1Le souvenir de « Monsieur le président Sinsout » demeure bien vivace en Bergeracois. Il fut un élu radical a priori classique avec plusieurs mandats, plusieurs fonctions exécutives dans la formation valoisienne, une belle longévité politique, de 1925 à 1971 sur trois Républiques. En symbiose avec les agriculteurs, il a collectionné à leurs côtés les défis, des défis qui méritent ce premier décryptage. Intéressant sera aussi de situer dans « la mouvance radicale1 » cet élu plus atypique qu’il n’y paraît.

2Né le 13 janvier 1889 à Villamblard (Dordogne), Charles fit ses études au Lycée Henri IV2. Son père Michel (1855-1927) tenait une charge d’huissier à Bergerac3. Charles joue comme demi de mêlée à l’Union sportive Bergeracoise, il obtient, à ce poste-clé, le titre de champion de France en 1908 et il est appelé par deux fois en équipe nationale. Il obtient sa licence en 1910 à la Faculté de Droit de Bordeaux. À la veille de la Grande Guerre, il accomplit son service militaire de 3 ans, rentre pour 6 mois puis se trouve mobilisé de 1914 à 19194. Il est affecté aux poudreries de Bergerac et d’Angoulême. Étant juriste, il fut désigné avocat devant le conseil de guerre pour assurer la défense des jeunes recrues.

3En 1920, il épouse Renée-Jeanne Chevalier (1895-1984). Charles arrête son stage de notariat et s’installe aux « Quatre Ormeaux » sur la propriété de sa femme à Port-Sainte-Foy ; il se lance alors dans l’agriculture où il a tout à apprendre, un virage spectaculaire. Renée et Charles Sinsout ont eu trois enfants, Micheline, Françoise et Jean. Charles entraîne désormais le Stade foyen rugby avec Aurélien Grenouilleau, le grand patron des chais.

Un élu local enraciné

4L’adhésion de Charles Sinsout au parti radical – qui domine alors la vie politique en Périgord5 – date de 19236. Sa fidélité à la Rue de Valois reste sans faille. Dans ses discours, il se réfère souvent au philosophe Alain, le maître à penser, ainsi qu’à Camille Pelletan, figure tutélaire et fondateur du parti en 19017. Charles devient conseiller municipal en 1925, 1^er adjoint au maire de Port-Sainte-Foy de 1935 à 19598 ; mais, malgré son aura grandissante, il ne brigue jamais le fauteuil de premier magistrat, désireux de se consacrer à fond à ses différentes charges. En 1931 sur le canton de Vélines, il sollicite le poste de conseiller général en s’opposant au sortant Élisée Clerjaud, maire de Montazeau, radical lui aussi. Sinsout fait campagne uniquement en direction de l’électorat paysan ; il n’omet pas son titre de président du Syndicat des planteurs de tabac et de la Mutuelle bétail comme celui de vice-président de la Fédération radicale-socialiste de l’arrondissement de Bergerac9. Le premier tour le place en avance de 350 voix sur son concurrent direct. Dans une campagne âpre, Sinsout l’emporte de haute lutte10 et ne quitte plus ce siège à l’assemblée départementale pendant près de quarante années (1931-1971), si ce n’est pendant l’Occupation.

Le pionnier du monde agricole

5L’œuvre majeure de Charles Sinsout avant-guerre est, sans aucun doute, la fondation de la cave viticole qui assoit durablement sa notoriété11. Le 3 février 1935, quelques viticulteurs, sous la houlette de Sinsout, producteur lui-même, décident de se doter d’un outil commun de collecte, de vinification et de commercialisation d’une capacité de 15 000 hectolitres. Cela aboutit à une cave coopérative intercommunale basée à Port-Sainte-Foy. Les fondateurs, futurs administrateurs12, sont rejoints par une centaine de coopérateurs qui mettent en place la structure juridique, le 7 avril 1935. Le domaine couvert dépasse les limites du Vélinois13. Il s’agit alors de la première du genre en Périgord au moment où apparaissent les « caves » de Rauzan et de Saint-Émilion. À Georges Bonnet, alors ministre des Finances, revient l’honneur de présider à l’inauguration de la coopérative, qui d’agrandissements en agrandissements, atteint 65 000 hectos de cuverie.

6Le renouvellement du Conseil général de 193714 est une formalité. Sinsout peut faire état de ses nouvelles fonctions de président du Syndicat viticole de Montravel et de l’Union départementale des coopératives – fondée par ses soins en 193715 – ; pour l’administration : « aucun candidat sérieux contre Charles Sinsout dont la situation électorale a été sérieusement consolidée par l’activité qu’il a employée à créer, à organiser et à diriger la coopérative viticole de Port-Sainte-Foy16 ». Le voici réélu confortablement au second tour de scrutin17.

7En parallèle, Sinsout fait prendre conscience de la nécessité d’assurer les risques liés au travail de la terre, tout d’abord aux éleveurs : accidents et mortalité du bétail auprès des « Assurances 1900 ». Il étend ensuite la protection à l’incendie puis, bien plus tard, à la grêle. Il a confié au maître de chai de la cave, Boucher puis Rambaud, la mission de trouver les premiers clients et de suivre les dossiers de sinistre.

8Nous n’avons pas de renseignements patents concernant des orientations de politique générale spécifiques du conseiller général Sinsout à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Sa référence en la matière demeure Yvon Delbos, le député radical du Sarladais qui a occupé plusieurs fonctions ministérielles importantes dans les années 1930, comme la Justice, les Affaires étrangères et l’Éducation nationale18. Sinsout admire en lui la probité, le sens de l’État et le dévouement à la cause paysanne.

Sous Vichy, un opposant discret

9Au début de l’État français, Ch. Sinsout est resté conseiller général jusqu’à la suspension de l’activité de cet organisme départemental, en octobre 194019. Le premier Conseil départemental restreint comporte 21 membres, parmi lesquels Georges Bonnet – qui ne siège pas –, et Henry Laforest de Mareuil-sur-Belle, secrétaire du Conseil, qui est présenté comme fidèle au Maréchal20. Lorsque, en 1943, le préfet s’avise de faire représenter chacun des cantons, transparaît une seule fois et sur un brouillon, le nom de Charles Sinsout, ce dernier étant jugé peu sûr par le régime de Vichy21.

10Son fils, Jean Sinsout, témoigne :

« Il était très proche de Louis de la Bardonnie, premier résistant en Périgord et devait le prévenir en cas d’arrivée d’une colonne de la Wehrmacht ; il avait aussi des contacts avec la Résistance foyenne. C’est un gaulliste de la première heure ; on écoutait la BBC, mais on ne mettait pas encore de visage sur le nom du général de Gaulle. En 1941, des avions anglais ont parachuté des tracts portant l’appel du 18 juin 1940 avec une photographie du général. J’en ai caché un dans un puits avec des fusils de chasse dont la possession était prohibée. […] Lors d’une fête d’école en 1940 (ou 1941), tout s’arrête pendant un discours du maréchal Pétain ; le public se lève et je fus un des rares à rester assis, c’est dire dans quelle atmosphère nous étions élevés à la maison22. »

11Lors de l’enquête réalisée sur le sort des Juifs en pays foyen par la société historique, il ressort que Charles Sinsout profite de son poste d’adjoint au maire à Port-Sainte-Foy pour établir de fausses cartes d’identité en faveur des Israélites réfugiés en zone libre23.

L’ascension au sein de la famille radicale

12À la Libération, Ch. Sinsout est considéré par la Sûreté comme « favorable à la Résistance24 » ; il est noté comme « actif, intelligent, très populaire, exerçant une grande influence sur son secteur, en particulier dans les milieux viticoles ». Il est réélu avec brio en 1945 au Conseil général25 au premier tour avec plus de 65 % des voix. Ce scénario se répète au renouvellement de 195126. L’élu profite d’une forte cote : « instruction, dévouement, qualités d’administrateur et connaissance des questions viticoles sont à la base de la sympathie dont il jouit dans tous les milieux27 ».

13Fort de cette emprise manifeste que la guerre n’a pas estompée, bien au contraire, Charles Sinsout entre franchement dans le jeu politique en cherchant à réunifier une famille politique radicale déchirée par l’Occupation. Si Yvon Delbos28 a retrouvé les chemins du gouvernement29, son pouvoir local est fragilisé. Alors qu’il est sous le coup d’une instruction pour haute trahison et exclu du parti radical, Bonnet vit en Suisse de 1944 à 1950. Bien que proscrit, il bénéficie aux yeux d’une partie de la population d’un grand crédit alors même qu’il est honni par la Résistance, en particulier communiste, pour son pacifisme munichois et surtout pour son maréchalisme30. Ch. Sinsout se manifeste d’emblée en faveur de l’ex-conseiller général de Champagnac-de-Bélair en session du Conseil général, dès décembre 194931. En 1950, bénéficiant d’un non-lieu, Bonnet revient en France, soutenu par ses amis, dont Sinsout au premier chef32. En face, Henry Laforest, dauphin désigné de Delbos qui avait opté in fine pour la Résistance33, fait tout pour barrer la route au revenant avec l’aide de la SFIO dirigée par Robert Lacoste, ministre de l’Industrie après-guerre34. Après sa victoire aux cantonales en 1951 et grâce à la fédération radicale de l’arrondissement de Bergerac que dirige Sinsout avec l’appui de son ami Robert Taillandier, directeur du journal « bonnetiste », L’Indépendant républicain35, Bonnet peut être réintégré au sein de la fédération de la Dordogne36. Ce dernier, garant d’adhésions massives, est redevenu incontournable au sein d’une formation affaiblie. L’unanimité de façade s’affiche avec côte à côte sur les tribunes Delbos, Laforest, Bonnet et Sinsout. En 1955, Bonnet, devenu maire de Brantôme, est élu à l’unanimité président de la fédération radicale-socialiste de Périgueux-Ribérac en remplacement de Bardon-Damarzid, l’ancien sénateur qui ne se représente pas. Le retrait du précédent permet à Delbos de conquérir son siège à la Haute assemblée aux sénatoriales de juin 195537.

14En décembre 1955, la décision prise par Edgar Faure de dissoudre l’Assemblée nationale s’avère lourde de conséquences en Dordogne. Bonnet, qui a fait sa liste grâce au soutien des militants, est exclu par le bureau national avec l’aval de Pierre Mendès France38, le 16 décembre. Le scrutin de janvier 1956 est, néanmoins, un beau succès pour G. Bonnet qui retrouve le Palais-Bourbon alors que H. Laforest est élu de justesse. Sinsout adresse au parti radical, avec Taillandier, Rondeau et Trarieux39, une lettre de démission. Les signataires s’emploient à fonder une fédération dissidente « bonnetiste » qui se présente comme seule légitime. Logiquement, Ch. Sinsout en devient le président, pour refaire, selon lui, l’unité du parti40. Curieusement, il est félicité par Yvon Delbos de cette promotion41.

La relance de l’esprit coopératif

15Tout en continuant à diriger la cave coopérative depuis son bureau, centre névralgique, Ch. Sinsout reprend son bâton de pèlerin pour assurer la modernisation de son secteur géographique. En 1952, il obtient que les 13 communes du canton de Vélines se fédèrent pour constituer un syndicat intercommunal d’alimentation en eau potable (SIAEP) dont le siège est fixé au chef-lieu de canton42. Le préfet de la Dordogne autorise cette fondation, le 13 février 195243.

16Après la guerre également, la Caisse locale d’Assurances mutuelles agricoles (CLAMA) se substitue à la Compagnie d’assurances 1900 ; dans la foulée de la création, en 1945, de l’Union des caisses centrales de la mutualité agricole, Sinsout contribue au regroupement des CLAMA au niveau départemental, Caisse centrale dont il assume désormais la présidence44. Ce dernier veille également aux destinées des Caisses cantonales du Crédit agricole mutuel ; vice-président puis président de la Caisse régionale, il sait en maintenir le siège à Bergerac45. Parmi les actions en faveur des intérêts agricoles, il convient de mentionner également la fondation des centres techniques agricoles de Vélines et de Villefranche-de-Lonchat.

Sénateur de haute lutte

17Après le décès d’Yvon Delbos, le 15 novembre 1956, se pose la question de son remplacement au Sénat. Soutenu par Pierre Mendès France alors premier vice-président, et par Henry Laforest, Michel Diéras, conseiller général du Bugue, a reçu l’investiture officielle du parti valoisien. Cependant, Sinsout annonce, à son tour, sa candidature46 et propose à Diéras un désistement réciproque au second tour47. Le 13 janvier 1957, Sinsout écarte son challenger ; par ailleurs, la présence au sein du même gouvernement Guy Mollet de Laforest et de Lacoste48 facilite un accord de second tour où la fédération valoisienne fait voter pour le candidat socialiste Pugnet qui est élu au détriment du radical Sinsout battu de 12 voix seulement. Au moment du 13 mai 1958 et de la chute de la IV^e République, Sinsout, si admiratif du de Gaulle résistant, prend ses distances avec le de Gaulle politique, redoutant le déclin excessif du régime parlementaire. La fondation de la V^e République entraîne l’organisation d’élections générales pour renouveler les assemblées.

18Le 26 avril 1959 a lieu le premier tour de l’élection sénatoriale. Sinsout (RGR, étiquette refuge des radicaux marginaux49), est élu sans coup férir ; il engrange, sans aucun doute, le fruit de décennies de dévouement en direction des campagnes et lave l’affront de 1957. La surprise vient du Conseil constitutionnel ; dans sa décision rendue suite à une requête présentée par H. Laforest, le Conseil annule l’élection « du sieur Sinsout » au Palais du Luxembourg, au motif que ce dernier a bénéficié d’une circulaire émanant de la Chambre d’agriculture ainsi que du bureau de la FDSEA en faveur des « candidats faisant état de professions agricoles50 » alors que le cas du sénateur socialiste Georges Brégégère, maire de Condat, n’est pas mis en question par Laforest. Lors de l’élection partielle du 4 octobre 195951, se réclamant haut et fort de la défense paysanne, s’estimant injustement traité par un adversaire déloyal, Sinsout est élu haut la main avec 617 voix, la majorité absolue étant à 608 suffrages. Sinsout est ainsi réintégré dans ses fonctions parlementaires, le 4 décembre52. Belle revanche saluée par le camp de Bonnet sur son ennemi intime, une nouvelle fois défait53. Sinsout n’a guère apprécié l’attitude de Laforest qui a cherché à le faire exclure du parti radical. Convoqué à la présidence à Paris, Sinsout s’est rappelé au bon souvenir d’Edouard Herriot qui aurait déclaré alors : « Quand on a des militants de ce type, on les garde54. »

19Le sénateur rejoint le groupe de la Gauche démocratique qui permet de couvrir la mosaïque radicale et au-delà55 ; il siège de 1959 à 1971 à la commission des Affaires sociales. On sait peu de choses sur son action parlementaire puisqu’en douze ans de mandat56, il n’intervient qu’une seule fois en séance, à l’occasion du projet de loi de finances pour 1963 ; il a voté les pouvoirs spéciaux pour le maintien de l’ordre en Algérie en 1960, a participé à la commission mixte paritaire sur le Code du travail Outre-mer et fut favorable à la loi Neuwirth de 1967 relative à la régulation des naissances57. Sénateur discret certes, mais ses archives montrent son travail de fond, discret et efficace, ses interventions redoublées auprès du secrétaire d’État au budget, le député de Libourne, Robert Boulin, rapprochés par une estime réciproque ; tout aussi insistantes furent ses requêtes auprès du ministre de l’Agriculture, Edgar Pisani, en direction des exploitants et de la coopérative fruitière58. Par ailleurs, on le voit très incisif sur un « Marché commun mal préparé » dont il redoute les effets brutaux de la concurrence sur les exploitations familiales ; il encourage les syndicats paysans à se fédérer et à réagir. Lorsqu’il retrouve son terroir politique, le « président Sinsout » fustige un gouvernement Pompidou qui s’avère incapable d’écouter comme de répondre au « malaise paysan ».

20Sinsout conforte parallèlement son emprise locale lors des cantonales où il écœure la concurrence ; ainsi, en 1964, il rassemble illico 77 % des voix59, le voici inexpugnable dans son bastion du Vélinois.

L’aventure de Valcodor

21L’assemblée générale constitutive de la coopérative agricole se tient le 31 juillet 1959 à Port-Sainte-Foy60. Les fondateurs, au nombre de 15, apportent le capital si bien qu’ils se partagent les places au conseil que préside Ch. Sinsout. La raison sociale devient « Val Co Dor », soit la Coopérative fruitière de la Vallée et Coteaux de la Dordogne61.

22Le nom de Charles Sinsout, aux côtés de Robert Costes, directeur62, est associé aux années cruciales de lancement de la coopérative, de 1959 à 196363 où il apporte sa notoriété de tout nouveau sénateur. À partir de 1960, Valcodor se dote d’un outil industriel de première grandeur64. Sinsout s’est impliqué personnellement dans cette aventure en constituant en co-propriété Les Vergers des Graves65. Logique avec sa démarche globale, il obtient que Valcodor soit adhérente à une société d’études Unifruits et légumes66 puis à la Fédération départementale des producteurs de fruits et légumes67.

23Le 9 août 1963, Charles Sinsout laisse le fauteuil de président à Pierre Tillet68. Les obligations du sénateur, âgé de 70 ans, sans compter ses missions dans les organismes agricoles69, ont fait qu’il a préféré passer la main assez tôt ; il reste le « sage », défenseur d’une rationalisation prudente des méthodes. La déconfiture ultérieure donnera raison à sa stratégie pragmatique. En 196670, Sinsout n’est plus que « président d’honneur ».

Vers la réunification de la famille radicale en Dordogne

24Fort de son aura consensuelle, Charles Sinsout peut, en Dordogne, réunifier la famille radicale-socialiste. Dès 1960, lors de son jubilé, Bonnet, qui rassemble 2000 convives, bénéficie du soutien de Maurice Faure71. Le président Félix Gaillard, qui veut réintégrer les exclus du mendésisme72 vient en Périgord73 proposer à Laforest74 puis à Bonnet75 de constituer une commission mixte de conciliation76. Mais ces tractations n’aboutissent pas. En 1962, Maurice Faure, à son tour président du parti77, intime aux radicaux de s’unir devant la menace gaulliste à la veille de scrutins qui s’annoncent décisifs78. En Bergeracois, chez Sinsout, a lieu la première synthèse qui précède de peu le rapprochement imposé par Maurice Faure qui fait le voyage de Périgueux en juin 1962. Le bureau de la fusion est présidé par Charles Sinsout, une reconnaissance pour ce fidèle de Delbos puis de Bonnet ; les deux rivaux, Bonnet et Laforest, sont promus vice-présidents79. C’est une semi défaite pour Laforest qui perd le contrôle du parti en Périgord. Bonnet est réintégré officiellement et, bientôt, propulsé au bureau national. Il faut dire qu’il vient de sauver son siège de député dans une élection des plus disputées et dans un contexte des plus difficiles. Il est le seul élu de 1958 à conserver son siège, le dernier du département pour les radicaux.

25En 1964, Sinsout tient toujours fermement la fédération qui pèse sur la vie politique ; plusieurs mairies importantes sont encore détenues par des radicaux ou des alliés80 ; plusieurs organes de presse répercutent les thèmes valoisiens, La Dordogne républicaine, La Dordogne libre, Le Démocrate, L’Information sarladaise et L’Information radicale81. Au Conseil général, tenu par Lacoste et les siens, radicaux orthodoxes et bonnetistes, plus à droite, se partagent plus d’une vingtaine de sièges. L’unanimisme de façade est de rigueur pour honorer la mémoire d’Yvon Delbos82.

26Un discours de Sinsout83, prononcé devant les élus de la Fédération nationale des élus républicains, montre qu’il refuse en bloc la force de frappe, « dispendieuse et dangereuse », la réforme des finances locales, la suppression du Sénat ainsi que « la planification technocratique ». Il faut, dit-il, « résister au pouvoir personnel ». Sensible au rejet du gaullisme qui entraîne une majorité d’Aquitains, le sénateur de la Dordogne défend bec et ongles sa conception classique de la République parlementaire où le pouvoir central est tempéré et contrôlé par les structures intermédiaires plus proches du peuple. Il a été dans le camp du « Non » en 1962, il est dans le même camp lors du référendum de 1969 qui voit l’échec du général. En 1965, il se montre un ardent défenseur de la candidature de François Mitterrand.

27Les élections de 1967, que les antigaullistes espèrent enfin emporter après une cure d’opposition, apportent leur lot de surprises. Avec la mise en place de la Fédération de la Gauche démocrate et socialiste (FGDS), Sinsout est élu coprésident du bureau exécutif de concert avec Brégégère (SFIO)84. Henry Laforest, lâché par la direction nationale85 alors qu’il a fait campagne pour le « non » en 1962, est exclu par la fédération de la Dordogne pour avoir « recherché l’investiture de l’UNR86 ». Le 1^er décembre, il adresse une lettre de démission au président du parti radical-socialiste ; le bureau national, présidé par René Billères, rend publique la décision d’exclusion87, suivi par le bureau exécutif de la FGDS. C’est la sensation ! À Périgueux se tient une grande manifestation unitaire de la gauche non communiste88 où Charles Sinsout tient la vedette ; il en appelle au rassemblement des Républicains et condamne sans appel les errements de Laforest, un petit parfum de revanche sur 1957 et sur 1959. Au premier tour des législatives, à fronts renversés, Bonnet, radical officiel désormais, élimine Laforest, dissident, puis conserve son siège89. Sinsout participe comme délégué et membre du comité exécutif au congrès du parti de 1968 ; il a cédé la présidence de la fédération départementale à Alain Bonnet, fils de l’ancien ministre, conseiller général de Champagnac-de-Bélair depuis 196490.

28Charles Sinsout ne se représente pas aux élections sénatoriales de 1971. Alain Bonnet, maire de Brantôme, est chargé – sans succès –, de conserver le siège aux Valoisiens91. Sinsout a choisi de quitter la vie politique92. Touché par le décès de son ami Robert Taillandier93, il restait reclus, sans âme. Une dizaine d’années avant son décès survenu le 3 mai 1985, il eut plusieurs congestions cérébrales. Son entourage, douloureusement frappé, ne reconnaissait plus l’homme jovial et sociable qu’il fut pendant ses périodes d’intense activité.

Un notable radical ?

29Le parcours de Charles Sinsout est a priori classique au sein de la mosaïque radicale94 ; voici un « élu de terrain » dont le très long cursus local et départemental assure un ancrage dans un fief devenu indiscutable avant de connaître sur le tard la consécration nationale, processus bien dans la mode valoisienne. Du reste, porteur des valeurs radicales, rétif au vichysme, il retrouve sans coup férir, grâce à cette continuité à la base, ses mandats en 1945, à l’inverse du déclin que subissent alors ses amis politiques. Gestionnaire avisé, il utilise sous les III^e et IV^e Républiques un discours peu empreint d’idéologie. À l’instar des siens, il réagit contre la présidentialisation gaullienne et plus encore contre la politique menée par Pompidou à partir de 1962. En bon radical, il se fait le défenseur des corps intermédiaires, du pouvoir d’intercession entre le représentant et ses électeurs, durcissant le ton contre ce qu’il voit comme du césarisme. Attaché au parlementarisme, il cible ses revendications catégorielles, en particulier vers les campagnes, et sait faire connaître ses interventions. La fidélité à l’état d’esprit républicain est un trait constant qui inspire son action sur la durée.

30Cependant, le parcours du « président » est pour le moins original. Bien dans la ligne de Delbos dans l’entre-deux-guerres, Sinsout a gagné ses galons d’homme de consensus. Avec le retour de la démocratie, à la Libération, son obsession est de réunifier la famille radicale déchirée par l’Occupation. Il voit en Bonnet le rassembleur possible pour un parti charnière ; par deux fois, sous la IV^e et sous la V^e Républiques, il s’emploie à le faire réintégrer et réussit sans être exclu lui-même par la Place de Valois. Jamais marginalisé quoique dissident, il a jeté sa notoriété dans la bataille, ce qui lui ouvre les portes du Luxembourg. Il sait rejoindre le camp de la FGDS, se transformant définitivement en notable d’opposition.

31Pour autant, il n’est pas une notabilité qui exploite à son profit les réseaux paysans à la Bonnet en Dordogne ou à la Maroselli en Haute-Saône95 ; en effet, Sinsout, élu agricole, a forgé ses réseaux par son action militante dès les années 1920. Sa compétence juridique sous-tend la structuration de la profession agricole qu’il accomplit grâce à plusieurs vecteurs de son cru : mutualité, syndicats, crédits agricoles, coopération viticole puis fruitière. Il s’agit de répondre à la désertification des campagnes puis à l’ouverture au Marché commun. Sa carrière locale, municipale et départementale, arrive en contrepoint et non l’inverse. Pour cet homme, peu enclin aux honneurs, la politique est un moyen parmi d’autres d’atteindre ses objectifs.

32Ainsi, Charles Sinsout fut, pendant plus de quarante ans, un acteur du développement coopératif directement issu du milieu paysan. Il a largement contribué à faire du Périgord une terre d’innovation, tout en préservant, paradoxalement, la tradition radicale.