Les parlementaires, acteurs de la vie provinciale
| , , ,Deuxième partie. Les parlementaires et l’espace public provincial
Le parlement de Rennes était-il le parlement de Bretagne ? Le témoignage des arrêts sur remontrances (XVIe-XVIIIe siècle)
Texte intégral
- 1 P. Payen, Les arrêts de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle. Dimension et doctrine, P (...)
- 2 H. Tigier, La Bretagne de bon aloi. Répertoire des arrêts sur remontrance du parlement de Bretagne (...)
1Dans ce colloque consacré aux relations entre les parlements et la vie locale, un aspect important se doit d’être évoqué : celui des arrêts sur remontrances. De riches travaux ont déjà attiré l’attention des historiens et des historiens du droit sur ce type de documents et les étudier pour la Bretagne n’est pas faire œuvre entièrement nouvelle1. Alors que l’on a souvent insisté sur le fait que, par son pouvoir réglementaire, le parlement était un acteur majeur de l’espace public de la ville où il siégeait, nous nous sommes demandé si, parallèlement, la cour jouait ce rôle dans l’ensemble de son ressort et selon quels rythmes. En somme, ce parlement, qui est indéniablement celui « de Rennes » tant il est actif dans la capitale de la Bretagne, a-t-il été aussi un parlement « de Bretagne » ? On sait en effet que le parlement a aussi été un peu nantais (au XVIe siècle) et vannetais (de 1675 à 1690), mais plus que cette question de l’implication dans les villes sièges, c’est celle du périmètre d’intervention provinciale que nous voudrions aborder. On sait que le parlement, siégeant le plus souvent à Rennes, se situe ce faisant à la périphérie orientale d’une province qui fait environ 300 km de long, et dont la moitié occidentale est, en outre, bretonnante. En somme, c’est la capacité du parlement à être un acteur de la définition et de la construction d’un espace provincial que nous cherchons ici à interroger. Pour cela, les arrêts sur remontrance du parquet nous ont semblé présenter une entrée possible, voire féconde (même si nous reconnaissons que d’autres entrées sont envisageables), rendue réalisable par l’existence d’un fichier que nous devons à un historien courageux, Hervé Tigier. Celui-ci a réalisé en 1987 un volume dans lequel chacun de ces actes est inventorié, analysé, et classé, selon une grille tantôt thématique (pour 3 840 arrêts – 64 % du corpus), tantôt géographique (2 193 arrêts sont localisés – 36 % du corpus)2. Nous avons donc réalisé une banque de données unique, en fusionnant les deux parties du travail d’H. Tigier, puisque l’immense majorité des arrêts est bien territorialisée et en avons profité pour esquisser une nouvelle classification thématique. Ce que nous proposons ici n’est donc qu’une enquête exploratoire d’un fond gigantesque, pour lequel nous sommes en train de réfléchir à la constitution d’un outil d’analyse qui serait plus pertinent que celui que nous avons construit, et qui, pensons-nous, pourrait rendre de nombreux services aux historiens, eu égard à la grande richesse de cette source tardivement découverte.
Approche globale dans le temps
Un mot sur le corpus
2Avant d’aborder la question centrale pour notre propos de la répartition des arrêts dans l’espace, quelques mots sur le corpus envisagé. Le premier constat conduit à souligner la faiblesse du XVIe siècle par rapport aux périodes suivantes, qui présentent une plus grande homogénéité.
- 3 A. Croix, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1979, t. (...)
3Fatalement, la question qui se pose est donc celle de savoir si nous avons tous les arrêts du XVIe siècle. Cette question vaut d’ailleurs pour la suite. À ce stade, nous n’avons pas de réponse ferme. Il serait peut-être possible de s’en assurer en reprenant les gigantesques volumes du greffe qui semblent mentionner tous les arrêts selon un classement chronologique, mais il faut bien voir que ces documents recensent tous les arrêts, quelle que soit leur nature, ce qui rend leur usage peu évident, mais pas exclu dans l’avenir. Quelques éléments plaident cependant en faveur d’une certaine fiabilité du corpus, au moins pour la période postérieure à 1600. Ainsi doit-on noter que le grand nombre d’arrêts de la première moitié du XVIIe siècle indique que l’ancienneté ne signifie pas nécessairement faiblesse documentaire. Par ailleurs, l’équivalence des données entre les quatre demi-siècles postérieurs à 1600 plaide en faveur d’une conservation plus ou moins intégrale de la source. En revanche, quelques indices incitent à une légère prudence. Ainsi l’arrêt du 29 novembre 1627 qui donne règlement à l’assemblée municipale rennaise n’est pas répertorié par H. Tigier, et échappe donc à notre étude. Il en va de même d’un arrêt de décembre 1630 autorisant les Nantais à s’approvisionner en blé3. Dans le cadre de l’étude en cours menée sur les révoltes de 1675, il apparaît aussi que sur les quatorze arrêts rendus par le parlement en lien avec cette crise, treize sont conservés à Rennes – et sont donc répertoriés dans « le » Tigier – et un, connu par les registres du greffe, n’est conservé à notre connaissance qu’à Paris, dans les papiers de Colbert. Enfin, signalons que l’inventaire dactylographié des Archives d’Ille-et-Vilaine signale des lacunes pour les années 1744 et 1777. Il faut donc conclure que si les incertitudes sont très fortes pour la période antérieure à 1600, elles ne sont pas nulles par la suite, mais qu’elles semblent minoritaires. L’enquête doit donc se poursuivre à travers les archives des juridictions inférieures et des communautés d’habitants.
Les pics et les creux
4Une manière de prolonger notre interrogation sur la validité du corpus est de regarder la courbe des arrêts par année, et de chercher à voir si des logiques apparaissent (voir graphique 2).
5C’est d’abord le contexte qui commande dans une très large mesure les inflexions constatées, comme le montre une analyse sommaire – à ce stade – du contenu des arrêts. Ainsi la première poussée, autour de 1590, est clairement à relier à l’embrasement ligueur. En effet, en 1589 et 1590, les trois quarts des arrêts portent sur des questions politiques et militaires. Le brutal effondrement de l’activité réglementaire qui s’ensuit conduit à émettre l’hypothèse d’une faillite de l’autorité parlementaire, marquée par la division de la cour – les Ligueurs à Nantes, les loyalistes à Rennes – dans un contexte de désorganisation du duché lié aux troubles. En 1598, le petit pic, qui ne se rattache pas à une thématique dominante, peut être l’effet d’une volonté de remise en ordre, à la faveur de la paix.
6Un second pic apparaît, isolé, en 1616, qui s’explique assez bien par des mesures prises par le parlement en lien avec la « guerre des princes » : près de la moitié des arrêts rendus cette année là porte sur des questions politiques et militaires. À nouveau, le parlement apparaît au cœur de l’activité politique.
- 4 Ibid., p. 289 sq.
- 5 Ibid., p. 307.
7Vient ensuite le grand nombre d’arrêts des années 1620-1630, qui – d’après notre source – constituent une des périodes les plus fastes de l’activité réglementaire du parlement. Il est clair que ceci s’explique par un contexte particulièrement tendu. Alain Croix – qui n’a pas eu connaissance de ces arrêts – identifie en effet une période de grandes difficultés qui court de 1625 à 1640 et qu’il qualifie lui-même de complexe4, avec des poussées épidémiques et des difficultés frumentaires auxquelles le parlement tente de faire face, à quoi s’ajoutent de nouvelles crises politiques (les affaires de Chalais et de La Rochelle), obligeant le parlement à prendre des mesures relatives au maintien de l’ordre. Au sommet de la courbe, en 1625-1627, les questions épidémiques et sécuritaires représentent la moitié des arrêts. Dans le détail, il est toutefois difficile de faire correspondre un contexte lui-même parfois complexe à saisir et l’activité de la cour. Ainsi, à partir de 1637, le contexte épidémique reste tendu, et le parlement s’en préoccupe toujours, mais c’est désormais avec moins de force que dans la décennie précédente. Faut-il relier cela avec le fait que la crise tend à se déplacer vers l’ouest de la Bretagne5 : le danger s’éloignant de Rennes, le parlement s’en désintéressait-il ? Notons aussi une anomalie en 1639 avec seulement trois arrêts connus, alors que c’est une des années les plus dures sur le front épidémique. Alain Croix nous met sur une piste : l’épidémie a, semble-t-il, moins frappé les villes que les campagnes, d’où, serait-on tenté de penser, un relatif désintérêt du parlement. À nouveau, le facteur géographique, sur lequel il va nous falloir revenir, semble jouer un rôle important.
- 6 Ibid., p. 323 sq.
- 7 Ibid., p. 407.
8Après ces dures années, commence ce qu’Alain Croix nomme « la génération paisible6 », qui s’étend de 1641 à 1668, interrompue seulement par la crise de 1661-63. La courbe des arrêts s’accorde en grande partie avec ce paysage, mais en partie seulement, car elle montre une nouvelle poussée du nombre d’arrêts en 1643, due pour l’essentiel aux mesures prises au sujet des grains : cette année là, pourtant, Alain Croix ne note aucune grave crise démographique et tout juste un contexte émeutier un peu tendu sur le front frumentaire7. L’activisme du parlement a peut-être joué un rôle dans l’évitement de cette crise, tandis qu’on ne peut exclure que, en ces temps où la monarchie cherche à imposer un intendant à la Bretagne, la cour rennaise a cherché à produire des arrêts attestant de son efficacité. Ce qui semble se dégager alors, c’est que, dans les années 1660, la dynamique démographique et la dynamique parlementaire divorcent, en même temps que l’activité réglementaire décline, atteignant un point bas en 1670 avec huit arrêts seulement. Peut-être faut-il envisager, plus qu’une dépolitisation du parlement, l’association d’un contexte démographique moins inquiétant et la renonciation à l’installation d’un intendant, qui a pu conduire à relâcher l’effort.
9C’est au cours de son « exil » vannetais (1675-1690) que l’activité du parlement reprend de la vigueur, ce qui pourrait être dû tant à un désir de se montrer zélé au service du roi après le choc de la révolte dite du Papier timbré qu’à la personnalité du nouveau premier président Pontchartrain. Si l’on accepte que la presque totalité des arrêts est connue, il apparaît que l’année 1689 n’est pas marquée par un ralentissement de l’activité du parlement. Cette année là est pourtant celle qui voit Louis XIV nommer pour la première fois un intendant en Bretagne. Or, loin de mettre à terre l’activité réglementaire du parlement, ce dernier semble même retrouver une nouvelle vigueur manifeste jusqu’en 1720. Voilà qui vient à nouveau montrer que le règne de Louis XIV, y compris dans la phase postérieure au sacro-saint et problématique musellement des parlements (1673), n’est pas celui de l’endormissement de la cour. La présence de l’intendant, dont le parlement ne craint pas de réclamer le départ sous la Régence, pourrait même avoir dynamisé l’activité réglementaire de la cour rennaise.
- 8 A.-J. Lemaître, « Espace sacré et territoire vital au XVIIIe siècle : la régulation des lieux d’in (...)
- 9 R. Bareau, op. cit.
- 10 S. Pérreon, L’armée en Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2005.
- 11 J. Quéniart, La Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, Ouest France, 2004, p. 159 sq.
10Ce qui se dessine sous le règne de Louis XIV, et qui reste le trait dominant jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, c’est qu’on ne voit plus comme auparavant des grandes thématiques émerger en bloc. L’heure semble être à la dispersion, même si certaines questions sont traitées plus ou moins durablement. C’est le cas de la question protestante, qui suscite 34 arrêts en 1685-1686, avant de décliner. Ainsi la révocation de l’édit de Nantes, dans cette province peu riche de huguenots, a contribué à dynamiser l’activité réglementaire du parlement, agissant en tant que relais de l’autorité monarchique. On voit aussi se développer la préoccupation pour la prostitution, régulièrement traitée désormais, alors qu’elle ne l’était guère auparavant. De même, comme l’a démontré Alain-J. Lemaître, le parlement s’intéresse notablement et précocement à la question des inhumations8. C’est donc un parlement à deux visages qui apparaît au cours des années 1680 et jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. D’un côté, il y a le parlement multi-compétent décrit par Romain Bareau, présent dans une multitude de domaines, alors même qu’il y a désormais un intendant à demeure à Rennes9. D’un autre côté, et en regardant un peu plus en détail les axes d’intervention de la cour, il apparaît que des questions ne sont désormais plus traitées par elle. Il en est ainsi de tout ce qui est lié aux affaires militaires, alors même que la Bretagne connaît une certaine militarisation. Intendant et commandant en chef sont désormais en charge de ces questions10. Il en de même de la lutte contre les épidémies, qui cesse assez largement d’intéresser le parlement, si ce n’est timidement, de temps à autre, et ce alors que la Bretagne connaît, au XVIIIe siècle, de graves épidémies11. Il y a là à l’évidence un domaine qui a été déserté par le parlement, au profit de l’intendant. La chose est moins nette au sujet de la question de la circulation des grains même si, passé les 19 arrêts sur ce thème en 1709, le parlement se fait plus discret, sans jamais renoncer à intervenir, comme le montre la petite poussée de 1786 (7 arrêts).
11La dispersion des interventions du parlement rend la courbe moins aisément analysable. On comprend cependant bien que le creux de 1765 est dû à l’arrestation de La Chalotais, comme on peut supposer que le regain des années 1780 peut-être lié au désir des La Chalotais (père et fils) de s’affirmer et d’agir après des années de prison et d’exil lors de l’affaire de Bretagne. Mais il est aussi possible que le dernier pic observé, en 1786, avec un record de 106 arrêts, au milieu d’un petit massif qui va de 1784 à 1788, puisse s’expliquer par une exacerbation de la rivalité avec l’entreprenant intendant Bertrand de Molleville.
- 12 O. Chaline, Godart de Belbeuf. Le parlement, le roi et la nation, Luneray, Berthout, 1996, p. 545.
12En guise de bilan provisoire, il apparaît que l’activité du parlement reste soutenue de part et d’autre de 1689, mais que cette apparente stabilité masque des glissements. En forçant le trait, on pourrait dire que l’on passe, au XVIIe siècle, de la défense de la société (contre la peste, les soldats, etc.) à celui, au XVIIIe siècle, de son aménagement, pour reprendre une expression d’Olivier Chaline12. En somme, l’installation de l’intendant aurait permis au parlement de se détourner de la défense immédiate de la société, laissée au commissaire, pour envisager un travail plus fondamental sur le corps social. Par ailleurs, en laissant à l’intendant la gestion de l’impôt et de la corvée, le parlement s’ouvrait la voie de la popularité qui aurait pu, peut-être, être plus grande encore s’il n’avait pas délaissé la lutte immédiate contre les malheurs des temps si présents à la fin du XVIIIe siècle. Tout ceci, on en conviendra, mériterait d’être précisé dans le cadre d’une enquête plus vaste.
La Bretagne vue de Rennes : approche spatiale
Le déclin de Rennes
13Sur les 6 033 arrêts inventiorés par Hervé Tigier, 4 674 ont été localisés, soit plus du trois quarts. Le premier point à souligner est l’importance considérable du diocèse Rennais, sans commune mesure avec son poids démographique. Ainsi, il y a plus de sept fois plus d’arrêts concernant le diocèse de Rennes que celui de Quimper. Les deux grands diocèses voisins de Nantes et de Saint-Malo suivent, assez loin néanmoins. À l’évidence, la proximité par rapport à Rennes semble être un important facteur explicatif (cf. carte 1).
14Le symbole de cette domination rennaise apparaît entre 1676 et 1689 : alors que le parlement siège à Vannes, c’est toujours le diocèse de Rennes qui suscite le plus d’arrêts, soit 57 contre 47 à Nantes et 43 à Saint-Malo sur la période. Les liens sont donc loin d’être rompus malgré « l’exil », nombre de parlementaires gardant des contacts avec Rennes et son diocèse, d’autant plus facilement que les séances sont semestrielles.
15Toutefois, l’analyse de l’évolution par demi-siècle montre que la part du diocèse de Rennes tend à baisser, tant en donnée relative qu’absolue sur la fin. Parallèlement, le diocèse de Nantes est en progrès dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ce qui pourrait correspondre au remarquable essor démographique de sa capitale, mais nous verrons plus loin que la réalité est plus complexe. Le cas est encore plus net pour les diocèses les plus occidentaux : ensemble, Vannes, Saint-Brieuc, Quimper, Tréguier et Léon prennent presque 10 points entre la première moitié du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle.
16L’approche par sénéchaussée (cf. carte 2) permet d’essayer de mieux comprendre cette affirmation de la partie occidentale de la Bretagne. Les principales zones de progression au XVIIIe siècle sont, en effet, côtières : c’est Brest, tout d’abord, ainsi que sa voisine Lesneven, mais aussi Auray, Hennebont, Concarneau, Quimper ou encore Saint-Brieuc, voire Jugon. Il est tentant de voir là l’essor de la Bretagne des littoraux et des ports les plus actifs (Nantes, Lorient, Brest), mais tout n’est pas clair, quand on constate par exemple que Ploërmel est parmi les sénéchaussées les plus dynamiques, ou que certaines sénéchaussées ne font que retrouver, à la fin du XVIIIe siècle, des niveaux qu’elles avaient connus au début du XVIIe siècle. Seule, ici, une approche associant avec finesse les thèmes devrait permettre d’aller plus loin.
Le parlement des campagnes ?
17À ce stade, une autre observation peut être faite, consistant à regarder le type d’espace concerné par ces arrêts. Il apparaît alors que le poids des villes, très important au XVIe siècle, diminue tout au long de la période. Cependant, si on retire Rennes, la part des villes reste à peu près constante. La capitale provinciale, qui représente 57 % des arrêts territorialisés au XVIe siècle, n’est concernée que par 16 % de ceux-ci dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Contre toute attente, et même contre ce qui était suggéré plus haut, on remarque que Nantes connaît aussi une baisse en dépit de son envol démographique. Surtout, le trait saillant est que les paroisses rurales, qui n’étaient l’objet que d’un faible nombre d’arrêts au début de la période, en reçoivent, dans les décennies qui précédent la Révolution, la moitié. C’est certes moins que ce qu’elles pèsent dans la population bretonne, mais la courbe ascendante n’en est pas moins remarquable.
18La série de cartes des arrêts par communauté rend bien compte de ces évolutions (cf. carte 3). Avant 1600, les arrêts sont faiblement disséminés, au profit de la Bretagne orientale et des villes. Il est vrai que l’importance constatée des villes sièges de juridiction renvoie pour partie à la méthode choisie puisque lorsque qu’une juridiction était mentionnée dans un arrêt, nous avons considéré l’arrêt dans le siège de la juridiction. Dans la première moitié du XVIIe siècle, la région rennaise se renforce tandis que s’observe une amorce de diffusion vers l’ouest. Cette dernière évolution est confirmée lors du demi-siècle suivant, qui voit le parlement siéger quinze ans à Vannes. Le XVIIIe siècle est celui de la poursuite du mouvement de dilution dans l’espace de l’activité réglementaire, avec une augmentation de 31 % des paroisses ayant au moins un arrêt par rapport à la période précédente.
- 14 Voir par exemple l’important arrêt rendu en 1680 « portant règlement général pour les fabriques de (...)
- 15 Y. Lagadec, Pouvoir et politique en Haute-Bretagne rurale. L’exemple de Louvigné-de-Bais (XVIe-XIX(...)
- 16 C. Reydellet, op. cit.
- 17 Remarquons ainsi que le premier arrêt du parlement concernant la question des délibérations parois (...)
19Pour tenter d’expliquer cette singulière évolution, plusieurs paramètres, qui d’ailleurs s’emboîtent, peuvent être mobilisés, en n’oubliant pas que, au stade où nous en sommes, il ne peut s’agir que de pistes et d’hypothèses. Tout d’abord, ceci doit être mis au crédit d’une institution qui a probablement de plus en plus de relais sur le terrain, y compris au-delà de la frontière linguistique14. Avocats, petits et moyens officiers, ecclésiastiques jouent sans doute un rôle clef dans cette géographie. Par ailleurs, un retour vers l’étude des thèmes des arrêts peut nous aider à comprendre cette évolution. À la suite des travaux de Romain Bareau et surtout de Yann Lagadec15, il apparaît que, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, le parlement a commencé à s’intéresser de plus en plus à la gestion des paroisses. Chantal Reydellet, qui avait remarqué ce phénomène, en voit même les prémices dès la fin du XVIe siècle, mais l’accélération est patente au cours du XVIIe siècle16. Ainsi dans le Recueil des arrêts des paroisses, édité en 1751, sont recensés 3 arrêts pour la première moitié du XVIIe siècle, 34 pour le demi-siècle suivant (dont 21 pour les années 1680) et 76 pour la première moitié du XVIIIe siècle. Au XVIIIe siècle, le principe est acquis que la gestion des paroisses – et donc des communautés d’habitants en tant que corps politiques – relève d’abord du parlement. Et, note Yann Lagadec, même si évêques et intendants interviennent dans la vie des communautés, c’est bien le parlement qui tend à y devenir l’institution de référence première, les années 1680 constituant le moment de l’accélération de ce processus. Ainsi, progressivement, une ligne de partage floue se dégage, qui conduit le parlement à laisser peu ou prou Rennes à l’intendant et à tâcher de se réserver le monde rural, appréhendé principalement à partir de la gestion paroissiale. À ce stade, il est tentant de relier cette évolution à l’arrivée de l’intendant, à ceci près que le mouvement s’enclenche avant la première nomination d’un commissaire. Aussi, sans exclure les logiques institutionnelles, sans doute faut-il peut-être chercher un autre paramètre explicatif du côté de la sociologie des parlementaires. Ceux-ci s’avèrent venir de plus en plus, au XVIIe siècle, des rangs de la noblesse ancienne aux fortes assises rurales. Cette aristocratisation du recrutement conduit même en 1678 à refuser l’entrée de tout non-noble, tandis que l’on remarque que le phénomène se double d’une bretonnisation du recrutement, qui ne se limite pas à la Haute-Bretagne. Il serait étonnant que ces gentilshommes-magistrats, seigneurs et propriétaires fonciers, n’aient pas manifesté de l’intérêt pour la question de la gestion des paroisses rurales, qui étaient l’autre pilier de leur notabilité provinciale17. Ainsi, à la faveur d’un jeu subtil mêlant l’histoire des institutions et l’histoire sociale, le parlement de Rennes aurait finit par devenir vraiment, au XVIIIe, et au XVIIIe siècle seulement, le parlement de Bretagne.
Notes
1 P. Payen, Les arrêts de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle. Dimension et doctrine, Paris, PUF, 1997 et La physiologie de l’arrêt de règlement du Parlement de Paris au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1999 ; V. Lemonnier-Lesage, Les arrêts de règlement du Parlement de Rouen, fin XVIe-XVIIe siècle, Paris, Éditions de l’Université Panthéon-Assas, 1999 ; A.-J. Lemaître, O. Kammener (dir.), Le pouvoir réglementaire : dimension doctrinale, pratiques et sources, actes du colloque de Mulhouse, Rennes, PUR, 2004. Sur la Bretagne, signalons deux thèses complémentaires : A.-J. Lemaître, Espace, sécurité, population au XVIIIe siècle. La police générale du parlement de Bretagne, thèse, Paris 1, 1998 et R. Bareau, Les arrêts de règlement du parlement de Bretagne, 1690-1790, thèse, Rennes 1, 2000, ainsi que : Ch. Reydellet, « Les débuts du parlement de Bretagne et son activité administrative en particulier dans les paroisses au XVIe siècle » dans J. Poumarède, J. Thomas (dir.), Les parlements de province, Toulouse, Framespa, 1996, p. 437-442 et Ch. Chapalain-Nougaret, Misère et assistance dans le pays de Rennes au XVIIe siècle, Nantes, Cid Éditions, 1989. En amont, voir aussi le travail de G. Saulnier de la Pinelais, Les gens du roi du parlement de Bretagne, Rennes, Plihon et Hommay, 1902.
2 H. Tigier, La Bretagne de bon aloi. Répertoire des arrêts sur remontrance du parlement de Bretagne, 1554-1790, conservés aux Archives d’Ille-et-Vilaine, Rennes, 1987.
3 A. Croix, La Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles. La vie, la mort, la foi, Paris, Maloine, 1979, t. I, p. 301.
4 Ibid., p. 289 sq.
5 Ibid., p. 307.
6 Ibid., p. 323 sq.
7 Ibid., p. 407.
8 A.-J. Lemaître, « Espace sacré et territoire vital au XVIIIe siècle : la régulation des lieux d’inhumation en Bretagne », Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 1983, vol. 90, p. 249-259.
9 R. Bareau, op. cit.
10 S. Pérreon, L’armée en Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, PUR, 2005.
11 J. Quéniart, La Bretagne au XVIIIe siècle, Rennes, Ouest France, 2004, p. 159 sq.
12 O. Chaline, Godart de Belbeuf. Le parlement, le roi et la nation, Luneray, Berthout, 1996, p. 545.
13 Chiffres de la population de J-B. Ogee, Dictionnaire historique et géographique de la Province de Bretagne, réédition 1845 par A. Marteville et P. Varin, Éditions Molliex, Nantes, Rennes.
14 Voir par exemple l’important arrêt rendu en 1680 « portant règlement général pour les fabriques des paroisses de cette province » suite à une requête envoyée par les fabriciens de Sizun, paroisse du Léon intérieur, en pleine zone bretonnante.
15 Y. Lagadec, Pouvoir et politique en Haute-Bretagne rurale. L’exemple de Louvigné-de-Bais (XVIe-XIXe siècles), thèse, Rennes 2, 2004, en particulier p. 113-150 et 199-207.
16 C. Reydellet, op. cit.
17 Remarquons ainsi que le premier arrêt du parlement concernant la question des délibérations paroissiales, en date de 1659, a été rendu sur remontrance du procureur général suite à une requête d’une femme deux fois veuve de conseillers.
Table des illustrations
Légende | Graphique 1. – Répartition des arrêts dans le temps. |
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URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/133455/img-1.jpg |
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Légende | Graphique 2. – Nombre d’arrêts par année (1555-1790). |
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Légende | Carte 1. – Nombre d’arrêts par habitant dans les diocèses bretons13. |
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Légende | Tableau 1. – Répartition des arrêts suivant l’année et le diocèse. |
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Légende | Carte 2. Nombre d’arrêts par habitant dans les sénéchaussées bretonnes. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/133455/img-5.jpg |
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Légende | Tableau 3. – Répartition des arrêts localisés par ressort. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/133455/img-6.jpg |
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Légende | Tableau 4. – Répartition des arrêts localisés. |
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Légende | Carte 3. – Localisation des arrêts avant 1600. |
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Légende | Carte 4. – Localisation des arrêts de 1600 à 1650. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/133455/img-9.jpg |
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Légende | Carte 5. – Localisation des arrêts de 1650 à 1700. |
URL | http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/133455/img-10.jpg |
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Légende | Carte 6. – Localisation des arrêts de 1700 à 1750. |
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Légende | Carte 7. – Localisation des arrêts de 1750 à 1800. |
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Légende | Tableau 5. – Nombre d’arrêts par paroisse. |
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Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.