1Un large pan de l’historiographie s’attache presque uniquement à énumérer les entorses qu’Auguste a infligées aux institutions républicaines pour conclure que ce prince les a perverties à un point tel qu’il a fait disparaître la Res publica. Ce point de vue laisse de côté un certain nombre d’éléments qu’il faut prendre aussi en compte. Il reste en effet que le syntagme de Res publica continue d’être utilisé durant tout l’Empire en Occident pour viser l’état impérial. Il reste surtout qu’une large fraction de la société politique romaine de son temps a reconnu à Octave Auguste des vertus exceptionnelles et le mérite, que celui-ci soit réel ou non, d’avoir rétabli le jeu régulier des institutions républicaines ; a dans cette mesure admis que celui-ci pût diriger seul la cité de Rome de par son auctoritas supérieure à toute autre ; a donc tenu sa prééminence pour pleinement légitime.

2Dès lors, la légitimité du prince romain s’appuie durant tout l’Empire sur ses vertus proclamées, sur l’idée qu’il agit en vue du « salut public » et au service de la Res publica qu’il « administre », sur l’affirmation qu’il tire son auctoritas de celle du droit, tout délié des lois qu’il puisse être en fait et même semble-t-il en principe dès le début du III^e siècle. Dans cette perspective, le prince affirme lui-même au V^e siècle être pleinement digne de majesté pour autant qu’il se déclare lié par les lois. La conversion de l’Empire au christianisme a teinté cette idéologie de couleurs chrétiennes ; elle l’a infléchie sur certains plans, ajoutant ainsi l’humilité aux vertus traditionnellement attendues chez un bon prince ; elle l’a transformée sur d’autres, posant en particulier le problème de la place du prince, jusque-là chef de la religion romaine traditionnelle, au sein de l’Église. Les contributions de la première partie ont dans leur ensemble montré que l’idéologie fondatrice du principat, telle que le haut Moyen Âge l’a héritée de l’Empire romain chrétien, semble avoir continué à s’exprimer en Occident durant toute la période médiévale.

3On sait par ailleurs grâce aux travaux du grand historien allemand disparu, K. F. Werner, que le prince romain chrétien assume des prérogatives précises et concrètes. Celles-ci comportent principalement le maintien de la paix et de la sécurité publiques, la distribution des honores, les « charges publiques » majeures. Cette dernière prérogative vaut ainsi à l’empereur, dans une source officielle du début du VI^e siècle, d’être désigné par un roi d’origine barbare régnant en Gaule fons honorum, « source des honores », en tant que source unique des charges publiques de rang élevé1. Werner qui a fait du principat un thème majeur de ses recherches a aussi insisté sur le fait que l’empereur chrétien a reçu en héritage du premier prince chrétien Constantin certaines attributions importantes à l’égard de l’Église et des évêques, ainsi en premier lieu la prérogative que lui reconnaissent ces derniers de pouvoir convoquer un concile, voire d’y siéger. Une telle prérogative est évidemment de très grande importance pour la vie de l’Église mais aussi pour la définition même du régime qu’est le principat.

4Ces principes fondateurs du principat ont d’abord été exprimés dans l’Empire païen ; ils ont ensuite été affirmés sous une forme chrétienne durant l’Empire dès le temps de Constantin ; ils ont enfin été repris par les princes d’origine barbare, ainsi les rois francs, gouvernant les royaumes issus de la dislocation territoriale de l’Empire en Occident. Ces principes ont-ils un retentissement sur la forme réelle du pouvoir du gouvernant tenu pour un prince ? Que signifie concrètement pour les rois des royaumes barbares de l’ancienne partie occidentale de l’Empire d’être désignés ou de se désigner eux-mêmes comme princeps ? Les attributions du prince romain chrétien ont-elles pu se maintenir en tout ou en partie au sein des royautés romano-barbares ? C’est notamment à ces questions que les contributions de cette deuxième partie s’efforcent d’apporter des réponses.

5La première de ces questions implique un va-et-vient constant entre idéal affirmé et réalité du pouvoir exercé. Elle prend d’autant plus de relief qu’elle se situe dans un contexte politique dans lequel un autre régime est proposé en idéal alternatif de gouvernement des hommes, ainsi dans l’Italie des XIII^e-XV^e siècles par exemple où sont confrontées, en un affrontement militaire aussi bien qu’idéologique, les principautés et les républiques.

6La seconde implique d’observer du plus près les occurrences dans lesquelles le terme de princeps est utilisé, de déterminer s’il est un simple synonyme du titre royal ou si au contraire il apporte au gouvernant qui en est paré un atout politique supplémentaire. Les royaumes chrétiens d’Espagne d’avant l’an mil constituent un bon champ d’étude : les actes de la pratique laissent alors apercevoir un accroissement significatif de l’emploi du terme de princeps pour désigner le roi ; ce terme concurrence alors ou plutôt est ajouté au titre royal. Une des contributions de cette partie s’interroge sur cette évolution et en propose une interprétation.

7On sait qu’une historiographie largement diffusée et admise tient la disparition politique de l’Empire en Occident pour une rupture si considérable qu’elle aurait entraîné la destruction presque complète des traditions publiques romaines. La Gaule mérovingienne du VII^e siècle offre donc un terrain d’analyse fécond pour l’historien qui s’intéresse à la nature du principat franc dans ses rapports avec l’Église comme avec les grands laïcs.

8On voit que cette deuxième partie donnera, sous divers angles et dans un champ géographique englobant l’Italie, l’Espagne, la Gaule, c’est-à-dire une part significative de l’ancienne partie occidentale de l’Empire, un aperçu riche de diversité sur le principat médiéval du VII^e au XV^e siècle.