8. Concilier « débats » et efficacité électorale
Les usages de la participation au « projet législatif » par la direction sarkozyste de l’UMP
p. 177-193
Texte intégral
1Selon certaines interprétations, les démocraties occidentales seraient marquées depuis la fin des années 1990 par un véritable « tournant délibératif1 » visant à associer largement les citoyens à la prise de décision politique. En France, c’est dans le domaine de l’action publique que les procédures délibératives semblent les plus institutionnalisées2. La délibération tendrait à se substituer au modèle dominant de la représentation, fondé sur la délégation de la « souveraineté » à des représentants élus. Dans un contexte de « crise de la représentation », le principe de la délégation serait de plus en plus contesté. La mise en discussion des décisions politiques serait ainsi dictée par un « impératif délibératif » qui s’imposerait aux décideurs politiques cherchant à asseoir leur autorité sur de nouveaux « cadres de références normatifs », autres que la seule légitimité électorale3.
2Cette exigence aurait gagné depuis peu les partis politiques. Elle s’inscrirait dans un processus plus large de démocratisation de ces organisations4, rompant ainsi avec leurs pratiques oligarchiques. Les partis, souvent présentés comme des organisations centralisées, hiérarchisées et bureaucratisées5, souffriraient, plus que toute autre organisation politique, de la désaffection des « nouveaux citoyens » et seraient ainsi touchés par une crise profonde de légitimité. Dans ce contexte, l’introduction de procédures délibératives dans les partis politiques est présentée comme une solution institutionnelle voire comme un idéal à atteindre pour toute formation politique qui souhaite se parer des attributs de la modernité6. Au minimum, les partis seraient contraints de s’adapter aux nouvelles règles du jeu et aux transformations sociales pour conserver leur position dans le champ politique. Néanmoins, le risque est grand d’appréhender le recours à la délibération comme une évolution inéluctable commandée par des transformations sociales irréversibles et comme un idéal d’organisation indépassable. Le processus, si processus il y a, n’est sans doute pas univoque, ni linéaire et ne relève probablement pas des mêmes logiques pour tous les partis politiques. Il convient dès lors de porter l’attention sur les histoires partisanes spécifiques pour dévoiler les ressorts de ces phénomènes.
3Au regard de la problématique de la démocratisation, les partis politiques de droite français, et notamment l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), présentent un intérêt particulier. Le Rassemblement Pour la République (RPR), dont l’UMP revendique l’héritage, a été décrit comme un parti où la démocratie interne était limitée7 et où l’introduction de procédures délibératives rencontrait de vives résistances en raison de sa culture organisationnelle8. Plus que toute autre formation politique, les partis de tradition gaulliste seraient marqués par une culture militaire et bonapartiste fondée sur l’obéissance au chef et la cooptation. Des dispositifs de démocratisation sont pourtant introduits au RPR dès 1990 (le vote sur motion). En 1997, une réforme des statuts modifie le mode de désignation du Président du RPR, prévoyant qu’il soit désormais élu par les adhérents9. La fondation de l’UMP n’a pas remis en cause ces acquis ; le pluralisme et son expression sont même devenus des enjeux réels dans cette formation qui se revendique de multiples traditions politiques10. Lors de son accession à la présidence de l’UMP en 2004, Nicolas Sarkozy a développé une rhétorique participative et promu le recours à des instruments délibératifs11, dans le cadre notamment de l’élaboration du « projet législatif » du parti en 200712. Cet article se propose d’analyser les conditions sociales – et surtout partisanes – au principe de la diffusion de mots d’ordre participatifs ainsi que les usages qui en ont été faits par les responsables du parti. Plutôt que de postuler l’existence d’un « sens commun » délibératif qui s’imposerait avec la force de l’évidence aux dirigeants de l’UMP, nous souhaiterions défendre l’hypothèse que le recours à cette thématique ne se comprend que replacé dans une configuration intra-partisane spécifique, marquée par la lutte pour la succession d’Alain Juppé à la tête de l’UMP et l’affirmation du leadership de M. Sarkozy.
4Après avoir présenté les discours et instruments délibératifs mis en place, nous étudierons les circonstances dans lesquelles ils ont été importés à l’UMP, puis les modalités pratiques de leur mise en œuvre. Nous montrerons comment la thématique de la délibération et ses usages, initialement perçus comme une contrainte par le principal prétendant à la succession, Nicolas Sarkozy, sont devenus des ressources symboliques et pratiques dans le cadre de la compétition intra-partisane, parvenant ainsi à concilier « une exigence délibérative » et un impératif d’« efficacité électorale ».
Le recours à un discours et à des pratiques participatifs
5Dès l’annonce de sa candidature à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy développe une rhétorique participative qui se concrétise par l’organisation de « débats » et la mise en place de dispositifs de consultation des adhérents sur le « projet » de l’UMP.
6La démission d’Alain Juppé de la présidence du mouvement, le 16 juillet 2004, suite à sa condamnation dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, ouvre une période de succession et favorise l’apparition d’un discours modernisateur mettant l’accent sur la participation des adhérents et l’ouverture. Devant les Jeunes populaires, l’organisation de jeunesse du parti, aux Universités d’été d’Avoriaz, le candidat déclaré et favori à la présidence du parti, Nicolas Sarkozy, livre son projet pour les trois années à venir et trace les contours d’une « UMP renouvelée », résolument tournée vers « l’échange et le débat » (Le Monde 2 octobre 2004). Dans un discours qui n’utilise pas moins de six fois le terme « débat », sans compter ses multiples déclinaisons (« participatif », « échanger », « s’ouvrir »…), il exhorte alors les responsables de l’UMP et tous les militants à aller « débattre ».
« Enfin, l’année 2007 peut être pour nous l’année de tous les espoirs ou celle de tous les dangers. Présidentielle, législatives, municipales, sénatoriales, cantonales. Rien que cela. Même si certaines élections sont décalées, le problème est le même : nous avons deux ans et demi pour nous préparer. Et cela ne sera pas de trop. Il faudra choisir “un candidat” et des candidats. Il faudra imaginer le projet 2007-2012. Il faudra mettre en ordre de marche notre mouvement, débattre partout, de la plus petite des communes jusqu’à la plus grande de nos villes, choisir nos cadres, trancher les problèmes de personnes. » (Discours de N. Sarkozy aux Universités d’été d’Avoriaz, 4 septembre 2004)
7Face à un parti qu’il juge trop « monolithique », il prône la libre expression des différences. Devant les cadres de l’UMP réunis le 11 juin 2005, il affirme ainsi vouloir démocratiser le fonctionnement de la principale formation de droite et en faire « un exemple de démocratie dans la vie politique française » en organisant des « votes transparents et démocratiques ». Mais la démocratisation du parti passe surtout par la revalorisation du statut d’adhérent qui sera désormais consulté sur « les grandes décisions politiques du mouvement », tandis que jusque-là, cette prérogative était dévolue aux seuls conseillers nationaux élus par l’ensemble des membres de chaque fédération départementale :
« Vous, adhérents, je veux que vous soyez maîtres de votre destin. Les grandes décisions politiques du mouvement nous les prendrons ensemble. Pour cela je ne connais qu’une seule formule : celle du vote démocratique, ouvert à tous. […] Je veux que chaque adhérent ait un rôle à jouer, que son avis soit sollicité, que par-dessus tout il se sente respecté. » (Discours de N. Sarkozy au Congrès du Bourget, 28 octobre 200413).
8Cette rhétorique participative s’accompagne de l’organisation de « débats » qui ont rythmé la vie interne du mouvement de mars 2005 à octobre 2006. Leur finalité est d’élaborer le projet législatif des candidats de l’UMP dans la perspective des élections législatives de juin 2007. Pour ce faire, dix-huit « conventions14 thématiques » (sur « la famille », l’« éducation », l’« écologie », l’« économie », la « justice », le « logement »…) sont organisées. Elles réunissent des « experts », des parlementaires et éventuellement des responsables locaux désignés pour chaque question. Tous sont chargés de faire des propositions concrètes. Les participants se relayent à la tribune et font face au public soigneusement sélectionné15 qui, à l’issue des interventions, peut poser des questions. Comme dans les meetings, les principales personnalités de l’UMP et, tout spécialement, François Fillon, en tant que responsable de l’organisation de ces conventions, sont au premier rang, en position de spectateurs avertis. Ce dispositif, la solennité des lieux16, la sélection des participants et la configuration d’ensemble de chacune de ces conventions concourent à policer les échanges et à éviter toute mise en danger des principaux représentants de l’UMP.
9Les débats doivent être alimentés par les contributions de chaque fédération : les secrétaires départementaux sont chargés par la direction du parti d’organiser localement des échanges sur chacune des thématiques et de faire remonter les propositions. Dans les faits, les premières conventions nationales se sont déroulées avant même que les responsables thématiques locaux ne soient nommés. Les propositions sont mises en ligne sur un site internet ad hoc [convention@u-m-p.org]. Le magazine de l’Union, bimensuel de l’UMP, distribué à l’ensemble de ses adhérents et disponible en kiosque, consacre chacun de ses numéros à la convention qui vient de s’achever pour relayer les principales propositions du parti.
10Les adhérents sont ensuite consultés. Ils sont invités, sur le site internet ou dans Le magazine de l’Union, à répondre à un questionnaire qui porte sur les recommandations formulées à l’issue de chaque « convention thématique ». Si cette procédure peut sous certains aspects se rapprocher des « sondages délibératifs17 », elle s’en dissocie nettement par son contenu et les consignes qui sont données aux membres de l’UMP. Les questionnaires reprennent entre quinze et vingt propositions élaborées par les membres de chaque « convention » et appellent « les adhérents18 », « à sélectionner [dans ce domaine] les cinq propositions […] les plus importantes et pour lesquelles [ils] souhait[ent] que l’UMP s’engage tout particulièrement ». Les propositions sont ainsi prédéfinies et les adhérents, appelés à les hiérarchiser, ne peuvent exprimer de désaccord, ni formuler une offre politique alternative. Une rubrique dans Le magazine de l’Union présente les résultats des « consultations » engagées dans le dernier numéro et livre ainsi, pour chaque volet thématique, les cinq propositions jugées prioritaires par les adhérents de l’UMP. Est également mentionné le nombre de questionnaires reçus par la direction pour inciter les adhérents à répondre, mais aussi pour légitimer la démarche et donner du crédit au projet. Dans le numéro de décembre 2006, le parti revendique 110 000 retours de questionnaires.
11Les groupes parlementaires du parti au Sénat et à l’Assemblée nationale se prononcent après que les mouvements et organisations associés à l’UMP19 ont apporté leurs contributions au projet. La consultation des représentants des différents mouvements prend la forme de négociations privées permettant à la direction de l’UMP de faire l’économie de l’organisation d’un véritable pluralisme à l’UMP20. Une commission, présidée par François Fillon, mais dont la composition n’est pas précisée, est ensuite chargée de faire la synthèse et de la soumettre pour amendement et approbation aux 2 400 conseillers nationaux du parti. Ces derniers approuvent à plus de 92 % le texte amendé. Les adhérents à jour de cotisation sont enfin appelés à voter par internet, après avoir saisi leur code personnel, pour manifester leur avis définitif sur le « projet législatif » du parti. Le 26 novembre 2006, ils adoptent le texte à près de 98 % des suffrages exprimés.
12Telle que nous venons de la présenter, l’élaboration du projet législatif apparaît comme une procédure longue et complexe associant l’ensemble des membres des différents cercles partisans qui composent l’UMP : elle invite ainsi des « experts », les parlementaires, les responsables de mouvements, les cadres nationaux ainsi que les adhérents à se prononcer sur le projet. Cependant, ces groupes sont sollicités à différentes étapes du processus et selon des modalités variables, en fonction de leur position dans le parti. La procédure tend ainsi à occulter la division du travail effective et le rôle central joué par l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy dans la définition d’une offre politique. Les modalités concrètes de mise en œuvre de ces mécanismes participatifs sont loin d’être tributaires d’une explication généralisante qui ferait fi de l’histoire récente de l’UMP. Il convient donc de revenir sur les conditions, essentiellement partisanes, dans lesquelles cette rhétorique et ces pratiques ont été introduites à l’UMP.
De la reconnaissance des « mouvements » aux « débats » : la transformation d’une contrainte initiale en ressource
13Pour saisir les conditions dans lesquelles la rhétorique du « débat » est introduite, il faut se replacer dans le contexte de l’été 2004, marqué par de nombreuses prises de position critiques à l’égard de la gestion du parti par Alain Juppé. Le fait que Nicolas Sarkozy, prétendant à la succession de ce dernier, formule des mots d’ordre participatifs peut se comprendre à la fois comme une tentative de ralliement de soutiens partisans en vue de la conquête du parti et comme une entreprise de démarcation et de distinction par rapport à l’ancienne équipe dirigeante du parti.
La construction d’une demande partisane de démocratisation
14Les attentes des adhérents de l’UMP à l’égard de l’organisation de « débats » au sein du parti sont inégalement distribuées. Une enquête par questionnaires réalisée auprès des adhérents de la fédération du Nord21 révèle qu’un peu plus de 50 % des enquêtés disent avoir adhéré « pour débattre autour des grands enjeux de société22 ». Contre toute attente, les adhérents les plus ouverts aux débats ne présentent pas de caractéristiques sociales spécifiques ; ils ne se distinguent pas des autres adhérents par leur niveau de qualification23 ou l’appartenance à une catégorie socio-professionnelle plus élevée, ni par un rapport à la religion plus distant. De même, les adhérents sans responsabilité dans le parti ne sont, en proportion, pas plus nombreux que ceux qui exercent des responsabilités locales ou nationales à déclarer avoir adhéré pour « débattre ». Les résultats laissent néanmoins apparaître une corrélation statistique (p = 0,01) entre le fait d’appartenir ou d’avoir déjà appartenu à un « mouvement » ou organisation associée à l’UMP et de déclarer être entré à l’UMP pour « débattre autour des grands enjeux de société » (Tableau 1).
Tableau 1 – Raison de l’engagement à l’UMP et volonté de débattre en fonction de la participation aux activités d’un mouvement ou d’une organisation associée à l’UMP

15Si l’expression du pluralisme est une question sensible depuis la création de l’UMP24 et la réunion de plusieurs partis revendiquant le monopole de « traditions » politiques spécifiques, elle revêt une acuité toute particulière dans le contexte du printemps 2004. À peine quelques mois après la condamnation d’Alain Juppé dans l’affaire du financement occulte du RPR et l’annonce de son retrait de la présidence du parti, l’UMP subit une sévère défaite aux élections cantonales et régionales du printemps 2004 et prépare un renouvellement de son équipe dirigeante. C’est dans ce contexte que des leaders de différentes « sensibilités » s’expriment pour exiger une démocratisation du fonctionnement du parti, passant par la reconnaissance et l’organisation des « mouvements » en son sein. Ces prises de position interviennent à la suite de propos tenus par François Baroin, tout juste nommé secrétaire général de l’UMP. Le 6 avril 2004, ce dernier déclare : « nous devons réfléchir à une organisation structurée de nos sensibilités25 ». Il relance ainsi le débat sur la structuration des tendances à l’UMP26 qui agite le parti depuis sa création en 2002. Les statuts de l’UMP adoptés lors du congrès du Bourget, le 17 novembre 2002, prévoient en effet la mise en place de courants internes, appelés « mouvements », qui devaient initialement voir le jour au printemps 2003. Sous la pression du pouvoir exécutif et notamment du Premier Ministre, Jean-Pierre Raffarin, soucieux de préserver le soutien de la majorité à l’action gouvernementale27, l’instauration de cette disposition est ajournée à deux reprises : elle est renvoyée une première fois à l’automne 2003, puis une nouvelle fois à l’été 2004 (après les élections européennes de juin 2004). La reconnaissance implicite des courants par François Baroin, un fidèle de Jacques Chirac, sonne comme un aveu d’échec, desserre les liens de fidélité et autorise les leaders de différentes sensibilités à des prises de parole critiques. Dans le quotidien Le Monde, plusieurs parlementaires, en réponse à une tribune critique de sept Ministres et secrétaires d’État à l’égard des projets d’organisation des tendances28, signent une tribune commune réclamant « un électrochoc pour l’UMP ». Ces souverainistes fustigent « l’absence de vrais débats d’idées » et le refus par la direction d’une organisation des tendances29. Peu avant, les leaders de différentes sensibilités rendent publique leur volonté de s’organiser en véritables courants. Les centristes, autour de Pierre Méhaignerie et Philippe Douste-Blazy, entérinent la création d’un courant « démocrate populaire » le 13 avril. Dans le même temps, les libéraux réunis autour d’Alain Madelin, visiblement soucieux lors de la création de l’UMP de préserver leur identité, invitent leurs partisans à se réunir et « à s’organiser au sein de l’UMP » dans « un grand courant réformateur libéral ». Dans un texte d’orientation remis à la direction de l’UMP le 14 avril, les radicaux valoisiens en appellent à la constitution d’« un courant républicain et laïque, social et européen ». Le souverainiste Nicolas Dupont-Aignan qui exige, depuis plus d’un an, le respect des statuts, semble avoir obtenu gain de cause et envisage à son tour la création d’un courant souverainiste30. Patrick Ollier annonce quant à lui réfléchir à la création d’un courant gaulliste. Le 21 avril, l’UMP renouvelle aux deux tiers sa commission exécutive afin de la rééquilibrer et y intègre les représentants des différentes sensibilités (libérale, démocrate-chrétienne, radicale), à l’exception toutefois des souverainistes. Le 9 mai, le conseil national fi nit par approuver la création de « mouvements ». François Baroin reconnaît que « les courants constituent une méthode pour […] permettre de parvenir à notre objectif, qui est de développer le débat au sein du parti31 ». L’application de cette mesure est cependant repoussée à l’automne 2004. Dans cette conjoncture critique, l’idée s’impose que l’expression du pluralisme ne peut faire l’économie d’une réelle institutionnalisation des courants.
16C’est dans ce contexte que Nicolas Sarkozy, en tant que prétendant à la présidence de l’UMP, développe une rhétorique participative. Tout en se gardant bien de promettre la création de véritables tendances organisées par crainte de la division, il propose de développer les « débats » et tente ainsi de désamorcer les velléités d’organisation des « mouvements ». P. Méhaignerie, qui, en avril 2004, en avait appelé à la constitution d’un courant centriste au sein de l’UMP, participe, au début du mois de septembre, à l’accréditation de l’entreprise sarkozyste. Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde32, il brocarde un parti qui n’a « jamais réussi à faire oublier le « P » mis à l’origine pour présidentiel » et met ainsi publiquement et directement en cause la relation entre l’UMP et l’institution présidentielle. Il livre ensuite des pistes pour rénover le parti et propose, en premier lieu, de « cultiver le débat et [d’]oser dire la vérité ». Il conclut : « L’introduction de sensibilités organisées à l’intérieur du parti, et l’acceptation de débats, même “turbulents”, comme le suggérait Nicolas Sarkozy, nous permettront d’engager des débats avec les Français sur les choix d’avenir et, je l’espère, de reconquérir l’électorat déçu. » Cette tribune, qui paraît deux jours avant la déclaration officielle de candidature de Nicolas Sarkozy33, établit la jonction entre les attentes des membres de sensibilités différentes à l’UMP dont il s’érige, de fait, en porte-parole, et les promesses du candidat Sarkozy. Ce dernier apparaît désormais comme un défenseur crédible du pluralisme au sein du parti34, faisant oublier qu’en septembre 2002, il avait pourtant pris position contre la création de courants. Cette caution contribue également à délégitimer les prétentions réformatrices et les candidatures à la présidence de l’UMP de ses deux concurrents, Nicolas Dupont-Aignan, leader du mouvement Debout la République et Christine Boutin, présidente du Forum des Républicains Sociaux, parti fondateur de l’UMP. Nicolas Sarkozy a, au fur et à mesure, intégré dans son discours et dans ses pratiques la contrainte initiale du respect et de l’expression du pluralisme interne. Il est même parvenu à la transformer en ressource dans le cadre de la mise en ordre du parti et en vue de l’élection présidentielle de 2007.
Recourir à la stratégie de la rupture en endossant une posture modernisatrice
17En se réappropriant une rhétorique participative, Nicolas Sarkozy signifie, aux yeux de tous et notamment des plus critiques envers la gestion du parti par Alain Juppé, sa volonté de rompre avec les anciennes pratiques de l’UMP. Il se démarque ainsi de son prédécesseur et de Jacques Chirac. En premier lieu, l’affichage de la nécessité d’organiser des débats vise à donner des gages d’ouverture aux responsables d’organisations affiliées à l’UMP et à s’assurer de leur soutien dans sa conquête du parti. Le prétendant à la présidence de l’UMP a ainsi engagé des tractations avec certaines tendances et engrangé leurs soutiens. Les « réformateurs », mouvement libéral composé exclusivement de parlementaires de l’UMP35, annoncent entrevoir l’ouverture d’« une fenêtre politique » et affirment, par la voix de leur porte-parole, Hervé Novelli, leur volonté de passer « un contrat » avec Nicolas Sarkozy36. Mais, ces prises de position constituent surtout une ressource symbolique dans l’entreprise de démarcation vis-à-vis de l’ancienne équipe dirigeante et de l’institution présidentielle37. Dans son discours de candidature à la présidence de l’UMP, Nicolas Sarkozy affirme sa volonté de rompre avec les pratiques de l’ancienne équipe qui lui semblent tout droit héritées du RPR :
« On ne dirige pas une formation politique en 2004 comme on le faisait il y a 20 ans. Il faut davantage de collectif, de participatif, de démocratie, d’échange. Dire ceci, ce n’est critiquer personne. » (Discours de N. Sarkozy aux Universités d’été d’Avoriaz, 4 septembre 2004)
18Par ces propos, il se saisit d’une partie des critiques faites à l’encontre de la gestion du parti par Alain Juppé, notamment son prétendu fonctionnement militaire, et affiche ainsi son intention de rompre avec le stigmate du « parti de godillots », aux ordres du chef. Mais il s’agit également de s’ériger en porte-parole des attentes (construites) de participation exprimées par les militants – projet qui s’insère dans sa stratégie de conquête du parti par la base38. C’est plus particulièrement en direction « des nouveaux adhérents » que Nicolas Sarkozy calibre ses discours. La promotion des « débats » est en effet conçue comme un produit d’appel dans son entreprise de recrutement de « nouveaux adhérents » :
« Je m’engage à recevoir chaque mois les nouveaux adhérents qui voudront bien faire le déplacement jusqu’à Paris. Je m’engage à ce que dans le mois qui suit son adhésion chaque adhérent reçoive sa carte. Je m’engage à ce que chacun de nos adhérents comprenne que son adhésion a servi à quelque chose, que son avis est pris en compte, que le choix qu’il a fait en nous rejoignant était le bon ! » (Discours du Bourget de N. Sarkozy, 28 novembre 2004)
19Cette rénovation des pratiques de participation politique en interne est présentée comme un véritable impératif dicté par de profondes transformations sociales et l’apparition de « nouveaux citoyens » aux attentes renouvelées et aux exigences renforcées. Ces derniers se caractériseraient par un rejet des formes d’organisation rigides et privilégieraient des modèles d’engagement plus « souples », « distanciés », mais surtout plus « participatifs ». Les « nouveaux adhérents » de l’UMP ne seraient finalement qu’une déclinaison sectorisée de la figure des « nouveaux citoyens » :
« Le parti a perdu beaucoup de militants parce que je crois que l’on ne les respectait pas. On leur demandait de coller des affiches de distribuer des tracts et c’est tout. On ne leur demandait pas leur avis sur plein de choses. Aujourd’hui c’est différent. […] [Les nouveaux adhérents] sont assez exigeants sur, par exemple, l’organisation de débats, ils sont demandeurs d’une certaine documentation et quelque part ce n’est pas un chèque en blanc qu’ils signent. Les nouveaux militants sont différents. Avoir leur place dans la fédération, ça ne les intéresse pas nécessairement. Ils ne sont pas trop mobilisables pour les campagnes. Mais c’est normal je crois que l’on a tellement tiré sur la corde que c’était une évidence. » (Entretien avec Jeannette Bougrab, secrétaire nationale de l’UMP chargée du recrutement des nouveaux adhérents)
20Ces propos s’adossent à des principes de divisions sociales fondées sur des antagonismes (les anciens adhérents/les nouveaux adhérents ; la remise de soi/la participation ; l’archaïsme/la modernité). Ils contribuent à « rendre moderne » l’UMP, ses pratiques et sa nouvelle équipe dirigeante et à « faire vieillir » le RPR et son personnel politique (Alain Juppé et Jacques Chirac notamment39). Les résultats d’une enquête par sondage réalisée auprès des « nouveaux adhérents de l’UMP40 », commandée par la direction de l’UMP peuvent d’ailleurs constituer une preuve à leurs yeux. Cette enquête révèle que 43 % des « nouveaux adhérents » sont disposés à participer à des débats d’idées, tandis que seuls 18 % se disent prêts à coller des affiches ou tracter. La publicisation des résultats vise également à signifier, aux yeux de tous, l’adéquation entre les attentes prêtées aux « nouveaux adhérents41 » et la posture modernisatrice et « ouverte » que N. Sarkozy souhaite endosser :
« [N. Sarkozy] voulait en faire un parti qui soit ouvert à tous les Français. Vraiment ! Que cela soit la maison des Français et vraiment que les personnes viennent pour débattre, pour apporter leurs idées et éventuellement pour vous reprocher des choses. Il a voulu redonner un nouvel élan au parti Gau… [i. e. Gaulliste, sic], enfin à l’UMP pour en faire une boîte à idées pour toutes les personnes qui avaient quelque chose à dire qui voulaient participer au débat, qui voulait nous faire part de leurs inquiétudes, quelque chose de tout à fait ouvert et accessible. [Il s’agissait] également de donner beaucoup plus d’importance aux adhérents, car aujourd’hui ces nouveaux adhérents n’ont pas du tout les mêmes envies que les anciens adhérents. Aujourd’hui ils veulent beaucoup plus de qualitatif, participer à des débats d’idées. […] C’est une application beaucoup plus qualitative en participant au débat d’idées en voulant nous faire parvenir leurs attentes, leurs propositions. Donc voilà aujourd’hui le profil du nouvel adhérent. C’est d’ailleurs ce qu’on attendait de lui. C’est pour ça que l’on a fait des consultations régulières et que l’on a fait récemment une consultation générale sur le projet où il y a eu des idées qui ont été retenues. » (Entretien avec José Do Nascimento, directeur exécutif chargé de la campagne nationale de recrutement des nouveaux adhérents)
21La communication qui est orchestrée par le parti autour de cette consultation et des méthodes participatives jugées « novatrices » vise essentiellement à « faire moderne » et à prêter au nouveau président de l’UMP, briguant l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle, les vertus du rénovateur. Les pratiques mises en avant ne sont pourtant pas inédites à l’UMP. Deux ans auparavant, en mai-juin 2003, Alain Juppé charge Philippe Douste-Blazy, alors secrétaire général de l’UMP, de préparer le premier conseil national du parti et d’engager « des débats de fond » sur les thèmes de « la citoyenneté et la République » ainsi que « des réformes et du dialogue social ». La méthode et le public visés sont cependant différents. Cette initiative se concrétise en effet par l’organisation de débats publics au siège du parti et la consultation par questionnaire des seuls conseillers nationaux. Une vingtaine de questions ouvertes sont formulées et certaines réponses sont ensuite reprises telles quelles dans un fascicule intitulé Paroles de conseillers nationaux ; L’objectif affiché est de rendre compte « de la pensée de l’UMP, de sa richesse et de sa diversité » (Philippe Douste-Blazy). À l’inverse, les « débats » initiés en 2005 par la nouvelle direction de l’UMP s’adressent à l’ensemble des adhérents et cherchent avant tout à mettre en scène l’unité du parti derrière son chef, dans le contexte de la campagne pour l’élection présidentielle.
De l’unité à l’unanimisme : la fabrique d’un plébiscite
22En période de campagne électorale, une certaine tension peut survenir entre un impératif participatif, perçu comme une possible source de divisions, et la recherche d’une maximisation de l’efficacité électorale42. Le recours intensif aux médias par la direction sarkozyste de l’UMP contraint les membres du parti à présenter aux journalistes – et, par leur intermédiaire, au grand public – une façade institutionnelle unie, cohésive et soudée derrière le leader. Cette exigence s’impose avec d’autant plus d’efficacité que cadres et élus du parti partagent la croyance que « les journalistes sont tous de gauche » et donc prompts à exploiter la moindre division de l’institution. Avec 97,6 % des suffrages exprimés, la procédure de consultation des adhérents sur le projet législatif du parti se clôt par un véritable plébiscite. La direction justifie l’issue de ce scrutin comme la validation « des orientations fortes » du projet et entreprend ainsi d’accréditer la cohérence de son offre politique. Le résultat unanimiste pouvant jeter l’opprobre sur les conditions de sa production, François Fillon met en exergue le caractère « démocratique » de la méthode : il s’agit, selon ses termes, d’un projet « qui est l’aboutissement d’une méthode transparente et démocratique absolument exemplaire43 ». Plus que l’issue du scrutin, c’est la procédure délibérative qui sert de faire-valoir. Les responsables de l’UMP mettent systématiquement en avant le nombre de conventions organisées, d’experts, de parlementaires, de questionnaires qu’ils ont reçus. Ils dressent ainsi un bilan essentiellement chiffré de la consultation. Cette pratique traduit une appréciation et un mode de légitimation quantitatifs du participatif, fondés sur le « nombre ». Tout fonctionne comme si l’importance de la mobilisation autour de cette démarche suffisait à évaluer « la qualité des débats44 ».
23Ces systèmes interprétatifs s’insèrent plus largement dans une entreprise de légitimation du leader. En s’attribuant l’initiative de l’introduction de procédures délibératives dans le parti45, Nicolas Sarkozy peut légitimement retirer un profit personnel du bilan et de l’issue de cette démarche. Les dirigeants affichent l’unité du parti derrière son nouveau chef et accréditent l’image de « fédérateur46 », mais surtout de « leader » que le président de l’UMP revendique pour construire son statut d’éligible47. Pour expliquer ce véritable plébiscite, les acteurs, et a fortiori ceux qui exercent des positions de pouvoir dans l’organisation, recourent à des arguments culturalistes qu’ils avançaient déjà du temps du RPR : le légitimisme et le culte du chef à l’UMP s’expliqueraient par la « nature » même des adhérents et par les propriétés quasi charismatiques du chef de parti :
« Culturellement, dans le fonctionnement psychologique des adhérents, au PS, ils ont beaucoup plus la culture du débat qu’à droite. C’est une évidence ! Et d’ailleurs, depuis la nuit des temps, quelqu’un qui adhère au PS, il adhère pour un projet, pour y participer et après, il choisit la personne qui va incarner ce projet. Alors qu’à droite, l’adhésion, c’est l’identification au chef. Et c’est valable depuis la nuit des temps, c’était pareil avec Chirac et avec De Gaulle. » (Entretien avec T. Solère, Conseiller exécutif de l’UMP, responsable de la blogosphère UMP pendant la campagne présidentielle de 2007)
24En laissant supposer que les adhérents de l’UMP ont reconnu en Nicolas Sarkozy un « chef », ce responsable national du parti tend ainsi à placer le prétendant au trône dans une filiation prestigieuse. Plus largement, en expliquant les phénomènes d’adhésion à l’UMP par la « psychologie » des adhérents ou les prétendues qualités naturelles du chef, il tend à occulter le travail de l’institution pour produire et interpréter le consentement. En votant massivement en faveur de ce projet législatif, les adhérents semblent d’un côté se comporter comme s’ils investissaient tous la même signification dans leur action. En affichant les résultats de cette consultation, les responsables du parti construisent, d’un autre côté, une image d’adhésion collective sans devoir faire la preuve du consentement réel des adhérents48. Or, poser le regard sur les manifestations d’unité de l’institution invite à s’intéresser aux engagements qu’elle requiert de la part de ses adhérents et aux rôles qu’elle prescrit dans un contexte de campagne électorale. Dans les discours des porte-parole du parti, les thématiques de la participation, du débat et de la démocratie interne sont systématiquement adossées à une rhétorique unitaire.
« Je sais bien que beaucoup attendent de voir comment je vais m’y prendre. Ils ne seront pas déçus. Je veux rassembler toute notre famille politique. Je ferai une place à chacun. Je respecterai les convictions de tous. Mais la conception que j’ai de l’unité ce n’est pas le silence dans les rangs, ce n’est pas l’interdiction de parler des différends ou des différences. L’unité c’est laisser chacun s’exprimer librement puis d’en faire la synthèse. Et si celle-ci n’est pas possible de faire voter pour dégager une majorité. Et une fois celle-ci exprimée, chacun la respectera. J’ai été élu Président pour faire gagner. Je suis garant de l’unité de notre Famille. J’assumerai mes responsabilités de Fédérateur. » (Discours de N. Sarkozy à Lille, 28 janvier 2005)
25Le recours à cette rhétorique traduit les inquiétudes des dirigeants face aux éventuelles divisions que les mécanismes délibératifs pourraient introduire et trace le cadre général dans lequel le débat doit se développer. L’expression du pluralisme est ainsi circonscrite dans les limites strictes de la préservation de l’unité et du rassemblement du parti, dont le leader serait tout à la fois le garant et le bénéficiaire. Les adhérents, par leur vote, joueraient le rôle d’arbitre suprême. Or Nicolas Sarkozy s’est préalablement assuré du soutien de « la base » dont il s’est érigé en porte-parole, par le recrutement très personnalisé, de « nouveaux adhérents49 ». Avec le triplement des effectifs partisans depuis son arrivée à la tête de l’UMP, les « anciens », et notamment ceux qui appartiennent à des formations fondatrices de l’UMP, sont devenus minoritaires au sein du parti.
26L’imposition des obligations dévolues à tout un chacun concernant la préservation de l’unité passe également par le rappel des divisions de la droite et des conséquences qu’elles auraient entraînées sur l’issue de scrutins antérieurs50. Les divisions, mêmes idéologiques, sont perçues comme électoralement pénalisantes. Dans cette perspective, elles sont ramenées à de vils « affrontements de personnes », à des ambitions individuelles et sont stigmatisées comme tels :
« Enfin, j’ai tout fait pour que l’UMP occupe l’espace politique le plus large, afin de rassembler le plus grand nombre. Depuis dix mois, tous les grands débats qui ont animé notre pays ont été initiés au sein de notre famille politique. Les quotas d’immigration, le rythme de la réforme, le modèle social français, la façon dont on peut éradiquer les injustices, la question turque… Tous ces sujets ont été évoqués sans tabous et sans affrontements de personnes. » (Discours de N. Sarkozy du 20 septembre 2005 lors des journées parlementaires de l’UMP à Évian)
27La mise en minorité des porte-parole de « mouvements » ou d’organisations associées à l’UMP, ainsi que la stigmatisation des oppositions à la ligne majoritaire incarnée par Nicolas Sarkozy concourent à rendre inefficiente, illégitime et donc inaudible toute prise de position dissidente ou tout simplement dissonante. Les éventuels contestataires sont ainsi invités à la loyauté ou à des formes de désengagement (abstention, distance au rôle, repli dans les « mouvements » ou sortie de l’institution), pour ne pas s’exposer aux sanctions collectives. Par ailleurs, l’extrême centralisation et la personnalisation de la procédure de consultation des adhérents, associées aux effets de l’usage d’internet, tendent à éloigner les adhérents des allégeances individuelles ou collectives du local et à favoriser une pratique atomiste de la participation, éloignée du modèle normatif de la délibération51. Dans une lettre, invitant l’ensemble des adhérents à se prononcer définitivement sur le projet législatif de l’UMP52, Robert Pandraud, Président de la Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales livre explicitement l’orientation et le sens que doit prendre le vote des adhérents :
« Après plus d’un an et demi de débats lors de 18 conventions thématiques, la consultation de tous les adhérents sur les propositions issues de ces conventions, le travail de nos groupes parlementaires et celui de nos Conseillers Nationaux, vous êtes appelé à voter53 pour l’approbation définitive du projet54 législatif de notre mouvement. » La lettre se termine par le rappel des enjeux électoraux de l’année 2007 et appelle ainsi les adhérents à une « participation active et massive à ces scrutins qui prépareront l’UMP aux grands rendez-vous électoraux de 2007. »
28Le rappel de la procédure d’élaboration du projet et des différents cercles partisans sollicités tend à donner à cette consultation le caractère d’une simple formalité dont le seul enjeu est de maximiser le taux de participation dans l’optique des « grands rendez-vous électoraux de 2007 ». Si les adhérents ont répondu massivement à l’invitation de la direction du parti d’approuver définitivement le projet législatif qui leur était proposé, ils n’ont cependant pas suivi les consignes de mobilisation qui leur était données. En effet, le taux de participation à ce scrutin est inférieur à 50 %55 et peut traduire, en cela, l’absence d’enjeu réel tout autant que des protestations euphémisées à l’encontre de cette entreprise de légitimation du leader.
29Pour Patrick Seyd, le recours au suffrage universel interne par les partis politiques présente une double utilité : non seulement il permet de court-circuiter les velléités contestataires des groupements minoritaires, mais il participe également à la construction d’une version personnalisée et immédiate du leadership partisan56. Cette remarque peut s’appliquer aux raisons qui ont poussé la direction de l’UMP à importer une rhétorique et des pratiques participatives à l’UMP. Elle a également le mérite de rompre avec une conception évolutionniste, enchantée et normative de l’introduction d’instruments participatifs dans les partis politiques, en attirant l’attention sur les enjeux internes à ces institutions. Les usages qui en ont été faits à l’UMP ne peuvent se comprendre indépendamment du contexte partisan et social marqué par la montée de revendications de tendances et d’organisations associées à l’UMP et la conquête du parti par Nicolas Sarkozy en vue des élections présidentielles de 2007. Depuis les élections municipales de mars 2008, les prises de position contestataires officiellement dirigées contre la gestion de l’UMP se multiplient. Elles proviennent essentiellement de leaders d’organisations associées à l’UMP qui craignent leur satellisation et critiquent le retour de « l’ancien RPR » de ses pratiques « centralisatrices » et « monolithiques » et de ses hommes57. On peut émettre l’hypothèse que, sans fondamentalement remettre en cause l’unité de l’institution et en subvertir ses règles, les revendications portant sur la démocratisation du parti tendent à être intégrées dans son fonctionnement routinier hors période de campagne présidentielle. En cela, elles pourraient constituer un moyen légitime, pour les responsables de courants, de (re)négocier des avantages matériels et symboliques supplémentaires, en échange de leur soutien.
Notes de bas de page
1 Dryzek J., Deliberative Democracy and Beyond : Liberal, Critics and Contestations, New York, Oxford University Press, 2000.
2 Les pratiques participatives sont désormais prescrites par la loi (loi du 27 février 2002 sur « la démocratie de proximité ») et sont promues par de véritables professionnels de la participation. Cf. : Nonjon M., Quand la démocratie se professionnalise. Enquête sur les experts de la participation, thèse pour le doctorat en science politique, Université de Lille 2, 2006.
3 Blondiaux L., Sintomer Y., « L’impératif délibératif », Politix, n° 57, 2002, p. 17-35.
4 Mair P., « Party organizations : from Civil Society to the State » dans Katz R., Mair P. (dir.), How parties organized. Change and Adaptation in Party Organizations in Western Democracies (1960-1990), Londres, Sage, 1995.
5 Les représentations savantes et indigènes sont encore dominées par le modèle du parti de masses qui pendant longtemps est apparu comme un idéal à atteindre et qui depuis la montée en puissance de ces interprétations « crisologiques », semble être devenu un repoussoir : Fretel J., Lefebvre R., « La faiblesse des partis politiques français : retour sur un lieu commun historiographique » dans Offerlé M., Rousso H. (dir.), La fabrique interdisciplinaire. Histoire et science politique, Rennes, PUR, 2008.
6 Dans une perspective normative et prescriptive cf. Teorell J., « A Deliberative Defence of Intra-Party Democracy », Party Politics, n° 5, 1999, p. 363-382.
7 Haegel F., « Conflict and change in the rassemblement pour la République » dans Ignazi P., Ysmal C. (dir.), The organization of Political Parties in Southern Europe, Westport, Praeger, 1998.
8 Haegel F., Pütz C., Sauger N., « Les transformations de la démocratie dans et par les partis : l’exemple de l’UDF et du RPR » dans Perrineau P. (dir.), La démocratie désenchantée, La Tour d’Aigues, 2003, p. 175-198.
9 Sur l’appropriation par les adhérents du RPR de cette procédure : Dolez B., Laurent A., « Quand les militants du RPR élisent leur président. 20 novembre-4 décembre 1999 », Revue française de science politique, n° 50, 2000, p. 125-146.
10 Haegel F., « Le pluralisme à l’UMP : structuration idéologique et compétition interne » dans Haegel F. (dir.), Partis politiques et système partisan en France, Paris, Presses de Sciences Po, 2007, p. 219-254.
11 À notre connaissance, la direction de l’UMP n’a jamais utilisé le terme de « délibération » lui préférant ceux de « débats », « participation », d’« échange » et leurs multiples déclinaisons lexicales.
12 Nous nous intéressons, ici, uniquement à l’introduction et aux usages des débats sur « le projet législatif » à l’UMP. Mais il convient de préciser que cette rhétorique de la démocratisation a aussi servi à légitimer la réforme des statuts adoptée en janvier 2006 qui prévoit la désignation du candidat « soutenu » par l’UMP à l’élection présidentielle au suffrage universel direct par les adhérents.
13 Depuis son accession à la présidence de l’UMP, tous les discours de Nicolas Sarkozy sont envoyés à l’ensemble des adhérents.
14 Le terme même de « convention », désignant un accord des volontés entre deux ou plusieurs personnes, à caractère contractuel, insiste davantage sur l’issue même des débats que sur la méthode pour y parvenir et les désaccords initiaux pouvant exister.
15 En tant que directeur de clinique, le père de l’un de mes enquêtés a sollicité l’UMP pour assister à sa convention « Santé ». Il a essuyé un refus. Son fils, membre actif de l’UMP, a réitéré sa demande et obtenu une invitation personnelle de la part de Xavier Bertrand, alors ministre de la Santé, en charge de l’organisation de cette convention.
16 Les conventions se déroulent le plus souvent dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
17 Blondiaux L., « Sondages et délibération. Une épistémologie alternative de l’opinion publique ? », Politix, n° 57, 2002, p. 167-180.
18 Dans les premiers numéros du Magazine de l’Union, la participation à cette consultation n’était pas réservée aux seuls adhérents. Mais dans le numéro spécial (« À vous de décider pour la France d’après. Grande consultation nationale ») qui reprenait l’ensemble des questionnaires pour chaque thématique, les participants étaient appelés à indiquer, outre leur identité et leurs coordonnées, leur numéro d’adhérent.
19 Les personnes morales associées à l’UMP sont soit des partis politiques (le parti radical valoisien, le Forum des républicains sociaux de Christine Boutin), soit des associations (le Centre National des Indépendants ; Gaylib, une association visant à promouvoir les revendications des gays et des lesbiennes à l’UMP ; France. 9, présidée par François Fillon ; « Dialogues et initiatives » de Jean-Pierre Raffarin…). Quel que soit leur statut juridique, elles sont souvent créées par et pour la promotion d’une personnalité.
20 Haegel F., « La vittoria di Sarkozy e il futturo dell’UMP » dans Baldini G., Lazar M., La Francia di Sarkozy, Bologne, Il Mulino, 2007, p. 115-126.
21 Ce questionnaire a été administré à 2 000 adhérents de la fédération du Nord, grâce à l’autorisation des responsables locaux (qu’ils en soient ici remerciés). Un premier envoi s’est échelonné entre le 20 et le 30 novembre 2006, suivi par un second envoi ciblé sur certains territoires en février 2007. 449 questionnaires ont pu être traités.
22 La question était formulée comme suit : « Parmi les raisons qui ont pu vous faire adhérer, quelles sont celles qui vous semblent importantes ? ». Plusieurs modalités étaient proposées : « Débattre autour des grands enjeux de société », « Exercer des responsabilités à l’intérieur du parti », « Participer à la transformation de la société », « Rencontrer des gens qui ont les mêmes opinions que vous », « Trouver votre véritable identité », « Exercer des responsabilités électorales » et « Convaincre par votre exemple ». Les enquêtés pouvaient donner plusieurs réponses.
23 La remise de soi des adhérents gaullistes ainsi que leur faible propension à la participation ont été associées, dans les années 1980, à un recrutement du RPR au sein des catégories populaires et non diplômées. Guiol P., Neveu E., « Sociologie des adhérents gaullistes », Pouvoirs, n° 28, 1984, p. 103 et s. Or les adhérents de l’UMP semblent être, en proportion, plus souvent diplômés du supérieur que leurs homologues du parti socialiste. L’enquête conduite par F. Haegel en 2004 auprès des participants au Congrès du Bourget indique que 55 % sont diplômés du supérieur contre 47 % des adhérents du PS en 1997. Haegel F., « La mobilisation partisane de droite. Les logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP », Revue française de science politique, vol. 59, n° 1, 2009, p. 7-27. Au sein de la fédération du Nord de l’UMP, le taux s’élève à 57 %.
24 Haegel F., « Faire l’union. La refondation des partis de droite après les élections de 2002 », Revue française de science politique, n° 52, 2002, p. 561-576.
25 Le Monde, 17 avril 2004.
26 Sur l’enjeu du pluralisme à l’UMP : Haegel F., « Le pluralisme à l’UMP… », art. cité.
27 Jacques Chirac comme Jean-Pierre Raffarin étaient très réticents à l’institutionnalisation des « mouvements », officiellement pour maintenir l’unité du parti et préserver la solidarité de l’UMP à l’égard de l’exécutif. À l’occasion du deuxième congrès de l’UMP le 8 février 2004, Jean-Pierre Raffarin rappelle notamment le rôle que doit tenir l’UMP à l’égard de l’exécutif : « Il nous faut protéger notre unité. Le carré magique de l’UMP, Président, Gouvernement, Parlement et Parti, ne peut pas être fragilisé par les divisions. Dans cette architecture de confiance, je le dis à toutes et à tous, tout le monde peut trouver sa place, il y a du travail pour tout le monde, personne ne doit se sentir exclu. Pour moi, mon seul courant est le TSD : Tout Sauf la Division ! »
28 Tribune intitulée « Des courants d’accord, des idées d’abord », Le Monde, 17 juin 2004.
29 Le Monde, 22 juin 2004.
30 Le Monde, 17 avril 2004.
31 Le Monde, 9 mai 2004.
32 Le Monde, 2 septembre 2004.
33 Ce n’est que le 4 septembre que Nicolas Sarkozy rend public sa candidature et les noms de ses deux vice-présidents, dont celui de Pierre Méhaignerie.
34 Sur les conversions de tierce personne donnant du crédit à l’entreprise d’un leader : Gaïti B., De Gaulle, prophète de la Ve République. 1946-1962, Paris, Presses de Science Po, 1998, 372 p.
35 Il s’agit d’un club qui vise à promouvoir la « culture d’entreprise » contre la « culture administrative » et qui revendique 77 députés majoritairement issus des rangs de Démocratie libérale, la formation créée par Alain Madelin.
36 Le Monde, 30 septembre 2004.
37 La mise en avant de la rhétorique participative par Nicolas Sarkozy, prétendant à la succession, est tributaire des mêmes ressorts que le recours à un discours et à des pratiques managériales au sein du parti : Petitfils A-S, « L’institution partisane à l’épreuve du management. Le recours à une rhétorique et à des pratiques managériales dans le recrutement des « nouveaux adhérents » à l’UMP », Politix, n° 79, p. 53-76.
38 Petitfils A. -S., « La seconde fondation de l’UMP : techniques de recrutement et sociologie des nouveaux adhérents », Mouvements, n° 52, 2007, p. 57-63.
39 Collovald A., « Pour une sociologie des carrières morales et des dévouements militants » dans Collovald A., Lechien M. -H., Rozier S., Willemez L. (dir.), L’humanitaire ou le management des dévouements ; Enquête sur un militantisme de « solidarité internationale » en faveur du Tiers-Monde, Rennes, PUR, 2002.
40 Enquête « nouveaux adhérents de l’UMP » réalisée par l’institut IPSOS auprès de 604 nouveaux adhérents, entre le 21 et 22 septembre 2005. Selon la définition indigène, les « nouveaux adhérents » sont ceux qui se sont « encartés » à partir du mois de janvier 2005, date à laquelle la campagne d’adhésion de l’UMP, axée essentiellement sur la personne de Nicolas Sarkozy, a véritablement débuté.
41 L’enquête IPSOS a été réalisée seulement auprès de « nouveaux adhérents », de sorte qu’il n’est pas possible à partir de ses résultats de savoir si les « anciens adhérents » sont moins disposés à participer à des débats. Notons que dans l’enquête par questionnaire que nous avons menée auprès des adhérents de la fédération du Nord, les « nouveaux adhérents » ne présentent pas plus de disposition à vouloir débattre que les « anciens ».
42 Cette double exigence de rénover l’image du parti et de son leader en concédant de nouveaux droits aux adhérents tout en renforçant l’efficacité de l’organisation rappelle, dans un tout autre contexte les attentes des dirigeants du parti conservateur britannique après 1997. Faucher F., « Brève passion ou engagement durable ? La démocratie interne dans le parti conservateur britannique », dans Perrineau P., Le désenchantement démocratique, op. cit., p. 149-173.
43 Magazine de l’Union, 14 décembre 2006.
44 « Au total, ce sont près de 450 000 personnes qui de près ou de loin, se sont associées à ces débats. », Magazine de l’Union, 14 décembre 2006.
45 Dans un éditorial du Magazine de l’Union (20 octobre 2006) appelant les adhérents à participer à « la grande consultation nationale sur le projet », il énonce : « J’ai voulu que vous puissiez, sur chacun des thèmes abordés, choisir les cinq mesures que vous jugez les plus importantes et pour lesquelles vous souhaitez que l’UMP s’engage particulièrement ». Il s’agit bien d’une entreprise d’appropriation de la démarche participative et de ses résultats escomptés.
46 Sur le rôle de « rassembleur » attendu du candidat une fois élu : Bourdieu P., « La délégation et le fétichisme politique », Actes de la recherche en sciences sociales, 1984, nos 52-53, p. 49-55.
47 Il faut comprendre l’utilisation de ce terme dans une acception extensive, inspirée néanmoins des travaux sur le local, de Marc ABÉLÈS, Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, Paris, Odile Jacob, 1989. 352 p. Ce concept désigne la rencontre entre des propriétés sociales et partisanes spécifiques et une configuration politique particulière à un moment donné, autorisant un individu à revendiquer légitimement un poste dans le cadre de la compétition politique.
48 Sur le travail d’interprétation des manifestations d’adhésion, cf. Mariot N., « Les formes élémentaires de l’effervescence collective, ou l’état d’esprit prêté aux foules », Revue Française de Science Politique, n° 51, 2001, p. 707-738.
49 Dans le sondage commandé par le parti à l’institut IPSOS, à la question sur les raisons de l’engagement, 78 % des « nouveaux adhérents » disent avoir adhéré en raison « de la personnalité et du discours de N. Sarkozy ». C’est d’ailleurs sur ce seul point que l’Institut a publicisé son enquête intitulant son bilan : « L’UMP recrute des adhérents sarkozystes ».
50 Ce rôle de rassembleur semble rencontrer, ou construire, les attentes d’une partie des adhérents et notamment des « nouveaux adhérents ». Un « nouvel adhérent » du Nord, gérant de société, dit avoir adhéré à l’UMP « pour qu’en 2007 on ne revive pas la division de la droite et donc l’alternance. Il faut que ce soit Nicolas Sarkozy qui soit le candidat car il est le seul capable de battre la gauche au sein de l’UMP », tandis que d’autres évoquent, plus explicitement, une adhésion en réaction à « la machine à perdre Chirac ».
51 « En renouant avec le modèle atomiste de la démocratie libérale, la pratique du suffrage universel partisan en reproduit cependant les lacunes et ne s’inscrit pas dans une logique explicite d’assomption et de légitimation du pluralisme interne. » Olivier L., « Ambiguïtés de la démocratisation partisane en France (PS, RPR, UMP) », Revue française de science politique, n° 53, 2003, p. 767. Il convient cependant de noter que certaines fédérations locales, à l’instar de celle du Nord, ont organisé des permanences tenues par des élus ou des cadres locaux du parti pour permettre aux adhérents sans connexion internet de pouvoir voter. Ces pratiques contribuent à réintroduire du lien social et une certaine forme d’encadrement collectif dans le processus d’individuation du lien partisan.
52 Courrier interne du 16 novembre 2006 accompagnant les cartes de vote individuelles avec les identifiants personnalisés. Archives personnelles qu’un adhérent nous a confiées. Qu’il en soit ici remercié.
53 Mis en exergue par la direction du parti.
54 Souligné par nous.
55 Le parti revendique plus de 145 000 votants sur près de 300 000 adhérents en décembre 2006. Soit un taux de participation de 48 %. Seul le nombre d’adhérents ayant pris part au scrutin est mis en avant par le parti, tandis que le taux de participation, relativement bas, est passé sous silence.
56 Seyd P., « New Parties, New Politics », Party Politics, 3, 1999, p. 385.
57 Cf. notamment : « Christine Boutin : l’UMP redevient “un parti replié sur lui-même” », AFP, 18 mai 2008. « La complainte des petits satellites de l’UMP en mal de reconnaissance », Le Monde, 30 juin 2008.
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