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La fabrique de l’honneur

 | 
Bruno Dumons
, 
Gilles Pollet

Première partie. Gouverner par les médailles au XIXe siècle

La Légion d’honneur et les « petites patries ». Les communes bourguignonnes décorées de la Légion d’honneur

Jacqueline Lalouette

Texte intégral

1Avant de chercher à savoir dans quelles circonstances et pour quelles raisons des communes peuvent recevoir la Légion d’honneur, il convient de se demander si les communes sont décorées au même titre que des individus ou bien si elles reçoivent tout simplement le droit de faire figurer la Légion d’honneur dans leurs armoiries. Autrement dit, ce droit entraîne-t-il la qualité de légionnaire ? Un document conservé aux archives de Saint-Jean-de-Losne lève les doutes ; ce gros bourg est en effet membre de la société d’entraide des membres de la Légion d’honneur et, sur la carte d’adhérent de la section de la Côte d’Or, établie le 21 novembre 1979, il est noté que Saint-Jean-de-Losne possède le grade de chevalier. Ce doute étant levé, nous aimerions examiner le cas des quatre communes bourguignonnes décorées de la Légion d’honneur, en adoptant la problématique de la « petite patrie ». Après avoir exposé comment ces communes ont reçu la plus haute décoration française, nous chercherons à savoir si les municipalités, les habitants en ont tiré – et en tirent – un sentiment de fierté et, si oui, comment ils l’ont exprimé et, éventuellement, 1 expriment encore.

  • 1 Par ordre chronologique : Liège, Belgrade, Luxembourg, Stalingrad.
  • 2 Xavier Boniface, « Les villes françaises décorées de la Légion d’Honneur pour faits de guerre (1914 (...)
  • 3 Bazeilles, Belfort, Bitche, Châteaudun, Dijon, Landrecies, Lille, Paris, Péronne, Phalsbourg, Rambe (...)
  • 4 Une autre ville a été décorée pour la campagne de France, Roanne, le 4 mai 1864, mais « il semble q (...)

2Il existe 67 villes décorées de la Légion d’honneur dont quatre villes étrangères1. La plupart le sont pour des faits relatifs aux deux guerres mondiales ; Xavier Boniface a étudié leur cas lors d’un colloque consacré aux « villes en guerre2 ». Mais, antérieurement, d’autres villes avaient été décorées, et ce, dès le Premier Empire, ou, plus précisément, dès les Cent Jours. D’autres, au nombre de quinze3 le furent pour la guerre de 1870-1871. Bourguignonne de naissance et de cœur, nous avons choisi de travailler sur les quatre communes bourguignonnes décorées : celles de Saint-Jean-de-Losne, déjà citée, de Tournus et de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), toutes trois décorées en 1815, pour la vaillance dont elles avaient fait preuve durant la campagne de France4, et Dijon, ville décorée en 1899 pour les combats de 1870.

3Quatre communes, le sujet peut paraître mince. Sans doute pensera-t-on que nous aurions pu élargir notre propos aux autres villes décorées avant la Première Guerre mondiale, mais, pour un sujet de ce type, nous voulions absolument non seulement dépouiller les archives communales, mais aussi mener une étude « de terrain » afin de repérer les différentes marques de la Légion d’honneur (sculptures, dessins sur les plaques de rue, etc.) et nous entretenir avec des habitants. Or, il nous aurait été quelque peu difficile d’aller de Chalon à Thionville, de Rambervillers à Châteaudun.

Les motifs d’une décoration

  • 5 Archives municipales de Saint-Jean de Losne (AMSJL), W 657 : Jean-François Bazin, discours prononce (...)
  • 6 Général Y. Hailand (dir.), avant-propos du général Arsène Woisard, Légion d’Honneur. Deux siècles d (...)

4Comme nous l’avons déjà dit, Chalon-sur-Saône, Saint-Jean-de-Losne et Tournus ont reçu la Légion d’honneur pour récompenser le courage de leurs habitants pendant la campagne de France, à une époque où « entre Ain et Saône, tout [n’était] que uhlans et cosaques, pillage et destruction5 ». Le 15 janvier 1814, alors que les troupes autrichiennes approchaient de Saint-Jean-de-Losne, le maire, Pierre Coste, organisa la résistance ; avec l’aide de volontaires venus d’Auxonne (Côte d’Or), une compagnie d’hommes âgés de 20 à 50 ans fut mise sur pied ; elle parvint à faire prisonniers quatorze Autrichiens et à en tuer quatre6. La ville tomba malgré tout le 24 janvier et le général Wipfen y entra, à la tête d’une armée de 4 000 hommes.

5La ville de Chalon-sur-Saône organisa elle aussi sa défense et, le 11 janvier, le préfet écrivit au maire :

  • 7 Archives municipales de Chalon-sur-Saône [AMCS], 4 H 3/2.

« Je suis informé, Monsieur le Maire, de la belle conduite des habitants de Chalon ; exprimez à vos braves gardes nationales tous les sentiments qu’ils m’inspirent. Dites-leur que c’est sur leur courage que repose ma sécurité : ils soutiennent, ils soutiendront la gloire de ce département et ajouteront une page à l’histoire de l’honneur national7. »

  • 8 Ibid.
  • 9 J. Guironde, Tournus en 1814 et en 1815. Histoire locale, Tournus, Adolphe Miège, 1903, p. 16.
  • 10 Ibid., p. 24 : c’est ainsi que le général Legrand de Marcey les désigna dans une dépêche envoyée au (...)
  • 11 Ibid., p. 34.
  • 12 Ibid., p. 35.
  • 13 Ibid., p. 38.
  • 14 Ibid., p. 50.

6Le maire lança encore une série d’appels aux Chalonnais, leur demandant de rassembler les fusils, mais aussi divers instruments, notamment des haches. Le 15 janvier, s’adressant à l’ensemble du département, le préfet cita Chalon en exemple : « L’une de vos cités attaquées a donné la preuve de ce que peut le courage guidé par l’honneur ! C’est Chalon fidèle et triomphant que je vous signale pour exemple. Levez-vous et, sous peu de jours, l’ennemi se repentira d’une incursion téméraire8. » Le 12 janvier, Mâcon se rendit à un petit groupe de hussards autrichiens. Le 23, sous la conduite du général Legrand de Marcey, une troupe composée de 479 hommes, dont 132 Chalonnais, partit pour cette ville ; parmi eux, ne figuraient que 39 soldats du 144e de ligne et 25 gendarmes9, tous les autres étaient « des pères de famille10 ». À cette date, le nombre des Autrichiens présents à Mâcon s’élevait à 420 ; les défenseurs bourguignons en tuèrent 10, en blessèrent 44 et firent 37 prisonniers, sans perdre un seul homme. Ils commencèrent à organiser la défense de Mâcon dont les habitants, craignant les représailles autrichiennes, ne leur témoignèrent d’ailleurs « aucune marque d’amitié ou de bon voisinage11 ». En outre, le maréchal Augereau, commandant à Lyon, dont « les actes commençaient à sentir la trahison12 », n’envoya pas les 300 hommes qu’il avait promis de donner en renfort. Dans ces conditions, le général Legrand de Marcey et ses hommes repartirent pour Tournus et Chalon. Cette ville fut déclarée ville ouverte le 4 février ; le maire put négocier la reddition et les Autrichiens rendirent les honneurs militaires aux défenseurs de la cité qui dut subir une occupation jusqu’au 7 juin. Les Tournusiens se montrèrent eux aussi extrêmement déterminés ; le 13 janvier, ils construisirent des retranchements, des barricades, postèrent des sentinelles devant les portes et les ponts, rassemblèrent des armes, depuis les fusils de chasse jusqu’aux broches à rôtir. Dans la troupe qui se rendit à Mâcon, se trouvaient 308 gardes nationaux de Tournus auxquels se joignirent des gardes nationaux des villages environnants, Jouvence (c’est-à-dire Saint-Gengoux), Sennecey-le-Grand, Cuisery, Saint-Bonnet. Le 23 janvier, dit l’historien J. Guironde, il ne restait à Tournus « que les vieillards, les femmes, les enfants et les lâches13 ». Le 8 février, Tournus tomba à son tour aux mains des Autrichiens, commandés par le général Scheitter, et eut à subir toutes les rigueurs d’une occupation particulièrement sévère ; le poids des réquisitions se fit durement sentir et la maison de charité elle-même fut pillée14.

  • 15 Ibid., p. 117.
  • 16 AMSJL, W 657 : cité dans un document intitulé Villes de la Côte d'Or décorées de la Légion d’Honneu (...)

7L’année suivante, lors du « vol de l’Aigle », à partir de Mâcon « le voyage de l’empereur ne fut plus qu’une longue fête populaire et une marche triomphale15 ». Le 14 mars 1815, Napoléon s’arrêta à Chalon-sur-Saône, où il coucha ; il fit l’éloge des Chalonnais et des Tournusiens et reçut une délégation d’habitants de Saint-Jean-de-Losne ; d’après le Moniteur universel du 23 mars 1815, il dit à ses membres : « Je ne puis me rendre chez vous, je le regrette. Dites à votre digne maire que je lui donne la Croix car c’est pour vous, braves gens, que j’ai institué la Légion d’honneur, et non pour les émigrés, pensionnés par nos ennemis16. »

  • 17 Archives départementales de la Côte d’Or (ADCO), 1 M 569.
  • 18 J. Guironde, Tournus en 1814 et en 1815..., op. cit., p. 136. Ces canons furent repris par l’État l (...)

8Puis, le 22 mai 1815, à l’Elysée, l’empereur rédigea en faveur de ces trois communes un décret destiné à « donner une preuve particulière de [sa] satisfaction aux communes de Châlon-sur-Saône, Tournus et Saint-Jean-de-Losne, pour la conduite qu’elles ont tenue pendant la campagne de 1814 » ; l’article 1er du décret stipule que « l’aigle de la Légion d’honneur fera partie des armes de ces villes17 ». En outre, Napoléon donna l’ordre de remettre aux habitants de Tournus cent fusils et deux canons avec leurs approvisionnements18.

  • 19 Auparavant, les ordonnances royales des 26 septembre et 26 décembre 1814 autorisèrent les communes (...)
  • 20 ADCO, 1 M 569 : lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de la Côte d’Or, 28 septembre 1830, et (...)
  • 21 AMSJL, non coté : délibération du conseil municipal tendant à ce que la ville soit autorisée à repl (...)

9Les actes des Cent Jours furent abrogés par la Seconde Restauration et ce décret n’eut donc aucun effet dans l’immédiat19. Mais, peu après les Trois Glorieuses, les villes concernées voulurent en quelque sorte revivifier l’honneur qui leur avait été conféré. Une députation de la ville de Saint-Jean-de-Losne fut admise à l’audience royale et sollicita « l’autorisation de placer la Croix de la Légion d’honneur dans les armoiries de la commune20 » ; une délibération du conseil municipal ayant été demandée, celui-ci, pour appuyer la demande, souligna le caractère anti-patriotique de la Restauration et rappela que la faveur faite à la commune avait été suspendue par « le Gouvernement déchu qui [avait] jugé contrairement les efforts faits par les habitants de cette ville pour s’opposer à l’entrée de l’ennemi21 ». Louis-Philippe se montra désireux de donner à cette ville « un témoignage particulier », en souvenir de « sa belle conduite pendant la campagne de 1814 » et, le 15 mars 1831, il prit une ordonnance autorisant Saint-Jean-de-Losne à adopter des armoiries portant la Légion d’honneur, dans lesquelles les fleurs de lys antérieurement présentes avaient été remplacées par d’autres symboles :

  • 22 Une bordure est dite componée quand elle est comprend des cases de couleurs différentes, ou portant (...)
  • 23 En langage héraldique, l’expression « de gueules » désigne la couleur rouge.
  • 24 Ce fermail signifie que Saint-Jean de Losne « a fermé la Bourgogne à l’envahisseur ».
  • 25 ADCO, 1 M 569 (ancienne cote 7 M 62).

« écartelé, aux premier et quatrième d’azur à la bordure componée22 d’argent et de gueules23, chargée savoir : le premier quartier d’un Aigle d’or, le quatrième d’un casque aussi d’or ; aux deuxième et troisième bandés d’azur et d’or à la bordure de gueules, le tout soutenu d’une champagne d’azur chargée d’un Fermail24 d’or auquel est suspendue la décoration de la Légion d’honneur, couleurs naturelles25 ».

  • 26 Ibid., lettre du ministère d’État, secrétariat général section des Beaux-Arts, 22 juillet 1853 ; do (...)
  • 27 Jean Marillier, Armorial des villes et bourgs chefs-lieux des cantons de la Côte d’Or..., op. cit..(...)

10Les lettres patentes suivirent le 1er octobre. Sous le Second Empire, le 16 mai 1853, le conseil municipal de Saint-Jean-de-Losne demanda l’autorisation, qui lui fut accordée le 22 juillet, de faire graver le décret du 22 mai 1815 sur deux tables de marbre, dont l’une serait déposée dans la salle du conseil municipal et l’autre « au chef-lieu du département26 », autrement dit Dijon. Aucune table de ce type n’est conservée à la mairie de Saint-Jean-de-Losne et le souvenir d’un tel objet y est totalement inconnu. On peut supposer que la demande fut inspirée par l’existence, dans la mairie, d’une grande plaque de pierre sur laquelle est gravé le récit des événements survenus à Saint-Jean-de-Losne en 1636 dont le souvenir est beaucoup plus fort et vivant dans l’esprit des habitants de Saint-Jean-de-Losne que celui des événements de 1814 (nous reviendrons sur ce point). En 1636, la ville avait héroïquement et victorieusement résisté au général impérial Gallas, ce qui lui avait valu le surnom de « Belle Défense » et l’exemption perpétuelle, accordée par Louis XIII, de tous droits et taxes, privilège auquel elle avait spontanément renoncé le 7 juillet 1789, avant l’abolition des privilèges du 4 août. Mais, telles qu’elles avaient été réglées en 1831, les armoiries de Saint-Jean de Losne ne correspondaient pas complètement aux armes traditionnelles, les fleurs de lys d’origine ayant été remplacées par un aigle ou un casque. En 1884, le conseil municipal sollicita le droit de reprendre ses anciennes armes. Mais la République « qui ne se souciait guère d’armoiries fleurdelysées et même d’armoiries tout court, fit remplacer le casque par une tête de République » ; « le fermail, quant à lui, s’était peu à peu transformé en un ruban avec une boucle rouge27 ». En 1960, les armoiries retrouvèrent les fleurs de lys et le fermail.

  • 28 Lors d’une séance extraordinaire du conseil municipal, le 9 juillet 1831, le maire fit savoir au co (...)
  • 29 Celles-ci sont conservées, dans un coffret, aux archives municipales de Chalon-sur-Saône, 3 D 2/2. (...)

11En 1831, la ville de Chalon-sur-Saône accomplit la même démarche que Saint-Jean-de-Losne, bénéficia d’une ordonnance le 31 mai et reçut ses lettres patentes le 6 septembre. Mais quelques difficultés d’ordre financier se présentèrent. Le référendaire du Sceau de France avait établi un compte de 556 francs et 80 centimes – dont 400 francs de droit de sceau ; or le conseil municipal rechignait à débourser une telle somme. Après divers échanges épistolaires, la ville n’eut plus à acquitter que 210 francs et 40 centimes28 et put recevoir ses lettres patentes, qui lui furent expédiées par les messageries royales le 26 septembre 183129. Les armoiries de Chalon sont « d’azur à trois annelets d’or, soutenu d’une champagne cousue de gueules, chargée de la décoration de la Légion d’honneur, couleurs naturelles ».

12Tournus introduisit sa requête beaucoup plus tardivement, le 11 septembre 1859. Le maire, Charles Dugrivel, envoya au Garde des Sceaux une lettre qu’il fit appuyer par le baron Chapuys de Montlaville, sénateur. Il décrivit les armoiries de la ville en rétablissant le chef de France et expliqua pourquoi Tournus n’avait pas accompli de démarche en même temps que Chalon et Saint-Jean-de-Losne : la présence des fleurs de lys, écrivit-il, imposait d’« attendre le moment où il serait possible de ne plus donner aux signes héraldiques que leur signification historique. Ce jour est arrivé ». L’affaire fut assez longue ; les nouvelles armoiries attribuées par les lettres patentes du 30 janvier 1862 se présentaient ainsi :

  • 30 En langage héraldique, le mor « sable » désigne la couleur noire.
  • 31 Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus..., op. cit., p. 38-39 ; E. Meulien(...)

« De gueules, au château de trois tours d’argent, maçonnées de sable30, celle du milieu ouverte et ajourée du champ, le tout surmonté de trois fleurs de lys d’or, rangées en face, celle du milieu chargeant l’aigle de la Légion d’honneur ; au franc quartier, à dextre, cousu d’azur à l’N d’or ; l’écu surmonté de deux cornes d’abondance fleuries et fruitées d’or, posées en sautoir ; un feston de chêne et d’olivier étant supporté par elles, et se nouant au point où elles se croisent31. »

  • 32 Jacques Meurgey, Etude sur les armoiries De la ville de Tournus..., op. cit., p. 41.
  • 33 Ibid., p. 45.
  • 34 Le blason actuel de Tournus est reproduit dans Le Journal de Saône-et-Loire, 18 mars 2002.

13Comme le souligne Jacques Meurgey, la Légion d’honneur était cachée sous la fleur de lys qui la « chargeait ». D’après cet auteur encore, jusqu’en 1870, « on constate dans les dessins des armoiries de la ville un flottement extrême32 » et plusieurs dessins figurant sur un cachet, sur du papier officiel ou sur le frontispice d’un ouvrage d’histoire présentent de nettes différences et, entre 1896 et 1915, sur le papier officiel de la ville, la Légion d’honneur n’occupa pas toujours le même emplacement33, étant placée parfois entre les tours et le chef et parfois en pointe, comme c’est le cas actuellement34. Pour Jacques Meurgey, cette solution était la meilleure, car, ainsi, sur les armoiries de Tournus s’étageaient :

  • 35 Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus..., op. cit., p. 46.

« En chef, les fleurs de lys concédées par le roi Jean le Bon le 21 octobre 1362. Au centre, les tours, emblèmes de la liberté conquise après les luttes des xive et xve siècles. En pointe, la croix d’honneur, héroïque symbole d’une des glorieuses pages de l’épopée napoléonienne, écrite par la ville de Tournus le 23 janvier 181435. »

14Quant à la quatrième ville concernée, Dijon, elle reçut la Légion d’honneur pour un fait d’armes du 30 octobre 1870. Arrivé à Dijon le 26 octobre 1870, le général Fauconnet estima tout d’abord qu’il ne pouvait défendre la ville sur laquelle marchaient deux brigades badoises ; il organisa un repli sur Beaune et la municipalité décida de désarmer la garde nationale pour éviter que ses armes ne tombassent entre les mains de l’ennemi. Mais la population dijonnaise ne voulait pas se rendre et il fallut, sous la pression, rappeler les troupes et réarmer la garde nationale. Le 30 octobre, se déroulèrent de durs combats ; le genéral Fauconnet fut tué, de même que 160 soldats et mobiles dijonnais.

  • 36 Le décret original est conservé, sous cadre, aux archives municipales de Dijon.
  • 37 Bulletin Officiel de la Ville de Dijon, 20 mai 1899, p. 234.

15Il fallut attendre près de trente ans pour que la ville fût décorée. Le 17 mai 1899, le Conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur émit un avis favorable, le décret fut signé le 1836 et le maire de Dijon, Morin-Gacon, en reçut publiquement l’avis le 21, de la bouche d’Émile Loubet en personne. En effet, le président de la République se trouvait alors dans la capitale bourguignonne, où il était venu inaugurer le monument élevé à la mémoire de Sadi Carnot, mort à Lyon le 25 juin 1894, après avoir été poignardé la veille par l’anarchiste italien Caserio. Dans son discours, Émile Loubet précisa d’ailleurs que le décret qu’il avait signé quelques jours auparavant répondait « à un des vœux du regretté président Carnot », lequel appartenait à une vieille famille bourguignonne, établie depuis plusieurs siècles à Nolay. La lecture de ce décret, rapporte le Bulletin Officiel de la Ville de Dijon, fut accueillie par des acclamations enthousiastes. Le maire s’avança près du président de la République et lui dit sobrement : « Monsieur le Président de la République, au nom de la ville de Dijon, je vous remercie ». Émile Loubet répondit qu’il avait autorisé la ville à ajouter « une croix de la Légion d’honneur à ses armoiries, afin que ses enfants s’honorent et se glorifient en elle, et trouvent dans cette distinction commune le principe d’une plus forte et plus étroite solidarité37 ». À la fin du banquet qui suivit l’inauguration du monument, Morin-Gacon fut un peu plus disert qu’il ne l’avait été auparavant ; il rappela le détail des combats du 30 octobre et conclut :

« Dijon a donné à la France un magnifique exemple de civisme et d’abnégation qui lui mérite d’avoir son nom gravé en lettres d’or à côté de celui des villes de Saint-Quentin, de Laon et de Châteaudun. Monsieur le Président, vous l’avez compris en rendant votre décret du 18 mai. Je me fais l’interprète de tous mes concitoyens en vous remerciant d’avoir accordé la croix d’honneur à la ville de Dijon. »

  • 38 Archives municipales de Dijon, dossier 3 D, République Française. Ministère de la Justice. Directio (...)
  • 39 Jean Marillier, Armorial des villes et bourgs chefs-lieux des cantons de la Côte d'Or..., op. cit.,(...)

16Ultérieurement, au nom du maire de Dijon, le référendaire au Sceau de France, M. Renaux, présenta une requête « à l’effet d’obtenir le règlement des armoiries de cette ville », démarche qui aboutit à la signature d’un nouveau décret, le 15 juin 1901. À partir de cette date, les armes de Dijon furent ainsi réglées : « De gueules à un chef mi-parti : au premier d’azur semé de fleurs de lys d’or, à une bordure componée d’argent et de gueules et au deuxième bandé d’or et d’azur à six pièces à la bordure de gueules auxquelles est suspendue par un fermail d’or l’étoile de la Légion d’honneur ; l’écu est surmonté d’une couronne murale d’or à sept créneaux » (art. 1) ; le second article du décret précise que « remise est faite à la ville de Dijon de la totalité des droits de sceau attachés à la modification de ses armoiries38 ». Mais, en 1958, un règlement de la Grande Chancellerie interdit aux communes qui n’avaient pas été autorisées par Napoléon en personne à faire figurer la Légion d’honneur dans leurs armoiries de placer celle-ci dans l’écu lui-même39 ; elle devait dorénavant se trouver en dehors, obligation qui n’est pas toujours respectée, comme nous le verrons.

Légion d’honneur et espace communal

17Pour une ville, avoir reçu la qualité de légionnaire et le droit de faire figurer la croix dans ses armes engendre une grande fierté et le désir de rendre visible cette distinction afin que ni les habitants, ni les visiteurs ne puissent l’ignorer. Pour ce faire, s’offrent plusieurs moyens, de la sculpture sur les monuments officiels ou divers autres bâtiments au dessin sur des supports divers, sans oublier les ressources offertes par la toponymie.

La Légion d’honneur sur les bâtiments et les monuments

  • 40 Voir les photographies et le commentaire sur le site http : //www.chalon.fr/site/L’Hotel_de_Ville-6 (...)
  • 41 Nous remercions Madame Estelle François, archiviste municipale de Chalon-sur-Saône, qui nous a donn (...)
  • 42 Pour ce monument : June Hargrove, « Qui vive ? France ! War Monuments from the Defense to the Revan (...)

18Le fronton de l’hôtel de ville de Chalon-sur-Saône a été sculpté en 1884 par un artiste chalonnais, Boutte, qui a évoqué les activités et les richesses de la ville grâce à deux figures allégoriques, Mercure et Cérès, qu’accompagnent un bateau à vapeur, une locomobile et divers autres objets ; au centre de cette composition, se détachent les armoiries de la ville, surmontées d’une couronne crénelée, à l’intérieur desquelles se voit très nettement la Légion d’honneur40. Les armes se trouvent aussi sur un portail de l’hôtel de ville donnant rue de Lyon ; elles sont peintes, comme il se doit, d’or, d’azur et de gueules41. Enfin, les armes chalonnaises, avec la Légion d’honneur, sont sculptées sur le piédestal du monument de la Défense de 1870-1871, réalisé en 1907 par le sculpteur Paul Moreau-Vauthier (1871-193642).

  • 43 La photographie d'un bas-relief représentant les combats de 1636 est visible sur Wikipédia, de même (...)
  • 44 Il s'agit de la façade donnant sur les voies. La gare est située à près de deux kilomètres de Saint (...)

19A Saint-Jean de Losne, les armoiries sont sculptées sur le monument dit de la « Belle Défense43 », érigé en souvenir des combats de 1636, au cœur de la bourgade, à proximité de la Saône, en bordure de la rue principale et près de l’église ; située en haut du monument, la sculpture est, à dire vrai, assez peu visible. Placé dans un endroit nettement plus retiré, le monument aux morts de la Première Guerre mondiale, – qui possède une petite niche dans laquelle se trouve une urne contenant de la terre de Douaumont – porte lui aussi les armes de la ville. Par ailleurs, celles-ci sont peintes sur la façade de la mairie, sur la façade de la gare44 et sur un panneau manuscrit et décoré placé à proximité de l’office de tourisme. Sur tous ces supports, la Légion d’honneur et son ardillon, de couleur sable, se distinguent nettement sur un fond azur.

  • 45 Ce qui, dit Jacques Meurgey, « est absolument contraire aux règles héraldiques », Jacques Meurgey, (...)
  • 46 Madame Monique Monnot, de Tournus, nous a envoyé une série de photographies sur ce monument. Nous l (...)

20À Tournus, le sculpteur Pierre Curillon (1866-1954), auteur du monument du centenaire de 1814, a placé les armes de la ville – au-dessus desquelles il a posé une couronne crénelée – en haut du piédestal, entre le haut-relief représentant une scène des combats de 1814 et la représentation allégorique de Tournus, une jeune femme de fière allure coiffée d’une couronne crénelée et tenant une épée. La Légion d’honneur se trouve non pas en pointe, mais, suspendue à la couronne, elle « vient s’abattre sur le chef45 » où ne figurent plus que les deux fleurs de lys de dextre et de sénestre46.

21À Dijon, la Légion d’honneur figure aussi sur la façade principale de l’hôtel de ville, installé dans l’ancien palais des ducs de Bourgogne. Cette sculpture étant antérieure au décret de 1958, la croix se trouve à l’intérieur des armes de la ville et non en dessous ; il en va de même pour les armes dijonnaises sculptées sur le pont de chemin de fer qui enjambe la rue Monge.

La toponymie

  • 47 Le Bien Public, 21 juin 1982.

22Rappeler la décoration de la Légion d’honneur en donnant ce nom à une voie de circulation, une place ou un jardin public de la commune procure un double avantage : le mot « Légion d’honneur » est prononcé régulièrement et inscrit sur une plaque lue par les passants, ce qui accroît, en principe, le nombre de personnes informées de la distinction communale. En 1982, le maire de Dijon, Robert Poujade, accéda au vœu du colonel Mignotte, président de l’association d’entraide des membres de la Légion d’honneur, qui suggérait depuis plusieurs années « de mettre « le ruban rouge » à une rue ou place de la cité47 ». Ne voulant pas « débaptiser » une voie pour la « reconsacrer » sous un autre patronage, le conseil municipal choisit d’ajouter le nom de « Légion d’honneur » à celui de la place du Trente Octobre – que les Dijonnais appellent traditionnellement « Place du Trente » – au centre de laquelle s’élève le monument de Paul Cabet commémorant la défense de la ville en 1870. La cérémonie se déroula le 20 juin 1982, en présence du général André Biard, grand chancelier de la Légion d’honneur, du préfet et de nombreuses autorités civiles et militaires. Robert Poujade prononça un discours qui lui permit d’évoquer la mémoire de Napoléon, « l’homme le plus admiré et le plus contesté de notre histoire ». Les plaques indicatrices réparties autour de la place ont reçu la nouvelle appellation. Plus récemment, leur aspect a été modernisé ; lumineuses, elles présentent sur un fond blanc, un cadre rouge dans lequel se détache les lettres bleues du texte, le ruban rouge et les éléments dorés et verts de la croix, qui figure seule, sans les armes de la ville.

  • 48 Le Journal de Saône-et-Loire, 29 avril 2002.

23À Chalon-sur-Saône et à Tournus, on attendit 2002, année du bicentenaire de la Légion d’honneur pour modifier la toponymie. Le 27 avril, une esplanade située sur le quai Gambetta, à Chalon, reçut le nom d’esplanade de la « Légion d’honneur48 ». Au mois de septembre, en présence d’un détachement du lycée militaire d’Autun, le maire de Tournus, Henri L’évêque, nomma « Jardin de la Légion d’Honneur » le square de l’avenue Gambetta dans lequel s’élève le monument du centenaire de 1814 :

« Nous sommes ici – dit-il – dans un jardin où, il y a cent ans, un de mes lointains prédécesseurs a fait élever ce monument à la gloire des vaillants Tournusiens qui s’étaient illustrés en cette journée du 23 janvier 1814. À mon tour, pour rappeler cet événement glorieux, j’ai aujourd’hui l’honneur et la fierté de baptiser ce jardin du nom de Jardin de la Légion d’honneur. »

  • 49 Ibid., 23 septembre 2002.

24Pour l’auteur de cet article – qu’il s’agisse d'un journaliste ou d’un correspondant local – désormais, la date de cette cérémonie ferait « aussi partie pour Tournus, dans une moindre mesure, de son histoire locale49 ».

Les papiers officiels

  • 50 Cette flamme est reproduite, agrandie (12 cm x 6 cm), par Le Journal de Saône-et-Loire, 18 mars 200 (...)

25Il existe enfin un autre type d’espace, l’espace-papier si l’on ose dire, utilisé pour leur correspondance officielle par les maires et les conseillers municipaux, ou par différents services municipaux comme les archives municipales ; les feuilles sont imprimées avec, au recto, les armoiries et la Légion d’honneur, à moins qu’un cachet humide n’y soit apposé avant l’envoi. On pensera aussi aux revues municipales ; mais à Dijon, la revue Dijon, notre ville porte le logo moderne de la ville, une sorte d’écu semblant se dérouler, qui est aux couleurs de Dijon (rouge, bleu et or), mais ne contient ni les armoiries, ni la Légion d’honneur. Il faut encore signaler les flammes postales. Ainsi, en 2002, fut composée une flamme postale consacrée aux deux villes légionnaires de la Saône-et-Loire ; elle représente le département 71 et la décoration de la Légion d’honneur ; à gauche et à droite, inscrites verticalement, figurent les dates 1802 et 2002 ; en haut et en bas de la flamme, on peut lire « Ordre de la Légion d’honneur » et « Bicentenaire » ; enfin, une dernière inscription rappelle le nom des deux villes décorées, Chalon-sur-Saône et Tournus, et la date non des combats que menèrent leurs habitants, 1814, mais de l’attribution de la Légion d’honneur, 181550.

Supports variés

  • 51 Par exemple, à Saint-Jean-de-Losne, est vendu un porte-clef en forme de bouteille, portant, à la pl (...)
  • 52 Des cartes postales éditées par les sociétés SA-Protet (Dôle-Doubs) et MC,-Éditions (Sandillon-Loir (...)
  • 53 C’est le cas de dés fantaisie, ne portant aucune indication de fabrication ou de provenance.

26Les armes, portant ou incluant la Légion d’honneur, sont par ailleurs représentées sur divers supports, souvent exposées dans des vitrines ou sur des présentoirs dans diverses boutiques de la commune concernée : dés à coudre de fantaisie, petites cuillers, porte-clefs51, cartes postales, auto-collants. Dans le cas dijonnais, certains fabricants tiennent compte des directives de la Grande Chancellerie de 1958 et placent la Légion d’honneur à l’extérieur des armoiries comme on peut le constater sur des cartes postales52 ; d’autres les ignorent ou n’en ont cure et continuent de placer la décoration à l’intérieur des armoiries53.

En guise de conclusion : Légion d’honneur et mémoire communale

  • 54 Le Bien Public, 29 mai 1999. C’est aussi à l’occasion de ce centenaire que Robert Poujade, députéma (...)
  • 55 AMSJL, W 657.
  • 56 Ibid., Bicentenaire de la Légion d’Honneur, Ville de Saint-Jean-de-Losne, classe de troisième d’ins (...)

27Divers éléments mentionnés ci-dessus prouvent que la qualité de légionnaire autrefois acquise par la commune au prix des combats héroïques de ses habitants ne laisse pas les municipalités indifférentes. En mai 1999, pour le centenaire de la décoration de Dijon, la municipalité organisa une cérémonie dans la cour d’honneur de l’hôtel de ville et une grande réception dans la salle des États ; il y eut par ailleurs une prise d’armes et un concert donné par la musique militaire de la BA 10254. En 2000, Michel Griviau, maire de Saint-Jean-de-Losne, fut amené à prononcer un discours dans lequel il affirma que « depuis 175 ans, Saint-Jean-de-Losne est heureuse et fière de cette sublime décoration qui trône en bonne place en son salon d’honneur et qui reconnaît justement les mérites, le courage et l’abnégation de ses élus55 ». L’année du bicentenaire de la Légion d’honneur a notamment été l’occasion de rappeler les conditions dans lesquelles la commune avait été décorée, parfois en y associant la jeunesse ; ainsi, les élèves de la classe de troisième du collège des Hautes Pailles composèrent un petit livret sur la Légion d’honneur de Saint-Jean de Losne56. La presse locale n’hésite pas à consacrer de longs articles aux combats de 1814 ou de 1870 et aux circonstances de la décoration, à en fêter le bicentenaire ou le centenaire. Par ailleurs, le nombre non négligeable d’éléments susceptibles de conserver le souvenir de la décoration, les sculptures, les peintures, les plaques de rue, les cartes postales et objets divers, laisse supposer que les habitants des communes décorées connaissent cette caractéristique de la ville ou du bourg où ils demeurent.

  • 57 Ce qui peut paraître beaucoup pour une agglomération d'environ 1 200 habitants, mais son débit est (...)
  • 58 Cette fête revêt traditionnellement une grande importance pour les habitants de Saint-Jean-de-Losne (...)

28Or, quelques sondages que nous avons pratiqués – empiriquement, il faut bien le reconnaître – sembleraient prouver que tel n’est pas le cas. Ainsi, le chauffeur de taxi qui nous ramena des archives municipales à la gare de Chalon-sur-Saône ignorait tout des combats de 1814 et de la décoration de 1815 et sembla de prime abord étonné par notre intérêt pour la sculpture de la Légion d’honneur figurant sur le piédestal du monument de la Défense de 1870, qu’il n’avait jamais remarquée, avant de nous remercier pour ce que nous lui avions appris sur Chalon. D’après l’archiviste municipale, les Chalonnais sont d’ailleurs certainement plus fiers de la Croix de guerre de 1939-1945, qui « parle » encore à tous les habitants ayant vécu les années difficiles de la guerre, qu’à la décoration de la Légion d’honneur, certes plus prestigieuse, mais ne rappelant aucun souvenir direct. À Saint-Jean-de-Losne, deux jeunes gens d’une vingtaine d’années, interrogés dans le bureau de tabac de l’agglomération, nous regardèrent comme si nous leur posions des questions complètement saugrenues et nous dirent, sur un ton maussade, ne rien savoir de la qualité de légionnaire de la commune, qui sembla les laisser complètement indifférents. Le buraliste lui-même ignorait tout de la chose – alors qu’il vend des souvenirs portant les armoiries avec la Croix de la Légion d’honneur–, mais se montra intéressé et nous dit spontanément qu’il interrogerait ses clients pour savoir si les combats de 1814 et la décoration de 1815 étaient connus. Rappelé le soir même, il nous dit avoir questionné une trentaine de clients de passage ou résidant dans la commune57 ; aucun n’avait entendu parler de la décoration de Saint-Jean-de-Losne. Il en fut de même pour le chauffeur de taxi qui nous ramena à la gare. Quant au patron de la maison de la presse, il fut beaucoup plus dissert sur les combats de 1636 et sur les fêtes de la « Belle Défense », célébrées tous les cinquante ans, et dont l’éclat58 semble devoir éclipser tout ce qui peut être fait pour rappeler la Légion d’honneur. Nous avons aussi interrogé quelques Dijonnais qui ne parurent pas autrement intéressés.

  • 59 Il serait intéressant de savoir comment les fêtes de la Belle Défense seront célébrées à Saint-Jean (...)
  • 60 Voir Jean-François Chanet, L'école républicaine et les petites patries, préface de Mona Ozouf, Pari (...)

29Bref, l’impression d’ensemble a plutôt été d’une indifférence, selon les cas, polie ou goguenarde, qui pouvait éventuellement se transformer en un intérêt, peut-être suscité par notre qualité d’historienne travaillant pour une journée d’étude au cours de laquelle il serait question de la ville. Les réactions recueillies à Chalon-sur-Saône et à Saint-Jean-de Losne amèneraient à conclure qu’un épisode héroïque appartenant à l’histoire d’une ville possède un sens et éveille un écho à condition de n’être pas trop éloigné dans le temps ou d’avoir donné naissance à une fête à caractère patrimonial59. Quant à la Légion d’honneur, si elle garde un intérêt pour les individus désireux de porter le « ruban rouge », elle ne semble pas susciter les mêmes désirs au plan collectif. Cela signifie-t-il que « les petites patries » perdent de leur intérêt ou que l’intérêt qu’elles peuvent encore offrir n’a rien à voir avec l’histoire et l’héroïsme des temps révolus60 ? Peut-être aussi peut-on penser que dans un pays qui n’a pas connu de guerre sur son sol depuis plus de soixante ans, où se sont largement diffusées l’amour de la paix et l’horreur de la guerre – sans, d’ailleurs, de réelles connotations idéologiques pacifistes ou anti-militaristes –, une distinction fondée sur l’héroïsme guerrier a beaucoup perdu de son sens et ne suscite pas l’admiration.

Notes

1 Par ordre chronologique : Liège, Belgrade, Luxembourg, Stalingrad.

2 Xavier Boniface, « Les villes françaises décorées de la Légion d’Honneur pour faits de guerre (1914-1915) », Philippe Chassaigne et Jean-Marc Largeaud (dir.). Villes en guerre, Paris, Colin, 2004, p. 325-333. Texte aimablement communiqué par l’auteur, à qui nous adressons nos remerciements.

3 Bazeilles, Belfort, Bitche, Châteaudun, Dijon, Landrecies, Lille, Paris, Péronne, Phalsbourg, Rambervillers, Saint-Dizier, Saint-Quentin, Thionville, Valenciennes.

4 Une autre ville a été décorée pour la campagne de France, Roanne, le 4 mai 1864, mais « il semble que cette décision d'attribution n’ait jamais fait l’objet d’une remise officielle », Général de Brancion, « Roanne, ville décorée de la Légion d’Honneur », La Cohorte, nouvelle série, no 78, avril 1983, p. 19.

5 Archives municipales de Saint-Jean de Losne (AMSJL), W 657 : Jean-François Bazin, discours prononce à la mairie de Saint-Jean-de-Losne le 11 octobre 2002, à l’occasion de la commémoration du bicentenaire de l’Ordre de la Légion d’honneur.

6 Général Y. Hailand (dir.), avant-propos du général Arsène Woisard, Légion d’Honneur. Deux siècles d’histoire en Côte d'Or, Dijon, Darentière, 1999, p. 14-15.

7 Archives municipales de Chalon-sur-Saône [AMCS], 4 H 3/2.

8 Ibid.

9 J. Guironde, Tournus en 1814 et en 1815. Histoire locale, Tournus, Adolphe Miège, 1903, p. 16.

10 Ibid., p. 24 : c’est ainsi que le général Legrand de Marcey les désigna dans une dépêche envoyée au général comte de Ségur, commandant à Dijon.

11 Ibid., p. 34.

12 Ibid., p. 35.

13 Ibid., p. 38.

14 Ibid., p. 50.

15 Ibid., p. 117.

16 AMSJL, W 657 : cité dans un document intitulé Villes de la Côte d'Or décorées de la Légion d’Honneur, photocopie non référencée. Ces paroles figurent au bas d'une gravure représentant Napoléon ; cette gravure, encadrée, se trouve dans le salon d’honneur de la mairie de Saint-Jean de Losne ; dans le cadre, sur la gravure, est accrochée la Croix de la Légion d’honneur. Voir aussi Noël Agnet, Saint-Jean de Losne - Belle Défense. Quelques dates mémorables. Les canons, Dijon, Delcourt, s. d., p. 18.

17 Archives départementales de la Côte d’Or (ADCO), 1 M 569.

18 J. Guironde, Tournus en 1814 et en 1815..., op. cit., p. 136. Ces canons furent repris par l’État le 28 juillet 1815, et transférés à Montluçon. Ils turent reportés à Tournus le 23 février 1902 : Ibid., p. 170 et 201.

19 Auparavant, les ordonnances royales des 26 septembre et 26 décembre 1814 autorisèrent les communes à reprendre les armoiries qui leur avaient été attribuées par les rois avant 1789. La ville de Tournus connut alors quelques difficultés car de nombreux documents et objets ayant été détruits pendant la Révolution, la municipalité n’arrivait pas à prouver qu'elle avait reçu des armoiries et « le référendaire en la chancellerie de France » estimait qu’elle devait acquitter « les droits fixés pour première concession ». Après des recherches approfondies, M. Delaval, maire de Tournus, parvint à établir les droits de la commune, qui put recevoir les lettres patentes, données le 15 mars 1817, contenant cette description des armoiries de Tournus : « De gueules, au château des trois tours d’argent maçonnées de sable, celle du milieu ouverte et ajourée du champ, le tout surmonté de trois fleurs de lys d’or », Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus, avec des armoiries dessinées et gravées par Henry-André, extrait des Mémoires de la Société des Amis des Arts et des Sciences de Tournus, Mâcon, Protat Frères, 1917, p. 22. Les armoiries de Tournus furent alors privées du chef d’azur à trois fleurs de lys d’or, que l’on appelait « le chef de France », qu’elle avait possédé avant la Révolution. Mais en 1814, ce chef n’est attribué qu’aux « bonnes villes », c’est-à-dire aux villes jouissant de certaines prérogatives, notamment du droit de se faire représenter par les magistrats au sacre des rois, ce qui n’était pas le cas de Tournus. Mais, d'après Jacques Meurgey, « des villes de seconde et même de troisième catégorie » avaient possédé un tel chef. Les armoiries de Tournus retrouvèrent par la suite ce « chef de France » : Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus..., op. cit., p. 33-34.

20 ADCO, 1 M 569 : lettre du ministre de l’Intérieur au préfet de la Côte d’Or, 28 septembre 1830, et réponse du préfet, 2 octobre 1830. D’après Jean Marilier, « le blason de Saint-Jean de Losne est, de tous ceux de la Côte d’Or, celui qui a connu – et qui connaît encore – le plus d’avatars », Jean Marillier, Armorial des villes et bourgs chefs-lieux des cantons de la Côte d’Or, Dijon, planches réalisées par Michel Barastier, Editions du Bien Public, 1989, p. 89.

21 AMSJL, non coté : délibération du conseil municipal tendant à ce que la ville soit autorisée à replacer dans ses armoiries la décoration de la « Légion d’honneur ».

22 Une bordure est dite componée quand elle est comprend des cases de couleurs différentes, ou portant des motifs différents, qui alternent.

23 En langage héraldique, l’expression « de gueules » désigne la couleur rouge.

24 Ce fermail signifie que Saint-Jean de Losne « a fermé la Bourgogne à l’envahisseur ».

25 ADCO, 1 M 569 (ancienne cote 7 M 62).

26 Ibid., lettre du ministère d’État, secrétariat général section des Beaux-Arts, 22 juillet 1853 ; double conservé aux archives municipales de Saint Jean de Losne.

27 Jean Marillier, Armorial des villes et bourgs chefs-lieux des cantons de la Côte d’Or..., op. cit.. p. 90.

28 Lors d’une séance extraordinaire du conseil municipal, le 9 juillet 1831, le maire fit savoir au conseil que « par suite d’une interprétation mieux entendue du tarif concernant les armoiries des villes, les droits ne s’élèvent plus, y compris les honoraires, qu’à la somme de 210 francs 40 », extrait du registre des délibérations du conseil municipal de la ville de Chalon-sur-Saône, AMCS, 3 D 2/2.

29 Celles-ci sont conservées, dans un coffret, aux archives municipales de Chalon-sur-Saône, 3 D 2/2. La croix elle-même, est conservée avec les lettres patentes qui portent le sceau royal de cire verte.

30 En langage héraldique, le mor « sable » désigne la couleur noire.

31 Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus..., op. cit., p. 38-39 ; E. Meulien, Histoire de la ville et du canton de Tournus contenant les documents inédits des manuscrits de M. Bompar, ancien notaire, Tournus, Adolphe Miège, 1892, p. 136. Cet auteur cite une chanson dédiée aux conscrits, composée en 1854, contenant ces vers : « La croix d'honneur devint leur récompense/Tournus encore la montre à son blason » ; la date de 1854 est peut-être erronée, par suite d’une coquille ; il faudrait peut-être lire 1864.

32 Jacques Meurgey, Etude sur les armoiries De la ville de Tournus..., op. cit., p. 41.

33 Ibid., p. 45.

34 Le blason actuel de Tournus est reproduit dans Le Journal de Saône-et-Loire, 18 mars 2002.

35 Jacques Meurgey, Étude sur les armoiries de la ville de Tournus..., op. cit., p. 46.

36 Le décret original est conservé, sous cadre, aux archives municipales de Dijon.

37 Bulletin Officiel de la Ville de Dijon, 20 mai 1899, p. 234.

38 Archives municipales de Dijon, dossier 3 D, République Française. Ministère de la Justice. Direction des Affaires Civiles et du Sceau, Bureau du Sceau, no 2746. 1901.

39 Jean Marillier, Armorial des villes et bourgs chefs-lieux des cantons de la Côte d'Or..., op. cit., p. 47.

40 Voir les photographies et le commentaire sur le site http : //www.chalon.fr/site/L’Hotel_de_Ville-648.html.

41 Nous remercions Madame Estelle François, archiviste municipale de Chalon-sur-Saône, qui nous a donné cette indication et remis la photocopie en couleurs de deux photographies représentant les armoiries de Chalon, sur le fronton et le portail de l’hôtel de ville.

42 Pour ce monument : June Hargrove, « Qui vive ? France ! War Monuments from the Defense to the Revanche », June Hargrove and Neil McWilliam (ed.), Nationalism and French) Visual Culture (1870-1914), New-Haven, London, Yale University Press, National Gallery of Art, Washington, 2005, p. 55-81. Référence communiquée par Bertrand Tillier.

43 La photographie d'un bas-relief représentant les combats de 1636 est visible sur Wikipédia, de même, d’ailleurs, que les armoiries de Saint-Jean-de-Losne.

44 Il s'agit de la façade donnant sur les voies. La gare est située à près de deux kilomètres de Saint-Jean-de-Losne, sur le territoire de la commune de Saint-Usage, ce qui s’explique sans doute par la petitesse du territoire de Saint-Jean-de Losne, qui, avec 36 hectares – dont 11 inondables – est la plus petite commune de France. L'initiative de la fresque qui fut réalisée vers 1997, revient non à la commune, mais à la SNCF qui informa la municipalité par courtoisie, et fit réaliser elle-même la fresque. Informations données par Michel Griviau, maire de Saint-Jean-de-Losne de 1971 à 2001.

45 Ce qui, dit Jacques Meurgey, « est absolument contraire aux règles héraldiques », Jacques Meurgey, Etude sur les armoiries de la ville de Tournus.op. cit., p. 44.

46 Madame Monique Monnot, de Tournus, nous a envoyé une série de photographies sur ce monument. Nous lui adressons tous nos remerciements.

47 Le Bien Public, 21 juin 1982.

48 Le Journal de Saône-et-Loire, 29 avril 2002.

49 Ibid., 23 septembre 2002.

50 Cette flamme est reproduite, agrandie (12 cm x 6 cm), par Le Journal de Saône-et-Loire, 18 mars 2002.

51 Par exemple, à Saint-Jean-de-Losne, est vendu un porte-clef en forme de bouteille, portant, à la place de l’étiquette, les armoiries de la ville avec la Légion d’honneur ; l’objet ne porte aucune indication de fabrication ou de provenance.

52 Des cartes postales éditées par les sociétés SA-Protet (Dôle-Doubs) et MC,-Éditions (Sandillon-Loiret) montrent divers monuments de Dijon et portent en outre les armoiries dijonnaises, la Légion d’honneur pendant en dehors de l’écu. Un autre document, format carte postale, acheté dans une boutique de souvenirs, ne montre que les armoiries, la Légion d’honneur étant placée conformément aux instructions de 1958.

53 C’est le cas de dés fantaisie, ne portant aucune indication de fabrication ou de provenance.

54 Le Bien Public, 29 mai 1999. C’est aussi à l’occasion de ce centenaire que Robert Poujade, députémaire de Dijon, suscita la rédaction d'un ouvrage intitulé Légion d’Honneur. Deux siècles d’histoire en Côte d'Or.

55 AMSJL, W 657.

56 Ibid., Bicentenaire de la Légion d’Honneur, Ville de Saint-Jean-de-Losne, classe de troisième d’insertion, collège des Hautes Pailles, 21170, Echenon, octobre 2002.

57 Ce qui peut paraître beaucoup pour une agglomération d'environ 1 200 habitants, mais son débit est situé sur la route départementale qui traverse Saint-Jean-de-Losne et en constitue la rue principale.

58 Cette fête revêt traditionnellement une grande importance pour les habitants de Saint-Jean-de-Losne. La dernière célébration date de 1986, elle dura du 8 au 11 novembre, quatre jours durant lesquels affluèrent de 100000 à 120000 visiteurs, selon les estimations de la gendarmerie. La fête fut préparée durant dix-huit mois par un grand nombre d’habitants qui fabriquèrent plus d'un million de fleurs en papier et se firent des costumes d’époque qu’ils revêtirent pour un défilé, l’ensemble des participants s’étalant sur plus d’un kilomètre ; la garde républicaine donna un concert et la fête se termina par un défilé militaire, le 11 novembre. Informations données par Michel Griviau.

59 Il serait intéressant de savoir comment les fêtes de la Belle Défense seront célébrées à Saint-Jean-de-Losne en 2036. (Nous ne serons sans doute plus là pour nous en assurer nous-même ou nous risquons de ne plus être en mesure de le faire.)

60 Voir Jean-François Chanet, L'école républicaine et les petites patries, préface de Mona Ozouf, Paris, Aubier, 1996.

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