Introduction
p. 9-13
Texte intégral
1C’est au sein d’un chantier de recherche dynamique, mais riche encore d’interrogations, que cet ouvrage souhaite une nouvelle fois croiser les analyses des historiens modernistes et des historiens du droit. L’expérience du travail commun est déjà longue et se rencontre dans de nombreuses manifestations qui, à s’en tenir aux publications des cinq dernières années, ont été marquées par les colloques de Rouen sur Les parlements et les Lumières, de Lille sur Le parlement de Flandre, de Mulhouse sur Le monde parlementaire au XVIIIe siècle, de Bordeaux sur Hommes et gens du roi dans les parlements de France, de Rennes sur Les parlements de Louis XIV ou de Pau sur Les parlementaires, les lettres et l’histoire au Siècle des lumières1...
2Pour enrichir les réflexions, le colloque de Douai propose conjointement un triple déplacement du regard. À la manière des rencontres de Bordeaux et de Mulhouse, il privilégie d’abord l’approche de l’institution par les hommes qui la font vivre, dans une démarche d’histoire sociale des institutions dont les enjeux dépassent l’histoire même des parlements. L’objectif, et c’est un second déplacement, est d’abord d’envisager les parlementaires, simultanément conçus comme un groupe au besoin solidaire et un ensemble d’individualités aux statuts et personnalités spécifiques, dans leurs rapports aux autres ; pour les organisateurs, l’idée est que l’observation des relations des parlementaires avec les pouvoirs locaux ou provinciaux – complémentaires ou concurrents –, de leurs liens avec les acteurs sociaux ou de l’investissement des magistrats dans la vie économique peut aider à comprendre les originalités et les diversités régionales du groupe. Enfin, et c’est un troisième déplacement du regard, ces questionnements obligent à quitter un moment les interrogations nationales pour revenir à la ville et à la province, premiers lieux de vie et d’exercice des parlementaires. Isolément, aucune de ces perspectives n’est inexplorée ; l’évolution de la recherche, cependant, montrait l’intérêt de rouvrir le dossier en reformulant les questions, mais aussi d’inviter à rapprocher ces diverses perspectives.
3Le programme élaboré à l’issue de l’appel à contributions, bien sûr – et ce n’est pas un regret –, ne répond qu’en partie aux propositions des organisateurs ; le programme d’une rencontre, et celui des Parlementaires acteurs de la vie locale et provinciale n’échappe pas à la règle, est le reflet d’un moment historiographique, le reflet des préoccupations dominantes d’une communauté de chercheurs... Les trois axes initialement prévus2 ne se retrouvent ainsi pas à parts égales dans l’architecture de la rencontre, les questions politiques ayant suscité nettement plus de propositions que les interrogations sociales et économiques. En l’état, les contributions proposées permettent ainsi d’isoler deux enjeux historiographiques majeurs.
Comment lire les tensions politiques locales et provinciales ?
4Le premier concerne la lecture possible des tensions politiques qui ont marqué l’action des parlementaires, en privilégiant ici l’approche locale et provinciale. Forts des apports des rencontres qui ont proposé une relecture de la construction du discours ou de la culture politique parlementaire3 ou une approche, dans leur complexité, des relations avec les pouvoirs centraux qu’on ne peut réduire à des conflits et tensions, la rencontre de Douai permet de reprendre le dossier dans le cadre des provinces et des villes, envisagées comme de véritables laboratoires politiques. Quittant un instant les relations des parlementaires avec le roi ou la nation, il s’agit de revenir vers ces premiers espaces de formulation du débat public que sont la ville et la province.
5La démarche a plusieurs intérêts. Elle permet d’abord d’inviter à la poursuite d’une diversification des sources mobilisées pour l’écriture de l’histoire des parlements et des parlementaires, notamment dans leur vie publique et leurs interventions politiques et judiciaires. Sans remettre en cause l’idée d’une formulation locale et provinciale d’enjeux nationaux, confirmée par l’étude d’Arnaud Vergne sur la notion de « constitution » dans la seconde moitié du XVIIIe siècle4, le choix permet également d’enrichir l’approche politique des parlements en mettant en évidence des débats parfois dépourvus d’échos nationaux. Au travers de contributions qui rappellent l’ambiguïté du statut parlementaire, avec ces cas de premiers présidents-intendants, mais aussi les relations complexes nouées entre les parlementaires et les autres pouvoirs (villes, intendants, états provinciaux, gouverneurs...), ce sont des formes multiples du débat public que l’on peut approcher ; un débat public qui varie évidemment en fonction du statut de la province (pays d’États/d’élections), de l’époque de son intégration au royaume ou du contexte local ou provincial dans lequel il se déroule.
6Pour examiner les relations entre les parlements et les autres pouvoirs, trois mots reviennent comme des leitmotive : conflits, concurrence, solidarité. Ensemble, ces mots disent la diversité des situations observables et permettent de se pencher sur une possible unité de pouvoirs intermédiaires dans certaines tensions, dont les enjeux sont fréquemment les libertés et particularismes provinciaux. Par l’usage de ces mots se pose cependant une question, en lien avec les débats autour de la notion controversée « d’opposition parlementaire », notamment dans les travaux de Julian Swann5. Cette discussion de la notion « d’opposition parlementaire » peut-elle aider à concevoir autrement les débats locaux et provinciaux ? Est-il pertinent de tenter d’appliquer aux relations des parlements avec certains pouvoirs provinciaux, comme les intendants, la notion de « culture juridique des conflits politiques » ? La question mérite d’être posée, tant elle permet de changer notre grille de lecture des tensions qui se nouent alors entre les parlementaires et les autorités de la province et de la ville.
Peut-on dissocier intérêts privés et enjeux publics ?
7Une deuxième remarque concerne les points de l’appel à projet consacrés aux dimensions sociales et économiques du monde parlementaire. Les questions suggérées portaient notamment sur la vénalité des charges, la noblesse de robe, les réseaux de sociabilité, la culture, les formes de la consommation ou les stratégies foncières des parlementaires. Ces thématiques, bien sûr, ne sont aucunement délaissées par les historiens ; elles ont même été au cœur des études de nombre d’intervenants de notre rencontre. Dans les communications retenues, cependant, trois propositions seulement répondent directement à cette préoccupation qui, lors du colloque, ont été rassemblées sous le titre « Les parlementaires entre intérêts privés et enjeux publics »... Simple hasard produit par la formulation de l’appel à contributions ? Suite logique des précédentes rencontres consacrées aux parlements et parlementaires, qui ont pu aborder certains aspects de la question, sur lesquels les intervenants potentiels n’ont pas souhaité travailler de nouveau ? Plus fondamentalement, reflet des préoccupations actuelles de ce champ d’étude, l’invitation à penser les parlementaires dans l’espace local et provincial ravivant des débats majeurs qui se cristallisent autour des dimensions politiques de la question ?
8À confronter deux chantiers particulièrement dynamiques, celui sur les parlements/parlementaires et celui consacré aux officiers dits « moyens », la dernière hypothèse n’apparaît pas dénuée de pertinence. Mobilisant des réseaux de chercheurs en grande partie différents, les deux chantiers ne se distinguent pas totalement par leurs perspectives initiales : d’un côté, derrière Michel Cassan et Jean Nagle, voire Sylvain Soleil en histoire du droit, il s’agit de définir et d’étudier la catégorie des « officiers moyens » (élections, sénéchaussées, présidiaux, greniers à sel...), en lien avec l’examen de la construction de l’État moderne. En croisant l’étude d’officiers de finance et d’officiers de justice, cette analyse, pour reprendre une formule de Michel Cassan, se veut d’abord « à l’articulation d’analyses sociales, administratives et culturelles6 ». Sans délaisser le politique, l’objectif premier est de proposer une définition du groupe, en accordant une attention prioritaire aux pratiques professionnelles, aux usages culturels et à l’insertion dans la cité ou dans la province. Du côté des parlements et des parlementaires, l’analyse porte sur une institution précise, parfois élargie à des conseils souverains ou provinciaux aux pouvoirs proches. On est cette fois dans l’observation d’une institution, clairement identifiée, dont le rôle public dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles met au cœur de la réflexion la dimension politique de son activité.
9L’approche professionnelle et sociale des parlementaires, pourtant, est au cœur de l’historiographie et il suffit de rappeler les thèses de Maurice Gresset et de Monique Cubells ou, plus récemment, celles de Clarisse Coulomb, Gauthier Aubert, Caroline Le Mao ou Olivier Chaline pour s’en convaincre. Est-ce à dire que si la thématique n’a que peu suscité de propositions, c’est également que le sujet parait désormais bien connu ? Une autre hypothèse, sans doute plus convaincante, consiste à souligner l’enjeu politique de la vie sociale et économique des magistrats parlementaires. C’est sur ce terrain que les questions semblent actuellement les plus stimulantes ; c’est ce terrain que l’historien choisit aujourd’hui d’aborder lors de ces moments d’échange que sont les colloques. Symboliquement, les organisateurs ont ainsi repris la notion de « public » dans les trois titres qui ont structuré le programme de la rencontre : vie publique, espace public, enjeux publics7 ! Le colloque de Douai se situe ainsi, logiquement, dans le prolongement des précédentes rencontres sur les parlements et les parlementaires ; il s’agit, en définitive, de mobiliser différemment, à l’échelle locale ou provinciale, les problématiques construites dans l’observation nationale ; il s’agit aussi de traquer les enjeux publics dans certains comportements, pour lesquels la frontière public/privé est plus poreuse qu’on ne l’imagine.
Notes de bas de page
1 O. Chaline (dir.), Les parlements et les Lumières, Bordeaux, MSHA, 2012. C. le Mao (dir.), Hommes et gens du roi dans les parlements de France à l’époque moderne, Bordeaux, MSHA, 2011. G. Aubert, O. Chaline (dir.), Les parlements de Louis XIV. Opposition, coopération, autonomisation ?, Rennes, PUR, 2010. A. J. Lemaître (dir.), Le monde parlementaire au XVIIIe siècle. L’invention d’un discours politique, Rennes, PUR, 2010. V. Demars-Sion, S. Michel (dir.), Le parlement de Flandre à travers ses archives, n° spécial de la Revue du Nord, octobre-décembre 2009. F. Bidouze (dir.), Les parlementaires, les lettres et l’histoire au siècle des Lumières, 1715-1789, Pau, PUP, 2008. O. Chaline, Y. Sassier (dir.), Les parlements et la vie de la cité (XVIe-XVIIIe siècle), Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2004. J. Poumarède, J. Thomas (dir.), Les parlements de province : pouvoirs, justice et société du XVIe au XVIIIe siècle, Toulouse, Framespa, 1996.
2 1. Les parlementaires, acteurs de la politique locale et provinciale ; 2. Les parlementaires, acteurs de la vie sociale locale et provinciale ; 3. Les parlementaires, acteurs de la vie économique locale et provinciale.
3 À la bibliographie citée précédemment, il convient d’ajouter F. Bidouze (dir.), Parlements et parlementaires de France au XVIIIe siècle, n° spécial de la revue Parlement[s]. Revue d’histoire politique, 2011-1, no 15.
4 Les cours souveraines participent au débat, au même titre que les États provinciaux et les assemblées du clergé. A. Vergne, La notion de constitution d’après les cours et assemblées à la fin de l’Ancien Régime (1750-1789), Paris, De Boccard, 2006.
5 J. Swann, « Repenser les parlements au XVIIIe siècle : du concept de l’opposition parlementaire à celui de culture juridique des conflits politiques », dans A. J. Lemaître (dir.), op. cit., p. 17-37.
6 M. Cassan, « Avant-propos », dans M. Cassan (dir.), Offices et officiers « moyens » en France à l’époque moderne. Profession, culture, Limoges, PULIM, 2004, p. 11.
7 1. Les parlementaires et les acteurs de la vie publique : concurrences et complémentarités ; 2. Les parlementaires et l’espace public provincial ; 3. Les parlementaires entre intérêts privés et enjeux publics.
Auteurs
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