Version classiqueVersion mobile

Gaullistes dans l’Ouest atlantique

 | 
Laurent Jalabert

Conclusion

Gilles Richard

Texte intégral

1Que conclure de cette minutieuse étude sur les gaullistes et les élections législatives dans l’Ouest atlantique de 1958 à 1981 ?

  • 1 Christian Bougeard, Vincent Porhel, Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), L’Ouest dans (...)
  • 2 Dans l’ouvrage de Laurent Jalabert et Christophe Patillon (dir.) Mouvements ouvriers et crise indu (...)

2Deux choses que les historiens du politique connaissent bien méritent d’abord d’être rappelées. Il y a d’une part un intérêt évident à mettre côte à côte, afin de dialoguer et de réfléchir ensemble, les acteurs-témoins et les historiens : c’est le privilège de l’histoire du temps présent que de permettre cette confrontation et il faut, sans réticence, en profiter. Que Michel Rabreau, ancien député suppléant d’Olivier Guichard, soit ici chaleureusement remercié pour son passionnant témoignage, livré avec une grande sincérité, bien éloigné de toute forme de « langue de bois ». Il y a d’autre part une réelle utilité de mener des études régionales si l’on veut appréhender dans toute sa complexité l’histoire d’un phénomène national. C’est particulièrement vrai dans l’étude des grandes forces politiques, nationales par définition mais dont l’implantation et l’influence dans les différentes fractions du territoire ne sont jamais homogènes. Et l’histoire politique de l’Ouest, plus que toute autre région probablement, démontre la variabilité des phénomènes dans l’espace comme dans le temps. L’Ouest n’est d’ailleurs pas lui-même un tout homogène, selon qu’on le définit comme le Grand Ouest (Bretagne, Pays de la Loire et Basse-Normandie1) ou comme l’Ouest atlantique, de l’Aquitaine à la Haute-Normandie2. Les radicaux dans le Sud-Ouest ou les communistes dans la Basse-Seine y eurent ainsi longtemps une influence supérieure à celle qu’ils avaient, par exemple, en Bretagne.

3L’ouvrage collectif issu de la journée d’études qui s’était tenue à Nantes le 16 novembre 2009, concentre l’analyse sur les Pays de la Loire : l’implantation électorale du gaullisme depuis 1958 jusqu’à 1981 y est examinée en détail dans quatre des cinq départements les composant – seule manque la Mayenne – et la région prise dans son ensemble est ensuite comparée, de façon précise, avec l’Aquitaine, le Poitou-Charentes, la Bretagne et la Normandie. Des diverses contributions, trois constats nous semblent ressortir, qui touchent à la sociologie électorale du gaullisme, aux transferts de voix et aux évolutions de son influence sur la moyenne durée.

  • 3 David Bensoussan Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entr (...)

41 – On observe tout d’abord un poids assez marqué des élus appartenant à l’ancienne noblesse – les noms « à particule » –, globalement supérieur à la moyenne nationale. L’Ouest, et plus particulièrement les Pays de la Loire où se déroulèrent les événements dramatiques de la « Vendée militaire », a longtemps concentré un nombre important de grands propriétaires fonciers d’origine aristocratique, souvent tardivement et partiellement « ralliés » à la République3. L’intégration dans le système partisan de ceux qu’on nommait volontiers les « conservateurs » avant 1914 et que les préfets de la Quatrième République appelaient les « indépendants de droite », avait commencé entre les deux guerres à travers la Fédération républicaine (FR) puis le Parti social français (PSF). Elle se poursuivit à la Libération par leur fréquent engagement dans l’éphémère Parti républicain de la liberté (PRL). Le Rassemblement du peuple français (RPF), lancé par Charles de Gaulle au printemps 1947, les capta vite mais superficiellement, puis le Centre national des indépendants et paysans (CNIP) les intégra plus durablement. Olivier de Sesmaisons, conseiller général de La Chapelle-sur-Erdre et député de la Loire-Atlantique pendant plus de vingt ans – auquel succéda en 1967 Joseph Maujouan du Gasset – offre un parfait exemple de ce cheminement décrit à grands traits, des années 1930 aux années 1960.

5Quand les gaullistes arrivèrent au pouvoir à l’occasion de l’avènement de la Cinquième République, ils s’implantèrent au départ sur d’autres bases, sociologiquement plus populaires, que celles de ces élus précédemment décrits. La victoire de Robert Hauret sur Robert de Grandmaison en 1958 dans le Saumurois en fut une bonne illustration. La prise en main du Centre national des jeunes agriculteurs (CNJA) par une deuxième génération de militants plus proches des gaullistes que la précédente, très liée au Mouvement républicain populaire (MRP), accompagna le changement de régime. Mais aucune des grandes villes de la région ne connut une domination gaulliste aussi inébranlable que celle que connut Bordeaux. Dans la seconde moitié des années 1970, les conséquences de la décentralisation industrielle des années 1960, la poursuite ininterrompue de l’exode rural, l’essor de la scolarisation de la jeunesse dans les lycées puis les universités, enfin, les premiers effets de la troisième révolution industrielle commencèrent à modifier le rapport des forces politiques en faveur du Parti socialiste (PS), refondé au congrès d’Épinay.

  • 4 Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.) Les partis et la République. La recomposition du s (...)

62 – Le succès électoral du gaullisme dans l’Ouest et plus spécifiquement dans les Pays de la Loire fut incontestable à partir de 1962. Il se fit surtout au détriment du CNIP, brisé par la scission giscardienne contre le choix de la direction du Centre de soutenir jusqu’au bout la cause de l’Algérie française. Emblématique de ce point de vue, le cas de la huitième circonscription de Loire-Atlantique où Jean de Grandmaison, élu dès le premier tour en 1958, fut battu en 1962 par Lucien Richard, candidat de l’Union pour la nouvelle République (UNR). Le succès gaulliste se fit aussi, bien qu’un peu plus tard et un peu plus lentement, au détriment de la démocratie-chrétienne, gênée par la bipolarisation croissante de la vie politique à partir des années 19604.

7Contre ces deux grands partis de la République précédente que furent le CNIP et le MRP, le gaullisme s’imposa au début des années 1960 en prenant appui, comme ailleurs, sur ses cadres locaux, en place depuis l’époque du RPF et qui avaient conservé leurs positions d’élus municipaux ou départementaux après la « mise en sommeil » du Rassemblement. Mais globalement, ce succès ne provoqua pas d’une durable modification en profondeur du rapport des forces entre gauches et droites. Dès 1967, les gauches reprirent une partie du terrain perdu dans les premières années de la nouvelle République. Quant au « raz-de-marée » gaulliste en juin 1968, il ne fut que la conséquence temporaire de l’échec des gauches à s’unir en mai : bientôt, la signature du « Programme commun de gouvernement » inversa à nouveau la donne.

83 – Le dernier constat qui s’impose concerne la profondeur de l’enracinement gaulliste dans les Pays de la Loire. Ici comme ailleurs, le parti gaulliste – « UDR » depuis 1968 : Union pour la défense de la République puis Union des démocrates pour la République – connut un réel déclin dès les élections législatives de mars 1973. Loin d’être un épiphénomène, il se poursuivit jusqu’en 1981 au profit non seulement des gauches, PS surtout, mais aussi et plus encore au profit des droites non gaullistes, regroupées depuis 1974 autour de Valéry Giscard d’Estaing et organisées dans l’Union pour la démocratie française (UDF) en 1978. Le Rassemblement pour la République (RPR) qui succéda à l’UDR en 1976 ne retrouva en effet jamais les scores électoraux de cette dernière. Il plafonna désormais dans les Pays de la Loire, et plus largement dans tout l’Ouest atlantique, autour de 20 %, sauf rares exceptions.

  • 5 Bernard Lachaise, Sébastien Laurnent et François Audigier (dir.) « Les gaullistes, 1958-1981. Dive (...)
  • 6 Bernard Lachaise « Le RPR et l’économie, 1976-1981 », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.) L (...)

9Ainsi, l’étude des élections législatives dans l’Ouest atlantique de 1958 à 1981 confirme, malgré des nuances de détail non négligeables, l’histoire globale du gaullisme telle qu’elle ressort du colloque de Bordeaux qui a clos le vaste programme de recherches sur « Gaullistes, hommes et réseaux » (GAULHORE), mené sous la direction de Bernard Lachaise et François Audigier5. À bien des égards, la fin des années 1970 ne marqua-t-elle pas une certaine fin du gaullisme, dans les Pays de la Loire comme à l’échelle du pays tout entier ? Avec la fin d’un parti gaulliste en position de « premier parti de France » et la fin d’un parti gaulliste tout court, le RPR amorçant dès 1980-1981 son grand virage idéologique – ralliement au néolibéralisme6 puis à l’européisme – sous la conduite de Jacques Chirac ?

Notes

1 Christian Bougeard, Vincent Porhel, Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.), L’Ouest dans les années 68, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2012.

2 Dans l’ouvrage de Laurent Jalabert et Christophe Patillon (dir.) Mouvements ouvriers et crise industrielle dans les régions de l’Ouest atlantique, des années 1960 au début des années 1980, Presses universitaires de Rennes, 2010, on y ajoute même le Pays basque espagnol et les Asturies.

3 David Bensoussan Combats pour une Bretagne catholique et rurale. Les droites bretonnes dans l’entre-deux-guerres, Paris, Fayard (Nouvelles études contemporaines), 2006, et Jean-Paul Thomas Droite et rassemblement du PSF au RPF, 1936-1953. Hommes, réseaux, cultures. Ruptures et continuités d’une histoire politique, thèse de doctorat d’histoire, IEP de Paris, 2002.

4 Gilles Richard et Jacqueline Sainclivier (dir.) Les partis et la République. La recomposition du système partisan, 1956-1967, Rennes, Presses universitaires de Rennes (Histoire), 2007.

5 Bernard Lachaise, Sébastien Laurnent et François Audigier (dir.) « Les gaullistes, 1958-1981. Diversité et originalité d’une famille politique », colloque de Bordeaux, 30 novembre-1er décembre 2011. Actes à paraître prochainement.

6 Bernard Lachaise « Le RPR et l’économie, 1976-1981 », dans Olivier Dard et Gilles Richard (dir.) Les droites et l’économie en France au XXe siècle, Paris, Riveneuve éditions, 2011, p. 213-223.

Auteur

Professeur d'histoire contemporaine à l'IEP de Rennes, chercheur au Centre de recherche sur l'action politique en Europe (UMR-CNRS 6051), spécialiste de l'histoire politique de la France depuis la Grande Guerre a récemment publié, « Georges Pompidou », dans David S. Bell et John Gaffney (eds) The Presidents of the French Fifth Republic, Basingstoke, Palgrave, 2013 ; et avec Julie Bour, Lydiane Guet-Montchal et Olivier Dard (dir.), Louis Jacquinot, un indépendant en politique, Paris, Presses universitaires de Paris-Sorbonne, 2013.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search