1En 1958, la Cinquième République en gestation revient, pour les élections législatives, au mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours en vigueur pendant la plus grande partie de la Troisième République. Pour les élections à l’Assemblée nationale de novembre 1958, la métropole est découpée en 469 circonscriptions, réduisant la représentation nationale de 79 sièges. En Bretagne (à cinq départements avec la Loire-Atlantique), il reste 33 circonscriptions alors qu’il y avait 39 députés sous la Quatrième République1. Partons d’un constat : lors des premières élections législatives de 1958, les parlementaires de gauche sont totalement éliminés dans cette région. Or, en juin 1981, la gauche, ou plus exactement le Parti socialiste (PS), enlève 19 sièges. Ces résultats électoraux qui traduisent un changement majeur du paysage politique breton posent la question des raisons d’une telle évolution, en 23 ans, au-delà des effets amplificateurs et particuliers de la conjoncture politique du moment : la crise du 13 mai 1958 et le retour au pouvoir du général de Gaulle d’une part, et l’élection à la magistrature suprême du candidat de la gauche, François Mitterrand, le 10 mai 1981. Cette mutation politique est à l’image des profondes transformations économiques, sociales, culturelles, religieuses d’une région qui s’est rapidement développée, modernisée et urbanisée dans les années 1960-1970 récoltant les fruits des efforts mis en œuvre sous la Quatrième République2.

2Comment est-on passé sur le plan politique d’une droite puissante en voix et triomphante en sièges en 1958, hégémonique dans les années 1960 (plus de 66 % des suffrages en 1962 et 1967, et même plus de 68 % en 1968), à un tassement au premier tour des élections législatives dans les années 1970 (58,5 % en 1973 et 51,4 % en 1978), puis à un échec en 1981 (minoritaire en voix 46,5 % et en sièges : 14 députés)3 ? Pour des raisons d’homogénéité statistique, nous considérons que le vote de droite rassemble les électeurs qui se sont prononcés pour des candidats gaullistes (UNR, UDR, RPR)4 des candidats de la droite indépendante (CNI5, modérés, Républicains indépendants), et des candidats centristes (MRP6, Centre démocrate, ex-UDSR7 comme René Pleven ou radicaux). Ces centristes sont souvent après 1962 en semi-opposition avec le général de Gaulle, mais leurs parlementaires se rallient par étapes à la majorité présidentielle et gouvernementale de 1966 à 19748. Le refus d’alliances avec les partis de gauche de ces députés centristes permet de les situer de fait dans le camp des droites lors des scrutins décisifs (budget), en dépit de leurs divergences sur l’Europe ou l’aménagement régional à l’époque gaullienne.

3Éclairer le basculement à gauche de la Bretagne, effectif à partir de 1981, nécessite de prendre en compte la lente remontée électorale de la gauche dans les années 1960 après le choc de novembre 1958, avec des avancées et le recul de juin 1968, puis de montrer une nette accélération après 1973 dans le cadre de l’union de la gauche et comme reflet des profondes mutations sociologiques de la société bretonne (coup d’arrêt et inversions des courants migratoires, révolution agricole et industrialisation, déclin rapide de la pratique religieuse régulière, montée en puissance d’une jeunesse scolarisée et étudiante). L’un des facteurs de cette évolution politique est assurément la création et l’essor du nouveau Parti socialiste (PS) dans la région et l’émergence d’une nouvelle génération de militants et d’élus (maires, conseillers généraux, députés) qui prend la relève des anciens aux élections législatives en trois temps : 1973, 1978 et surtout 1981.

La situation électorale de la gauche en Bretagne au début des années 1960

4Il convient d’abord de présenter la situation électorale des partis de gauche à la fin de la Quatrième République pour mieux appréhender le séisme de 1958. Comme ailleurs en France, la Libération avait été marquée par un net glissement électoral à gauche en faveur d’abord du Parti Communiste Français (PCF), fruit de son engagement dans la Résistance, surtout dans le Finistère et les Côtes-du-Nord, et moins nettement au profit de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO). Mais ce glissement à gauche s’était opéré largement au détriment du Parti radical-socialiste quasiment éliminé du parlement en novembre 1946, si on excepte André Morice à Nantes et René Pleven à Dinan (allié dans le RGR9 avec la fraction de droite du Parti radical). Bientôt, dans le contexte de la guerre froide, les deux partis se réclamant du marxisme, le PCF et la SFIO, s’affrontent durement laissant le champ libre à la troisième force, au retour des droites10 et à la poussée du RPF au détriment du MRP (de 1947 à 1952), poussée très forte dans le Finistère, la Loire-Inférieure et l’Ille-et-Vilaine11.

5Quelle est la situation de la gauche en Bretagne en 1958 résultant des élections législatives de 1956 effectuées au scrutin de liste départemental à la proportionnelle ? En sièges et en voix, les partis de gauche sont nettement minoritaires car ils comptent 11 députés sur 39 dans la région : le PCF a cinq élus et 17,28 % des voix (25,3 % en moyenne nationale), deux dans les Côtes-du-Nord, deux dans le Finistère, un en Loire-Inférieure, plus un apparenté (Emmanuel d’Astier de la Vigerie en Ille-et-Vilaine) ; la SFIO en a cinq avec 15,31 % des suffrages (14,7 % en moyenne nationale) : deux dans le Finistère, un siège dans les Côtes-du-Nord, l’Ille-et-Vilaine et la Loire-Inférieure12. Ces deux partis rassemblent moins d’un tiers des suffrages exprimés (32,59 %). Et, même en y ajoutant les deux élus centristes (A. Morice et R. Pleven) classés au centre gauche qui recueillent des voix de droite dans leur circonscription, les gauches n’atteignent en 1956 que 40,18 %. Avec 13 députés, le MRP est alors le premier groupe parlementaire alors que les droites et extrême droite en ont 13 dont quatre poujadistes, plus Henri Dorgères (non-inscrit). En 1956, les héritiers du RPF, les Républicains sociaux n’obtiennent aucun siège. Si on se réfère au scrutin du référendum du 5 mai 1946 sur le premier projet de constitution, défendu seulement par le PCF et la SFIO où le oui n’a recueilli que 38,3 % des voix en Bretagne (47 % en France), on constate qu’en 1956 la gauche s’est effritée (moins six points), même si des rapprochements entre socialistes et communistes se sont ébauchés depuis 1955. À la fin de la Quatrième République, le centre et la droite dominent la vie politique notamment dans les cinq conseils généraux et les centristes sont bien implantés au niveau municipal. En 1956, la gauche (PCF-SFIO) fait de bons résultats dans les Côtes-du-Nord avec 40,7 % des voix (24,4 % pour le PCF qui récupère ses deux sièges, 16,3 % pour la SFIO) et le Finistère avec 35,2 %, mais où le PCF recule. Ils sont plus faibles dans le Morbihan (33,6 %), en Loire-Inférieure (30,2 %), deux départements où le vote laïc, avec le RGR et les radicaux-socialistes, atteint les 39-41 %, et surtout en Ille-et-Vilaine avec 18,5 % seulement (26,1 % avec le RGR).

6Les partis de gauche sont donc nettement minoritaires lorsqu’ils abordent les élections législatives de novembre 1958. En outre, ils sont profondément divisés sur les conditions du retour au pouvoir du général de Gaulle, entre communistes et socialistes d’une part, entre socialistes de l’autre. Si Guy Mollet, le leader de la SFIO, a accepté de soutenir le retour de De Gaulle et appelle à voter oui au référendum constitutionnel, plusieurs députés socialistes bretons font campagne pour le non, dont les députés du Finistère Tanguy Prigent et Hervé Mao, ainsi qu’Antoine Mazier à Saint-Brieuc qui a d’ailleurs participé dès septembre 1958 à la scission du Parti socialiste autonome (PSA)13. Lors de cette brève campagne électorale, des députés sortants de gauche se trouvent parfois en concurrence au premier tour. Ainsi, à Morlaix, Tanguy Prigent (toujours à la SFIO mais ayant fait campagne pour le non) affronte le communiste Auguste Penven. Au second tour, il bénéficie du désistement de ce dernier mais est battu par le Dr Le Duc (51,6 %), le maire de Morlaix, ex-MRP passé par le RPF mais qui va siéger avec les indépendants. À Saint-Brieuc, Antoine Mazier (PSA) se voit opposer un candidat de la SFIO, le pharmacien Le Garzic, et un communiste au premier tour (six candidats) et il est battu au second (36,6 %) dans une triangulaire opposant le maire MRP de Saint-Brieuc Victor Rault (50,9 %) et l’UNR Gallais (12,3 %). C’est d’ailleurs ce duel fratricide entre socialistes qui fait basculer la plus grande partie de la fédération SFIO vers le PSA, puis le PSU, derrière Yves Le Foll à l’automne 1958. À Guingamp, au second tour, les deux députés, le communiste sortant Guillaume Le Caroff(30,6 %) et le socialiste Alexandre Thomas (22,7 %, député de 1951 à 1956) favorisent l’élection du MRP Alain Le Guen (46,6 %). De même à Saint-Nazaire, dans un bastion socialiste, le député SFIO sortant Jean Guitton, opposé au premier tour à des candidats de l’Union des Forces Démocratiques et du PCF, est battu au second par le MRP Nestor Rombeaut, un ouvrier soudeur, responsable syndicaliste CFTC14. À Lorient, Le Coutaller (46,2 %) ne parvient pas à reconquérir son siège contre l’indépendant Le Montagner alors que les deux candidats socialiste et communiste totalisaient 51,7 % des voix au premier tour. En 1958, la multiplication des candidatures, les maintiens au second tour – les triangulaires et même les quadrangulaires ne sont pas rares15 –, les divisions des partis de gauche, et bien sûr l’adhésion massive des électeurs à la personne du général de Gaulle et au nouveau régime, expliquent l’échec de la gauche en Bretagne puisqu’elle n’a plus aucun député. Soulignons que dans la région, la Constitution a été approuvée par 84,5 % des suffrages exprimés. Pour la gauche, 1958 est bien l’année zéro, tous les députés de gauche sortants étant nettement battus.

7Les centristes résistent bien puisque le MRP conserve 12 sièges plus trois élus de centre gauche laïque dont René Pleven et Pierre Bourdellès (Lannion, radical-socialiste). Dans plusieurs circonscriptions (Lannion, Guingamp, Loudéac, Quimper, Quimperlé), la présence de candidats du PCF en tête à gauche au second tour a contribué à faire élire des députés centristes ou de droite dans un vote anticommuniste. La situation va souvent être figée dans cette configuration jusqu’aux années 1970, provoquant lors des duels droite-gauche de deuxièmes tours un mauvais report des voix de gauche et de centre gauche sur le candidat communiste comme à Guingamp16. Avec 35 candidats dont 26 SFIO et six radicaux-socialistes, la gauche non communiste est tombée à 14,3 % des voix en Bretagne en 1958 et le PCF (33 candidats) à 12,2 %17. Avec 20,4 % dans les Côtes-du-Nord (moins 4 %) et 13,7 % dans le Finistère (moins 5,1 %), le PCF est particulièrement touché. Les indépendants de droite ont obtenu 12 sièges mais avec 16,5 % des voix (22 % dans le Finistère) et six sièges la percée des gaullistes de l’UNR est limitée. Dans le Finistère, on assiste à de curieux chassés-croisés au sein des droites : les anciens RI-RPF, Jean Crouan (CNIP) et Joseph Pinvidic, conservent leur étiquette d’indépendants tandis que deux indépendants Hervé Nader (Quimper) et Gabriel de Poulpiquet (Landerneau) rejoignent l’UNR18. Ayant touché le fond aux élections législatives de novembre 1958, la gauche ne pouvait que rebondir dans les années suivantes.

Avancées et reculs d’une lente remontée de la gauche dans les années 1960

8La fin de la guerre d’Algérie et la crise politique déclenchée à l’automne 1962 par la réforme du mode d’élection présidentielle (dissolution de l’assemblée, référendum, nouvelles élections) provoquent un important bouleversement à droite dans le paysage politique breton permettant à la gauche socialiste, pourtant durablement divisée entre SFIO et PSU, d’amorcer la reconquête de deux bastions19. Des accords de désistement ont été passés au second tour avec le PCF (13 candidats uniques). À Saint-Nazaire, le député socialiste d’avant-guerre François Blancho, redevenu maire de sa ville en 1947, qui a obtenu 35,2 % des voix au premier tour, est réélu contre le sortant MRP Nestor Rombeaut et un UNR avec 47,9 %. À Morlaix, Tanguy Prigent, passé au PSA en octobre 1959 puis au PSU en 1960, reprend son siège au Dr Le Duc avec 52,3 % des voix, devenant l’un des deux, puis le seul député de ce petit parti. Mais à Saint-Brieuc, son camarade Antoine Mazier, qui a emporté la mairie en août 1962 à la tête d’une liste d’union avec le PCF et des catholiques de gauche de l’Action travailliste (Jeune République), est largement battu au second tour par l’entrepreneur gaulliste Robert Richet (UNR-UDT). En Bretagne, la gauche non communiste (32 candidats dont 20 SFIO et 9 PSU) n’a pourtant rassemblé que 13,1 % des voix, reculant de 1,2 % par rapport à 1958. Le PSU a recueilli 4,32 % des voix (12,9 % dans les Côtes-du-Nord) et la SFIO 7,48 %20. Dans le Finistère, où dans trois circonscriptions SFIO et PSU se sont affrontés au premier tour, et malgré la victoire de Tanguy Prigent, les deux partis socialistes n’ont pas dépassé les 10 % reculant de cinq points par rapport à 1958 alors que le PCF a progressé de 2 % dans ce département (15,3 %) comme dans l’ensemble de la région (14,5 %). Dans les Côtes-du-Nord, le PCF remonte à 22,7 %, notamment dans ses bastions du Centre Bretagne et du Trégor. Mais, à Guingamp, François Leizour, le nouveau candidat, n’obtient que 48 % des voix contre le sortant MRP Alain Le Guen21. En 1962, la gauche est à peu près stable en voix mais à un niveau très bas, les socialistes s’affaiblissant face au PCF. La nouveauté est la forte poussée de l’UNR qui avec 28,6 % des voix au premier tour (deux fois plus qu’en 1958) obtient 16 sièges enlevés aux indépendants réduits à quatre députés dont Raymond Marcellin à Vannes. Elle est spectaculaire dans le Finistère (six sur huit) et en Loire-Inférieure (cinq sur huit). Le centre et la droite non gaulliste ont pourtant obtenu 37,7 % des voix. Le MRP conserve sept élus, les autres centristes quatre, dix sont inscrits au groupe du Centre démocratique. 21 députés bretons appartiennent à la majorité (UNR-RI) de Georges Pompidou. Soulignons que la forte agitation paysanne et les manifestations parfois violentes de 1961 et 1962 n’ont pas pesé sur les résultats de cette majorité de droite, au contraire.

9Les élections présidentielles de décembre 1965 reflètent bien la faiblesse de la gauche en Bretagne et l’attachement au gaullisme présidentiel alors qu’aux élections municipales une union des gauches est en gestation dans de nombreuses communes. Au premier tour, le général de Gaulle frôle la majorité absolue (48,5 %) devançant le candidat unique de la gauche François Mitterrand (26,5 %) et le centriste Jean Lecanuet (19,7 %). De Gaulle l’emporte avec 62,6 % contre Mitterrand qui avec 37,4 % a un déficit de 7 % dans la région sur sa moyenne nationale même s’il atteint 45,2 % dans les Côtes-du-Nord.

10Les élections présidentielles de 1965 et la mise en ballottage du général de Gaulle entraînent pourtant un début de recomposition à gauche : les forces non communistes tentent de se regrouper au sein de la Fédération des Gauches Démocrates et Socialistes (FGDS) mais le PSU reste à l’écart. Les élections législatives de 1967 et celles de 1968, tenues les unes dans un climat plus apaisé, les autres comme sortie de la crise de mai-juin 1968 qui a fortement secoué les villes et les campagnes de Bretagne, se traduisent par une remontée de la gauche en mars 1967, puis un retour à la case départ en juin 1968. En 1967, la FGDS a conclu presque partout des accords avec le PSU pour éviter la concurrence au premier tour et le désistement est la règle à gauche au second. Le 12 mars 1967, les socialistes obtiennent cinq députés sur 33 dans la région dans des duels très serrés : trois FGDS-SFIO et deux PSU (avec sept et trois en lice au deuxième tour). Le PSU a quatre députés en France dont Pierre Mendès France élu à Grenoble. À Morlaix, Tanguy Prigent malade a décidé de se retirer en faveur de Roger Prat (PSU), un professeur de collège (issu de l’UGS22), élu conseiller général en 1964. Il l’emporte de justesse au second tour avec 50,05 % (49 voix d’avance) contre un haut fonctionnaire gaulliste parachuté de Paris, Pierre Lelong. Dans le Finistère, les socialistes amorcent une légère remontée en voix avec 12,8 % (8,7 % pour les cinq candidats de la FGDS, 4,1 % pour les deux du PSU)23. À Saint-Brieuc, Yves Le Foll (PSU), qui a succédé en 1965 à la mairie24 et au Conseil général à Antoine Mazier décédé, l’emporte aussi d’extrême justesse (50,03 %, 35 voix) contre le député UDR sortant R. Richet. L’élection est invalidée, mais le 24 septembre 1967, Yves Le Foll est réélu dès le premier tour avec 6 416 voix d’avance à l’issue d’une campagne très disputée. À Lorient, l’ancien instituteur Yves Allainmat (FGDS)25, maire de Lorient depuis 1965, gagne en 1967 un duel qui a valeur de test national pour la majorité sortante en battant le ministre des Armées, le gaulliste Pierre Messmer, parachuté dans cette ville portuaire qui vote traditionnellement socialiste. Bien que distancé de 509 voix au premier tour par le communiste Jean Maurice (23,5 %), Yves Allainmat l’emporte au second avec 52,3 % et 2 500 voix d’avance. Le communiste s’est volontairement effacé pour permettre la victoire emblématique de la gauche unie à Lorient, témoignant par là d’une union de la gauche en construction en Bretagne, mais aussi d’un vote de barrage centriste puisque Louis Le Montagner, candidat du Centre démocrate, avait appelé à voter pour celui de la gauche au second tour. Deux autres FGDS sont élus en Loire-Atlantique : à Saint-Nazaire, Georges Carpentier, un professeur, conseiller général, qui a pris le relais de Blancho, l’emporte aisément au second tour (55,7 %). Mais avec Christian Chauvel, un agent de l’EDF adjoint au maire, la SFIO gagne un second siège de député à Nantes 2 (51,5 %) en battant le député UDR sortant Albert Dassié.

11Ces succès, spectaculaires mais limités, dans un contexte d’usure de la majorité sortante ne doivent pas faire illusion. Car en dehors de quelques bastions reconquis, les partis de gauche restent à un niveau très faible dans la région : 31,4 % des voix au premier tour. Mais soulignons une évolution masquée par la dispersion des partis de la gauche non communiste qui totalisent 15,8 % des voix (11,4 % pour la FGDS, 4,1 % pour le PSU), en progrès de 2,7 % par rapport à 1962. Ce vote dépasse désormais celui du PCF (15,6 %, plus 1,4 %). Pourtant, le vote communiste a progressé dans les Côtes-du-Nord rattrapant son niveau de 1956 (25,4 %), le Finistère (18,2 %) et le Morbihan (15,1 %). À Guingamp, le communiste François Leizour (49,2 %) n’échoue que de peu face au nouveau centriste plévéniste Édouard Ollivro. Signe aussi des mutations économiques, sociologiques et religieuses en cours (l’impact de Vatican II), des catholiques militants à la CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) ou dans les FDSEA (Fédérations Départementales des Syndicats d’Exploitants Agricoles), comme Bernard Lambert l’ancien député MRP de Châteaubriant (1958-1962) qui a adhéré au PSU en 196626, peuvent désormais voter à gauche, de même que certains centristes pro-européens hostiles à la majorité pompidolienne. Politiquement, depuis quelques années, le PSU dans lequel cohabitent des laïques socialistes, des catholiques de gauche venus de l’UGS, et quelques militants d’extrême gauche, sert de passerelle à ce glissement électoral.

12En 1967, le centre et les droites reculent légèrement en voix mais ils conservent 66,2 % des suffrages (33,7 % pour l’UDR) et 28 sièges. De fait, le rapport des forces évolue peu : les RI, rejoints par l’ancien MRP Christian Bonnet (Auray), ont cinq députés. Les centristes (ex-MRP et plévénistes) regroupés dans le groupe Progrès et Démocratie Moderne (PDM) en conservent huit, les gaullistes de l’Union démocratique pour la Cinquième République (UD-VéR) : 13 dont Edmond Michelet élu à Quimper, plus l’ex-MRP Marie-Madeleine Dienesch apparentée27.

13Si la poussée de la gauche a été sensible en 1967, elle est remise en cause par les effets électoraux de la crise de 196828 puisque la FGDS ne conserve qu’un seul député, Georges Carpentier à Saint-Nazaire réélu avec 52,8 %. À Lorient, Yves Allainmat est battu de peu (49,7 %) par Roger de Vitton (RI). Mais les sortants Roger Prat, Yves Le Foll et Christian Chauvel sont plus nettement battus. En sièges, le succès des droites paraît total car les centristes du PDM qui ont voté la censure du gouvernement Pompidou (sauf Pleven) sont durement touchés ne gardant que quatre sièges (trois dans les Côtes-du-Nord, plus Paul Ihuel à Hennebont). Des sortants centristes ont dû affronter des gaullistes (comme Henri Fréville, le maire de Rennes, et Alexis Méhaignerie député de Vitré depuis 1945), et ont été battus. L’UDR, présente dans 21 circonscriptions, obtient 17 députés plus une apparentée, ses alliés RI sept, auxquels il faut ajouter trois non-inscrits de droite dont deux proches des gaullistes. L’UDR rafle sept sièges sur huit dans le Finistère (44,9 % des voix au premier tour) et cinq sur six en Ille-et-Vilaine (44,5 %). Mais en Bretagne, par rapport à 1967, la poussée en voix des gaullistes (34,6 %, plus 0,9 %), des indépendants et des centristes de droite (33,7 %, plus 1,2 %) est assez limitée. Quant aux gauches, avec 30,8 % elles ne reculent que de 0,6 %. Le transfert du vote communiste (14 %, moins 1,6 %) vers la gauche non communiste (16,8 %) se poursuit, le PCF perdant trois points dans les Côtes-du-Nord. Parmi les socialistes, le PSU, actif dans le mouvement étudiant et le mouvement social de Mai, est le grand gagnant avec 6,6 % des voix (et plus de candidats, 23), pour 9,9 % à la FGDS (moins 1,5 %, 24 candidats). En un an, le PSU a gagné 40 197 suffrages (plus 59,2 %) et ses candidats ont pris des voix au PCF dans plusieurs de leurs zones de force (Guingamp, Loudéac et Nantes). De même, à Saint-Nazaire et à Lorient, le candidat de la FGDS a fortement progressé en un an au premier tour, au détriment du PCF. En revanche, le vote communiste a augmenté dans six circonscriptions où le candidat du PCF était souvent le seul candidat de gauche.

14Battue électoralement en 1968, la gauche bretonne paraît en cours de renouvellement en termes d’hommes. Et surtout, elle est présente dans les luttes sociales (ouvrières et paysannes) et culturelles des années suivantes, animées par les formations d’extrême gauche très actives. La région reste cependant très fidèle au général de Gaulle, en votant oui à 55,8 % au référendum du 27 avril 1969, même si une première brèche s’ouvre dans les Côtes-du-Nord où le non l’a emporté avec 50,7 %. Il est vrai que René Pleven s’était prononcé contre la réforme régionale et avait appelé à voter non. Aux élections présidentielles de juin 1969, Georges Pompidou dépasse la majorité absolue dès le premier tour (50,8 %) contre 23,3 % à Alain Poher et il l’emporte au second avec 63 % et le ralliement entre les deux tours du centriste René Pleven. La gauche paraît en miettes : au premier tour Jacques Duclos (PCF) a rassemblé 15,7 % des suffrages en Bretagne (23,7 % dans les Côtes-du-Nord) alors que Gaston Defferre (SFIO) atteignait à peine les 4 %. Le candidat du PSU, Michel Rocard, fait mieux avec 4,1 % des voix (3,6 % en France) dépassant les 5 % dans plusieurs villes et circonscriptions29. À la fin des années 1960, la situation électorale législative ne semble guère encourageante pour la gauche bretonne même si des ferments d’un renouveau sont à l’œuvre.

La montée en puissance électorale du PS en Bretagne dans les années 1970

15Battue électoralement en 1968, la gauche bretonne paraît en cours de renouvellement en termes d’hommes. Elle est présente dans les luttes sociales (ouvrières et paysannes) et culturelles (renouveau de la culture bretonne) des années 1970 animées par des formations d’extrême gauche très actives. La naissance du nouveau parti socialiste (PS), en 1969 mais surtout à Epinay en 1971, va changer la donne à gauche faisant émerger une nouvelle génération de jeunes militants qui partent à l’assaut des notables parlementaires et des municipalités des grandes villes dont beaucoup basculent à gauche en 1977 (Rennes, Nantes, Brest…). La signature du programme commun de gouvernement entre le PCF, le PS et le MRG (Mouvement des Radicaux de Gauche) en juin 1972, et les mutations économiques et sociologiques qui s’accélèrent dans la région vont bénéficier principalement au PS, surtout après l’arrivée dans ses rangs de la plupart des élus, des cadres et des militants du PSU, renforcés de militants de la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail), à l’automne 1974 lors des Assises du socialisme.

16Les élections législatives de mars 1973 apparaissent à la fois comme une récupération des pertes en sièges de 1968, et un nouveau départ. La gauche enlève six sièges (un PSU et cinq PS) alors qu’il y avait 204 candidats pour 33 sièges dans un contexte de désistement à gauche au deuxième tour30. Avec 16 sièges et un apparenté, les notables UDR (28,5 % des voix, en recul de 6,2 %) résistent bien, alors que les RI sont réduits à quatre députés. Les centristes ralliés à la majorité pompidolienne (CDP) sont trois, dont Pierre Méhaignerie qui reprend le siège de son père à Vitré, contre deux réformateurs toujours dans l’opposition. Le PCF pâtit de la progression du PS dans les circonscriptions où la gauche est bien implantée, même s’il regagne un peu de terrain (14,7 % des voix) sans retrouver son niveau de 1967. Il remonte à 24,5 % dans les Côtes-du-Nord31, progresse en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique, mais recule dans le Finistère. En pourcentage, le PS double presque ses voix par rapport à 1968 (18,3 %), la gauche non communiste atteignant 22,2 %. L’important est qu’en Bretagne ces votes comblent leur retard sur la moyenne nationale (avec moins de 1 % d’écart). Le bond est spectaculaire dans le Finistère puisque le PS engrange près de 83 000 voix (19,8 %) contre 29 000 à la FGDS en 1968. Le PS a doublé ses voix en Ille-et-Vilaine (16,5 %) et en a gagné 18 000 dans le Morbihan (18 %). Avec 22,1 % de l’électorat, il fait son meilleur score en Loire-Inférieure. L’évolution est significative.

17En sièges, les vieux militants socialistes reprennent des circonscriptions perdues en 1968 et deux nouveaux venus entament une longue carrière politique qui les conduira dans les ministères après 1981 et 1997. À Saint-Nazaire, Georges Carpentier est réélu facilement et Christian Chauvel reprend Nantes 2 (51,5 %) grâce à des voix centristes. À Saint-Brieuc, Yves Le Foll, toujours au PSU, fait de même ainsi que Yves Allainmat à Lorient (54,4 %). En 1978, tous ces députés socialistes de la génération précédente ne vont pas se représenter en poussant des candidats plus jeunes. En 1973, la surprise vient de l’élection de deux représentants du PS, qui ne sont passés ni par le FGDS, ni la SFIO. À Dinan, à 35 ans l’économiste Charles Josselin (29,3 % au premier tour) abat pour une poignée de voix (45) le « menhir breton », René Pleven, ministre de la Justice depuis 1969. Les deux candidats PCF et PS ne totalisaient que 45,6 % au soir du premier tour contre 46,9 % à Pleven. Ce sont les électeurs du candidat centriste réformateur (4,9 %) qui ont fait la différence. L’usure, une succession préparée mais pas assumée et le ralliement à la majorité ont sans doute joué. Ce résultat anticipe un phénomène déjà à l’œuvre en Bretagne de glissement d’une fraction de l’électorat centriste vers le vote PS, en 1978, en 1981 et après. En 1976, Charles Josselin obtient une majorité de gauche au Conseil général des Côtes-du-Nord, le premier à basculer en Bretagne quand René Pleven prend sa retraite. De même, à Quimperlé, Louis Le Pensec, 36 ans, (35,3 % au premier tour) l’emporte facilement sur le député RI sortant Jean-Claude Petit, avec 59,1 %.

18Mais les Bretons ne sont pas encore prêts à basculer à gauche. Aux élections présidentielles de mai 1974, avec 40,7 % Valéry Giscard d’Estaing arrive en tête au premier tour devant François Mitterrand 37,1 % (43,3 % en France), le candidat unique de la gauche, et Jacques Chaban-Delmas (13,5 %). Et, il l’emporte nettement dans la région au second tour avec 57,9 % des suffrages exprimés. Résultat significatif cependant, pour la première fois sous la Cinquième République, François Mitterrand arrive en tête dans les Côtes-du-Nord (50,2 %).

19La dynamique de l’union de la gauche est à l’œuvre dans les années suivantes (cantonales de 1976, municipales de 1977) mais cet élan est brisé par la rupture de 1977. Si bien qu’aux élections législatives de mars 1978, malgré des progrès en sièges, huit députés de gauche, la déception l’emporte. Nouveauté : avec 14,1 % des voix en Bretagne (moins 0,6 %), le PCF gagne le siège de Guingamp avec François Leizour (51 %), professeur de philosophie32. Pourtant, ce succès ne doit pas masquer le fait que l’écart entre le PCF et la gauche non communiste (27,9 %) ne cesse de s’élargir passant de 7,5 % en 1973 à 13,8 % en 1978, le PS obtenant alors à lui seul 24,7 % des voix, c’est-à-dire deux points de plus que sa moyenne nationale. La progression en sièges du PS (plus un) ne reflète pas encore cette profonde mutation politique d’autant plus que les résultats réservent des surprises notamment dans les Côtes-du-Nord. À Dinan, Charles Josselin est battu par René Benoît (PR-UDF, 50,5 %) et à Saint-Brieuc, Yves Le Foll ne parvient pas à passer le flambeau à Yves Dollo, un rocardien ex-PSU, car le communiste Édouard Quemper est arrivé en tête au premier tour. Le report des voix à gauche s’est mal effectué (déficit de 5 %) si bien que le CDS-UDF Sébastien Couépel l’a emporté. C’est la situation inverse à Lannion où Pierre Jagoret, élu maire de la ville en 1977, un socialiste passé par le PSU, gagne avec 52,3 % des voix. À Lorient, Allainmat a mis le pied à l’étrier à Jean-Yves Le Drian, assistant en histoire à l’université Rennes 2, élu avec 52,5 %. De même, à Quimperlé, Louis Le Pensec, lui aussi rocardien, a été facilement réélu avec 57,4 %. À Morlaix, Marie Jacq, l’ancienne assistante parlementaire de Tanguy Prigent, reprend la circonscription de justesse. Mais le PS enlève trois sièges sur huit en Loire-Inférieure dont deux de justesse à Nantes 2 et 3 : Alain Chenard devenu maire de Nantes en 1977 qui élimine Christian Chauvel au premier tour, et François Autain, un ancien du PSU qui a rejoint le CERES de Jean-Pierre Chevénement. À Saint-Nazaire, le rocardien Claude Evin, ex-PSU, succède facilement à Carpentier (58,1 %)33. Le PS s’est taillé quelques fiefs en Bretagne mais sa situation est parfois instable. Le RPR conserve néanmoins 14 députés (cinq dans le Finistère, quatre en Ille-et-Vilaine) tandis que l’Union pour la Démocratie Française (UDF) en compte 10 dont quatre centristes du Centre des Démocrates Sociaux (CDS) et six membres du très giscardien Parti Républicain (PR).

20La montée électorale de la gauche en Bretagne est sensible dans les années 1970 puisqu’elle passe de 36,9 % des voix en 1973 à 41,9 % alors que les partis d’extrême gauche et l’Union démocratique bretonne (UDB) ont des scores très limités. Les partis de droite et les centristes ont reculé à 51,4 % dont 25,7 % pour les candidats du RPR (34,2 % en Ille-et-Vilaine, quatre députés sur six). Désormais, le PS est devenu la première force politique en Bretagne, avant les gaullistes, avec une progression régionale plus forte qu’ailleurs.

21L’année 1981 voit la consécration de cette montée de la gauche avec le basculement de la région et « la vague rose » qui déferle. Pourtant à l’élection présidentielle, la droite est restée majoritaire au niveau régional dans quatre départements sur cinq. Les cinq candidats de gauche et d’extrême gauche totalisent 43,4 % des suffrages au premier tour dont 27 % pour François Mitterrand (PS), 10,2 % pour Georges Marchais (PCF)34 et 1,6 % pour Huguette Bourchardeau (PSU). Le candidat écologiste Brice Lalonde réalise 4,2 % ce qui n’est pas négligeable. À droite, Valéry Giscard d’Estaing (UDF) arrive largement en tête avec 30,9 % devant Jacques Chirac (18,7 %), mais il a perdu 9,8 % depuis 1974, le double de sa moyenne nationale ! Si une partie de l’électorat centriste a manifestement fait défection au camp des droites, ses candidats arrivent encore en tête le 26 avril au soir du premier tour avec 52,3 % de voix. Le 10 mai 1981, Valéry Giscard d’Estaing l’emporte en Bretagne (50,8 %) avec 35 000 voix d’avance sur François Mitterrand sans faire le plein des électeurs de droite. En revanche François Mitterrand obtient 55,5 % des voix dans les Côtes-du-Nord et frôle les 50 % en Loire-Atlantique (de moins de 1 000 suffrages). L’important est que le candidat du PS l’a emporté dans plus de la moitié des circonscriptions (18 sur 33), ce qui est de bon augure pour les élections législatives à venir pour le PS.

22Au premier tour le 14 juin 1981, 15 députés sont élus dont 11 notables de droite (cinq RPR) solidement installés dans leur fief. Le RPR conserve 24,7 % des suffrages et la droite libérale et les centristes rassemblés dans l’UDF, 22,8 %. Mais avec 46,5 % seulement et un recul de près de 5 % sur 1978, la droite est désormais minoritaire dans une région qui passait pour l’un de ses bastions. On note aussi l’élection de quatre socialistes au premier tour, dont la réélection de Charles Josselin à Dinan35. Au soir du second tour, le 21 juin 1981, le PS remporte 19 sièges en Bretagne (avec le dissident Jean Giovannelli à Hennebont)36. Les résultats sont souvent impressionnants dans les fiefs de gauche37. Le PS réalise le « grand chelem » dans les Côtes-du-Nord, obtient six sièges sur huit dans le Finistère et quatre sur huit en Loire-Atlantique. Pour la première fois sous la Cinquième République, ce parti a deux députés en Ille-et-Vilaine dont Edmond Hervé, futur ministre, qui a gagné la mairie de Rennes en 1977. Le PS a dépassé les 30 % des voix au premier tour dans presque toutes les circonscriptions s’imposant comme le parti dominant à gauche alors que le PCF a régressé à 9 % (16,7 % dans les Côtes-du-Nord mais moins de 5 % en Ille-et-Vilaine). Aux élections législatives de 1981, la gauche non communiste a engrangé en Bretagne 41,7 % des voix, soit 2,7 % de plus que sa moyenne nationale, dont 38,4 % pour le seul PS (plus 2,4 %)38. Le PS a atteint 41,3 % dans les Côtes-du-Nord et 41 % en Loire-Atlantique39. Stimulés par la dynamique de la victoire aux élections présidentielles, les candidats des partis de gauche ont rassemblé 11 % de voix de plus que le 10 mai 1981. Mais le fossé s’est encore creusé entre les deux principaux partis puisque l’écart entre la gauche non communiste et le PCF qui était de 13,8 % en 1978 atteint 32,6 %. La volonté de changement politique de la majorité de l’électorat a joué en faveur du PS et au détriment du PCF accentuant un déclin électoral entamé depuis 1958, puis stabilisé dans les années 1970. Désormais, la Bretagne vote plus à gauche que le reste de la France, entrant dans un cycle générationnel et politique qui ne s’est pas démenti depuis.

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23Loin d’être accidentel, le basculement à gauche de la Bretagne est le fruit des mutations sociologiques et culturelles profondes de la société bretonne qui s’est rapidement modernisée et a su prendre son destin en main en s’opposant à l’État central gaulliste notamment avec le CELIB. Ces aspirations ont été un temps portées par des notables centristes dans les années 1950-1960 mais leur relève n’a été que partiellement assurée ensuite. Déjà faibles à la fin des années 1950, les partis de gauche divisés ont été éliminés de la scène législative dans les années 1960 qui voient les gaullistes triompher dans plusieurs départements de 1962 à 1968 et les centristes relativement bien résister. Malgré leurs divergences avec la politique gaullienne (sur l’Europe, la politique vis-à-vis des États-Unis), ces centristes sont réélus avec les voix des droites car la question religieuse et scolaire joue encore à plein dans l’espace breton. Partant d’un niveau très bas, la gauche entame une lente remontée qui s’accélère à la suite des événements de Mai 1968. Malgré sa faiblesse, le PSU joue un rôle de médiateur permettant à des chrétiens de gauche, militants syndicalistes ouvriers ou paysans, de se connaître et de voter à gauche. Dans les villes et certaines zones rurales de Basse-Bretagne, des militants chevronnés renforcent leur implantation locale (municipale, cantonale) et regagnent un terrain perdu en 1958. Après 1968, et avec le nouveau PS, ils sont rejoints par de nouvelles générations militantes qui sont davantage en phase avec les luttes sociales qui se multiplient dans les années 1970 et sont animées par les syndicats (CFDT-CGT) et souvent l’extrême gauche. Les socialistes savent aussi prendre en compte le combat régional, initié par le PSU, et la revendication identitaire forte en Bretagne. Face aux aspirations au changement de nombreux secteurs de la société bretonne (étudiants, ouvriers, employés, une fraction de la paysannerie) et au déclin rapide du contrôle social de l’Église catholique, elle-même travaillée par des bouillonnements importants avec les retombées de Vatican II, le PS est en mesure de capitaliser électoralement ces aspirations. C’est ce qui se produit dans les élections législatives des années 1970 et est couronné de succès en juin 1981 quand la Bretagne bascule pour la première fois à gauche depuis la Seconde Guerre mondiale. Depuis lors, tout en subissant les aléas de la vie politique nationale (les succès et les échecs du PS), l’ancrage à gauche de cette région française qui partait de très loin ne s’est pas démenti40.

ANNEXE 1

Tableau des députés de gauche en Bretagne de 1958 à 1978 (33 circonscriptions)

ANNEXE 2