Réflexions sur le centre et le centrisme
p. 115-123
Texte intégral
« Le gouvernement révolutionnaire doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès : le modérantisme qui est à la modération ce que l’impuissance est à la chasteté ; et l’excès qui ressemble à l’énergie comme l’hydropisie à la santé. » (Maximilien de Robespierre, extrait de son discours à la Convention, le 5 décembre 1793)
« N’est-il plus possible de choisir autre chose que d’être communiste contre les pharisiens ou pharisien contre les communistes ? Je ne pourrai jamais choisir ni l’un ni l’autre de ces deux refuges. Et je veux croire, et je veux crier à un peuple qui ne veut pas en désespérer, que même en politique, il doit être possible d’agir sans se perdre dans l’une ou l’autre de ces deux impasses. » (« l’Abbé Pierre », extrait de sa lettre du 15 mai 1950 au président du groupe parlementaire du MRP, peu après sa démission)
1Dans le colloque qu’elle avait organisé en mars 2004 à Bordeaux sur le thème du centrisme en France aux XIXe et XXe siècles, Sylvie Guillaume avait choisi d’associer explicitement « centrisme » et « échec »1, soulignant de cette façon l’exception française en la matière dans une Europe où les centristes avaient été bien souvent au pouvoir2. Elle avait toutefois aussi rappelé que les « moments centristes » – le colloque se proposait précisément de les étudier par la juxtaposition de communications allant de la Monarchie de Juillet jusqu’aux « cohabitations » de 1986 à 2002 – s’étaient succédé, nombreux, depuis deux siècles, signes incontestables que le centrisme existait bel et bien, malgré ses vicissitudes : le centre, phénix de la vie politique nationale. Invité à participer à ce colloque, j’avais alors eu l’occasion d’échanger avec Sylvie Guillaume et notre dialogue sur ce sujet ne s’est jamais interrompu depuis huit ans, repris à la faveur d’autres colloques ou sur un mode plus informel. C’est pourquoi j’ai choisi de faire de ma contribution à l’ouvrage collectif que nous lui offrons aujourd’hui, une sorte de bilan d’étape de nos échanges, de fixer sur le papier les réflexions sur centre et centrisme qu’ils m’ont inspirées, persuadé qu’ils se poursuivront encore longtemps, cet objet historique étant trop complexe pour se laisser aisément saisir de façon définitive3 !
2Il faut, pour commencer, se défaire de l’idée, tant de fois reprise à gauche mais aussi à droite, que le centre est une fausse question ou un faux-semblant, un miroir aux alouettes, un leurre inventé par d’habiles « politiciens » dont le seul objectif serait d’abuser les citoyens crédules pour capter à bon compte leurs suffrages. Le centre existe. Et la raison qui justifie cette affirmation péremptoire est simple : une fraction de la société française, plus ou moins large selon les époques mais jamais insignifiante, croit à l’existence du centre et se reconnaît dans les discours des leaders centristes. Et les historiens du politique doivent dès lors s’interroger sur cet objet parce que sa réalité est avérée par l’adhésion des citoyens, ou d’une partie d’entre eux, à ce que le langage courant nomme « centrisme ».
3On ne peut cependant se fier aux seuls mots qui, comme toujours en politique, mêlent le vrai et le faux de manière inextricable. Que les députés gaullistes élus en novembre 1958 aient refusé de siéger à droite de l’hémicycle mais en son milieu n’en a pas fait pour autant des députés centristes. De la même manière, que des organisations politiques – le Centre de propagande des républicains nationaux d’Henri de Kerillis entre les deux guerres par exemple, ou le Centre national des indépendants et paysans fondé par les sénateurs Jean Boivin-Champeaux, René Coty et Roger Duchet après la Deuxième Guerre mondiale – se soient revendiquées dans leur intitulé comme étant du centre n’en a pas fait non plus des formations centristes. En revanche, il est difficile de nier la sincérité d’un François Bayrou qui argumenta avec ferveur, tout au long de la campagne des élections présidentielles de 2007, pour un dépassement de « la guerre civile » entre droite et gauche. Une façon de s’exprimer qui reprenait, sans le dire, le langage tant de fois tenu dans les décennies précédentes par d’autres centristes. Ainsi, les propos d’André Diligent au congrès de fondation du CDS (Centre des démocrates sociaux) en 1976, dénonçant le scrutin majoritaire à deux tours comme un « scrutin de barricades, de gladiateurs qui coupe la France en deux et qui donne du pays une image défigurée ». Et d’évoquer la bipolarisation comme la nouvelle version de la « guerre froide », voire des « guerres de religions ». On sait que, de son côté, François Bayrou aime se référer au roi Henri IV et à l’Édit de Nantes qui restaura temporairement la paix entre catholiques et protestants4. On ne peut non plus nier la sincérité d’un Jean Lecanuet, candidat à la première élection présidentielle au suffrage universel direct en 1965, aussi combatif face à Charles de Gaulle que face à François Mitterrand. Ni celle des tenants de la « Troisième Force » dans les premières années de la IVe République, farouches adversaires des communistes mais aussi des gaullistes, dénoncés comme les fourriers du « césarisme ».
4Comment y voir clair dans ces conditions ? Sans prétendre le moins du monde épuiser le sujet, je me propose de mettre en forme l’état de mes réflexions en dégageant quatre éléments qui me paraissent, à ce jour, suffisamment assurés pour être couchés sur le papier.
Droite-gauche : le clivage premier
5Premier élément, évident mais qu’il faut rappeler sans jamais se lasser lorsque l’on traite de ce sujet : il n’y a pas de centre possible sans l’existence préalable d’une droite et d’une gauche. Ce sont ces deux pôles, nés et désignés dans le feu des luttes révolutionnaires entre partisans et adversaires de l’Ancien Régime – et plus précisément lors de la séance de l’Assemblée nationale constituante consacrée au futur droit de veto à accorder au roi, le 22 août 1789 – qui permettent a posteriori de se situer entre les deux. D’où une manière d’exister par nature difficile ou plus exactement « seconde » pour le centre et ceux qui s’en réclament, d’autant plus fragile que droite et gauche sont clairement définies. C’est cela qui oblige d’ailleurs les centristes à opter le plus souvent, dans les combats politiques, pour l’un des deux grands camps préexistants. Et c’est aussi cela qui explique, sinon justifie, l’usage récurrent de ces deux oxymores : « centre droit » et « centre gauche ».
6Quand le CDS fut fondé en mai 1976, à l’occasion du congrès de Rennes, sur la base d’une réconciliation des centristes divisés depuis 1969 – d’un côté, le Centre démocrate maintenu (CD)5 ; de l’autre, le Centre démocratie et progrès (CDP) rallié à Georges Pompidou lors de son élection à la présidence de la République –, les dirigeants de la nouvelle formation souhaitèrent la doter d’un « logo » comme on commençait déjà à dire alors. On adopta celui dessiné peu avant par Gabriel Szapiro pour les Jeunes démocrates sociaux (JDS) : une main ouverte, pour symboliser la tolérance, ayant la silhouette d’une colombe, pour symboliser la paix, et marquée à l’intérieur de la paume du sigle « CDS ». Mais quelle main ? Il n’y en a que deux. La droite ou la gauche ? Ce fut la droite qui fut choisie, pour symboliser « le sens des responsabilités, le choix volontaire dans la maîtrise de son destin ». Le CDS naissant n’était-il pas au même moment engagé dans le gouvernement de Jacques Chirac, associé aux giscardiens et aux gaullistes contre les « partis marxistes » unis autour du Programme commun ?
Le centre existe
7Pour autant, l’existence des deux pôles droite/gauche – existence première et toujours réactivée depuis deux siècles pour des raisons qu’il n’est pas utile d’envisager ici – n’empêche nullement le centre d’exister lui aussi, malgré toutes les vicissitudes induites par la situation décrite ci-dessus. Autrement dit, le clivage droite-gauche a beau être, il ne peut à lui seul obliger les citoyens à l’accepter, sauf à imposer par la loi ou par la force un système politique où il n’y aurait que deux partis, deux programmes, deux candidats, deux journaux, etc., l’un obligatoirement « de droite », l’autre obligatoirement « de gauche ». Situation inconcevable en démocratie et qui ne s’est jamais produite en France.
8Comme la politique est par excellence le domaine du futur, du rêve, du désir – on y passe son temps à imaginer l’avenir, à élaborer des projets et des programmes que d’aucuns nomment des « promesses » –, l’existence incontournable du clivage droite-gauche suscite presque nécessairement chez un certain nombre de citoyens, plus ou moins nombreux selon les époques, l’aspiration à sortir de la logique d’affrontement binaire portée par ce clivage et à lancer des passerelles entre les deux rives qui se font face. On n’en finirait pas de recenser les forces ou les hommes qui, au fil des péripéties d’une histoire politique mouvementée, se réclamèrent d’une position centriste, affirmant se situer entre les deux pôles également rejetés. Ainsi Édouard Herriot qui, lors du congrès du parti radical de septembre 1919, se déclara hostile « à toute forme de bolchevisme » tout autant qu’« à ceux qui rêvent encore de royauté ou d’empire, de suprématie militariste ou cléricale6 ». Déjà pendant les guerres de religions avait émergé dans cette perspective « centriste », si l’on veut me permettre cet anachronisme, un « Tiers parti7 »…
Les grandes familles politiques face au centrisme
9Chez qui retrouve-t-on le plus souvent cette aspiration centriste, ce rejet d’un système partisan binaire ? C’est une question décisive pour qui cherche à comprendre le phénomène centriste – pas de force politique, en effet, sans citoyens concrets qui s’y engagent – dont la réponse peut aider à mieux cerner l’existence de notre objet. Certainement pas à gauche chez les anarcho-syndicalistes, ni, du moins le plus souvent, chez les socialistes, ni chez les communistes (si on laisse de côté les années les plus récentes, celles du délitement général). Tous privilégient à leur manière l’affrontement bipolaire en souhaitant clairement la victoire de leur camp sur l’autre. Certainement pas non plus chez les radicaux, partisans jusqu’à la Grande Guerre, du rassemblement de tous les républicains contre les tenants du « pouvoir personnel », monarchistes et bonapartistes confondus – mais, on vient de le voir, la « Révolution d’Octobre » changea nettement la donne. Ni, à droite, chez les traditionalistes, opposés à tout compromis depuis les temps fondateurs de la Contre-Révolution, ni chez les libéraux, pourfendeurs jamais pris en défaut des ennemis du capitalisme, ni chez les agrariens, défenseurs infatigables du monde rural et de ses vertus intrinsèques. Eux aussi privilégient l’affrontement partisan en faveur de leurs causes respectives, et prônent la lutte contre leurs adversaires respectifs dans un combat frontal.
10La famille démocrate-chrétienne est en revanche fondamentalement centriste dans ses aspirations, sinon dans ses pratiques politiques. Réticents face à l’affrontement, acceptant la République (en vue de sa re-christianisation de l’intérieur), refusant la lutte des classes au nom des principes affirmés dans l’encyclique Rerum novarum, et renvoyant dos à dos (pas tout à fait symétriquement en réalité) ses adeptes, les démocrates-chrétiens, dans une conception élitiste de la politique – c’est à la minorité démocrate-chrétienne consciente, éduquée et militante d’agir8 – sont en effet, sur la longue durée, les principaux thuriféraires du centrisme ou, si on le dit avec d’autres mots, de la politique pratiquée sur le mode privilégié de la conciliation des « bonnes volontés » des deux camps traditionnels au détriment de leurs « extrémistes » respectifs, réputés intolérants et nuisibles.
11Il n’est dès lors pas surprenant que l’un des « moments centristes » les plus longs et les plus emblématiques au XXe siècle ait été celui de la Troisième Force entre 1947 et 1951, conduit par un parti démocrate-chrétien influent comme aucun ne l’avait été auparavant ni ne le fut ensuite, le MRP, fort d’un groupe parlementaire au Palais-Bourbon à peu près équivalent à celui du PCF, lui-même à son apogée9.
12On a pu trouver aussi chez les gaullistes une certaine attirance pour le centrisme, visible à travers la « culture de rassemblement » qui les caractérisa dès les origines, et leurs liens avec les démocrates-chrétiens dès la Résistance. Les aléas de la vie politique ne leur permirent toutefois jamais – à l’exception notable de la période du difficile règlement de la guerre d’indépendance de l’Algérie, entre septembre 1959 et avril 1962 – de se présenter dans la longue durée comme une force clairement dégagée de la droite10. D’autant que leur culture politique, fondamentalement issue du nationalisme, ne les portait pas au compromis dans les affrontements partisans. De même chez les radicaux a-t-on pu souvent retrouver, entre les deux guerres et dans les années 1950, une propension au centrisme, mais elle n’était pas suffisamment constitutive de la culture radicale pour être pleinement assumée, et l’opposition entre une tendance de droite et une tendance de gauche, très nette depuis le Front populaire, aboutit en 1972 à une scission définitive entre elles, et la formation de deux partis distincts, frères ennemis jamais réconciliés depuis près de quarante ans maintenant11.
13Plus récemment encore, depuis l’après-68, a progressivement émergé une nouvelle famille politique : les écologistes. Même si les militants issus des gauches ont depuis plusieurs décennies joué le premier rôle dans les formations qui se sont successivement créées dans cette mouvance, et si les Verts depuis 1984 sont ancrés à gauche, il faut rappeler qu’il existe une minorité d’écologistes de droite12, et souligner l’existence d’une tendance de fond (celle incarnée par Antoine Waechter par exemple) qui refuse de se définir par rapport au clivage droite-gauche. De plus, le « productivisme » honni est tout autant de droite que de gauche. Tout cela, joint aux graves divisions des gauches depuis 2002, rend peut-être possible à terme une évolution centriste des écologistes. Ainsi, depuis les élections européennes de 2009, le rassemblement Europe écologie regroupe-t-il des formations de gauche et de droite, ainsi que la formation de Corinne Lepage, Cap 21, un temps associée à François Bayrou.
Une définition du centre et du centrisme
14Doit-on conclure de tout ce qui précède que le centre existe de façon assurée ? Oui, s’il s’agit de refuser la célèbre formule de Maurice Duverger, beaucoup trop abrupte pour être acceptable mais bien dans l’air du temps de la guerre froide, quand il l’écrivit en 195113 : « toute politique implique un choix entre deux types de solutions : les solutions dites intermédiaires se rattachent à l’une ou à l’autre. Cela revient à dire que le centre n’existe pas en politique ». En fait, le centre n’existe ni plus ni moins que la droite et la gauche. Plus exactement, son mode d’existence est de même nature : il est une construction politique qui s’inscrit à la fois dans le long terme – celui du clivage entre droite et gauche14, en l’occurrence refusé – et dans une conjoncture particulière. Autrement dit, il est vain de chercher son essence car son existence ne peut être définie qu’historiquement.
15La Troisième Force dura quatre ans mais connut une vie chaotique : pas moins de neuf gouvernements successifs pour une même coalition, tout sauf stable. La SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière) fut le principal partenaire du MRP pendant toute la période, sa présence justifiant d’ailleurs la qualification de cette expérience comme « centriste » puisqu’elle se trouvait associée non seulement aux démocrates-chrétiens mais aussi aux radicaux et aux « modérés ». Mais les socialistes y furent du même coup toujours mal à l’aise et provoquèrent des crises ministérielles à répétition en ne soutenant pas les mesures législatives en matière sociale qui relevaient plus du « centre droit » que du « centre » proprement dit. Lorsque les élections législatives de juin 1951, pour la première fois depuis 1932, ramenèrent une majorité de droite à l’Assemblée nationale, la Troisième Force se brisa et la SFIO entra dans l’opposition tandis que le MRP demeura au pouvoir.
16Mon hypothèse est donc la suivante : le centre n’est qu’une modalité spécifique d’existence du clivage droite/gauche, qui ne prend politiquement consistance que dans une conjoncture particulière15, toujours caractérisée par une érosion suffisamment nette, au moins provisoirement, de la cohérence des deux grands camps ou « blocs », pour employer le vocabulaire du début du XXe siècle (le « Bloc des gauches » et le « Bloc national »),pour autoriser l’expérience centriste. Ainsi, l’entrée de la France en guerre froide au cours de l’année 1947 qui provoqua la création du Rassemblement du peuple français et l’éviction des communistes du gouvernement.
17Quant au centrisme, il serait avant tout un mode de conquête du pouvoir adapté à une conjoncture16. Quand Valéry Giscard d’Estaing lança à Charenton le 8 octobre 1972 sa célèbre formule, reprise à l’envi par tous les « commentateurs » politiques : « la France souhaite être gouvernée au centre », il ne voulut pas dire qu’il était centriste, annonçant sa volonté d’occuper une place concrète appelée « centre », préexistante et clairement délimitée, dans le dispositif partisan d’alors. Il souhaitait plutôt annoncer, avec les précautions d’usage et le langage adapté aux circonstances, qu’il avait compris la nécessité de remodeler la base électorale de la majorité gouvernementale en place dans le contexte du moment, caractérisé depuis mai-juin 1968 par la montée des luttes sociales, la naissance du PS et la signature du Programme commun de gouvernement par les communistes et les socialistes, bientôt rejoints par les radicaux de gauche. Cela impliquait un dialogue avec les partis « centristes », principalement CD et radicaux « valoisiens » regroupés dans le Mouvement réformateur, et l’élaboration d’un programme particulier, apte à convaincre les électeurs centristes. On sait que cette stratégie réussit et déboucha sur la mise en œuvre en 1974-1975 de quelques grandes réformes de société que les gauches souhaitaient elles aussi voir adopter. Mais tout cela fut conduit dans le cadre d’un projet néolibéral que l’on ne peut qu’étiqueter à droite. À ceux qui voudraient faire de Valéry Giscard d’Estaing un centriste, il suffit de rappeler ses paroles prononcées à Verdun-sur-le-Doubs le 27 janvier 1978, moins de deux mois avant les élections législatives. Il expliqua ce jour-là aux électeurs qu’ils étaient comme des automobilistes qui avaient le choix entre deux options seulement : « maintenir [la France] sur la ligne droite » ou l’envoyer « dans le fossé ». Plus explicites encore, ces mots écrits par l’ancien président de la République dans Deux Français sur trois17, cet ouvrage où il exposa sa vision de la société française organisée autour d’une vaste classe moyenne formant le « groupe central », fondement de son projet politique : « entre le libéralisme et l’étatisme, il n’y a pas de troisième voie ».
*
18Pour conduire une stratégie de conquête ou de conservation du pouvoir sur une base centriste, tous les partis ne sont pas aussi bien placés les uns que les autres. Pour le mieux placé d’entre eux, encore faut-il que le contexte s’y prête : ce fut le cas pour les giscardiens après 1968, pour le MRP à la Libération, pour les radicaux entre les deux guerres. Mais aussi, pendant les premières décennies du XXe siècle, pour l’Alliance républicaine démocratique, étudiée par Rosemonde Sanson18. Une ARD qu’elle qualifie dans sa thèse d’État de « parti de centre ». Si cette formule peut sembler curieuse à première vue, je la trouve en réalité pleine de sens, non seulement pour définir l’ARD mais plus largement, tous les partis qui, à un moment donné, se trouvent « au centre » du système partisan et dès lors capables de nouer des alliances composites, à droite et à gauche. Ces alliances « centristes » durent le temps que dure la conjoncture qui les permet. Ainsi pour l’ARD, définitivement rejetée hors du centre du système partisan par la victoire du Front populaire qui entraîna une bipolarisation presque totale de la vie politique jusqu’à la Débâcle.
19Le centrisme comme stratégie politique inscrite dans un contexte spécifique ; le centre comme lieu géométrique où se nouent, à un certain moment, les alliances entre des forces de droite et des forces de gauche pour exercer le pouvoir plus ou moins durablement : voilà, je pense, de quoi alimenter les échanges entre historiens du politique.
Notes de bas de page
1 Les actes ont été publiés : Sylvie Guillaume (dir.) Le centrisme en France aux XIXe et XXe siècles : un échec ?, Bordeaux, Maison des sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2005.
2 Un second colloque sur le centrisme, élargi cette fois à l’Europe occidentale, avait eu lieu en 2005 : Sylvie Guillaume et Jean Garrigues (dir.) Centre et centrisme en Europe aux XIXe et XXe siècles. Regards croisés, Peter Lang, 2006.
3 Lire par exemple la contribution de Jean Garrigues, intitulée « Le centre introuvable ? », dans Jean Garrigues, Sylvie Guillaume et Jean-François Sirinelli (dir.), Comprendre la Ve République, PUF, 2010.
4 François Bayrou, Le roi libre, Flammarion, 1994, réédité en 1999 sous le nouveau titre Henri IV. Le roi libre. François Bayrou a publié en 2006 chez Hachette Littératures un autre ouvrage faisant explicitement référence, par le truchement de l’histoire, à une espèce de troisième voie : Au nom du tiers état. En 1995, il a rédigé la préface de la réédition de la thèse de Pierre Letamendia sur le MRP, publiée chez Beauchesne sous le titre Le Mouvement républicain populaire. Histoire d’un grand parti français.
5 Lire Muriel Montero, Le centrisme sous la Ve République de 1962 à 1976. L’affirmation d’une force politique et la conquête du pouvoir : deux défis impossibles ?, thèse de doctorat d’histoire, Paris 4, 2003.
6 Serge Berstein, Histoire du parti radical, 1919-1939, Presses de Sciences Po, 1980 et 1982.
7 Pour une réflexion sur les crises et les issues trouvées sur la longue durée en France, lire : Jérôme Grévy (dir.), Sortir de crise. Les mécanismes de résolution de crises politiques (XVIe-XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, 2011.
8 La sociologie des partis démocrates-chrétiens en France, si l’on met à part la minorité spécifique des militants issus du syndicalisme salarié, a toujours été très proche de celle des partis de droite.
9 Sur la Troisième Force, lire sa communication dans Sylvie Guillaume (dir.) Le centrisme en France…, déjà cité.
10 Bernard Lachaise, Du général de Gaulle à Jacques Chirac. Le gaullisme et les Français, Bordeaux, CRDP d’Aquitaine (Histoire de notre temps), 2006.
11 Frédéric Fogacci, Le malheur des temps : la mouvance politique radicale de la Libération à la fin des années 1960, thèse de doctorat d’histoire, Paris-Sorbonne, 2008.
12 Et même à la Nouvelle droite. Lire la contribution d’Olivier Dard sur « La Nouvelle droite, le libéralisme et la décroissance » dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les droits et l’économie en France au XXe siècle, Riveneuve éditions, 2011.
13 Maurice Duverger, Les partis politiques, Seuil, 1951.
14 Ce clivage a lui-même changé au fil des siècles. Gilles Richard, « Droites et gauches dans la vie politique française. Réflexions sur un affrontement pluriel », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 90, avril-juin 2006.
15 Ce qui donne tout son intérêt à l’étude du centrisme telle qu’elle fut menée au colloque de Bordeaux déjà évoqué.
16 Plus ou moins adapté, bien sûr : toute stratégie politique, même très cohérente en apparence, est un pari sur l’avenir dont la réussite ou l’échec dépendent de certains éléments pris en compte par les stratèges mais aussi de beaucoup d’autres éléments sur lesquels ils manquent de prise ou qu’ils n’analysent que grossièrement. C’est en cela que la politique est un art, pas une science.
17 Valéry Giscard d’Estaing, Deux Français sur trois, Flammarion, 1984.
18 Rosemonde Sanson, L’Alliance républicaine démocratique. Une formation de centre (1901-1920), Presses universitaires de Rennes (collection Carnot), 2003.
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