1L’autonomisation individuelle résulte d’un vaste processus social-historique l’ayant produite comme modèle de représentation de soi et comme programme à accomplir. C’est pourquoi elle peut être simultanément une fiction du point de vue d’une anthropologie concrète, et une grille d’intelligibilité pertinente, voire centrale, des mouvements de la société. Elle est, sur la longue durée historique, une illusion productrice de vérité. Telle est la thèse (très dialectique) que je soutiendrai dans ce texte.

2Mais avant de développer mes principaux arguments, que l’on me permette d’utiliser l’effet rétroactif qu’autorise la rédaction de ces lignes après l’événement qui fut à leur origine, le colloque de Cerisy sur l’individualisme. L’ambiance exceptionnelle de cette rencontre, et la très grande qualité des échanges, ne firent à mon avis ressortir qu’avec plus de force un certain nombre de malentendus persistants. Notamment sur la question de l’opposition entre holisme et individualisme. Ainsi plusieurs communications, par ailleurs passionnantes et très bien documentées, eurent pour objectif de nous démontrer comment dans des sociétés étiquetées comme « holistes » les individus avaient des espaces d’initiative très notables. À l’inverse, d’autres interventions détaillaient le caractère illusoire des libertés que l’individu s’imaginait posséder dans les sociétés individualistes. Mais il n’y a pourtant là rien d’étonnant. Et il est même possible de pousser l’analyse jusqu’au paradoxe, en se demandant par exemple si l’autonomie individuelle n’induit pas logiquement une production normative plus insidieuse et plus intense que dans une société holiste, où les institutions déroulent leur programme en laissant des marges de jeu. Une seule illustration, à partir d’un de mes terrains d’enquête. En mai 1968, les manifestants parisiens avaient lancé ce mot d’ordre poétique : « Sous les pavés, la plage ! ». Ils évoquaient la plage comme une image de bonheur, mais surtout de liberté. Elle se présente en effet comme très emblématique de ces espaces ouverts de la modernité avancée où l’existence semble moins contrainte. Or l’enquête révèle ce paradoxe : moins les normes sont obligatoires, plus l’activité principale des gens est d’en produire de nouvelles, jusqu’à l’obsession de la normalité (Kaufmann, 1995). Paradoxalement, le moindre écart est sans doute davantage scruté que dans une institution plus disciplinaire, car il est subtilement et activement utilisé dans le processus continuel de production normative. La société de liberté est celle où, plus que jamais, l’on produit (discrètement) des normes. Il est interdit d’interdire certes, et chacun a le droit de faire un pas de travers. Mais il le paye d’une pression discrète qui, en le mettant mal à l’aise, doit l’inciter à rentrer dans le rang. « Chacun fait ce qu’il veut, mais… » La société contemporaine invente un mode de fonctionnement structurellement basé sur un double langage.

3Louis Dumont (1983) nous avait pourtant mis en garde depuis longtemps contre ce risque de confusion : l’opposition holisme/individualisme ne renvoie nullement à l’individu concret, mais au modèle de représentation dictant les règles de fonctionnement d’une société. Du point de vue de ces modèles de représentation et de ces règles collectives, le processus historique est indiscutable (et exprimé sous forme de « Grand Récit », selon les termes de Christian Le Bart ici même), opérant un basculement du holisme vers l’autonomie individuelle, qui est notamment au fondement des démocraties occidentales. S’interdire cette clé d’analyse au nom d’une complexité du réel serait des plus dommageable et nous condamnerait à ne pouvoir décrypter les évolutions en cours.

4Après que ce principe a été clairement énoncé, alors seulement il est possible d’étudier les écarts entre les modèles de représentation et la réalité concrète des faits. En n’oubliant jamais le caractère dialectique du lien les reliant. Les modèles de représentation, bien qu’en décalage (très fort) avec la réalité concrète, et pouvant donc apparaître comme des fictions, sont en fait des fictions productrices de réalité sur le long terme historique. Et des grilles très significatives de la mentalité d’une époque.

5L’individu autonome est un modèle de représentation, une fiction, anthropologiquement fausse mais structurant le social. Il en va de même de tous ses attributs, et dans l’espace limité de ce texte, je me bornerai à étudier l’un des plus importants : la supposée rationalité de l’individu, qui est au fondement de l’économie et de la politique.

6Ce que nous appelons modernité n’a peut-être été en fait que la longue préhistoire de la modernité, qui se manifeste désormais, depuis un demi-siècle, de façon beaucoup plus radicale, autour de la réflexivité et de l’individualisation. Les artisans des Lumières se représentaient la Raison comme un savoir positif ; l’expérience nous a appris depuis qu’elle est avant tout une pensée critique, induisant une déconstruction permanente des évidences constituées. Ils se voyaient comme les architectes d’un nouvel ordre du monde intégrant les individus ; ils libérèrent au contraire la force structurante de l’autonomisation individuelle, qui allait s’exprimer dans toute son ampleur quelques siècles plus tard.

7La production cognitive dans ce qu’il est convenu d’appeler la seconde modernité prend un certain nombre de formes typiques autour d’une opposition de deux caractéristiques dont l’une ne va pas sans l’autre. La première, héritière légitime des Lumières, est la pensée critique et la réflexivité, qui envahissent maintenant l’ensemble de la vie quotidienne, transformant cette dernière en un exercice mentalement complexe et fatigant. Nous nous posons des questions à propos de tout. Nous voulons être les mieux informés et prendre la bonne décision dans tous les domaines. Inlassablement, nous réfléchissons, nous évaluons, nous choisissons, choisissons et choisissons encore. Tout se passe comme si la démocratie, qui avait tranquillement commencé à s’installer comme un simple système politique, s’approfondissait désormais dans les plis les plus intimes de la vie personnelle. Hélas, ce beau modèle de l’individu démocratique, réfléchissant à tout et rationnellement maître de son existence, est impossible à vivre dans le concret. L’enfer c’est soi-même quand soi-même pense tout le temps. Et surtout quand il n’arrive pas à décider, trouvant toujours de nouveaux arguments à mettre en débat. L’époque radicalement différente dans laquelle nous entrons se manifeste par un art nouveau, celui consistant à inventer des certitudes. Pour recoller les fragments du sens éclaté. Et pour permettre très simplement les actions les plus ordinaires. Plus la seconde modernité multiplie les informations et ouvre les réflexions, plus les individus ont besoin pour exister de conforter les évidences, leurs petites croyances du moment. Telle est l’autre caractéristique, elle aussi (indirectement) héritière des Lumières, mais beaucoup plus illégitime. La cognition contemporaine est intrinsèquement antagoniste, sans cesse partagée entre séquences de pensée rationnelles et nécessaires productions de certitudes (pour ne pas dire de croyances).

8Quant à l’idée d’un individu pleinement rationnel (qui trouve son origine forte à l’époque des Lumières), elle est l’exemple même d’une fiction fondatrice, certes productrice de réalité sur le long terme historique, mais d’une fiction quand même. La surprise ne devrait d’ailleurs pas être totale ; les Lumières se sont illuminées dans une société encore dominée par la religion. Le sujet parfaitement réflexif est une « créature théologique » marquée par ce contexte, et qui s’épanouit « sous les traits de la pleine présence de l’esprit à lui-même » (Gauchet, 2003, p. 206). Bien que cette fiction ait été fortement créatrice de réalité, elle reste une fiction. Car si l’individu ouvre des séquences de pensée rationnelle (plus ou moins longues et plus ou moins claires), variables selon les situations (acteur rationnel dans l’hypermarché quand il achète un lave-linge, il entre dans un autre régime d’action – la familiarité – ensuite quand il l’utilise chez lui), ces séquences sont extrêmement minoritaires dans l’ensemble de son fonctionnement cognitif. Il est évidemment très difficile de mesurer les différents types de fonctionnement cognitif, et très peu de recherches se sont engagées sur cette voie. Notamment parce que tout ce qui touche à la raison renvoie à des modèles théoriques très abstraits rarement mis à l’épreuve des faits (Caillé, 1989). « L’hypothèse de rationalité ne procède d’aucun fondement empirique » (Caillé, 1995, p. 195). Nous manquons cruellement d’enquêtes. Je m’étais personnellement contenté d’évaluer grossièrement la part du conscient et du non conscient dans l’action ménagère ordinaire. Le résultat était très net : les pensées conscientes de type rationnel étaient quantitativement beaucoup moins importantes (qualitativement bien sûr elles pouvaient être décisives) et pour la plupart ne s’exprimaient d’ailleurs que parce que des conflits entre schèmes incorporés impliquaient des réglages ou à cause de dysfonctionnements divers, et non par un acte volontaire et délibéré. D’une certaine façon la pensée rationnelle s’exprimait surtout par défaut.

9Quant aux modalités cognitives peuplant la seule pensée consciente, là aussi nous sommes très loin de la représentation dominante encore tout imprégnée de la fiction fondatrice. Conscient ne signifie par rationnel. Il faudrait pour le moins établir un dégradé entre l’ordinaire des divers états conscients (plus ou moins conscients), la réflexivité multiforme et la rationalité critique. Or non seulement la stricte rationalité apparaîtrait alors quantitativement minoritaire, mais sans doute aussi la réflexivité pourtant plus vague. L’individu ne peut qu’occasionnellement adopter une véritable position scientifique, rationnelle, critique, dans sa vie de tous les jours. « L’idéal de rationalité n’est pas, et ne peut être, une caractéristique essentielle de la pensée quotidienne » (Schütz, 2007, p. 54). Thomas Metzinger (2000) oppose modèles scientifiques et modèles perceptifs de la réalité. Pour la science par exemple les couleurs n’existent pas en tant que telles et peuvent être expliquées par des formules mathématiques. Pourtant nous vivons dans le « réalisme naïf » (p. 3) d’un monde coloré. Et il ne peut en être autrement. La représentation de soi s’inscrit dans un monde cohérent et simplifié, dont la confusion et les ambiguïtés ont été considérablement réduites (Metzinger, 2003). Dans une situation ordinaire, toute information dissonante qui ne serait pas filtrée deviendrait une « information destructive » (Goffman, 1973, p. 137). La réduction de la complexité du réel est une composante centrale de la construction de soi. Or la pensée critique se développe dans une logique exactement inverse, et ne peut donc s’imposer sur le devant de la scène subjective que dans quelques contextes bien marqués. Ou rester en arrière-plan quand elle ne peut être effacée, car l’individu baigne dans un environnement toujours plus large et prégnant de « scientificisation réflexive » (Beck, 2001, p. 347). Tout en étant donc attentif aux informations diverses qui l’assaillent, son activité cognitive principale consiste néanmoins nécessairement à reconstituer la totalité significative à chaque instant, par la formation, souvent fugace et intuitive, de certitudes et petites croyances, laïques et magiques. Ou parfois par des engagements religieux plus soutenus, redéfinis par l’exigence contemporaine de sens. « La croyance en vient à se poser sous le signe de l’identité » (Gauchet, 1998, p. 96). Le soi commence par la croyance en soi, l’identité est fondamentalement une production mythologique (Messu, 2006).

10Au niveau du fonctionnement cognitif individuel, la réflexivité de type rationnel ne s’inscrit donc que dans des séquences limitées, contrastant avec l’affirmation forte de certitudes et autres croyances personnelles. Au niveau public, nous assistons moins à une succession de séquences contrastées qu’à une réduction de la portée de la rationalité. La Raison avait été pensée par les Lumières comme un savoir positif. Elle révéla au contraire sa portée critique et indéfiniment déconstructrice. La Raison ne pouvait fonder le social. Elle fut donc réduite à des modalités plus maîtrisables, dont les techno-sciences donnent un bon exemple aujourd’hui (Klein, 2008). La plus importante étant la réduction à l’intérêt économique, fondée sur une vision de l’individu non plus rationnel mais simplement calculateur (et égoïste). Processus dont Albert Hirschman (1980) a décrit les étapes (notamment au XVII^e siècle) de façon très stimulante, en soulignant la montée progressive de la notion d’intérêt.

11Pour les grands commis de l’État, et par rapport à la Raison, l’intérêt façonnait « une personnalité humaine moins luxuriante, moins imprévisible et en fin de compte plus “unidimensionnelle” » (idem, p. 119), il dégagea un horizon social stabilisé, mesurable, maîtrisable. Des hommes guidés par l’intérêt permettaient à l’État de développer une rationalité opératoire. Pour les conseillers du prince, le concept et son arrière-plan obligé (le développement des échanges marchands) était le « moyen d’éviter l’effondrement de la société » (idem, p. 117), le nouvel outil de structuration de la cohésion sociale.

12Le capitalisme évidemment ne se fit pas prier pour occuper la place qui lui était offerte. Il n’attendait que cela, avide de libérer l’énergie transformatrice qui était en lui. Mais il n’aurait pu le faire s’il n’avait été positionné ainsi au cœur du politique par le politique lui-même. Albert Hirschman souligne ce point important : la révolution capitaliste n’est pas venue de contestations extérieures à l’ordre ancien, mais de l’intérieur, des conseillers du prince et des grands commis de l’État. D’une manière très pragmatique et discrète, par l’introduction de l’intérêt au centre de la machinerie sociale.

13Rares sont ceux qui, comme Tocqueville, notèrent que le goût des jouissances matérielles peut se développer « plus rapidement que les lumières et que les habitudes de la liberté » (cité par Hirschman, p. 111). Au siècle des Lumières justement, la Raison majuscule semblait pouvoir s’harmoniser naturellement avec son équivalent pratique régulant le commerce des hommes. Le commerce : parallèlement à l’intérêt, ce terme flou avait une double signification. Outre les échanges marchands, « commerce » désignait aussi les conversations et relations de politesse. Montesquieu n’eut donc pas à se forcer pour évoquer les « douceurs » du commerce. L’esprit des lois développe bien sûr d’autres propositions pour préserver le pays du despotisme. Mais les passages sur le commerce sont particulièrement clairs. « […] C’est presque une règle générale, que partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce ; et que partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. » L’amour de l’argent est une passion modérée, un désir tranquille contrastant avec les fureurs guerrières, un contre-poison idéal à la folie dévastatrice de possibles tyrans. Un siècle plus tard, Marx aura beau jeu de railler le « doux commerce » et de dénoncer sa violence inhumaine, la misère du peuple, le travail des enfants. Mais avant cela la perception était très différente, et installait secrètement l’économique comme pivot du politique. En canalisant l’action humaine, et en réduisant la raison à l’intérêt, le doux commerce était vu comme pouvant conjurer les risques d’ingouvernabilité. En réduisant les passions humaines à des paramètres calculables, de rendre possible la maîtrise de l’avenir. « En somme on demandait au capitalisme d’accomplir très exactement ce qu’on présentera bientôt comme le pire de ses méfaits » (ibid., p. 119).

14L’économique, le politique et le scientifique se présentaient en prétendants au remplacement de la religion comme axe organisateur du nouvel ordre du monde ; rien n’était écrit à l’avance. Officiellement, la Raison sembla occuper cet avant- poste, et commença effectivement son travail progressif d’infiltration subversive du corps social par la réflexivité. Concernant la conduite directe des affaires communes cependant, elle était un outil trop abstrait, et s’assujettit logiquement au politique, qui lui-même se structura autour d’un capitalisme qui n’allait pas tarder à imposer son auto-régulation, théorisée par Adam Smith. L’économie de marché, bien entendu, n’est pas une pure invention du politique. Elle existait déjà, active et calculatrice, dans certaines villes italiennes et flamandes du Moyen Âge. Mais jusqu’au XVII^e siècle, elle ne régnait encore que sur « des secteurs très limités d’échanges, la finance, le commerce international, minces pellicules à la surface » (Castel, 1995, p. 202). Elle fut choisie comme instrument de gouvernement bien avant de dominer la société. Elle ne domina la société que parce qu’elle avait été choisie comme instrument de gouvernement. Elle ne put s’établir que parce que la représentation de l’individu avait été fixée sur l’individu rationnel, et la Raison réduite à l’intérêt. Donnant ainsi une forme caractéristique, non exclusive mais centrale, au processus d’individualisation.

15L’analyse des modèles de représentation de l’individu me semble essentielle pour mieux comprendre comment se structure le processus d’individualisation. Nous avons tout particulièrement intérêt, il me semble, à nous tourner vers l’histoire, pour étudier les conflits entre modèles, qui furent nombreux et violents. L’instauration d’une sphère privée relativement coupée de la sphère publique, et régie par d’autres règles de fonctionnement, résulte ainsi à mon avis de l’échec de diverses tentatives (sectes chrétiennes, utopies amoureuses, romantisme allemand) pour imposer centralement un autre modèle de représentation. Non pas fondé sur la raison froide et distante, encore moins sur le calcul égoïste, mais sur l’engagement sensible, voire amoureux, générateur de lien social. Les catégories amoureuses que nous utilisons comme des évidences sont le produit d’une histoire, ignorée ou fortement réécrite. Les déconstruire est un préalable, bien sûr pour une recherche sur l’amour, mais aussi, c’est ce qui nous intéresse ici, pour une recherche sur l’individualisation, qui doit s’interroger sur les modèles de représentation marginaux et alternatifs. Comment se forment des modèles de représentation qui gouvernent une société ? Il me semble notamment du plus grand intérêt d’analyser le combat acharné qui fit rage entre deux modèles opposés (l’individu calculateur et l’individu sensible), combat d’autant plus crucial à l’ère de l’individualisation de la société. Les Lumières avaient accouché d’une utopie magnifique, la Raison, qui hélas ne s’incarna que dans une vision très réductrice (la raison économique de l’individu calculateur) comme modèle central de structuration du social. Contre ce réductionnisme froid et sec, les tentatives pour imposer le contre-modèle de l’individu sensible ne débouchèrent que sur des échecs, parfois sanglants. Excepté la fondation d’un monde privé, séparé de l’univers public. La situation d’aujourd’hui révèle un clivage véritablement schizophrénique. Car entre l’univers public et l’univers privé, le modèle de l’individu est contradictoire.

16Alors que pour toutes une série de raisons (notamment le besoin signalé plus haut de se refermer sur une croyance en soi-même) l’expression émotionnelle et sentimentale ne cesse de s’amplifier, le modèle de l’individu froidement calculateur n’a jamais été aussi prégnant au centre de la société, et va même jusqu’à s’insinuer dans les domaines les plus intimes. Cette réduction de l’autonomie individuelle à l’individu calculateur crée actuellement à l’évidence une insatisfaction généralisée. Et pose des questions majeures et urgentes aux sciences sociales.

17Danilo Martuccelli signalait également dans son intervention au colloque1 combien la perspective des pays du Sud pouvait être importante actuellement pour questionner la forme particulière qu’avait prise le processus d’individualisation à travers le monde, dominé par l’Occident. Mais l’histoire des échecs des diverses utopies amoureuses montre aussi que des alternatives ne sont pas simples à instituer, et qu’elles dégénèrent souvent en limites fixées à l’action des individus (par exemple concernant la place des femmes dans un certain nombre de propositions venant de cultures traditionnelles du Sud). Les bonnes intentions ne suffisent pas. Car bien que les formes prises aujourd’hui soient réductrices, insatisfaisantes et inégalitaires, elles répondent à une profonde aspiration à l’autonomie individuelle désormais solidement établie et ne souffrant pas qu’on la bâillonne. Telle est la contradiction de notre époque.