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France-Hongrie au Parlement sous la Ve République : histoire d’une amitié

p. 177-186


Texte intégral

1« Les groupes d’amitié constituent un instrument privilégié de la politique de relations des assemblées internationales et l’un des relais parlementaires de la politique étrangère » : telle est la définition donnée par le Parlement français dans un document administratif sur « les actions de coopération internationale du Parlement », à l’occasion d’un colloque organisé par les deux assemblées sur « La diplomatie parlementaire » en 20011. Apparus dans l’entre-deux-guerres à l’Assemblée nationale, les groupes d’amitié ont été reconnus tardivement par le Bureau des deux Assemblées : ainsi, à l’Assemblée nationale, ce n’est qu’en 1959 que leur existence est explicitement reconnue et en 1981 que leur organisation est réglementée2. L’immense majorité des groupes a été créée depuis les années 1960. Aux plus anciens comme France-Grande-Bretagne, France-États-Unis ou France-URSS sont venus s’ajouter des groupes liant actuellement le Sénat à 78 états du monde et l’Assemblée nationale à 1733.

2Les groupes France-Hongrie sont nés tardivement – 1975 au Sénat, 1976 à l’Assemblée nationale –, longtemps après les groupes liant la France aux autres pays d’Europe centrale. Cela s’explique par les relations souvent difficiles entre la France et la Hongrie au XXe siècle, marquées par des engagements opposés dans les deux guerres mondiales et le souvenir douloureux pour les Hongrois du traité de Trianon de 1920.

3Force est de constater que les groupes d’amitié apparaissent fort peu dans l’histoire de la politique étrangère française alors que l’Assemblée nationale affirme sur son site qu’« ils sont également des acteurs de la politique étrangère de la France et des instruments du rayonnement international de l’Assemblée nationale4 ». Pendant longtemps, les groupes n’ont guère suscité l’attention des politistes et des historiens mais un réveil s’est amorcé récemment5.

4Étudier les groupes France-Hongrie a le double objectif de contribuer à l’histoire d’une diplomatie parlementaire encore balbutiante et à l’histoire des relations franco-hongroises dans la seconde moitié du XXe siècle encore pauvre du côté des historiens français6. Il faudra, d’abord, reconstituer l’histoire des groupes et dresser un portrait des parlementaires « amis » de la Hongrie. Puis, évaluer, grâce à l’étude de leurs activités, leur participation aux relations franco-hongroises en s’interrogeant sur la place occupée par les groupes dans la politique étrangère de la France envers la Hongrie.

Les « amis » de la Hongrie au Parlement

5Pour faire l’histoire des groupes d’amitié France-Hongrie, l’historien bénéficie de sources parlementaires. Les rapports de missions parlementaires publiés sont rares, irréguliers et n’émanent généralement pas des groupes mais plutôt des commissions parlementaires7. Les archives des groupes sont inégales : riches au Sénat, modestes à l’Assemblée nationale8. Les témoignages d’acteurs tels que les secrétaires exécutifs des groupes – fonctionnaires des assemblées – et de présidents des groupes sont intéressants pour les années les plus récentes9. À ces sources s’ajoutent d’autres archives comme celles de la présidence de la République et celles d’un parti politique, le parti socialiste, qui a manifesté dès le milieu des années 1970 beaucoup d’intérêt pour la Hongrie10. L’abondance et la diversité des sources ne doivent pas masquer leurs manques et l’étude concernera surtout la Haute Assemblée tout en restant lacunaire sur plusieurs facettes de la vie des groupes.

6Ainsi, les actes de naissance des groupes d’amitié France-Hongrie n’ont pas pu être retrouvés mais l’existence des groupes, dans les deux chambres, est attestée en 197611. Il est à peu près sûr que les groupes sont nés simultanément au Parlement en 197512. Le contexte n’est pas sans importance : dans les relations Est-Ouest, c’est l’année de la conférence d’Helsinki et de l’Acte final de la CSCE.

7Si l’organisation des groupes est fixée par les règlements du Parlement, il n’en est pas de même de la composition des groupes à l’exception de la présidence et du bureau. À l’Assemblée, les groupes sont renouvelés après chaque élection législative. Ce sont les représentants des groupes politiques qui se répartissent entre eux, en proportion de leurs effectifs, les présidences des groupes d’amitié. Les groupes politiques désignent ensuite les titulaires de ces présidences. Les vice-présidences suivent la même règle proportionnelle13. Au Sénat, les groupes sont reconstitués après chaque renouvellement triennal. Chaque groupe politique dont un ou plusieurs membres ont adhéré au groupe d’amitié doit être représenté à son bureau par au moins un membre. Lors de la désignation du bureau du groupe, le président est élu puis sont nommés les autres membres du bureau14.

8La liste des présidents des groupes d’amitié France-Hongrie a pu être globalement reconstituée, sans certitude chronologique toutefois. Elle montre de fréquents renouvellements, en partie seulement liés aux alternances politiques et une représentation politique correspondant aux principaux groupes des assemblées, avec une forte domination des groupes socialiste et gaulliste15.

9Au Sénat, les effectifs du groupe sont restés stables entre la création et 1989 soit autour de soixante avant d’osciller entre une vingtaine et une petite quarantaine. Le déclin peut s’expliquer par la multiplication des groupes qui donnent aux sénateurs une « offre » plus large, par le changement politique en Hongrie et par l’évolution politique de la Haute Assemblée. Le recul de la gauche au profit du RPR puis de l’UMP a sûrement une incidence dans la mesure où les élus communistes et socialistes fournissaient de gros contingents au groupe. Au moins 250 sénateurs ont appartenu au groupe d’amitié France-Hongrie depuis 1977. Si la plupart ne restent que le temps d’un triennat, quelques-uns demeurent membre toute la durée de leur mandat et une vingtaine adhère au groupe plus longtemps, au moins une douzaine d’années dont, pour les plus « fidèles », Danielle Bidard (PCF, Seine-Saint-Denis), Jean-Pierre Cantegrit (centriste, Français hors de France) et Jean Puech (UREI, Aveyron)16. À l’Assemblée nationale, le groupe comptait 31 membres durant les XIe et XIIe législatures (1997-2007) et a 40 membres depuis 2007. Un petit nombre reste plus d’un mandat au sein du groupe d’amitié (P. Albertini, UDF, Seine-Maritime ; Jean-Yves Besselat, RPR, Seine-Maritime ; Jean-Michel Ferrand, RPR, Vaucluse ; Claude Gatignol, DL, Manche ; Jacques Godfrain, RPR, Aveyron ; Georges Hage, PCF, Nord ; Jean-Claude Mignon, RPR, Seine-et-Marne, Rudy Salles, NI, Alpes-Maritimes. Sur trois législatures, la composition du groupe au Palais-Bourbon révèle les mêmes caractéristiques qu’au Sénat : diversité politique (tous les groupes politiques sont représentés mais les députés de droite dominent nettement, y compris au temps de la « gauche plurielle » entre 1997 et 2002), et diversité des départements représentés (au moins une vingtaine pour chaque législature).

10Cette approche – même sommaire – permet d’affirmer qu’il ne faut rechercher aucune cohérence, aucun rationalisme dans la composition des groupes d’amitié France-Hongrie. Les présidents comme les membres adhèrent – moyennant cotisation au Sénat – en fonction d’un choix personnel qui peut s’expliquer parfois – très rarement, semble-t-il – par un intérêt particulier, motivé pour la Hongrie, et le plus souvent par le hasard des places disponibles lors de la formation et des renouvellements des groupes d’amitié17. Cette absence de « rationalité » ne doit pas être oubliée quand il s’agit d’apprécier les activités des groupes d’amitié. À l’Assemblée, le rôle des groupes d’amitié a été défini en 2001 comme « en pleine évolution », distinguant les « échanges traditionnels » et « les activités nouvelles en relation directe avec la vie internationale et la politique étrangère de la France », tandis qu’au Sénat, est évoquée « une diversification18 ». En réalité, l’activité d’un groupe dépend essentiellement de l’état des relations diplomatiques entre les deux États ; de l’investissement du président du groupe et de celui du secrétaire exécutif19. Financièrement, les groupes n’ont pas de budget dédié – même si, au Sénat, les cotisations fournissent une recette régulière – mais sollicitent, au cas par cas, l’administration des assemblées pour leurs activités afin d’obtenir les subventions nécessaires20.

11Qu’en est-il pour France-Hongrie ?

Acteurs des relations franco-hongroises

12La qualité et l’intensité des activités des groupes dépendent beaucoup – il faut le répéter – de deux personnages-clés pour chaque groupe : son président et son secrétaire administratif ou exécutif. L’action des Amis de la Hongrie au Parlement se décline en deux grands types d’ambition, d’ampleur et de portée différentes : l’entretien d’échanges pour une meilleure connaissance réciproque, dans lesquelles le politique a peu de place ; le désir de contribuer, par une « diplomatie parlementaire » aux relations politiques franco-hongroises.

Les « échanges traditionnels »

13Trois types d’échanges peuvent être distingués, non spécifiques à France-Hongrie : les rencontres entre Français et Hongrois à l’occasion de voyages ou de moments de convivialité autour d’une table ; l’information transmise à la Hongrie sur l’organisation française de l’administration, de la justice ou de la santé, par exemple ; les manifestations en faveur de l’amitié entre les deux pays, sous la forme d’événements culturels ou sportifs, ou d’aide individuelle apportée aux Hongrois en France.

14Les voyages d’une délégation de députés ou sénateurs français en Hongrie ou l’accueil de parlementaires hongrois en France constituent les activités les plus traditionnelles et les plus visibles des groupes d’amitié. De mauvais esprits n’hésitent pas à insinuer que la perspective de tels déplacements, une forme de « tourisme parlementaire », n’est pas la moindre motivation dans l’adhésion à un groupe d’amitié. Si une telle explication ne peut être totalement exclue – bien qu’il y ait des destinations plus exotiques que la Hongrie –, elle se heurte dans la réalité à une organisation très réglementée de ces voyages quant à leur fréquence, leur durée, leur financement et leurs participants. Ces déplacements n’ont pas de régularité : ils dépendent beaucoup du dynamisme des présidents des groupes et des opportunités, dont les invitations du groupe d’amitié Hongrie-France au Parlement hongrois. Leur fréquence est d’environ un voyage en Hongrie par législature pour les députés et un tous les trois ou quatre ans pour les sénateurs21. La durée des visites est courte (3 ou 4 jours). Le coût des voyages est parfois partagé entre la France (transport aérien) et la Hongrie (hébergement et restauration). Par personne, les dépenses représentent en moyenne 1 124 euros dans les années 1990 et 2 048 euros dans la première décennie du XXIe siècle, soit des sommes plutôt modestes par comparaison avec les voyages présidentiels22. Les parlementaires français accueillent à peu près aussi régulièrement une délégation d’élus hongrois. Ces déplacements sont généralement organisés de façon similaire avec des entretiens entre parlementaires, hauts fonctionnaires et représentants de la communauté française ou hongroise, acteurs des relations économiques et culturelles. De plus en plus au fil du temps, en particulier depuis 1989 et plus encore à partir du début de la marche de la Hongrie vers l’entrée dans l’Union européenne, les voyages ne se limitent pas à la capitale : une visite d’un département – choisi parce que c’est celui du président du groupe ou parce qu’il est représentatif – ou de la région viticole de Tokai en Hongrie « particulièrement prisée des investisseurs français » – est incluse dans le programme23. Cet exemple est révélateur, de plus, de la part croissante des questions économiques dans les rencontres entre les groupes d’amitiés.

15Plus fréquemment, les amis de la Hongrie au Parlement rencontrent des personnalités hongroises à Paris : un cocktail ou un petit-déjeuner est organisé en l’honneur de dirigeants hongrois. Au moins une fois par an, un déjeuner de travail est offert à l’ambassadeur ou à un visiteur de marque hongrois de passage en France. Ces moments sont des occasions d’échanges conviviaux sur les relations franco-hongroises ou entre les années 1990 et 2004 sur la marche de la Hongrie vers l’Union européenne.

16Plus ponctuellement, les groupes d’amitié servent de relais à des responsables politiques ou administratifs hongrois désireux de s’informer sur certains aspects du système français dans des domaines comme la santé, les collectivités territoriales ou l’éducation. Le secrétaire du groupe constitue alors le principal interlocuteur pour les amis hongrois. À titre d’exemple, à l’Assemblée nationale, le groupe répond à la demande d’« Initiatives France-Hongrie », qui accueille une délégation de la commission des collectivités locales et du développement des territoires de l’Assemblée nationale hongroise. La délégation « a souhaité rencontrer des parlementaires “locaux” français afin d’avoir une approche pratique de la structure et du développement des communautés de communes ou d’agglomérations » et de « savoir quelles concertations et partenariats institutionnels et financiers seraient nécessaires pour la mise en œuvre d’une réforme du paysage institutionnel en Hongrie24 ».

17Les groupes d’amitié sont à l’origine aussi, ou partenaires au moins, d’événements culturels ou sportifs franco-hongrois, à Paris le plus souvent, à Budapest parfois. Cela peut prendre plusieurs formes : la projection d’un film, l’organisation d’une exposition ou d’un colloque, souvent en collaboration avec l’Institut hongrois de Paris. Ce type de manifestations s’accélère à compter de 1990, avec le souci évident après la chute du Mur, de mieux faire connaître la Hongrie désormais plus proche de l’Europe en construction25. Les thèmes choisis mêlent actualité et histoire hongroises. Ainsi, en 1985, à l’initiative du groupe du Sénat, des projections d’un documentaire historique, « Évasion en Hongrie » et de deux longs métrages hongrois, « Paradis provisoires » et « Colonel Redl » sont présentées au Sénat. La Haute Assemblée organise aussi un colloque en 1996 sur « Budapest 1956-1996 » puis en 2001 sur « Mille ans de relations franco-hongroises » tandis que le groupe d’amitié participe, à l’Assemblée nationale en 1994, à un colloque sur « Journalisme et démocratie en Europe centrale et orientale ». En 1998, en association avec le Centre interuniversitaire d’études hongroises (CIEH) de Paris III et le Groupe d’analyse des stratégies internationales (Marne-La-Vallée), le groupe d’amitié sénatorial organise un colloque consacré à « 1988-1998 : dix années de transition en Hongrie ». En 2001, les amis de la Hongrie au Sénat, sur l’initiative de l’Institut hongrois, organisent une exposition sur les plus belles cartes géographiques anciennes de la Bibliothèque Széchényi. En 2000, à l’occasion de la venue d’une délégation de parlementaires hongrois à Paris, une rencontre interparlementaire de… football est organisée et « l’équipe de football du Sénat a battu par 1 à 0 l’équipe du Parlement hongrois26 » ! Très différents et très discrets mais sûrement plus fréquentes sont les soutiens apportés par les amis de la Hongrie à des citoyens hongrois en France, à des couples ou à des familles franco-hongroises. L’aide prend des formes diverses selon qu’elle concerne une recherche d’emploi, un souci juridique, un projet entrepreneurial, etc27.

18Les activités des groupes France-Hongrie, aussi intenses soient-elles, vont-elles jusqu’à participer à la politique étrangère de la France, à l’histoire des relations diplomatiques entre les deux états ?

Un relais pour la politique étrangère de la France ?

19Force est de souligner le parallèle entre le réchauffement des relations diplomatiques franco-hongroises et l’histoire des groupes d’amitié. Les amis de la Hongrie apparaissent, au Parlement, au temps d’une phase de rapprochement franco-hongrois marquée, en amont, au temps du général de Gaulle et de G. Pompidou, par la première visite d’un chef de gouvernement hongrois en France – Jeno Fock en 1968 – et d’un Premier ministre français à Budapest – P. Messmer en 1973. Le poids du passé – et pas seulement des événements de Hongrie en octobre 1956 – reste encore très fort comme en témoigne Messmer : « il y est très peu question du communisme. Les dirigeants hongrois et d’abord Janos Kadar, chef du gouvernement et premier secrétaire du parti, me parlent de la Transylvanie attribuée à la Roumanie par le traité de Trianon, dont ils rendent la France responsable28 ». Les années 1970 marquent une nouvelle étape symbolisée par des rencontres de dirigeants au plus haut niveau (R. Barre en Hongrie en 1977, J. Kadar en France en 1978). Les années 1980 correspondent au couronnement de ce rapprochement avec le voyage de Mitterrand, le premier d’un chef d’État français, en Hongrie en 1982 et une seconde visite de J. Kadar en France en 198429.

20Le rôle des amis de la Hongrie au Parlement n’est pas négligeable dans le choix du président Mitterrand de se rendre en Hongrie en 1982, au-delà du bon contact noué entre F. Mitterrand et J. Kadar depuis 1976, comme en témoigne Pierre Joxe, président du groupe d’amitié à l’Assemblée nationale, lors d’une mission à Budapest en avril 1982 :

« François Mitterrand avait à choisir entre quatre invitations de pays socialistes. S’il a choisi la Hongrie, ce n’est pas sans raison ; c’est parce qu’il estimait que dans votre pays, il n’existe pas de problème en ce qui concerne le respect des droits de l’homme. D’autre part, nous savions déjà avant notre venue et nous le constatons plus maintenant, la Hongrie constitue un cas particulier dans l’ensemble des pays socialistes30. »

21Les groupes d’amitié sont associés, en la personne de leur président, aux voyages présidentiels de 1982 et 1990. Cela ne signifie pas pourtant qu’ils jouent un rôle politique. Quelques-uns de leurs membres, les plus fidèles au groupe et bien sûr les présidents, peuvent mettre au service de la présidence de la République ou de l’ensemble du Parlement, leur connaissance du pays et surtout des hommes politiques. Ainsi, le sénateur Gérard Larcher est ami de longue date avec Sandor Lezsak, président du Forum démocratique hongrois (MDF), parti conservateur, un des grands partis hongrois dans les années 1990 qui exerce, aujourd’hui, une responsabilité proche de celle de G. Larcher – président du Sénat depuis 2008 – puisqu’il est l’adjoint du président de l’Assemblée nationale hongroise depuis 2010. Un autre exemple des contacts qui peuvent se nouer entre acteurs politiques des deux pays est fourni par la rencontre, à l’Assemblée nationale, en novembre 2008, entre le groupe d’amitié et le ministre de l’Économie hongrois, le socialiste Gordon Bajnai qui devient quelques mois plus tard, en avril 2009, premier ministre.

22De ces rencontres, de ces échanges, de ces liens naissent ou se développent des initiatives économiques ou politiques, certes modestes mais non négligeables par les perspectives ouvertes ou les choix qu’elles expriment. Des amis de la Hongrie au Sénat ont, par exemple, diffusé à tous les sénateurs des propositions de la Chambre de Commerce de Hongrie pour la création de sociétés mixtes hungaro-françaises ou informé le Sénat sur la réalité des difficultés quotidiennes rencontrées par la minorité hongroise de Transylvanie31.

23Cependant, le rôle diplomatique des groupes France-Hongrie reste restreint et l’apprécier nécessite de distinguer deux temps principaux, avant et après 1989. Au sein de chacune de ces périodes, deux autres phases se succèdent. Entre le milieu des années 1970 et 1982, les groupes ont une activité modeste mais accompagnent l’amélioration des relations officielles entre France-Hongrie. Entre 1982 et 1989, ils servent à conforter l’image d’une Hongrie « cas particulier », pays le plus « fréquentable » à l’Est. De 1989 à 2004, les groupes ont participé à l’euphorie qui a suivi le changement politique et à la marche vers l’adhésion à l’Union européenne. Depuis 2004, leur rôle s’est amoindri malgré les efforts pour l’aide à l’implantation économique française en Hongrie. Peut-être faut-il voir partiellement ce ralentissement comme le résultat d’un sentiment de « mission accomplie » avec l’ancrage de la Hongrie dans l’Union européenne ?

*

24Apprécier la place des groupes France-Hongrie dans les relations entre les deux états n’est pas chose aisée car les sources françaises disponibles ne rendent compte que de la part la plus visible des activités. De plus, seule la consultation des sources hongroises permettrait de connaître le retour d’image et d’influence. Il apparaît toutefois que le bilan des groupes d’amitié ne peut faire l’objet d’une appréciation unique tant les activités ont connu une évolution tout sauf linéaire. Le dynamisme est toujours lié à l’investissement du président du groupe et il est accru conjoncturellement par des moments forts (une commémoration, un voyage officiel, l’adhésion à l’UE, etc.). Une des innovations les plus marquantes est constituée par l’intérêt croissant accordé aux relations économiques à partir des années 1990 principalement, diversifiant les activités au-delà du culturel et de la sociabilité. Le rôle des groupes est rarement autonome et il est lié aux sollicitations ou collaborations extérieures comme celles de l’Institut hongrois de Paris ou l’Association France-Hongrie, voire des associations de jumelages. L’absence de continuité reste une des faiblesses dans l’action des groupes et une des causes majeures de leur faible lisibilité. Cela tient à la fois aux changements des membres, à l’inertie parfois et peut-être surtout à la place très modeste accordée au Parlement dans la diplomatie de la France.

Notes de bas de page

1 Assemblée Nationale-Sénat, La diplomatie parlementaire 23 mai 2001, Paris, 2001, p. 195.

2 Philippe Bourassé, « Le Parlement français et les relations internationales », AFRI, 2006, p. 412-413. La dénomination a varié au fil du temps : si l’appellation « groupe d’amitié » subsiste à l’Assemblée, au Sénat, elle est remplacée en 1999 par « groupe sénatorial d’amitié » puis en 2001 par « groupe interparlementaire ».

3 Site du Sénat (www.senat.fr) et site de l’Assemblée nationale (www.assemblee-nationale.fr).

4 Ainsi, ils ne sont pas mentionnés dans les pages consacrées au rôle du Parlement dans la politique étrangère française dans la belle synthèse de Maurice Vaïsse, La puissance ou l’influence ? La France et le monde depuis 1958, Paris, Fayard, 2009.

5 En témoignent, à titre d’exemples : le mémoire de Stéphane Billac, Les groupes interparlementaires d’amitié, IEP Aix-en-Provence, 2009, 101 p., et la journée d’études organisée par l’Institut historique allemand de Paris, le Réseau international des jeunes chercheurs en histoire de l’intégration européenne (RICHIE) et le Comité d’histoire parlementaire et politique (CHPP) sur La diplomatie parlementaire en France après 1945. Les actes ont été publiés dans Parlement(s) Revue d’histoire politique, 2012, no 17.

6 Du côté français : quelques articles dont ceux de Chantal Morelle, « Les relations franco-hongroises à l’époque du général de Gaulle », Revue d’histoire diplomatique, 1998, no 1, et « La Pologne et la Hongrie dans la diplomatie française (1958-1969) », Cahiers de la Fondation Charles de Gaulle, 1999, no 6, p. 134-144, et Bernard Lachaise, « Le voyage de François Mitterrand en Hongrie en 1990 », Ot Kontinens, Eotvos Lorand Tudomanyegyetem, Budapest, 2009, p. 63-74. Du côté hongrois, Majoros Istvan, « Les relations franco-hongroises (1956-1964) », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1996/3-4, p. 75-79 et surtout les travaux de Zoltan Garadnai, L’histoire des relations diplomatiques hungaro-françaises 1945-1966 (2001) ; Gusztav Kecskès, La politique étrangère de la France envers l’Europe centrale et orientale de 1945 à 1956 (2006) ; Gergely Féjérdy, La place de la Hongrie dans la politique étrangère de la France entre 1944 et 1949 (2006).

7 À l’Assemblée nationale, un rapport rédigé par Denis Jacquat sur une mission du groupe d’amitié (octobre 1996) ; au Sénat, au moins quatre rapports : « La Hongrie vers l’Union européenne » (1996), « La Hongrie au sein de l’Union européenne élargie » (2002), « La Hongrie européenne : un partenaire séduisant pour la France » (2005), et « La Hongrie : un partenaire stratégique pour l’économie française » (2007-2008). Ces rapports sont consultables sur le site du Sénat.

8 À l’Assemblée nationale, les archives se limitent à la dernière décennie et n’ont pu être consultées directement. Au Sénat, les archives du groupe sont classées par année et conservent de façon complète les documents concernant la vie du groupe. Elles ont pu être intégralement dépouillées, aux Archives du Sénat pour les plus anciennes, dans le service des Relations internationales du Sénat pour les autres.

9 Une enquête par questionnaire, adressée, en 2009-2010, aux anciens présidents de groupe et à d’anciens secrétaires exécutifs du groupe – fonctionnaires chargés de la vie administrative du groupe – est restée sans réponse à l’exception d’un président du groupe à l’Assemblée, Tony Dreyfus. En revanche, les entretiens accordés par trois fonctionnaires et leur collaboration pour la recherche des sources ont été fort précieux et je les en remercie vivement : Roland Beaume, secrétaire exécutif du groupe à l’Assemblée ; Bernard Rullier, secrétaire exécutif du groupe au Sénat ; Michel Laflandre surtout, ancien secrétaire exécutif du groupe au Sénat (1980-1984).

10 Aux Archives nationales, dans la série 5AG (archives présidentielles), et à la Fondation Jean Jaurès (FJJ), dans les archives du PS (notamment 432 RI 6. Correspondance Premier secrétaire 1984-1992, et 432 RI 1. Relations PS-Hongrie 1982-1989).

11 En 1976, l’Association France-Hongrie fête ses dix ans et cite les noms de René Chazelles et d’Edmond Bricout, présidents des groupes au Sénat et à l’Assemblée. 432 RI 11. FJJ, Lettre de l’association à Robert Pontillon (9 novembre 1976).

12 Même si selon Adrienn Gerondas, Les relations culturelles franco-hongroises du début du XXe siècle jusqu’à nos jours, le groupe date de 1961 (source : site Internet de l’Institut culturel hongrois à Paris), et si le président du groupe au Sénat en 1994, Gérard Larcher, situe la fondation du groupe en 1977 (« Pourquoi un groupe d’amitié France-Hongrie au Sénat ? », Les enjeux de l’Europe, no 13, 1994).

13 Site de l’Assemblée nationale. www.assemblee-nationale.fr

14 Règlement du Sénat (octobre 2009). Instruction générale du Bureau du Sénat, p. 83.

15 Le groupe de l’Assemblée a eu pour président : Pierre Lagorce, PS, Gironde (1976), Pierre Joxe, PS, Haute-Saône (1982), René Drouin, PS, Moselle (1990), Denis Jacquat, UDF, Moselle (1996), Nicole Feidt, PS, Meurthe-et-Moselle (1997-2002), Jean-Michel Ferrand, UMP, Vaucluse (2002-2007), Tony Dreyfus, PS, Paris (depuis 2007). Au Sénat, les présidents successifs du groupe sont : René Chazelle, PS, Loire (1975-1983), Hubert Martin, UREI, Meurthe-et-Moselle (1983-1992), Gérard Larcher, RPR/UMP, Yvelines (1992-2004), Robert Del Picchia, UMP, Français établis hors de France (2004-2008), Michel Billout, CRC-SPG, Seine-et-Marne (depuis 2008).

16 Leur fidélité est liée aussi à la longévité de leur mandat sénatorial (D. Bidart 1978-2004 ; J.-P. Cantegrit depuis 1977 ; J. Puech 1980-2008). Les « amis » les plus « durables » sont Denis Badré, Paulette Brisepierre, Jean Cluzel, Charles de Cuttoli, Geoffroy de Montalembert, Xavier de Villepin, Jean Garcia, Gérard Larcher, Max Lejeune, Hubert Martin, Michel Miroudot, Philippe Nachbar, Robert Pontillon, Maurice Schumann, Bernard Seillier, Pierre-Christian Taittinger et Martial Taugourdeau.

17 Parmi les adhésions et accès à la présidence du groupe d’amitié motivés par un réel attrait hongrois, les noms de Gérard Larcher (Sénat) et Jean-Michel Ferrand (Assemblée). Témoignages de Michel Laflandre et Roland Beaume. Inversement, Tony Dreyfus explique avec une grande franchise qu’en acceptant la présidence de France-Hongrie, en 2007, il a pris celle qui n’avait pas été choisie (entretien téléphonique, 15 décembre 2009).

18 Assemblée Nationale-Sénat, La diplomatie… op. cit., p. 198 et 203.

19 Témoignage de Bernard Rullier (12 janvier 2010).

20 Au Sénat, la cotisation d’adhésion au groupe était de 40 F (1976), 95 F (1992) et 18 euros soit 118,07 F (2001).

21 À titre d’exemple, au Sénat, depuis 1988, le groupe d’amitié France-Hongrie a organisé un voyage en Hongrie en 1988, 1992, 1996, 1999, 2000, 2002 et 2005.

22 Au Sénat, le voyage d’une délégation du groupe composée de quelques membres – dont le président du groupe – et du secrétaire exécutif en Hongrie coûte 11 160 F pour 4 personnes (1977) ; 32 560 F pour 5 (1992) ; 53 893 F pour 7 (1996) ; 31 696 F pour 4 (1999) ; 10 357 euros pour 5 (2002) ; 11 618 euros pour 5 (2005) ; 8 759 euros pour 5 (2010). Source : Archives du Sénat. À titre de comparaison, en 1990, le coût du voyage du président Mitterrand en Hongrie a été de 1 106 105 francs soit 168 613 euros, soit 4 215 euros par personne (la délégation comptait 24 officiels et une quinzaine de personnalités invitées). Source : Archives nationales. 5AG4/12 970.

23 Compte-rendu de la visite du groupe d’amitié France-Hongrie de l’Assemblée nationale à Budapest 12-16 décembre 2006. Document de la chancellerie diplomatique du 22 décembre 2006. Archives du Sénat.

24 Assemblée nationale. Lettre de Roland Beaume, secrétaire administratif du groupe d’amitié France-Hongrie, à Tony Dreyfus, président du groupe, 7 janvier 2009.

25 L’accroissement des activités a aussi d’autres raisons dont le dynamisme des présidents de groupe, en particulier celui de Gérard Larcher au Sénat.

26 Info-Sénat, no 769, 23 octobre 2000. Le nombre et le nom des joueurs ne sont pas communiqués…

27 À juste titre, les secrétaires administratifs des groupes, en charge le plus souvent de la mise en œuvre des contacts et des solutions à apporter aux problèmes signalés, insistent sur cette part, discrète, presque souterraine mais concrète, de l’activité des groupes d’amitié. Témoignages de R. Beaume et de B. Rullier.

28 Pierre Messmer, Après tant de batailles… Mémoires, Paris, Albin Michel, 1992, p. 409.

29 Depuis 1982, les voyages des présidents français en Hongrie se sont multipliés : F. Mitterrand en 1990, J. Chirac en 1997 et 2004 et N. Sarkozy pour une visite éclair en 2007.

30 FJJ, 432 RI 1. Relations PS/Hongrie 1982-1991.

31 Gérard Larcher, op. cit.

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