Paul Painlevé
|Chapitre IX. Au temps du Bloc national
Texte intégral
- 1 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 211-218.
- 2 Guieu J.-M., Le rameau et le glaive, op. cit., p. 46-48.
1Durant les deux années suivant la chute de son premier gouvernement, Painlevé se tient en retrait de la vie politique. Bien qu’il demeure député, il n’intervient plus au Parlement. Au printemps 1919, il ne participe pas à la tentative (avortée) de reconstruction de son parti1. Il se souvient des divisions de l’avant-guerre et refuse l’encadrement du groupe parlementaire auquel les militants républicains socialistes attachent tant d’importance. Seule la construction de la paix par le droit le fait sortir de sa réserve : en mai 1918, il figure à une réunion de propagande organisée par la Ligue des droits de l’Homme en faveur de l’organisation d’une Société des nations ; en novembre, il devient membre du conseil de l’Association française pour la Société des nations (AFSDN)2.
2Blessé par les coups portés en 1917, Painlevé ne renonce pas pour autant à poursuivre sa carrière politique. Les élections législatives de 1919 mettent fin à sa traversée du désert. Ses convictions demeurent intactes. Pendant la guerre, il avait lutté pour que le camp de la démocratie l’emportât. Une fois la paix revenue, conformément à ses déclarations comme président du Conseil, il entend donner un sens positif au sacrifice consenti par la nation. À ses yeux, reconstruction du pays doit rimer avec démocratie sociale. Pour assurer sa réélection, il choisit de s’ancrer au centre gauche puis, dans la Chambre bleu horizon (1919-1924), rejoint l’opposition. Il n’entend cependant pas se limiter à l’action parlementaire. Bien au contraire, durant la douzième législature, son ascension politique s’inscrit dans le champ politique extra parlementaire. Le chef de la Ligue de la République, porte-drapeau d’un programme d’alternance pour les élections législatives de 1924, s’impose comme l’un des principaux ténors de la gauche. À l’origine de cette réussite, la campagne de 1919.
Le député d’opposition
- 3 Lachapelle G., Élections législatives du 16 novembre 1919. Résultats officiels, Paris, Librairie d (...)
3En 1919, un nouveau mode de scrutin – le scrutin de liste avec application du système du quotient et double prime à la majorité absolue et relative – est mis en œuvre3. Tête de liste dans la Seine, et de ce fait plus particulièrement exposé, Painlevé est très attaqué à sa droite sur son bilan de ministre de la Guerre. Compte tenu de la vigueur de la polémique, la presse nationale réagit aux attaques de L’Action Française et commente abondamment les plaidoieries du savant. La médiatisation des débats dans la 3e circonscription de la Seine est également le fruit de l’inscription de Gustave Téry, patron de L’Œuvre, sur la liste de centre gauche conduite par Painlevé. Lors de cette première expérience de campagne médiatisée, comment Painlevé a-t-il articulé discours défensifs et offensifs, combats personnels et collectifs, enjeux locaux et nationaux ?
Une campagne médiatisée
4Painlevé se présente en notable d’envergure nationale. Le conflit a conduit à survaloriser l’action ministérielle au détriment de l’action parlementaire et le changement d’échelle de la circonscription rend dérisoire un bilan local axé sur le quartier de la Sorbonne – la 1re circonscription du 5e arrondissement dont il est député sortant fait désormais partie d’une vaste 3e circonscription de la Seine couvrant les 5e, 6e, 7e, 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements de Paris. De fait, plus l’échéance des élections législatives se rapproche, plus Painlevé communique sur son bilan de ministre de la Guerre.
- 4 JO, Chambre des députés, Débats parlementaires, séance du 10 octobre 1919, p. 4 953-4 959. La publi (...)
- 5 « La vérité sur l’offensive du 16 avril 1917 », La Renaissance politique, littéraire, économique, (...)
- 6 Dans le contexte de préparation des élections législatives de 1924, Painlevé publie, en novembre 1 (...)
- 7 Pour la campagne de la liste Painlevé, cf. les discours de Painlevé et les tracts conservés en AN (...)
- 8 L’Œuvre, numéro spécial novembre 1919.
5À partir de novembre 1918, il se fait par voie de presse l’avocat de sa propre cause. En octobre 1919, il réclame en séance publique de la Chambre la publication des comités secrets. Certes, il justifie sa demande au motif de la transparence dont les représentants de la nation sont redevables aux citoyens. Il est aussi évident qu’il espère personnellement en tirer bénéfice4. Les deux publications parues quelques jours après son intervention dans l’hémicycle, « La vérité sur l’offensive du 16 avril 1917 » et L’offensive du 16 avril. La légende et la vérité, lui permettent d’apporter, documents à l’appui, sa version des faits5. Dans ce qui s’avère un prologue à une stratégie de plus long terme6, le savant se présente en victime injustement accusée capable, à l’aide d’arguments rationnels, de prouver son innocence, et même ses vertus. Lors des réunions publiques préélectorales, il défend systématiquement son action de ministre et les tracts distribués dans la 3e circonscription de la Seine au cours de la première quinzaine du mois de novembre dressent un bilan flatteur7. Sur l’un d’entre eux, l’affirmation « Foch et Pétain nous ont donné la victoire » est suivie d’une série d’interrogations. Elles questionnent toutes sur l’identité de l’homme politique ayant conduit l’Hexagone à la victoire. « Qui a » précède systématiquement les propositions « nommé Foch et Pétain », « commandé 3 000 tanks », « obtenu l’envoi d’un million de soldats américains », « débarqué le roi Constantin et préparé l’effondrement du front allemand dans les Balkans », « obtenu pour la première fois du gouvernement anglais l’engagement ne pas faire la paix avant le retour à la France de l’Alsace-Lorraine », « sauvé le front italien après Caporetto », « fait de Foch le chef d’état-major interallié ». La même réponse, « Painlevé », scande inlassablement le document de propagande électorale. Les formules à l’emporte-pièce évoquent la façon de L’Œuvre dont le rédacteur en chef, inscrit sur la liste dirigée par Painlevé, est très impliqué dans la campagne. De fait, au même moment, L’Œuvre publie, sous la forme d’encarts, « C’est Foch et Pétain qui nous ont donné la Victoire. Qui a nommé Foch ? Painlevé ! Qui a nommé Pétain ? Painlevé ! », ou bien « C’est à Paul Painlevé ministre de la Guerre, que nous devons les tanks qui ont si puissamment contribué à la Victoire8. » Non seulement Painlevé semble avoir contribué, avant Clemenceau, à la victoire de la France, mais encore il renforce sa visibilité comme tête de liste. Son nom est l’objet de toutes les attentions, aussi bien dans la presse servant sa campagne que dans les titres généralistes. Les uns et les autres se font l’écho des joutes avec L’Action Française.
6Ce journal mène contre lui une active campagne de dénigrement. Jusqu’au début du mois d’octobre 1919, le savant était cité parmi d’autres personnalités jugées responsables de l’enlisement du conflit ou de trahison. Dès le lendemain de son intervention à la Chambre et jusqu’au scrutin, L’Action Française multiplie les articles qui lui sont exclusivement consacrés, souvent en une. Les titres sont éloquents : « Un blanchissage impossible. Painlevé essaie de laver Painlevé », « Comment fut retardée la victoire. L’arrêt de l’offensive Nivelle en avril 1917. Les lourdes responsabilités de Painlevé », « La responsabilité de Painlevé dans l’offensive Nivelle en 1917.
- 9 Publiés dans L’Action Française, les deux premiers titres, le 12 octobre 1919, les suivants les 14 (...)
- 10 Note datée du 13 novembre 1919, APPP, BA 1650.
7Si on avait laissé aller Nivelle le territoire pouvait être libéré seize mois plus tôt », « Le réquisitoire du commandant de Civrieux. Painlevé doit aller en Haute-cour », « Painlevé aux ordres de la trahison. Un motif de sa haine contre Nivelle9 »... Le contexte électoral propre à la 3e circonscription de la Seine – Léon Daudet y conduit également une liste – explique la vigueur de la polémique. Assurément aussi la solidarité des membres de la liste Painlevé : tous font front autour de leur leader. Dans la mesure où les attaques de L’Action Française l’enracinent dans son statut d’homme de gauche honni de l’extrême droite, elles semblent au final avoir plutôt servi sa cause10.
- 11 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, Paris, Presses de Sciences Po, 1980, p. 114-123 ; Ro (...)
- 12 Note de la préfecture de police de Paris, 28 août 1919 (BA 1650) et texte dactylographié d’un disc (...)
8Les enjeux électoraux dans la 3e circonscription de la Seine ne se résument pas à ces tensions. La liste de coalition dirigée par Painlevé a été constituée et fait campagne en fonction de stratégies partisanes nationales. L’adoption de la motion Bracke, par laquelle la SFIO a refusé toute alliance pour les élections législatives, a rendu impossible la constitution de listes type Bloc des gauches. Dès lors, lorsqu’ils ont publié en octobre leur programme d’« Union nationale d’action républicaine », les républicains socialistes – Painlevé figure parmi ceux qui ont négocié, puis signé le texte –, les radicaux et l’alliance républicaine démocratique ont affirmé leur volonté d’élaborer des listes allant de la gauche non socialiste à la droite modérée11. Suivant la configuration politique des circonscriptions, des listes de couleurs assez différentes ont été constituées, en fonction du candidat désigné pour être en tête, comme du nombre de sièges et de la place attribués à chaque composante. En raison de l’accord adopté début octobre 1919, la donne s’est encore compliquée dans la Seine : afin de faire barrage au bolchevisme, les républicains modérés, les socialistes nationaux et des formations nationales ou catholiques (l’Action française en est exclue), devaient former un « Bloc national républicain ». Dès le mois d’août, Painlevé avait annoncé qu’il mettrait en œuvre une liste de « Concentration républicaine » s’inscrivant sur la gauche du spectre défini par le Cartel républicain. Soutenu par le sénateur de la Seine Théodore Steeg, il demeure fidèle à cette formule, de manière, affirme-t-il, à préserver les chances des socialistes unifiés12. Dès lors, la liste de « Concentration républicaine » se trouve confrontée à une liste de Bloc national (qui prend ici le nom d’« Entente républicaine démocratique ») comprenant notamment des membres de la fédération républicaine, de l’alliance républicaine démocratique et des républicains démocrates, dont Marc Sangnier.
- 13 Tomei S., « Ferdinand Buisson (1841-1932). Protestantisme libéral, foi laïque et radical-socialism (...)
- 14 Cf. le portrait de Gustave Téry brossé par Gilles Le Béguec dans « Alle origine del concetto di cl (...)
9La liste de « Concentration Républicaine » dirigée par Painlevé est dite « incomplète » ; elle ne comprend que onze candidats alors que quatorze sièges sont à pourvoir. Trois républicains socialistes – la tête de liste, Paul Fleurot quatrième et Alcide Delmont huitième – en constituent l’aile gauche, et un républicain de gauche – Alfred Hirsch, en septième position seulement – l’aile droite. Elle comprend trois radicaux socialistes – Ferdinand Buisson second, Alfred Dominique sixième et Louis Ripault neuvième – et deux républicains radicaux – Paul Chautard troisième et Joseph Rivory dixième. Deux fameux universitaires portent donc les espoirs de la liste. Y figurent, en bonne place, de vieux camarades de Painlevé, comme lui hommes de gauche convaincus, tels Buisson13 et Dumont – qu’il côtoie de longue date au comité central de la Ligue des droits de l’Homme – ou Fleurot – vice-président du conseil municipal de Paris, qui avait permis son implantation dans le 5e arrondissement. Deux candidats sans étiquette politique assurent, l’un la représentation d’un groupe de pression incontournable, l’autre la médiatisation de la campagne. Comme toutes les listes constituées en 1919, la liste Painlevé s’honore d’accueillir un ancien combattant, Robert Billecard (cinquième candidat), Croix de guerre, membre du Comité d’entente des associations nationales d’anciens combattants. Le nom du directeur de L’Œuvre, quotidien radicalisant, nettement de gauche, la clôt. Gustave Téry n’appartient à aucun parti et est réputé pour faire preuve d’une grande liberté. Ce dreyfusard, autrefois socialiste convaincu, anticlérical passionné, qui se plaît à dénoncer les abus, les pressions, l’arrogance des gens en place, attaque les vices du système politique, mais ne remet pas en cause la démocratie, le parlementarisme ou l’utilité des partis14. Sa candidature renforce l’image d’indépendante à l’égard des grandes machines politiques. Elle assure aussi une forte visibilité et un outil de propagande de premier choix. L’Œuvre tire à 150 000 exemplaires et, bien que plus de la moitié des ventes soient réalisées hors de Paris, le quotidien sert exclusivement la campagne de la liste qu’elle mentionne le plus souvent sous le nom de « liste Painlevé ».
- 15 L’Œuvre, octobre-novembre 1919 et note, 13 novembre 1919, APPP, BA 1650.
10De fait, la candidature de la tête de liste est la plus valorisée par L’Œuvre. Le journal contribue largement à sa défense et multiplie les encarts vantant son rôle de ministre de la Guerre en 1917. Par ailleurs, les notices biographiques des candidats apparaissant dans l’ordre où ils sont inscrits, celle de Painlevé, beaucoup plus conséquente que les autres, s’impose toujours au préalable. L’ensemble de la liste bénéficie de cette association avec un grand patron de presse. Téry multiplie les éditoriaux en sa faveur, ouvre les colonnes du journal à sa propagande, annonce ses réunions publiques et en rend compte15. De fait, les candidats sont très actifs au cours du mois de novembre. Pour chacun des trente meetings auxquels assistent régulièrement plus de mille personnes, les équipes de propagandistes sont recomposées de manière à assurer la représentation des différentes tendances et la présence de l’une des personnalités en vue. La veille du scrutin, la grande réunion organisée au Cirque de Paris, présidée par Steeg, réunit l’ensemble de ses candidats. Ouverts aux contradicteurs, les débats sont parfois perturbés par des Camelots du Roy ou par des socialistes. Soulignant ce qui peut renforcer l’image d’une liste de gauche et s’abstenant de mentionner ce qui pourrait la ternir, L’Œuvre mentionne l’opposition des premiers, alors qu’elle omet de signaler celle des seconds.
11Lors de cette campagne, tant sa composition que l’opposition de l’extrême droite, le soutien de L’Œuvre ou du parti radical, situent la liste de « Concentration républicaine » indéniablement à gauche, dans la mouvance radicalisante. Mais, situation peu fréquente au niveau national, c’est un républicain socialiste qui dirige une coalition dans laquelle les radicaux ne sont pas les leaders. Replacée dans le contexte local, la configuration paraît moins surprenante : la forte notoriété de Painlevé, député sortant, se conjugue avec la faiblesse électorale des radicaux (en 1914, seuls trois radicaux avaient été élus députés, alors que cinquante-quatre sièges étaient à pourvoir dans la Seine). Plus encore que sa composition (figure malgré tout un républicain de gauche), c’est son programme qui permet de la classer dans la catégorie des « listes radicales ».
Un programme de centre gauche
- 16 « Concentration républicaine. Notre programme », L’Œuvre, numéro spécial novembre 1919 ; le même t (...)
12En 1919, Painlevé est confronté à une bataille électorale dont les conditions se révèlent très différentes de ce qu’il avait auparavant connu. L’identification entre le savant/candidat et la circonscription, très prégnante pour les précédentes luttes électorales dans le 5e arrondissement, quartier de la Sorbonne, n’a plus lieu d’être. Par ailleurs, comme la plupart des listes en 1919, celle conduite par Painlevé se préoccupe plus des questions nationales que des intérêts locaux. Néanmoins, si la liste Painlevé prend position sur la plupart des grands thèmes de la campagne, sa propagande est inégale. Les candidats mettent l’accent sur les thèmes jugés plus séduisants, ou répondant mieux aux enjeux de la lutte électorale dans la 3e circonscription de la Seine16.
13Les candidats de « Concentration Républicaine » se doivent de convaincre les électeurs d’abord sur la question sociale. Un an après la signature de l’armistice, les Parisiens affrontent encore dans leur vie quotidienne des difficultés importantes. Par ailleurs, la liste conduite par Painlevé se présente dans une zone où l’extrême gauche est fortement implantée et elle entre en concurrence avec deux listes socialistes. Pour « lutter contre la vie chère », ses candidats proposent des mesures censées répondre aux besoins des plus démunis : développement des coopératives, multiplication des restaurants populaires, transformation du régime douanier, réorganisation des transports, répression de la fraude et de la spéculation, chez le producteur comme chez les intermédiaires. La liste Painlevé demande également à l’état de lutter contre la hausse des loyers et contre la pénurie des logements, d’abord par la taxation des loyers, puis par la construction, grâce à la collaboration de l’état et des communes, de logements clairs et salubres, financièrement accessibles aux plus modestes.
14Lors des réunions publiques, les candidats mettent l’accent sur des mesures précises d’aide aux plus pauvres. L’Œuvre leur emboite le pas. Dans un éditorial, Gustave Téry s’engage :
- 17 17 novembre 1919.
« Nous sommes à l’heure où l’on s’efforce de ramasser sa pensée en formules simples et claires. Voulez-vous du charbon ? J’entends de tous côtés un immense et formidable : OUI ! Voulez-vous que la vie devienne plus chère ? De tous les côtés j’entends encore un immense et formidable : NON ! [...] Si vous voulez du charbon ne votez pas pour les candidats du gouvernement, c’est-à-dire pour le bloc enfariné qui s’intitule “bloc national” (au moment où le blé est si rare et si cher, il ne devrait pas être permis de faire un pareil gaspillage de farine.) Votez en bloc pour les listes de concentration républicaine composées de jeunes combattants et d’hommes nouveaux groupés autour de chefs éprouvés. [...] Votez pour toute la liste Painlevé17. »
- 18 Le Béguec G., « L’entrée au Palais Bourbon... », thèse citée, chap. 2 « L’esprit de 1919 » et plus (...)
15Dans le même numéro, L’Œuvre fait paraître un dessin dans lequel deux quidams d’apparence modeste, enfouis dans de vastes pardessus, chapeautés et fumant, postés devant les affiches électorales, prennent parti : « Moi, je vote contre la vie chère » ; « Alors, vote pour la liste Painlevé Téry ! » La réforme de l’État n’est mise en avant que dans le programme qui, tout en rejetant le dirigisme économique, prend parti pour un État régulateur efficace. L’État doit jouer un rôle essentiel dans la rationalisation de la production, non seulement en limitant la toute puissance de la grande industrie, mais encore en favorisant, en son sein, l’émergence de compétences susceptibles de porter le développement économique du pays. La régionalisation et la réforme administrative devraient permettre de lutter contre la bureaucratie. Discours à la mode, « esprit de 191918 », se conjuguent ici aux convictions profondes défendues par Painlevé depuis son entrée en politique.
16La liste Painlevé fait aussi siennes les revendications sociales des républicains socialistes. Elle affirme ainsi un réformisme différent de celui des socialistes puisque, contrairement à eux, il ne vise pas l’abolition du système capitaliste. La liste Painlevé défend le petit propriétaire – en particulier le petit commerçant qui constitue une grande partie de l’électorat – comme le salarié. Elle demande la justice fiscale et notamment un impôt équitable sur le chiffre d’affaires, ainsi que le développement du crédit à long terme. Elle appelle de ses vœux l’approfondissement du droit syndical, la substitution des contrats de travail collectifs aux contrats individuels, la participation obligatoire aux bénéfices et la généralisation des actions du travail, la fixation d’un salaire minimum pour les travailleurs à domicile, l’assimilation des maladies professionnelles aux accidents du travail et la création d’un régime unique de retraites reposant sur l’invalidité. Le programme réclame également une meilleure prise en charge des victimes de guerre. Il demande notamment la révision de la loi des pensions afin qu’elles soient basées sur le coût normal de la vie ; à blessure égale, pension égale revendique-t-il aussi. Pour financer l’ensemble de ces mesures, une réforme fiscale est proposée. Ici, pas plus que lors des réunions publiques, le terme d’impôt sur le capital n’est lancé. Mais il est question de mieux recouvrer l’impôt sur le revenu et d’envisager la « politique fiscale la plus hardie » qui permettra d’exiger « de la richesse acquise les contributions nécessaires ».
17Alors que Painlevé et Buisson font figure de laïques convaincus, la laïcité est pratiquement absente du discours électoral. À l’issue de la Grande Guerre, les catholiques se sont ralliés à la République et la lutte anticléricale n’occupe plus le devant de la scène. Le droit à l’éducation intégrale et gratuite, et ce à tous les degrés, est en revanche un cheval de bataille pour l’ensemble des candidats. Les deux universitaires interviennent systématiquement sur ce point lors des réunions publiques et, en outre, réclament l’école unique pour le primaire ainsi que le développement de l’enseignement technique.
- 19 Intervention de Ferdinand Buisson lors de la réunion publique du 6 novembre 1919, L’Œuvre, 7 novem (...)
18Le pacifisme affiché dans le programme comme dans les réunions publiques, contribue aussi à enraciner la liste à gauche. La réduction à un an au plus du service militaire et la Société des nations figurent au cœur du dispositif censé garantir la paix et mener, à terme, au désarmement intégral. Le bolchevisme et la réaction sont présentés comme deux menaces. Les candidats de la liste Painlevé, favorables à la révolution russe, en dénoncent les excès ultérieurs. Pour eux le gouvernement issu d’un « coup d’État despotique » « prend des mesures directement contraires aux principes mêmes qu’il déclare être les siens19 ». Néanmoins, ils condamnent l’intervention de la France aux côtés des généraux blancs. Alors que l’agitation révolutionnaire qui secoue l’Europe alimente une dénonciation d’un péril rouge en France, la liste Painlevé choisit le camp de ceux qui ne croient pas à un danger révolutionnaire dans l’Hexagone, mais à la construction d’une mythologie politique instrumentalisée dans le but de favoriser la victoire de la droite aux élections.
- 20 Ibid., 8 novembre 1919.
19Ainsi, Gustave Téry qui titre l’un de ces éditoriaux « Ne tremblez donc pas comme ça... » débute sa démonstration en citant Ferdinand Buisson : « Il y a quelque chose d’infiniment plus dangereux que le bolchevisme ; c’est la peur du bolchevisme20. » Le patron de L’Œuvre souligne le légalisme des socialistes unifiés : « Et qu’est ce qu’ils veulent présentement nos apprentis dictateurs ? Ils veulent tout bonnement voter pour les candidats de leur choix. Mais qu’ils votent donc ! Tant qu’ils s’en tiendront à déposer un bulletin dans l’urne, la République ne courra aucun risque. » De fait, pour la liste Painlevé, la SFIO de Léon Blum et de Joseph Paul-Boncour demeure sous la tutelle spirituelle de Jean Jaurès. Lors des meetings, la question, « Pourquoi la droite, toujours prête à dénoncer un danger révolutionnaire à gauche, ne stigmatise-t-elle pas le danger révolutionnaire qui subsiste à l’extrême droite ? », est souvent posée par les orateurs. Les convictions des candidats, la présence dans la 3e circonscription de la Seine d’une liste dirigée par Léon Daudet, les interventions des Camelots du Roy dans les meetings organisés par les candidats de « Concentration républicaine » expliquent les attaques répétées contre l’extrême droite. Gustave Téry en est le premier pourfendeur :
- 21 29 octobre 1919.
« Se poser en s’opposant à Daudet, ce n’est peut-être pas dire tout ce qu’on veut, mais c’est dire au moins, et très précisément, tout ce qu’on ne veut pas21. »
Le succès électoral
- 22 Roussellier R., Le Parlement de l’éloquence, op. cit., p. 37-43.
- 23 Bergougnioux A. et Grunberg G., Le long remords du pouvoir. Le parti socialiste français (1905-199 (...)
- 24 Berstein S., Histoire du parti radical, op. cit., p. 129.
20En 1914, dans les 1re et 2e circonscriptions des 5e au 7e et 13e au 16e arrondissements, la gauche était minoritaire avec seulement cinq sièges sur quatorze et, en son sein, les socialistes étaient leaders : quatre sièges leur revenaient, le cinquième était confié à Painlevé. En 1919, au niveau national et en termes de sièges, la gauche connaît un fort recul : quatre-vingts élus radicaux en 1919 contre cent soixante-quinze en 1914 ; soixante-douze sièges pour les socialistes en 1919 contre cent un en 191422. Elle effectue, ici, localement, une surprenante poussée. Malgré sa division en trois listes, huit sièges sur les quatorze à pourvoir lui échoient. Les socialistes unifiés en conservent trois et, si deux sont perdus, leur résultat est moins catastrophique que dans d’autres circonscriptions de la Seine où ils étaient pourtant fortement et anciennement implantés23. Les socialistes dissidents, qui peuvent s’enorgueillir de trois sièges alors qu’avant guerre ils n’avaient pas d’élu, font figure de grands vainqueurs du scrutin. La liste Painlevé, qui récolte deux sièges, réalise un score très honorable alors qu’au niveau national les résultats des républicains socialistes comme des radicaux sont décevants. De fait, parmi les vingt-quatre députés républicains socialistes encore présents au moment de l’élection, dix-neuf se représentaient, mais douze seulement ont été réélus. Par ailleurs, alors que les radicaux souffrent dans la Seine d’une faiblesse structurelle24, un candidat radical est élu dans la 3e circonscription, sur un terrain où le parti valoisien n’avait pas d’élu à la Chambre. Comment la liste Painlevé a-t-elle contribué à ce succès d’une gauche divisée au cours d’un scrutin donnant une prime à la plus forte moyenne, et donc au rassemblement ?
21La liste Painlevé a mis à profit deux failles du nouveau système électoral. C’est une liste « incomplète » or, moins il y a de noms sur une liste, plus les électeurs qui la choisissent ont tendance à voter pour l’ensemble des candidats et plus sa moyenne est potentiellement forte. Par ailleurs, si les trois candidats dissidents et ceux de la liste Painlevé ont fait campagne séparément, si chaque liste a présenté son programme et organisé ses réunions publiques, le jour de l’élection, outre les deux listes de onze et de trois candidats, des listes comportant quatorze noms ont été placées sur les tables des sections de vote. Comme dans d’autres départements, les listes ont été élaborées pour pouvoir être juxtaposées. La première fois qu’est publiée dans L’Œuvre celle conduite par Painlevé, le journal mentionne :
- 25 L’Œuvre, 29 octobre 1919.
« C’est à dessein que la concentration républicaine, s’inspirant de la doctrine proportionnaliste a limité à onze le nombre de ses candidats, afin de laisser une part de représentation aux socialistes qui ont répudié toute solidarité avec le bolchevisme. MM. Levasseur, Aubriot, députés sortants, et un troisième socialiste dissident formeront une liste spéciale qui complètera celle de M. Painlevé25. »
- 26 Note datée du 10 novembre 1919, APPP, BA 1650.
22Par la suite, l’idée d’une juxtaposition est encouragée et, peu de temps avant l’élection, une circulaire signée par les candidats des deux listes appelle les électeurs à utiliser les bulletins où figurent leurs quatorze noms. Le choix de présenter des listes distinctes est motivé par des considérations politiques ; il est aussi conçu comme un moyen d’exploiter au mieux le nouveau scrutin. Les socialistes dissidents disent présenter leur propre liste pour ne pas rompre définitivement avec la SFIO dont ils affirment conserver le programme. L’association des députés sortant du 5e arrondissement (Painlevé) et du 15e (Arthur Levasseur et Paul Aubriot) peut, dans le cadre du nouveau découpage de la circonscription, permettre de capter le vote des électeurs de l’un au profit de l’autre. Enfin, le mathématicien Painlevé ne peut ignorer les effets purement mathématiques de la juxtaposition de deux listes incomplètes, « secret de la dernière heure26 », que les membres de la liste de « Concentration Républicaine » refusent de dévoiler, y compris à leur comité de soutien.
23Que les électeurs aient accepté la tactique proposée n’est pas surprenant. À cette époque, le citoyen n’est pas attaché à une division stricte de la vie politique en partis. Il lui importe plus de choisir des personnalités et souvent, spontanément, le votant panache les listes. De fait, nombre d’électeurs de la 3e circonscription de la Seine ont utilisé les bulletins où les listes étaient juxtaposées. Ils ont ainsi permis aux deux listes de bénéficier d’un effet de coalition. Si ces mêmes électeurs avaient déposé le bulletin de l’une ou l’autre liste, ils n’auraient accru la moyenne que de l’une ou de l’autre. En déposant une liste juxtaposée, ils ont accru la moyenne des deux listes, surtout si, adhérant à la tactique, ils n’ont pas rayé de nom. Les listes étant officiellement distinctes, le nombre de députés élus a été calculé séparément en fonction de la moyenne de chacune des deux listes. Au lieu de jouer une fois, le quotient a joué deux fois. Si une seule liste complète avait été présentée, elle n’aurait obtenu que deux députés au lieu de cinq. Et, au vu des résultats, ni Painlevé ni Buisson n’auraient été élus, mais plutôt les députés socialistes dissidents qui ont, de fait, capté le plus grand nombre de suffrages. Par conséquent, le double effet liste incomplète et juxtaposition des listes a été payant pour les socialistes dissidents – trois élus au lieu de deux – et miraculeux pour la liste Painlevé – deux élus au lieu d’aucun. Certes, la tactique adoptée a provoqué de violentes critiques et le dépôt d’une plainte. La commission de recensement a refusé de proclamer élus les cinq candidats des listes juxtaposées. Mais, à l’issue de plusieurs semaines ponctuées par des échanges de courriers et la rédaction d’un mémoire sur les opérations électorales du 3e secteur parisien, l’élection est validée par la Chambre.
24Non seulement l’avenir politique de Painlevé dans l’immédiat après-guerre est assuré, mais encore sa réélection prend la forme d’une réhabilitation. En étant à la tête d’une liste de « Concentration républicaine », dont il se présente comme l’aile gauche, il s’enracine comme un homme de gauche proche des radicaux. La tactique de juxtaposition des listes lui a en outre permis de manifester son esprit d’ouverture vers le socialisme.
L’opposition parlementaire
- 27 Bastid-Brugière M., « Le voyage en Chine de Paul Painlevé en 1920 », in Fontanon C. et Frank R. (d (...)
- 28 21 septembre 1920.
25Débuté peu de temps après sa réélection, un voyage en Chine de plusieurs mois permet à Painlevé d’entretenir l’intérêt médiatique suscité depuis l’automne 191927. Contacté en mai 1919 pour devenir conseiller technique du ministère chinois des Communications en matière d’unification de l’exploitation des chemins de fer, Painlevé, accompagné d’Émile Borel, de Joseph Nadal (ingénieur des mines), de Louis Germain-Martin (professeur à la faculté de droit) et de l’écrivain Abel Bonnard, quitte l’Hexagone en mai 1920. Le voyage, prévu pour durer six mois, est censé favoriser plus généralement la coopération économique et intellectuelle entre la France et la Chine. Les contacts avec le gouvernement chinois ont finalement été limités à quelques banquets et, à Pékin comme à Shanghai, Painlevé consacre la plus grande partie de son temps à la colonie française. Il réussit néanmoins à mettre cette expédition au service de son prestige national. Painlevé envoie des dépêches à l’agence Havas, multiplie déclarations, interviews et conférences de presse déjà avant son départ, puis au cours de l’étape américaine de son périple – il rencontre le secrétaire d’État Colby et le secrétaire à la Guerre, Baker, revoit le général Pershing – et enfin pendant sa mission. Le voyage se clôt en apothéose. Le vol pionnier et aventureux qu’il réalise entre Hong Kong et Haiphong – un raid de 1 000 kilomètres en hydroplaneur – fait la une de certains journaux : « M. Painlevé vole au Tonkin » titre ainsi Le Petit Limousin28.
- 29 Archives nationales, commission de l’Armée C 14642, 14643 et 14644 ; commission des Affaires étran (...)
- 30 Naquet E., « La Ligue des Droits de l’Homme... », thèse citée, p. 577.
26Avant cette parenthèse asiatique, le député de la Seine s’était réinscrit au groupe des républicains socialistes – comptant désormais vingt-six députés. Il le représente au sein des commissions parlementaires, dont le renouvellement est désormais annuel. Membre de la commission de l’Armée, de la commission de l’Enseignement et des Beaux-Arts en 1920, il fait partie, en 1921 et en 1922, de la commission de la Marine militaire et, jusqu’en 1923, de la commission des Affaires étrangères29. Conformément à son engagement au sein de la Ligue des droits de l’Homme, il est également, à partir de 1921, vice-président du groupe parlementaire ressuscité par cette organisation30.
27Contrairement aux socialistes puis aux communistes, Painlevé n’est pas à la Chambre un opposant systématique aux gouvernements issus de la majorité. En 1920, il vote à trois reprises la confiance au cabinet Millerand. En janvier 1921, il vote la confiance lors de l’investiture du gouvernement Briand, puis jusqu’en novembre 1921 – notamment en mars 1921 après l’occupation des trois villes de la Ruhr. Il s’oppose à la confiance après le débat de politique financière, puis la lui accorde à nouveau sur l’affaire de la Banque industrielle de Chine. Fort de la qualité d’expert des questions chinoises qu’on lui prête désormais, il prononce un long discours destiné à convaincre les députés de soutenir la politique de l’équipe Briand. Son intervention contribue à « sauver » le cabinet. En janvier 1922, il s’abstient lors du vote d’investiture du cabinet Poincaré, puis il se rallie au gouvernement lors des nombreux votes de confiance portant, en 1922 et en 1923, essentiellement sur la politique extérieure. En janvier 1924, il s’abstient lors du dernier vote sur les orientations diplomatiques du gouvernement Poincaré. Painlevé a également voté en faveur d’un certain nombre de mesures voulues par cette majorité ou contre des mesures qui auraient pu mettre en difficulté l’exécutif : en avril 1920, il vote pour l’ensemble du projet fiscal soutenu par le cabinet Millerand ; en février, mars et mai 1923, pour l’ajournement des interpellations de politique extérieure ; en mai, pour les crédits d’occupation de la Ruhr.
- 31 Roussellier N., Le Parlement de l’éloquence, op. cit., p. 132-134.
28Pour autant, comme de nombreux autres parlementaires du pôle radical (radicaux-socialistes et républicains socialistes), il est de ceux qui s’associent régulièrement à l’opposition, marginale mais structurelle, constituée par l’extrême gauche. Quel est le sens des votes de celui qui, lors des élections législatives de 1919, s’est comporté en pourfendeur de la future majorité de Bloc national ? L’enjeu des votes d’investiture ou de confiance dépasse à la fois la simple question de la confiance au gouvernement et, souvent, celle du débat qui fait l’objet de la question, encore plus à une époque où l’Union sacrée, à bien des égards, se prolonge. De fait, dans l’ensemble des groupes parlementaires, même à gauche (à l’exception des socialistes et des communistes), bon nombre de scrutins, tout particulièrement les scrutins de politique extérieure, donnent lieu à des manifestations de concorde nationale. Son vote n’exprime alors pas un soutien direct à tel ou tel gouvernement, mais son ralliement patriotique au cabinet qui représente la France. Au-delà, comme beaucoup de ses pairs sous la IIIe République, Painlevé se rallie à des hommes capables de rassembler des tendances parlementaires très diverses, pour constituer, suivant la formule du « transformisme31 », une majorité capable de désigner et de soutenir un gouvernement.
29Comment manifeste-t-il néanmoins son opposition au Bloc national ? Les groupes du pôle radical, qui n’observent que rarement une discipline de vote, se divisent régulièrement quand une partie d’entre eux rejoint, ponctuellement, l’opposition structurelle constituée par l’extrême gauche. Parce qu’il est enclin, dès le début de la législature, à se joindre à cette dernière, Painlevé appartient précocement et systématiquement à l’aile gauche des républicains socialistes. Cette faculté à rallier l’opposition est à corréler avec des prises de position sans ambiguïté dans les débats où sont en jeu les valeurs permettant de distinguer clairement la droite de la gauche, notamment la défense de la laïcité, les questions de politique économique et fiscale ou la réforme de l’enseignement. Le vote final sur un projet ou une proposition de loi soutenus par le gouvernement n’est que l’une des étapes de la fabrication de la loi ; il ne s’avère pas nécessairement le plus identitaire pour situer un parlementaire dans ou hors de la majorité. C’est plutôt l’adhésion à toutes les étapes de discussion des projets soutenus par le gouvernement qui joue ce rôle. Lorsqu’un député veut faire obstacle au gouvernement, il peut aussi s’exprimer à l’occasion des votes intermédiaires, formuler une opposition en commission ou lors des discussions techniques, soutenir des amendements issus de l’opposition.
- 32 Séances des 15 et 16 mars 1923 discussion sur l’ancien séminaire Saint-Sulpice, 27 mars 1923 proje (...)
- 33 Ibid., 18 février 1924, p. 784-791.
30Or, dès février 1920, au cours du scrutin qui consacre la renaissance d’une opposition de gauche, Painlevé est l’un des cent vingt-neuf députés votant l’ordre du jour déposé par le groupe socialiste au sujet de la « crise du charbon ». En avril, il vote pour le contre-projet socialiste de Vincent Auriol en matière fiscale. En novembre, à la suite du premier long débat politique de la législature, il vote contre le projet de rétablissement des relations diplomatiques avec le Vatican. Jusqu’à la fin de la période du Bloc, dans les autres scrutins où la laïcité est en jeu, il donne sa voix aux projets visant à la défendre, mais la refuse à ceux qui sont susceptibles de la remettre en cause. Au sein de la commission des Affaires étrangères, c’est également la défense d’une stricte laïcité qui fait l’objet de ses rares interventions32. En décembre 1920, à l’occasion du débat sur le nouveau régime des chemins de fer, il vote pour la prise en considération du contre-projet socialiste de Léon Blum, puis pour l’amendement Loucheur, auquel, contre la majorité gouvernementale, une large opposition incluant socialistes et radicaux se rallie. En avril 1921, il se montre, avec le reste de la gauche, favorable à l’amnistie des cheminots, des déserteurs et des mutins de la Mer Noire, tout comme en juillet 1922, puis en mai 1923. En novembre 1921, avec l’extrême gauche, une bonne partie des républicains socialistes et des radicaux, il refuse la confiance au gouvernement Briand sur le débat de politique financière. En mars 1922, sous le ministère Poincaré, dans le cadre du débat de réorganisation de l’armée, il vote avec l’extrême gauche et une partie du pôle radical, en faveur de la prise en considération du contre-projet socialiste de Joseph Paul-Boncour. En janvier 1923, avec les communistes, les socialistes et deux-tiers des radicaux, il vote contre la demande de levée de l’immunité parlementaire de Marcel Cachin. En mars 1923, il vote avec l’ensemble de la gauche contre la proposition Cautru de réforme électorale. Ce même mois, il appartient à l’opposition qui se regroupe à l’occasion de trois votes sur les questions budgétaires. Il vote en faveur de la prise en considération d’un amendement socialiste présenté par Vincent Auriol, puis contre l’amendement Brousse qui rejetait le double-décime, enfin contre l’ensemble du projet de loi fiscale. Lors du scrutin du 15 juin 1923, alors que pour la première fois est posée la question de l’appartenance à la majorité sans que les questions de politique extérieure ne risquent d’interférer sur le résultat du scrutin, Painlevé, comme la moitié des députés républicains socialistes, comme 70 % des radicaux et 100 % des socialistes et des communistes, vote contre l’ordre du jour de confiance. Ce vote-là prend la forme d’une véritable prise de position pré-électorale. En février 1924, il rejoint l’opposition rejetant la plupart des mesures fiscales prévues par Poincaré dans son plan de redressement monétaire et financier ; il défend à la tribune un projet d’amendement déposé avec un groupe de députés républicains socialistes, socialistes français et radicaux pour proposer un emprunt forcé sur les dommages de guerre déjà payés33.
- 34 JO, Chambre des députés, Débats parlementaires, 8 juin 1923, p. 2 426.
31Enfin, Painlevé, qui est peu intervenu dans les grands débats politiques de la législature jusqu’en 1923, prend alors position sur la réforme de l’enseignement secondaire (réintroduction des langues anciennes obligatoires dès la classe de 6e) voulue par le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard. En juin 1923, dans un long discours contre la réforme, il trouve l’occasion d’affirmer à la tribune de la Chambre son opposition au gouvernement. Il la présente comme « une mesure rétrograde ». Elle « inaugure une sorte de malthusianisme et de protectionnisme intellectuels, une éducation de caste » qui met « les enfants des classes aisées à l’abri des concurrents redoutables, issus des classes populaires ». Elle constitue « un obstacle au recrutement dans toute la masse du pays, des intelligences souveraines34 ». Painlevé est ovationné par la gauche et l’extrême gauche.
32Prêt à soutenir des gouvernements de Bloc national lors des votes de concorde nationale, Painlevé est néanmoins de ceux qui, au sein du pôle radical, s’opposent aussi précocement et avec une grande régularité aux projets gouvernementaux. Son attitude plutôt discrète jusqu’en 1923 (peu d’interventions en séance publique, présence exceptionnelle aux réunions des commissions parlementaires, même quand il y a audition d’un membre du gouvernement) montre qu’il ne cherche pas à être leader de cette opposition parlementaire. Au même moment, il tente pourtant au sein de la Ligue de la République de construire une alternative à la politique mise en œuvre par la majorité issue des élections de 1919. Ses engagements sont donc particulièrement révélateurs du décalage existant entre les conjonctures parlementaire et extra-parlementaire.
Le chef de la Ligue de la République
- 35 Le Béguec G., « La Ligue de la République (1921-1924) », Modern and contemporary France, no 39, oc (...)
33Pour que soit désignée en 1924 une Chambre proposant une alternative à la politique menée en France depuis 1919, une partie de la gauche, parmi laquelle Painlevé, jugeant improbable une modification du mode de scrutin, estime son union indispensable. Le député de la Seine est ainsi à l’origine de la création de la Ligue de la République35 qui vise à fédérer les énergies et à organiser, au niveau national, une campagne pour convaincre les différentes organisations et les électeurs des partis de gauche de la nécessité de l’union. Elle se heurte rapidement à de nombreux obstacles inhérents à la difficulté de clarifier l’objectif de son action, alors même que la gauche française, en pleine restructuration, ne s’accorde pas sur la stratégie à adopter pour les élections législatives de 1924. L’action de Painlevé à la tête de la Ligue constitue par conséquent un combat dont l’issue demeure, pendant de longs mois, très incertaine, d’abord quant à l’adhésion des représentants de la gauche à la stratégie soutenue par la Ligue, puis quant au succès de cette stratégie à l’issue des élections. Sont ici étudiés, pour la période 1921-1924, à la fois des enjeux en matière de trajectoire individuelle – l’investissement de Painlevé dans le champ extra-parlementaire – mais aussi en termes de parcours collectifs – la mise en œuvre de stratégies au sein des organisations de gauche.
Fédérer autour d’un programme
34Le 16 octobre 1921, Painlevé est invité à présider, à Avignon, un grand banquet organisé par les « républicains » du Vaucluse. À la table d’honneur, sont également présents les radicaux Tissier et Serre sénateurs, Daladier et Guichard députés, des conseillers généraux du Vaucluse et les membres de « comités républicains ». À l’issue du repas, Painlevé prononce un long discours ayant pour objet de tracer les grandes lignes d’un programme pour le « parti républicain ».
- 36 Sur les militants français du pacifisme genevois dans la première moitié du XXe siècle, Guieu J.-M (...)
35Dès octobre 1919, le discours d’Avignon – édité sous forme de brochure par la Ligue de la République – et le programme de la Ligue – publié par certains titres comme L’Œuvre ou L’ère Nouvelle – ont précisé les contours du parti républicain que la Ligue et son chef se proposaient de fédérer. Les deux textes proclament un acte de foi dans la SDN. Ils réclament un abandon de souveraineté des États et la constitution d’une force internationale pour faire respecter ses décisions et celles de la cour de justice. Ils sont favorables à une réduction des charges militaires au strict minimum. Les réparations, à la fois sanction morale et moyen de reconstruire les régions dévastées, doivent être payées par l’Allemagne en fonction de ses possibilités financières. Le pacifisme donne lieu à un consensus au sein de la Ligue et la rapproche d’organisations comme La paix par le droit ou de l’Association française pour la Société des nations (AFSDN). Plusieurs membres fondateurs de la Ligue, notamment Alphonse Aulard, Émile Borel, Célestin Bouglé, Jean Hennessy, Jules Prudhommeaux ou Georges Scelle, militent d’ailleurs aussi ardemment au sein de ces associations qui défendent le pacifisme juridique36.
- 37 no 115, 29 octobre 1921.
36En matière sociale et économique, le programme de la Ligue de la République fait en revanche figure de programme minimum. La Ligue s’affiche comme un défenseur de la laïcité et envisage une réforme du système éducatif (obligation scolaire effective, culture générale ouverte à tous, développement de l’instruction technique, unification de l’enseignement du premier degré et droits égaux à l’enseignement secondaire et supérieur). Elle demande une surveillance des trusts et consortiums qui se sont développés pendant la guerre et réclame un rapide retour au libre-échange. Elle réclame une augmentation et une amélioration de la production. Afin de rééquilibrer le budget national, la Ligue attend la réduction des dépenses (notamment des dépenses militaires) et la répartition équitable et directe de l’impôt. Elle aspire à de nouveaux rapports dans le monde du travail avec l’extension du droit syndical, l’institution de contrats collectifs, la participation à la gestion et aux bénéfices des entreprises, le développement des coopératives et la formation d’assurances nationales contre tous les risques de la vie ouvrière. Le programme demande aussi l’organisation d’une représentation directe et constitutionnelle de la production et de la consommation. Sur certains points, le discours d’Avignon comme le programme de la Ligue sont en retrait des engagements économiques et sociaux républicains socialistes. Il n’est ainsi pas question d’actions de travail. Pour ceux qui se situent à gauche de cette famille, ce programme une fois encore radicalisant ne peut que paraître bien timide. Dans un article publié dans Le Progrès Civique, Painlevé reconnaît que « Le programme économique sera plus discuté. D’aucuns, même parmi les ligueurs les plus déterminés, le trouveront sans doute timide et insuffisamment précis ». Mais ajoute-t-il « Ceux qui l’ont rédigé répondront qu’il s’agit d’un programme minimum37 ».
- 38 Dubasque F., Jean Hennessy, op. cit., p. 79-110.
37En matière politique, le programme estime qu’« appeler chaque citoyen [...] à la gestion des affaires publiques... » est un principe fondamental applicable à toutes réformes. Il réclame l’abandon du mode de scrutin adopté en 1919 et l’adoption d’un scrutin à deux tours, un véritable scrutin de liste devant être mis en œuvre pour le premier tour. Il prend aussi parti en faveur du vote des femmes, « en premier lieu dans les élections municipales ». En matière de réforme de l’État, le discours d’Avignon comme le programme de la Ligue réclament une réforme de l’administration. Ils aspirent à rationaliser son fonctionnement (« industrialisation effective et rapide des services publics ; la responsabilité effective des administrateurs de tout ordre »). Le programme complète en insistant sur le respect des droits des citoyens par l’administration qu’il voudrait voir fonctionner de manière moins opaque. Il suggère également l’élargissement du recrutement et l’extension des attributions du Conseil d’État afin d’assurer « une sauvegarde plus étendue des droits des citoyens ». Le programme demande par ailleurs d’accorder plus d’autonomie aux échelons locaux, notamment aux communes, et réclame le régionalisme. L’influence de Jean Hennessy, membre fondateur de la Ligue, et de son réseau « régionaliste » est sans doute à l’origine de cet engagement38.
38Le programme de la Ligue définit bien des contours politiques et exclut la droite non modérée comme les communistes. Alors que dans les faits la Ligue s’adresse aux « républicains de gauche », autrement dit à la nébuleuse radicalisante et à ceux qui, à sa gauche ou au centre droit, s’en sentent proches, ni Painlevé ni les autres leaders n’emploient ce terme. Tout au plus dans le discours d’Avignon Painlevé prend-il parti en faveur d’une politique plus à gauche :
« Est-ce l’esprit conservateur ou l’esprit démocratique qui doit l’emporter ? En un mot, faut-il pencher à droite ou pencher à gauche ? Moi je pense et je dis qu’il faut pencher à gauche. »
39Ni le discours d’Avignon ni le programme de la Ligue ne se réfèrent par ailleurs aux partis. La Ligue peut ainsi espérer rallier l’adhésion individuelle de militants dont les organisations n’ont, pour l’heure, que peu de chance de soutenir l’initiative. En s’adressant aux « républicains » plutôt qu’aux « républicains de gauche », elle reste ouverte à ceux qui au centre droit sont susceptibles de s’y joindre. Il n’en reste pas moins que la Ligue de la République s’approprie le terme « républicain » comme si les seuls républicains de France étaient ceux qui étaient susceptibles d’adhérer à son programme, excluant les autres, l’extrême gauche et la droite, du camp républicain. La presse n’est pas dupe et se charge d’éclairer le débat. Le Temps, comme les journaux favorables à la Ligue, L’Œuvre et L’Ère Nouvelle, utilisent, pour présenter l’initiative, le terme « républicains de gauche ». Le Temps souhaite, de manière impartiale, se conformer à la réalité. L’Œuvre ou L’Ère Nouvelle servent ainsi leur combat en faveur de l’Union de la gauche.
- 39 Sanson R., L’Alliance républicaine démocratique, op. cit., p. 449-495.
40Est-il pour autant possible de rassembler au sein de la Ligue tous ceux qui se considèrent comme des républicains de gauche ? Si l’organisation a fait silence sur les questions des monopoles d’État, de la collectivisation de certains secteurs de l’économie et qu’elle n’est pas claire sur celle de l’imposition c’est sans doute parce qu’il y aurait eu là des points de désaccord entre, à gauche, les socialistes, et à droite des modérés, même parmi ceux qui se situent à gauche de l’alliance républicaine démocratique, notamment les républicains de gauche39. Le programme de la Ligue a toutes les chances de paraître trop peu ambitieux en matière économique et sociale pour motiver le parti socialiste à renoncer, dans l’immédiat, à son isolement. Même Joseph Paul-Boncour, plutôt favorable à sa création, souligne immédiatement les limites de son programme en la matière :
- 40 L’ère Nouvelle, 21 octobre 1921.
« Les déclarations concernant la politique extérieure notamment sont de tout point excellentes. [...] Je regrette que certaines déclarations de politique intérieure le soient un peu moins. [...] Qu’est ce que “la répartition équitable et directe de l’impôt ?” Cela s’appelle impôt sur le capital, impôt sur le revenu enfin appliqué, monopoles. Il faut préciser40. »
41Le centre droit peut-il de son côté se satisfaire du flou sur des questions qui marquent sa différence – refus des monopoles, y compris ceux qui relèvent de l’État, rejet de toute forme de collectivisme ? Le projet de la Ligue d’unir dans un même groupement des républicains partant des socialistes et allant jusqu’aux républicains de gauche, voire un peu au-delà, est-il viable ? En 1921, cela semble très improbable, compte tenu des surenchères que subissent à leur gauche les socialistes depuis le Congrès de Tours et de l’intransigeance que les alliancistes ont toujours manifestée à l’encontre des socialistes. Il est donc prévisible que la Ligue de la République soit appelée à choisir entre s’affirmer comme un groupement nettement de gauche auquel les socialistes puissent se rallier, ou devenir une formation du centre sans les socialistes mais avec les modérés.
Rassembler au sein d’une ligue
- 41 Pour les prémisses du parti républicain, cf. Weill G., Histoire du parti républicain en France de (...)
- 42 La forme ligueuse a déjà séduit la gauche française. Sur les expériences de Ligues des droits de l (...)
42Tant par son appropriation du terme républicain que par la forme d’association qu’elle prétend être, la Ligue manifeste la volonté de réactualiser le rassemblement du parti républicain dans une structure fédératrice, comme Gambetta en son temps l’avait souhaité41. Le parti républicain s’incarne toujours dans une multitude de structures : groupes parlementaires, mais aussi associations extra-parlementaires représentées sur tout le territoire national42 (la Ligue des droits de l’Homme ou celle de l’enseignement, les loges maçonniques) ou au niveau local (divers comités, unions ou cercles républicains), ainsi que par la voix d’une presse de diffusion nationale ou locale. Cette fois encore, ce sont de grands chefs qui s’efforcent de rassembler autour d’eux des tendances dispersées, dans la perspective d’élections et alors que le régime semble menacé.
- 43 Painlevé in Le Progrès civique, no 115, 29 octobre 1921.
43Le parti, qui subsisterait dans la continuité d’une tradition et qui préexisterait à la création de la structure ligueuse, évoque, selon la formule du XIXe siècle, une grande famille politique. Ladite famille incarnerait la quintessence de l’esprit républicain. Ses limites transcenderaient les formations proprement partisanes. D’ailleurs, dès la création de la Ligue, Painlevé se défend de vouloir instituer un « superparti », « une superorganisation dominant, régentant ou supplantant les autres organisations ou comités républicains43 ». Il n’est pas question pour la Ligue de présenter des candidats aux élections et elle est conçue comme une organisation moins contraignante et plus ouverte qu’un parti politique. La Ligue de la République veut être une association à but politique accueillant des personnalités ayant un rapport varié à la structure partisane. Certains membres n’adhérent pas à un parti, d’autres revendiquent au contraire ce type d’appartenance. L’adhésion à la Ligue n’implique donc pas le renoncement à un engagement partisan, à condition qu’il ne soit pas contradictoire avec son programme.
- 44 Ibid.
« Elle [la Ligue de la République] n’aspire qu’à devenir un lien naturel et vivant entre toutes les organisations de gauche sans poursuivre d’autres récompenses que de servir, comme son titre l’indique La République tout court. [...] Ce qu’il faut obtenir, c’est que des Républicains, que séparent souvent des nuances, des susceptibilités, des étiquettes, plus que des doctrines contraires, prennent l’habitude de discuter ensemble amicalement, dans une même salle, de confronter leurs idées loyalement, sans aucun souci des questions de personnes, dans une atmosphère sereine de désintéressement et non dans la fébrilité d’une période électorale44. »
- 45 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », in Andrieu C. et al. (dir (...)
44Le rapport de la Ligue de la République à la forme partisane est donc caractéristique de celui des associations politiques porteuses d’un projet global de société45.
- 46 Cf. leur annonce dans L’Œuvre, L’ère Nouvelle et Le Quotidien, ainsi que les documents de convocat (...)
- 47 Une première liste de membres est publiée par L’Œuvre dès le 20 octobre 1921, une autre plus compl (...)
- 48 Il n’existe pas de collection complète du Bulletin de la Ligue de la République paru à partir de d (...)
45La volonté de donner corps au parti républicain au sein de la Ligue de la République ne doit pourtant pas apparaître comme un simple rejeu de l’histoire. Certes, l’initiative est profondément ancrée dans une tradition, mais elle l’adapte aux conditions nouvelles de l’association en politique. La Ligue de la République tente de pérenniser le parti républicain dans une structure très organisée, tout au moins au niveau national. Pour adhérer, il faut accepter le programme et verser une cotisation. Les adhésions peuvent être soit individuelles, soit collectives (par exemple des groupements du type section de parti). Outre les cotisations des membres, la Ligue a comme ressources les souscriptions proposées lors de banquets. Les adhérents sont représentés par une organisation permanente dont le siège se trouve à Paris. Les instances dirigeantes, nommées pour trois ans, se réunissent régulièrement46. Elles comprennent un conseil central de 150 membres47 et un bureau constitué d’un président d’honneur (Painlevé), un secrétaire général (Pierre-René Chavagnes), deux secrétaires adjoints, un commissaire aux comptes et des délégués près des quinze commissions spécialisées. Au bout d’une année de fonctionnement, la Ligue fait paraître un Bulletin, mensuel, qui lui permet d’informer ses adhérents de la vie de l’association48.
- 49 Note de la préfecture de police, 29 octobre 1923 (BA 1650, dossier Painlevé). Cette note reprend l (...)
- 50 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 371 et Berstein S., Histoire du (...)
- 51 L’Œuvre, 28 novembre 1922.
- 52 Chiffres de fréquentation transmis par la presse concordant avec ceux cités dans les Archives de l (...)
46L’augmentation des effectifs permet l’accroissement du nombre de sections locales : 15 000 adhérents en 1922 groupés en 56 sections, près de 30 000 membres groupés en 132 sections en 192349. À titre de comparaison, le parti républicain socialiste, au moment du Cartel des gauches, ne compte pas plus de 7 à 8 000 adhérents et le parti radical, à la fin des années 1920, entre 70 000 et 100 000 adhérents50. La première fédération de la Ligue, celle de l’Yonne, est constituée à l’automne 192251. Certaines sections ont bel et bien été actives, notamment en raison de l’implication de personnalités fortes, tels Raoul Brandon en région parisienne ou Yvon Delbos et Georges Bonnet dans le Sud-Ouest. Quoi qu’il en soit de la vigueur du militantisme ligueur, il est sûr en tout cas que les meetings de la Ligue connaissent un réel succès, en particulier à Paris pour la période 1922-192452.
- 53 Guieu J.-M., Le rameau et le glaive..., op. cit., p. 100-101.
47Impulsée par un petit groupe d’hommes, la Ligue a pu se développer, prendre la forme d’une structure permanente et devenir un pôle attractif, parce que, comme beaucoup d’associations dans l’entre-deux-guerres, telle la majeure partie des groupements pro-SDN53, elle a obtenu de larges concours dans la nébuleuse radicalisante.
S’ancrer au sein du pôle radical
- 54 Bonnet G., Vingt ans de vie politique, Paris, Fayard, 1969, p. 42.
48Comme l’avait fait pressentir le discours d’Avignon puis le programme de la Ligue, les origines politiques de ses premiers adhérents s’expriment sur un spectre assez réduit. Tel est particulièrement le cas des 75 parlementaires qui figurent à son conseil central. Ceux dont l’affiliation est la plus aisée à connaître font office de vitrine. Aucun socialiste unifié et aucun communiste n’apparaissent parmi eux, pas plus que des élus de l’alliance républicaine démocratique. En revanche, le président et deux anciens présidents du parti radical – Édouard Herriot, Charles Debierre et André Renard – s’associent dès l’origine à l’expérience. D’autres personnalités radicales de premier plan (Gaston Doumergue, Victor Bérard, Justin Godart, François-Albert, Paul Bénazet, Maurice Sarraut, Ferdinand Buisson...) adhèrent de concert. Ils retrouvent des parlementaires républicains socialistes (Painlevé, Antoine Borrel, Jean Hennessy, Pierre Even, Maurice Viollette...) et trois députés socialistes français (Arthur Levasseur, Arthur Rozier, Paul Aubriot). D’autres adhérents de la Ligue, bien qu’ils ne soient pas parlementaires, sont néanmoins fortement investis au sein de l’une des organisations partisanes sus-citées, tels les radicaux Yvon Delbos et Jacques Kayser, les socialistes français Frédéric Brunet, Georges Renard et Stephen Valot, ou le républicain socialiste Pierre Appell. D’autres encore, bien qu’étant proches de ces partis, n’en sont pas alors militants. Ainsi, Georges Bonnet ne rejoint le parti radical qu’à la suite des élections législatives de 192454.
49Par sa composition aussi, la Ligue fait donc figure de ligue de centre gauche. L’absence de représentants du centre droit permet de trancher rapidement le débat sur le type de républicains qu’elle entend réunir et conduit l’ensemble de la presse à la présenter comme un rassemblement de républicains de gauche. Dans son projet de rassemblement, la Ligue de la République se heurte donc, dès l’origine, à l’impossibilité de réunir tous ceux qu’elle est prête à accueillir dans ses rangs. Le discours ligueur a tenté de minimiser l’absence la plus criante, celle des socialistes dits « unifiés » adhérant à la SFIO, en employant le terme socialiste dans un sens générique. En incluant dans une catégorie large tous ceux qui se réclament du socialisme, à savoir les socialistes unifiés mais également les socialistes indépendants, républicains socialistes ou socialistes français, les ligueurs peuvent prétendre accueillir dans leurs rangs également des socialistes. Au moment de la fondation de la Ligue, l’analyse n’est pas aberrante : le socialisme indépendant, notamment le courant des socialistes français, pense pouvoir supplanter une SFIO affaiblie et encore sous le coup de la scission du congrès de Tours.
50Le mode d’investissement du champ politique des premiers adhérents de la Ligue s’avère multiforme et, d’ailleurs, le conseil central n’est composé qu’à moitié de députés et de sénateurs. Il y a là cohérence entre le recrutement et le projet de la Ligue qui entend rejeter les anciennes méthodes politiques, refuser de réserver le débat politique aux parlementaires, et ce au profit d’un large débat citoyen et de la participation de toutes les compétences. Au niveau national, outre les représentants de la nation, deux catégories d’individus apparaissent fortement engagées dans la Ligue.
- 55 Sur le rôle de Robert de Jouvenel à la Ligue, Le Béguec G., « Robert de Jouvenel éducateur », in L (...)
- 56 Yvon Delbos est un cadre du parti radical avant d’en devenir un élu. Il est entré à l’automne 1919 (...)
51Les représentants de la presse d’opinion – L’Œuvre, L’Ère Nouvelle ou Le Progrès Civique – membres de la Ligue, sont aussi issus de la nébuleuse radicalisante : Gustave Téry, Robert de Jouvenel55, Francis Delaisi, René Chavagnes, Stéphen Valot, Jean Piot, Ernest Tisserand, Paul Abram. Mais, rares sont ceux qui comme Yvon Delbos56, rédacteur en chef de L’Ère Nouvelle, sont engagés au sein d’un parti, ici celui de la rue de Valois. Le soutien de cette presse a permis de médiatiser l’action de la Ligue et a contribué, dès sa création, à la faire connaître et à stimuler l’intérêt, au-delà des spécialistes de la politique. Le 21 octobre 1921, L’ère nouvelle écrit ainsi à propos du programme de la Ligue : « Tel quel il constitue un ensemble fort intéressant, dans lequel on reconnaîtra d’ailleurs les principales idées que nous avons présentées à nos lecteurs. » Quant au Progrès Civique, dans son numéro du 6 novembre 1921, il affirme : « Les créateurs de la Ligue de la République, jeunes ardents, veulent en finir avec le système des compromissions qui a été jusqu’alors monnaie courante de tous ceux qui faisaient de la politique. On ne saurait trop les en louer, car ce dont nous avons surtout besoin, c’est de clarté. » Les universitaires – Jacques Hadamard, Émile Borel, Jean Perrin, Charles Richet, Georges Renard, Gaston Jèze, Célestin Bouglé, Alphonse Aulard, Louis Cazamian, Georges Scelle, qui appartiennent aux facultés, surtout parisiennes, des sciences, des lettres, de droit ou de médecine – doivent éclairer le débat par leurs compétences. Ils offrent aussi une caution intellectuelle et morale. Leur appartenance à d’autres associations de la « nébuleuse républicaine » garantit enfin leur républicanisme.
52La Ligue se concevant comme un rassemblement où s’expriment les compétences les plus diverses, d’autres milieux socio-professionnels (militaires, ingénieurs-conseils, ingénieurs-agronomes, avocats, architectes, hommes de lettres...) et des représentants de diverses associations sont aussi représentés à son bureau et à son conseil central. Trois généraux, Ferry, Verraux et Sarrail – ce dernier bien connu pour ses relations avec les milieux radicalisants –, y figurent également. Fonteny, président de la Fédération nationale des combattants républicains, Jules Prudhommeaux, secrétaire de La Paix par le droit et Maria Vérone, présidente de la Ligue pour le droit des femmes, en sont aussi membres.
Affirmer son indépendance
53Le rôle joué par Painlevé dans la Ligue est le fruit de sa position dans la sphère politique. Comme la Ligue se veut rassembleuse, elle ne peut apparaître trop étroitement liée au parti radical qui n’aurait, en outre, pas toléré que l’un de ses parlementaires en vue – et certainement pas son président – prenne la tête d’un tel rassemblement. Il aurait aussi été malaisé de faire admettre aux élus l’autorité d’un fondateur comme Gustave Téry, certes influent, mais d’une part ne faisant pas partie du sérail parlementaire, d’autre part stigmatisé comme franc-tireur. Pour autant, il était difficilement envisageable de populariser le projet si un inconnu sans notoriété, par exemple l’un des fondateurs anciens combattants, avait été choisi pour diriger la Ligue. A contrario, Painlevé cumule les atouts pour conduire une telle entreprise. Notable bénéficiant d’une notoriété extérieure au champ politique, il est aussi un parlementaire connu en dehors de sa circonscription. Son identité politique n’est pas ambiguë, mais son parti n’ayant pas été reconstitué il conserve, dans les faits, une grande indépendance. Par ailleurs, son étiquette politique, tout en donnant le sentiment d’une indépendance par rapport au parti radical – qui peut servir pour un éventuel rapprochement avec la gauche socialiste – garantit aux radicaux une proximité idéologique avec celui qui dirige la Ligue.
- 57 Cf. les comptes rendus de ces réunions publiques ou privées parus dans L’Œuvre, L’Ère Nouvelle pui (...)
54Entre 1921 et mars 1924, Painlevé, en infatigable propagandiste de la Ligue de la République, publie pléthore d’articles dans la presse nationale ou locale, participe à plus de cinquante réunions publiques à Paris et en province et assidûment aux réunions privées de la Ligue, en particulier à son conseil central57. Cet investissement Ligueur confirme sa volonté d’agir collectivement pour la défense des causes qui lui tiennent à cœur. Il marque cependant une inflexion dans les modalités de l’engagement. Auparavant, il avait toujours agi plus en notable qu’en militant, que ce soit au parti républicain socialiste qu’il utilisait comme un comité électoral, à la Ligue des droits de l’Homme, à l’Association philotechnique ou à l’Association française pour la Société des nations, dont il présidait volontiers les plus importantes manifestations, mais dont il boudait les activités moins gratifiantes, plus quotidiennes, ordinaires et contraignantes. Contrairement aux autres associations auxquelles Painlevé avait adhéré, le champ d’action de la Ligue de la République s’étend à tous les domaines de la politique et elle aspire à transformer globalement la société. Les moyens que la Ligue entend employer relèvent également de la globalité, une mobilisation de la société civile trouvant sa traduction dans une nouvelle majorité parlementaire. L’ambition du projet explique l’investissement. Painlevé confirme à cette occasion qu’il est avant tout un politique. Bien qu’il estime que les projets de réforme doivent aussi émerger de la société civile, il ne pense pas possible in fine une réforme de la société par un autre biais que la voie parlementaire. Enfin, rapidement, il n’a plus de concurrent à la Ligue. La position dominante qu’il y occupe lui permet d’y disposer d’une grande liberté.
55À la Ligue, Painlevé ne se défait pas de ses habits de notable. Pour faire fonctionner l’organisation, il s’appuie sur une douzaine de personnes qui partage les mêmes aspirations et qui trouve dans la structure ligueuse, comme dans les combats communs menés précédemment, un moyen d’expression. Ce sont des élus engagés de longue date en politique à ses côtés comme socialistes indépendants, tels Antoine Borrel, Jean Hennessy et Paul Fleurot. Comme ce dernier, trois autres compères – Ferdinand Buisson, Gustave Téry et Paul Aubriot –, avaient partagé avec lui l’aventure électorale en 1919. D’autres figurent dans l’entourage intellectuel du savant : Jacques Hadamard, Jean Perrin et Émile Borel. Le secrétaire général de la Ligue, René Chavagnes, militait lui, avant la guerre, dans le groupe des amitiés franco-étrangères fondée en 1909 par Borel et Painlevé. Louis Germain-Martin, qu’il avait en 1917 conservé dans son cabinet, avait été en 1920 de son voyage en Chine. Fidèles propagandistes, ces ligueurs constituent également pour Painlevé des relais d’influence.
56De fait, la Ligue devient un précieux moyen d’expression permettant à Painlevé d’exister dans le paysage politique, entre 1921 et 1924, bien qu’il se situe dans l’opposition, qui plus est hors des grands partis. Pour autant, l’ambition politique ne peut être considérée comme une motivation unique dans la mesure où, en 1921, Painlevé ne peut être assuré de la victoire du Cartel des gauches et moins encore de sa propre ascension dans le sillage du Cartel. Les convictions politiques justifient aussi son investissement. Au regard de l’ensemble de ces motivations il a, au sein de la Ligue, en militant et en notable tout à la fois, contribué aussi bien à la relève qu’à la construction d’une alternance politique au Bloc national.
La relève
- 58 Le Béguec G., « La Ligue de la République... », art. cité, p. 11 et « L’entrée au Palais Bourbon.. (...)
- 59 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, Paris, PUF, 2002, 332 p.
57Bien que le souvenir de la Ligue de la République soit étroitement lié à l’expérience cartelliste, elle n’avait pas initialement été conçue, et n’a pas dans les faits fonctionné comme une simple machine électoraliste. Elle fait également figure de ligue de relève, au moins au titre de deux des réalités que ce terme a par ailleurs permis de décrire. « Pépinière d’élus nationaux », elle fut aussi un réservoir de compétences pour les cabinets ministériels et les commissions d’experts58. En outre, elle participa au débat ayant fait surgir de nouvelles idées en matière de réorganisation politique et économique du pays. Elle constitue donc une sorte de laboratoire où se forment des élites politiques et où s’élaborent des doctrines appelées à prospérer dans la deuxième partie de l’entre-deux-guerres59. De ce fait, conçue dès le départ pour durer au-delà de l’échéance électorale de 1924, elle se différencie des organisations à visée essentiellement électorale et par conséquent semi-permanente, qui ont auparavant voulu incarner le parti républicain.
Une pépinière
- 60 Cf. la typologie établie par Jean-Michel Guieu pour les associations françaises pour la SDN, Guieu(...)
58La cohabitation des générations et des expériences au sein de la Ligue est propice aux échanges de compétences entre hommes mûrs aguerris aux luttes politiques et militants plus ou moins jeunes n’ayant pas encore fait leurs armes. À la Ligue de la République cohabitent des « figures tutélaires60 » nées au milieu du XIXe siècle, tel Ferdinand Buisson, des hommes de la « génération de l’Affaire Dreyfus » dont la conscience politique s’est formée sous l’effet de cet événement, tel Painlevé, des militants de la « génération du feu » marqués par l’expérience de la guerre. Certains y font figure de « patriarches » (Ferdinand Buisson), d’autres sont les « vedettes » de la Ligue (Painlevé), d’autres encore en sont les « penseurs » (Georges Bonnet) et une quatrième catégorie fait office de « chevilles ouvrières » (Pierre Appell). La rencontre des uns et des autres et la distribution non figée des rôles favorisent le développement des ambitions politiques des plus jeunes et de ceux qui, au départ, œuvrent dans l’ombre au développement de la Ligue.
- 61 Bonnet G., Vingt ans de vie politique, op. cit., p. 37. Sur les débuts politiques de Bonnet, Puyau (...)
59Dans un premier temps, la Ligue a permis la participation au débat politique de personnalités qui n’étaient pas des hommes politiques. Dans ses commissions et lors de ses réunions publiques, des universitaires ou des journalistes se sont formés au discours politique et aux questions d’actualité en matière politique, économique et sociale ou de relations internationales. Georges Bonnet se souvient : alors que Painlevé lui avait demandé de l’accompagner dans la campagne de réunions et de banquets, il fit à la Ligue son « apprentissage d’orateur de réunions publiques, devant des auditoires composés de plusieurs milliers de personnes61 ». L’expérience ligueuse conduit certains à jouer le rôle de conseillers des politiques. D’autres sont candidats aux élections, en particulier aux législatives de 1924. Tous bien sûr n’ont pas été élus, néanmoins une douzaine de députés sont sortis des instances nationales du mouvement : Pierre Appell, Gaston Bonnaure, Georges Bonnet, Émile Borel, Raoul Brandon, Pierre-René Chavagnes, Henry Clerc, Yvon Delbos, Louis Germain-Martin, André Grisoni, Léon Martinaud-Deplat, Jean Piot et François Tessan siègent au conseil central de la Ligue avant leur première élection à la Chambre. La Ligue joue donc le rôle de « filière d’accès à la fonction parlementaire ».
60La présence de Painlevé à sa tête a favorisé les carrières politiques de ses proches. Ainsi, l’investissement d’Émile Borel à la Ligue marque une nouvelle étape de son cheminement politique. Il ne s’agit plus pour lui de conseiller le parlementaire ou d’appliquer la politique voulue par le ministre, mais bien de prendre pleinement part au combat politique. Il est l’un de ses adjoints, fréquemment présent aux côtés du savant et co-présidant avec lui de nombreux événements. En 1924, il est élu député. Il est alors partie prenante de grands projets du Cartel, notamment la création du CNE qu’il lie à celle d’une réelle présidence du Conseil, administrativement autonome et efficace. En 1925, il est ministre de la Marine dans les deux cabinets Painlevé. Le neveu par alliance de Painlevé, également beau-frère d’Émile Borel, Pierre Appell, suit un chemin similaire. Présent dès la création de la Ligue dans l’ombre de Painlevé, il est alors son homme de confiance et son second. Il s’est parallèlement engagé au parti républicain socialiste et il participe aux négociations qui permettent de constituer la liste Painlevé en 1924. Ce dernier en fait son chef de cabinet lorsqu’il est président de la Chambre des députés en 1924 et 1925, puis par la suite lorsqu’il est ministre de la Guerre. à partir de la victoire du Cartel, Painlevé, accaparé par ses fonctions politiques, délègue en outre à Pierre Appell de nombreuses responsabilités aussi bien à la Ligue de la République qu’au parti républicain socialiste. En 1928, il est élu député de la Manche sous l’étiquette républicain socialiste.
- 62 Normalien, agrégé de philosophie, auteur d’une thèse sur les « Idées égalitaires », il enseigne l’ (...)
- 63 Pour l’engagement de G. Scelle, cette fois en faveur du pacifisme juridique, cf. Guieu J.-M., « Le (...)
- 64 Chatriot A., La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique (19 (...)
61Comme lui, Raoul Brandon se partage entre la Ligue – il préside sa 6e section à Paris – et le parti républicain socialiste dont il est candidat (malheureux) en 1924 sur la liste conduite par Painlevé. En 1928, quand ce dernier se présente devant les électeurs de l’Ain, il est son dauphin à Paris et est élu au siège qu’occupait le savant depuis 1910. Jacques Jaujard est également l’un des ligueurs qui, dans le sillage de Painlevé, a intégré les cabinets ministériels. En 1924, il est chef adjoint du cabinet du président de la Chambre des députés, puis, en 1925 chef de cabinet du président du Conseil. Publiciste, collaborateur notamment de L’Œuvre, de Bonsoir et de L’Ère Nouvelle, membre du conseil central de la Ligue de la République, il est secrétaire général et administrateur de son journal de combat politique, La République. également actif dans le comité d’études économiques présidé par Painlevé, il a participé à l’organisation des Semaines « fiscale » et « des PTT ». Les vocations qu’a fait naître la Ligue et les opportunités qu’a créées le contact avec Painlevé concernent également deux autres universitaires, Célestin Bouglé et Georges Scelle. Leurs relations avec Painlevé n’étaient certainement pas aussi étroites que celles qu’entretenaient les personnages précédemment cités. Néanmoins, leur passage à la Ligue, parallèlement à leur implication dans d’autres associations, leur a tout à la fois permis de s’engager publiquement dans le débat politique, voire a constitué un « ascenseur » pour l’accès aux responsabilités politiques. Célestin Bouglé, philosophe de formation – normalien, agrégé de philosophie, il a soutenu une thèse sur les « Idées égalitaires » –, s’est spécialisé dans les questions sociales62. Ce professeur également journaliste et propagandiste à la Ligue des droits de l’Homme (dont il est vice-président), dans les associations pour la SDN, est en 1924 un candidat radical malheureux de la liste Painlevé. Georges Scelle, juriste de formation, s’est aussi beaucoup investi dans l’action réformatrice de la Ligue63. Ce sont ses idées, notamment celle de la participation des compétences au fonctionnement de l’État, qu’il défend après la victoire du Cartel des gauches, alors qu’il est devenu directeur de cabinet du ministre du Travail. Georges Scelle, qui à partir de 1924 participe activement aux réunions préparatoires à la création du Conseil national économique, en devient le principal propagandiste et commentateur64.
Une organisation réformatrice
- 65 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », art. cité, p. 34-35 et du (...)
- 66 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, op. cit., p. 65. Cf. plus généralement l (...)
62Comme le montre la création du CNE, la Ligue a aussi contribué à la relève grâce à son discours modernisateur. Par le travail de ses commissions dans lesquelles s’élaborent les études, la Ligue peut être considérée comme un ancêtre des clubs qui prolifèrent dans les années 196065. La fonction d’études, autrement dit de réflexion approfondie, doit permettre de dépasser les querelles politiciennes considérées comme stériles et de proposer, y compris sur le long terme, des projets de réforme. La modernisation de la France constitue un vaste programme né du constat que les recettes applicables jusqu’à la guerre ne sont plus pertinentes pour reconstruire le pays. Tant le pacifisme et la modernisation défendus par la Ligue que la méthode suivie rappellent les caractéristiques du courant réaliste défini comme « une méthode au service d’un projet dominé par un triptyque : modernisation économique, défense de la paix et de l’union européenne et réforme de l’État66 ».
- 67 Le terme est emprunté à Georges Cahen Salvador, secrétaire général du CNE, auteur de « L’économie (...)
63La modernisation de l’économie est un thème récurrent à la Ligue. Suivant son programme, les secteurs de production, en particulier l’industrie et l’agriculture, sont concernés. Mais, pour la Ligue, cette modernisation relève essentiellement de l’initiative des entrepreneurs et intervient en aval, une fois que l’État a formé une main-d’œuvre adaptée et qu’il a mis à leur disposition les moyens techniques, le dispositif juridique et fiscal, incitant à cette modernisation. La Ligue fait donc porter sa réflexion plutôt sur la modernisation des infrastructures du pays qui intervient en amont de la modernisation des secteurs de production et qui relève de l’initiative publique. De toute évidence, la Ligue se conçoit moins comme un organe de conseils aux entrepreneurs que comme un organe d’aide à la décision publique. En même temps, la Ligue ne diffuse pas un discours dogmatique et ne formule pas de lien de subordination absolue entre ces deux types de modernisation. Selon elle, la modernisation est possible au niveau des entreprises, indépendamment de tout plan de modernisation nationale, et l’innovation – création de nouvelles méthodes ou d’objets techniques – relève d’ailleurs en général du secteur privé. La Ligue estime que le secteur public doit y être plus réactif, que l’État doit devenir en la matière un partenaire du secteur privé, à la fois à l’écoute de ses besoins et plus prompt à adopter dans ses services les innovations qui en émanent. Mais la modernisation au niveau des entreprises, tout comme l’innovation, peuvent être favorisées et étendues à une plus large échelle si l’État leur fournit des infrastructures susceptibles d’encourager, voire de permettre leur développement. La Ligue demande donc que l’État applique pour la modernisation des infrastructures du pays une même méthode : impliquer dans la décision publique des représentants des entreprises (employeurs et employés). L’introduction d’organismes permanents d’aide à la décision gouvernementale, de composition également mixte, est conçue comme un moyen de pérenniser le dialogue et d’assurer une plus grande réactivité de l’administration et du gouvernement aux réalités économiques et sociales. La Ligue accepte donc le fonctionnement libéral de l’économie et ne revendique jamais le dirigisme. Cependant, elle s’inscrit dans le vaste courant qui, dans l’entre-deux-guerres, revendique une plus large intervention de l’État dans l’économie ou encore une évolution vers une « économie disciplinée67 ».
- 68 Résolution concernant l’électrification des campagnes adoptée par le conseil central de la Ligue a (...)
- 69 Motion adoptée par le conseil central de la Ligue de la République, L’Œuvre, 8 juillet 1923.
64La Ligue ne se complaît pas dans la formulation de théories économiques ; elle est au contraire très préoccupée d’actions concrètes. La modernisation des infrastructures du pays à laquelle elle s’emploie porte, d’une part sur l’aménagement du territoire, d’autre part sur la réforme de l’administration. Les deux aspects sont souvent liés et répondent à la même finalité : favoriser le développement économique du pays et améliorer la vie quotidienne en supprimant les entraves, procédures lourdes et objet de retard, auxquels se heurtent les particuliers et les entrepreneurs. En ce qui concerne l’aménagement du territoire, la Ligue s’intéresse tout particulièrement aux espaces les plus enclavés68. Pour permettre au secteur agricole de bénéficier des bienfaits de l’électricité, la Ligue demande à l’État d’encourager, par des exonérations fiscales, la construction d’usines hydrauliques et la mise en place de lignes à haute tension. Elle réclame aussi l’électrification des chemins de fer dans les zones rurales. Par ailleurs, pour pallier l’hécatombe due à la guerre, la Ligue demande qu’un organisme unique et permanent, comprenant fonctionnaires, parlementaires, employeurs et employés, soit chargé d’alimenter les campagnes en main-d’œuvre, y compris étrangère69.
- 70 Rials S., Administration et organisation. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’orga (...)
- 71 Cf. l’introduction de la brochure de présentation de la semaine fiscale, AN 313 AP 208.
65La modernisation de l’administration, inscrite au programme de la Ligue, apparaît en filigrane dans le travail de ses commissions permanentes spécialisées et dans les discours de propagande. La Ligue prend ici position sur un thème populaire par excellence après la Première Guerre mondiale70. En 1921, dans L’incapacité industrielle de l’État, Henri Fayol, l’un des deux théoriciens de la doctrine administrative, s’était prononcé en faveur d’une exploitation privée des PTT. La réforme d’une administration dont le fonctionnement était de longue date critiqué se trouvait portée à l’avant des débats. La question du maintien du monopole des tabacs et des allumettes, directement liée à celle de la réforme de l’administration fiscale, était également devenue un sujet d’actualité, au point qu’une commission avait été chargée, entre avril 1923 et mars 1924, de l’étudier (Fayol en était membre, André Citroën la présidait). La Ligue s’accorde à reconnaître que le fonctionnement de l’administration, notamment celui des PTT et des services fiscaux, n’est pas satisfaisant, ni pour l’État, ni pour les usagers71. Mais elle appelle à l’« industrialisation » des services publics autrement dit à une gestion publique rationalisée. Elle estime nécessaire d’introduire les innovations techniques. Aux fonctionnaires, à ses yeux trop souvent accusés de mauvaise volonté, elle souhaite aussi donner plus de responsabilités.
- 72 Pour une présentation détaillée de ces initiatives, cf. L’Œuvre, 17 au 28 avril 1923, 22 au 26 jan (...)
- 73 17 avril 1923.
- 74 Courrier daté du 23 décembre 1923 adressé par Painlevé à divers groupements d’agents et d’usagers (...)
- 75 L’Œuvre, 18 avril 1924.
- 76 Pour une liste des organisations représentées lors de la semaine des PTT puis de la semaine fiscal (...)
66En organisant, par le biais de son comité démocratique d’études économiques, une « semaine des PTT » (23-27 avril 1923) et une « semaine fiscale » (21-24 janvier 1924)72, qui constituent deux temps forts – et deux vitrines – de l’activité réformatrice de la Ligue, elle fait de la modernisation de l’administration un objet d’études à part entière. Président du comité démocratique d’études économiques, Painlevé met sa notoriété au service de la réussite de ces évènements. Les courriers de présentation et d’appel à participation sont adressés en son nom. Dans L’Œuvre, il fait paraître un article présentant la semaine des PTT73. Il préside les séances inaugurales et de clôture, ainsi que les banquets ouvrant et fermant chaque manifestation. Il n’est sans doute pas étranger au fait qu’elles sont organisées au Conservatoire national des arts et métiers dont il préside depuis 1919 le conseil d’administration. D’autres fidèles de la Ligue participent à l’encadrement, notamment Georges Bonnet, le journaliste Stephen Valot, l’économiste Francis Delaisi (secrétaire général du comité démocratique d’études économiques). Se joignent à eux, pour la semaine des PTT, des scientifiques, Émile Borel, Jean Perrin et Pierre Appell (en raison de la compétence acquise pendant la guerre sur les questions de transmission) ; pour la semaine fiscale, des juristes tels Gaston Jèze (président de la commission des Finances publiques de la Ligue) et Louis Germain-Martin. Les organisateurs entendent faire participer représentants des agents et des usagers à la réflexion sur la réforme des PTT puis de l’administration fiscale74. Cette méthode, présentée comme éminemment démocratique, est appliquée en amont, pour la conception des programmes : Painlevé demande aux groupes intéressés de faire part au comité organisateur de toutes les opinions et suggestions qui permettraient de les enrichir. Pleinement associée à ces expériences, L’Œuvre fait paraître à l’occasion de la semaine fiscale un questionnaire très complet que les lecteurs peuvent renvoyer au journal afin de contribuer aux débats75. La méthode de démocratie participative est également appliquée pendant les « semaines » dont les commissions sont composées de représentants des usagers et des agents. Les organisateurs se félicitent de la diversité des organisations d’usagers qui ont répondu à leur appel, de la collaboration des représentants des administrations concernées (hauts fonctionnaires, fédération des syndicats d’agents d’employés et d’ouvriers), ainsi que de la participation de délégués de syndicats d’ingénieurs de l’industrie privée76. Enfin, s’ils sont satisfaits que le comité Mascuraud soit également représenté, ils déplorent que le comité des Forges, les grandes firmes d’électricité et les chambres de commerce soient absents.
67Painlevé ouvre la semaine fiscale en soulignant :
- 77 Ibid., 22 janvier 1924.
« Elle n’a à aucun degré un caractère politique : nous ne sommes pas de ceux qui dissimulent derrière des préoccupations économiques des intrigues ou des visées de parti. Si nous n’avons demandé aucune estampille officielle ou officieuse, ce n’est pas que notre tentative soit en aucune façon une machine de guerre contre qui que ce soit77. »
68Pourtant, et bien que les organisations et les hommes politiques n’aient pas été conviés à participer aux « semaines » au motif qu’elles devaient constituer des temps de réflexion de nature différente des débats politiciens, force est de constater qu’elles ne sont pas déconnectées des objectifs politiques de la Ligue. Les semaines lui permettent de se présenter comme l’incarnation tout à la fois du camp de la réforme (la Ligue propose de rationaliser les services publics) et de la démocratie (elle se fait l’adepte du plus large dialogue social). Elles ont aussi pour fonction de la rendre, et donc plus généralement la gauche qu’elle entend fédérer, crédible du point de vue économique. C’est d’ailleurs ce que Painlevé sous-entend dans son discours d’inauguration de la semaine des PTT :
- 78 Ibid., 24 avril 1923.
« “Plus de Politique, rien que de l’Économique” tel est le mot d’ordre lancé depuis la paix par tous les adversaires du régime. Et ils ajoutent : “Les républicains ne sont que des politiciens ; ils sont incapables de faire de l’économique. Il faut enlever au Parlement politique le contrôle de la nation et le remplacer par des États-généraux économiques.” [...] Nous n’en voulons pas. Nous nous dressons contre cette assemblée hybride et confuse, issue d’on ne sait quelles organisations mal définies et qui usurperait contre la nation des pouvoirs que seule la nation a qualité pour déléguer. Nous nous dressons contre cette propagande perverse qui, sous le masque économique, poursuit la déchéance, sinon l’abolition de la République, et nous voulons lui opposer la doctrine républicaine en matière économique78. »
- 79 La Ligue fait néanmoins paraître des brochures qui témoignent de sa volonté de populariser son act (...)
69La fonction d’étude de la Ligue constitue cependant la partie la moins visible de son activité. Sans doute parce qu’il s’agit d’un travail de réflexion collective qui, en dehors des semaines précédemment citées, n’a pas donné lieu à la production systématique d’archives79, pourtant indispensables pour évaluer sa part dans les travaux de l’organisation. Aussi, il est vrai, parce qu’elle n’a pas eu à la Ligue l’avenir que certains, au moment de sa création, avaient sans doute sincèrement appelé de leurs vœux. Les ambitions proprement politiques ont en fait absorbé ses forces vives et ce sont elles qui font l’objet de la plus forte médiatisation et qui, dès lors, passent aux yeux du grand public comme sa principale vocation.
Le choix du Cartel
70Dès ses premières semaines d’existence, la Ligue de la République, et en son nom son président, s’érigent en censeur de la majorité parlementaire. Le combat anti-bloc est inscrit dans la tradition des luttes républicaines qui, depuis le Second Empire, ont été menées contre les forces de réaction. Le Bloc national aurait pour origine la nomination du ministère Clemenceau en 1917. Suivant cette interprétation, le gouvernement Painlevé aurait été le dernier gouvernement réellement républicain qu’ait connu le pays. En avril 1923, dans le premier numéro de La République, Painlevé affirme :
- 80 La République, no 1, 13 avril 1923.
« Nos pères, sous l’Empire, demandaient qu’on leur donnât la République, cette République qui apparaissait alors si belle à tous les amants de la Liberté. Nous demandons nous, qu’on nous la rende, car voici quelque six ans qu’elle fut capturée et mise en geôle par ses pires ennemis. La République que nous voulons, c’est une République capable d’obéir aux profondes aspirations de la démocratie et non point esclave des forces de réaction, de lucre et de mensonge. C’est pour organiser une telle République qu’aux temps de mai 1877 Gambetta et ses pairs combattaient victorieusement l’Ordre moral. C’est pour organiser une telle République que durant quarante années encore, la France résistait sans défaillance au boulangisme, à l’antisémitisme, au nationalisme. [...] C’est vers la fin de 1917 que la désunion se mit dans ses rangs [de la gauche]. Les socialistes firent scission ; les républicains, timides ou intimidés, se tournèrent alors vers la droite. Ainsi se forma, en novembre 1917 – le nom de Clemenceau servant de paravent – une majorité de droite, véritable Bloc national avant la lettre, que les électeurs de 1919 ont consolidé et baptisé. C’est cette majorité [...] qui est devenue dès la fin de 1917, maîtresse des destinées du pays, étouffant par la calomnie et la violence toute contradiction, toute critique80. »
71Depuis la création de la Ligue de la République, Painlevé n’a ainsi de cesse de dénoncer la politique du Bloc national, et par conséquent de faire entendre une forte opposition. Malgré la progressive défaillance des partis de gauche, il est aussi de ceux qui maintiennent mobilisé l’électorat susceptible de porter une autre majorité au pouvoir. Qu’ils appellent à l’union des Républicains ou de la gauche, ces agitateurs exercent une forte pression tout à la fois sur les gouvernements de Bloc national et sur les organisations partisanes alimentant la gauche de l’hémicycle.
La gésine du Cartel
72Dans la série de tracts sur les méfaits de la politique du Bloc mis à la disposition des candidats aux élections cantonales de 1922, la Ligue dénonce un ensemble de mesures prises par le Bloc national depuis la fin de la guerre. Elle réitère lors des meetings et banquets organisés en 1922 et 1923. Dans les villes de province, une seule réunion est en général prévue, laquelle constitue une critique globale de la politique du Bloc. En région parisienne où les rassemblements sont fréquents et réguliers, les sujets abordés peuvent être plus spécifiques. Ainsi, la série de meetings « Le Bloc national contre la nation », organisée en 1922, comporte des réunions sur les thèmes « La politique économique et financière du Bloc national », « Le Bloc national et le sabotage de la paix », « Le Bloc national et la défense nationale », « Le Bloc national et les victimes de la guerre », « Le Bloc national et les projets Bérard ». Chaque réunion, préparée par l’une des commissions spécialisées, donne lieu à des discours des ténors de la Ligue auxquels se joignent des spécialistes de la question traitée. Cette campagne anti-Bloc est attisée, au fil du temps, par les critiques que suggèrent les nouvelles mesures prises par les gouvernements. Dans ses réunions en 1922 et 1923, la Ligue, et souvent en son nom Painlevé, n’ont de cesse de rendre le Bloc national responsable de la vie chère, de dénoncer une politique antisociale et anti laïque, de stigmatiser le décret Bérard ou encore son refus d’amnistie. En matière de politique extérieure, elle critique notamment l’application du Traité de Versailles, l’attitude intransigeante vis-à-vis de l’Allemagne et l’isolement diplomatique qui en découle pour la France, le refus de ne pas accepter la Russie soviétique comme partenaire. Sur la question de l’organisation de la paix, elle s’associe fréquemment aux organisations de soutien à la SDN qui s’opposent également à la politique extérieure conduite par la majorité.
- 81 Les premiers articles consacrés à la Ligue par L’ère Nouvelle (21 et 23 octobre 1921) et La Dordog (...)
73La Ligue de la République n’a cependant pas été conçue pour s’en tenir au rôle, somme toute assez stérile, d’une ligue d’opposition. Elle appelle à l’alternance envisageable à condition que soient mises en œuvre de nouvelles alliances électorales. Les rédactions de L’Œuvre et de L’ère Nouvelle – sous-titré Organe de l’entente des gauches – n’ont de cesse de présenter la Ligue comme l’organe d’un Cartel en gestation. Dans les titres et les introductions qui figurent en tête des articles consacrés à la Ligue, son engagement en faveur du Cartel des gauches est systématiquement mis en valeur, alors que, pendant de longs mois, ce terme n’est pas employé par la Ligue elle-même. Ces journaux insistent sur ce qui est pour eux l’essentiel, mais qui, quand on analyse les discours, ne relève que de l’interprétation. Quoi qu’il en soit, c’est le traitement de l’information qui influence la masse des lecteurs. Ainsi, L’ère Nouvelle et L’Œuvre, ou des journaux de diffusion locale comme La Dordogne Républicaine, en privilégiant le combat politique de la Ligue au détriment de son discours modernisateur, et en mettant l’accent sur la stratégie à mettre en œuvre pour faire tomber le Bloc national, ont fait de la Ligue le précurseur du Cartel81. À la lecture de la presse ligueuse, Painlevé passe, à l’image de l’organisation qu’il dirige, pour un pionnier du Cartel. Pourtant, même après les élections législatives de 1924, il demeure fidèle à l’expression « parti républicain ».
74Quelles sont les frontières fixées par lui à cette famille politique et pourquoi s’en tient-il à ce terme ? Les radicaux, les républicains socialistes et les socialistes français en constituent le cœur. Les socialistes unifiés qui ont, par leur refus de l’adhésion au communisme, réaffirmé leur ancrage dans la tradition républicaine, en font incontestablement partie, de même que ceux qui se situent à la gauche des modérés. Parce qu’il n’y a donc pas de désaccords fondamentaux entre la conception cartelliste de la presse et celle républicaine de Painlevé, ce dernier accepte que les quotidiens ligueurs instrumentalisent ses interventions et les mettent explicitement au service de la campagne cartelliste. Mais, tant en raison de sa culture politique que pour des motifs relevant de la stratégie, il préfère ne pas employer lui-même le terme « Cartel des gauches ». L’utilisation de la rhétorique républicaine plutôt que celle d’union des gauches a plus de chance de convaincre ceux auxquels a souvent été dénié le droit d’appartenir à la gauche et qui, avec la formation du parti communiste, semblent s’en éloigner. Bien que la gauche des modérés n’ait pas adhéré à la Ligue au moment de sa fondation, il est toujours envisageable qu’elle accepte une alliance électorale avec des représentants des gauches, au moins dans certaines circonscriptions où les socialistes ne sont pas puissants et où des listes de type radical pourraient être constituées. En outre, se référer à cette rhétorique républicaine, c’est aussi compter sur le fait que le fonctionnement moderne des partis politiques n’est pas encore entré dans les mœurs de nombreux électeurs. L’alliance républicaine démocratique est susceptible de laisser à ses membres une grande liberté au moment des élections. L’appel au rassemblement du parti républicain peut donc favoriser le ralliement d’une partie des modérés parce qu’il apparaît moins effrayant que celui de Cartel des gauches. Par ailleurs, Painlevé n’est pas libre de ses positions. Il ne parle pas en son nom propre, mais comme représentant de la Ligue, c’est-à-dire d’un collectif dont, à la fin de l’année 1921 et au début de l’année 1922, l’un des deux protagonistes, le parti radical, ne s’est pas encore officiellement prononcé en faveur du Cartel. Si Painlevé à cette époque parlait de Cartel des gauches, il donnerait le sentiment de vouloir forcer la main du parti radical et compromettrait l’expérience ligueuse. L’échéance des élections législatives étant encore lointaine, il n’est pas non plus nécessaire, même après la mise à l’écart des radicaux, de contraindre trop précocement la SFIO à se prononcer sur un Cartel des gauches. Plutôt que de prendre le risque d’un refus, Painlevé préfère sans doute favoriser le ralliement des socialistes unifiés, envisageable depuis la scission entre communistes et socialistes, en menant un travail de fond pour les convaincre du bien-fondé de l’alliance.
75L’usage de la rhétorique républicaine relève également de la culture politique du savant. Depuis qu’il s’est engagé à l’époque de l’Affaire, il se définit comme un républicain et n’a de cesse d’inscrire son combat dans une tradition, de se référer aux débuts de la IIIe République et d’en appeler à la figure tutélaire de Gambetta. Il fait ainsi partie d’une génération d’hommes politiques formés à la fin du XIXe siècle qui ne conçoivent pas le parti moderne comme une donnée structurante de la vie politique. Dans les faits, au début des années 1920, cette conception est assez conforme à la réalité, la forme partisane étant encore, même à gauche – hormis à la SFIO et à la SFIC – bien peu rigide. Pour Painlevé, il existe dès lors, d’abord et avant tout, deux grandes familles politiques et ce sont elles qui structurent la vie politique. Son goût pour la référence aux bleus et aux blancs témoigne de cette vision dualiste. Au sein du parti républicain, les partis politiques instaurent des nuances, mais les valeurs sont communes et le rassemblement toujours possible autour d’elles. C’est une même histoire qui se rejoue et c’est par la reconstitution une fois encore du parti républicain que la République peut être sauvée. Ce qui est en jeu, par ailleurs, ce n’est donc pas en tant que telle la solidarité au sein de la gauche que le but de cette solidarité. Dès lors, il apparaît logique de se référer à ce qui est unitaire, la défense de la République, plutôt qu’à ce qui révèle des divisions, le fait qu’il existe des gauches et non une gauche. D’où par exemple son discours à l’occasion du premier anniversaire de la Ligue de la République en octobre 1922 :
- 82 Ibid., 30 octobre 1922.
« Soyons donc prêts à la lutte [...] et sachons rassembler ceux qui tendent vers le même but, sans souci des questions d’étiquettes ou de chapelle. [...] Il y a encore, à cette heure, comme il y a cent ans, les bleus et les blancs et ils s’affrontent, qu’on le veuille ou non, dans tous les domaines. Je bois Messieurs, au triomphe des bleus, non dans l’intérêt d’un parti, mais dans l’intérêt de la France, pour que la France soit prospère, pour qu’elle soit en sécurité, pour quelle reprenne sa vraie figure digne de son histoire, pour qu’elle serve encore de guide aux autres peuples dans les chemins de la liberté82. »
76Avec des rhétoriques différentes, l’appel à l’unité du parti républicain en référence à l’histoire longue de la République ou au Cartel des gauches en adéquation avec la forme politique moderne, le président de la Ligue de la République d’un côté, la presse ligueuse de l’autre, font campagne pour un même objectif : l’alliance électorale d’un large pôle allant des socialistes unifiés à la gauche des modérés. L’engagement est pourtant bien vite contrarié ; les partis sollicités rechignent à prendre position.
L’abstention des partis
- 83 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 339-341.
77Comme le parti républicain socialiste n’est pas reconstitué avant 1923, la Ligue, et plus généralement le camp cartelliste, ne peuvent longtemps compter que sur le très petit parti socialiste français lequel réunit, au mieux, 4 000 militants83. Ses leaders – Frédéric Brunet, Georges Renard, Arthur Rozier ou Stephen Valot –, membres du conseil central de la Ligue, y sont actifs. Les autres organisations de gauche lui font défaut, plus ou moins rapidement.
- 84 Judt T., La reconstruction du parti socialiste 1921-1926, Paris, Presses de Sciences Po, 1976, p. (...)
78Les relations officielles entre la Ligue et le parti socialiste unifié se résument à peu de chose. Après avoir commenté assez favorablement le discours d’Avignon, Le Populaire ne fait plus, dans les semaines qui suivent la création de la Ligue, de commentaires à son sujet. Il n’en est pas question lors du congrès de la SFIO qui se tient fin octobre. Les socialistes sont avant tout préoccupés d’affirmer l’unité de leur parti et ne veulent pas prêter le flanc aux critiques des communistes prompts à surenchérir sur la trahison par l’alliance avec les partis bourgeois84. Dès lors, aucun parlementaire socialiste n’adhère à la Ligue, pas même Joseph Paul-Boncour qui a pourtant observé avec intérêt sa constitution. Le peu de succès rencontré auprès des socialistes conduit certains ligueurs à faire part publiquement de leurs regrets :
- 85 Éditorial d’Yvon Delbos, La Dordogne Républicaine, 4 décembre 1921.
« Il est clair qu’une Ligue d’Union des gauches qui exclurait les socialistes, soit formellement, soit par prétérition, serait une gageure. Elle serait quelque chose d’analogue à la conjonction des centres rêvée par M. Arago. Je puis l’assurer qu’au sein de la Ligue nous sommes nombreux, sinon unanimes, à écarter une telle conception. [...] Si les socialistes n’y sont pas encore assez représentés, n’est-ce pas plutôt par leur faute ? Il y a chez eux – je ne parle pas de Boncour – une tendance marxiste et guesdiste qui se garde, comme les pharisiens des profanes, de tout contact avec le reste de la démocratie. Après quoi, ils reprochent aux radicaux, par exemple, de les écarter par leur attitude85. »
- 86 Cf. les comptes rendus des meetings et banquets de la Ligue parus dans L’Œuvre ou L’ère Nouvelle e (...)
79Les relations avec le parti radical sont plus ambiguës. Le parti, en tant que tel, n’est pas une instance constitutive de la Ligue de la République. Néanmoins, elle a bénéficié, dès sa conception, du soutien de radicaux. Au premier semestre de l’année 1922, Édouard Herriot et de nombreux parlementaires, comme Édouard Daladier, Gaston Doumergue, Victor Bérard ou Lucien Lamoureux, continuent de faire de la propagande avec elle contre le Bloc national. Des élus locaux comme de simples militants soutiennent également l’expérience86. À partir du second semestre 1922, l’attitude des personnalités radicales évolue. Si Aimé Berthot, Ferdinand Buisson, François-Albert, Henri Queuille, Yvon Delbos ou Jacques Kayser restent propagandistes de la Ligue, ils font désormais figure d’exception. La plupart des leaders radicaux n’assistent plus aux réunions du conseil central, ou à son assemblée générale.
- 87 Bulletin du parti républicain radical et radical socialiste, 23 décembre 1921.
- 88 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 344-365.
- 89 En région parisienne, le succès de ces meetings est confirmé par des notes de la préfecture de pol (...)
80Dès l’origine, des radicaux ont exprimé leurs réticences à l’encontre d’une Ligue proclamant son indépendance à l’égard des partis. Lors du comité exécutif du 14 décembre 1921, des militants font part de leur crainte de « concurrence, confusion ou double emploi ». D’autres affirment : « Si nous sommes trop d’organisations, surtout d’organisations politiques, nous délaisserons forcément le parti87. » La rue de Valois appréhende que ses militants, se satisfaisant de leur engagement dans la Ligue, ne prennent plus soin de constituer ou d’adhérer à des comités radicaux88. Par ailleurs, dans la mesure où jusqu’en juin 1923 le parti continue de soutenir les gouvernements de Bloc national et de leur fournir des ministres, il y a, de fait, inadéquation entre l’action de la Ligue et la position du parti. L’abstention des leaders radicaux n’équivaut pas à une rupture officielle : Herriot et d’autres figures du parti valoisien continuent d’en être membres. Du côté des élus locaux et de la base militante, l’évolution est encore moins nette. En 1922 comme en 1923, les réunions organisées par la Ligue en province le sont, souvent, avec l’appui des comités radicaux et des personnalités radicales de rayonnement local y participent. C’est sans doute pourquoi la Ligue préfère taire ses difficultés relationnelles avec la direction du parti et ne conserve, dans sa communication, que ce qui relève de la dynamique du succès éminemment liée à sa collaboration avec la base radicale. Dès lors, L’Œuvre ou L’ère Nouvelle adoptent un ton résolument optimiste que leur autorise l’affluence aux réunions organisées par la Ligue89, l’augmentation de ses effectifs, du nombre de ses sections ou la création de fédérations.
81Les critiques formulées à l’encontre de la Ligue lors des congrès nationaux du parti radical de novembre 1922 et d’octobre 1923 sont le reflet du décalage existant entre la tête et la base du parti quant à la position que devraient prendre les radicaux à l’encontre du Bloc national, du Cartel électoral ainsi que de la Ligue. Le congrès de 1922 adopte des conclusions très claires :
- 90 Parti républicain radical et radical socialiste, 19e congrès tenu à Paris les 16,17 et 18 novembre (...)
« Le comité exécutif doit prévenir ses adhérents, ses comités et ses fédérations que, si des adhésions collectives à un cartel ou à une ligue peuvent être données dans les conditions sus-indiquées, les adhésions individuelles à des organisations concurrentes ou parallèles à celles du parti ne peuvent être admises90. »
- 91 Parti républicain radical et radical socialiste, 20e congrès tenu à Paris les 18, 19 et 20 octobre (...)
- 92 Lachaise B., Yvon Delbos..., op. cit, p. 95-98.
- 93 Parti républicain radical et radical socialiste, 20e congrès tenu à Paris..., op. cit., p. 186 et (...)
- 94 Bulletin du parti républicain radical et radical socialiste, 1921 et 1922.
- 95 Ibid. no 19, avril 1922, et L’Ère Nouvelle, 1er avril 1922, publient le même communiqué relatant un (...)
82Pourtant, en 1923, il est nécessaire de rappeler qu’« il ne devait pas y avoir d’adhésions personnelles à la Ligue mais des adhésions de groupements ou de comités ». Des militants déplorent que ce principe n’ait pas été respecté. Pour lever toute ambiguïté quant aux rapports entre la Ligue et le parti il est, à deux reprises, rappelé qu’Édouard Herriot n’est pas à la tête de la première, mais bien du second91. Ces déclarations déclenchent l’approbation bruyante de la salle – « Très bien ! » s’écrit-on tandis que l’on applaudit. Légitime dans certaines sections ou fédérations, la crainte de concurrence n’a pas lieu d’être dans d’autres où il y a bien collaboration et synergie entre les deux types de structures. En Dordogne, par exemple, la diffusion du message ligueur va de pair avec une réorganisation du parti radical. Yvon Delbos est au cœur de ces processus visant tous deux, dans son esprit, à favoriser l’union des gauches92. Même ceux qui craignent la concurrence de la Ligue expriment une certaine fascination pour sa puissance de mobilisation. « Nous sommes inondés [...] par des tracts qui viennent de la Ligue de la République93. » Très vite, l’organisation de la propagande ligueuse est citée en modèle au comité exécutif du parti ; elle inspire même la propagande radicale dès le début de l’année 192294. En 1922 et au début de 1923, même si le parti radical entrave ses possibilités d’action par son abstention, la Ligue persiste donc à essayer de convaincre qu’elle n’est pas une menace pour lui et qu’ils peuvent agir conjointement. Des rencontres au sommet ont ainsi lieu entre le président ou le bureau de la Ligue et le bureau du parti radical ou son comité exécutif95.
- 96 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », art. cité., p. 30.
83Les organisations partisanes, lorsqu’elles sont mises en concurrence avec des associations également légitimes, expriment souvent des craintes similaires à celles formulées par le parti radical96. L’abstention radicale qui a découlé de cette perception négative – ainsi que du refus de s’engager trop vite dans le combat cartelliste – n’a pas été sans vertus pour l’association ligueuse et son dirigeant. Le soutien précoce d’un parti radical dont la position à l’égard du Bloc national était encore bien ambigüe aurait brouillé l’image de la Ligue. Elle l’aurait aussi compromise aux yeux des socialistes. De fait, sans l’appui du parti radical, la Ligue gagne en indépendance et donc en crédibilité. Par ailleurs, Painlevé en devient la figure emblématique une fois que les parlementaires radicaux s’en sont mis en retrait. La survie de la Ligue dépend cependant des moyens qu’elle peut trouver, hors du parti radical, pour faire connaître ses idées.
Le soutien de la presse
84Si les appels répétés de la Ligue à des stratégies de Cartel n’avaient été exprimés que dans le cadre de ses réunions ou de ses publications internes, ils auraient été stériles : de fait, ils n’auraient touché que ses militants déjà convaincus du bien-fondé de cette stratégie. L’organisation popularise beaucoup plus largement l’idée d’un vaste rassemblement des gauches grâce à son association avec des médias.
85Localement, la Ligue a bénéficié du soutien d’organes de tendance radicalisante. Ainsi, dans le Sud-Ouest, le quotidien La Dépêche de Toulouse donne régulièrement des informations sur la vie de la Ligue. L’hebdomadaire La Dordogne républicaine, créé en août 1921 autour d’Yvon Delbos pour faire campagne en faveur de l’union des gauches, mentionne, presque à chaque numéro, son activité. L’un comme l’autre vantent les mérites de Painlevé et relaient ses discours, en particulier quand ils sont tenus dans leur zone de diffusion.
- 97 Sur le soutien de Hennessy à la presse, cf. Dubasque F., Jean Hennessy..., op. cit., p. 161-169.
86C’est évidemment grâce aux alliances nouées avec la presse nationale que la Ligue s’assure une publicité hexagonale. Deux quotidiens nationaux soutiennent indéfectiblement son action. L’Œuvre est dirigée par d’ardents propagandistes de la Ligue – son « bailleur de fonds » Jean Hennessy97, son directeur, Gustave Téry, figurent parmi les fondateurs de la Ligue ; son rédacteur, Jean Piot, et son rédacteur en chef, Robert de Jouvenel, sont membres du conseil central et du bureau de la Ligue. Avec un tirage de 150 000 exemplaires, il permet de toucher les masses. Il offre également un accès de choix au lectorat étudiant qui le prise. L’Ère Nouvelle bénéficie d’un succès d’estime et d’une réelle influence dans le débat politique grâce à la réputation de sa rédaction. Ses journalistes les plus en vue, à commencer par son rédacteur en chef (jusqu’en 1922) Yvon Delbos, ou Maurice Charny, font partie de la Ligue dès sa création et leur journal s’engage précocement en faveur du Cartel. Son influence dans le débat politique tient alors aussi au fait qu’il ouvre ses colonnes à des personnalités issues des différents courants de la gauche. L’Œuvre comme L’Ère Nouvelle font figure d’organes officiels de la Ligue, informent avec une grande régularité de son activité (motions adoptées par ses commissions, annonces de meetings ou de banquets, comptes rendus de réunions, projet de constitution de sections). Ils assurent aussi la promotion de son chef : ses articles ou discours, insérés en bonne place, sont introduits par des propos flatteurs pour le « grand savant » dont le charisme semble évident au vu de son succès lors des meetings. En 1924, la collaboration entre L’Ère Nouvelle, la Ligue et Painlevé conduit le directeur du journal, Albert Dubarry, à être candidat républicain socialiste dans la 4e circonscription de la Seine.
- 98 Note Jean datée du 12 février 1924, AN A F 7 12952.
- 99 12 avril 1924.
87À partir des lancements du Quotidien, en février 1923, et de Paris Soir en octobre 1923, la Ligue et Painlevé trouvent deux nouveaux alliés de poids. Malgré les aléas de sa création, Le Quotidien dépasse rapidement 200 000 exemplaires et atteint, lors de la campagne électorale de mai 1924, 360 000 exemplaires. Fondé par souscription auprès des lecteurs du Progrès Civique pour favoriser le Cartel des gauches, Le Quotidien est également soutenu par le député républicain socialiste ligueur Jean Hennessy, lequel investit alors une partie de son immense fortune dans la presse. De fidèles ligueurs figurent à son conseil politique – Ferdinand Buisson et Alphonse Aulard – ou, tel François-Albert, y publient régulièrement des éditoriaux. Paris Soir a aussi été fondé pour favoriser la diffusion de l’idée cartelliste, cette fois parmi l’électorat parisien. Son directeur, Eugène Merle, affiche sa proximité avec les républicains socialistes et Painlevé98. D’ailleurs, en avril 1924, lorsque le journal connaît des difficultés, ce dernier s’engage financièrement et dans un appel paru en une99. Grâce à des souscriptions, Paris Soir survit et, au printemps 1924, tire entre 120 et 150 000 exemplaires. Les informations sur la Ligue de la République diffusées par Le Quotidien et Paris Soir n’ont pas de caractère systématique. Néanmoins, ils mettent en valeur ses principales manifestations, les discours de Painlevé et, d’une manière générale, accompagnent la propagande ligueuse en faveur du Cartel.
- 100 « Rapport du commissaire nommé pour l’appréciation des apports » lors de la création de La Républi (...)
88Lancée en avril 1923, La République a beaucoup contribué à l’identification de la Ligue comme précurseur du Cartel des gauches. Trois journalistes ligueurs, Stephen Valot, Pierre-René Chavagnes et Gustave Téry, ont été les chevilles ouvrières de la création de cet hebdomadaire de la Ligue100 qui, pour autant, n’est pas une publication interne. Les deux premiers sont à l’origine de la conception de La République. Leur connaissance du milieu de la presse a permis d’étudier la faisabilité du projet (réalisation technique, distribution, publicité). Le troisième a apporté plus du tiers des capitaux nécessaires à sa création, à titre personnel, mais également en faisant de la société L’Œuvre, un actionnaire de La République. Les auteurs de La République sont tous de fidèles ligueurs à savoir le secrétaire général de la Ligue Pierre-René Chavagnes (directeur politique), des publicistes comme Stephen Valot (rédacteur en chef), Robert de Jouvenel, Francis Delaisi, des journalistes de L’Ère Nouvelle (Yvon Delbos, Maurice Charny) ou de L’Œuvre (Jean Piot), des hommes politiques radicaux (François-Albert, Aimé Berthod et Georges Bonnet) ou républicains socialistes (Painlevé, Maurice Viollette, Gustave de Kerguézec, Vincent de Moro Giafferri), mais également les généraux Sarrail et Verraux. Les articles convergent vers la condamnation du Bloc national et l’espoir de faire revivre la République par la victoire du Bloc des gauches. Le message est appuyé par l’iconographie. La Marianne figurant systématiquement sur la couverture – jeune femme du peuple aux cheveux défaits, partiellement couverts par le bonnet phrygien, allant souvent pieds nus et vêtue d’une robe simple – incarne une République souffrant de l’oppression du Bloc national, mais convaincue de la victoire de la gauche aux élections législatives de 1924. La série « Le Bloc national raconté par l’image », publiée sous la direction de Robert de Jouvenel et dessinée par Raoul Guérin, assène la même idée. Certes, La République est destinée à un très vaste lectorat, aux adhérents de la Ligue comme à d’autres partisans du Cartel. Certes, l’hebdomadaire bénéficie d’une forte publicité et L’Œuvre, par exemple, présente son achat comme un acte citoyen. Pourtant, il demeure difficile d’évaluer l’influence d’un journal dont on ne connaît pas les tirages, mais qui assurément s’immisce sur un marché très concurrentiel. De fait, La République est lancée à la même époque que le Quotidien. Elle est aussi rivale du Progrès Civique. D’ailleurs, après avoir manifesté un grand intérêt pour l’initiative au moment du lancement de la Ligue, Le Progrès Civique cesse dès janvier 1922 de s’en faire le propagandiste, et ce bien qu’Henri Dumay soit membre de son conseil central.
- 101 Ex. L’Œuvre, 11 décembre 1922 et L’Ère Nouvelle, 17 mai 1923.
- 102 L’Ère Nouvelle, 10 mai 1923.
89Dès la fin de l’année 1922, la presse ligueuse se fait l’écho de motions votées en faveur de l’union des gauches lors de réunions organisées par la Ligue101. Pour les élections de 1922 et 1923, les stratégies électorales peuvent être mises en œuvre de façon beaucoup plus indépendante des états-majors de parti. Quand une union des gauches se traduit par une victoire, les journaux ligueurs ne manquent pas de faire savoir le rôle joué par la Ligue de la République102. Incontestablement, en en assurant la publicité avec la presse cartelliste, la Ligue a contribué à montrer la faisabilité d’une telle union. L’engagement de la presse radicalisante a permis à la Ligue d’exister notamment vis-à-vis des électeurs de la famille radicale et de leur rappeler la nécessité d’un Cartel dans l’espoir d’infléchir, par la base, la position du parti valoisien.
90La Ligue de la République doit relever deux autres défis qui ont trait aux relations entre radicalisme et socialisme et à l’image que, dans chacun de ces partis, les courants les plus extrêmes véhiculent sur l’autre. Elle doit convaincre les socialistes du bien-fondé de l’alliance avec les radicaux en leur montrant que ceux-ci ne sont pas des suppôts du Bloc national, qu’ils ont aussi des préoccupations sociales. Elle doit persuader les radicaux que les socialistes ne sont pas de dangereux révolutionnaires, mais des partenaires républicains. La Ligue ne peut influencer directement les états-majors des partis et elle n’a pas, par exemple, organisé de sommets entre ces derniers. Elle n’a pas non plus de relais dans la presse socialisante et ne peut espérer, par ce biais, agir sur l’électorat socialiste comme elle le fait sur l’électorat radical. Elle privilégie donc une autre stratégie.
Les manifestations de l’union des gauches
- 103 Ibid., 28 avril 1922.
- 104 Pour l’atmosphère de ce prélude au Cartel, cf. Soulié M., Le Cartel des gauches et la crise présid (...)
- 105 Prost A., Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de Sciences P (...)
91Pour faire évoluer l’image de l’autre et sa propre image, la Ligue participe à des manifestations auxquelles prennent également part des représentants de la nébuleuse socialisante (élus socialistes, syndicalistes). Elle agit aussi en synergie avec d’autres mouvements connus pour regrouper des hommes de gauche, la Ligue des droits de l’Homme, la Ligue de l’enseignement ou la franc-maçonnerie. Les passerelles entre ces groupements sont évidentes au niveau de leur direction nationale : le président de la Ligue de la République est membre du comité central de la Ligue des droits de l’Homme, le président de cette dernière, Ferdinand Buisson, et le président de la Ligue de l’enseignement, François-Albert, sont membres du conseil central de la Ligue de la République. L’imbrication vaut aussi au niveau local : ainsi, Yvon Delbos, membre du bureau de la Ligue de la République, préside la fédération départementale de la Ligue des droits de l’Homme en Dordogne. Par ailleurs, des maçons sont membres de la Ligue, tel Ariès, chef du secrétariat du Grand Orient, qui figure à son conseil central. Outre le fait que les anniversaires de la Ligue sont organisés au Grand Orient, les conférences prononcées à l’invitation de loges attestent de cette connivence. Ainsi, le 29 avril 1922, les loges Étincelle, France et Colonies, Justice, Inséparables du Progrès, Persévérance, Thélème, Unité maçonnique organisent, dans la salle des Fêtes du Grand Orient, une réunion sur la Ligue de la République au cours de laquelle prennent la parole Painlevé, Hennessy, le Général Sarrail et Stephen Valot103. Dans les années 1920, l’ensemble de ces groupements, auparavant très liés au radicalisme, se rapproche des milieux socialistes et la Ligue de la République peut ainsi tirer grand profit des actions menées conjointement avec eux104. Elle agit également avec une myriade d’associations appartenant à la nébuleuse républicaine, tels le Club du Faubourg, les compagnons de l’Université nouvelle, la Jeunesse laïque et, au niveau local, quantité d’unions, de comités ou de cercles républicains susceptibles de faire cohabiter des militants issus de toutes les tendances de la gauche. Cette vaste entreprise de rassemblement a enfin conduit à créer, dès janvier 1922, une Fédération nationale des anciens combattants républicains. Son objectif : contrecarrer l’influence de l’Union nationale des combattants (UNC) dont elle accueille des transfuges105. Fonteny, haut dignitaire de la franc-maçonnerie, est l’un de ses promoteurs. Ses présidents d’honneur sont tous des hommes de gauche, radicaux (Édouard Herriot, Gaston Doumergue et Ferdinand Buisson), républicain socialiste (Painlevé), socialiste français (Frédéric Brunet), voire socialiste unifié (Joseph Paul-Boncour). Association de taille moyenne (au début des années 1930, elle compte entre 70 000 et 120 000 adhérents), se développant sur les terres traditionnellement acquises à la gauche, la FNCR est partie prenante des manifestations visant à rassembler le parti républicain.
- 106 L’Ère Nouvelle, 13 novembre 1922.
- 107 Ibid., 24 février 1923.
- 108 Ibid., 3 mars 1923.
92Dans ses manifestations propres et dans celles qu’elle co-organise ou auxquelles elle est invitée, la Ligue de la République affirme ses préoccupations sociales. En novembre 1922, Painlevé préside le banquet de clôture du congrès des fonctionnaires. Son discours en faveur d’un renouveau du syndicalisme, rendu nécessaire par les menaces que le Bloc national ferait peser sur les libertés syndicales106, est suivi de ceux de Joseph Paul-Boncour et de Léon Blum. En mars 1923, la Ligue de la République organise une « journée du BIT » à laquelle elle convie son directeur, Albert Thomas107. Elle souhaite ainsi saluer l’œuvre accomplie par le BIT dont elle s’inspire pour sa réflexion en matière d’organisation du travail. Cette journée est aussi clairement conçue comme une manifestation d’union des gauches pour la défense du monde du travail. Lors du banquet, les membres de la Ligue côtoient des militants syndicalistes, en particulier des représentants de la CGT, dont Léon Jouhaux108. Comme les revendications sociales constituent le point d’achoppement pour un rapprochement électoral entre les socialistes et les radicaux, la Ligue s’en tient cependant à affirmer son intérêt pour cette question. Elle ne tente pas, ce qui aurait été vain, de définir un programme d’action dans ce domaine pour le Cartel. En revanche, la Ligue fait campagne sur le thème, plus général et plus facilement fédérateur, de la défense d’une République sociale. La synthèse entre l’affirmation des préoccupations sociales de la Ligue et l’adhésion de la gauche à la même conception de la République est réalisée dans La République. Le régime et la société dans lesquels la gauche socialiste peut s’identifier sont incarnés par cette Marianne, jeune femme du peuple aux revendications sociales, qui figure également dans Le Quotidien.
93La Ligue participe en outre à des rassemblements dans lesquels les valeurs républicaines sont à l’honneur. Les cérémonies pour la paix ou en faveur de l’amnistie sont ainsi instrumentalisées dans le contexte de lutte contre le Bloc national. En juillet 1922, les ligues de la République, des droits de l’Homme, la FNCR, la CGT, les partis, SFIO, socialiste français, radical socialiste, et la Grande loge de France s’associent lors d’une importante manifestation pour la paix organisée à Paris. La présidant, Painlevé achève son discours en s’élevant contre « le cambriolage de la victoire » :
- 109 La Dordogne Républicaine, 20 août 1922.
« Ce sont les poilus qui, en donnant leur sang ont gagné la guerre, et c’est la réaction qui l’a exploitée et en a tiré profit. [...] Groupons tous nos efforts pour réduire à l’impuissance, à quelques pays qu’ils appartiennent, les assassins de la paix109. »
- 110 L’Ère Nouvelle, 2 novembre 1922.
- 111 Ibid., 26 décembre 1922.
94Aussi en 1922, les gauches s’unissent pour commémorer le centenaire de l’exécution des quatre sergents de La Rochelle. Le comité du centenaire est présidé par Painlevé, vice-présidé notamment par les radicaux Buisson et Herriot ou le socialiste Paul-Boncour. Les ligues de la République et des droits de l’Homme, des loges maçonniques, participent aux commémorations organisées à Lorient, en juillet, à La Rochelle, en septembre, et en novembre, à Paris. L’anniversaire d’un événement historique prend la tournure d’une campagne en faveur de l’amnistie. Ce thème, devenu l’un des sujets favoris de Painlevé, est au cœur du discours fortement politique qu’il prononce lors de la manifestation parisienne110. Quelques semaines plus tard, il reprend la plume dans un long article intitulé « Amnistie », publié en une par L’ère Nouvelle111.
- 112 Notamment, « Le 31 juillet 1914 », La République, no 16, 28 juillet 1923.
- 113 Ibid., no 10, 16 juin 1923.
- 114 Ben-Amos A., « La “panthéonisation” de Jean Jaurès », Terrain, 15, octobre 1990, p. 48-64.
95La figure de Jaurès joue un rôle particulier dans cette campagne de séduction par laquelle la Ligue tente de se rapprocher des socialistes, de rapprocher les socialistes des radicaux et vice versa. Dans ses discours et articles, le président de la Ligue salue souvent la mémoire du leader socialiste et se plaît à reprendre ses propos112. La République se pose aussi en héritière de Jaurès qu’elle cite sur sa première de couverture : « Le peuple sans la République est impuissant, la République sans le peuple est vide (Jaurès)113. » La presse cartelliste et ligueuse soutient la campagne, initiée par la Ligue des droits de l’Homme, en faveur du transfert des cendres du tribun au Panthéon et se fait l’écho de la série de commémorations organisée en son honneur114. L’une d’entre elles, l’inauguration d’un monument à sa mémoire, à Montpellier, en octobre 1922, est représentative de l’instrumentalisation du souvenir. Pendant deux jours, diverses figures de la gauche s’associent à l’événement : Painlevé, Buisson, Paul-Boncour, Renaudel et Blum, ainsi que Dumoulin de la CGT. Certes, pour les non-socialistes, ce ne sont pas les étiquettes partisanes qui sont mises en avant ; Painlevé y représente la Ligue de la République et Buisson la Ligue des droits de l’Homme. Pour les cartellistes, ce rassemblement incarne néanmoins la possibilité d’une union des gauches autour de valeurs et d’un passé communs. Le discours prononcé par Painlevé au pied du monument à Jaurès s’inscrit dans cette problématique. Outre l’hommage, nourri de souvenirs personnels, qu’il rend à un père spirituel, Painlevé tire les leçons, pour le socialisme français, de l’apport du tribun incarnant la synthèse entre socialisme et République :
- 115 L’ère nouvelle, 24 octobre 1922.
« Bien que n’ayant jamais appartenu à ce parti socialiste qu’il a servi si passionnément, bien que d’une génération un peu postérieure à la sienne, j’ai beaucoup aimé, j’ai profondément admiré Jean Jaurès. [...] Et puisque Jaurès nous a hélas ! manqué pour tirer une paix démocratique de la victoire des démocraties, inspirons-nous du moins de sa doctrine, qui ne séparait pas l’amour de la France de l’amour de l’humanité, pour grouper ensemble les forces de liberté et de justice contre les forces d’oppression et de violence et arracher la République à ses usurpateurs115. »
- 116 Ibid., 25 octobre 1922.
- 117 Id.
96Les déclarations des autres leaders présents à la commémoration visent également à l’inclusion des socialistes dans la grande famille des républicains. Joseph Paul-Boncour prononce un discours, acte de foi des socialistes pour la République et appel au Cartel. En clôture de ces deux jours de manifestations, Ferdinand Buisson s’exclame : « Vive la République de Jaurès, République laïque, démocratique et surtout plus sociale116 ! » L’ère Nouvelle titre : « La manifestation de Montpellier. Trois mille manifestants acclament le Cartel des Gauches117. » La presse cartelliste, qui donne généralement à cet événement un fort retentissement, en fait également, abusivement par rapport aux intentions de l’état-major socialiste, une préfiguration du Cartel.
- 118 Ibid., 1er novembre 1922.
97Quelques jours plus tard, Paul-Boncour revient avec plus de lucidité sur l’effet que peuvent avoir de telles meetings : « rapprocher un instant, faire vibrer à l’unisson des républicains », « permettre ainsi à l’heure de la bataille, si leurs amis respectifs les jugent possibles, les alliances d’où peut sortir l’écrasement de la réaction118 ». De fait, la commémoration de Montpellier a constitué une étape en faveur d’un rapprochement des gauches. Par ailleurs, elle a, comme le retrait des radicaux, sans doute contribué à transformer l’image de la Ligue de la République et celle de Painlevé. Comme en témoigne l’une des notes Jean conservées dans les archives du ministère de l’Intérieur, Painlevé fait plus que jamais figure de médiateur entre socialisme et radicalisme :
- 119 Note datée du 31 octobre 1922. AN F 7 12951.
« On commente beaucoup dans les milieux politiques la récente manifestation du Cartel des gauches à Montpellier, à l’inauguration du monument Jaurès. Jamais, dit-on, M. Painlevé n’avait donné une si entière adhésion au socialisme. L’ancien président du Conseil par haine du Bloc national estime qu’il n’y a pas de République sans socialisme119. »
- 120 L’Œuvre, 5 juin 1923.
98En juin 1923, de nouvelles manifestations d’hommage à Jaurès sont organisées à Carmaux et à Toulouse. Cette fois, les radicaux sont, en tant que tels, représentés, notamment en la personne d’Herriot. Painlevé termine le discours prononcé dans la ville rose par un « appel à l’union des républicains pour les luttes prochaines120 ». La République présente ces cérémonies tel un moment de communion de la gauche autour d’une figure emblématique et évoque les alliances électorales qui pourraient en découler :
- 121 no 10, 16 juin 1923.
« L’élan donné à Carmaux et à Toulouse s’étendra bien au-delà du Tarn et de la Haute-Garonne. Avec de la discipline l’on finira par se mettre d’accord sur un programme d’action commune. Le principe en a été nettement formulé et approuvé dans les meetings méridionaux. Il tient dans cette simple phrase : Rendre la République aux républicains121. »
- 122 JO, Débats parlementaires, Chambre des députés, 8 juin 1923, p. 2 429.
99Quelques jours plus tard, à la tribune de la Chambre, à l’occasion des débats sur le décret Bérard, Painlevé, applaudi par la gauche et l’extrême gauche, défend la mémoire de Jaurès et son héritage politique122. D’une part, il reproche au ministre de l’Instruction publique son refus de donner le nom de Jaurès au lycée de la ville de Castres, et ce alors que la municipalité en a unanimement émis le vœu. D’autre part, il inscrit sa conception de l’enseignement des humanités et des langues modernes dans la filiation de celle du « plus grand humaniste » qu’il lui ait été donné de connaître.
- 123 Anizan A.-L., « La Ligue de la république, un pont entre socialisme et radicalisme ? », in Castagn (...)
100La Ligue s’est progressivement imposée dans le paysage politique tel un pont entre radicalisme et socialisme123. L’image de Painlevé a évolué parallèlement. Son action au sein de la Ligue, son opposition au Bloc national, y compris en tant que parlementaire, la confiance qu’il témoigne aux socialistes, contribuent à lui forger une image d’indépendance par rapport au parti radical et de bienveillance à l’égard des idées socialistes. Si, au moment de la création de la Ligue, certains avaient pensé que les appels de Painlevé à l’union des républicains dessinaient les contours d’une alliance de type concentration, il est ensuite devenu évident qu’ils visaient à inclure les socialistes. Au printemps 1923, dans un article intitulé « Pour abattre le Bloc national, M. Painlevé fait appel à la plus grande union des gauches », sans citer les partis, mais en évoquant de grands ancêtres, Painlevé définit une alliance allant du socialisme au centre gauche. À la question « Comment envisagez-vous cette union des forces de gauche ? », Painlevé répond :
- 124 Le Journal du Peuple, 21 avril 1923.
« Je la voudrais large, très large, trop peut-être au gré de certains, qui paraissent ne pas voir la situation telle qu’elle est... Depuis six ans il y a un recul redoutable de l’esprit républicain. [...] Si les élections de 1924 étaient de même nature que celles de 1919 nous reviendrions très en arrière. [...] Je fais appel à tous ceux qui malgré des aspirations diverses, ont l’esprit républicain et qui n’estiment pas que la violence est la seule voie de salut. [...] L’union de ceux-là est aussi possible que nécessaire. Reportons-nous au passé ! Quand en 1877, la République fut menacée par le mauvais coup du 16 mai, tous ceux qui eurent foi dans la République depuis M. Étienne Lamy jusqu’à Jules Guesde, firent bloc contre la réaction. Étienne Lamy, Jules Simon, Jules Ferry, Gambetta, Jules Guesde oubliaient-ils, reniaient-ils leurs conceptions particulières ? Non ! Ils obéissaient à la loi de la nécessité, ils luttaient contre un danger commun, pour une sauvegarde commune124. »
- 125 Ibid. et Le Savoyard de Paris, 22 novembre 1923.
101Le chef de la Ligue de la République est désormais présenté comme l’incarnation de la future gauche unie. Cette appréciation n’est pas l’apanage de la presse cartelliste ; elle est aussi portée par d’autres titres comme Le Journal du Peuple qui, en avril 1923, en fait le « leader de l’union des forces de gauche » ou Le Savoyard de Paris qui, en novembre 1923, le présente comme la « personnification du Bloc de gauches125 ».
La campagne cartelliste avec les partis
102Avec d’autres associations de la nébuleuse républicaine, la Ligue de la République a préparé les esprits à la nécessité d’un Cartel. Elle n’est cependant pas en mesure de se lancer seule dans la campagne électorale. Certes, elle porte un programme. Certes, elle dispose de relais humains permettant au niveau local, comme au niveau national, de diffuser son message et de médiatiser son action. Mais il lui manque un vivier de personnalités suffisamment connues pour affronter sur l’ensemble du territoire les électeurs « républicains » déjà très sollicités par des partis de plus en plus offensifs au fur et à mesure qu’ils s’organisent. De toute façon, la Ligue n’a jamais souhaité agir comme un concurrent desdits partis lorsqu’il s’agit de la lutte électorale, et sa direction n’envisage pas de présenter ses propres candidats. De fait, la réalisation de l’alliance électorale dépend de la décision du petit parti républicain socialiste et, surtout, des deux « poids lourds », radical et socialiste unifié. Plus l’échéance du printemps 1924 se rapproche, plus il devient urgent d’obtenir leur ralliement à la stratégie cartelliste.
Le ralliement des partis
- 126 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 352-358.
103Lorsqu’il renaît en avril 1923, le parti républicain socialiste se dote d’un programme fortement inspiré par celui de la Ligue de la République dans laquelle les principaux parlementaires républicains socialistes – Painlevé, Hennessy, de Moro-Giafferi, de Kerguézec – se sont précocement engagés. La reconstitution du parti n’a cependant pas été portée par ces derniers, mais par la fédération des Bouches-du-Rhône et le député de l’Ardèche Louis Antériou (également membre du conseil de la Ligue)126. Avec Maurice Viollette, ligueur convaincu qui n’a pas été réélu député en 1919, ils ont choisi d’engager le parti sur la ligne suivie par les parlementaires ligueurs, dont ils ont ainsi obtenu le ralliement. Dès lors, le parti républicain socialiste renaissant devient un ardent propagandiste du Cartel.
- 127 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 359-365.
- 128 L’Œuvre, 31 juillet 1923.
- 129 Ibid., 2 août 1923.
- 130 L’Ère Nouvelle, Le Quotidien et L’Œuvre, 8 octobre 1923.
- 131 L’Œuvre, 1er décembre 1923.
- 132 Ibid. et L’Ère Nouvelle, Le Quotidien ou La République entre octobre 1923 et mai 1924.
104Le rapprochement avec le parti radical a été plus progressif. Se conformant à l’avis exprimé par sa base depuis de longs mois, le parti valoisien rompt avec le Bloc national en juin 1923, sans pour autant faire le choix du Cartel127. Le 30 juillet, Charles Chaumet, successeur de Mascuraud à la tête du Comité républicain pour le commerce, l’industrie et l’agriculture, lance un appel solennel à la reconstitution d’une union républicaine englobant les modérés et les radicaux. Dès le lendemain, Painlevé, s’instituant conscience de la gauche, met en garde les radicaux contre les dangers d’une telle alliance128. Deux jours plus tard, également dans L’Œuvre129, Herriot fait connaître son opposition à la proposition de Chaumet, sans se prononcer pour autant en faveur du Cartel. Au début de l’automne, des manifestations en faveur du Cartel ponctuent les congrès fédéraux du parti radical. Début octobre, Painlevé est invité à présider le banquet qui suit le congrès des fédérations radicales du Vaucluse au cours duquel a été adoptée, à l’unanimité, une motion affirmant la volonté de construire le Cartel des gauches130. Dix jours plus tard, au congrès national de Paris, le parti se rallie officiellement à cette stratégie. Les parlementaires radicaux, bien qu’absents à l’assemblée générale de la Ligue organisée fin octobre à Paris, participent, à l’image d’Herriot, à son conseil central de novembre131. Ils s’associent désormais aussi à sa propagande. Fin novembre, Painlevé et Herriot sont ainsi les vedettes d’une grande manifestation en faveur du Bloc des gauches organisée au Palais de la Mutualité. Des comités radicaux invitent également fréquemment des ligueurs à des réunions anti Bloc national et pro Cartel132. Les années 1922 et 1923 ne semblent avoir été qu’une parenthèse. La Ligue de la République redevient le grand lieu de rassemblement radicalisant qu’elle avait été durant ses premiers mois d’existence.
- 133 Augé-Laribé M., Berthod A., Borel É., Bouglé C., Daladier É., Demangeon A., Dumas G., Herriot É., (...)
105Au début de l’année 1924, la parution de La politique républicaine133 témoigne de l’alliance entre socialistes indépendants et radicaux ligueurs. L’ouvrage est aussi significatif du soutien d’universitaires ligueurs au combat cartelliste. Ils contribuent à l’inscrire dans l’histoire longue de la République, aussi à légitimer les propositions de la gauche en matière économique et financière. Seignobos présente « L’histoire du parti républicain » et Lévy-Bruhl « L’idéal républicain ». Un vaste programme réformateur est ensuite proposé. Painlevé dans son article sur la politique étrangère appelle de ses vœux l’entrée de l’Allemagne et de la Russie à la SDN. Borel propose une réforme de la présidence du Conseil donnant au chef du gouvernement les outils pour diriger effectivement le cabinet. Le même auteur suggère, afin d’améliorer et d’accélérer le travail parlementaire, de repenser le système des commissions, de les ouvrir à des représentants des grandes associations patronales, ouvrières, intellectuelles. Berthod consacre son article à la réforme administrative. Daladier propose celle de l’armée, notamment avec le service d’un an. Jèze envisage la réforme des finances et Rist, traitant de la politique économique, propose la création d’un Conseil national économique.
- 134 L’Œuvre, 4 et 8 décembre 1923 ; L’Ère Nouvelle, 21 novembre, 3, 9, 13 et 21 décembre 1923, 9 janvie (...)
- 135 Sur les débats au sein de la SFIO, Berstein S., Léon Blum, Paris, Fayard, 2006, p. 249-253.
106L’action commune esquissée ici n’a de sens que si le parti socialiste SFIO se rallie à la stratégie de Cartel. Dès lors, radicaux, républicains socialistes, socialistes français, des membres de la Ligue de la République et/ou d’autres associations favorables au Cartel des gauches, mènent une active propagande visant à convaincre le parti socialiste du bien-fondé de son adhésion. à l’issue de certaines réunions, la Ligue se vante d’avoir obtenu le soutien d’élus locaux, voire de groupements socialistes, ainsi que le vote de motions adoptées par des auditoires comptant des centaines, voire des milliers de personnes134. En février 1924, lors de son congrès national, la SFIO prend position en faveur du Cartel135. Cependant, chaque fédération conserve la liberté de s’associer aux autres partis de gauche. En cas de liste commune, le parti exige que les candidats socialistes présentent leur propre programme. La SFIO refuse en outre d’envisager la participation socialiste à l’exécutif formé à l’issue de ces élections et ne conçoit pas comme automatique le soutien de la SFIO à ce dernier.
107Le Cartel des gauches a toujours été conçu, par la Ligue et par les trois partis précédemment cités, comme excluant les communistes. Après le ralliement des socialistes et malgré les restrictions formulées, la campagne électorale peut donc débuter.
La puissance des réseaux ligueurs au service des stratégies partisanes
- 136 Le Quotidien, 11 janvier 1924 ; L’ère Nouvelle, 12 janvier 1924 ; L’Œuvre, 16 janvier 1924.
- 137 Le Quotidien, 29 janvier 1924 ; Le Quotidien et L’ère Nouvelle, 1er février 1924 ; L’Œuvre 3 févrie (...)
- 138 L’ère Nouvelle, 1er mars 1924 et L’Œuvre, 2 mars 1924 ; Le Quotidien, 15 mai 1924.
108Dans la campagne électorale, la Ligue de la République et la presse ligueuse et/ou cartelliste se mettent au service du Cartel en action. Elles ont actualisé les mots d’ordre susceptibles de rassembler les gauches, qu’il s’agisse de la défense de la République ou des revendications sociales. Par exemple, la Ligue de la République fait savoir qu’elle demande aux parlementaires de s’opposer au projet de la commission de la Chambre en matière d’Assurances sociales136, puis qu’elle refuse les décrets-lois considérés comme une atteinte à la souveraineté du Parlement137. La Ligue poursuit l’organisation de meetings, toujours pour dénoncer les méfaits du Bloc national, aussi pour persuader les candidats de constituer des listes de Cartel et les électeurs de voter pour lesdites listes. Au fil des jours, la presse cartelliste fait part de la conclusion d’alliances dans les circonscriptions et encourage les indécis à suivre les plus convaincus. Elle se fait aussi pédagogue pour expliquer la nécessité de l’alliance électorale et les règles à respecter au moment du vote. Elle explique simplement les enjeux du mode de scrutin (majorité absolue, quotient et plus forte moyenne) et met en garde contre le panachage qui risquerait d’affaiblir la moyenne des listes de Cartel. Elle réalise des projections à partir des résultats de 1919 et annonce, avec une force de conviction surprenante, la victoire du Cartel, plusieurs semaines avant la date des élections. La presse cartelliste et la Ligue de la République éditent en outre des documents de propagande (affiches, brochures) qu’elles mettent à la disposition des électeurs et des candidats138. Leur propagande est uniformisée, non seulement par l’exploitation des mêmes thèmes, mais encore par l’adoption de modes de représentation graphique et de symboles communs. À partir de 1924, la Marianne qui était depuis la création de La République le symbole du combat en faveur du Cartel, figure également dans L’Œuvre et Le Progrès Civique. Les Marianne des autres journaux, jeunes femmes aux pieds nus et aux cheveux défaits, mises en scène dans des situations similaires, lui ressemblent fort.
- 139 APPP, BA 1650.
- 140 L’Œuvre et L’ère Nouvelle 17 mars 1924.
109Dans certaines circonscriptions, les sections de la Ligue de la République se sont transformées en comités de propagande en faveur du Cartel139. Dans cette campagne désormais menée avec les partis, Painlevé se conforme à l’image de leader de l’union de la gauche qu’il s’est forgée avant leur ralliement. Bien qu’il ait retrouvé des responsabilités comme membre de la délégation parlementaire de son parti, ce n’est pas en tant que républicain socialiste qu’il s’affiche dans les débats publics, et ce jusqu’à ce qu’il mène sa propre campagne dans la 3e circonscription de la Seine à la mi-avril 1924. Pour autant, il s’associe volontiers à son parti quand ce dernier se met explicitement au service du Cartel. Ainsi, le 16 mars 1924, Painlevé est la personnalité phare du banquet de Saint-Étienne auquel le parti républicain socialiste a convié toutes les forces de gauche non communiste140. En proposant, à l’issue de son congrès, cette réunion conviviale, qui plus est dans une ville symbolique par excellence – en 1902 Waldeck-Rousseau y avait appelé les républicains et les socialistes à l’union et à la discipline –, le parti républicain socialiste se présente en structure ouverte jouant la carte du rassemblement.
110Les rapports de la Ligue de la République et de son chef au système partisan sont donc complexes. Collectivement, la Ligue a toujours dit être au-dessus des partis et il est vrai qu’elle n’a pas pris position en faveur de l’un ou l’autre. En même temps, par sa composition comme son programme, elle est indéniablement plus proche de trois d’entre eux. Son programme constitue en outre la plate-forme à partir de laquelle Le Quotidien a défini le programme cartelliste auquel se sont ensuite ralliés les partis. Enfin, sa propagande peut directement influencer les résultats électoraux desdites organisations. L’idéal de dépassement des partis, jugé réalisable au niveau de l’action collective pour préparer le rapprochement des gauches, n’a jamais été conçu comme valable individuellement. Entre 1921 et 1924, bon nombre de ligueurs ont continué d’adhérer à un parti ; les ligueurs candidats aux élections législatives de 1924 – qu’ils briguent pour la première fois un mandat ou qu’ils soient de vieux routiers de la politique – ne substituent pas l’étiquette de la Ligue à une étiquette partisane. Ils ne considèrent sans doute pas leur combat ligueur, aussi vertueux soit-il, comme suffisamment identitaire. Ainsi, les plus fidèles se présentent soit comme radicaux (Ferdinand Buisson, Émile Borel), soit comme républicains socialistes (Painlevé, Pierre Appell, Raoul Brandon). Les ligueurs ne rejettent donc pas la politique traditionnelle ; ils espèrent plutôt la transformer de l’intérieur.
- 141 Note datée du 14 février 1924, APPP, BA 1650.
111Certains militants, en porte-à-faux avec cette doxa, auraient souhaité que la Ligue soit une instance de proposition indépendante des partis et qu’elle désigne elle-même des candidats pour les élections de 1924. La presse ligueuse se garde bien de se faire l’écho de ces débats internes. Contrairement à d’autres militants qui n’ont pas d’engagement partisan, le chef de la Ligue sait pertinemment que des initiatives perçues par le parti radical ou par le parti socialiste comme une forme de concurrence ou de récupération de la campagne cartelliste par un organisme indépendant peuvent nuire à la Ligue, et peut-être aux résultats du Cartel. Pour Painlevé, les partis doivent désigner les compétiteurs et il encourage les ligueurs qui souhaitent participer à la désignation des candidats à adhérer à l’un de ceux qui soutiennent le Cartel141.
Une réélection paradoxale
112À partir de la fin du mois de mars 1924, et durant quelques semaines, l’échelle de l’investissement redevient plus locale. Painlevé se consacre d’abord à la constitution de sa liste, puis mène activement campagne dans la Seine. Les enjeux personnels et locaux se superposent aux enjeux collectifs et nationaux : Painlevé doit assurer sa réélection dans sa circonscription parisienne et faire élire le maximum de candidats de sa liste pour contribuer, plus globalement, à la constitution d’une majorité parlementaire de Cartel. Pourtant, et bien que son engagement au long cours à la Ligue l’associe étroitement à la constitution de ce nouveau Bloc, bien qu’il bénéficie d’une forte médiatisation, les griefs à son égard et les rivalités locales rendent le dessein plus qu’incertain dans la 3e circonscription de la Seine.
Une liste de « Cartel républicain et socialiste »
- 142 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 377-382.
- 143 L’Œuvre, 14 et 28 janvier 1924.
113La liste conduite par le chef de la Ligue de la République appartient à la catégorie des listes les moins à gauche auxquelles se sont associés des radicaux142. Concurrencée par deux autres listes de gauche – « Bloc ouvrier-paysan » constituée par les communistes, « Unité socialiste et ouvrière » présentée par la SFIO – elle est, de ce fait, repoussée vers le centre. L’initiative de la rupture est venue des socialistes. Précisément en raison de la situation dans la 3e circonscription, la fédération de la Seine avait laissé aux groupes de chacune des quatre zones électorales le choix d’appliquer, ou non, le Cartel143. Les rancœurs à l’encontre du ministre de la Guerre de 1917 qui avait, en 1919, juxtaposé sa liste avec celle des socialistes dissidents, conduisent à la décision de ne pas présenter de liste de Cartel, seulement dans la circonscription suscitée. Ici, Bracke, député sortant, connu pour être une forte personnalité, représentant la gauche de son parti et moins enclin que d’autres au compromis, prend la tête d’une pure liste SFIO. La dénomination de celle conduite par Painlevé, « Cartel républicain et socialiste », est habile. Le premier terme est employé pour manifester son inscription dans la ligne cartelliste. Le deuxième et le troisième rappellent les deux axes politiques du Cartel : la défense du régime républicain et l’application d’une politique sociale. En outre, ils assimilent la famille politique de la tête de liste à ce programme.
- 144 Comptes rendus rédigés par Pierre Appell à l’issue des réunions constitutives de la liste Painlevé (...)
- 145 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 186.
114Le « Cartel républicain et socialiste » a été constitué à l’issue de tractations entre les partis le soutenant officiellement, à savoir républicain socialiste, radical et socialiste français144. La tête de liste n’est pas contestée à Painlevé. Certes, son score en 1919 était inférieur à ceux des socialistes dissidents, mais les biais introduits par l’exploitation des failles du système électoral ne permettaient pas d’estimer l’avance réelle de ces derniers dans l’opinion. Par ailleurs, en raison de son statut de savant, des responsabilités ministérielles exercées pendant la guerre, de son ancienneté au sein des républicains socialistes et de son action à la Ligue de la République, Painlevé dispose de la plus forte notoriété nationale et de la plus grande légitimité politique. L’attribution des places à chacun des partis (nombre de candidats et situation sur la liste) a, en revanche, donné lieu à d’âpres négociations. Au regard de l’importance des comités radicaux dans le secteur – la Seine est le plus spectaculaire cas de distorsion entre militantisme et audience électorale145 – et plus généralement de la représentation de leur parti dans le pays, les radicaux réclament un nombre de places – initialement huit, puis six sur treize – jugé inadmissible par les représentants des autres familles politiques. Finalement, comme Painlevé le conseillait, quatre leur échoient, confiées à Ferdinand Buisson (troisième), Célestin Bouglé (cinquième), Sadi-Lecointe (neuvième) et Tony-Révillon (treizième). Les républicains socialistes disposent d’autant de candidats. Outre Painlevé et Raoul Brandon, le candidat ancien combattant, François-Camille Bougrat, est choisi dans leurs rangs. La place que la tête de liste souhaitait réserver au directeur de L’Œuvre pour s’assurer le soutien du journal revient, suite au refus de Gustave Téry, à Léon Mabille, secrétaire général de la fédération de la Seine du parti républicain socialiste. L’équité vaut avec les socialistes français représentés par Arthur Levasseur, Paul Aubriot, Jérôme Lévy et Paul Fleurot.
115Le secrétaire général du comité républicain du commerce et de l’industrie, Louis Merlet, également membre de la rédaction de L’ère Nouvelle, représente lui les républicains de gauche. En élargissant la représentativité de sa liste, Painlevé, à l’origine de cette proposition, espère récolter les voix de citoyens ayant, en 1919, voté pour le Bloc national.
- 146 AN 313 AP 209.
116La liste est représentative d’un fort engagement au sein des ligues des droits de l’Homme et de la République : Buisson et Bouglé sont respectivement président et vice-président de la première, Painlevé, membre de son comité central ; tous trois et Raoul Brandon, sont membres du conseil central de la deuxième. La liste se distingue également par la forte représentation des professions intellectuelles. Trois candidats sont professeurs à la Sorbonne (Painlevé, Buisson et Bouglé) ; l’instituteur François-Camille Bougrat est devenu professeur de lettres. Elle compte aussi trois juristes, Jérôme Lévy, Louis Merlet et Tony-Révillon. Les autres candidats, même quand ils exercent des professions intellectuelles supérieures, sont plus directement concernés par l’action sociale. Léon Mabille, docteur en médecine, syndic de la presse scientifique, est spécialiste de l’hygiène sociale. Les députés sortants, Levasseur – ancien employé de commerce – et Aubriot – secrétaire général de la fédération nationale des syndicats d’employés –, incarnent la défense du petit commerce et des employés. L’architecte Brandon, professeur à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts, s’est spécialisé dans les Habitations à bon marché de la ville de Paris. Fleurot est pour sa part un spécialiste des questions d’enseignement et d’assistance. Contrairement à ses concurrentes socialiste et plus encore communiste, la liste Painlevé ne comporte pas de représentant du monde ouvrier. Pour compenser ce handicap, la propagande met en avant l’origine modeste et le mérite de ses membres. Ainsi, d’après les notices biographiques présentées aux électeurs146, Sadi-Lecointe, « né d’une famille de travailleurs », entrait à l’usine à 13 ans comme apprenti mécanicien ; « Son intelligence, son labeur et son cran lui faisaient vite gravir les échelons subalternes. » Quant à Brandon, « fils d’un ouvrier cloutier et aîné de douze garçons », il « fit de rapides études aux Écoles des Beaux-Arts et Arts décoratifs en gagnant sa vie et celle de cinq frères aidé seulement d’une bourse de 900 francs par an, qu’il remboursa par la suite ».
Une campagne cartelliste
- 147 Ibid.
- 148 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 383-386.
117Le programme147, véritable carte d’identité, ressemble dans l’ensemble à ceux présentés par les listes cartellistes148.
118Débutant par les engagements en matière de politique étrangère, il affirme le juste droit de la France aux réparations. Mais, conformément aux recommandations des experts, il appelle de ses vœux le développement de la SDN et l’admission de l’Allemagne, fait silence sur l’occupation de la Ruhr. Cependant, contrairement à la plupart des listes cartellistes, celle conduite par Painlevé prend ouvertement parti pour la reconnaissance de la Russie soviétique, présentée comme un moyen d’affermir la paix en Europe ; elle n’en défend pas moins les intérêts des porteurs de titres russes.
119Le programme traite ensuite de la politique intérieure envisagée d’abord sous l’angle de l’épineux problème financier. Les candidats estiment nécessaire de revenir à l’équilibre budgétaire par une réelle et juste réduction des charges. Ils réclament une baisse des dépenses militaires, notamment par la réduction de la durée du service militaire, mais ne reprennent pas à leur compte l’objectif du service d’un an largement défendu par les listes cartellistes. L’augmentation des recettes, à commencer par le paiement effectif des réparations et un meilleur rendement de l’impôt, doit être la seconde voie explorée pour restaurer l’équilibre budgétaire. Les candidats proposent une réforme fiscale dont les grands axes seraient la suppression de la taxe sur le chiffre d’affaires et un impôt sur le revenu plus progressif. Si le terme d’impôt sur le capital n’est pas employé, figure néanmoins l’idée d’une « part supplémentaire d’impôts aux enrichissements sans cause ou disproportionnés au capital engagé ». Le programme défend en outre le maintien des monopoles d’État, mais réclame leur industrialisation et leur administration tripartite (État, personnel, usagers) et, d’une manière très vague, « un développement vigoureux de la production industrielle et de l’activité des échanges ».
120En matière sociale, sont revendiqués le maintien de la loi de huit heures, l’application de la loi sur les assurances sociales, l’organisation de la lutte contre le chômage, la révision et l’extension de la loi sur les accidents du travail et de celle sur les maladies professionnelles, la complète reconnaissance du droit syndical, y compris dans les services publics, et l’élaboration d’un statut des fonctionnaires. Durant la campagne, la dénonciation des conditions de vie quotidienne, de la vie chère et des problèmes de logement, prend, comme en 1919, un relief tout particulier. La concurrence de deux autres listes de gauche, aussi la réalité de la situation parisienne, expliquent l’intérêt pour ces questions bien connues par trois des candidats de la liste – Mabille, Fleurot et Brandon.
121Le programme demande par ailleurs une large amnistie « pour les cheminots révoqués, les soldats frappés par les conseils de guerre (les cas de trahison exceptés), pour les ouvriers poursuivis et condamnés sous prétexte de prétendus complots ; pour tous les condamnés à qui l’on ne reproche que des délits d’opinion ». Il n’évoque pas les conditions précises des condamnations et ne se réfère pas aux condamnés les plus célèbres, Joseph Caillaux ou André Marty, mutins de la Mer noire ou grévistes de 1920.
122Les entorses à la séparation des églises et de l’État – le maintien du régime concordataire en Alsace, le retour des congrégations en France ou la reprise des relations diplomatiques avec le Vatican – ne sont pas globalement dénoncées. Dans le programme, les tracts, les articles de presse ou au cours des réunions publiques, le respect de la laïcité est réduit au territoire de l’école. Au-delà, c’est l’égalité des enfants devant l’enseignement qui est réclamée. Sans qu’il soit mentionné comme tel, la liste dénonce le décret Bérard qui a rendu obligatoire l’étude du latin de la 6e à la 3e et du grec de la 4e à la 3e. Sans employer le terme d’école unique, c’est finalement à cette revendication définie par Édouard Herriot qu’elle se rallie.
123La réforme des institutions ne fait pas l’objet d’un plan d’ensemble. À l’image d’un petit nombre de listes cartellistes, le programme de la liste Painlevé stigmatise les décrets-lois comme méthode de gouvernement « violant la légalité républicaine ». À la différence du programme de 1919, il n’est plus question de décentralisation et de régionalisation, ni d’ailleurs de ce qui verra le jour sous la forme du Conseil national économique. En revanche, figure cette fois « le droit de vote municipal et politique pour les femmes ». Enfin, contrairement au quart des listes de Cartel, la liste Painlevé ne revendique pas de modifications du mode de scrutin.
- 149 AN F 7 15989/2, fonds Panthéon, dossier Painlevé.
124Dans l’ensemble, par son programme et les thèmes défendus plus généralement lors de sa campagne, la liste Painlevé ne se différencie pas des listes de Cartel des gauches. Dans un tract adressé « Aux socialistes sincères et honnêtes149 », ses candidats dénoncent « l’anomalie » de la 3e circonscription de la Seine. À leurs yeux, en sont seuls responsables quelques orthodoxes ayant choisi de s’isoler contrairement aux directives de la SFIO. Craignant qu’un royaliste soit à nouveau élu, que le Bloc national soit victorieux dans la circonscription, ils appellent les socialistes à voter « pour la liste de Cartel républicain et socialiste, c’est-à-dire pour la paix et pour la République socialiste ».
- 150 7 mai 1924.
- 151 L’Œuvre 25, 26 avril et 6 mai 1924 ; L’ère Nouvelle, 6 mai 1924.
- 152 Archives de la préfecture de police de Paris, BA 1650.
125Compte tenu du mode de scrutin et du risque de dispersion des voix, la presse cartelliste fait silence sur la division de la gauche dans la 3e circonscription de la Seine. L’Œuvre, L’ère Nouvelle, Le Quotidien et Paris Soir soutiennent exclusivement la liste Painlevé au détriment de celle conduite par Bracke. Ils présentent le programme du « Cartel républicain et socialiste » comme étant conforme aux engagements cartellistes et vantent les mérites de ses candidats. Certains journaux éditent des éditions spéciales destinées aux électeurs du 3e secteur de la Seine, tel Le Quotidien qui titre « Pour abattre le Bloc national votez pour le Cartel républicain et socialiste » son supplément gratuit150. La presse cartelliste met les électeurs en garde contre ceux qui, pour diminuer la moyenne de la liste Painlevé et amoindrir son résultat, font circuler des listes panachées. Elle annonce et rend compte positivement de ses réunions publiques qui rencontrent « un accueil chaleureux », « connaissent un succès croissant », font « salles combles151 ». Elle tait l’ampleur des attaques communistes à laquelle, de fait, la liste Painlevé doit faire face. Lors de ses meetings, l’opposition s’affiche pourtant bruyamment : les candidats sifflés, conspués, accusés de n’être que le Bloc national déguisé, sont empêchés de parler par des militants d’extrême gauche qui s’époumonent à chanter l’Internationale, voire les molestent152.
- 153 14 mai 1924.
126La presse cartelliste continue d’assurer la promotion de Painlevé, cette fois comme tête de liste du Cartel. Les commentaires des journaux et le fait qu’ils le font figurer sur le même plan qu’Herriot et Blum le projettent comme l’un des chefs de la future majorité, en même temps qu’ils contribuent à construire cette identité. L’Œuvre publie, en une, une interview conjointe des trois hommes153. Le Quotidien dans un article intitulé « Honorons en Paul Painlevé un grand savant et un grand démocrate », affirme :
- 154 10 mai 1924.
« Si le Bloc national se livre à tant de manœuvres ténébreuses dans le 3e secteur, c’est que là il s’agit non pas seulement d’écarter de bons républicains de la majorité de demain, mais d’écarter du gouvernement de demain un des hommes que redoute le plus toute la réaction, précisément parce qu’il est un des meilleurs espoirs de la démocratie154. »
127En omettant de signaler les griefs formulés contre les candidats et tout particulièrement la tête de liste, la presse cartelliste contribue aussi à créer autour d’eux une apparente atmosphère de sérénité et à donner le sentiment d’une victoire assurée. Les résultats démentent l’optimisme asséné durant la campagne.
Les résultats mitigés d’une gauche divisée
128La 3e circonscription de la Seine fait décidément figure d’exception. En 1919, dans un contexte de déroute de la gauche au niveau national, son score y avait été étonnamment positif : avec un gain de trois sièges, elle était désormais majoritaire. En 1924, alors que la gauche connaît le succès dans le pays – 57 élus de plus pour le parti radical, 17 pour les républicains socialistes, 37 pour la SFIO – elle y perd trois sièges. C’est ni plus, ni moins, un retour à la situation de 1914 : cinq élus pour treize sièges à pourvoir. Si l’extrême droite conduite par Léon Daudet, député sortant, ressort marri du scrutin, la droite, en revanche, unie dans une liste d’« Union républicaine démocratique », peut s’enorgueillir de huit élus, la moitié par l’application du quotient, l’autre grâce à la règle de la plus forte moyenne.
- 155 Lefranc G., Le mouvement socialiste sous la Troisième République, Paris, Payot, 1977, p. 262.
129La répartition entre les partis est aussi surprenante que le score global de la gauche. Les socialistes unifiés sont les grands perdants du scrutin. En 1914, quatre des cinq élus de gauche représentant la circonscription étaient inscrits au groupe socialiste ; en 1919, ils étaient encore trois ; en 1924, les députés sortants, Bracke et Mouret, perdent leur mandat. La SFIO n’y a plus aucun élu ; le PCF, en revanche, dispose de deux députés, dont le troisième élu socialiste de 1919 devenu entre temps communiste. Le « sinistrisme » a conduit dans beaucoup de circonscriptions les socialistes unifiés à affronter un candidat situé plus à gauche qu’eux. À ce handicap s’est ajouté, dans la 3e circonscription de la Seine, celui de la division de la gauche non-communiste en deux listes. Ailleurs pourtant, le fait de présenter une liste homogène n’a pas privé la SFIO d’élu, qu’ils le soient à la majorité absolue ou plus souvent au quotient155. En fait, partout dans la Seine, les socialistes – bien que dans les trois autres secteurs des listes de Cartel aient été constituées – ont vu leur score reculer et, partout, ce recul socialiste a bénéficié aux communistes, aux républicains socialistes et aux socialistes français. Tel est cas dans le 3e secteur où la liste de Cartel républicain et socialiste réalise un score plutôt honorable avec trois candidats élus.
130Les radicaux n’envoient personne à la Chambre. En revanche, Painlevé conserve le siège gagné en 1910 et Aubriot comme Levasseur, qui ont fait campagne au nom du parti socialiste français, s’inscrivent au groupe républicain socialiste constitué après la proclamation des résultats. Certes, en 1919, les listes Painlevé et socialistes dissidents juxtaposées avaient obtenu cinq sièges, mais grâce à l’exploitation des failles du système électoral sans laquelle elles n’auraient probablement eu que deux élus. En fait, le succès des républicains socialistes dans la 3e circonscription de la Seine est à l’image de celui qu’ils connaissent au niveau national. Ils réalisent, en nombre de voix et en nombre de sièges, le plus beau score de leur histoire : leur groupe parlementaire compte désormais 43 députés, alors que 26 seulement y étaient inscrits en 1920. Les députés issus du socialisme français vont bientôt s’y rallier, à l’image de beaucoup de militants et de responsables de leur parti, comme Fleurot. Outre un poids numérique en augmentation, le groupe parlementaire de 1924 se signalera par sa cohérence politique : n’y sont pas acceptés les députés élus sur des listes opposées au Cartel des gauches.
Une opposition constructive
131Au sortir de la guerre, la réélection de Painlevé paraissait compromise. Son passé ministériel alimentait les critiques, à sa droite comme à sa gauche. Sa famille politique, qui peinait à se reconstituer et à affirmer son identité, ne pouvait constituer un recours. Pourtant, la campagne très active, à la fois défensive et offensive, qu’il mena pour les élections législatives de 1919 lui permit de s’assurer un avenir politique dans l’entre-deux-guerres. Contrairement à nombre de candidats se présentant comme républicain socialiste, Painlevé continuait de se définir et de se comporter en homme de gauche situé à mi-chemin entre les radicaux, qui restaient ses alliés, et les socialistes unifiés, qu’il considérait toujours comme des républicains. Les attaques subies, le fait qu’il soit tête de liste, son alliance avec Gustave Téry, lui permettaient d’accroître sa notoriété.
132À la Chambre, acceptant, comme beaucoup d’autres parlementaires, de prolonger à certains égards une forme d’Union sacrée, il n’agissait pas en trublion contre les gouvernements de Bloc national. Au même moment, il rejoignait, de plus en plus régulièrement, l’opposition d’extrême gauche. Estimant que son investissement au sein des commissions parlementaires pèserait peu, il privilégiait l’action extra-parlementaire. Son discours était rodé. Au motif qu’elle menaçait les acquis républicains et qu’elle ne permettait pas de reconstruire le pays sur des bases favorisant son développement économique et social, la politique menée par la majorité de Bloc national était néfaste pour le pays. Un changement de majorité dès lors s’imposait. Pour vaincre, le « parti républicain » devait s’unir. En 1921, Painlevé s’engagea dans l’aventure de la Ligue de la République laquelle devait permettre de fédérer ses différentes familles. Réminiscence des larges rassemblements tentés à la fin du XIXe siècle, alors que les partis politiques n’existaient pas, elle adoptait des moyens d’action modernes.
133Painlevé échoua à faire de la Ligue de la République un pont entre radicalisme et socialisme. Les socialistes unifiés n’étaient pas prêts à sacrifier leur programme d’autant qu’ils étaient particulièrement menacés par la concurrence communiste. La SFIO bouda l’entreprise. L’état-major du parti radical, initialement associé à l’expérience ligueuse, prit rapidement ses distances en raison de la concurrence que la Ligue semblait faire peser sur sa reconstruction, aussi de l’incompatibilité de son discours anti-Bloc national avec la réalité de l’action radicale. La Ligue dirigée par Painlevé, recueillant envers et contre tout un succès certain, poursuivit sa campagne anti-Bloc. Le savant, à l’aide de la rhétorique d’union des Républicains, d’autres ligueurs ou organes de la presse ligueuse en défendant l’idée de constitution d’un Cartel des gauches, persévérèrent également à convaincre de la nécessité d’une alliance électorale pour 1924. Les occasions de faire vivre l’union des gauches, le temps d’un meeting ou d’une commémoration, furent multipliées. Painlevé, sans concurrent à la tête de la Ligue, n’ayant pas en outre renoué avec l’activité partisane, s’affirmait comme son leader, et bientôt comme celui du Cartel en construction.
134L’approche des échéances électorales entraîna une modification des stratégies partisanes. La Ligue, déjà liée au parti socialiste français, reçut les soutiens des partis républicains socialistes et radicaux. Le second, qui s’était auparavant inspiré de ses méthodes pour renouveler sa propre propagande, s’associa dès lors pleinement à elle pour donner un nouveau souffle à la campagne cartelliste. Porté par cette dynamique, Painlevé s’enracinait comme leader du Cartel. La décision du parti socialiste de participer à la campagne des gauches confirma son intuition et récompensa ses efforts pour convaincre les socialistes et l’opinion de gauche du bien-fondé de leur intégration à l’Union des gauches. Pour la préparation du premier Cartel, la Ligue de la République dirigée par Painlevé joua donc un rôle comparable à celui dont s’empara la Ligue des droits de l’Homme en 1934-1935 lorsque, conduite par Victor Basch, elle se fit médiateur entre les partis de gauche pour les inciter à constituer un rassemblement de Front populaire capable de l’emporter aux élections législatives de 1936.
135L’expérience de la Ligue de la République s’avère instructive quant au rapport de Painlevé aux organisations partisanes. À l’issue de la guerre, il ne choisissait pas le combat partisan et affirmait, par son investissement dans la Ligue et son discours sur l’union du parti républicain, son attachement à des formes d’association politique héritées du XIXe siècle. Pour autant, il entendait les réactualiser et ne négligeait pas les partis politiques en reconstruction. Persuadé qu’il était vain d’agir sans eux, il les ménageait et, quelques mois avant le début de la campagne, rejoignit l’un d’entre eux.
136Ayant en 1919 vécu la dispersion de la gauche, ayant en même temps subi par la suite les conséquences du choix de l’isolement des états-majors de parti, Painlevé fit preuve de lucidité quant à la nécessité de constitution du Cartel, mais également quant à sa précarité en cas de succès. Bien qu’il prononçât des discours de propagande nécessairement optimistes, il eut certainement conscience des limites de la forme d’association électorale qu’il appelait de ses vœux. Présenté par ses thuriféraires comme un leader du Cartel, il occupa finalement une position très précaire en 1924. Il s’était affirmé depuis la fin de la guerre comme un homme de gauche, mais, dans son propre fief électoral, il était en butte depuis 1919 à l’hostilité des militants socialistes ; il n’était pas certain de pouvoir figurer sur une liste de Cartel. Le succès électoral qu’il appelait de ses vœux depuis si longtemps et dont il était, en tant que promoteur du Cartel, susceptible de tirer des bénéfices était, au niveau national comme au niveau de sa circonscription, encore bien incertain. Malgré tout, et cette fois sans exploiter les failles du système, il était réélu, ainsi que deux autres candidats de sa liste. L’échec local du Cartel – les socialistes unifiés qui s’étaient posés en concurrents étaient victimes de leur stratégie d’isolement – n’allait-il pas hypothéquer l’avenir politique de Painlevé au niveau national ?
Notes
1 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 211-218.
2 Guieu J.-M., Le rameau et le glaive, op. cit., p. 46-48.
3 Lachapelle G., Élections législatives du 16 novembre 1919. Résultats officiels, Paris, Librairie des publications officielles, 1920, p. 5-40. Pour l’explication du mode de scrutin et, plus généralement une présentation de ces élections, cf. Roussellier N., Le Parlement de l’éloquence, p. 23-63.
4 JO, Chambre des députés, Débats parlementaires, séance du 10 octobre 1919, p. 4 953-4 959. La publication des comités secrets débute en octobre 1919 (Ibid., entre le 21 et le 30 octobre 1919). Le comité de juin 1917, dans lequel Painlevé avait déposé sur l’offensive d’avril, n’est publié qu’en juin 1922 (Ibid., 26-30 juin 1922, 1er et 2 juillet 1922).
5 « La vérité sur l’offensive du 16 avril 1917 », La Renaissance politique, littéraire, économique, no spécial, novembre 1919, 108 p. et L’offensive du 16 avril. La légende et la vérité, Paris, Ligue des droits de l’Homme, 1919, 46 p.
6 Dans le contexte de préparation des élections législatives de 1924, Painlevé publie, en novembre 1923, Comment j’ai nommé Foch et Pétain, Paris, Alcan, 428 p.
7 Pour la campagne de la liste Painlevé, cf. les discours de Painlevé et les tracts conservés en AN 313 AP 201, les notes de la préfecture de police portant sur les réunions de la liste et les conditions de diffusion de ses tracts (Archives de la préfecture de police de Paris – par la suite APPP –, BA 1650) et les comptes rendus des meetings parus dans L’Œuvre au cours du mois de novembre 1919.
8 L’Œuvre, numéro spécial novembre 1919.
9 Publiés dans L’Action Française, les deux premiers titres, le 12 octobre 1919, les suivants les 14, 16 et 23 octobre 1919.
10 Note datée du 13 novembre 1919, APPP, BA 1650.
11 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, Paris, Presses de Sciences Po, 1980, p. 114-123 ; Roussellier N., Le Parlement de l’éloquence, op. cit., p. 25-27 ; Sanson R., L’Alliance républicaine démocratique, op. cit., p. 460-466.
12 Note de la préfecture de police de Paris, 28 août 1919 (BA 1650) et texte dactylographié d’un discours de campagne pour les élections législatives de 1919 (AN 313 AP 201). Note de la préfecture de police de Paris, 8 novembre 1919 ayant pour objet la réunion électorale de la liste Painlevé, le 7 novembre 1919 (BA 1650).
13 Tomei S., « Ferdinand Buisson (1841-1932). Protestantisme libéral, foi laïque et radical-socialisme », thèse de doctorat d’histoire, S. Berstein (dir.), Sciences Po, Paris, 2004, p. 551-729.
14 Cf. le portrait de Gustave Téry brossé par Gilles Le Béguec dans « Alle origine del concetto di classe politica. Robert de Jouvenel e “La République des camarades” », Ricerche di storia politica, anno II/1987, p. 25-40, traduction française de l’article aimablement fournie par l’auteur.
15 L’Œuvre, octobre-novembre 1919 et note, 13 novembre 1919, APPP, BA 1650.
16 « Concentration républicaine. Notre programme », L’Œuvre, numéro spécial novembre 1919 ; le même texte sous forme de tract, AN 313 AP 201.
17 17 novembre 1919.
18 Le Béguec G., « L’entrée au Palais Bourbon... », thèse citée, chap. 2 « L’esprit de 1919 » et plus précisément la partie « Appel aux compétences et restauration politique », p. 307-317.
19 Intervention de Ferdinand Buisson lors de la réunion publique du 6 novembre 1919, L’Œuvre, 7 novembre 1919.
20 Ibid., 8 novembre 1919.
21 29 octobre 1919.
22 Roussellier R., Le Parlement de l’éloquence, op. cit., p. 37-43.
23 Bergougnioux A. et Grunberg G., Le long remords du pouvoir. Le parti socialiste français (1905-1992), Paris, Fayard, 1992, p. 50 et 108.
24 Berstein S., Histoire du parti radical, op. cit., p. 129.
25 L’Œuvre, 29 octobre 1919.
26 Note datée du 10 novembre 1919, APPP, BA 1650.
27 Bastid-Brugière M., « Le voyage en Chine de Paul Painlevé en 1920 », in Fontanon C. et Frank R. (dir.), Paul Painlevé..., op. cit., p. 83-103.
28 21 septembre 1920.
29 Archives nationales, commission de l’Armée C 14642, 14643 et 14644 ; commission des Affaires étrangères C 14634 et 14635 ; commission de la Marine militaire C 14694 ; commission des Beaux-Arts C 14653 et 14654.
30 Naquet E., « La Ligue des Droits de l’Homme... », thèse citée, p. 577.
31 Roussellier N., Le Parlement de l’éloquence, op. cit., p. 132-134.
32 Séances des 15 et 16 mars 1923 discussion sur l’ancien séminaire Saint-Sulpice, 27 mars 1923 projet d’autorisation de l’institut missionnaire des Frères des écoles chrétiennes (AN C 14635).
33 Ibid., 18 février 1924, p. 784-791.
34 JO, Chambre des députés, Débats parlementaires, 8 juin 1923, p. 2 426.
35 Le Béguec G., « La Ligue de la République (1921-1924) », Modern and contemporary France, no 39, octobre 1989, p. 4-11.
36 Sur les militants français du pacifisme genevois dans la première moitié du XXe siècle, Guieu J.-M., Le rameau et le glaive..., op. cit. Sur l’engagement pacifiste d’é. Borel, cf. du même auteur émile Borel et la coopération européenne..., mémoire cité. Sur l’engagement européen de Hennessy, Dubasque F., Jean Hennessy, Rennes, PUR, 2008, p. 111-171.
37 no 115, 29 octobre 1921.
38 Dubasque F., Jean Hennessy, op. cit., p. 79-110.
39 Sanson R., L’Alliance républicaine démocratique, op. cit., p. 449-495.
40 L’ère Nouvelle, 21 octobre 1921.
41 Pour les prémisses du parti républicain, cf. Weill G., Histoire du parti républicain en France de 1814 à 1870, Paris, Félix Alcan, 1900, 552 p. Les études suivantes mettent en perspective l’émergence du parti républicain et sa progressive structuration sous la IIIe République : Huard R., La naissance du parti politique en France, op. cit., et du même auteur, « Aux origines d’une structure nouvelle, le parti vers 1830-vers 1880 », in Berstein S. et Winock M. (dir.), L’invention de la démocratie 1789-1914, op. cit., p. 185-215. Également, Berstein S., « Naissance des partis politiques modernes », ibid., p. 417-466.
42 La forme ligueuse a déjà séduit la gauche française. Sur les expériences de Ligues des droits de l’Homme, d’action républicaine, d’action démocratique et sociale, de coalition républicaine ou de Bleus de l’Ouest, Le Béguec G., « L’entrée au Palais Bourbon... », thèse citée, p. 1 062-1 074.
43 Painlevé in Le Progrès civique, no 115, 29 octobre 1921.
44 Ibid.
45 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », in Andrieu C. et al. (dir.), Associations et champ politique. La loi de 1901 à l’épreuve du siècle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, p. 30.
46 Cf. leur annonce dans L’Œuvre, L’ère Nouvelle et Le Quotidien, ainsi que les documents de convocation conservés dans les archives Painlevé.
47 Une première liste de membres est publiée par L’Œuvre dès le 20 octobre 1921, une autre plus complète figure dans L’ère Nouvelle datée du 13 janvier 1921. Un document, très aimablement communiqué par Gilles Le Béguec, conservé aux archives départementales des Deux-Sèvres (série M dans un dossier « élections législatives de 1924 »), comporte une liste exhaustive des membres du conseil central de la Ligue. L’importance numérique de cet organe est confirmée par d’autres sources, notamment le Bulletin de la Ligue de la République qui, en juin 1924, annonce près de cent vingt membres présents lors de la réunion du conseil central du 27 mai 1924. Cette réunion est la trentième en deux ans et demi. Ceci confirme ce que l’annonce des réunions dans la presse avait permis de constater, à savoir le rythme d’une réunion par mois.
48 Il n’existe pas de collection complète du Bulletin de la Ligue de la République paru à partir de décembre 1922 : jusqu’en 1925, quelques exemplaires conservés dans les archives Painlevé aux Archives nationales ; pour la période 1926-1929, à la BNF.
49 Note de la préfecture de police, 29 octobre 1923 (BA 1650, dossier Painlevé). Cette note reprend les chiffres fournis par Frederich dans son rapport financier. Déjà au moment de sa seconde assemblée générale, fin octobre 1922, la Ligue mettait à son actif des sections dans une cinquantaine de départements (L’Œuvre, 30 octobre 1922) et, en décembre 1922, dans une soixantaine de départements (L’Œuvre, 10 décembre 1922).
50 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 371 et Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 188.
51 L’Œuvre, 28 novembre 1922.
52 Chiffres de fréquentation transmis par la presse concordant avec ceux cités dans les Archives de la préfecture de police de la Seine (BA 1650) et celles du ministère de l’Intérieur (notes Jean F 7 12951 et F 7 12952).
53 Guieu J.-M., Le rameau et le glaive..., op. cit., p. 100-101.
54 Bonnet G., Vingt ans de vie politique, Paris, Fayard, 1969, p. 42.
55 Sur le rôle de Robert de Jouvenel à la Ligue, Le Béguec G., « Robert de Jouvenel éducateur », in Le Béguec G. et Manigand C. (dir.), Henry, Bertrand et Robert de Jouvenel. Crise et métamorphoses de l’État démocratique (1900-1935), Limoges, PULIM, 2004, p. 40-43. Sur l’esprit de l’équipe qui entoure Robert de Jouvenel, Le Béguec G., « Alle origine del concetto di classe politica. Robert de Jouvenel e “La République des camarades” », art. cité. Pour une analyse globale de l’influence de Robert de Jouvenel, Dard O., Bertrand de Jouvenel, Paris, Perrin, 2008, 526 p.
56 Yvon Delbos est un cadre du parti radical avant d’en devenir un élu. Il est entré à l’automne 1919 au bureau du comité exécutif du parti radical (dont il est secrétaire). Pour ces élections législatives, il a été candidat malheureux de son parti sur la liste conduite par Félix Gadaud en Dordogne. Après cet échec, son ascension politique se poursuit néanmoins au sein de l’appareil ; en 1923, il devient l’un des vice-présidents non parlementaires du parti radical. Cf. la biographie réalisée par Bernard Lachaise, Yvon Delbos, Périgueux, Fanlac, 1993, p. 67-100.
57 Cf. les comptes rendus de ces réunions publiques ou privées parus dans L’Œuvre, L’Ère Nouvelle puis Le Quotidien.
58 Le Béguec G., « La Ligue de la République... », art. cité, p. 11 et « L’entrée au Palais Bourbon... », thèse citée.
59 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, Paris, PUF, 2002, 332 p.
60 Cf. la typologie établie par Jean-Michel Guieu pour les associations françaises pour la SDN, Guieu J.-M., Le rameau et le glaive..., op. cit., p. 107-119.
61 Bonnet G., Vingt ans de vie politique, op. cit., p. 37. Sur les débuts politiques de Bonnet, Puyaubert J., Georges Bonnet, Rennes, PUR, 2007, p. 31-44.
62 Normalien, agrégé de philosophie, auteur d’une thèse sur les « Idées égalitaires », il enseigne l’économie sociale à l’université de Paris. Ses ouvrages sur la Démocratie, les Castes, la Solidarité et Proudhon questionnent le fonctionnement démocratique des sociétés. AN 313 AP 209, notice biographique des candidats de la liste Painlevé.
63 Pour l’engagement de G. Scelle, cette fois en faveur du pacifisme juridique, cf. Guieu J.-M., « Les juristes français, la SdN et l’Europe », in Bariéty J. (dir.), Aristide Briand, la SdN et l’Europe, 1919-1932, Strasbourg, PUS, 2007, p. 185-199.
64 Chatriot A., La démocratie sociale à la française. L’expérience du Conseil national économique (1924-1940), Paris, La Découverte, 2002, notamment p. 111-116.
65 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », art. cité, p. 34-35 et du même auteur Pour l’amour de la République. Le Club Jean Moulin (1958-1970), Paris, Fayard, 2002, 608 p.
66 Dard O., Le rendez-vous manqué des relèves des années 30, op. cit., p. 65. Cf. plus généralement la première partie intitulée « La constellation réaliste », p. 13-92.
67 Le terme est emprunté à Georges Cahen Salvador, secrétaire général du CNE, auteur de « L’économie disciplinée, ses méthodes, son programme », in Revue politique et parlementaire, mars 1934, cité par Chatriot A., La démocratie sociale à la française..., op. cit., p. 250.
68 Résolution concernant l’électrification des campagnes adoptée par le conseil central de la Ligue au printemps 1923, citée dans L’Œuvre, 1er avril 1923 et L’Ère Nouvelle, 15 avril 1923.
69 Motion adoptée par le conseil central de la Ligue de la République, L’Œuvre, 8 juillet 1923.
70 Rials S., Administration et organisation. De l’organisation de la bataille à la bataille de l’organisation dans l’administration française, Paris, Éditions Beauschesne, 1977, 271 p.
71 Cf. l’introduction de la brochure de présentation de la semaine fiscale, AN 313 AP 208.
72 Pour une présentation détaillée de ces initiatives, cf. L’Œuvre, 17 au 28 avril 1923, 22 au 26 janvier 1924 ; L’Ère Nouvelle, 18 au 28 avril 1923, 21 au 27 janvier 1924 ; Le Quotidien 19 avril au 4 mai 1923.
73 17 avril 1923.
74 Courrier daté du 23 décembre 1923 adressé par Painlevé à divers groupements d’agents et d’usagers des services fiscaux présentant la semaine fiscale aux organisations susceptibles d’y participer, AN 313 AP 208.
75 L’Œuvre, 18 avril 1924.
76 Pour une liste des organisations représentées lors de la semaine des PTT puis de la semaine fiscale, L’Œuvre, 24 avril 1923 et 22 janvier 1924.
77 Ibid., 22 janvier 1924.
78 Ibid., 24 avril 1923.
79 La Ligue fait néanmoins paraître des brochures qui témoignent de sa volonté de populariser son activité réformatrice, notamment La semaine fiscale (250 p.) et pour la période postérieure à la victoire du Cartel des gauches en 1924, La semaine du franc, ou L’Union européenne est-elle possible ? Rapport de Francis Delaisi.
80 La République, no 1, 13 avril 1923.
81 Les premiers articles consacrés à la Ligue par L’ère Nouvelle (21 et 23 octobre 1921) et La Dordogne Républicaine (4 décembre 1921) sont ainsi titrés « Pour l’Union des Gauches ; « Le Manifeste » de la Ligue est présenté comme une profession de foi en faveur d’un Cartel électoral par exemple par L’Ère Nouvelle, 19 mars 1922.
82 Ibid., 30 octobre 1922.
83 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 339-341.
84 Judt T., La reconstruction du parti socialiste 1921-1926, Paris, Presses de Sciences Po, 1976, p. 167-179.
85 Éditorial d’Yvon Delbos, La Dordogne Républicaine, 4 décembre 1921.
86 Cf. les comptes rendus des meetings et banquets de la Ligue parus dans L’Œuvre ou L’ère Nouvelle en 1922 et 1923 ainsi que les notes Jean (AN F 7 12951).
87 Bulletin du parti républicain radical et radical socialiste, 23 décembre 1921.
88 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 344-365.
89 En région parisienne, le succès de ces meetings est confirmé par des notes de la préfecture de police qui recensent le nombre d’auditeurs (APPP, BA 1650).
90 Parti républicain radical et radical socialiste, 19e congrès tenu à Paris les 16,17 et 18 novembre 1922, Paris, Maurice de Monté-Lénès Éditeur, 1922, p. 224.
91 Parti républicain radical et radical socialiste, 20e congrès tenu à Paris les 18, 19 et 20 octobre 1923, Paris, Maurice de Monté-Lénès Éditeur, 1923, p. 186-187.
92 Lachaise B., Yvon Delbos..., op. cit, p. 95-98.
93 Parti républicain radical et radical socialiste, 20e congrès tenu à Paris..., op. cit., p. 186 et 185.
94 Bulletin du parti républicain radical et radical socialiste, 1921 et 1922.
95 Ibid. no 19, avril 1922, et L’Ère Nouvelle, 1er avril 1922, publient le même communiqué relatant une entrevue au sommet entre la Ligue et le parti en mars 1922. En novembre 1922, à l’occasion du congrès radical, la Ligue envoie un télégramme (lu en séance par É. Herriot) faisant part du soutien de la Ligue et de son souhait de collaboration entre les deux organisations (Parti républicain radical et radical socialiste, 19e congrès tenu à Marseille..., op. cit., p. 51 et 223-224).
96 Andrieu C., « La concurrence des légitimités partisane et associative », art. cité., p. 30.
97 Sur le soutien de Hennessy à la presse, cf. Dubasque F., Jean Hennessy..., op. cit., p. 161-169.
98 Note Jean datée du 12 février 1924, AN A F 7 12952.
99 12 avril 1924.
100 « Rapport du commissaire nommé pour l’appréciation des apports » lors de la création de La République, AN 313 AP 7.
101 Ex. L’Œuvre, 11 décembre 1922 et L’Ère Nouvelle, 17 mai 1923.
102 L’Ère Nouvelle, 10 mai 1923.
103 Ibid., 28 avril 1922.
104 Pour l’atmosphère de ce prélude au Cartel, cf. Soulié M., Le Cartel des gauches et la crise présidentielle, Paris, Jean Dullis éditeur, 1975, p. 47-98.
105 Prost A., Les anciens combattants et la société française, 1914-1939, Paris, Presses de Sciences Po, 1977, en particulier vol. 1, p. 88-102 et vol. 2, p. 48-55.
106 L’Ère Nouvelle, 13 novembre 1922.
107 Ibid., 24 février 1923.
108 Ibid., 3 mars 1923.
109 La Dordogne Républicaine, 20 août 1922.
110 L’Ère Nouvelle, 2 novembre 1922.
111 Ibid., 26 décembre 1922.
112 Notamment, « Le 31 juillet 1914 », La République, no 16, 28 juillet 1923.
113 Ibid., no 10, 16 juin 1923.
114 Ben-Amos A., « La “panthéonisation” de Jean Jaurès », Terrain, 15, octobre 1990, p. 48-64.
115 L’ère nouvelle, 24 octobre 1922.
116 Ibid., 25 octobre 1922.
117 Id.
118 Ibid., 1er novembre 1922.
119 Note datée du 31 octobre 1922. AN F 7 12951.
120 L’Œuvre, 5 juin 1923.
121 no 10, 16 juin 1923.
122 JO, Débats parlementaires, Chambre des députés, 8 juin 1923, p. 2 429.
123 Anizan A.-L., « La Ligue de la république, un pont entre socialisme et radicalisme ? », in Castagnez N. et Morin G. (dir.), Socialistes et radicaux, Paris, OURS et Presses de Sciences Po, 2008, p. 63-82.
124 Le Journal du Peuple, 21 avril 1923.
125 Ibid. et Le Savoyard de Paris, 22 novembre 1923.
126 Billard Y., « Le parti républicain socialiste... », thèse citée, p. 352-358.
127 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 359-365.
128 L’Œuvre, 31 juillet 1923.
129 Ibid., 2 août 1923.
130 L’Ère Nouvelle, Le Quotidien et L’Œuvre, 8 octobre 1923.
131 L’Œuvre, 1er décembre 1923.
132 Ibid. et L’Ère Nouvelle, Le Quotidien ou La République entre octobre 1923 et mai 1924.
133 Augé-Laribé M., Berthod A., Borel É., Bouglé C., Daladier É., Demangeon A., Dumas G., Herriot É., Jèze G., Levy-Brühl L., Painlevé P., Rist C., Seignobos C., Scelle G., La politique républicaine, Paris, Librairie Félix Alcan, 1924, 590 p.
134 L’Œuvre, 4 et 8 décembre 1923 ; L’Ère Nouvelle, 21 novembre, 3, 9, 13 et 21 décembre 1923, 9 janvier 1924 ; L’Œuvre, 18 janvier 1923.
135 Sur les débats au sein de la SFIO, Berstein S., Léon Blum, Paris, Fayard, 2006, p. 249-253.
136 Le Quotidien, 11 janvier 1924 ; L’ère Nouvelle, 12 janvier 1924 ; L’Œuvre, 16 janvier 1924.
137 Le Quotidien, 29 janvier 1924 ; Le Quotidien et L’ère Nouvelle, 1er février 1924 ; L’Œuvre 3 février 1924.
138 L’ère Nouvelle, 1er mars 1924 et L’Œuvre, 2 mars 1924 ; Le Quotidien, 15 mai 1924.
139 APPP, BA 1650.
140 L’Œuvre et L’ère Nouvelle 17 mars 1924.
141 Note datée du 14 février 1924, APPP, BA 1650.
142 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 377-382.
143 L’Œuvre, 14 et 28 janvier 1924.
144 Comptes rendus rédigés par Pierre Appell à l’issue des réunions constitutives de la liste Painlevé, notices biographiques de ses membres, brochures, tracts et coupures de presse, AN 313 AP 209.
145 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 186.
146 AN 313 AP 209.
147 Ibid.
148 Berstein S., Histoire du parti radical, t. 1, op. cit., p. 383-386.
149 AN F 7 15989/2, fonds Panthéon, dossier Painlevé.
150 7 mai 1924.
151 L’Œuvre 25, 26 avril et 6 mai 1924 ; L’ère Nouvelle, 6 mai 1924.
152 Archives de la préfecture de police de Paris, BA 1650.
153 14 mai 1924.
154 10 mai 1924.
155 Lefranc G., Le mouvement socialiste sous la Troisième République, Paris, Payot, 1977, p. 262.
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