Chapitre I. Apparition et institutionnalisation d’une pratique britannique en région parisienne (années 1890-1910)
p. 29-69
Texte intégral
1Alors que le football apparaît en France avec la création du Havre Athletic Club en 1872, il faut attendre le début des années 1890 pour que des équipes de football se constituent dans le département de la Seine. Néanmoins, le football occupe une place marginale jusqu’au milieu des années 1910. Les finalités hygiénistes ou civiques du sport et le principe de distinction sociale qui animent les premiers sportsmen français1 laissent peu de légitimité à l’implantation du football, dont la pratique est associée à la classe ouvrière britannique et aux dangers sociaux du football professionnel adopté outre-Manche depuis 18852.
2Cette marginalisation initiale correspond pourtant à la période durant laquelle le football parisien occupe une place centrale en France. D’un point de vue technique, les joueurs et les clubs de la capitale représentent une élite sportive pour de nombreux clubs de province ; dans le même temps les dirigeants parisiens exercent de nombreuses responsabilités dans l’administration du football français. Forts de contacts réguliers avec le football britannique, les joueurs parisiens multiplient les tournées et ils sont à l’origine de la création d’équipes au sein des régiments militaires de province. Cette hégémonie atteint son paroxysme avec la création par quelques dirigeants de la Seine de la Ligue de Football Association (LFA) en 1910, première institution chargée d’administrer exclusivement la pratique du football, dont les cadres fondent ensuite la Fédération Française de Football Association (FFFA) en 1919.
3L’étude du développement des institutions du football parisien entre la fin du XIXe siècle et le milieu des années 1910 nous amène à nous demander comment une pratique sportive venue de Grande-Bretagne réussit à s’intégrer dans les institutions sportives existantes. De même, le rôle décisif de clubs localisés à Paris et dans quelques proches banlieues dans le développement des institutions du football français soulève la question des fondements de la suprématie de la capitale dans une pratique sportive émergente qui, au tournant des XIXe et XXe siècles, est administrée par plusieurs fédérations multisports concurrentes et qui est confrontée à la préférence des édiles républicains pour la gymnastique3.
Au commencement du football parisien
La formation des premières équipes de football parisiennes
4Les équipes de football constituées dans les années 1880 et 1890 émanent d’une sociabilité antérieure à la pratique sportive. Durant cette période, les joueurs se connaissent avant de se regrouper dans le club sportif dont l’effectif se résume à une ou deux équipes. En premier lieu, la parenté est un élément déterminant puisque de nombreux clubs sont créés par des membres d’une même famille à l’image des frères Wynn qui fondent le Gordon Football Club4 en 1891, des frères Tunmer du Standard Athletic Club5 ou encore des frères Rimet à l’origine du Red Star Athlétique Club en 18976. Lorsque les joueurs ne sont pas majeurs, le père peut participer à la fondation de l’association7. Ensuite, le réseau communautaire joue un rôle important dans la constitution de ces premières équipes de football. Le Standard Athletic Club de P. H. Tomalin, est apparu « en 1892, grâce à l’appoint de quatorze Britanniques qui souhaitaient que les jeunes résidant à Paris aient la possibilité de poursuivre les sports qu’ils pratiquaient outre-Manche8. » Cette dimension communautaire est même explicitement affichée par le Gordon Football Club, « composé majoritairement de jeunes Anglais9 », dont le nom est une manière pour ses fondateurs « d’honorer la mémoire du Général Gordon, tué quelque temps avant, au Soudan égyptien10 ». Le football représente pour ces sportifs britanniques un moyen de consolider un réseau social préexistant puisque les clubs sont souvent liés à un organe de presse et une entreprise britanniques. En effet, le Standard Athletic Club a pour vice-président à la fin du XIXe siècle C. Moignard, chef de service de l’imprimerie du New York Herald Tribune11, ce qui explique la couverture médiatique des activités mondaines et sportives du club à la fin du XIXe siècle dans ce journal. Les White Rovers, fondés en 1890 par un certain Jack Wood, ont pour secrétaire M. Pullard, qui travaille pour le compte du Galignani Messenger dont le siège social, situé au 224 rue de Rivoli à Paris, abrite également celui de l’association sportive12. Les clivages sportif et médiatique restent toutefois secondaires dans la mesure où les deux clubs semblent intimement liés à l’entreprise britannique Thomas Cook & Sons13.

Photographie 1. – L’équipe de football des White Rovers (1895)14.
5Enfin, l’émergence d’une équipe de football est souvent le prolongement de la sociabilité scolaire. Dans la Seine de la fin du XIXe siècle, les collégiens et lycéens parisiens fondent de nombreuses équipes de football. Des élèves du collège Chaptal et du lycée Janson de Sailly créent le Club Français en 189215 alors que d’autres membres de Chaptal sont l’année suivante à l’origine de la fondation de L’Étoile16. Si l’Association Sportive Française naît d’une entente entre des élèves de Chaptal et du collège Rollin en 189517, le Gallia Club est fondé par « quelques scolaires18 » en 1898 et le Club Athlétique de Vitry est créé en 1897 par d’anciens élèves de Lavoisier19. Il est possible également que certains camarades de classe utilisent le cadre de l’association sportive pour pérenniser une sociabilité menacée par la fin des études, comme le laisse supposer Henri Dulude, président de l’Union Athlétique de Saint-Mandé en 1905, pour qui son club a « l’avantage de resserrer les liens déjà formés sur les bancs de l’école, entre un certain nombre de jeunes gens de la localité20 ».
6Cette filiation entre la camaraderie scolaire et la création d’une association se place dans le prolongement du processus d’institutionnalisation du sport en Angleterre. En effet, si l’un des foyers du développement des sports modernes a été les Public Schools anglaises qui ont tenté par ce biais de canaliser l’agitation des élèves, la diffusion sociale de la pratique tient surtout à la création d’associations sportives ayant pour objectif de prolonger une pratique mais aussi une sociabilité nées au cours de leurs études21. Mais contrairement au cas britannique, où les directeurs d’école mettent à profit le potentiel éducatif du football et des autres sports, les élèves parisiens constituent des équipes de football en dehors du cadre scolaire dans la mesure où de nombreux chefs d’établissements se montrent réticents à la pratique sportive et où l’USFSA tente de contenir, au sein des associations scolaires, le développement du football22. Ainsi, au début des années 1890, seules quelques associations scolaires pratiquent occasionnellement le football comme l’International Athletic Club ou l’Association Athlétique de l’École Monge23.
7L’apparition du football dans ces milieux étudiants parisiens tient aux fréquents séjours d’études outre-Manche. Le développement du football à l’Association Athlétique de l’École Monge fait suite aux deux voyages effectués au College d’Éton pendant les vacances de la Pentecôte de l’année 1890 « pour se rendre compte de l’organisation du sport en Angleterre24 ». Ces voyages collectifs traduisent l’anglomanie de certains pédagogues français, tel Pierre de Coubertin, qui se rend à plusieurs reprises en Angleterre. Cependant, ces pédagogues anglophiles privilégient les sports à fort capital social comme le football rugby25 et sont assez hostiles à la pratique du football association professionnalisée outre-Manche depuis 188526. De ce fait, bien plus que les voyages scolaires collectifs, ce sont les séjours individuels prolongés d’étudiants parisiens en Angleterre et en Écosse qui contribuent à l’apparition du football. Le Club Français est fondé par cinq Français qui revenaient d’Angleterre où ils avaient fait leurs études. Parmi eux, Charles Bernat, né à Paris en 1875, découvre le football au College de Dumfries en Écosse entre 1891 et 1892, suite à un voyage organisé par ses parents pour lui permettre de se perfectionner en anglais27. Certains établissements scolaires parisiens jouent un rôle primordial dans l’adoption du football. Alors que les lycées Saint-Louis ou Condorcet privilégient la pratique du rugby28, le collège Chaptal impulse le développement du football en région parisienne, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, le collège se distingue des lycées d’État puisqu’il est à l’origine une école municipale dont l’enseignement privilégie les disciplines adaptées « aux jeunes gens qui se destinent aux carrières du commerce et de l’industrie29 ». Le collège consacre alors dès le milieu du XIXe siècle dans ses programmes une place importante à l’apprentissage des langues étrangères, notamment l’anglais, avec une attention particulière pour l’oral30, ce qui contraste avec l’anglophobie des premiers manuels scolaires de la fin du XIXe siècle31. À cette priorité pédagogique, il convient d’ajouter la contribution décisive du conseil municipal de Paris qui, en 1888, créé des bourses de séjour à l’étranger pour les meilleurs élèves des cours de langue des écoles supérieures de la Ville, ce qui explique l’existence des voyages linguistiques effectués par les élèves de Chaptal32. Par conséquent, l’octroi de ces bourses d’études à l’étranger a facilité la mobilité de ces élèves devenus footballeurs, après leur passage dans le système éducatif britannique. D’après les registres du collège parisien, les premiers footballeurs du Club Français, scolarisés au collège Chaptal, n’appartiennent ni à l’aristocratie, ni à la bourgeoisie d’affaire. Dans ce cas, la dimension méritocratique des bourses de langues étrangères, disciplines scolaires qui ne nécessitent pas la mobilisation d’un capital culturel aussi important que les Humanités et les langues anciennes, est décisive dans la trajectoire de ces premiers footballeurs. Moins empreints d’une culture sportive distinctive que les enfants de l’aristocratie et de la grande bourgeoisie parisiennes, ils ont sans doute adopté sans retenue une pratique socialement condamnable puisque déjà professionnalisée outre-Manche.
8Par conséquent, si l’existence de liens sociaux antérieurs est une condition sine qua non de la création des premières équipes de football, c’est surtout leur effet cumulé qui explique la survie, même éphémère, de l’association comme l’illustre l’assise tripartite des clubs britanniques. Les associations fondées par les jeunes Français reposent sur cette même logique, notamment lorsque les frères ont un écart d’âge assez rapproché pour être scolarisés dans le même établissement comme les frères Georges et Lucien Huteau, fondateurs de L’Étoile avec leurs camarades de Chaptal33. Lorsque l’écart d’âge est plus important, comme dans le cas de Georges Duhamel, le frère permet à son cadet d’intégrer son réseau d’amis composé d’élèves du lycée Jean-Baptiste Say qui se réunissent pour jouer au football au Bois de Boulogne en avril 189234.
9Cependant, le réseau social, matrice de l’associationnisme sportif, n’est en rien une garantie de la pérennité de l’équipe de football. En effet, la plupart des équipes fondées dans les années 1880 et 1890 disparaissent rapidement. Seules quelques associations couvrent l’intégralité de la période qui s’étend des années 1880 à 1940, comme le Standard Athletic Club et le Club Français. Les informations collectées sur les conditions de leur fondation laissent supposer qu’elles ne sont pas des créations ex nihilo mais qu’elles résultent de fusions ou que leurs fondateurs sont des membres d’associations disparues. Le Club Français, dont les statuts sont déposés en septembre 1892, est le fruit d’un regroupement d’associations préexistantes puisqu’au noyau dur constitué des élèves de Chaptal et Janson viennent se greffer les joueurs de l’Étoile quelques jours après le dépôt des statuts en préfecture35. Le Standard Athletic Club est le résultat d’une reconfiguration de la « nébuleuse associationiste » anglaise à Paris. Parmi les membres fondateurs, on retrouve les frères Wynn du Gordon FC36 mais aussi d’anciens joueurs du Paris Football Club37. L’élargissement des réseaux préexistants est donc un élément décisif dans la pérennisation de ces premières formes associatives. D’ailleurs, entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, les clubs ne cessent, pour assurer leur existence, de nouer des alliances et réaliser des fusions à l’image du Red Star Athlétique Club, fondé en 1897, qui fusionne en 1906 avec l’Amicale Football Club qui venait pour sa part d’absorber le Sporting Club de la Plaine Monceau38. Ces fusions de proximité s’expliquent par les difficultés matérielles que rencontrent les associations au début de la pratique, comme l’absence de subvention, de terrain voire le manque d’effectifs. Elles traduisent par ailleurs la primauté de considérations pratiques, à savoir la possibilité de jouer dans de meilleures conditions, sur tout sentiment d’appartenance associative.

Tableau 1. – Les premiers joueurs du Club Français scolarises a Chaptal1.
La difficile intégration du football dans les fédérations sportives
10En décembre 1893, confrontés à la réticence de l’USFSA pour l’organisation d’un championnat de football, les dirigeants des plus anciennes équipes de football de Paris que sont Standard Athletic Club, les White Rovers et le Club Français envisagent de créer une ligue de football indépendante de la fédération à laquelle ils viennent de s’affilier et qui règne sans partage sur l’administration des sports athlétiques dans le département de la Seine39. Si le projet est abandonné par la mise en place in extremis d’un championnat, l’entrée du football dans l’univers compétitif de l’USFSA s’est réalisée au prix d’un passage en force. Elle traduit aussi les difficultés que connaît le football à trouver une place légitime dans le paysage institutionnel du sport français. En effet, l’USFSA, principale institution des sports athlétiques, cultive à l’égard du football une défiance considérable. Fondée en 1889 grâce à l’action décisive de Georges de Saint-Clair, secrétaire général du Racing Club de France, cette fédération omnisport est composée de dirigeants appartenant à la grande bourgeoisie et à l’aristocratie parisiennes qui souhaitent faire du sport un moyen de régénérer la jeunesse française et d’inculquer des valeurs sociales permettant de former une élite capable de rivaliser avec l’Angleterre40. L’amateurisme, garant de la distinction sociale et de la transmission de valeurs morales désintéressées, est la pierre angulaire de la politique fédérale comme le stipulent les statuts fédéraux et ceux des sociétés qui y sont affiliées. Or, le football est depuis 1885 une pratique professionnelle en Angleterre. De ce fait, la revue fédérale Les Sports Athlétiques publie au début des années 1890 des articles voués à décrédibiliser le football en évoquant la fréquence des accidents d’une pratique dominée par la classe ouvrière ou par la retranscription de conférenciers qui colportent une vision caricaturale de la situation britannique41. Cet attachement à l’amateurisme est relayé par les associations parisiennes qui ont participé à la fondation de l’USFSA comme le Racing Club de France et le Stade Français. Ces deux grands clubs omnisport composés principalement, au tournant du siècle, des enfants de la bourgeoisie et de l’aristocratie parisiennes, sont réticents à l’intégration du football dans leurs activités42.

Graphique 1. – Les institutions sportives et le football parisien (1894-1919).
11Contrairement à l’USFSA, le football est un élément central dans la stratégie de reconquête de la jeunesse française au sein de la Fédération catholique dite Fédération Gymnique et Sportive des Patronages de France (FGSPF), fondée en 189843. Dès la fin du XIXe siècle, quelques patronages parisiens, sous l’autorité de leurs directeurs, pratiquent le football. Ces prêtres de la « génération Léon XIII » font du patronage un « vivier » propice à la formation d’une élite chrétienne chargée de réinsérer le catholicisme dans le monde moderne, et pour lesquels le sport représente un moyen d’action privilégié44. L’abbé Biron fonde en 1891 l’Étoile des Deux Lacs, patronage de la paroisse de Saint-Honoré d’Eylau dans le XVIe arrondissement, pour maintenir les jeunes gens ayant effectué leur première communion « dans la pratique de leurs devoirs religieux45 ». Le football, pratiqué à partir de 1899 à la porte de la Muette, devient l’une des principales activités de plein air du patronage dans la mesure où il représente « un attrait puissant pour accroître et faire aimer son patronage46. De même, le Patronage Olier, fondé par l’abbé Pitray dans le VIe arrondissement, découvre le football en 190047, tout comme le patronage du Bon Conseil, sous la direction de l’Abbé Esquerré, commence sur le terrain d’Issy-les-Moulineaux à pratiquer un football rudimentaire48.
12La création de compétitions de football est orchestrée par les dirigeants fédéraux, notamment le Dr Michaux qui dispose à Paris de partisans du développement du football avec l’abbé Pélissier et deux jeunes gens dynamiques comme Charles Simon et Henri Delaunay, membres de l’Étoile des Deux Lacs. Un championnat est mis en place à partir de 1901 et un nombre croissant de patronages intègrent le football. La pratique y est étroitement encadrée. Les versants sportif et administratif sont dirigés par un conseil chargé de veiller au bon fonctionnement de l’activité. Surtout, la marche des équipes est réglementée afin que la messe puisse être conciliée avec les contraintes de la pratique sportive49.
13Enfin, la volonté de récupérer les sportifs déçus de la politique de l’USFSA explique le développement du football à la Fédération Cycliste des Amateurs Français (FCAF) et à la Fédération des Sociétés Athlétiques de France (FSAF). D’une part, la FCAF décide en 1902 d’élargir le spectre de ses activités pour occuper la morte-saison du cyclisme50 et pour tenter de récupérer les joueurs de l’USFSA lésés par le traité que l’Union a passé avec l’Union Vélocipédique de France (UVF)51. Un championnat de football est ainsi mis sur pied en 190452. D’autre part, l’apparition du football à la FSAF tient à la politique d’exclusion systématique entreprise par l’USFSA pour des joueurs ayant enfreint la règle de l’amateurisme. Les membres de cette fédération sont principalement des joueurs qui, ayant joué contre des remboursements de frais ou aux côtés de professionnels, sont exclus de l’Union ou bien de jeunes gens qui souhaitent percevoir de modiques indemnités pour couvrir leurs frais, pratiques que la FSAF autorise. Mais les indications sur la rémunération des membres de la FSAF laissent penser que les prix en espèces représentent davantage un remboursement partiel des frais qu’un véritable salaire53.
14Ainsi, au milieu des années 1900, le football est progressivement intégré à la plupart des fédérations sportives. Mais sa pratique est très inégalement répartie au sein du département de la Seine54. Le football est encore essentiellement implanté dans Paris centre. De même, les arrondissements parisiens et les communes de banlieue situés à l’Ouest dominent le reste du département. En premier lieu, ce déséquilibre spatial du football est déterminé par l’implantation des club affiliés à l’USFSA et la FGSPF, qui représentent les fédérations les plus importantes du football de la Seine. La fédération catholique s’appuie sur son réseau de patronages parisiens, plus dense à Paris qu’en banlieue et qui connaît un fort succès dans les Ve, VIe, VIIe et XVIe arrondissements. À l’USFSA, le rôle joué par les Britanniques, principalement implantés dans les arrondissements et les communes de l’Ouest, et celui des collèges et lycées parisiens implantés dans les arrondissements de l’Ouest pèsent sans doute dans cette configuration55. Ensuite, l’existence d’espaces dédiés à la pratique du football encourage la création d’associations et leur engagement dans les compétitions fédérales. Les Bois de Vincennes et de Boulogne polarisent chacun de nombreuses associations. La commune de Boulogne, pourtant relativement peu peuplée, en est une illustration frappante tout comme le chapelet de clubs des communes de l’Est parisien autour du Bois de Vincennes. En outre, l’éloignement de ces espaces de pratique privilégiés explique qu’un arrondissement fortement peuplé comme le XVIIIe arrondissement n’a que peu d’équipes. Enfin, la proximité spatiale joue un rôle important. Le développement du football s’est effectué, dans chaque fédération, par capillarité, en se fondant sur une émulation liée à la proximité spatiale. Cette logique explique ainsi la forte concentration d’équipes dans Paris et les communes limitrophes et leur diminution puis leur disparition à la mesure que l’on s’approche des confins départementaux.

Carte 1. – L’implantation institutionnelle du football dans le département de la Seine en 1906.
Les premiers dirigeants du football parisien
15Des années 1890 à la fin des années 1900, peu de dirigeants se consacrent exclusivement au football tant au sein des clubs que des fédérations qui sont multisports. Dès lors, les tâches administratives incombent aux joueurs. Au sein des associations sportives, les membres des commissions de football association sont en grande majorité les joueurs du club56. Eu égard au caractère omnisport des fédérations et de la plupart des clubs qui leur sont affiliés, ces joueurs-dirigeants de football sont fortement minoritaires dans les comités de leurs clubs. Le football y est alors souvent représenté par un joueur emblématique, comme Armand Pillaudin, membre incontournable du Club Athlétique de Vitry-sur-Seine57. Né le 10 janvier 1879 dans le XIIIe arrondissement, il est un des fondateurs du CA Vitry en 1897, club au sein duquel il crée une section football. En dépit de la longueur de son service militaire effectué de 1900 à 1903 et de sa mobilisation d’août 1914 à février 1919, il demeure très actif dans le football parisien. Comptable au tournant du siècle chez un négociant en vin de Vitry, il devient secrétaire en 1900 puis président du club de Vitry de 1903 à 193758. Cette trajectoire explique alors la place qu’occupe le football dans son club. Sa position au club de Vitry s’est sans doute affermie grâce aux responsabilités fédérales qu’il occupe à partir de 1908 puisqu’il est secrétaire puis trésorier au Comité Français Interfédéral (CFI) puis à la Fédération Française de Football Association (FFFA) entre 1919 et 1953. Dans le sport catholique, on retrouve également une forte implication des joueurs dans l’administration du football. Au Patronage Olier59, à l’Étoile des Deux Lacs60 ou au Bon Conseil, certains joueurs sont chargés d’assurer l’organisation matérielle et les inscriptions des équipiers de football61. Au niveau fédéral, la commission de football est composée de joueurs des patronages parisiens les plus actifs. L’exercice de responsabilités dirigeantes de ces joueurs tient à de nombreuses raisons qu’il n’est pas toujours aisé d’identifier. Il semble que le bénéficie d’un voyage en Grande-Bretagne, berceau du sport moderne, celui de l’âge ou encore la longévité dans l’association jouent en faveur de l’obtention d’un magistère sur les autres pratiquants. Mais ces joueurs-dirigeants demeurent soumis à une tutelle importante. Dans les patronages, les abbés gardent une forte emprise sur la pratique du football62. Il en va de même dans les associations sportives où le comité directeur du club reste très présent. Au Stade Français, les joueurs-dirigeants, souvent nommés capitaines, sont responsables de la formation de leurs équipes. Ils sont révocables sur proposition de la commission de football et il leur est rappelé que leur pouvoir est « soumis au contrôle de la commission, et par suite, du comité63 ».
16Durant cette période, les Britanniques résidant à Paris ont un rôle essentiel dans l’administration du football. Ils sont à l’origine de la création du championnat de football à l’USFSA en 189464. Dans certains clubs, ils occupent une place centrale dans la commission de football, à l’image de celle du Racing Club de France créée en 1896. À cette date, sur les six membres, quatre sont britanniques, ainsi que le capitaine de l’équipe65. L’empreinte britannique sur le football au Racing perdure puisque A.-A. Tunmer, joueur anglais, est un des éléments essentiels de l’équipe-fanion dont il est le capitaine mais aussi un dirigeant incontournable de la commission au début des années 1900, prenant ainsi le relais de son frère Neuville. Mais c’est surtout à la commission de football de l’USFSA que l’influence britannique est la plus nette. Sur l’ensemble des années 1890 et 1900, les Britanniques représentent 35 % des membres élus de la commission de l’USFSA, sachant qu’à l’exception d’un Belge, aucun autre étranger n’y siège66. Sur les 29 Britanniques de la commission, 13 sont membres du Standard AC, ce qui prouve le poids institutionnel de ce club fondé sur l’appartenance communautaire67. L’influence britannique semble encore plus forte lorsque l’on porte attention à la longévité de certains membres. Ainsi, Jack Wood, Neuville Tunmer et W. Dunbar Attrill siègent en continu durant les quatre premières années de la commission.

Graphique 2. – Importance des Britanniques parmi les dirigeants de la commission de football de l’USFSA de 1894 à 1910.

Graphique 3. – L’évolution des membres de la commission de football de l’USFSA par nationalité (1894-1910).
17Le football, intégré à des clubs et des fédérations omnisports, demeure donc jusqu’au milieu des années 1900 une pratique sous tutelle. Cette situation est renforcée par l’absence d’autonomie sociale des équipes de football. En effet, on crée ou on entre dans une équipe moins pour jouer au football que pour reproduire un entre-soi préexistant fondé sur la camaraderie scolaire, communautaire ou confessionnelle. De même, l’absence jusqu’au milieu des années 1900 d’un corps d’administrateurs et de dirigeants dégagés de la pratique renforce cette position marginale. Quelques membres de la famille ou parents peuvent accompagner l’équipe mais ils n’ont pas la compétence pour promouvoir la pratique du football à l’intérieur des clubs et des fédérations. Enfin, la plupart des joueurs de football occupent une position sociale assez fragile. Les joueurs français sont essentiellement des étudiants ou apprentis qui ne possèdent donc pas l’assise sociale qui leur permettrait d’imposer leur pratique. Le magistère institutionnel des ressortissants britanniques de la Seine est également un élément d’explication fondamental de la marginalité du football en région parisienne. Si leur influence est évidente, ils n’appartiennent pas à l’élite sociale de leur communauté. Aucun de ces joueurs ou dirigeants britanniques n’est référencé dans le Who’s Who in Paris ?, qui est l’inventaire des personnalités britanniques et américaines dans le Paris des années 190068. De même, alors qu’une grande partie de ces individus est liée au monde du commerce, de l’industrie et de la finance, aucun d’entre eux n’est élu à la Chambre de Commerce britannique à Paris entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale, période qui est pourtant le faîte de leur influence sur le football parisien69. Cela semble confirmer que ces Britanniques sont certainement employés dans des agences commerciales ou des banques, mais rarement en position de cadre. Il est alors possible d’affirmer que le football, institutionnellement marginal et socialement peu reconnu, représente pour ces Britanniques un espace à partir duquel il était certainement aisé d’exercer un magistère que la place occupée au sein de leur communauté leur interdisait. Ce magistère est toutefois limité aux commissions techniques qui régissent chaque discipline sportive. En effet, les règlements des fédérations, à l’image de ceux de l’USFSA, stipulent que seuls les individus de nationalité française peuvent siéger au conseil de l’Union, même si les membres des commissions sportives peuvent être étrangers, ce qui limite aux commissions par sports leur rayon d’action70.
18Par conséquent, l’influence britannique a un effet contradictoire dans le développement du football de la Seine. D’un côté, il contribue à dynamiser l’organisation de compétitions sportives et l’adoption de techniques de jeu visant à améliorer le niveau des équipes. Mais, d’un autre côté, il représente une entrave de taille à la légitimation de la pratique dans les instances centrales des institutions sportives puisque celles-ci sont fermées à ceux qui détiennent, dans les associations et les commissions de football, le magistère le plus important.
La Seine et son football : circulation d’une pratique sportive britannique
19Sport d’origine britannique, le football est progressivement intégré dans les différentes fédérations sportives entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Durant cette période, Paris et quelques communes de Seine banlieue représentent une interface privilégiée par la présence et l’énergie déployée par les Britanniques du département ainsi que par les contacts dont bénéficient les dirigeants parisiens avec les équipes venues d’Angleterre. Cette rente de situation sportive permet aux équipes de football et aux joueurs parisiens de participer activement à la diffusion du football dans le reste de l’Hexagone, que ce soit dans le cadre de rencontres sportives associatives ou dans celui du service militaire effectué dans les garnisons de province. L’importance du football britannique dans la Seine fournit également un point d’observation privilégié de la réception différenciée des techniques de jeu et des valeurs sportives qui leur sont associées et il permet de dévoiler les enjeux sociaux des processus d’appropriation à l’œuvre dans les différentes fédérations ou associations concernées.
Le Paris des Anglais ou la consécration d’un modèle sportif
20L’intensité des liens sportifs tissés avec la Grande-Bretagne explique en partie le succès du football en région parisienne. Tout d’abord, le match contre les Anglais est un leitmotiv du monde sportif que l’on retrouve dès l’apparition du football dans le département. Il s’inscrit dans le cadre d’une « pédagogie par le jeu » puisque le seul moyen dont dispose une équipe de football pour se perfectionner au tournant du siècle est de regarder jouer les équipes et les équipiers de talent ou d’appliquer les principes de jeu présentés dans des ouvrages consacrés au football. À l’occasion de la venue des équipes britanniques, les dirigeants des différentes fédérations mobilisent leurs membres pour assister à ce qu’ils considèrent comme une « leçon de football71 ». Lorsque les Corinthiens, équipe d’amateurs anglais, reviennent en 1904 en France, un an après leur premier passage, Ernest Weber rappelle aux lecteurs de L’Auto les bénéfices de ces rencontres dans la mesure où « le premier éducateur marque son élève d’une empreinte ineffaçable72 ». La venue de deux équipes professionnelles au Parc des Princes en 1912 permet aux joueurs du Chantier, patronage catholique du XIIe arrondissement, d’admirer le jeu pratiqué par les deux équipes et de remporter de précieux renseignements qu’ils déclarent vouloir mettre à profit pour leurs rencontres à venir73. La supériorité des Anglais ainsi que la dimension pédagogique de leurs tournées sont unanimement reconnues par les clubs affiliés à l’USFSA, à la fédération catholique, et à la FCAF qui organisent toutes des rencontres avec les équipes britanniques.
21La fréquence des tournées en région parisienne s’explique par la situation de capitale culturelle qu’occupe Paris dans l’espace français aux yeux des Britanniques. Outre la possibilité de voyager gratuitement puisque les frais étaient bien souvent payés par la fédération ou le club hôte, Paris représente pour les joueurs et dirigeants britanniques un pôle attractif. Venir jouer à Paris pour une équipe anglaise est l’occasion de rencontrer les dirigeants parisiens mais c’est surtout une opportunité de visiter la capitale française. Ainsi, les venues du Marylebone Football Club et du Belsize Football Club en mars 1894 sont associées à la découverte des lieux réputés de la capitale. On trouve au programme des Britanniques des promenades sur les Champs-Élysées, à l’Hippodrome de Longchamp et d’Auteuil, une visite des installations de la Croix-Catelan, et enfin un passage par le Trocadéro et la Tour Eiffel74. Ce sont aussi les plaisirs nocturnes de la capitale qui nourrissent l’intérêt de l’équipe de Folkestone en 1895 qui profite de l’animation des nuits parisiennes :
« Il m’est revenu que le soir, après dîner, vainqueurs et vaincus sont allés faire un tour dans la capitale. Comme les musées étaient fermés à l’heure à laquelle le dîner s’est terminé, nos jeunes athlètes, désolés de ne pouvoir contempler la Vénus de Milo, ont voulu tout au moins jouir du panorama de Paris, vu le soir, de haut. À cet effet, ils sont montés à Montmartre, et de la plus haute lucarne du plus rouge des moulins parisiens, ils ont pu satisfaire à leurs désirs : voir les dessus de Paris et les dessous aussi75. »
22L’admiration pour les footballeurs anglais se focalise essentiellement sur la technique de la passe et sur la discipline collective qu’elle exige. Ce style de jeu des Corinthiens est rapidement érigé en modèle par de nombreux observateurs. Pratiquant « un jeu de passes très courtes, accompagnées d’un soupçon de dribbling, faites très légèrement en avant en courant76 », ils ont « stupéfié par leur adresse, leur sang-froid77 » joueurs et dirigeants des différentes fédérations parisiennes. Cette interprétation du jeu britannique est intéressante à plusieurs titres. Elle est d’abord produite par les dirigeants et journalistes désireux d’améliorer le niveau de jeu des équipes parisiennes voire françaises. Il semble en effet que la tactique et technique des joueurs français soient encore rudimentaires dans les années 1900. Le jeu français est souvent décrit de manière péjorative, « décousu et personnel78 » ou fait de longs coups de pied et de grandes passes en l’air79, à cause notamment de l’absence de séances d’entraînement tournées vers l’amélioration du niveau technique des équipiers, comme le suggère le témoignage de Marcel Jantzen, ancien joueur du Club Français, alors en Angleterre :
« J’ai joué cinq ans en France et je crois savoir comment on s’entraîne. Par exemple : “Rendez-vous 2h. ½ sur le terrain”. Quelques équipiers arrivent, le gardien de but se place, quelques joueurs shootent dans le but, d’autres hommes arrivent, et au bout d’une heure, il y a 20 ou 30 joueurs devant un but défendu par deux ou trois gardiens de but à la fois. Ajoutez cela tous les gamins des environs courant au milieu des joueurs et vous aurez l’entraînement français qui se borne à shooter dans le but80. »
23Ensuite, cette importance donnée à la « passe » traduit de manière plus subtile le processus d’appropriation du football en France. En effet, l’énonciation des propriétés et des vertus du style de jeu britannique donne à voir la manière dont les acteurs du football parisien instrumentalisent le modèle britannique dont ils sélectionnent sciemment une des composantes. Alors que le dribble et surtout le jeu de tête sont des attributs devenus courants avec la professionnalisation et « la popularisation » de la pratique outre-Manche, la volonté de mettre en exergue la passe, et donc le jeu collectif, dépasse les préoccupations purement techniques. On peut en effet considérer que la technique des Britanniques vaut surtout, pour les différents acteurs institutionnels, dans la mesure où elle donne à voir des comportements collectifs en phase avec les valeurs sociales qu’ils promeuvent. Ainsi, dans les patronages, les comptes rendus des rencontres insistent avant tout sur la cohésion et la solidarité que le jeu des Anglais suppose. Si la passe est pratiquée pour Paul Delacommune, dirigeant du patronage du Bon Conseil, c’est au service d’un collectif qui dépasse les individualités81. De même, Félix Julien, ancien capitaine de l’équipe-fanion du patronage, fait du jeu de passe britannique le fondement de l’esprit d’équipe si présent, selon lui, outre-Manche :
« Ils ont sur nous autres Français, cet avantage énorme de ne pratiquer le sport que pour le sport, faisant toujours passer les intérêts de leur équipe avant leurs propres intérêts. Ils font abstraction complète de leur personnalité et savent s’oublier complètement au profit de leur équipe. C’est ce qui explique ce remarquable jeu de passes qui fait la force des équipes anglaises et qui a tant de mal à s’implanter chez nous82. »
24La référence au jeu et surtout à l’esprit du jeu britannique inspire régulièrement les articles des dirigeants catholiques qui tentent de remédier à l’individualisme de leurs joueurs et de leurs équipes. Par ailleurs, les sections de football appartenant aux clubs de l’USFSA les plus élitistes comme le Stade Français ou le Racing Club de France retiennent, au-delà des prouesses techniques, les valeurs sociales de désintéressement et de courtoisie qu’ils estiment intrinsèques à la pratique sportive amateur. La description de l’impact des tournées britanniques par Maurice Parat, capitaine de l’équipe de football du Stade Français, réitère au début des années 1910 cette équation entre jeu collectif et valeurs sociales :
« Pour dessiller nos yeux, il fallut les démonstrations des équipes anglaises que la visite de notre pays tenta. La différence de jeu apparut frappante ! D’un côté, la discipline, l’ordre, la cohésion, de l’autre un jeu heurté, décousu, le mépris de l’obéissance, les prouesses individuelles ; d’un côté des joueurs calmes, réfléchis, très entraînés, très endurants, de l’autre des hommes brouillons, courts d’haleine, prompts au découragement83. »
25Les dirigeants du Racing Club de France, puis ceux du Stade Français, décident de créer une équipe de Corinthiens dans les années 1910 sur le modèle anglais84. Pour mener à bien le perfectionnement technique et moral des joueurs, ces équipes jouent des matchs d’exhibition sans participer à aucun match compétitif85. Ce n’est pas un hasard si ces deux clubs parisiens sont les plus sensibles sur la durée au modèle proposé par les Corinthiens. En effet, le Stade et le Racing ont été fondés par des lycéens rapidement rejoints par des étudiants parisiens. L’appropriation du « modèle Corinthien » est d’autant plus aisé que l’équipe britannique est essentiellement composée d’anciens élèves des Publics Schools et d’étudiants à l’Université, comme une bonne partie des jeunes stadistes et racingmen86. Le succès des Corinthiens tient aussi au potentiel distinctif que l’imitation de leur pratique permettait. En effet, confrontés à une diffusion sociale progressive du football, à une brutalité fréquente des matchs et à la croissance des enjeux purement sportifs87, ces clubs élitistes ont tenté de trouver dans la promotion d’un jeu désintéressé, où les critères esthétiques ont une place déterminante, une alternative à ce qui remettait en cause le comportement sportif de l’amateurisme que leurs clubs avaient contribué à édifier.
26Ainsi, « la leçon de football britannique » est bien une pédagogie par le jeu pour ce qui est des aspects purement techniques et tactiques. Le processus de transfert culturel ici à l’œuvre doit se lire à l’aune des préoccupations sportives nationales, dans la mesure où le football britannique permet l’amélioration du niveau de jeu français. Mais il doit aussi être appréhendé à travers le prisme de la différenciation sociale des clubs et fédérations parisiens qui filtrent et s’approprient des pratiques, quitte à en déformer certains aspects. On peut se demander quel était l’impact réel, au-delà des discours des dirigeants, de ces démonstrations et de leurs effets sur le jeu et sur le comportement des joueurs. D’un point de vue essentiellement technique et tactique, « l’âge d’or » de l’influence britannique se situe peut-être davantage dans l’entre-deux-guerres avec l’arrivée d’entraîneurs et de manageurs britanniques qui apportent leur savoir-faire aux équipes françaises88. Avant cette période, c’est essentiellement sur l’esprit du jeu et les valeurs sociales qu’il promeut que l’impact semble avoir été momentanément le plus important. L’interprétation de ces performances sportives passe par un filtre institutionnel plus ou moins fort qui transmue la technique des athlètes anglais en valeurs sociales.
27L’hégémonie du football britannique n’est toutefois pas exclusivement alimentée par les tournées parisiennes. La présence d’une forte communauté britannique dans la capitale de l’Hexagone est aussi déterminante dans le développement de la pratique à la fin du XIXe siècle jusque dans les années 1910. En effet, nous avons vu que les Anglais de Paris sont des acteurs incontournables de la pratique du football aux côtés des jeunes lycéens parisiens. Leur influence est portée par leur expérience sportive qui, bien souvent, précède celle des jeunes Français. Non seulement l’âge de ces Britanniques doit être plus élevé dans la mesure où une majorité d’entre eux exercent une profession mais l’antériorité de leur initiation au football leur confère aussi un ascendant sur les autres pratiquants89. Cette supériorité supposée se traduit par une hégémonie sportive et un magistère institutionnel dans les années 1890. Les premières années du championnat de France sont rythmées par une confrontation exclusivement britannique dans la mesure où les deux premières finales mettent aux prises le Standard Athletic Club et les White Rovers. Les Britanniques séjournant en France restent durant de nombreuses années une référence incontournable90. Enfin, la mobilité précoce de transfuges communautaires a pesé dans l’évolution du football parisien. Il semble qu’une partie des joueurs évoluant dans des clubs de Britanniques rejoigne au cours de leur carrière des équipes parisiennes comme Alfred-Adrien Tunmer et Réginald Whiteway91, membres du Standard Athletic Club qui entrent respectivement au Racing Club de France et au Gallia Club ou encore les frères Jordan qui rejoignent en 1910 le Stade Français92. Ces transfuges ont un rôle important sur la pratique au sein de ces associations puisque Tunmer et Jordan sont capitaines des équipes-fanion et, à ce titre, siègent à la commission de football de leur club.
28D’autre part, l’institutionnalisation du football de la Seine doit aussi beaucoup à l’évergétisme britannique. En effet, les premières compétitions de football sont parrainées par des mécènes parmi lesquels se trouvent de nombreux Britanniques. Le premier championnat de football de l’USFSA est doté à partir de l’année 1895 d’une coupe en argent d’une valeur de 1280 francs, sur laquelle est gravé le titre suivant : « U.S.F.S.A. New York Herald-Challenge Cup offerte par M. James Gordon-Bennett pour le championnat de Football-Association93. » Dans le prolongement de la dotation du propriétaire américain, résidant en France, du New York Herald Tribune, d’autres challenges sont créés par des hommes d’affaires britanniques, comme la coupe Dewar apparue en 1898 et offerte par M. Sheriff Dewar, industriel irlandais94, au Standard Athletic Club qui délègue à l’Union le soin d’organiser les rencontres95. La dotation de trophées permet de lancer les premières compétitions et de densifier un calendrier encore restreint du fait du peu d’équipes constituées à la fin du XIXe siècle. Cette pratique s’intensifie à mesure que les championnats se diversifient et sont progressivement l’œuvre des commerçants britanniques. Les frères Tunmer, joueurs du Racing et marchands d’articles de sports à Paris, dotent le championnat de quatrième série de l’USFSA et celui de deuxième série de la fédération catholique d’un trophée chacun96.

Photographie 2. – Alfred-Adrien Tunmer, gardien de but et dirigeant du RC de France97.
29Cet « évergétisme sportif » est prolongé par certains dirigeants britanniques qui orchestrent la venue d’équipes anglaises sur le continent. Ainsi, les tournées d’équipes anglaises à Paris pour Pâques 1903 et 1904 sont organisées par Jack Wood et placées sous le patronage de L’Auto dont le directeur possède le Parc des Princes. Le but de la rencontre de 1903 est alors d’encourager la pratique du football dans l’armée puisque la recette, qui s’élève à 1 246 francs, est consacrée à l’envoi de ballons aux régiments98 et celle de 1904, de l’ordre de 2 000 francs, sert une œuvre de charité britannique99. Si ces manifestations confirment le rôle de la communauté britannique dans le développement du football en région parisienne, elles s’inscrivent également dans une stratégie commerciale. Les représentants de commerces ou d’enseignes anglaises implantés à Paris sont parmi les organisateurs de ces rencontres comme M. Henson, de l’agence Cook & Cie, Alfred-Adrien Tunmer de la Maison Tunmer et M. Lancett de la Maison Williams. Leur présence s’explique par leur participation au financement de ces tournées100. Cette association aux rencontres internationales va de pair avec une visibilité croissante des équipementiers sportifs britanniques à l’image des Tunmer au début du XXe siècle. Ils contribuent au lancement des premiers ouvrages sur le sport en français et ils financent des bulletins de clubs101. La stratégie publicitaire des Tunmer s’appuie également sur une forte présence médiatique au milieu des années 1900. Alfred-Adrien Tunmer rédige plusieurs articles dans la presse sportive qui, sous couvert d’expliquer la fabrication de ses produits, vantent les mérites de ses chaussures de football102 et surtout de ses ballons103 :
« Chaque fois qu’il a paru sur le terrain, c’est un plaisir pour nous d’entendre les joueurs exprimer leur admiration et sa réputation a été si rapide qu’il n’est presque pas un match de Championnat ou un match international qui ne se joue sans un ballon “Tunmer Special”104. »
30La pénétration du football dans la société française revêt donc une dimension commerciale, orchestrée par certains ressortissants britanniques, souvent sportifs pratiquants. L’envoi de ballons aux régiments, la publicité dans la presse institutionnelle et sportive ainsi que les dotations de compétitions, associent subtilement la culture évergétique aux intérêts économiques. Les rencontres internationales offrent un espace promotionnel de premier plan et elles sont aussi l’occasion de s’associer à de « nobles causes », comme l’envoi des ballons aux régiments ou la participation à des œuvres sociales. Les publicités dans les presses spécialisées, notamment dans les revues associatives faiblement diffusées, représentent un soutien financier de premier plan pour leur parution et elles permettent en même temps de toucher directement un grand nombre de pratiquants et de dirigeants. La dotation de challenges apporte bien un supplément de notoriété mais elle permet surtout de stimuler la pratique des joueurs de football, dont la croissance numérique élargit le marché de consommateurs.
31Par conséquent, la contribution britannique à la diffusion du football à Paris s’inscrit non seulement dans la perspective du rayonnement culturel puisque les Anglais sont les maîtres incontestables de la pratique, mais aussi dans une stratégie commerciale sur laquelle misent certains de leurs ressortissants. La trajectoire d’Alfred-Adrien Tunmer est à ce titre édifiante. Né à la fin des années 1870105, il est avec son frère l’un des fondateurs du Standard Athletic Club puis devient un dirigeant notoire du Racing Club de France, à partir vraisemblablement de l’année 1896. Capitaine de l’équipe du Racing, il est aussi un dirigeant incontournable du club et de la commission de football de l’USFSA. Il tient par ailleurs avec son frère Neville un commerce à Paris entre la toute fin du XIXe et le début du XXe siècle qui connaît un certain succès puisque d’un emplacement initialement situé rue de l’Amiral Courbet puis rue de la Pompe dans le XVIe arrondissement106, ils ouvrent par la suite un deuxième magasin place Saint-Augustin dans le VIIIe arrondissement107. Sa profession de commerçant en fait un mécène tout désigné pour patronner les épreuves de l’institution dont il est dirigeant, renforçant certainement par la même sa position dans le champ sportif. In fine, son magistère institutionnel semble avoir contribué à alimenter considérablement son capital économique dans la mesure où, à la veille de la Première Guerre mondiale, les produits Tunmer font référence dans le milieu des joueurs de football108.
32Néanmoins, la présence des intérêts commerciaux ne doit pas occulter le rôle central du sport dans l’intégration de la communauté britannique résidant en région parisienne et dans les bonnes relations diplomatiques entretenues avec l’Angleterre. Alors que le tournant du siècle, marqué par la défaite de Fachoda et la guerre anglo-boer, représente un moment crucial de la rhétorique anglophobe en France109, le football parisien semble hermétique à l’expression de tels sentiments. Les rencontres au sommet entre le Club Français et le Standard Athletic Club, en dehors de celle de 1899110, sont davantage teintées de rivalité sportive que d’animosité nationale. Ainsi, de même que la presse britannique implantée en France a contribué à combattre les préjugés véhiculés sur la « perfide Albion111 », l’impulsion décisive donnée par les dirigeants d’origine britannique au sport français sert d’interface culturelle entre les deux pays. Cette dimension est au cœur du rapport établi par le Ministère des Affaires Étrangères en 1932 pour la remise de la Légion d’Honneur à Philip Tomalin, fondateur en 1892 du Standard Athletic Club dont il est le président :
« M. Tomalin depuis son arrivée en France en 1891 a été le promoteur des activités sportives franco-anglaises destinées dans son esprit à rapprocher les jeunes gens de ces deux nationalités et s’est dépensé sans compter pour arriver au résultat qui fait qu’actuellement les compétitions sportives entre les différents clubs français et anglais ont pris une importance considérable [...]. Il est peut-être assez difficile aujourd’hui d’apprécier à sa juste valeur l’œuvre qu’a accomplie M. Tomalin pendant son séjour en France de 41 années, mais il est hors de doute que par ses efforts continus, il a pu contribuer dans une large mesure à la réalisation effective de l’Entente Cordiale qui a donné ses preuves et qui se continue si heureusement aujourd’hui entre les deux pays112. »
33De même, la place du sport et de la sociabilité entre les clubs français et britanniques dans le New Herald Tribune ou le Gagliani Messenger s’inscrit dans le cadre de cette « Entente Cordiale culturelle » à l’œuvre dans la littérature anglo-saxonne et cultive ce rôle de « go between » entre les Français et Anglais installés en France ou de passage pour affaires113. En l’absence d’une politique de promotion culturelle du gouvernement britannique avant la Première Guerre mondiale, c’est au réseau social des communautés d’expatriés qu’il revient de promouvoir la culture britannique114. Si le football représente une interface privilégiée dans le cadre des relations sociales intracommunautaires, en mettant en contact le monde des entreprises, de la presse, et la trame associative britanniques, il a aussi considérablement contribué au rayonnement de la culture britannique en France.
34Ainsi, la force de pénétration du modèle sportif ne relève donc pas seulement de l’anglomanie des sportsmen français ou de la simple présence des Britanniques en région parisienne qui ne représentent pas la communauté la plus importante au début du XXe siècle115. L’analyse de la place occupée par les Britanniques à l’échelle du département de la Seine nous amène à reconsidérer leur participation au développement des sports dits modernes. Si les Britanniques pratiquent le football pour maintenir des liens communautaires en situation d’émigration, on peut estimer qu’en intégrant des clubs principalement composés de Français, en contribuant à la création de compétitions et en siégeant dans les institutions de la fédération sportive la plus importante au tournant du siècle, ils ont délibérément associé la diffusion sociale des sports à des intérêts économiques et culturels.
La circulation du football dans le département de la Seine
35Si les Britanniques représentent la principale référence sportive au tournant du siècle, le développement du football dans le département de la Seine s’opère selon des modalités plus complexes que la seule influence étrangère. Le caractère éphémère des tournées des équipes d’outre-Manche et le nombre restreint de joueurs et de clubs britanniques résidant en région parisienne limitent le magistère sportif britannique sur la longue durée.
36Tout d’abord, le développement du football dans le département de la Seine s’effectue au sein de chaque fédération par le moyen de clubs ou d’individus qui complètent ou prennent le relais de l’influence britannique des premiers temps. Certaines équipes de football, par leur ancienneté ou leur palmarès sportifs, servent de modèle et contribuent à l’initiation de la pratique dans leur fédération comme l’illustre le cas du Club Français au sein de l’USFSA. Le moment privilégié de ce mode de propagation se situe au début des années 1890, lorsque la majorité des équipes s’entraînent au Bois de Boulogne ou sur les terrains de Bécon-les-Bruyères. Les absences prolongées de joueurs dans les premiers clubs constitués incitent les équipes à emprunter ou à s’échanger des partenaires pour compléter leurs effectifs. En 1892, le Club Français, bien que fondé par cinq jeunes Français initiés à la pratique outre-Manche, recourt à l’appoint d’Anglais du Standard AC et des White Rovers plus âgés et plus expérimentés, qui s’entraînent également au Bois de Boulogne. Deux ans plus tard, c’est au tour du Club Français de fournir quelques équipiers pour l’entraînement de nouveaux clubs, le Paris Star puis le Cercle Pédestre d’Asnières. Ces épisodes éphémères représentent une occasion d’initier les nouveaux joueurs des équipes en cours de formation, le Club Français servant de relais à l’influence britannique auprès des récentes associations françaises. Cette initiation sportive est prolongée par une sociabilité mondaine puisqu’à l’occasion des bals et des soirées de ces deux clubs, on retrouve des dirigeants du Club Français116. Surtout, le Club Français a contribué à la création d’autres équipes de football. En 1898, trois anciens joueurs du club fondent, en compagnie de quelques scolaires, le Gallia Club117. Sa réputation est telle que, quelques années après la fondation du Red Star, les frères Rimet s’adressent à Ernest Weber, joueur et dirigeant du club, pour obtenir les règles du football118.
37La position centrale du Club Français dans les premières années du football tient, outre son ancienneté, aux succès précoces obtenus sur les clubs de la communauté britannique de Paris. Composé exclusivement de joueurs français, il remporte dès l’année 1896 contre le Standard Athletic Club la finale du championnat de Paris de l’USFSA, ce qui lui donne une aura sportive sur les autres clubs en cours de formation. Par ailleurs, le Club Français occupe une position institutionnelle importante puisque 12 de ses membres siègent à la commission de football de l’USFSA dans les années 1890 et 1900, ce qui le place en deuxième position, loin devant le Paris Star qui n’en fournit que six119. Ce nombre imposant lui permet d’avoir au moins un représentant dans huit des neuf commissions recensées. Enfin, le Club Français doit une partie de sa notoriété à la présence de joueurs, anciens joueurs et dirigeants dans la presse sportive. En effet, que ce soit Ernest Weber à L’Auto et à La Revue Sportive120 ou André Saint-Ignan à L’Écho des Sports121, la couverture médiatique du football est dans les années 1900 en grande partie liée aux joueurs du Club Français.
38Les trajectoires individuelles des joueurs et dirigeants jouent aussi un rôle déterminant dans le développement du football en région parisienne. A.-A. Tunmer et les frères Wynn créent au moins deux sections de football durant leur carrière de joueur et de dirigeant puisque ces membres fondateurs du Standard Athletic Club sont, peu de temps après, respectivement à l’origine de la création des sections de football au Racing Club de France et à l’United Sports Club. La carrière d’André Espir confirme l’importance de ces trajectoires personnelles dans la circulation du football. Il fait partie d’un groupe de jeunes gens du Stade Français qui quittent le club, faute de pouvoir y pratiquer le football au cours des années 1890122. Étudiant en droit, il fonde l’Association Sportive des Étudiants de Paris, devenue le Paris Université Club, dans laquelle il a pu développer le football123. Il est aussi à l’origine de la création de l’Association Sportive Française dont il est membre dès sa fondation en 1905. Sans qu’on puisse déterminer s’il a cumulé les deux appartenances associatives, c’est à l’Association Sportive Française, où il occupe le poste de gardien de but, qu’il atteint les plus hautes fonctions dirigeantes en devenant président de la commission centrale de l’USFSA en 1909, après avoir contribué avec Robert Guérin, à la fondation de la Fédération Internationale de Football Association124. La trajectoire d’André Espir crée une situation « d’interface associative » dans la mesure où des liens étroits continuent d’exister au début des années 1910 entre les trois clubs par lesquels il est passé. Un tournoi de football triangulaire met aux prises l’Association Sportive Française, le Paris Université Club et le Stade Français en 1912 qui reçoivent à tour de rôle dans leurs installations respectives. À l’occasion de ces rencontres, la filiation institutionnelle est alors rappelée par André Espir lui-même, dans le bulletin de l’Association Sportive Française125.
39Enfin, les obligations du service militaire ont fortement contribué à un développement du football, affranchi dans ce cas, des appartenances associatives et fédérales. En effet, l’affectation des joueurs parisiens en régiment et la composition de leurs équipes nous montrent que les clivages entre clubs et entre fédérations étaient suspendus durant le service. Les équipes de régiment sont composées à la fois de joueurs amateurs, dont les clubs sont affiliés à l’USFSA ou à la FCAF, et de joueurs dits professionnels, issus de la FSAF126. Ainsi, le football de régiment contribue à forger une camaraderie durable entre les joueurs d’horizons associatifs et fédéraux différents. Outre la tentation, pour les joueurs désireux de continuer à jouer, de changer de club après le service militaire, la création d’équipe d’anciens conscrits comme celle des « Vieux » du 39e régiment d’infanterie de Toul illustre l’importance du football de régiment dans la carrière des individus127. Cette sociabilité sportive est d’autant plus importante que jusqu’à la fin des années 1900, les joueurs pratiquent le football en association à partir de 13-14 ans et mettent généralement fin à leur carrière après le régiment. Cela signifie, notamment pour les joueurs qui passent deux à trois ans en service, que leur pratique et leur sociabilité de footballeur sont fortement marquées par la vie de garnison. Ainsi, l’appartenance au club ou à une fédération, en dépit des rivalités et des conflits affichés par les dirigeants, devait être vécue avec davantage de distance par les joueurs. Évoluant dans les mêmes équipes, défendant le même régiment dans les championnats militaires, les joueurs durant le service militaire apprenaient le dépassement des appartenances associatives et fédérales.
40Ainsi, la circulation du football dans le développement du football suit deux logiques complémentaires. D’une part, elle s’effectue dans le cadre fédéral ou associatif qui joue comme un filtre et un instrument de reproduction de normes et de valeurs qui pénètrent jusque dans les techniques de jeu comme la passe. Ce mode de circulation tend à préserver voire à renforcer l’identité associative ou fédérale en proposant une vision homogène de la pratique et de ses finalités. D’autre part, une logique transversale se superpose au cloisonnement institutionnel. Qu’il s’agisse de la circulation de transfuges exclus ou désireux de changer de cadre associatif comme certains Britanniques au cours des années 1900, de la pratique de régiment qui dépasse les appartenances fédérales ou des tribunes des matchs de démonstration des équipes d’outre-Manche qui attirent les jeunes gens d’horizons fédéraux différents, les occasions pour les joueurs des équipes de la Seine de se faire une autre idée du football que celle véhiculée par leur fédération ne manquaient pas.
La Seine, centre d’impulsion du football en France
Un rayonnement hexagonal incontestable
41La précocité de son développement et l’importance du football britannique contribuent à faire de la Seine un espace déterminant pour la propagation du football en France. La capitale est un espace moteur de l’institutionnalisation du football au sein des fédérations sportives avant la Première Guerre mondiale. C’est à la suite de pressions exercées par des joueurs et dirigeants parisiens de l’USFSA que le premier championnat de football est organisé à Paris en 1894 alors qu’il faut attendre dans la plupart des régions françaises la fin des années 1890, voire le début du XXe siècle, pour l’émergence d’une telle compétition128. La multiplication des équipes de football qui s’en suit entre la fin du XIXe siècle et la Première Guerre mondiale fait du championnat parisien la compétition la plus importante de l’Hexagone129. De même, la mise sur pied d’un championnat de football entre patronages à partir de l’année 1901 traduit la stratégie innovante des directeurs des œuvres parisiennes qui intègrent précocement la pratique du football dans le prosélytisme catholique en milieu urbain. Ces compétitions parisiennes servent d’ailleurs de modèle aux organisations provinciales. Les dirigeants de la région Nord-Pas-de-Calais de l’USFSA créent un championnat à partir de l’année 1898 en s’inspirant de l’expérience parisienne130 alors que les directeurs de patronages bordelais imitent leurs homologues parisiens à partir de 1906131.
42Ce dynamisme parisien est également marqué par une forte implication de ses dirigeants dans l’internationalisation du football au début du XXe siècle. La création de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) en 1904 est l’œuvre de dirigeants parisiens des clubs affiliés à l’USFSA, qui représente le football français dans cette nouvelle institution internationale. Leur rôle dans ce processus témoigne de la prépondérance du football parisien. Robert Guérin, dirigeant de l’Union Sportive Parisienne, et André Espir de l’Association Sportive Française132 sont les représentants de l’Union au cours des négociations dans la mesure où ils occupent respectivement les fonctions de trésorier de l’USFSA et de président de la commission de football.
43Aussi, l’importance du football parisien se mesure à la notoriété de ses équipes et de ses joueurs dans le reste de l’Hexagone. La plupart des équipes parisiennes effectuent des tournées ou des matchs d’exhibition contre des équipes le plus souvent affiliées à la même fédération. La venue d’une équipe parisienne en grande banlieue ou en province représente un facteur d’attraction local et facilite l’acculturation des spectateurs provinciaux à la pratique du football ou à ses subtilités techniques et tactiques. La période de Pâques est un moment privilégié de ces rencontres Paris-province dans la mesure où les équipiers peuvent se libérer quelques jours pour faire un long déplacement133. Lorsque la municipalité de Conflans-Sainte-Honorine décide de créer un club de football pour grouper les jeunes gens de la localité, le maire demande au Club Français et à l’United Sport Club, deux clubs parisiens notoirement connus, d’organiser une rencontre présidée par M. Berteaux, député de Seine-et-Oise afin de donner le plus d’éclat possible à l’événement134. De même, les équipes qui disposent d’un maillage territorial conséquent partent régulièrement défier les équipes provinciales. Ainsi, le Club Athlétique de la Société Générale (CASG), fort d’un réseau d’agences bancaires, multiplie les déplacements en banlieue et en province135. La venue de l’équipe parisienne de la Société Générale se traduit, outre l’accueil chaleureux réservé par le club visité, par une véritable leçon sur la pratique du football. Par exemple, à Dourdan, le maire et président du club, ainsi que de nombreux habitants, viennent écouter en mars 1907 une conférence de M. Suard, président de la commission de football du CASG. Après cet aperçu théorique, l’équipe du CASG fait une démonstration au cours de laquelle « la galerie, dont le nombre peut être évalué à quinze cents personnes, s’intéressa beaucoup à la partie applaudissant les fantastiques coups de pieds des arrières et les brillantes séries de passes exécutées par les deux lignes d’avants136 ».
44Le football parisien bénéficie également d’une exposition médiatique importante. En effet, les grands journaux sportifs français couvrent essentiellement les championnats du département de la Seine et ses équipes jusque dans les années 1910. Cette surexposition médiatique est liée à la concentration des grands titres de la presse sportive commerciale et institutionnelle à Paris. Si des considérations budgétaires expliquent en partie que les fédérations et les organes de presse commerciaux privilégient une couverture de proximité, on peut aussi évoquer l’effet de centralité de la presse institutionnelle puisque la plupart des dirigeants fédéraux sont issus de clubs parisiens. Ils sont donc avant tout concernés par les performances de leurs équipes dont les succès et la notoriété en retour représentent un facteur leur permettant de maintenir leur assise institutionnelle. Par ailleurs, des considérations économiques président à la prépondérance non seulement de la couverture du football parisien mais aussi de tous les événements sportifs de la capitale. Car les grands titres de la presse commerciale que sont L’Auto et L’Écho des Sports appartiennent respectivement à Henri Desgrange, propriétaire du Parc des Princes et à Victor Breyer du Vélodrome de Buffalo, tous deux situés dans l’Ouest parisien avant la Première Guerre mondiale. La médiatisation d’événements sportifs parisiens tient donc à la volonté de privilégier la couverture de compétitions ou d’épreuves qui se déroulent dans la ville où se trouvent leurs enceintes sportives mais aussi là où le lectorat est susceptible d’être le plus nombreux. En outre, de nombreux sportifs ou anciens joueurs parisiens font office de journalistes dans les rubriques « Football » de ces presses commerciales et institutionnelles. Dans les années 1900, Ernest Weber, ancien joueur et dirigeant du Club Français couvre le football dans La Revue Sportive et à L’Auto alors qu’André Saint-Ignan et Marcel Delarbre, membres de la Société Athlétique de Montrouge animent la rubrique « Football » à L’Écho des Sports.
45Enfin, l’influence des joueurs et dirigeants parisiens se mesure à leur contribution dans le développement du football au régiment. Quelle que soit leur appartenance fédérale, les appelés du service militaire tentent d’intégrer systématiquement le football à la vie de garnison au cours des années 1900. Certains membres de la FSAF, de la fédération des patronages, et de l’USFSA mettent sur pied des équipes de régiment qu’ils dirigent à l’image du joueur Lefebvre du Stade Français qui entraîne celle du 15e régiment d’artillerie à Douai en 1903137 ou de l’Union sportive du 39e régiment d’artillerie de Toul dont le comité directeur, composé de 11 membres, comprend huit joueurs de football de la Seine138. Les joueurs et dirigeants parisiens demandent régulièrement aux membres de leur association l’envoi de ballons139. À Épinal, c’est grâce à l’envoi d’un ballon de football par son directeur que Marius Jacquenet, joueur de l’Étoile des Deux Lacs, lance le football dans sa compagnie140. De même, des campagnes de sensibilisation sont menées d’un côté par les clubs et les dirigeants parisiens de l’USFSA141 et de l’autre par Henri Desgrange, qui, par l’entremise de L’Auto et son « Œuvre du soldat », permet chaque année d’alimenter les régiments en ballons de football142. Plus originale est l’initiative prise par le Racing Club de France qui délègue à Allan Henri Muhr, membre américain du club et futur vice-président, le soin de recevoir et centraliser les chaussures de football usagées de ses camarades pour les envoyer aux joueurs de garnison143. Ainsi, certains régiments sont le lieu d’une pratique régulière et accueillent une part importante de footballeurs et dirigeants parisiens comme la 39e division du régiment de Toul, encouragée par le Général Pamard, dont le Groupement sportif rassemble 400 athlètes et 15 équipes de football144. En 1905, ce groupement sportif est d’ailleurs champion des régiments de l’Est de la France, grâce à la présence d’une équipe composée presque exclusivement de joueurs parisiens145.
46Les joueurs et dirigeants parisiens participent dans le cadre de leur service militaire à la diffusion du football en province. La mise en place des structures sportives au sein des régiments ou l’attrait des matchs de football au sommet comme le montre la forte affluence pour la finale de l’Est en 1905146 attestent l’impact du football parisien en province. Surtout, la présence dans une garnison d’une équipe de football représente pour les sociétés provinciales d’une part une opportunité unique d’accueillir dans ses rangs des soldats qui, éloignés de leur équipe, trouvaient là un moyen de garder un contact avec la pratique147. Mais elle était d’autre part une occasion de se mesurer à des joueurs réputés de la capitale qui, groupés dans leur équipe de régiment, constituaient un adversaire de taille. L’équipe de la compagnie de Toul s’entraîne régulièrement avec la Société Sportive de Toul, « composée en grande partie de joueurs du collège148 » qui mettent à profit cette expérience. De même, l’équipe de football du Sport Militaire Orléanais composée essentiellement de joueurs parisiens prête aux équipes de jeunes de la localité son terrain, son vestiaire et « pousse l’obligeance jusqu’à envoyer tous les dimanches matin un ou plusieurs soldats149 » pour leur montrer comment jouer. Le rôle des conscrits parisiens au sein de leurs régiments nous semble d’autant plus important que le service militaire, entre 1889 et 1905, s’universalise150. Il concerne donc une population plus hétérogène et plus nombreuse qu’auparavant. Par conséquent, la présence de garnisons militaires n’a pas seulement été une source de prospérité pour les commerces locaux et de tranquillité pour les élus151. Elle a également contribué à la circulation de pratiques culturelles avant même la Première Guerre mondiale qui est bien souvent présentée comme le principal vecteur de la diffusion du football dans l’Hexagone152.
Une autonomie institutionnelle précoce
47Alors qu’il est organisé par des commissions de football dans des fédérations multisports, le football s’affranchit au cours des années 1900 de ce carcan institutionnel à partir de deux événements majeurs. En 1907, un dirigeant parisien de la fédération catholique, Charles Simon, créée le Comité Interfédéral Français (CFI), qui, à partir de cette date, organise la pratique du football dans la plupart des fédérations, exceptée l’USFSA. En 1910, cinq clubs parisiens de l’USFSA font scission pour fonder la Ligue de Football Association (LFA), institution parisienne exclusivement dédiée à la pratique du football.
48Pour comprendre ce processus d’autonomisation du football parisien, il convient tout d’abord de prendre en considération les effets de l’internationalisation du football avec la création de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) en 1904. Partie prenante de la fondation de la FIFA en 1904, les dirigeants parisiens de l’USFSA placent leurs clubs au cœur du football international. En effet, les règlements de la FIFA ne reconnaissent qu’une fédération chargée d’administrer le football par pays affilié. Par conséquent, les footballeurs parisiens de l’USFSA bénéficient d’un avantage important par rapport aux autres équipes parisiennes affiliées aux autres fédérations organisant des compétitions de football. Toutefois, l’USFSA commet une double erreur à la fin des années 1900. D’une part, prétextant le sectarisme de la FGSPF dans un contexte marqué par l’anticléricalisme d’État, l’USFSA mène à partir de l’année 1906 une politique d’ostracisme à l’encontre de la fédération catholique153. La principale conséquence de cette hostilité fédérale est la création par Charles Simon, d’une « super-fédération » de football en 1907, le Comité Français Interfédéral (CFI), réunissant plusieurs fédérations, afin de soustraire ce sport à l’hégémonie de l’USFSA qui leur est hostile154. Ce CFI, composé alors de la FGSPF, la FCAF, la Fédération Athlétique des Amateurs (FAA) auxquels s’ajoute la Fédération Athlétique du Sud-Ouest (FASO)155, devient une institution centrale du football français lorsqu’en décembre 1908 elle prend la place de l’USFSA à la FIFA156. Car la deuxième erreur de l’USFSA, est de quitter au milieu de l’année 1908 cette unique institution du football international. Ce départ a pour origine la candidature au Congrès de la FIFA en juin 1908 d’une nouvelle fédération anglaise, l’Amateur Football Association (AFA) qui demande l’exclusion de la Football Association (FA), fédération anglaise de football jusqu’alors reconnue par la FIFA, sous prétexte que la FA gère conjointement les championnats amateurs et professionnels. Fidèle à sa défense de l’amateurisme intégral, l’USFSA soutient la candidature de l’AFA et démissionne après le refus de la majorité des fédérations membres de la FIFA de l’intégrer en lieu et place de la FA. Profitant de la place laissée libre par l’USFSA pour la représentation française à la FIFA, Charles Simon propose que le CFI y remplace l’Union et devienne ainsi la nouvelle fédération française reconnue par l’institution du football international, ce qui est chose faite dès le Congrès de décembre 1908157. Ainsi, le CFI, fondé par un dirigeant du football catholique pour contrer l’hostilité de l’USFSA à l’encontre de la FGSPF, devient la première institution française exclusivement consacrée au football.
49Le remplacement de l’USFSA par le CFI au sein de la FIFA est lourd de conséquences pour le football parisien. Les clubs de l’USFSA tiraient leur renommée de leurs contacts fréquents avec l’étranger et les rencontres répétées avec les clubs britanniques leur assuraient une amélioration technique régulière et une réputation nationale. Or, le départ de l’USFSA de la FIFA réduit considérablement ces échanges puisqu’à partir du moment où l’USFSA n’est plus reconnue par la FIFA, les rencontres sportives deviennent limitées aux fédérations non affiliées à la FIFA. Ainsi, les déplacements à l’étranger et la réception d’équipes étrangères, agréments d’une compétition saisonnière perçue comme longue et souvent monotone, prennent fin158. Cette marginalisation internationale du football de l’USFSA entraîne la création en août 1910 d’une deuxième institution exclusivement consacrée à la pratique du football, la Ligue de Football Association (LFA). Elle procède une scission organisée par cinq clubs parisiens de l’USFSA159. Le but affiché par les dirigeants de la Ligue dissidente est le rétablissement des relations entre les clubs français de football et de l’étranger et la volonté d’améliorer le niveau français par la multiplication des rencontres internationales dont ils sont alors privés160. La LFA entre donc au CFI en septembre 1910161, ce qui permet à ses clubs de reprendre le cycle des rencontres internationales162.
50L’entrée du CFI à la FIFA contribue donc à transformer à la fin des années 1900 le paysage institutionnel du sport français dans la mesure où le football s’extirpe progressivement des fédérations multisports qui exerçaient sur sa pratique une tutelle souvent contraignante. L’affiliation du CFI participe également au sein de ses clubs, associations et patronages à accélérer la prééminence du football sur les autres activités proposées. Cette transformation essentielle a notamment des effets conséquents sur l’activité et l’identité des patronages catholiques parisiens. Le football de la fédération catholique devient une activité de plus en plus attractive. La croissance de l’Union Sportive d’Auteuil, passée de 60 membres au début du XXe siècle à 300 en 1911, illustre l’importance croissante du football au sein des patronages parisiens tout comme les succès sportifs et les rencontres internationales de l’Étoile des Deux Lacs qui drainent, à la fin des années 1900, une forte proportion d’équipiers extérieurs à la paroisse du XVIe arrondissement163. Cette évolution amène la direction de ces œuvres catholiques à réaffirmer des points de règlement tels que « la nécessité de revenir au patronage après le match de football164 », signe manifeste du détachement de ces nouveaux footballeurs aux obligations des œuvres.

Photographie 3. – Équipe-fanion de l’Étoile des Deux Lacs à Bagatelle en décembre 1912165.
51Ainsi, le CFI, créé au départ pour contrer l’hégémonie de l’USFSA, devient la principale institution du football français. Il entraîne les patronages catholiques sur la voie de la spécialisation du football. Cette prévalence du football prépare dans l’entre-deux-guerres une séparation devenue inéluctable entre les exigences de la pratique exclusive du football et les obligations inhérentes aux œuvres paroissiales. Au lendemain de la Grande Guerre, les patronages où le football a acquis une place de choix, comme l’Association Fraternelle La Garenne-Colombes et l’Étoile des Deux Lacs, entrent à la Fédération Française de Football Association nouvellement créée.
52La précocité de l’autonomie institutionnelle du football parisien ne tient pas exclusivement à la politique sportive défaillante de l’institution multisports hégémonique au début du XXe siècle, l’USFSA. Elle s’explique également par les profondes transformations du monde dirigeant parisien. En effet, la mutation progressive du paysage institutionnel du football français correspond à la généralisation du dirigeant dégagé de toute pratique voire de toute compétence sportives. Jusqu’au milieu des années 1900, le football est principalement administré par des capitaines d’équipe confinés à leurs compétences sportives, ce qui illustre le peu de pouvoir que les footballeurs exercent au sein des commissions sportives et surtout des comités. Cette configuration maintient le football dans une position institutionnelle subalterne. Mais au cours des années 1900, un nouveau type de dirigeant de football émerge166. Cette transformation du monde dirigeant est portée par la volonté de certains joueurs de devenir dirigeant au terme de leur carrière sportive ou encore par l’investissement d’anciens joueurs lorsque le club traverse une période tourmentée167. La reconversion de joueurs en dirigeants apparaît encore plus nettement au lendemain de la Première Guerre mondiale. Le conflit terminé, un certain nombre d’anciens joueurs mobilisés reprennent le chemin associatif pour encadrer les pratiquants168. Surtout, la généralisation du dirigeant dégagé de la pratique est aussi à l’œuvre dans les institutions fédérales. À partir de 1906, la commission de football de l’USFSA est progressivement investie par des individus qui ne jouent plus en équipe-fanion et qui ne siègent donc plus au titre de leur excellence sportive169. Les commissions qui lui succèdent font même place à des individus qui n’ont jamais figuré dans l’équipe-fanion de leur club.
53La fondation de la Ligue de Football Association (LFA) en 1910 consacre la stratégie institutionnelle de ces nouveaux dirigeants. En premier lieu, on peut constater que les piliers de la Ligue sont des clubs qui n’avaient aucun poids dans le processus décisionnel de l’USFSA comme le Red Star, le CA Paris, le CA Vitry et le Paris Star avant la guerre170. Qui plus est, ces clubs ne sont pas représentatifs de l’élite sportive de l’USFSA dans la mesure où à l’exception du CA Paris, les autres équipes ne font pas partie des meilleures équipes de l’Union. Ensuite, parmi les membres actifs du comité de la LFA en 1913-1914, les dirigeants du bureau n’ont jamais exercé de responsabilité dans les instances centrales de l’USFSA ou bien même dans sa commission de football. Des 14 membres actifs entre 1910 et 1919, seul Georges Duhamel a été membre de la commission de football association de l’Union en 1903171. Henri Jacobi, président du CA Paris et de la LFA en 1910, Jules Rimet, dirigeant du Red Star172, qui lui succède de 1911 à 1914, Vital Courcier ou encore Armand Pillaudin n’ont jamais exercé de responsabilités fédérales lorsqu’ils entrent au comité de la Ligue. En outre, ces dirigeants de la LFA n’ont pas systématiquement été footballeurs et leur notoriété relève moins de leur passé sportif que de l’énergie qu’ils ont déployée dans le monde associatif à l’image de Patrice Thominet. Né le 23 octobre 1890 à Lescherolles, en Seine-et-Marne, il débute sa carrière de dirigeant en tant que secrétaire de l’Association Sportive Fertoise. Puis, il fonde à l’âge de 18 ans le Cycle Club de Saint-Maur et en 1910 l’Étoile Sportive de Saint-Maur, dont il est secrétaire général et sportif éclectique, pratiquant le football mais aussi la course à pied et le cyclisme173. Blessé au cours de la Première Guerre mondiale, il ne peut reprendre la pratique des sports. C’est pourquoi il se consacre pleinement à son rôle de dirigeant à Saint-Maur où il contribue à la fusion des sociétés sportives locales sous le nom de La Vie au Grand Air de Saint-Maur. Il devient au début des années 1920 trésorier de la Ligue parisienne et garde cette fonction jusqu’à la fin de notre période174.
54Ces nouveaux dirigeants prennent progressivement en main les destinées du football parisien en remplaçant au sein de leurs clubs les dirigeants qui siégeaient auparavant à l’USFSA et en briguant les postes-clés à la Ligue parisienne de football175. Les fondements de leur pouvoir relèvent avant tout du cumul de nombreuses fonctions administratives. Tant que les dirigeants étaient des joueurs, ils ne bénéficiaient que de peu de temps pour d’autres fonctions que celles liées à la gestion du football. Désormais, la tendance est davantage à l’accumulation de tâches administratives. On peut estimer que le cumul des responsabilités renforce leur pouvoir institutionnel au sein de leur club voire au sein des fédérations auxquelles ils sont affiliés. Se créent alors de véritables rentes de positions institutionnelles qui permettent à ces dirigeants de durer au sein de la commission de football de leur club, l’institution ayant alors généré son propre mode de promotion, coupé du terrain de jeu176.
55Mais l’assise de ces dirigeants à l’origine de l’autonomie du football parisien tient aussi à leur position sociale. En effet, les principaux instigateurs de la LFA, puis les dirigeants qui occupent dans cette institution autonome les fonctions les plus importantes, se recrutent parmi l’élite socioéconomique des dirigeants des clubs qui pratiquent le football. En comparant l’origine sociale des 144 dirigeants parisiens que nous avons recensés entre 1900 et 1917 avec les professions des principaux responsables de la LFA dans les années 1910, on constate que les dirigeants de la ligue parisienne sont issus des catégories sociales les plus élevées des dirigeants de clubs.
Nom | Club | Fonction dirigeante | Profession |
Henri Jacobi | CA Paris | Président (1910) | Avocat |
Jules Rimet | Red Star Club | Président (1911-1914) | Directeur de banque |
Albert Dexheimer | Club des SA | Vice-Président (1910-1914) | Négociant |
Georges Duhamel | Paris Star | Secrétaire (1910-1914) | Journaliste |
Michel Fontaine | CA Paris | Membre (1911) | Chimiste |
Armand Pillaudin | CA Vitry | Membre (1912-1914) | Négociant |
Tableau 2. – Principaux membres du bureau de la LFA de 1910 à 1914177.

Graphique 4. – Professions identifiées de 144 dirigeants parisiens entre 1900 et 1913 (USFSA et LFA)178.
56Les dirigeants de la LFA se recrutent donc parmi les individus en possession d’un certain capital économique et social. On note qu’aucun des dirigeants de la LFA n’appartient à la catégorie des employés, des ouvriers % 178 ou des professions intermédiaires, qui représentent pourtant 57 % des dirigeants de clubs. De même, le profil socioéconomique des dirigeants de la LFA marque une profonde différence avec celui des joueurs puisque ces catégories ne composent que 25 % des joueurs de football identifiés entre 1905 et 1914 alors que les employés, les ouvriers et les étudiants en représentent au moins 74179. Dans la mesure où une partie des dirigeants de clubs sont encore pratiquants, on peut penser que le poids des employés et des ouvriers parmi les dirigeants de clubs tient à la persistance de ce régime d’indifférenciation entre la pratique et les responsabilités administratives. En revanche, le poids institutionnel des catégories sociales les plus élevées parmi les dirigeants de clubs mais aussi parmi les dirigeants de la LFA, alors même qu’elles sont beaucoup moins bien représentées parmi les joueurs durant la même période, nous laisse penser qu’ils s’agit d’individus détachés de toute pratique sportive. La possession d’un capital social et économique plus important que la plupart des joueurs et dirigeants de club est sans doute un élément fondamental pour comprendre la présence de ces individus à la tête de la première institution parisienne de football, comme l’illustre le premier président de la LFA. Henri Jacobi, qui est président du CA Paris, est avocat à la cour d’appel de Paris. Exploitant en compagnie de sa femme un magasin de mercerie dans le XVIe arrondissement dans les années 1900, il gère par ailleurs un cabinet d’avocats d’affaires dans le IIe arrondissement qui lui assure un certain revenu180. Il semble que ce capital économique lui a permis de remettre à flot le club lorsqu’il est confronté à des difficultés financières181.
57Par conséquent, l’émergence de la LFA est intimement liée aux transformations du monde dirigeant et aux stratégies personnelles qu’elles portent. Elles permettent à des dirigeants de clubs, à l’influence limitée dans le cadre omnisport et élitiste de l’USFSA, probablement convaincus de la place croissante du football, de s’affirmer comme des membres influents. Un regard porté sur le devenir de ces dirigeants à moyen terme nous permet même de supposer que la création de la LFA ne représente qu’un tremplin institutionnel si l’on considère les trajectoires de ses fondateurs. On retrouve en effet à la création de la Fédération Française de Football Association en 1919, les piliers de la LFA, à savoir Jules Rimet, Vital Courcier et Armand Pillaudin.
58Des années 1890 aux années 1900, le football du département de la Seine est une pratique culturelle fortement internationalisée. Les initiatives des Anglais, la forte présence du modèle technique britannique sont au cœur du développement du football dans le département et ils font de la Seine un espace moteur dans la propagation du football français. Surtout, le football international pèse de tout son poids dans le processus d’autonomisation qui est à l’œuvre successivement au sein d’une partie des clubs de l’USFSA et de ceux affiliés au CFI. Toutefois, la transformation du CFI en Fédération Française de Football Association (FFFA) en 1919 marque non seulement la fin du magistère du football parisien mais également l’amenuisement d’une influence étrangère dans un espace institutionnel désormais nationalisé.
Notes de bas de page
1 Monique de Saint-Martin a montré comment la pratique de certains sports représente un puissant vecteur de distinction sociale. On se reportera notamment à « La noblesse et les “sports nobles” », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 80, novembre 1989, p. 22-31 et à « Une sociabilité mondaine : les débuts du vélocipède et du tennis en France », Traverse, Revue d’histoire, 3, 1998, p. 45-55.
2 Sur le développement du football britannique avant la Première Guerre mondiale, on se reportera à Mason T., Association Football and English Society, 1863-1915, Atlantic Highlands, New Jersey, Humanities Press, 1980.
3 Arnaud P., Les Athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine, 1870-1914, Toulouse, Privat, 1987.
4 Duhamel G., Le Football Association, ses débuts, Angoulême, Imprimerie de la Charente, 1959 (1re édition 1931), p. 22.
5 L’Auto, 2 mai 1908.
6 Id., 29 octobre 1907.
7 Comme l’atteste la présence de Joseph Paturot à l’Union Athlétique de Saint-Mandé, de Molinier père au Paris Star et de Huteau père au Club Français, lors de leur apparition. Cf. Duhamel G., op. cit., p. 36.
8 The British Colony magazine. A record of the activities of the British colony in Paris, février 1926.
9 Les Sports Athlétiques, 5 décembre 1891.
10 Duhamel G., op. cit., p. 22.
11 L’Écho des Sports du 7 janvier 1926 publie la liste des membres du comité du club en 1896. C. J. Moignard est alors vice-président du club et chef des services de l’imprimerie du journal concerné. L’annuaire des dirigeants de l’USFSA nous indique que l’année précédente, il exerçait les fonctions de trésorier du club. Cf. Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA), annuaire 1895-1896.
12 Les Sports Athlétiques, 29 septembre 1894.
13 L’agence Thomas Cook & Sons est spécialisée dans les voyages touristiques et est une agence bancaire internationale. L’Auto, 6 avril 1905. Par ailleurs, la liste des joueurs de football de la compagnie publiée dans la revue du Cook Athletic Club en 1924 confirme cette forte corrélation avec le Standard Athletic Club puisque sur les 16 joueurs mentionnés, huit sont des joueurs du Standard. Cf. Cook’s Athletic Club, 31 décembre 1924. L’agence Thomas Cook semble aussi proche des White Rovers puisque, si l’on s’en tient aux propos de Jack Wood, l’un des membres fondateurs des White Rovers est M. Henson, employé par cette maison commerciale.
14 Source : M. Nathanson.
15 L’Auto, 29 avril 1931.
16 Duhamel G., op. cit., p. 36.
17 L’Auto, 20 avril 1923.
18 Id., 19 avril 1905.
19 Id., 26 mars 1926.
20 Archives Municipales de Saint-Mandé, 4R2 4 « Union Athlétique de St Mandé 1902-1919 », lettre du président du club au maire du 1er août 1905.
21 Sur le développement des sports modernes en Angleterre, on pourra se reporter à Holt R., Sport and the British : a modern history, New York, Oxford University Press, 1989.
22 L’Auto, 28 septembre 1901.
23 Les Sport Athlétiques, 28 février 1891 et 7 mars 1891. Deux rencontres de football opposent ces deux associations sur la pelouse de Madrid au Bois de Boulogne.
24 Les Sport Athlétiques, 12 avril 1890.
25 De même que la terminologie employée pour le football est « football association » à la fin du XIXe siècle, celle utilisée pour le rugby est « football rugby ».
26 Pour Mason T., la professionnalisation est une des conséquences de la généralisation des compétitions qui impliquaient de longs déplacements, nécessitant les premières rémunérations de joueurs et de l’engagement de joueurs provenant d’autres équipes pour les matchs importants. Cf. Mason T., op. cit., notamment le chapitre 3 « Amateurs and Professionals ».
27 L’Écho des Sports, 13 novembre 1925.
28 Les élèves de ces établissements sont d’ailleurs à l’origine de la fondation du Racing Club de France et du Stade Français, initialement réticents à la pratique du football.
29 Coutant E.-C., Le Collège Chaptal, son origine, caractère de son enseignement, son organisation générale, ses résultats, Paris, 1889, p. 41.
30 Ibidem.
31 Guiffan J., « L’Anglophobie dans les premiers manuels d’histoire de l’enseignement primaire sous la IIIe République », in Aprile S. et Bensimon F. (dir.), La France et l’Angleterre au XIXe siècle : échanges, représentations, comparaisons, Grâne, Créaphis éd., 2006, p. 255-267.
32 Coutant E.-C., op. cit., p. 43.
33 Duhamel G., op. cit., p. 36 et Annuaire de l’Association Amicale des Anciens Elèves du collège Chaptal, 1897 pour les frères Huteau.
34 Ibid., p. 25.
35 Saint-Cyr C., Manuel civique de la jeunesse. Le sport, éducateur social, Paris, Édition de L’Auto, 1908, p. 12 et L’Écho des Sports, 5 mars 1908.
36 Duhamel G., op. cit., p. 22.
37 Tunmer N.-G. et Fraysse E., Le Football Association, Paris, Armand Colin, 1897, p. 11.
38 L’Auto, 29 octobre 1907. De même, le Cercle Athlétique de Paris résulte en 1905 de la fusion entre le Football Club de Paris, l’Union Sportive du XIIe arrondissement et le Paris Athlétique Club. Cf. Tous les sports, 25 mars 1905.
39 Les Sports Athlétiques, 11 janvier 1896 et Géo Duhamel, op. cit., p. 42-43.
40 Holt R., Sport and Society in Modern France, Londres, Macmillan, 1981, notamment le chapitre 4 et Poyer A., « L’institutionnalisation du sport 1880-1914 », in Tétart P., Histoire du sport en France. Du Second Empire au régime de Vichy, Paris, Vuibert, 2007, p. 30.
41 Les Sports Athlétiques, 16 mai 1891. Ce texte est la retranscription de la conférence faite à Limoges par le Dr Lagrange le 21 mars 1891.
42 Holt R., Sport and Society, op. cit., p. 66-67, De Cecco S., Le Racing Club de France des origines à 1945, mémoire de maîtrise de l’Université Paris X, 1991 et Prêtet B., Identité d’une société sportive : le Stade Français des origines à 1939, mémoire de maîtrise de l’Université Paris X, 1996.
43 Pour l’histoire de la FGSPF, on se reportera aux deux publications issues des deux doctorats effectués sur la fédération catholique. Groeninger F., op. cit. et Munoz L., op. cit.
44 Tranvouez Y., Catholiques d’abord. Approches du mouvement catholique en France XIXe-XXe siècle, Paris, Éd. Ouvrières, 1988.
45 Archevêché de Paris, Bulletin paroissial de Saint-Honoré d’Eylau, janvier 1917.
46 La Jeunesse catholique de Saint-Honoré d’Eylau. Études, musiques, littératures, avril 1911. Cette revue mensuelle remplace Les Nouvelles des Deux Lacs qui couvre jusqu’en 1910 l’activité sportive du patronage L’Étoile des Deux Lacs.
47 Supplément aux Nouvelles du Patronage Olier, décembre 1953.
48 L’ABC, journal hebdomadaire de l’Association du Bon Conseil, 29 avril 1909.
49 Ainsi, le déroulement du football dominical à la Jeanne d’Arc de Levallois commence par une messe le matin à 8 heures puis une séance de gymnastique. Après le déjeuner, on pratique le football. Cf. Chronique de la Jeanne d’Arc de Levallois, 8 janvier 1909. Au Chantier, entre la messe du dimanche matin et du dimanche soir, les équipes de football partent jouer et doivent revenir avant 18 heures pour faire le compte-rendu de la partie. Cf. Le Chantier, octobre-novembre 1906. Certains patronages rappellent d’ailleurs régulièrement l’obligation d’assister à la messe après le match de football à l’image de l’Union Sportive d’Auteuil. Cf. Pages d’Auteuil. Bulletin du Cercle Jeanne d’Arc et de l’Union Sportive d’Auteuil, 12 octobre 1913.
50 Bulletin Officiel de la Fédération Cycliste des Amateurs Français, novembre 1902.
51 Le traité d’entente entre l’USFSA et l’UVF, signé en 1901, crée pour chacune des fédérations un monopole, les sports athlétiques pour l’USFSA et le cyclisme pour l’UVF. Sur les enjeux institutionnels du cyclisme français, on se reportera à la thèse d’histoire d’Alex Poyer, Cyclistes en sociétés. Naissance et développement du cyclisme associatif en France (1867-1914), thèse de doctorat d’histoire, Université Lumière Lyon 2, 2000.
52 Bulletin Officiel de la Fédération Cycliste des Amateurs Français, novembre 1902.
53 L’Athlétisme, Organe officiel de la Fédération des Sociétés Athlétiques de France, 1er juillet 1901, L’Auto, 15 mai 1907.
54 La carte sur l’implantation institutionnelle du football dans le département de la Seine en 1906 a été réalisée à partir des presses institutionnelles, sportives et annuaires fédéraux.
55 À l’USFSA, les collèges Chaptal et Rollin mais aussi les lycées Saint-Louis, Janson de Sailly jouent un rôle moteur dans la diffusion des deux footballs.
56 Sorez J., Footballs en Seine, op. cit., annexe 4.
57 Idem., annexe 5.
58 AN Fontainebleau, Légion d’Honneur, dossier 19800035/369/49585.
59 PPP, bureau des associations, Y 2822 « Patronage Olier », déclaration d’association du 8 octobre 1907.
60 Les Nouvelles des Deux Lacs, novembre 1908.
61 L’Écho du Bon Conseil, op. cit., octobre-novembre 1901.
62 Compte-rendu d’activité du Patronage du Bon Conseil, 1901-1905 (manuscrit).
63 Bulletin Officiel du Stade Français, 17 novembre 1905. Il s’agit précisément de l’article 11 du titre III qui porte sur le fonctionnement des sections sportives.
64 La création en 1894 d’un championnat de football association à l’USFSA est le résultat de la pression exercée par le Standard et les White Rovers qui menacent de créer une Ligue de football indépendante en cas de refus, comme nous l’avons évoqué précédemment. De même, l’année suivante, Neuville Tunmer est à l’origine de l’adoption pour le championnat de France, de la formule de la Football Association anglaise, à partir de la saison 1895-1896. Cf. Les Sports Athlétiques, 30 novembre 1895.
65 Racing Club de France, procès-verbal du Comité, séance du 13 novembre 1896.
66 Ils représentent régulièrement 30 % des membres des neuf commissions recensées, à l’exception de la commission Dotin de 1906 qui est mise en place suite à d’importants dysfonctionnements et dans laquelle on relève seulement deux britanniques au sein d’une commission réduite à sept membres.
67 Les deux autres clubs communautaires, les White Rovers et l’United SC ne fournissent sur la période que quatre membres chacun.
68 Who’s Who in Paris? Anglo-American Colony. A biographical dictionary of the leading members of the Anglo-American colony of Paris, Paris, The American Register, 1905.
69 British Chamber of Commerce, Annual general meeting and annual report.
70 USFSA, annuaires 1894 et 1902.
71 L’Abc, 1er avril 1909
72 L’Auto, 5 avril 1904.
73 Le Chantier, 9 mai 1912. Le match oppose Fulham aux Queens Park Rangers.
74 Les Sports Athlétiques, 24 mars 1894.
75 Id., 2 mars 1895.
76 Parat M., Le Football Association, Paris, Bibliothèque sportive Nilsson, 1913, p. 13.
77 L’Auto, 26 avril 1903.
78 La Revue Sportive, 10 mai 1903.
79 Id., 17 mai 1903.
80 La Revue sportive, 17 mai 1903
81 L’ABC, 18 mars 1909.
82 Id., 8 avril 1909.
83 Parat M., op. cit., p. 173.
84 Bulletin du Racing Club de France, 31 janvier 1914.
85 Id., 28 mars 1914.
86 Mason T., op. cit., p. 216. Les Corinthians, créés en 1882 dans le contexte de la rivalité des footballs anglais et écossais, n’effectuaient que des matchs amicaux ou de charité. Ils ont fourni à la fin du XIXe siècle quelques joueurs de renom à l’équipe nationale mais ils souffrent par la suite de l’entraînement et de la compétitivité des équipes professionnelles.
87 Bulletin Officiel du Stade Français, 6 mars 1909.
88 Taylor M., « Football’s Engineers? British Football Coaches, Migration and Intercultural Transfer, c. 1910-c. 1950s », Sport in History, mars 2010, p. 138-163.
89 Les Sports Athlétiques, 23 février 1895. Jack Wood, fondateur des White Rovers, pratique le football depuis dix ans lorsqu’il arrive à Paris en 1891 alors qu’en 1895 Will Dunbar Attrill, l’ancien capitaine du Standard Athletic Club, pratique le football depuis neuf années, dont sept effectuées en Angleterre.
90 Le Breton de Paris, 19 octobre 1913, ainsi que les nombreuses allusions de Géo Duhamel sur les leçons des joueurs britanniques résidant à Paris pour les jeunes joueurs au tournant du siècle.
91 L’Auto, 14 octobre 1907.
92 Bulletin Officiel du Stade Français, 28 janvier 1911.
93 USFSA, procès-verbal du conseil, séance du 7 mai 1895. Le Conseil note des remerciements par acclamation à M. J. Gordon-Bennett pour sa généreuse donation. Il prie ensuite M. de Villers de témoigner sa reconnaissance à M. de Janzé, et de remercier Monsieur de Wilfrid Bishop pour sa sympathique intervention dans la circonstance. Sur l’action de James Gordon Bennett, on se reportera à Dauncey H. et Hare G., « James Gordon Bennett, le Paris Herald et le sport (1887-1918) : influences américaines en France dans le sponsoring et l’internationalisation du sport », in Attali M. (dir.), Sports et médias. Du XIXe siècle à nos jours, Biarritz, Atlantica, 2010, p. 349-357.
94 L’Auto, 30 novembre 1901.
95 Tous les sports, 13 août 1898.
96 Les Jeunes, 31 mars 1906.
97 Source : gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France.
98 L’Auto, 4 avril 1903.
99 Id., 17 avril 1904.
100 L’Auto, 28 avril 1903. Dans sa lettre de remerciement publiée par le quotidien sportif, Jack Wood nous apprend que M. Sleator et M. Henson, « anciens camarades des White Rovers », avaient participé au financement à perte de la rencontre. De même, il est probable que l’agence de voyage internationale Cook ait financé la venue des membres de l’équipe anglaise. L’année suivante, la Maison Williams met à la disposition des joueurs français « des chemises noires et or » alors que le ballon du match est offert par Tunmer. Cf. Id., 19 avril 1904.
101 Dès 1897, Neuville Tunmer publie en compagnie d’Eugène Fraysse le premier ouvrage sur le football association en français réédité en 1905, Tunmer N.-G. et Fraysse E., op. cit. En 1905, Les Tunmer financent l’ouvrage de Raoul Fabens, ancien secrétaire général de l’USFSA, Les Sports pour tous, en intégrant des pages publicitaires. L’année suivante, ils deviennent le partenaire de la revue Le Sport à l’Université, organe hebdomadaire du Paris Université Club, et figurent en compagnie de Williams à partir du mois de mai 1909 dans la revue du patronage du Bon Conseil, L’ABC.
102 L’Auto, 18 janvier 1907.
103 Les Sports, 10 novembre 1906 : « Le ballon rêvé, le “Tunmer spécial” à la coupe parfaitement ronde, est constitué de sections de cuir de même dimension qui supportent et ne peuvent se distendre et garde sa forme. Il a été choisi pour le match France-Angleterre ce qui prouve sa supériorité. »
104 L’Auto, 21 décembre 1906.
105 Il a 30 ou 33 ans en 1908.
106 L’Écho des Sports, 19 décembre 1924.
107 Stade Français, annuaire 1924.
108 L’Auto, 15 février 1938, Les Nouvelles du Patronage Olier, mars 1916.
109 Teulié G., « L’image du Britannique pendant la guerre anglo-boer dans le supplément illustré du “Petit Journal”, 1899-1902 » in Aprile S. et Bensimon F., op. cit., et Mollier J.-Y., « L’image de l’Angleterre dans la littérature populaire à la veille de la signature de l’Entente Cordiale », in Cooper-Richet D. et Rapoport M., L’Entente Cordiale. Cent ans de relations culturelles franco-britanniques (1904-2004), Paris, Éd. Créaphis, 2004, p. 79-89.
110 L’Auto, 31 décembre 1906. Le journal publie une lettre de John Coucke, ancien joueur du Stade Français, qui raconte que l’atmosphère de la rencontre de 1899 est en partie conditionnée par la défaite française de Fachoda.
111 The British Colony magazine, mai 1927.
112 AN Paris, Légion d’Honneur, LH 2612/20, Philip Tomalin (1932), rapport du Ministère des Affaires Étrangères du 9 janvier 1932.
113 Cooper-Richet D., « Les Gagliani, libraires-éditeurs-hommes de presse à Paris, artisans d’une “Entente cordiale” culturelle », in Cooper-Richet D. et Rapoport M., op. cit., p. 39-50.
114 Okret-Manville C., « Le gouvernement britannique et sa politique culturelle en France (1919-1953) », Id., p. 17-27.
115 Le recensement de 1901 nous indique que les Britanniques de sexe masculin, au nombre de 4 145 à Paris, représentent seulement la septième communauté étrangère la plus importante derrière les Italiens, les Belges ou encore les Suisses. L’importance toute relative de la communauté britannique se retrouve à l’échelle nationale. Cf. Annuaire statistique de la Ville de Paris, 1901 et Annuaire statistique de la France, 1901.
116 Les Sports Athlétiques, 30 mars 1895.
117 L’Auto, 19 avril 1905.
118 Id., 18 octobre 1931.
119 Sorez J., Footballs en Seine, op. cit., annexe 8.
120 La Revue Sportive, 12 avril 1903.
121 L’Écho des Sports, 11 août 1910. Ce journaliste signe sous le pseudonyme de Géo Deltouche dans ses chroniques de football.
122 Bulletin Officiel du Stade Français, 28 janvier 1911.
123 L’Écho des Sports, 17 juin 1909.
124 L’Écho des Sports, 17 juin 1909.
125 Bulletin Officiel du Stade Français, 20 juillet 1912.
126 L’Écho des Sports, 14 février 1912.
127 L’Auto, 12 juin et 18 septembre 1906.
128 Il faut par exemple attendre l’année 1898 pour qu’une première forme de championnat apparaisse dans le Nord-Pas-de-Calais. Cf. Chovaux O., Cinquante ans de football dans le Pas-de-Calais. Le temps de l’enracinement, fin XIXe-1940, Arras, Presses Artois Université, 2001, p. 54.
129 USFSA, annuaire 1910. L’état numérique des clubs au sein des comités régionaux de l’Union place la région parisienne en tête avec 130 clubs, suivie par la Guyenne et la Gascogne (59), la Normandie Haute (51), le Nord (46) sur un total de 719 clubs affiliés.
130 Chovaux O., op. cit., p. 54.
131 Augustin J.-P., « La percée du football en terre de rugby. L’exemple du sud-ouest français et de l’agglomération bordelaise », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 26, 1990, p. 101.
132 Wahl A., « La Fédération Internationale de Football Association (1903-1930) », art. cit.
133 Sorez J., Footballs en Seine, op. cit., annexe 9.
134 L’Auto, 29 avril 1903.
135 Sport Banque, 10 avril, 10 mai et 10 novembre 1907. Cette revue est celle du Club Athlétique de la Société Générale, remplacée au cours des années 1920 par CASG.
136 Sport Banque, 10 novembre 1907.
137 L’Auto, 27 mars 1902.
138 Id., 29 novembre 1904.
139 Id., 2 février 1904 et Les Nouvelles des Deux Lacs, avril 1909.
140 Les Nouvelles des Deux Lacs, décembre 1906.
141 Id., 21 mars et 19 avril 1903.
142 Id., avril 1903 et 1904.
143 Id., 14 mars 1905.
144 Id., 20 novembre 1905.
145 Id., 12 avril 1905.
146 On compte 5 000 spectateurs qui certes devaient être en majorité des appelés mais aussi probablement un public local.
147 L’Auto, 12 septembre 1906. Le journal va publier la liste des appelés pour qu’ils se regroupent dans leurs régiments. Ils publient également les communiqués des sociétés sportives de province « qui se proposeraient de réserver le meilleur accueil aux jeunes athlètes parisiens appelés dans leur ville ».
148 Id., 12 octobre 1904.
149 Id., 26 novembre 1902.
150 Boulanger P., La France devant la conscription. Géographie historique d’une institution républicaine 1914-1922, Paris, Economica, 2001.
151 Roynette O., Bons pour le service : l’expérience de la caserne en France à la fin du XIXe siècle, Paris, Belin, 2000, p. 132-136.
152 Waquet A. et Terret T., « Ballons ronds, Tommies et tranchées : l’impact de la présence britannique dans la diffusion du football association au sein des villes de garnison de la Somme et du Pas-de-Calais (1915-1918) », in Modern and Contemporary France, vol. 24, novembre 2006, p. 449-464.
153 Sur le conflit entre l’USFSA et la FGSPF, on pourra consulter Michel Lagrée, Les origines de la FGSPF, 1898-1914, op. cit. Plus que la dimension politique et idéologique avancée par les dirigeants fédéraux, il est possible que la campagne de l’Union soit en partie déterminée par la volonté de discréditer la FGSPF dont les effectifs et la reconnaissance menacent la place de l’USFSA.
154 En réalité, il semble que le CFI soit crée dès 1906 mais ses statuts ne sont déposés que l’année suivante.
155 L’Auto, 14 mars 1907. De même, pour le quotidien, la naissance du CFI représente un véritable « coup porté à l’USFSA » puisque sur les 1 000 clubs pratiquant ce sport, l’USFSA n’en réglemente que 400 alors que la FGSPF regroupe 450 associations sportives et la FCAF 150. Il faut toutefois rester très prudent sur ces chiffres qui outre qu’ils servent à alimenter une polémique institutionnelle, se fondent sur des informations partielles. Cf. L’Auto, 24 octobre 1908.
156 Les Jeunes, 19 décembre 1908.
157 Eisenberg C., Lanfranchi P., Mason T. et Wahl A., FIFA 1904-2004, op. cit., p. 62-63.
158 Les Jeunes, 19 décembre 1908.
159 Ce sont le Cercle Athlétique de Paris et le Red Star Athlétique Club, qui évoluent en première série de l’USFSA auxquels viennent s’ajouter l’Union Sportive Suisse, le Paris Star et la Société Athlétique de Meudon.
160 L’Écho des Sports, 15 septembre 1910.
161 Id., 22 septembre 1910.
162 Ligue de Paris Île-de-France de football, Ligue de Football Association, annuaire 1913-1914. Le stade du Red Star à Saint-Ouen accueille les cinq matchs internationaux organisés par la sélection de la LFA. Cette connivence s’explique par le poids des dirigeants du club audonien au bureau de la LFA mais aussi parce que le terrain de Saint-Ouen, par sa capacité d’accueil et sa bonne desserte, permet à la Ligue de faire les recettes les plus intéressantes. Sur les dix matchs organisés par la LFA entre le mois de novembre 1912 et celui de mai 1913, huit concernent des équipes étrangères.
163 Les Nouvelles des Deux Lacs, janvier et juin 1909.
164 Pages d’Auteuil, 5 novembre 1911.
165 Source : BnF Gallica.
166 La composition de la commission de football du Stade Français de 1910 atteste qu’une partie des dirigeants sont d’anciens joueurs du club. Si Robert Serin est le seul non-pratiquant dans la commission de 1910, ils sont trois l’année suivante et deviennent majoritaires en 1918.
167 L’Auto, 24 janvier 1911. Par exemple, le Club Athlétique du Sud, affilié dans les années 1900 à la FSAF, renaît de ses cendres en janvier 1911 « sous les auspices d’anciens membres et pratiquera exclusivement le football au stade d’Ivry dans le cadre de la Ligue de Football Association ».
168 PPP, bureau des associations, 5270 P, « Club Athlétique du XIVe arrondissement » et L’Auto, 3 octobre 1923. Le Club Athlétique du XIVe arrondissement, fondé en 1897, est réinvesti en 1920 « par une poignée de vieux joueurs bien décidés à le faire renaître de ses cendres » et désormais préoccupés par la formation des jeunes.
169 Sorez J., Footballs en Seine, op. cit., annexe 6.
170 Id., annexe 10.
171 Id., annexe 6.
172 Jules Rimet n’aurait été que footballeur de circonstance, pour combler défections d’équipiers. Cf. Guillain J.-Y., La Coupe du Monde de football, l’œuvre de Jules Rimet, Paris, Amphora, 1998, p. 21-27.
173 L’Auto, 6 avril 1931.
174 AN Fontainebleau, Légion d’Honneur, dossier 19800035/1090/25264.
175 Alors que le dirigeant emblématique du Red Star à l’USFSA était Charles Joly, ce sont Jules Rimet, Maurice Klons et Jean Richard, qui représentent le club audonien au comité de la LFA à partir des années 1910 et durant l’entre-deux-guerres. Au CA Paris, Henri Jacobi prend le relais de Marc Pacini.
176 Cf. Sorez J., Footballs en Seine, op. cit., annexe 28 « notices biographiques ». Elles nous montrent que le magistère de ces individus dans leur club est d’autant plus fort qu’ils occupent des positions institutionnelles importantes. Armand Pillaudin ou Patrice Thominet illustrent parfaitement ce propos.
177 Liste répertoriée dans l’annuaire de la LFA de 1913-1914. Les renseignements sur la profession de ces précurseurs nous est livrée par les dossiers de Légion d’honneur ou les dossiers d’associations dont ils sont dirigeants.
178 Informations compilées à partir des dossiers d’associations où les professions des dirigeants sont mentionnées régulièrement.
179 Pour accéder à notre base de donnée de joueurs, on se reportera au début du chapitre 6.
180 AD Val-de-Marne, 2955W 3 « Cercle Athlétique de Paris », rapport de l’inspecteur Gréniard au commissaire de police du quartier de Chaillot du 4 février 1921.
181 L’Écho Capiste, op. cit., décembre 1931.
Notes de fin
1 Archives de Paris, registres matricules d’inscription des élèves externes du collège Chaptal, D1T2 7 (1888-1891) et D1T2 8 (1891-1892). On se reportera également à notre annexe 2.
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