1L’objet de cette communication est de chercher si, sous l’angle des élections législatives de 1958 à 1981, la Normandie peut nous apporter des éléments nouveaux sur le « phénomène gaulliste » mais également de s’interroger sur les éventuelles spécificités du gaullisme dans les cinq départements de Normandie. A-t-il existé un gaullisme normand comme il y a eu un gaullisme de l’Est2 ? En posant cette question, on ne veut pas manquer de rappeler que c’est avec une partie de la Normandie que l’historiographie du gaullisme s’est, pour la première fois, confrontée au fait régional. Il y a une trentaine d’années, avec sa thèse consacrée au gaullisme en Basse-Normandie, Michel Boivin a démontré tout l’intérêt d’une étude régionale de ce courant politique, ouvrant la voie à des recherches appliquées à d’autres territoires3. Cette contribution a donc une double dette envers ses travaux.

2Trois développements préliminaires nous paraissent nécessaires pour répondre à nos interrogations initiales : rappeler le lien qui existe entre le général de Gaulle et la Normandie, puis l’héritage du gaullisme normand sous la Quatrième République et préciser les contours de l’espace normand.

3Au colloque de Nancy sur le gaullisme dans l’Est, Bernard Lachaise, évoquant le lien puissant existant entre de Gaulle et cet espace, ajoutait : « À l’exception du Nord et peut-être de la Normandie, aucune région n’est aussi proche de l’homme du 18 juin4. » Il y eut bien, en effet, une relation particulière entre de Gaulle et la Normandie. Les facteurs en sont en même temps des illustrations5. On peut rappeler l’existence d’un Jean de Gaulle, gouverneur de Vire, qui défendit la ville face aux Anglais pendant la guerre de Cent Ans afin d’expliquer pourquoi Henri de Gaulle affirmait : « D’après une tradition constante, notre famille serait originaire de Normandie6. » Dès son plus jeune âge, Charles de Gaulle fut ainsi amené à considérer de manière particulière cette région.

4À cela doit s’ajouter la forte présence familiale contemporaine des de Gaulle en Normandie. Marie-Agnès Cailliau-de Gaulle habita à partir de son mariage à Sainte-Adresse et les lettres échangées avec son frère attestent des fréquentes visites de celui-ci dans le « Nice havrais ». D’autant plus qu’à partir de 1921, leurs parents, quittant Paris, s’installèrent chez leur fille et leur gendre. Henri de Gaulle mourut à Sainte-Adresse en 1932 et y fut enterré. La mère du Général décéda en Bretagne en juillet 1940, mais, en novembre 1949, le Général et sa famille firent rapatrier son corps auprès de son mari. Jusqu’au terme de sa propre vie, Charles de Gaulle se rendit régulièrement chez sa sœur et sur la tombe de ses parents. S’il connaît bien la région havraise dès l’entre-deux-guerres, Charles de Gaulle fréquenta également, dès cette époque, les environs de Rouen. Son frère, Pierre, avait en effet épousé, en 1926, une jeune fille de Saint-Pierre-de-Manneville. Le château de ses beaux-parents devint une maison de famille où Charles de Gaulle se rendit régulièrement, avant et après la Deuxième Guerre mondiale. Il y vint, ainsi, en décembre 1959 pour les obsèques de son frère Pierre enterré dans ce village.

5Outre cela, trois moments forts de l’histoire du gaullisme eurent lieu en Normandie. On pense évidemment à la journée du 14 juin 1944, lorsque le général de Gaulle retrouva le territoire métropolitain en « débarquant » sur la plage de Courseulles-sur-Mer. L’accueil chaleureux des habitants de la bande de terre conquise par les alliés, et en particulier de la ville de Bayeux, joua un rôle décisif dans la manifestation publique de ce que de Gaulle représentait en France. C’est encore à Bayeux, comme chacun le sait, que, le 16 juin 1946, le Général, venu commémorer la libération de la ville, présenta son programme constitutionnel pour la nouvelle République en construction. Enfin, après le refus des partis au pouvoir d’en tenir compte et l’adoption d’une constitution qu’il condamnait, c’est sur les falaises de Bruneval, à quelques kilomètres au nord du Havre, que le 30 mars 1947 il fut au centre du « plus beau rassemblement de volontaires de la France combattante […] jamais vu et qu’on ne pourra plus jamais réunir7 » et qu’il annonça la création à venir du Rassemblement du Peuple Français (RPF).

6L’illustration de cette relation particulière entre de Gaulle et la Normandie se trouve, nous semble-t-il, dans le monument du carrefour de Vaucelles à Bayeux, qui rappelle l’arrivée de l’homme du 18 juin dans cette ville. C’est le seul sur lequel il figure qu’il accepta d’inaugurer, en juin 1952.

*

7Traiter des élections législatives après 1958 nécessite de rappeler également que la Normandie fut, certes avec des inégalités entre la Haute et la Basse Normandie, une zone marquante du gaullisme au temps du RPF. Le nombre de militants en constitue un premier signe. En 1950, la Manche et le Calvados sont, respectivement, en sixième et huitième place des fédérations départementales du Rassemblement pour les adhérents. En 1948-1949, la Seine-Inférieure, avec 11 000 adhérents, appartient au groupe des plus grosses fédérations8. Les résultats électoraux attestent aussi de cette force. En juin 1951, la Normandie, en particulier sa zone occidentale, appartient au croissant gaulliste qui part de l’Est, couvre l’Ouest et s’achève en Aquitaine. Dans les départements de Basse-Normandie, le RPF dépasse 30 % des suffrages exprimés. Enfin, le gaullisme normand compte dès cette époque bon nombre d’élus locaux et nationaux. En 1947, sans forcément emporter le poste de maire, les gaullistes dominent les conseils municipaux de Rouen, Évreux, Dieppe, Bernay en Haute-Normandie et ceux d’Argentan, Valognes, Alençon, Bayeux ou Cherbourg en Basse-Normandie. Une quinzaine de parlementaires normands sont des gaullistes, comme les députés Claude Hettier de Boislambert, Raymond Triboulet ou encore Roger Dusseaulx. Au Conseil de la République, le RPF remporte six des sept sièges bas-normands en 1948, et la Haute-Normandie voit siéger des gaullistes comme Geoffroy de Montalembert, Guy Montier, l’ancien maire de Rouen, et Georges Bernard, le maire d’Évreux. Cet héritage gaulliste de la Quatrième République constitua, évidemment, un terreau fertile pour le développement du gaullisme normand après 1958.

8On a bien compris déjà, qu’en fait de Normandie, il en existe deux9. Deux régions marquées par des notables différences dans leurs réalités socioéconomiques. Une Haute-Normandie plus peuplée, plus industrialisée, en particulier le long de l’axe de la Seine, se distingue d’une Basse-Normandie plus rurale et agricole, sauf autour de Caen, et marquée par une importante zone bocagère. Deux régions réunies néanmoins par certains points communs comme une pratique religieuse restée forte et par des comportements politiques qui, un demi-siècle après leur mise en évidence par André Siegfried10, paraissent encore pertinents et que l’on peut résumer par le mot de « modération » ; une modération plus conservatrice en Basse-Normandie et « plus républicaine » en Haute-Normandie. Depuis le découpage électoral de 1958, ces deux régions comptent au total 27 circonscriptions, soit presque autant de députés pour chacune d’elles : 14 en Haute-Normandie (10 en Seine-Maritime et quatre dans l’Eure) et 13 en Basse-Normandie (avec moins de différences entre chaque département puisque la Manche et le Calvados ont cinq circonscriptions et l’Orne trois).

9L’histoire électorale montre que la Normandie reste une zone de force du gaullisme dans la période qui nous intéresse, avec des évolutions et des nuances : une zone de force surtout au temps du gaullisme gaullien (1958-1969) et particulièrement en Basse-Normandie. On posera une constatation générale puis deux nuances.

10Globalement, les élections législatives démontrent la puissance du gaullisme normand. D’abord, en raison du fait que les partis gaullistes successifs y présentent toujours un nombre élevé de candidats. Sur les 27 circonscriptions, il y eut toujours de 1958 à 1978 entre 19 et 25 candidats gaullistes : 16 seulement en 1981 en raison des candidatures communes au sein de l’Union pour une Nouvelle Majorité, qui groupait le RPR et l’UDF. Lorsqu’il n’y avait pas de candidat strictement gaulliste, il y avait toujours un candidat soutenu par les gaullistes : ce fut le cas de Jean de Broglie dans l’Eure ou de Michel d’Ornano, au commencement de sa carrière, dans le Calvados, ou encore André Bettencourt en Seine-Maritime. Cette force du gaullisme est ensuite illustrée par le grand nombre d’élus : entre neuf et 18 de 1958 à 1978 sur les 27 circonscriptions ; avec, là encore, un chiffre plus faible de six élus seulement en 1981. Enfin, les scores des candidats gaullistes normands furent la plupart du temps au-dessus de la moyenne nationale, voire très au-dessus en Basse-Normandie.

11À cette constatation globale, on posera une première nuance, d’ordre géographique. Il existe une différence entre les résultats électoraux du gaullisme de la Basse-Normandie et ceux de la Haute-Normandie. La première adhère profondément au gaullisme, la seconde manifeste parfois des réticences. On le voit au pourcentage des voix et au nombre des élus, qui sont toujours supérieurs en Basse-Normandie. Le pourcentage des voix11 varie, selon un rythme identique dans les deux régions, d’un niveau inférieur de 20,5 % à un plafond de 48,5 % en Basse-Normandie et d’un plancher de 14,5 % à un niveau supérieur de 33,2 % en Haute-Normandie. Par contre, l’écart de voix varie de 10 à 20 de 1962 à 1973, pour se réduire à quatre points en 1978, puis à deux points en 1981. La force électorale supérieure du gaullisme en Basse-Normandie s’offre même le luxe de duels entre candidats gaullistes. Ce fut le cas en 1967, dans la Manche, dans la circonscription de Coutances-Granville, où au second tour s’opposèrent le député sortant UNR et maire de Granville Henri Baudoin, qui finalement l’emporta, face à un gaulliste dissident Henri Troude, tous deux arrivés en tête au premier tour. En 1967 encore, et toujours dans la Manche, à Saint-Lô, le second tour mit face à face le député UNR sortant Constant Lepourry et le gaulliste dissident Raymond Guilbert, qui l’emporta. Signalons que ce n’est pas un hasard si ces duels se déroulèrent dans la Manche, puisqu’il fut le plus gaulliste des cinq départements normands.

12Comment expliquer ces fortes nuances entre les deux Normandie ? S’agit-il de gaullismes distincts ou de tempéraments politiques différemment réceptifs au gaullisme ? En Basse-Normandie, le vote en faveur des candidats gaullistes est très lié à l’adhésion à de Gaulle, qui est puissante, comme en attestent ses scores aux référendums ou à l’élection présidentielle de 196512. Les causes de ce succès du gaullisme ne sont sans doute pas très éloignées de celles qui firent, au dix-neuvième siècle, de la Basse-Normandie un bastion du bonapartisme. Le tempérament des populations les détourne des querelles partisanes et les pousse à apprécier le grand homme qui s’impose et gouverne en assurant l’ordre et la stabilité. C’est le tempérament politique des populations qui fournit donc la réponse à notre question. Le gaullisme bas-normand a trouvé un écho très favorable parmi une population de droite qui a élu des députés issus de ce courant, comme Raymond Triboulet, mais a également mordu dans l’électorat de la gauche comme en atteste le vote du Cherbourg ouvrier en faveur de Jacques Hébert. La gauche, à l’exception de la banlieue de Caen, ne menaçait pas le gaullisme en Basse-Normandie. Le courant qui pouvait le concurrencer directement était celui, anciennement implanté, des indépendants.

13En Haute-Normandie, la situation s’avérait plus compliquée pour le gaullisme. Dans l’Eure, c’est également la force des indépendants qui limita la vague gaulliste aux élections législatives, même si elle compta dans les victoires de Jean de Broglie. En Seine-Maritime, le gaullisme cumule des scores moins élevés qu’en Basse-Normandie au premier tour, mais avec beaucoup d’élus au second tour. C’est la structure interne de la gauche qui explique cet apparent paradoxe. En plagiant Malraux au temps du RPF, on pourrait écrire qu’entre gaullistes et communistes, il n’y a rien… à gauche. Au premier tour, les candidats de la gauche et de la droite non-gaulliste (indépendants, « lecanuetistes » ou même radicaux) entravent le score des gaullistes. Mais, au second, on assiste fréquemment à un duel entre un communiste et un gaulliste (cinq des 10 circonscriptions par exemple en 1967) qui draine vers le second l’électorat de toute la droite, voire d’une part de la gauche non communiste. Cela explique que le gaulliste Jean Morrisse reste le député de la circonscription ouvrière de Rouen 3 de 1958 à 1967 en battant le communiste Roland Leroy. Cela explique encore que le gaulliste de gauche Raymond Offroy reste le député de Dieppe de 1967 à 1978, et n’est vaincu alors que de justesse par le maire communiste de Dieppe, Iréné Bourgois.

14En résumé, si la Basse-Normandie offre des records au gaullisme législatif et si la Haute-Normandie reste en retrait en ce domaine, il faut y trouver une explication dans la connexion entre des situations et des tempéraments politiques différents. La « culture bonapartiste » traditionnelle des Bas-Normands favorise les candidats gaullistes tandis que la « modération orléaniste » des Hauts-Normands contraint les électeurs, d’abord réticents, à voter pour les gaullistes par anticommunisme.

15La seconde nuance est d’ordre chronologique. La force du gaullisme électoral des scrutins législatifs varie dans le temps entre 1958 et 1981 en Normandie. Quatre périodes se distinguent. Dès le référendum de septembre 1958, la Normandie a manifesté son adhésion à l’œuvre du Général puisque tous ses départements, sauf la Seine-Maritime, ont donné au OUI une part supérieure à la moyenne nationale. De tous les départements français, la Manche et l’Orne sont ceux qui ont le mieux adopté la nouvelle constitution : avec, respectivement, 93,2 % et 91,3 % de suffrages favorables.

16La première période couvre la première législature de la Cinquième République (1958-1962). Dans la victoire nationale des droites que sont les élections de novembre 195813, l’Union pour la Nouvelle République (UNR), qui vient de naître, domine en Basse-Normandie où elle obtient au premier tour des scores supérieurs à la moyenne nationale. Le Calvados, avec plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur de l’UNR, est le département le plus gaulliste de France. En Basse-Normandie, l’UNR obtient six sièges parvenant à dépasser les indépendants et le MRP qui avaient, jusqu’alors, la faveur des électeurs. Une illustration forte de cette victoire réside dans la défaite de Joseph Laniel face au maire gaulliste de Lisieux, Robert Brisson, élu au premier tour. En Haute-Normandie, l’UNR l’emporte dans l’agglomération rouennaise avec deux élus, dont Roger Dusseaulx, et aux Andelys avec René Tomasini, mais n’obtient, au total, que trois députés face aux six élus indépendants. Soit les candidats gaullistes ne sont pas parvenus à s’imposer face aux candidats indépendants, comme c’est le cas à Yvetot de Roger Fossé face à Robert Gréverie, soit l’UNR n’a pu présenter de candidat, comme face au radical André Marie à Clères-Pavilly. Au terme de ce scrutin, qui est au demeurant une très large victoire des droites en Normandie (21 députés de droite élus contre six de gauche), le parti gaulliste s’impose avec neuf élus, mais il doit encore compter avec des indépendants qui, quoique affaiblis, restent très présents avec une dizaine de députés.

17La deuxième période correspond à la deuxième législature (1962-1967). Aux élections législatives de novembre 1962, le parti gaulliste connaît en Normandie le premier de ses deux sommets historiques. La région confirme sa forte adhésion au régime et à son chef. Globalement, le score de l’UNR y est de près de six points supérieur à la moyenne nationale, soit 37,7 % des suffrages exprimés pour 31,9 %. La Basse-Normandie consacre sa position de bastion gaulliste. L’UNR remporte au premier tour 48,3 % des suffrages exprimés et, au total, 11 des 13 sièges, n’en laissant qu’un aux indépendants de la majorité et un au MRP. Le Calvados est doublé par la Manche comme place forte de ce bastion gaulliste. L’UNR y emporte les cinq sièges dès le premier tour, avec une moyenne de 62,7 % des suffrages exprimés ! C’est le signe qu’elle a rallié l’électorat indépendant et convaincu beaucoup d’ouvriers du nord du Cotentin de voter en faveur du maire gaulliste de Cherbourg Jacques Hébert. En Haute-Normandie, l’électorat gaulliste de l’Eure reste stable et assure toujours un siège. Mais, en Seine-Maritime, l’UNR triple ses voix au premier tour et triple le nombre de ses élus en en récupérant six sur 10. Il ne reste plus qu’un indépendant dans ce département, André Bettencourt à Fécamp. Au Havre, le docteur Courant a été battu par le docteur Georges, le gendre du président Coty disparu peu avant.

18Le bilan de ces deux premiers scrutins législatifs est le suivant. La Basse-Normandie est une des premières régions gaullistes de France, et par son adhésion à de Gaulle et par son vote en faveur de ses candidats nationaux. L’UNR est parvenue, en Normandie comme ailleurs, à s’imposer comme le grand parti majoritaire des droites. Enfin, les artisans de cette victoire gaulliste sont, pour beaucoup, des hommes qui assurent le lien entre cette étape nouvelle de l’histoire du gaullisme et ses précédentes périodes. Beaucoup de candidats ont été acteurs du gaullisme de guerre, qui, évidemment, rencontre un écho particulier dans cette région, en venant soit de la Résistance comme Roger Dusseaulx, Roger Fossé, Jean Morrisse, René Tomasini, Raymond Triboulet, Louis Terrenoire ou Émile Bizet, soit de la France Libre comme Jacques Hébert. D’autres ont rejoint le gaullisme sous la Quatrième République lorsqu’ils étaient dans l’opposition au régime comme Pierre Godefroy, Henri-François Buot, Robert Bisson, Pierre Noal, etc.

19Un troisième temps du gaullisme électoral normand couvre les troisième et quatrième législatures (1967-1968, 1968-1973) et se distingue par le maintien d’une position dominante. Certes, il connaît un recul en 1967, mais un recul limité. Globalement, le gaullisme passe de 37,7 % des suffrages exprimés en 1962, à 33,6 % en 1967 et ne perd que trois élus sur les 18 acquis en 1962 : le général Chérasse et Jean Morisse sont battus en Seine-Maritime mais Raymond Offroy gagne à Dieppe ; dans le Calvados, le maire gaulliste de Vire, André Halbout, est battu par Marcel Restout du Centre démocratique ; dans l’Orne, Ernest Voyer est vaincu à Mortagne, également par un centriste. En 1968, le parti gaulliste connaît un nouveau pic historique, et le plus élevé, avec 40,3 % des suffrages exprimés en Normandie. Il retrouve son niveau de 1962 en Basse-Normandie (48,2 %) et atteint un niveau inégalé en Haute-Normandie (33,2 %), essentiellement en raison de sa poussée en Seine-Maritime. Comme en 1962, il emporte 18 sièges : huit en Haute-Normandie, où l’UDR fait élire Olivier de Sarnez à Pavilly contre un communiste, et André Delahaye à Louviers contre un réformateur ; 10 en Basse-Normandie où le parti gaulliste garde les cinq sièges de la Manche comme c’est l’habitude depuis 1962, et en emporte un quatrième dans le Calvados, à Vire, avec le jeune Olivier Stirn. Pour les mêmes raisons que précédemment, les candidats gaullistes dominent donc la représentation normande au Palais Bourbon en 1967 et 1968, domination particulièrement marquante en 1968 avec les deux tiers des 27 postes.

20La quatrième période est celle du déclin du gaullisme normand, à partir de 1973. Des 18 députés gaullistes de 1968, il n’en reste que 11 en 1973, neuf en 1978 et cinq en 1981. À cette date, il ne reste aucun élu gaulliste dans l’Eure, aucun dans le Calvados (Olivier Stirn a basculé dans le giscardisme), un dans l’Orne où Daniel Goulet a su conserver depuis 1973 l’ancienne circonscription de Louis Terrenoire, deux dans la Manche (Valognes et Coutances) et deux en Seine-Maritime (Yvetot et Neufchâtel-en-Bray). De 40 % des suffrages exprimés en 1968 en Normandie, le parti gaulliste est passé en dessous de 20 % (19,5 %) en 1981, atteignant même de très basses eaux dans l’Eure (15,2 %) et dans le Calvados (12,3 %). L’explication tient dans le fait que l’UDR, devenue le RPR en 1976, n’a pas su résister à deux offensives. D’abord, celle de la droite non-gaulliste, à partir de 1973, qui renaît après la disparition du général de Gaulle, et dont le leader local est Jean Lecanuet. C’est d’ailleurs en 1973 que le député gaulliste de Rouen, Roger Dusseaulx, réélu depuis 1958, est défait par le maire de Rouen. La même année, un autre gaulliste historique, Raymond Triboulet, chute devant François d’Harcourt à Bayeux. En 1978, la Normandie reste majoritairement à droite mais l’Union pour la Démocratie Française est devenue la première force en terme d’élus : 11 députés pour seulement huit au RPR, quatre au PCF et quatre au Parti socialiste (PS).

21La seconde offensive fut celle du PS. Elle commence en 1973, pour triompher en 1981. 1973 marque en effet la reprise par le PS du siège de Cherbourg, tenu par Jacques Hébert depuis 1962, et la défaite d’Henri Buot à Caen face à Louis Mexandeau. Si en 1978, le PS consolide ses positions, il n’en gagne pas de nouvelles. Par contre, il s’impose brutalement en 1981. Trois défaites gaullistes devant des socialistes illustrent cette offensive. : celle d’Antoine Rufenacht, qui avait brillamment repris l’héritage du docteur Georges au Havre et annoncé une nouvelle génération gaulliste en Normandie ; celle de René Tomasini dans sa circonscription de l’Eure, qu’il tenait depuis 1958 ; et enfin, dans le Calvados, celle de Robert Bisson, député de Lisieux depuis 1958. En 1981, dans une Basse-Normandie restée à droite, l’UDF domine le RPR, avec six sièges contre trois. En Haute-Normandie, où la « vague rose » a emporté 11 des 14 sièges et où le RPR et l’UDF sont laminés, le parti gaulliste ne sauve que deux sièges. D’une Normandie, où dans les années 1960, le gaullisme dominait sans partage dans la partie occidentale et où les gaullistes s’imposaient face à un adversaire essentiellement communiste dans la partie orientale, on est passé en 1981 à une Basse-Normandie où la droite non-gaulliste a repris la première position et à une Haute-Normandie où les socialistes ont tout emporté.

*

22Au total, la Normandie, et en particulier la Basse-Normandie, a été une terre puissamment gaulliste dans les années 1960 et au début des années 1970. On ajoutera qu’elle a fourni un personnel gaulliste de rang national, et au Parlement, et dans les gouvernements, et dans la direction du parti. Des hommes comme Roger Dusseaulx et Louis Terrenoire ont été secrétaires généraux de l’UNR et président du groupe parlementaire gaulliste à l’Assemblée nationale et ministres ; Raymond Triboulet a été président du groupe parlementaire et ministre ; René Tomasini également dirigeant du parti gaulliste et ministre ; Antoine Rufenacht et Olivier Stirn, ministres. Les partis gaullistes ont également donné des personnalités locales d’importance qui ont exercé plusieurs mandats : Roger Fossé, exerça sept mandats de députés à Yvetot, et fut président du Conseil régional de Haute-Normandie ; Robert Bisson eut six mandats de députés et présida le Conseil général du Calvados ; Émile Bizet et Georges Delatre furent élus sept fois successivement député d’Avranches pour le premier, député du pays de Bray pour le second ; Pierre Godefroy eut huit mandats de député à Valognes.

23Mais si le gaullisme normand fut remarquable, ce ne fut qu’au temps de la présidence de De Gaulle que les élections législatives permirent aux candidats gaullistes de s’imposer, en parvenant à grouper derrière d’abord les droites et ensuite une partie de la gauche modérée et anticommuniste. Des élections législatives de 1958 à 1981, on peut donc tirer la conclusion que le gaullisme normand paraît bien avoir été d’abord et surtout un gaullisme de rassemblement autour de la personne du général de Gaulle, un gaullisme gaullien. Ce rassemblement fut surtout celui des droites, même s’il ne fut pas que cela. Il groupa un électorat attiré spontanément par de Gaulle, comme en Basse-Normandie, ou parfois, sans doute, plus contraint de voter pour les candidats gaullistes en raison de la force menaçante des communistes, comme en Haute-Normandie.

LISTE DES DÉPUTÉS PAR CIRCONSCRIPTION DANS LES DÉPARTEMENTS NORMANDS 1958-1981

HAUTE-NORMANDIE

Seine-Maritime

24Année de naissance

1^re circonscription (Évreux)

Eure

BASSE-NORMANDIE

Calvados

1^re circonscription (Saint-Lô)

Manche

1^re circonscription (Alençon-Domfront)

Orne

Les députés normands de 1958 à 1981

RÉSULTATS ÉLECTORAUX DES CANDIDATS GAULLISTES DANS LES DÉPARTEMENTS NORMANDS 1958-1981

HAUTE-NORMANDIE

Seine-Maritime

Eure

251968

BASSE-NORMANDIE

Calvados

Manche

Orne