1. Femmes, féministes et journalistes : genre et engagement comme ressources professionnelles : le cas des rédactrices de La Fronde1
p. 47-68
Texte intégral
1Lorsqu’à l’initiative de Marguerite Durand sort en décembre 1897 le premier numéro de La Fronde quotidien entièrement « dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes », l’ambition du titre est double. Pour Laurence Klejman et Florence Rochefort, il s’agit :
« d’une part s’imposer dans le monde de la presse – non pas à la manière des petits journaux militants qui ont fleuri depuis les débuts de la Troisième République, mais comme un vrai journal d’information et de réflexion. D’autre part, faire connaître les revendications du mouvement hors du cercle féministe et présenter un point de vue féminin sur l’actualité2 ».
2Comme le mentionne l’histoire singulière de ce journal3, sa naissance, son fonctionnement se situe à la croisée des histoires de la presse et du féminisme.
3Dans les histoires de la presse, La Fronde est ainsi d’abord un journal comme les autres, dont le projet est avant tout journalistique et « professionnel ». La Fronde reste pour ses contemporains une expérience « digne d’intérêt4 », une « publication importante5 », « en avance sur la fonction qu’il se proposait de remplir ». La Fronde passe ainsi à la postérité comme «Le Temps en jupon » expression que Jean Rabaut6, biographe de Marguerite Durand rencontre dans les pages de l’Écho de Paris. Cependant l’histoire journalistique de La Fronde n’épuise pas sa renommée. Si La Fronde reste célèbre c’est aussi parce que ce journal fut le relais des féminismes de son temps. Michèle Riot-Sarcey considère ainsi que « le mouvement le plus moderniste le plus représentatif de la politique au féminin est incontestablement celui qu’incarne Marguerite Durand et son journal La Fronde7 ». Pour Christine Bard8, La Fronde est une référence répétée lorsqu’il s’agit de rapporter les batailles féministes ou d’évoquer les productions de celles qui ont marqué ces mouvements.
4À travers l’histoire du journal et de celles qui l’ont fait vivre, nous souhaitons approfondir l’analyse du processus de professionnalisation journalistique tel qu’il se développe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Nous concentrerons ainsi notre attention sur la première phase de publications de La Fronde quotidienne qui s’étend du 9 décembre 1897 au 1er septembre 1903. La Fronde devient un mensuel de 1903 à 1905. La Fronde reparaît pour une semaine en août 1914 mais censurée, Marguerite Durand décide la suspension de son journal9. Il reparaît une fois encore de manière éphémère le 26 mai 1926.
5Les travaux sur l’histoire du journalisme montrent à quel point l’autonomisation du groupe professionnel n’est pas au tournant du siècle réalisée. Ainsi définie comme « une profession du flou10 », les frontières entre l’activité journalistique et d’autres types d’activités sont à l’époque loin d’être clairement posées : les militaires donnent des nouvelles du front, d’anciens syndicalistes relatent les grèves ouvrières11, et le journalisme est un « pis-aller » à une carrière littéraire vacillante ou au contraire un moyen de s’y lancer. Les liens entretenus entre milieu politique et littéraire et le journalisme, voire la confusion des genres entre ces différentes activités constitue même selon certains auteurs, comme Thomas Ferenczi une composante essentielle de l’identité et de la spécificité « d’un journalisme à la française12 ». Cependant les historiens s’accordent pour situer au tournant du siècle l’amorce d’un timide processus de professionnalisation et d’autonomisation progressive d’un groupe professionnel autour notamment de la valorisation progressive du reportage et du passage d’une presse d’opinion à une presse d’information. La démocratisation de la lecture rend possible l’ouverture d’un marché dans lequel se sont engouffrés dès le milieu du XIXe siècle des entrepreneurs capitalistes13. Les entreprises de presse deviennent ainsi des lieux susceptibles de faire vivre (souvent mal) du journalisme ceux et celles qui exerçaient jusqu’alors cette activité « en amateur » ou à titre accessoire.
6Nous faisons l’hypothèse ici que l’histoire de La Fronde et de ses rédactrices permet d’observer les transformations qui s’opèrent dans la profession journalistique à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, comme si ce journal et celles qui l’ont fait vivre se trouvaient justement aux confins de deux « mondes » journalistiques dont les définitions se rejouent sans cesse14 : l’un dominé par les allégeances politiques et littéraires ; l’autre dans lequel des règles plus strictement professionnelles – et propre au groupe – s’imposent peu à peu. Les rédactrices de La Fronde semblent ainsi incarnées dans leur trajectoire, mais aussi dans les plaidoyers qu’elles produisent sur la manière dont devrait s’exercer le journalisme, les luttes qui se jouent au tournant du siècle pour imposer un (nouveau) modèle d’excellence journalistique.
7Ce travail mené principalement à partir d’une analyse des parcours biographiques de l’équipe rédactionnelle de La Fronde permet aussi d’engager un travail plus spécifique sur la question de la féminisation des métiers et des conditions d’accès des femmes à certaines professions dont celle de journaliste. L’histoire de l’accès des femmes à la profession journalistique reste donc à faire15. En nous intéressant à La Fronde, nous souhaitons donc aussi contribuer à une histoire du journalisme « au féminin » en montrant, comment dans un groupe professionnel en train de se faire et relativement fermés aux femmes, les rédactrices de La Fronde vont s’insérer et incarner à un moment donné différentes figures journalistiques, fondant leur légitimité et leur autorité16 professionnelles tantôt sur leur engagement, tantôt sur leur « talent littéraires » ou leur compétence. Elles vont aussi dans l’ordre du discours confondre combat féministe et combat professionnel et tenter d’imposer ces attributs, y compris ceux réputés féminins et leur « militantisme » comme gage d’excellence professionnelle.
Note méthodologique
Il semble très difficile d’établir avec précision une liste complète des rédactrices de la Fronde. Dans le dossier « collaboratrices de La Fronde », conservé à la bibliothèque Margueritte Durand, on trouve une liste comportant 159 noms qui correspondent à des bons de paiements mais dont il est précisé que « l’orthographe peut-être incertaine. ». L’avantage de cette liste établie par les documentalistes de la bibliothèque Marguerite Durand est qu’elle prend en compte celles qui ont a un moment donné été rémunérées par La Fronde, ce qui peut-être retenu comme un critère parmi d’autre de leur appartenance au journalisme et à la rédaction du journal. On verra plus loin que les histoires du journal mentionnent d’autres « collaboratrices » souvent plus célèbres qui ne sont pas mentionnées dans la liste et qui collaborant à titre occasionnel l’ont peut-être fait à titre gratuit… L’idée initiale de faire une prosopographie des rédactrices s’est révélé impossible. La recherche d’éléments biographiques systématiques (origines sociales, activités politiques, engagements féministes etc.) sur les collaboratrices du journal se heurtent à plusieurs difficultés : absence de prénoms, utilisation de pseudonymes (« Raquette » qui tient la rubrique sport des premiers numéros de La Fronde par exemple), mariage (Andrée Viollis apparaît par exemple sur cette liste sous son nom d’épouse d’Andrée Tery). À partir de la liste des 159 noms, nous avons effectué des recherches systématiques sur Internet ainsi que dans le fichier biographique de la BMD, ainsi que dans les index des ouvrages consacrés au féminisme sur la période. Notre travail s’appuie aussi sur une consultation des trois premiers et derniers mois de La Fronde quotidienne ainsi que sur le dépouillement des archives du journal conservées à la bibliothèque Marguerite Durand (BMD). On notera ici que le journal qui se présente sous la forme d’un quatre pages ne comporte en lui-même et comme c’est le cas dans de nombreux titres de l’époque, que peu de signatures.
Des figures journalistiques conformistes ?
8Lorsqu’en décembre 1897, Marguerite Durand et son équipe sortent le premier numéro de La Fronde, l’activité journalistique reste une activité dont les femmes sont très largement exclues. Marc Martin évalue que les femmes « représentent au début du siècle autour de 3 % des effectifs [et que] l’association des journalistes parisiens accepte la première dans ces rangs en 1890. Séverine, qui y est la seconde, y est admise l’année suivante17 ». Christian Delporte estime quant à lui qu’« à l’image de l’ensemble de la profession, l’association des journalistes républicains reste [à la même époque] quasi exclusivement masculine : les femmes ne représentent que 2 % des effectifs18 ». Les deux auteurs s’accordent, sans s’attarder, sur le fait que les femmes restent cantonnées à certains types de publications (féminines ou pour la jeunesse) ou à certaines rubriques (la mode). La profession reste donc très largement fermée aux femmes. Cette fermeture est cependant assez différente de celle qui s’opère dans d’autres groupes professionnels et notamment « des professions à diplômes », davantage institutionnalisées et dont les frontières légales et symboliques sont plus solidement établies, comme les avocats et les médecins. Ces dernières parmi les plus prestigieuses ont fait l’objet d’âpres controverses qui s’expriment, comme l’analyse Juliette Rennes tout aussi bien du droit que de la fiction et dont La Fronde a d’ailleurs largement fait échos s’engageant en faveur de l’égalité d’accès des femmes à tous les métiers19.
9Tout ce passe comme si la profession de journaliste échappait en grande partie à ces controverses. Non réglementée, relativement peu prestigieuse, la profession journalistique reste « à inventer » et ses frontières sont suffisamment « floues » pour qu’elle accueille en son sein des individus venus de tous horizons… y compris des femmes20. Aussi, lorsque La Fronde est lancée, elle ne sera pas l’objet de vives attaques, parfois d’une curiosité condescendante et amusée21, mais en rien équivalente à celles que subiront les femmes qui aspirent aux professions médicales ou juridiques22. La Fronde est sur plusieurs points un journal « comme les autres », acceptée et acceptable pour l’époque.
10La Fronde en tant qu’entreprise de presse représente, le tournant capitaliste pris par la presse de l’époque. Initialement La Fronde prend la forme juridique d’une « société en commandites par actions au capital de 500 000 francs, représentée par 5 000 actions de 100 francs ». En 1902, alors que sa situation financière est précaire, La Fronde devient une coopérative gérée par l’ensemble de ses salariées. Les conditions matérielles précises d’existence du journal restent mal connues du fait même de Marguerite Durand qui pour couper court aux rumeurs de « mécénat » de ses amis n’a pas conservé les archives « financières » du journal23. On sait cependant que le lancement du journal s’accompagne de méthodes réputées modernes puisqu’une campagne publicitaire dont le support est l’affiche d’Hélène Dufau annonce la sortie future du journal. Tout au long de sa publication, des « privilèges » seront aussi accordés aux institutrices considérées comme « le fer de lance » du féminisme et l’une des cibles du journal (tarifs d’abonnement réduits, campagne lancée en leur faveur de l’égalité des salaires etc.24). La Fronde offre par ailleurs à ces lecteurs des bons de réduction pour des machines à coudre, des portraits au Pastel et tout un tas d’avantages matériels parfois surprenants25, ce qui fut considéré comme un autre signe de « modernité26 ». A priori, rien dans les usages de l’autopromotion ne distingue le lancement de La Fronde d’autres titres lancés à la même époque27.
11Mais c’est dans la composition même de sa rédaction que La Fronde semble exemplaire des figures journalistiques reconnues à l’époque. Un constat préalable s’impose : les « collaboratrices » de La Fronde ne sont pas plus que beaucoup de leurs confrères masculins « des professionnelles » du journalisme et cette activité ne les occupe pas à plein temps et ne les rémunère pas toutes même s’il reste très difficile d’évaluer combien d’entre-elles peuvent en vivre. Ainsi précise Jean
12Rabaut, « les rédactrices mal payées l’étaient souvent avec retard28 ». Oscillant entre politique et littérature, les rédactrices de La Fronde sont conformes au modèle du « journalisme à la française » tel que le décrit Thomas Ferenczi29. Comme beaucoup de journalistes de l’époque, celles La Fronde sont d’abord des militantes qui tirent leur légitimité professionnelle de leur engagement politique ; elles sont aussi des figures littéraires voire artistiques dont les compétences journalistiques sont liées à leur talent et leur inspiration. Du même coup, se dessine une activité journalistique à la fois engagée et civique mais aussi inspirée voire mondaine dont La Fronde et sa rédaction sont représentatives.
Des journalistes militantes, des expertes engagées
13Plusieurs formes de militantisme se côtoient à La Fronde et plusieurs formes d’arrangements et d’agencement entre journalisme et militantisme sont décelables même s’il s’agit bien-entendu d’un continuum de situations plus que d’une typologie tranchée. On compte ainsi parmi les rédactrices/collaboratrices de La Fronde, des militantes « multicartes », pour qui le journalisme est une part importante de leur identité à un moment donné. On trouve aussi des rédactrices dont le militantisme passe davantage par le journalisme que par l’appartenance à des associations. Le journalisme est une composante importante de leur engagement qu’il exprime de manière quasi exclusive. D’autres collaboratrices – elles aussi engagées – le sont davantage sur le mode de « l’expertise ». Enfin, on trouve aussi, parmi celles qui interviennent « à titre qu’on suppose gratuit », des collaboratrices occasionnelles pour qui le journal est une tribune (parmi d’autres).
14Féministes, socialistes et avant tout connues et reconnues comme telles, les premières rédactrices de La Fronde, sont d’abord des « militantes multicartes » dont les engagements « humanistes » et de gauche sont finalement assez semblables à ceux de bon nombre de journalistes en cette fin de XIXe siècle, où les modes de regroupements professionnels se font principalement autour d’affinités politiques et notamment des accointances républicaines et socialistes30. Marguerite Durand a un passé politique important. Épouse de Georges Laguerre, elle a fréquenté les milieux boulangistes « de gauche » au point d’être considérée par certains comme la muse du mouvement. C’est dans ce cadre et notamment à La Presse qu’elle dirige avec Laguerre, qu’elle rencontre Séverine qui l’accompagnera dans l’aventure de La Fronde ; c’est aussi, en conservant de bons contacts avec Laguerre, qu’elle sera soutenue par la seconde épouse de celui-ci, Odette qui fournira à La Fronde quelques contributions. Mais le vivier principal de recrutements reste les mouvements féministes. L’histoire de la conversion quasi religieuse de Marguerite Durand au féminisme est connue. En 1896, elle est envoyée pour Le Figaro, couvrir un congrès féministe durant lequel elle entend à la tribune un discours de Maria Pognon. Alors qu’elle était censée faire un papier léger et moqueur sur l’événement qui devait être chahuté par des étudiants, elle prend alors conscience, selon l’anecdote31, de la nécessité de se battre pour les femmes. C’est dans ce cadre qu’elle rencontre celles qui écriront les premiers numéros de La Fronde puis collaboreront régulièrement au journal : Camille Belilon (1851-1930), « féministe radicale » « militante pour l’avortement » et fondatrice en 1927 du comité de propagande féministe32, Marguerite Belmant, fondatrice de l’Union fraternelle des femmes en 1901, Maximilienne Biais, créatrice d’un comité d’action féministe et syndicaliste au sein de la CGT en 1907, Marie Bonnevial (1841-1918), présidente de la Ligue du droit des femmes en 1904, Cécile Brunschvicg qui avant d’être nommée secrétaire d’état dans le gouvernement Blum est connue pour ces nombreux engagements féministes et radicaux (elle sera l’une des premières femmes à adhérer au parti radical lorsque celui-ci accepte les femmes en 1924), Paule Minck (1839-1901) « féministe et communarde », Maria Pognon, présidente de la Ligue du Droit des femmes entre 1894 et 1904 ou Maria Vérone, militante puis président de la Ligue du Droit des femmes et militante à la SFIO.
15L’engagement de ces femmes est souvent un engagement dans plusieurs organisations – la ligue des droits de l’homme, le parti socialiste ou la franc-maçonnerie – et s’inscrit dans une histoire personnelle souvent faite de ruptures et d’accidents biographiques : Marie Bonnevial, franc-maçonne, issue d’un milieu modeste est une institutrice révoquée après sa participation à la commune de Lyon ; Maria Verone orpheline de père, qui renonce à être professeur de mathématique, qui finalement est recrutée comme institutrice puis révoquée. Cette dernière devient ensuite chanteuse et entre à La Fronde ou elle tiendra sous le pseudonyme de Thémis, la rubrique judiciaire (elle reprendra ses études après l’aventure de La Fronde et deviendra la cinquième femme française à s’inscrire au barreau). Pour ces femmes, le journalisme semble ainsi une opportunité à un moment où elle risque un fort déclassement social (qui d’ailleurs peut intervenir après une forme d’ascension sociale). Le journalisme et sans aucun doute parce que cette activité reste suffisamment floue et indéfinie apparaît alors comme un compromis acceptable, non qu’il permette une réelle subsistance matérielle, mais plutôt le maintien d’un statut professionnel qui valorise au mieux leur engagement politique et surtout leur capital scolaire souvent difficilement acquis du fait de leur sexe et de leur origine sociale.
16L’engagement « militant » est aussi, second cas de figure, bien souvent constitutif d’un engagement professionnel et le journalisme représente pour certains, un mode d’engagement politique alternatif à l’engagement dans une organisation. Jeanne Misme, Mathilde Meliot (qui en 1906 fondent l’hebdomadaire La Française), Séverine qui avec Marguerite Durand a une longue expérience journalistique dernière elle puisqu’elle fut à la mort de Jules Valles, la directrice du Cri du peuple, ou encore Avril de Sainte Croix (Savioz) lient intimement journalisme et engagement. C’est, par le journalisme qu’elles mènent à titre principal leurs combats politiques, même si elles pourront être par la suite conduites à intégrer d’autres structures. Jeanne Misme fondera ainsi La Française en 1906 avant de devenir en 1909 vice-présidente de l’UFSF. Le cas d’Avril de Sainte Croix est assez représentatif de ce parcours. Grande bourgeoise, mondaine33, elle s’engage à près de 45 ans dans le journalisme par des enquêtes sur les conditions de vie des prostituées qu’elle publiera dans La Fronde – sous le pseudonyme de Savioz – en adoptant des positions résolument abolitionnistes. Tout se passe comme si, pour cette grande bourgeoise – c’est-à-dire femme et bourgeoise – faire du journalisme (sur le tard) était un moyen détournée et « acceptable » de faire de la politique (plus acceptable peut-être qu’un engagement direct dans une organisation plus ouvertement « militante » qui aurait d’ailleurs pu la refuser en son sein). Ces premières enquêtes et ce premier engagement journalistique la conduisent à créer une association d’aide aux prostituées puis à intégrer en 1901 le CNFF dont elle sera successivement la secrétaire générale puis la présidente jusqu’à sa mort. Elle occupera ensuite des positions institutionnelles importantes à la SDN ou à la section féminine du Musée social ou elle poursuivra ses combats. Pour ces collaboratrices, le passage par le journalisme est un mode euphémisé d’expression du politique (comme il l’a été quelques années auparavant pour Séverine, elle aussi issue d’un milieu petit-bourgeois et conformiste) tremplin vers d’autres engagements plus affirmés ou plus marqués. Alors qu’elle est soupçonnée d’antisémitisme, Séverine pendant son passage à La Fronde prendra fait et cause pour le capitaine Dreyfus. Plus tard son engagement sera lui aussi plus marqué : militante pour la paix et le suffrage féminin en 1914 (elle organise une grande manifestation liant ces deux causes), elle intègre le comité central de l’UFSF en 1915, prend sa carte à la SFIO (1918) puis au parti communiste (1921), en 1927 elle s’engage pour Sacco et Vazzetti34.
17La Fronde va aussi accueillir – et c’est un troisième cas de figure – des articles d’autres types de militantes qui peuvent de par leurs caractéristiques, leurs trajectoires, leur mode d’accession au journalisme dessiner une figure « plus actuelle » du journalisme, celle mise en évidence par J. G. Padioleau au tournant des années 70 et qui fondent son autorité journalistique sur « son expertise critique ». Vont ainsi intervenir dans La Fronde, ces femmes dont « l’engagement » féministe est fondé sur une forme d’expertise acquise dans d’autres espaces sociaux et intellectuels. Clémence Royer, savante reconnue, traductrice de Darwin (et déjà âgée lorsqu’elle écrit dans La Fronde) fondera ainsi son engagement féministe35 sur sa capacité à vulgariser les faits scientifiques et tire du même coup son autorité journalistique de sa réussite professionnelle. De la même manière, l’autorité de Pauline Kergomard à intervenir dans La Fronde se fonde sur sa qualité de pédagogue reconnue. Sont par ailleurs mentionnées comme collaboratrice « rémunérée » de La Fronde, la sociologue Clotilde Dissard ou (avec plus d’incertitude) Mélanie Lipinska, médecin et auteure d’une thèse sur l’histoire des femmes médecin en 1900. Il s’agit alors de défendre une cause mais d’un point de vue plus « rationnel » mettant « sa » science au service des lectrices du journal. Cette fonction « pédagogique » du journalisme représente une des manières possibles d’investir la dimension civique du métier constitutive de l’identité journalistique telle qu’elle s’est construite depuis la Révolution française36. Cette ressource que constitue leur expertise n’exclut pas d’autres dispositions. Pauline Kergomard ou Clémence Royer s’engageront dans certains combats « civiques » sans pour autant adhérer à un parti politique ou à une organisation syndicale. Clémence Royer est ainsi avec Maria Deraisme fondatrice en 1893 de la première obédience maçonnique mixte. Pauline Kergomard est quant à elle très proche de ses cousins anarchistes Élie et Élisée Reclus.
18Enfin, et c’est le quatrième cas de figure, pour celles qui n’apparaissant pas sur la liste des collaboratrices rémunérées de La Fronde, le journal constitue aussi pour certaines militantes une tribune occasionnelle leur permettant d’exprimer à un moment donné leur prise de position. Ce sont, les « ami-es » du journal, qui telle Hubertine Auclert, militante suffragiste radicale ou Aline de Valette membre du conseil national du parti ouvrier français qui ont d’autres lieux et canaux d’expression mais qui de manière épisodique écrivent pour La Fronde.
19Loin d’être problématique, les engagements des collaboratrices de La Fronde sont multiples et sont une composante essentielle de leur identité journalistique, fondement de leur autorité à intervenir de la presse. Conforme aux principes d’excellence à l’œuvre dans les médias de l’époque, cet engagement politique n’est jamais remis en cause, mieux il devient un gage de leur compétence professionnelle, un atout37 comme il l’est pour la plupart de leurs confrères masculins. L’excellence journalistique qui s’impose à l’époque, pour les hommes et pour les femmes se fondent sur un engagement civique38, d’un journaliste qui se doit à la fois de révéler le monde par son travail d’investigation, de l’expliciter voir de le critiquer.
20Mais l’engagement politique n’est pas la seule ressource « professionnelle » dont usent les collaboratrices de La Fronde. Pour nombre d’entre-elles ce n’est pas tant leur engagement militant et féministe qui est au fondement de leur engagement journalistique et professionnel, mais leur appartenance au pôle littéraire, voire artistique du journalisme.
Un journalisme littéraire et inspiré
21On compte parmi celles qui ont à un moment donné collaboré à La Fronde nombre d’écrivaines, personnalités littéraires reconnues de leur temps telles que Daniel Lesueur, Marie Anne de Bovet, ou Myriam Harry qui fourniront à La Fronde les épisodes du feuilleton quotidien qui occupent chaque jour la moitié d’une de ses pages. D’autres romancières sont aussi mentionnées comme collaboratrices du journal : Manoel de Grandfort, Marcelle Tynaire, Marie Léopold Lacour, Mme Alberich Chabrol (pseudonyme de Mme Aubery), M me Noël Bazan, ou Mme Renée Ulmes, auteure d’une biographie de Maupassant en 1901. La vocation littéraire du journalisme de cette fin de siècle est ainsi très présente à La Fronde. En cela, la situation de ces collaboratrices du journal, dont les productions ne se limitent d’ailleurs pas à l’écriture des romans-feuilletons mais aussi parfois à des chroniques, n’a rien d’original et le journalisme est comme pour beaucoup d’hommes, complémentaire d’une activité littéraire quelle qu’elle soit. C’est le cas notamment de Marie Anne de Bovet, Myriam Harry ou Daniel Lesueur qui auront une carrière littéraire soutenue. Le talent, « la plume » représentent ainsi une ressource importante dans un monde journalistique encore dominé par la littérature. Cette ressource littéraire se mêle souvent d’engagement politique brouillant les frontières entre ces différentes activités. Ainsi, les collaboratrices militantes évoquées plus haut feront pour certaines, œuvre littéraire : les reportages de Séverine ou d’Avril de Sainte Croix ont ainsi été publiés sous forme d’ouvrage. C’est le cas notamment pour Les notes d’une Frondeuse qui rassemble en 1896 les articles de Séverine, et donne le nom de la rubrique, voire pour certains du journal qui sera lancé en 1897.
22Cependant, certaines rédactrices de La Fronde, au premier rang dont Marguerite Durand elle-même incarne, une autre dimension « artistique » du journalisme dont elle fera la « promotion » jusque dans sa manière de gérer La Fronde. Marguerite Durand a commencé sa « carrière » professionnelle comme actrice39, pensionnaire de la comédie française. Bien qu’il puisse être stigmatisant, ce début de carrière est une composante très importante dans l’identité « construite » de Marguerite Durand et finalement un atout lorsqu’il s’agit de gérer un journal dont une grande part de l’activité est une activité de représentation. En effet, comme d’ailleurs beaucoup de titres à l’époque, La Fronde n’est pas un simple « journal » c’est aussi un salon, un lieu mondain de réception d’ailleurs centrée sur la personnalité de Marguerite Durand. Si d’un côté La Fronde est une société par action sont mode de financement reste finalement très liée aux ressources propres de sa propriétaire soulignant du même coup les tensions perceptibles entre l’univers « privé » et domestique et celui plus industriel qui sied en principe à la gestion d’un journal « moderne ». Les biographes de Marguerite Durand ne manquent d’ailleurs pas de rappeler qu’elle participera « personnellement » par la vente de ses bijoux mais aussi par le biais de « généreuses relations » au financement du journal. Ainsi écrit Marguerite Durand dans une lettre à Jeanne Misme en 1902 citée par Anne Dizier :
« La Fronde n’a jamais reçu de qui que ce soit un concours financier. C’est par mes seules ressources que j’ai assuré son existence et vous avez eu raison de dire que l’effort a été difficile ! Les perles de mon collier ont été égrenées, une à une, pour les dépenses du journal […]. Quand vous saurez que pendant que je dirigeais la Fronde, j’assurais une revue quotidienne de la presse mondiale pour une importante personnalité parisienne, et que ce travail n’était payé près de mille francs par jour, vous saurez et de qui vivait La Fronde et ce qu’elle m’a coûtée de peine et d’énergie insoupçonnées ! C’est la première fois que je dévoile cela40. »
23L’histoire de La Fronde se confond ainsi avec l’histoire de sa fondatrice au point par exemple que certaines des fêtes organisées par le journal aient lieu le jour même de la sainte Marguerite comme ce fut le cas le 20 juillet 1898. Les locaux de La Fronde qui servent tout à la fois de salons, de lieux de grande réception et de bureaux de placement montre l’indifférenciation qui existe encore l’activité journalistique et d’autres activités sociales, mondaines et politique. La Fronde, comme d’autres journaux de l’époque est au sens « géographique » du terme le lieu de rencontre de ces différentes activités. La configuration des lieux telle qu’elle est souvent décrite renvoie aussi très largement aux stéréotypes de genre d’un lieu féminin41 qui s’accorde finalement assez bien avec les standards dominants d’une activité journalistique toujours bourgeoise et collant à l’idée que l’on peut se faire d’une activité « féminine », nécessitant des savoirs faire eux aussi réputés féminins comme entretenir un réseau, recevoir dans son salon, ou intriguer pour tirer des confidences… Jean Rabaut décrit ainsi les locaux de La Fronde :
« “La Fronde”, c’est aussi un salon mondain. Au 14 de la rue Saint Georges, sur la pente sage de Montmartre, rutile sur cinq étages un hôtel particulier aménagé pour elle et qui fut naguère habité par l’actrice Lange, favorite de Barras. Au sommet, la salle de composition. Murs décorés en vert et blanc, salon d’habillement (les “garçonnes de bureau” portent des costumes verts), buffet à liquide et gâteaux, salle de réception avec des ouvrages de références, des spécimens de livres, des photos de peintures et de sculptures ayant pour auteur des femmes. Un large hall pour réunions, conférences et soirées musicales ; plus tard en mars 1898, une salle d’escrime42. »
24Militantes ou artistes, les collaboratrices de La Fronde ne vivent pas pour la plupart du journalisme même si elles y aspirent. Souvent issues de la bourgeoisie43, souvent mariées, elles peuvent exercer cette activité « en amateur » même si les statuts initiaux du journal prévoient pour sa gérante, une rémunération annuelle de 24000 francs ainsi qu’une indemnité de voiture de 6000 francs44. Pourtant, elles vont engager à travers La Fronde un combat professionnel marquant l’invention du journalisme moderne et dans lequel féminisme et féminité vont être constitués comme un fondement essentiel de leur légitimité professionnelle.
Faire du « féminisme » et du « féminin » une cause professionnelle
25Le projet féministe et politique de La Fronde est intimement lié au combat professionnel que les rédactrices du journal engagent. La Fronde est ainsi le support d’un « programme » visant à la reconnaissance de l’égalité des hommes et des femmes y compris dans le journalisme auquel elles cherchent à imposer de nouvelles pratiques et de nouvelles normes. Fondé sur des ressources universelles, l’engagement des rédactrices de La Fronde emprunte aussi très largement à la leur condition de femmes. Il s’agit alors de subvertir l’ordre social, de retourner les stigmates de leur genre, en faisant d’attributs réputés féminins, les conditions même de leur réussite journalistique.
La Fronde support de revendications féministes et professionnelles
26La Fronde est le support de diffusion des idées féministes et relayera nombre de combats pour la cause des femmes (droit de vote, égalité des salaires, égal accès aux professions ou à la syndicalisation, etc.). Le projet « politique » de La Fronde est d’offrir un journal qui vise « à l’amélioration du sort de la femme45 ». Dans le supplément gratuit au numéro du samedi 7 janvier 1899, Marguerite Durand rappelle ainsi le projet féministe du journal :
« Les femmes forment en France, la majorité de la population. Des milliers de femmes célibataires, veuves y vivent sans le soutien légal de l’homme. Les femmes paient des impôts qu’elles ne votent pas, contribuent par leur travail manuel ou intellectuel à la richesse nationale et prétendent avoir le droit de donner officiellement leur avis sur toutes les questions internationales, la société et l’humanité dont elles sont membres comme les hommes. La Fronde journal féminin et féministe sera l’écho fidèle de leur approbation, de leurs critiques, de leurs justes revendications46. »
27Mais La Fronde ne défend pas uniquement la cause des femmes et se positionne aussi sur les grands combats politiques de son époque, comme au moment de l’affaire Dreyfus ou le journal prend fait et cause pour le capitaine. Plus tard, lors de sa re-publication en 1925, le journal soutiendra le parti radical-socialiste auquel entre-temps Marguerite Durand a adhéré et pour lequel – en dépit de l’inéligibilité des femmes – elle a fait campagne en 1910.
28Mais si La Fronde est un journal politique et féminisme, c’est aussi du simple fait de son existence. Comme l’explique Marguerite Durand dans l’entretien qu’elle accorde à Harlor en 1935, la naissance de La Fronde est intimement liée à la vocation féministe du journal. Son projet, le fait qu’il soit entièrement rédigé, composé par des femmes devait ainsi être la preuve que les femmes sont capables autant que les hommes d’exercer tous les métiers, mais aussi de produire des raisonnements intellectuels dénués de l’émotion réputée constitutive de tout jugement féminin. Elle affirme ainsi à sa collaboratrice :
« Au moment où j’ai fondé La Fronde, il était presque impossible aux femmes de trouver place dans la presse quotidienne… Quelques-unes écrivaient des articles de revue, des romans, des chroniques littéraires, mais, dans aucun journal, on n’admettait des collaboratrices attitrées faisant de la politique, de la critique, du reportage. J’ai voulu démontrer, et j’y suis parvenue à ce que le cerveau féminin n’est pas inapte aux à ces travaux qui exigent la vivacité intellectuelle, la prestance du style et souvent un fond de connaissance47. »
29L’existence de La Fronde doit donc faire la preuve en acte de l’égalité des sexes. La « fin » provisoire du journal suscite d’ailleurs des commentaires qui tendent à reconnaître, malgré son échec commercial, la « réussite » de ce projet :
« On aura voulu voir dans la disparition du journal La Fronde, un recul une défaite du féminisme. On sait que ce journal, fondé pour appuyer les revendications féminines et qui voulait prouver que les femmes pouvaient, tout aussi bien que les hommes être journalistes, administrateurs, typographes, etc. était rédigé administré par des femmes. La Fronde a cessé de paraître après un manifeste qui pourtant ne sentait pas la défaite. Les “frondeuses” en se dispersant après quelques années d’activité, ont annoncé que leur but était atteint et qu’elles allaient travailler pour d’autres journaux concurremment avec leurs collègues de l’autre sexe.
S’il est maintenant acquis que les femmes peuvent remplir tous les emplois dans le journalisme, on peut cependant regretter la disparition de La Fronde qui s’était donné aussi pour mission de signaler les abus, d’enregistrer les progrès et de réclamer les réformes urgentes48. »
« La création de La Fronde – car on a deviné que c’est de La Fronde qu’il s’agit – avait été une nouveauté. Dirigé par une femme, entièrement rédigée par des femmes, typographié entièrement par des femmes, ce journal par cela seul, a vécu six années pleines prouve l’aptitude des femmes à quatre ou cinq métiers différents et très difficiles ; il prouve presque l’aptitude des femmes à tous les métiers virils. C’est une fois de plus l’argument de fait : prouver la possibilité du mouvement en marchant49. »
30La Fronde se veut ainsi un journal comme les autres, comme ceux que rédigent à la même époque les journalistes masculins. Le coup de force symbolique des frondeuses consiste alors à faire de leur conformité – et de celle de leur journal – un élément constitutif de leur engagement féminisme. À ce titre, Marguerite Durand et ses collaboratrices vont revendiquer les mêmes droits professionnels que leurs confrères et mettre en place des pratiques professionnelles émergentes à leur époque : La Fronde fournit à ses collaboratrices un coupe-file en vue de leur faciliter l’accès aux événements dont elles doivent rendre compte ; la direction réclame et obtient l’ouverture de lieux dont sont habituellement exclues les femmes : la bourse le Sénat, la Chambre des députés, les préfectures les conseils municipaux accueillent pour la première fois des femmes journalistes. Enfin, Marguerite Durand appuie les demandes de ces collaboratrices qui souhaitent intégrer les associations de presse.
Des femmes à la maison des journalistes
Marguerite Durand est ainsi considérée comme la première femme à siéger parmi les directeurs de journaux. Alors que la plupart des associations de journalistes ont progressivement ouvert leur porte aux femmes, l’accès à la maison des journalistes reste un combat de Marguerite Durand et de Séverine. Ainsi, elle ironise dans Le Rappel 31 mai 1926 (Archives BMD) sur son « offensive » pour accéder à la maison des journalistes : « Que mes confrères excusent l’inoffensive plaisanterie que je viens de me permettre. Elle est seulement pour les avertir que quelques femmes journalistes – j’en serai – vont bientôt frapper à la porte de leur maison, non pas brutalement en criant ouvrez au nom de la loi mais le plus courtoisement du monde en disant “ouvrez au nom de la bonne confraternité”. » Cet accès ne sera obtenu que trois ans plus tard comme le rapporte un article de Minerva de 1929 (sd précisée archives BMD) :
« Après maintes campagnes menées avec persévérances par différents confrères et aussi par Minerva, les journalistes ont consenti à ouvrir leurs portes aux femmes qui exercent la profession de journaliste : « le plus beau des métiers » à dit Séverine. Pour consacrer cette conquête du féminisme, le comité de la maison des journalistes avait invité M me Séverine et M me Durand à venir présider un déjeuner qui se déroula dans une parfaite atmosphère cordiale. Nos confrères qui craignaient l’envahissement de leur « maison » par l’élément féminin ont pu se rassurer en comptant les femmes présentes ce jour-là… Le total s’élevait à cinq. Le dessert amena les discours qui ne furent ni longs ni ennuyeux bien au contraire ! M. Danthesse président de la maison des journalistes souhaita affectueusement la bienvenue à ces confrères du beau sexe (ne disons pas des consœurs le mot est dénué de grâce). Il évoqua avec émotion, la si belle carrière de Séverine qu’il peut, avec tant de justice, appeler le plus grand journaliste de notre époque.
Mme Durand directrice de La Fronde, qui mène elle aussi le bon combat pour le féminisme remercia « la maison des journalistes » de son si cordial accueil. Et Séverine parla… Beau visage auréolé d’une mousse de cheveux blancs, regard où brillent tant d’intelligence et tant de bonté et un si grand charme dans ce sourire et dans cette voix. Séverine parla fièrement de cette profession du journalisme dont elle a fait un apostolat. Elle exalta aussi ce goût du sol natal, du vieil esprit de chez nous que ne doivent pas détruire l’argent et l’activité moderne, de tout ce qui fait aimer plus profondément un pays comme le notre même lorsqu’on est le plus largement internationale ou européenne.
31Marguerite Durand ouvre aussi à la mort de Séverine en 1929 (dans sa maison de Pierrefond), un foyer pour les femmes journalistes, qui participe d’une forme de reconnaissance des journalistes femmes en offrant à celles qui se sont à un moment donné engagées professionnellement dans cette activité de continuer à en vivre une fois l’heure de la retraite arrivée.
32C’est ainsi par la conquête de privilèges professionnels masculins que s’engage le premier combat professionnel des journalistes de La Fronde. Comme le montre Mary Louise Robert50, la « copie » (i. e. des quotidiens de l’époque) que livre La Fronde est une copie avant tout subversive car sa simple existence « créait une nouvelle identité publique à la femme » car en poussant les femmes dehors – en reportage notamment – elle rompait avec l’image dominante de l’époque « qui assimilait la présence de la femme en dehors de la maison à la prostitution51 ». Cependant et c’est le paradoxe que souligne l’historienne, cette « victoire » s’est faite par imitation d’un style qu’elle qualifie de masculin et que les frondeuses elles-mêmes ont explicitement cherché à imposer. Ainsi rapporte Mary Louise Roberts le discours féministe de La Fronde est souvent jugé ambiguë et les plaidoyers en faveur du journalisme consistent dans la mise en avant de qualités e masculines qui assurent dans un premier temps leur succès52. Le style des frondeuses est un style « viril » réputé « austère » tant par elles-mêmes53 que par ceux qui les jugent. Dans un article paru dans La Revue Naturiste d’avril 1900, Maurice Leblond déplore ainsi – tout en leur rendant un hommage indirect et ambigu que les rédactrices de La Fronde « dédaignent d’être des femmes » :
« Nous nous imaginions que ce nouveau journal, “dirigé, administré, rédigé, composé par des femmes”, allait nous révéler quelque chose d’inouï. Nous nous proposions donc de le suivre et de le consulter, comme un cahier de documents sentimentaux. Nous espérions y trouver les notations les plus subtiles, les plus vraies, les plus sincères, les plus ingénues sur cette psychologie féminine, si obscure et si ténébreuse pour nous, jeunes hommes […] Malgré vous, vous écrivez en style mâle. […] quand Madame Manoel de Grandfort, Jane Misme, Héléne See nous parlent dans leur journal, des livres, des théâtres ou de la politique, elles le font avec une compétence indéniable mais sans rien nous révéler que nous n’ayons trouvé déjà dans les colonnes du Figaro, de l’Aurore, ou de la Petite République. […] Nous regrettons éternellement qu’elles dédaignent être des femmes. […]. »
33La Fronde et les frondeuses s’imposent ainsi dans le champ médiatique du tournant du siècle. Citées dans par ses confrères nationaux et internationaux – les cartons d’archives de La Fronde « regorgent » de revues presse mentionnant ses articles et provenant de titres nationaux, provinciaux et étrangers. Autre signe de sa réussite, le journal est aussi un lieu de « socialisation journalistique » important là où nombre de femmes journalistes « feront leur classe » : Jeanne Misme qui après son passage par La Fronde fondera en 1906 l’hebdomadaire La Française, Andrée Viollis consacrée par certain comme l’une des premières femmes reporters54, ou bien sûr Séverine pour qui le passage par La Fronde est une étape professionnelle importante et qui reste la « pionnière » la plus connue.
34Si La Fronde réussie à imposer l’idée d’une compétence féminine, c’est paradoxalement et dans un premier temps parce que les Frondeuses vont s’efforcer d’obtenir d’imiter les hommes. Pourtant, elles vont aussi contribuer à une redéfinition du métier de journalistes et s’insérer dans le processus d’invention du journalisme moderne, en mobilisant des attributs réputés féminins qu’elles cherchent à imposer comme un gage de leur compétence journalistique.
Faire de sa féminité un gage d’excellence professionnelle
35En quoi le fait d’être une femme, c’est-à-dire de mobiliser des attributs réputés féminins permet-il d’entrer dans la profession journalistique et de faire la preuve de son autorité à l’exercer ? Les frondeuses vont jouer sur plusieurs facettes de « leur féminité ». Consacrées par l’histoire comme des « femmes » et endossant du même coup les attributs de leur domination et définir ainsi le journalisme comme « un métier de femmes », elles vont aussi chercher à retourner le stigmate de leur féminité.
36Il est difficile d’évaluer l’importance des relations domestiques dans l’accès des femmes aux milieux professionnels dont elles sont généralement exclues et d’objectiver en quoi les relations que ces femmes journalistes ont entretenues aux hommes constituent une ressource et bien souvent l’élément premier de leur disqualification à exercer les métiers qui leur sont inaccessibles. Il est de la même manière difficile d’analyser l’effectivité du poids des rencontres amoureuses dans la carrière des femmes journalistes, car l’histoire des hommes (i. e. faite par les hommes) semble incapable de retenir une histoire des femmes qui ne seraient pas, à un moment donnée « flanquée » d’un mari ou d’un amant. Marguerite Durand elle-même dans le travail de conservation des archives qu’elle a opéré, montre bien l’ambivalence de l’usage de son sexe comme « ressource professionnelle ». En masquant, le plus possible ce qui relève de sa vie privée, elle en reconnaîtra le poids, tout en accordant que sa beauté a joué dans les combats qu’elle a menés tout au long de sa vie un rôle important et que « le féminisme doit à [ses] cheveux blonds quelques succès », Ainsi, si les rédactrices de La Fronde ont été acceptées dans le milieu journalistique c’est aussi en raison de l’attraction qu’elles ont pu exercer sur leurs confrères masculins. Lorsque La Fronde sort, les commentaires portent certes sur l’originalité de l’expérience on l’a vu mais surtout sur l’attraction qu’exerce, y compris sur les femmes la personnalité de sa créatrice dont la beauté est louée à longueur d’articles. Le féminisme des frondeuses et par là même leur place dans le journalisme est acceptable car il est produit par de « belles femmes ». C’est donc par une forme subtile et forte d’anti-féminisme55 et de réactivation des fondements de la domination masculine qu’est reconnu le droit des premières journalistes à exercer ce métier.
37Par ailleurs l’histoire privée des rédactrices de la Fronde – et au-delà des premières femmes journalistes – doit beaucoup aux rencontres masculines qu’elles ont pu faire. Parmi les pionnières du journalisme, Delphine de Girardin est ainsi l’exemple typique d’une « femme de » (en l’occurrence d’Émile directeur de La Presse), dont le statut d’épouse est une composante essentielle de leur identité professionnelle. Dans l’histoire des rédactrices de La Fronde, dont Marguerite Durand elle-même, le statut d’épouse ou de compagne est toujours présenté comme déterminant. C’est d’abord en tant qu’épouse de Laguerre, elle est décrite comme « la muse du boulangisme » et qu’elle fréquente les milieux politiques lui permettant de se constituer un carnet d’adresse utile dans sa carrière. C’est sa rencontre avec Antonin Perivier directeur du Figaro dont elle aura un enfant mais avec qui elle ne vivra jamais qui semble, à un moment donné, déterminer son engagement féministe et journalistique. Ce sont enfin les rumeurs de ces relations avec André Viviani, voir avec Alfonse de Rothschild ou son mystérieux « Albert » (mort au front en 1917) qui explique généralement les soutiens politiques et financiers que reçoit La Fronde tout au long de son histoire. La vie « privée » de Séverine est de la même manière retenue comme un élément déterminant de son engagement professionnel. Sa rencontre avec Jules Vallès est considérée comme déterminant dans son « éveil » à la politique et au journalisme. Alors que Cécile Brunschvicg reste dans l’histoire comme l’une des trois premières femmes à entrer dans un gouvernement de la République, l’histoire de son engagement féministe est souvent liée à celui de son mari, philosophe aujourd’hui oublié.
38Cependant si l’histoire des Frondeuses croise celle des hommes, il n’en reste pas moins que ce rapport aux hommes n’est pas dans la réalité, dénoué d’ambiguïté. Les figures les plus marquantes du journal, comme Séverine ou Marguerite Durand n’ont pas une vie conforme au modèle bourgeois qui s’impose aux filles de l’époque : Séverine se mariera deux fois, aura deux fils de deux pères différents et entretiendra avec Jules Vallès son aîné de 33 ans une relation difficile à qualifier. Marguerite Durand, elle-même enfant naturelle, élèvera seule son fils dont elle n’épouse jamais le père, après avoir divorcé une première fois de Laguerre et qui entretient avec la seconde femme de ce dernier des rapports d’amitié. Cette liberté à l’égard des modèles bourgeois constitue ainsi une affirmation en acte d’une indépendance d’esprit convertible, même si elle ne l’est jamais explicitement, en indépendance professionnelle.
39Le fait d’être femme, épouse, maîtresse constitue ainsi une ressource importante et ambivalente pour accéder et être reconnue en tant que journalistes. La mise en conformité des rédactrices de La Fronde au standard de leur sexe est un gage de leur réussite même s’il reste un gage fragile car susceptible de se retourner à tous moments56.
40Endosser – et assumer – les rôles sociaux féminins avec tous les risques de stigmatisation que cela comporte est donc une première clef d’entrée dans le journalisme. Le journalisme est, on l’a dit, une profession suffisamment floue pour que puissent s’y investir des acteurs aux dispositions sociales très différentes. Si par certains aspects et notamment la valorisation du reportage impliquant un travail de terrain qui sied mal aux femmes de la fin du XIXe siècle et contrarie les rôles auxquels les assigne l’ordre social, le journalisme est un métier masculin. Par d’autres aspects et notamment du fait que le journalisme soit un métier au service des autres et plus particulièrement des plus démunis dont il doit dénoncer les conditions misérables d’existence afin de redresser les injustices de ce monde, il est aussi un métier possiblement féminin. Les Frondeuses vont ainsi jouer sur ce double tableau pour définir un journalisme au féminin qui soit plus que tout autre un journalisme au service des autres57. Ainsi, leur engagement journalistique vise en même temps à subvertir l’ordre social pour s’insérer dans un ordre professionnel lui-même en pleine transformation tout en s’appuyant sur ce qui fonde la légitimité première du métier : l’accompagnement des plus faibles dans leurs combats. Tout se passe alors comme si les femmes et ce qu’elles sont réputées être étaient les mieux à même de défendre l’image dominante du métier du moins celle qui au tournant du siècle tend à s’imposer comme telle.
41Encore très largement dominée par la littérature et la politique, la profession journalistique adopte en cette fin de siècle de nouveaux standards qui tendent à substituer progressivement les valeurs d’engagement, le talent et la plume aux reportages à la restitution des faits58. Il s’agit alors pour nombre de nouveaux entrants dans la profession, de contribuer à la redéfinition des frontières du groupe professionnel en imposant des critères conformes à leur propre disposition. Les journalistes sociaux vont ainsi chercher à faire de leur militantisme un gage de leur excellence professionnelle59 ; les collaboratrices de La Fronde vont chercher à faire de même de leur « féminité ». Séverine et Marguerite Durand lancent un plaidoyer pour la défense du « reportage » en revendiquant, on l’a dit pour les journalistes femmes l’accès aux institutions publiques dont elles étaient jusqu’alors exclues. Séverine défend aussi explicitement dans un texte resté célèbre, « un journalisme debout, courant alerte, s’assouplissant à l’actualité » qu’elle oppose « au journalisme assis ». Cette défense du « journalisme debout » est d’abord une charge implicite contre « les anciens », forcément masculins.
42À l’heure où le journalisme est une profession contestée notamment du fait de ses implications dans les scandales politiques et financiers de leur temps fruits des connivences avérées avec les puissants, la différence y compris la différence de sexe devient un argument de renouvellement des pratiques, un argument dans la résolution de la crise subie. Le contexte de crise de la profession journalistique peut donc (comme le sera plus tard le contexte de la crise de la représentation politique) favorable à la subversion des valeurs et à l’introduction de nouveau mode de légitimité. Ainsi l’identité féminine est susceptible de devenir – c’est notamment l’hypothèse que formule Géraldine Mulhmann60 un gage d’excellence professionnelle. Les femmes – en l’occurrence Séverine sur laquelle s’appuie l’argument – de par « sa proximité privilégiée au corps », « [son] ancrage dans la sensibilité », voire son « sensualisme » contribue à « rompre avec le journaliste traditionnel pour embrasser une écriture du témoignage vécu sensible et notamment visuel61 ». Cette posture – que Géraldine Mulhmann définie comme celle de « témoin ambassadeur » (contre le « journaliste rhéteur » qui continue à s’imposer) s’articulerait ainsi « à des représentations qui mettent en scène sa féminité ». « On assiste en somme » écrit ainsi Géraldine Mulhmann « à la transformation en atout de ce qu’elle-même (i. e. Séverine) n’a eu cesse de mentionner comme un sévère handicap dans le milieu journalistique de son temps : sa féminité ».
43« La sensibilité », « le bon sens féminin », « le fait que les femmes ne connaissent pas la guerre » sont ainsi autant d’argument que déploient au fils de leurs articles les « reporteresses » de La Fronde qui suivent à Rennes, le procès Dreyfus en 189962. Ces qualités entreraient ainsi en résonance avec les nouvelles « normes » du métier et notamment les notions « d’indépendance » journalistique qui émergent à l’époque. Le titre même du journal – et le surnom des journalistes qui fut initialement celui de Séverine – colle ainsi particulièrement bien à l’indépendance d’esprit, à l’esprit « frondeur » que devrait avoir tout journaliste digne de ce nom. La position marginale des femmes journalistes dans l’espace professionnel suffirait donc en elle-même à garantir une forme d’indépendance, c’est-à-dire le début d’une soumission à des normes plus strictement professionnelles. Cette hypothèse qui rejoint celle qu’Érik Neveu63 formule à propos du « renouvellement des genres journalistiques » à l’heure actuelle autour de la notion « d’habitus féminin ». L’invention du reportage au tournant du XIXe et du XXe siècle pourrait ainsi être comparé aux transformations des genres journalistique ces dernières années et notamment à la montée des soft news. Dans un cas comme dans l’autre, la féminisation journaliste – modeste pour la période qui nous intéresse – s’accompagnerait et accompagnerait une subversion des valeurs et des principes professionnels en intégrant (et pourquoi pas valorisant) ce qui ressort de l’habitus féminin. Cependant, cette subversion des règles reste fragile et les qualités féminines valorisées et valorisables à un moment donnée sont des ressources ambivalentes. Hier comme aujourd’hui, dans le monde politique comme dans l’univers journalistique, le salto du stigmate64 est toujours possible tant que perdure la domination des femmes dans les univers en question. Le désordre provoqué par l’expérience de La Fronde est ainsi restée une expérience inédite rendue notamment possible par les transformations objectives des conditions d’accès des femmes – bourgeoises pour la plupart – à la scolarisation et l’ouverture de l’accès au métier de journaliste.
44Malgré cet épisode, l’histoire journalistique du XXe siècle reste une histoire dominée par les hommes. Si la crise de l’autorité journalistique ouverte ces dernières années permet une fois encore aux femmes d’entrer dans la lutte pour la (re)définition du métier et de ses normes d’excellence, les femmes restent le plus souvent représentées, notamment dans les fictions populaires contemporaines, comme superficielles et légères à l’image d’une Carrie Bradshaw65 ou d’une Bridget Jones66 figures actuelles parmi d’autres d’un journalisme « féminin » qui reste cantonner « aux affaires de bonnes femmes ».
Notes de bas de page
1 Une version résumée de cet article est parue dans Le Temps des médias, n°12, avril 2009.
2 Klejman L., Rochefort Fl., L’égalité en marche. Le féminisme sous la IIIe République, Paris, PFNSP, 1989, p. 127.
3 Outre l’ouvrage de Jean Rabaut, Marguerite Durand (1864-1936) « La fronde féministe ou “Le Temps” en jupon », Paris, L’Harmattan, 1989, une thèse fut consacrée à La Fronde, il s’agit de celle d’Odile Welfele, La Fronde : Histoire d’une entreprise de presse, Thèse de doctorat de l’école des Chartes, Paris, 1982 (qui n’a pu être consultée) ainsi qu’un mémoire de maîtrise : Jami I., La Fronde (1897-1903) et son rôle dans la défense des femmes salariées, Mémoire de maîtrise, Université de Paris I, 1981. Il faut ajouter à ces ouvrages, la brochure très complète rédigée par Annie Dizier-Metz sur la bibliothèque Marguerite Durand en 1992, La bibliothèque Marguerite Durand, Histoire d’une femme, mémoire des femmes, Paris, Direction des affaires culturelles de la mairie de Paris, 1992. Roberts M.-L., « Acting Up : The Feminist Theatrics of Marguerite Durand », French Historical Studies, vol. 19, n° 4, Special issues : Biography (Autumn 1996). Cette chercheure anglo-saxonne a par ailleurs publié un article en français consacré au journalisme féministe à la fin du siècle et portant principalement sur l’expérience de La Fronde : « Copie subversive : Le journalisme féministe en France à la fin du siècle dernier », Clio, n° 6-1997 ; sur la vie de Marguerite Durand proprement dite, Goliber S. H., The life and time of Marguerite Durand a study in French University, Phd, Kent University, 1975 (cette thèse est citée dans plusieurs ouvrages, elle n’a pas pu être consultée). Des documents audiovisuels existent : « Marguerite Durand » : émission radiodiffusée sur France Culture, dans la série Profils perdus les 14 et 21 novembre 1991 et « Au nom des femmes : Marguerite Durand » : film diffusé par Antenne 2, dans « Aujourd’hui la vie », le mardi 30 avril 1985. Ce film dont on peut voir des extraits sur le site de l’INA fut suivi d’un débat auquel participèrent des femmes journalistes et des femmes syndicalistes sur l’héritage de Marguerite Durand. En janvier 2010, est sortie une biographie/hagiographie de Marguerite Durand : Coquart E ., La frondeuse. Marguerite Durand, patronne de presse et féministe, Paris, Payot, 2010.
4 Relevant les éloges que suscite La Fronde lors de son lancement, Jean Rabaut souligne « Dans l’ensemble, l’estime des commentateurs est mêlée de crainte et laisse percer la déception de ne pas trouver le journal féministe aussi frivole qu’on le prévoyait : il eut été plus facile de le traiter par la dérision », op. cit., p. 36.
5 Martin M., Médias et journalistes de la république, Paris, Odile Jacob, 1997, p. 124.
6 Ibid.
7 Riot-Sarcey M., Histoire du féminisme, Paris, La Découverte, 2002.
8 Bard Ch., Les filles de Marianne. Histoire des féminismes 1914-1940, Paris, Fayard, 1995.
9 Ibid, p. 56.
10 Ruellan D., Le professionnalisme du flou. Identité et savoir faire des journalistes français, Grenoble, PUG, 1993.
11 Lévêque S., Les journalistes sociaux. Histoire et sociologie d’une spécialité journalistique, Rennes, PUR, 2000.
12 Ferenczi Th., L’invention du journalisme en France. Naissance de la presse moderne à la fin du XIXe siècle, Paris, Plon, 1993.
13 Voir sur ce point Charles Ch., Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Le Seuil, 2004.
14 La définition de l’excellence journalistique est un objet incessant de lutte. Les tensions qui existent entre un modèle professionnel fondé sur des allégeances politiques et un modèle professionnel fondé sur des allégeances plus professionnelles, c’est-à-dire dont la valeur ne prend sens qu’au regard des règles édictées dans un espaces fortement autonomisé se rejouent à d’autres époques notamment, comme nous le défendons au tournant des années 1960-1970. Voir sur ce point Lagneau E., Lévêque S., « Les journalistes dans la tourmente », in Damamme D., Gobille B., Matonti F., Pudal B., Mai-Juin 1968, Paris, Éditions de l’atelier, 2008.
15 Il existe très peu de travaux sur l’histoire des femmes journalismes. L’ouvrage d’Évelyne Sullerot qui est en fait la recension des titres de la presse féminine et féministe reste une référence importante mais plus documentaire qu’analytique (Sullerot E., La presse féminine, Paris, Armand Colin, 1964). Laure Adler a elle aussi produit un ouvrage comportant les portraits des pionnières du journalisme : À l’Aube du féminisme : les premières journalistes, Paris, Payot, 1979. Il convient de mentionner les travaux de Mary Louise Roberts, déjà cités et le « paragraphe » d’Anne Marie Kappeli, sur les femmes journalistes publiée dans Histoire des femmes en occident, Paris, Perrin 2002.
16 Sur la notion d’autorité professionnelle voir Lemieux C., « Autorités plurielles. Le cas des journalistes », Esprit 3/4, mars-avril 2005.
17 Martin M., Médias et journalistes de la République, op. cit., p. 124.
18 Delporte Ch., Les journalistes en France 1880-1950. Naissance et construction d’une profession, Paris, Le Seuil, 1999, p. 93.
19 La Fronde mènera ainsi campagne pour l’accès égalitaire des femmes au métier de typographes.
20 Le terme même de journaliste a d’ailleurs cette particularité avec d’autre dont celui de ministre que sa forme ne change pas au féminin, évitant ainsi une part des débats sur la féminisation des noms de métiers.
21 Voir sur ce point Rabaut J., op. cit., p. 36.
22 Rennes J., Le mérite et la nature. Une controverse républicaine : l’accès des femmes aux professions de prestige 1880-1940, Paris, Fayard, L’espace du politique, 2007.
23 Odile Welfele dans un résumé de sa thèse publié dans « Position des thèses soutenues à l’école des Chartes 1982 » et conservé à la BMD estime que le tirage de « La Fronde passa de 49 310 exemplaires quotidiens en février 1898 à 14 660 en décembre 1899. En 1902, 2 250 numéros environs sortaient chaque jour. À la même époque, La Fronde ne vendait en moyenne que 26,4 % du total fournir, ce qui représente une proportion très faible […] La diffusion fut difficile et hasardeuse, particulièrement en province. En 1902, les départements ne vendaient que 9,2 % des exemplaires fournir, contre 20 % à Paris » (p. 186-187). Jean Rabaut fournit lui aussi quelques éléments sur les finances de La Fronde mais qui restent très parcellaires. Il précise néanmoins que « le compte débiteur aux messageries Hachette passait, entre septembre 1902 et juin 1903 de 7 283 francs à 8 013,95 francs » (Rabaut J., op. cit, p. 79).
24 Dizier metz A., op. cit., p. 17.
25 Sylvie Cesbron dans son mémoire non daté et non référencé et non paginée conservé à la BMD cite un extrait publicitaire de La Fronde qui annonce ces « aubaines » : « Tous les journaux rivalisent en ce moment pour offrir à leurs abonnés des primes sensationnelles. Aucun jusqu’ici n’a réalisé le tour que La Fronde accomplit aujourd’hui en donnant gratuitement et seulement aux dames qui s’abonneront pour un an à La Fronde avant le 15 janvier prochain : 1° - leur photographie exécutée gratuitement par Gerschell, 2° - 12 cachets donnant droit à 12 bains à prendre gratuitement au superbe établissement de l’Opéra 3° - 12 bons donnant le droit à 12 séances gratuites à la maison Sitt, pédicure et manucure 4°-12 bons donnant droit gratuitement à 12 coiffures, ondulations ou lavages de cheveux. Enfin les abonnées pourront gratuitement pendant toute l’année et sur la simple présentation de la carte que l’administration de La Fronde leur délivrera, des médecins, des femmes docteurs en médecine, des chirurgiens dentistes en qui elles peuvent avoir toute confiance et dont les noms et les adresses leur seront donnés au bureau du journal et qui veulent bien mettre leur science et leur dévouement au service de nos abonnées. »
26 Michael Palmer note par exemple que les petits journaux inventent à la même époque des techniques pour fabriquer l’événement ce qu’il appelle un « stunt » et qui consiste à associer directement les rédactions à une manifestation sportive ou au voyage d’une personnalité. De la même manière le « puffisme », c’est-à-dire la campagne promotionnelle qui accompagne le lancement d’un roman-feuilleton commence à être utilisé vers 1895. Palmer M., Des petits journaux aux grandes agences, Naissance du journalisme moderne 1863-1914, Paris, Aubier, Coll. « Historique », 1983. p. 181.
27 Voir sur ce point Lenoble B., « L’autopromotion de la presse en France (fin XIXe début XXe siècle) », Le temps des médias, 2004/1, n° 2.
28 Rabaut J., op. cit, p. 79.
29 Ferenczi Th., L’invention du journalisme en France, op. cit.
30 Voir sur ce point, les travaux de Martin M., « Journalistes parisiens et notoriété (vers 1830-1870). Pour une histoire sociale du journalisme », Revue historique, juillet-septembre 1981 ; « Profession et idéologie : le journalisme français à la fin du XIXe », Recherches Contemporaines, Université de Paris X Nanterre, n° 1, 1993 et « La grande famille : l’association des journalistes parisiens 1885-1939 », Revue Historique, n° 557, janvier/mars 1986.
31 L’anecdote maintes fois rapportée est tirée d’une interview que Marguerite Durand accorde à Harlor pour Radio Paris et qui sera diffusée deux mois après la mort de Marguerite Durand soit en mai 1936. Dans cette interview, Marguerite Durand explique ainsi : « Le Figaro, en 1896, m’avait chargée d’écrire un article sur le congrès féministe que des obstructions malveillantes, des quolibets et des chahut d’étudiants signalaient bruyamment à l’attention publique. Je me rendis donc aux Sociétés savantes, ou se tenait le congrès et je fus frappée par la logique du discours, le bien fondé des revendications et la maîtrise qui savait dominer l’orage et diriger les débats, de la présidente Maria Pognon. Je refusai d’écrire l’article de critique pour le Figaro. Mais l’idée m’était venue d’offrir aux femmes une arme de combat, un journal qui devait prouver leur capacité en traitant, non seulement de ce qui les intéressait directement, mais des questions les plus générales, et leur offrir la profession de journaliste actif. »
32 Voir sur ce point Bard Ch., op. cit., p. 62.
33 Les éléments biographiques sur Avril de Sainte Croix sont tirés de l’article de Karen Offen, « La plus grande féministe de France. Mais qui est donc Madame Avril de Sainte-Croix ? », Bulletin d’Archives du féminisme, n° 9, décembre 2005 (traduit par Michèle Bruhat).
34 L’ensemble des éléments biographiques sur Séverine provient de la biographie de Couturiau P., Séverine, l’insurgée, Monaco, Éditions du Rocher, 2001 et de l’ouvrage de Bard C., Les filles de Marianne, op. cit.
35 Sur Clémence Royer on se reportera à Fraisse G., Clémence Royer, philosophe et femme de science, Paris, La Découverte, 1984.
36 Voir sur ce point, Lemieux C., « La Révolution française et l’excellence journalistique au sens civique. Note de recherche », Politix, n°19, Troisième trimestre 1992.
37 Comme pour les journalistes sociaux que nous avons étudiés, la composante militante de leur identité est un gage de leur légitimité professionnelle. Voir sur ce point Lévêque S., Les journalistes sociaux. Histoire et sociologie d’une spécialité journalistique, op. cit.
38 Sur la construction des deux figures du civisme chez les journalistes, on se reportera à Lemieux C., « La révolution française et l’excellence journalistique au sens civique », art. cit.
39 La Fronde accueillera dans ces colonnes d’autres artistes comme l’actrice, Denise Ahmers, la cantatrice Gabrielle Ferrari ou la sculptrice (aviatrice), Thérèse Peltier (1873-1926).
40 Dizier Metz A., op. cit., p. 16.
41 Mary Roberts (art. cit.) souligne d’ailleurs que les rédactrices de la Fronde entretiennent un rapport plutôt ambivalent à la féminité – et au féminisme – puisque, d’un côté, en imitant les hommes, elles défendront l’image d’une femme libre et émancipée et que, d’un autre côté, elles mettent en scène notamment dans les locaux même de La Fronde une forme « d’éternel féminin » qui passe par la défense absolue de la maternité.
42 Rabaut J., op. cit., p. 46.
43 Les « origines bourgeoises » des collaboratrices de La Fronde mériteraient d’être « précisées » puisqu’il semble s’agir d’une bourgeoisie « décalées » comme pour Marguerite Durand ou du moins d’une bourgeoisie subissant certains « accidents » de la vie. Orphelines de père ou de mère, enfants naturel-le-s, filles-mères, divorcées et remariées, le (peu) de collaboratrices de La Fronde pour lesquelles on dispose de renseignements biographiques très précis, ne sont pas des « bourgeoises » comme les autres (voir supra).
44 Article 19 des statuts de la Fronde. Carton La Fronde BMD.
45 Lettre de la secrétaire de rédaction de La Fronde, annonçant le 6 décembre 1897, la sortie du journal carton La Fronde BMD.
46 Supplément gratuit au numéro du samedi 7 janvier 1899, carton La Fronde BMD.
47 Conversation avec Marguerite Durand rapportée dans un article non signé et non référencé, carton La Fronde BMD.
48 La feuille d’avis du 12/10/1903, carton La Fronde BMD.
49 Le phare de la Loire, du 6 octobre 1903, carton La Fronde BMD.
50 Roberts M. -L., art. cit.
51 Ibid., p. 5. Cet argument est aussi celui qui est mobilisé par Birgitta Ney à propos des femmes reporter suédoise du début du siècle. Ney B., « The Women Reporter Goes Street Haunting. On the work of women reporters in the Swedish dayly press 1900-1910 », Media History, vol. 7, n° 1, 2001.
52 Roberts M. -L., art. cit.
53 Ce sont les termes qu’utilise Séverine elle-même, cité par Roberts M. -L., art. cit.
54 Martin M., Les grands reporters. Les débuts du journalisme moderne, op. cit.
55 Voir sur ce point Bard Ch. (dir.), Un Siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999.
56 Toutes choses étant égales par ailleurs, les travaux du groupe de l’invention de l’élue sur les usages du genre comme ressource politique dans le contexte paritaire des années 1990-2000 montre à quel point la mobilisation d’attributs réputés féminins se révèle fragile. Valorisable et valorisé à un moment donné dans l’espace politique, cet usage constitue rapidement une prise à la critique et à la dénonciation. Voir sur ce point Achin C. et al., Sexe, genre et politique, Paris, Économica, 2007.
57 Perrot M., « Qu’est-ce qu’un métier de femmes ? », Le mouvement social, n° 140, juillet-septembre 1987.
58 Voir par exemple sur ce point Kalifa D., L’encre et le sang. Récit de crimes et société à la Belle Époque, Paris Paris, Fayard, 1995.
59 Lévêque S., Les journalistes sociaux. Histoire et sociologie d’une spécialité journalistique, op. cit.
60 Mulmann G., Une histoire politique du journalisme. XIXe-XXe siècle, Paris, Le Monde/PUF, 2004.
61 Ces citations sont tirées du chapitre que Géraldine Mulhmann consacre à Séverine.
62 Cosnier C., « les “reporteresses” de La Fronde », in « Les représentations de l’affaire Dreyfus dans la presse en France et à l’étranger », Actes du colloque de Saint-Cyr-sur-loire, numéro spécial de Littérature et nation, Tours, Publications de l’université François Rabelais, novembre 1994.
63 Neveu É., « Le genre du journalisme. Des ambivalences de la féminisation d’une profession », Politix, vol. 13, n°51, 2000.
64 Voir sur cette question, Achin C., Paoletti M., « Le salto du stigmate. Genre et construction des listes aux municipales de 2001 », Politix, vol. 15, n°60/2002.
65 Carrie Bradshaw est l’une des héroïnes de la série « Sex and the city ». Elle figure une chroniqueuse branchée new-yorkaise qui tient une rubrique sur la vie sexuelle d’une trentenaire dans un magazine.
66 Bridget Jones est l’héroïne d’un roman écrit sur le mode du journal intime porté à l’écran qui s’essaie piteusement au journalisme de reportage avant de revenir à une rubrique voyage plus conforme à son personnage un peu superficiel et fleur bleue à la recherche de l’âme sœur.
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