raisons de cette distinction, j’y vois un signe de jeunesse, d’indépendance et de non-conformisme d’un grand organisme » (Michel Jouvet, 1989). D’autres encensent « l’appui incessant du CNRS qui en me couronnant ne fait que se couronner lui-même » (Roland Martin, 1982). Comme si « par ce geste, l’institution en reconnaissant la valeur des travaux qu'elle honore, se donnait aussi des preuves de sa propre vitalité » (Jean-Marie Lehn, 1982). La remarque vaudrait d’être généralisée. La remise d’une distinction est une geste institutionnelle. D’où ses inflexions successives.

  • 28 Archives du CNRS, note direction de l'information scientifique technique de mars 1989, p. 3.

30Depuis 1984, les médailles d’argent donnent lieu à des cérémonies dans le cadre même du lieu de travail scientifique. Une manière pour les organisateurs « de mieux faire connaître le rôle du CNRS dans les régions à Paris et dans la région parisienne et à illustrer sa politique d’ouverture et de partenariat28 ». Une note du 25 février 1985 fait un premier bilan de cette innovation :

  • 29 Pour Jean-Claude Lehman, directeur scientifique au CNRS, la remise de la médaille à Bordeaux-Talen (...)

« Pour la première fois cette année la remise des médailles a donné lieu à plusieurs réunions distinctes à Paris et dans les régions, la Direction du CNRS ayant souhaité que les scientifiques ainsi mis à l’honneur reçoivent la Médaille qui leur était décernée dans la région même où ils travaillent29. »

  • 30 Archives du CNRS, fiche de présentation de juin 1996 de la direction des ressources humaines. En 1 (...)

31La création du cristal du CNRS est venue compléter ce dispositif de récompenses : il honore des ingénieurs, techniciens et administratifs qui, au sein du CNRS, « contribuent de façon particulièrement remarquable à la recherche » : « innovation », « excellence technologique », « créativité » constitueront les critères de sélection. Une émulation présentée par la direction des ressources humaines comme une façon de « mieux connaître et reconnaître les travaux effectués par les personnels30 ».

32En 1995, soucieux d’encourager les partenariats avec le monde de l’entreprise, le CNRS créa une nouvelle récompense : « l’équipe de recherche de l’année » pour stimuler le lien laboratoires/entreprises. Présidé pour cette première année par Georges Charpak, prix Nobel de physique 1992, le jury comprenait le PDG d’Alcatel Alsthom Recherche, le président de la Fondation Fourmentin-Guilbert, le PDG de l’ANVAR le rédacteur en chef adjoint du Nouvel Economiste et un représentant de Paribas. « Pour la première fois un organisme de recherche fondamental et un hebdomadaire s’associent pour récompenser la meilleure collaboration entre un laboratoire et une entreprise » : le leitmotiv des articles de presse consacrés à l’opération le montre. Il s’agissait de mettre en valeur l’apport de la recherche fondamentale au développement économique et social, de faire considérer le CNRS « en termes de résultats industriels ». Doté d’un prix de 130 000 francs, ouvert aux 1 330 laboratoires du CNRS ou associés, le concours portait sur trois catégories : les sciences de la matière, les sciences du vivant et les sciences de l’homme et de la société.

  • 31 Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, Paris, Le Seuil, 1997, (1re éd. 198 (...)

33On le constate : dans une société où la grandeur sociale passe de plus en plus par la fortune ou la médiatisation, les distinctions du CNRS se posent comme une forme concurrente de sanction : celle d’une reconnaissance scientifique à laquelle est associé l’hommage de la Nation. Une distinction toute honorifique mais qui signe comme l’appartenance à un ordre. Si la distinction est une « sanction positive », celle-ci demeure conditionnelle. Car sa logique est celle de l’épreuve permanente. La gradation des distinctions le signale : la reconnaissance, comme l’a bien observé Michael Walzer, est une compétition. « Elle ne cesse pas, et les participants apprennent vite que l’honneur d’hier ne sert pas à grand-chose sur le marché d’aujourd’hui. Ils ne peuvent faire de pause, ni se reposer sur leurs lauriers31. » Il leur faut se plier à une concurrence qui requiert un investissement continu. En un mot, il leur faut exprimer une adhésion à l’ordre et à ses valeurs qui, seules, fondent et justifient les mérites de ceux qu’il a consacrés.

La reconnaissance scientifique

  • 32 Sur cette série de résultats d’enquête : Stuart S. Blume, Ruth Sinclair, « Chemists in British Uni (...)

34Le principe de base de l’organisation scientifique peut être regardé comme un échange de reconnaissance sociale pour des informations ou la validation d’une « performance » scientifique. En contrôlant les récompenses de ses membres, une communauté disciplinaire est donc capable de maintenir les valeurs, sinon l’effectivité de ses recherches aussi bien que les engagements scientifiques élémentaires. Mieux : elle peut stigmatiser ceux qui ne se conforment pas à ce modèle. La reconnaissance ? Elle est ici allouée à un individu en proportion de la fidélité avec laquelle il s’est plié à son rôle scientifique. Une fonction qui permet de stimuler l’effort scientifique d’une communauté de recherche32. La logique est formellement de déterminer le « meilleur compétiteur » en l’assimilant au « meilleur savant ». Pour le CNRS, il s’agit d’encourager par des médailles la reconnaissance de telle ou telle œuvre scientifique mais aussi de consacrer des modèles de conduite. À ce titre, les médailles sont un levier d’action dans une politique scientifique. Mais selon quelle rationalité et avec quelle efficience cette démarche fut-elle mise en œuvre ?

  • 33 Parmi ces travaux : Barry J. Nalebuff et Joseph E. Stiglitz, « Prizes and Incentives : Toward a Ge (...)
  • 34 Jerry Gaston, « The Reward System in British Science », American Sociological Review, vol. 35, 4, (...)
  • 35 Sur cette instrumentation pécuniaire et honorifique des savoirs à vocation scientifique : Barbara (...)

35Le point est difficile à trancher. S’il paraît difficile de clarifier le rôle des distinctions honorifiques sur la performance des chercheurs, la littérature sociologique a cependant mis en évidence plusieurs propriétés de l’émulation scientifique33. Première observation : les travaux classiques de la sociologie des sciences l’ont montré, de Merton à Hagstrom, la raison principale pour laquelle les scientifiques font de la recherche est d’obtenir de la reconnaissance. D’où le débat récurrent pour savoir si la relation est équitable entre les contributions apportées par les scientifiques et la reconnaissance qu’ils reçoivent en retour, le degré de fidélité de cette relation indiquant la justesse d’un système de récompense. Seconde remarque : ce n’est jamais la seule contribution scientifique qui est appréciée. Le prestige des institutions et des départements de rattachement affectent la reconnaissance des scientifiques. Un seul exemple : cette enquête rassemblant des données établies sur 203 scientifiques par des interviews personnelles ; elle montre que la reconnaissance des contributions scientifiques n’est pas distribuée indépendamment de facteurs sociaux34. Plus encore : qu’elle reflète la socialisation institutionnelle subie par ces scientifiques, une socialisation qui les secoure ou les lèse pour devenir à leur tour des professionnels reconnus du monde de la recherche. Pour le dire en quelques mots : ceux qui ont été formés dans les plus prestigieuses institutions sont les plus remarqués et, partant, les plus récompensés35.

  • 36 Après avoir contrôlé les différences de qualifications et de performances, les iniquités de recrut (...)
  • 37 Paul C. Jordan, « Effects of an Extrinsic Reward on Intrinsic Motivation : A Field Experiment », T (...)

36Troisième remarque : la reconnaissance formelle qu’offrent les récompenses honorifiques est ce qui conditionne le plus l’obtention de nouveaux signes de distinction. Nombre de récipiendaires de la médaille d’or du CNRS sont des multidécorés. Signe que la récompense honorifique fonctionne comme un jeu d’une nature très singulière, un jeu où les compétiteurs restent prisonniers de leurs gains. C’est un engrenage où l’intérêt à briguer de nouvelles distinctions l’emporte d’autant plus que l’avoir déjà fait a apporté des profits scientifiques. Cet effet Mathieu, pour reprendre l’expression que lui donnent les sociologues de la science, le fait voir : il existe des propriétés autorégulatrices de la compétition pour la reconnaissance scientifique. Et l’une d’elle établit qu’avoir été distingué facilite l’attribution de nouvelles récompenses, plus par exemple que les jugements des groupes de pairs ou l’originalité intrinsèque d’une découverte ou d’une série de publications36. On le constate : si l’incidence des récompenses sur la formation de motivations peut s’appuyer sur de nombreux travaux, notamment en psychologie sociale37, l’usage de ces sanctions positives n’en reste pas moins marqué par des réalités dissonantes. Si le mérite est régulièrement encensé comme un critère universel, l’observation sociologique fait voir qu’il dépend surtout d’une sélection sociale préalable. D’un processus de management corporatif et d’un jeu de contacts professionnels, tous deux nécessaires à l’obtention d’une position de reconnaissance. Le système de récompense peut se proclamer universaliste dans ses principes, il fonctionne souvent de manière particulariste.

  • 38 Sur la reconnaissance de l’excellence : Robert K. Merton, The Sociology of Science : Theoretical a (...)
  • 39 Discours de Claudine Haigneré, ministre de la Recherche : Les Échos, 11 décembre 2002.

37Pour conclure : si l’institution de la science a développé, comme Merton l’avait observé38, un système de récompense destiné à dispenser de l’estime à ceux qui parmi les scientifiques sont le mieux à même de remplir leur rôle, les médailles du CNRS traduisent la même exigence. Elles constituent une technique d’exemplarisation des carrières jugées les plus méritantes. Une technique d’émulation premiale aujourd’hui largement encouragée par le discours libéral sur la « motivation » comme levier de la « performance ». C’est pourquoi ces récompenses externes – formelles et informelles – sont sans doute promises à un bel avenir. De nos jours, c’est au nom d’une « culture de l’évaluation » que le projet s’étend. Avec l’idée de motiver le monde de la recherche par des « récompenses » venant rémunérer le « mérite » de ceux qui déposent des brevets, transfèrent des technologies ou multiplient leur collaboration avec les milieux administratifs et industriels39.

38Les récompenses d’honneur ? Dans un milieu réputé dominé par les valeurs du désintéressement et du scepticisme, elles fonctionnent, somme toute, comme une source de contrôle social, en permettant d’un côté de maintenir la conformité aux normes professionnelles et de l’autre de consacrer des trajectoires, sinon des réputations scientifiques. Transcendant les clivages propres à cet univers professionnel – entre science et technique, médiation instrumentale et valeurs ontologiques, internalistes et externalistes–, elles contrebalancent les dynamiques de spécialisation pour favoriser un cadre disciplinaire, à la fois autonome et institutionnalisé, cadre qui n’est autre qu’un nouvel avatar du projet d’un gouvernement par l’exemple.

Notes

1 Pour une présentation de ce cadre théorique : Olivier Ihl, « Emulation through Decoration : A Science of Government ? », Sudhir Hazareesingh (dir.), The Jacobin of Legacy in Modem France, Oxford, Oxford University Press, 2002, p. 158-182.

2 La prime - il faut le préciser - dérive du latin primus (qui est en avant). Un terme d'où découle primat et primauté, tous deux synonymes de supériorité, voire de prééminence. D’où l'apparition de l'anglais premium (récompense, prix) : il renvoie à praemium, de pra et emere ; ce que l’on reçoit avant les autres. En français, c’est l’apparition du verbe primer, sans doute en lien avec l’ancien français premier (récompenser) qui signifiait le fait de l’emporter sur ses rivaux, de prendre l’avantage et, plus généralement, d’exceller dans tel ou tel domaine. Sur cette approche, voir notre article « Gouverner par les honneurs. Distinctions honorifiques et économie politique dans l’Europe du début du xixe siècle », Genèses, 2004, no 55, p. 4-26 (numéro sur « Démocratiser les honneurs », coordonné par O. Ihl).

3 JO, 15 octobre 1937, p.l 1605.

4 1936 : C’est aussi l’année où fut crée un sous-secrétariat à la Recherche scientifique à la demande de Jean Perrin. On le sait : celui-ci fut confié par le gouvernement Blum à Irène Joliot-Curie avant que Jean Perrin ne lui succède à l’automne. Sur cet aspect, voir Frédéric Blanpain, « La création du CNRS : histoire d’une décision, 1901-1939 », Bulletin de l'Institut International de l’Administration Publique, vol. 32, 1974, p. 93-143.

5 Article no 53 de la loi de finances du 31 décembre 1936, paru au JO le 1er janvier 1937, complété par le décret du 28 avril 1937 paru au JO le 2 mai 1937 relatif à l’administration et au régime financier du service central. Ce service fut dirigé par le physiologiste Henri Laugier. Sur cette figure aujourd’hui oubliée : William Schneider, « Henri Laugier, the Science of Work and the Workings of Science in France, 1920-1940 », Cahiers pour l’Histoire du CNRS, no 5, 1989 mais aussi, plus récemment, Chantal Morelle et Pierre Jacob, Henri Laugier, un esprit sans frontière, Bruylant, LGDJ, 1997.

6 La « médaille d’honneur avec premier grand prix » était associée à une gratification de 250 000 francs de l’époque, la « médaille d’honneur avec grand prix » à une autre de 100 000 francs, la « médaille d’or » à 49000 francs, la « médaille d’argent » à 24 500 francs, la « médaille de bronze » à 12 250 francs. Les « allocations d’honneur », était-il précisé, devaient être remises à ceux qui auraient eu une « médaille d’honneur, un prix Nobel, un prix Osiris ou un prix Albert 1er de Monaco {décernés par l’Académie des sciences) ». Au total, une somme de deux millions de francs avait été inscrite au budget de l’Éducation nationale de 1937 pour l’attribution des récompenses nationales. Un décret du 13 novembre 1937 fixa le nombre et la nature de ces signes d’émulation.

7 Archives nationales. F 17 17464 : dossier de création de la Médaille de la Recherche : 1935-37.

8 Voir les protestations de l’Association des professionnels du Muséum d’histoire naturelle du 18 novembre 1937. Idem.

9 Le nouveau CNRS a englobé le CSRS avec ses 14 sections. Il a aussi absorbé le CNRSA qui est devenu une section « appliquée » du nouvel organisme avant de s’installer dans son siège parisien du quai d’Orsay. Un décret du 22 octobre 1939 complétera celui du 19 octobre en fixant l’organisation administrative et financière du CNRS, notamment sa « vocation nationale » et sa « pluridisciplinarité ».

10 Christophe Charle, « Le personnel dirigeant du CNRS (1937-1966) », Cahiers pour l'Histoire du CNRS, no 4, 1989 et l’ouvrage de Gérard Druesne, Le CNRS, Paris, Masson, 1975.

11 Sur cette naissance : Jacques Lautman, « L’évaluation au CNRS », Cahiers pour l'Histoire du CNRS, no 10, 1991.

12 La prééminence du Comité national ne fut pas mise en cause : celui-ci conservait le soin d’évaluer les candidats et chercheurs mais aussi de répartir les subventions pour le matériel ou les missions. Voir Jean-Christophe Bourquin, « Le Comité National de la recherche scientifique : sociologie et histoire (1950-1967) », Cahiers pour l’histoire du CNRS, no 3, 1989.

13 C’est dans ce contexte, celui d’une multiplication des organismes de recherche, que naît le principe d’une récompense honorifique patronnée par le CNRS. De l’Office de la recherche scientifique coloniale en novembre 1943 devenu ensuite ORSTOM (Office de la recherche scientifique et technique dans les territoires d’outre-mer), et depuis 1998, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) à l’INED (Institut national d’études démographiques) créé en 1945, au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) fondé en octobre 1945 ou l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) en 1946, sans oublier l’ONERA (Office national d’études et de recherche aérospatiales) créé en 1946 ou le CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) en 1947, la concurrence entre organismes scientifiques s’était brutalement accentuée.

14 Procès-verbal de la séance du conseil d’administration en date du mardi 7 décembre 1954, archives du CNRS (Gif-sur-Yvette), art. 51. Sous la présidence de Maurice Reclus, membre de l’Institut et président de la section honoraire du Conseil d’Etat, en présence de Henri Longchambon, secrétaire d’État à la recherche scientifique et au progrès technique comme de représentants des facultés des sciences, des ministères, un crédit de 121 500 francs était prévu afin, dira le directeur du CNRS, de « décerner un certain nombre de médailles aux chercheurs dont les travaux ont été particulièrement appréciés ».

15 Sur ce système de patentes et d’encouragements : Charles C. Gillispie, « Invention », Science and Polity in France at the End of the Old Regime, Princeton, NJ, Princeton University Press, 1980, p. 459-478.

16 Séance du 17 vendémiaire an III, suivi du décret de la Convention nationale. Procès-verbaux du Comité d’instruction publique de la Convention nationale, t. 4, 1er Germinal an II (21 mars 1794), 11 Fructidor an II (28 août 1794) et annotés par M. J. Guillaume, Paris, Imprimerie nationale, 1901, p. 766.

17 Maurice Crosland et Antonio Galvez, « The Emergence of Research Grants within the Prize System of the French Academy of Sciences (1795-1914) », Social Studies of Science, 19, 1, février 1989, p. 71-100.

18 Sur le schéma qui inspire cette problématique : Olivier Ihl, Martine Kaluszynski et Gilles Pollet (dir.) Les Sciences de gouvernement, Paris, Economica, 2003.

19 Sur la naissance de cette dynamique sociale : Daniel Roche, Le Siècle des Lumières en province. Académies et académiciens provinciaux (1680-1789), 2 vol., Paris, Mouton, 1978, notamment vol. 1, p. 324-355.

20 Les vues de Delsarte sur ces questions sont présentes dans « L’organisation de la recherche scientifique », Revue scientifique, 77e année, no 1, janvier 1939, p. 1-3 mais aussi dans « De l’enseignement supérieur en France et spécialement des Facultés des Sciences », Revue scientifique, 77'année, no 3, mars 1939, p. 140-143, des articles republiés dans Œuvres de Jean Delsarte, Paris, CNRS, t. 1, p. 543-550 et p. 551-562.

21 Dès 1920, avec la médaille « à la science » du lycée Corneille de Rouen, cet élève boursier en 1922, entré rue d’Ulm en 1923, deviendra docteur ès sciences mathématiques. Chargé de recherches au CNRS au début des années trente, il est lauréat de l’Institut (« Prix de la Fondation Victor Noury » décerné par l’Académie des sciences) et en 1944 lauréat du « Prix Vailland » décerné par l’Académie des sciences, médaillé de l’université de Liège, médaillé de l’université de Mexico deux ans plus tard, puis fait en 1934 chevalier de la Légion d’honneur au titre de l’Éducation nationale, en 1956 et en 1962, commandeur dans l’Ordre des Palmes académiques en 1964, lauréat de l’Institut « Prix Bordin » décerné par l’Académie des sciences en 1965, il fut aussi commandeur dans l’Ordre impérial japonais du « Soleil Levant » et, en 1966, lauréat de l’Institut avec les cofondateurs de l’« Association Nicolas Bourbaki » en obtenant le « Prix Cognacq-Jay » de l’Académie des sciences. Sur ces prix : Encyclopédie illustrée de la Lorraine, Histoire des sciences et techniques. Les sciences exactes, Metz, Éditions Serpenoise, 1996, p. 135.

22 C’est au Congrès international des mathématiciens de 1924 à Toronto que fut avancée, par le mathématicien canadien John C. Fields, l’idée de décerner, à chaque congrès, deux médailles en or pour récompenser des « progrès remarquables en mathématiques ». Mais ce n’est qu’à Zurich, en 1932, suite à la mort de Fields et à un legs qu’il fit pour la mise en œuvre de ces médailles, que l’idée fut retenue. S’il s’agissait de reconnaître un travail déjà effectué, la médaille devait être également un encouragement à réaliser d’autres progrès. C’est ainsi que s’imposa le principe de décerner la médaille à des mathématiciens d’au plus 40 ans.

23 Archives du CNRS, note Bureau 1 A, affaires générales et contentieux 28 janvier 1964. La médaille est l’œuvre de R. Baron, médailleur, qui l’a réalisée pour la Monnaie de Paris. Elle présente à l’avers la mention « Centre National de la Recherche Scientifique » et les profils de Lavoisier, Ampère et Cuvier ; au revers la gravure du penseur de Rodin et cette citation de Henri Poincaré : « La pensée n’est qu’éclair au milieu d’une longue nuit mais c’est cet éclair qui est tout. » Puis ce fut le tour de la médaille de bronze « récompensant et encourageant des chercheurs dont le travail est particulièrement créatif au début de leur carrière ».

24 La Mission pour la place des femmes au CNRS suscitera une enquête collective (Les Femmes dans l'Histoire du CNRS, Paris, CNRS, 2004) : mêlant statistiques, témoignages et réflexions, celle-ci permet de mettre en relief l’incidence de ces distorsions de représentation selon les époques et le volontarisme des équipes dirigeantes.

25 Pour des développements plus circonstanciés notamment selon les sections du CNRS, voir l’article précurseur de Martine Sonnet, « Combien de femmes au CNRS depuis 1939 ? », Les Femmes dans l'histoire du CNRS, op. cit.

26 Archives du CNRS, procès-verbal du comité de direction du 5 avril 1976.

27 Sur cette alliance : Harry W. Paul et T. W. Shinn, « The structure and State of Science in France » Contemporary French Civilization, VI, no 1-2, 1981/1982, 153-193, notamment p. 181-186.

28 Archives du CNRS, note direction de l'information scientifique technique de mars 1989, p. 3.

29 Pour Jean-Claude Lehman, directeur scientifique au CNRS, la remise de la médaille à Bordeaux-Talence ce 28 février 1985, « n’est qu’une traduction qui nous semblait s’imposer de l’importance que nous attachons à associer chaque région au développement des activités de recherche que le CNRS y poursuit [...] l’activité d’une région qui se veut unique compte tenu de ses spécificités de ses traditions et de son souci de maîtriser elle-même son évolution technique et industriel », Sud-Ouest, 1er mars 1985.

30 Archives du CNRS, fiche de présentation de juin 1996 de la direction des ressources humaines. En 1992, 20 lauréats furent désignés sur 110 propositions établies par les responsables d’unité, les distinctions étant remises à Paris par le directeur général du CNRS en présence du ministre de la Recherche comme de nombreuses personnalités scientifiques du CNRS.

31 Sphères de justice. Une défense du pluralisme et de l’égalité, Paris, Le Seuil, 1997, (1re éd. 1983), p. 353.

32 Sur cette série de résultats d’enquête : Stuart S. Blume, Ruth Sinclair, « Chemists in British Universities : A Study of the Reward System in Science », American SociologicalReview, février 1973, 38, p. 126-138.

33 Parmi ces travaux : Barry J. Nalebuff et Joseph E. Stiglitz, « Prizes and Incentives : Toward a General Theory of Compensation and Competition », Bell Journal of Economics, printemps 1984, 2, p. 21-43 et Mary O’Keeffe, Kip W. Viscusi and Richard J. Zeckhauser, « Economics Contests : Comparative Reward Schemes », Journal of Labor Economies, 2, janvier 1984, p. 27-56.

34 Jerry Gaston, « The Reward System in British Science », American Sociological Review, vol. 35, 4, août 1970, p. 718-732.

35 Sur cette instrumentation pécuniaire et honorifique des savoirs à vocation scientifique : Barbara F. Reskin, « Academic Sponsorship ans Scientist’s Careers », Sociology of Education, vol. 52, 3, juillet 1979, p. 129-146 et pour une application à un secteur spécialisé, celui des physiciens, Charles Derber, « Sponsorship and the Control of Physicians », Theory and Society, vol. 12, 5, septembre 1983, p. 561-601.

36 Après avoir contrôlé les différences de qualifications et de performances, les iniquités de recrutement, de rang, de salaires des hommes et des femmes dans les facultés à la fin des années 60 sont systématiquement mesurées dans 79 universités. Robert F. Szafran, « A Note on the Recruitment and Reward Equity of Organizations : U.S. Universities before Affirmative Action », Social Forces, vol. 61, 4, juin 1983, p. 1109-1118.

37 Paul C. Jordan, « Effects of an Extrinsic Reward on Intrinsic Motivation : A Field Experiment », The Academy of Management Journal, vol. 29, 2, juin 1986, p. 403-412.

38 Sur la reconnaissance de l’excellence : Robert K. Merton, The Sociology of Science : Theoretical and Empirical Investigations, Chicago, University of Chicago Press, 1973, p. 419-438.

39 Discours de Claudine Haigneré, ministre de la Recherche : Les Échos, 11 décembre 2002.

Table des illustrations

Titre Le décret sur les allocations d'honneur annoté par jean Zay, ministre de l'Éducation nationale. (Source : AN)
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Fichier image/jpeg, 138k
Titre Présentation au président de la République du décret sur les médailles de 1937 par le ministre de l’Éducation nationale (extrait). (Source : AN)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/137274/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 274k
Titre Une récompense mise en scène. Dépliant montrant la médaille au milieu des années 1980. (Source : Archives du CNRS)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/137274/img-3.jpg
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Titre Tableau 2 – Évolution du pourcentage des femmes dans le total des médaillés de bronze de 1980 à 1992.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/137274/img-4.jpg
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Titre Tableau 3 – Âge moyen des médaillés d’argent du CNRS de 1980 à 1991.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/137274/img-5.jpg
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Titre Un exemple de clientélisme honorifique : la réponse à l'intervention du député-maire de Nantes pour l'obtention d'une médaille en faveur d’un scientifique local (Source : AN, 1938)
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Auteur

Professeur de science politique et directeur de l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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