Le « corps empêché » de l’usager (mutisme, fébrilité, épuisement)
Aux limites d’une politique du consentement informé dans le travail social
p. 215-229
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
PRÉAMBULE. CES VISITES AUXQUELLES L’USAGER NE CONSENT PAS TOUJOURS
1Les réflexions qui forment la trame de ce texte ont été menées à l’intersection de deux enquêtes de terrain. Une enquête conduite entre 1999 et 2000 sur les visites à domiciles des travailleurs sociaux et une enquête sur les équipes de nuit du Samusocial de Paris1. Ces deux enquêtes se recoupent au plan des activités du travail social dans la mesure où elles présentent, toutes deux, des situations de « visite » de l’usager. Dans ces situations, les termes de l’hospitalité propre à la relation de service s’en trouvent partiellement bouleversés : la rencontre s’effectue non pas dans un centre d’accueil apprêté à cet effet, mais sur le lieu de la vie quotidienne de l’usager. L’usager est « visité » par le travailleur social qui lui donne néanmoins l’accueil d’un soin, l’intervenant « reçoit » la plainte de l’usager qui pourtant héberge son service, bref, la situation concourt à créer une équivoque sur l’identité de l’hôte. Mais, ce qui nous intéresse plus précisément ici, c’est que les garanties d’une motivation minimale à vouloir prendre part au service sont moindres que lorsque l’usager doit se rendre par lui-même jusqu’au guichet du centre d’accueil. Recevant dans son ambiance habitée, a fortiori lorsque la visite est inopinée comme lors de certains passages des équipes mobiles d’aide (EMA) du Samusocial, la position de l’usager n’enveloppe pas implicitement un état motivationnel pour participer à l’action d’aide. Il y a même plus : l’usager peut refuser l’intervention ou ne pas être en état de la recevoir, ne pas y consentir délibérément ou ne pas être en mesure d’y consentir. On voit que se pose alors un certain nombre de questions, renvoyant à la dimension du savoir-faire du travailleur social en situation de visite : comment entrer sans effraction dans un espace ou une ambiance habités, comment rendre alors acceptable sa simple présence, comment amorcer un contact où s’atteste (pour commencer) l’hospitalité de l’usager, comment, enfin, continuer de tendre vers l’horizon souhaité du consentement mutuel lorsque l’éventualité même de l’échange interpersonnel s’est dissoute ?
2C’est précisément dans ces situations limites d’intervention, où par exemple certains sans-abri rencontrés par les équipes de nuit du Samusocial n’affichent plus aucune capacité susceptible de leur permettre de soutenir une « pleine » interaction (usager mutique, imbibé d’alcool, transi de froid, agressif, récalcitrant, manifestant l’hébétude, l’effroi, le désarroi…), que nous prêterons notre regard ethnographique, que nous puiserons une réflexion critique sur les conditions de possibilité d’une politique du consentement informé dans le travail social, et que nous susciterons peut-être un axe de reconnaissance pointé vers le travail de soin opéré par les travailleurs sociaux.
CONSENTEMENT INFORMÉ.
(A) PEUT-ON S’INFORMER COMPLÈTEMENT DANS UN MONDE SENSIBLE ?
3Depuis sa mise en route, le mouvement de modernisation des institutions de l’aide sociale s’accompagne d’une réélaboration de l’idée de qualité dans les services accordés à l’usager bénéficiaire. Un axe majeur de cette réélaboration indique la nécessité d’une implication de l’usager dans le service, au point que le travailleur social doit pouvoir prétendre conduire une action conjointe avec ce premier. L’action menée par l’intervenant doit alors rester soumise à l’examen du bénéficiaire. L’autonomie de l’usager est placée sur un plan prééminent, à côté des valeurs de justice qui légitiment les politiques publiques. Les travailleurs sociaux assurent, pour aller dans ce sens, un travail portant à la fois sur la consolidation (par des ressources matérielles) de l’autonomie et sur la garantie de sa liberté de décision (Pattaroni, 2002 ; 2006).
4Le consentement informé, bien qu’il n’ait pas dans le travail social le retentissement qui le caractérise dans le domaine du soin médical, participe du champ notionnel qui accompagne ce mouvement de réforme2. On doit sa présence non seulement à certaines accointances pratiques entretenues avec le milieu médical (le travailleur social collabore fréquemment avec les professions médicales et il dispense lui aussi un soin d’une certaine nature) mais, plus essentiellement, à la modification de l’anthropologie fondamentale qui tend à caractériser l’usager dans l’actuelle idéologie du service public. Tout comme la notion de consentement informé progresse vers le modèle d’une égale autonomie dans la décision, les institutions du travail social ont évolué dans le sens d’une responsabilisation des individus à qui elles s’adressent (Pattaroni, 2002 ; Soulet, 2005). L’usager est, de fait, de moins en moins perçu comme un ayant droit appartenant à une classe de bénéficiaires, et de plus en plus comme un individu vulnérable dont il faut restaurer la capacité à conduire une série de décisions et d’actions autonomes censées le « réinsérer » dans le tissu de la société.
5C’est par le double outillage du contrat et du projet individualisé, censés lutter conjointement contre le phénomène de l’exclusion, que l’idée de consentement informé trouve, dans le cadre du travail social, un réel terrain d’application. Il peut, en effet, s’y concrétiser tant au niveau de l’acceptation et du choix de l’intervention sociale, qu’au niveau de l’autodétermination de buts individuels censés garantir la construction d’une identité personnelle. Le contrat incluant un projet individualisé a en effet mécaniquement introduit dans la déontologie du travailleur social un nécessaire travail coopératif qui implique le devoir de recueillir le consentement de l’usager.
6C’est seulement dans la mesure où l’intervenant s’est bien informé du point de vue de l’usager qu’il pourra légitimement conduire et orienter sa politique d’aide. Pour cette raison, l’inquiétude sur la complétude des informations relatives à l’individu a notoirement contribué au renforcement d’un mouvement de « rapprochement » de l’usager. Autrement dit, les travailleurs sociaux se sont appuyés plus méthodiquement sur des relations interpersonnelles pour s’assurer de l’adhésion et de l’engagement de leur usager dans les dispositifs spécifiques proposés. Ce rapprochement de l’usager a souligné la présence et la mise en jeu d’un monde sensible au sein de la relation de service et cela, dans la temporalité plus ou moins longue du suivi personnalisé. C’est notamment, comme nous l’avons montré par ailleurs, au prix d’une dialectique positive entre la sollicitude (afin d’accueillir les failles de la personne) et la sollicitation (afin de durcir le pôle de la volonté individuelle) que le travail social intervient dans la fondation et la réalisation de projets individualisés formalisés par le contrat (Breviglieri et Stavo-Debauge, 2006). Mais les dimensions affectives relatives au soin, notamment celles qui suscitent des dynamiques du proche, ont tendance à acheminer le travailleur social vers une position délicate, voire paradoxale. Il s’agit en effet pour lui de valoriser une forme de proximité à l’usager tout en se méfiant de ce que la proximité recèle en termes d’attachement, autrement dit, il se doit de conditionner l’accès à l’autonomie au risque d’induire un lien de dépendance. Ni trop distant, ni trop proche, le travailleur social, outre qu’il s’équipe de l’outillage contractuel, doit s’armer d’un tact professionnel lui permettant de préserver une juste distance à l’usager3.
CONSENTEMENT INFORMÉ.
(B) PEUT-ON SE PRÉMUNIR TOTALEMENT DES DÉRIVES NÉGATIVES DE LA SOLLICITUDE ?
7Le consentement éclairé du patient est précisément une modalité de coordination qui se présente comme une solution théorique au dilemme du trop proche/trop distant, allant dans le sens d’une logique de responsabilisation. En quelque sorte, le consentement informé, dont la valeur morale intrinsèque est au cœur de la théorie politique du libéralisme, balise un chemin d’accompagnement personnalisé de l’usager qui évite les écueils du soin et principalement celui qui voit la sollicitude se convertir en ingérence dans la vie privée. Il prémunit donc le patient des excès comme des défauts de la proximité qui risquent de placer le soin sur une pente relationnelle dangereuse, voire vicieuse. Pour le dire vite, cette pente est d’un côté celle de l’ingérence et, de l’autre côté, celle de l’indifférence, chacune conduisant vers une forme de mépris adressé à l’usager.
8Au plan de l’excès de proximité, on voit bien comment le consentement informé s’arme des trois ressorts critiques dirigés contre l’« assistancialisme » : le clientélisme, le paternalisme et le misérabilisme (posture conduisant à l’apitoiement condescendant sur un cas). Chacun, sous couvert d’un bienfait personnel (attribution de privilèges, protection, compassion), affirme une asymétrie et renforce en un sens le risque d’ingérence. Face à ce risque, le consentement informé cherche à légitimer un soin à partir d’une situation de mutualité où l’information disponible est également répartie entre les participants.
9Au plan du défaut de proximité, la solution du consentement permet de remédier au problème de l’indifférence qui transparaît dans l’idée d’une anonymisation de l’usager. L’anonymisation fait surgir trois problèmes classiques de la relation de service : d’un côté elle est à l’œuvre dans le traitement « en chaîne » du public relatif à l’afflux massif d’usagers exigé par des contraintes de productivité, ensuite, elle s’affirme dans l’application systématique de procédures bureaucratiques prédéterminées, enfin elle apparaît à travers la marchandisation de la relation de service, ramenée à la seule dimension d’une transaction financière4. Ici aussi, sous couvert d’un bienfait (l’égalité du droit d’accès et de traitement des usagers et le renforcement de leur solvabilité), se joue une possible défaillance du soin, prenant la forme d’une radicale indifférence anéantissant toute dimension personnelle dans la relation. Face à cet écueil, le consentement informé se présente à nouveau comme un moyen envisagé pour garantir que la relation ne soit pas négligée au niveau interpersonnel où se fonde une confiance mutualisée. Le courant antipaternaliste a notamment mis l’accent sur la nécessité de fonder la décision autonome du patient sur une « information absolument exhaustive et complète », ce qui impose théoriquement à l’intervenant de couvrir tous les éléments qui peuvent être importants à l’usager sur le plan de la réalisation de soi et du projet de vie (Botros, 2004).
CONSENTEMENT INFORMÉ.
(C) TOUT LE MONDE PEUT-IL CONSENTIR (I.E. : ÉNONCER, INTERPRÉTER ET APPRENDRE) ?
10Sur la ligne qui contourne ces deux écueils des pratiques institutionnalisées de soin, je souhaiterais désormais borner d’une autre manière les conditions de possibilité d’une relation d’aide répondant de l’obligation morale de recueillir le consentement du bénéficiaire. Je viendrai pour cela au niveau de l’anthropologie capacitaire que présuppose une telle architecture normative. Cette anthropologie accorde un poids prépondérant à une parole informée capable de nouer les liens d’un tissu intentionnel commun et de laisser émerger la part conciliable des volontés enrôlées. En soulevant la blessure au rang de la plainte et le désir au rang de la demande, ce langage significatif et informé pointe aussi vers l’accomplissement du sujet de droit (Ricœur, 2001). C’est en effet à la condition qu’il puisse déjà représenter un sujet de droit que, d’une certaine manière, l’usager est invité dans le processus de prise de décision.
11L’exigence capacitaire du consentement informé ne tient pas seulement à cette capacité à évaluer et à énoncer ses désirs et ses blessures, puis à les convertir en demande et en plainte significatives pour le travailleur social. Il présuppose aussi un ensemble de capacités remarquables au plan du traitement interprétatif des informations disponibles, qu’elles concernent la nature générale de la mesure envisagée, ses divers objectifs, les risques encourus, ou l’existence d’autres mesures complémentaires ou substitutives. Mais, à cet ensemble de capacités énonciatives et interprétatives s’ajoute, en plus, une série de capacités d’ordre moral qui permettent aux partenaires d’accomplir certains devoirs tout en respectant le principe d’autonomie. Lorsque la relation d’aide prend la forme du contrat intégrant l’idée de projet individualisé, un certain nombre de capacités sont alors requises et tenues pour estimables : négocier sans flouer, tenir les promesses incluses dans le contrat, mais aussi armer sa volonté de persévérance pour réaliser l’ambition du projet.
12Les idées d’autodétermination et de consentement informé ne tiennent leur légitimité, au sein des politiques du travail social dirigées contre l’exclusion, qu’au prix d’un paradoxe : l’autonomie est tout à la fois ce qui est convoité par ces politiques et ce que ces politiques supposent pour leur réussite, elle règne à la fois « comme condition de possibilité, et comme tâche à remplir » (Ricœur, 2001, p. 105). La solution de ce paradoxe consiste à assimiler l’accompagnement personnalisé à une situation pédagogique de manière à placer l’autonomie et la mutualité des participants continûment en ligne de mire : au terme de l’intervention sociale, l’asymétrie de la situation pédagogique sera substantiellement comblée. C’est à ce moment qu’intervient dans notre analyse un second niveau de réflexion sur l’anthropologie capacitaire supposée par les politiques sociales d’aide à l’insertion.
13Envisager l’accompagnement personnalisé comme une situation pédagogique suppose en effet un double niveau d’exigence relatif aux participants. D’une part, l’usager doit pouvoir affirmer et développer un ensemble de capacités d’apprentissage ; d’autre part, l’intervenant nourrit au fil de l’accompagnement une croyance sur les capacités à venir, ou « en puissance », de l’usager, il estime qu’il peut se tenir et rester en position d’apprentissage. C’est à cette condition que l’usager qui a fléchi au stade de la victime peut, malgré cet affaissement, conduire une action conjointe avec le travailleur social. Dès le début de sa prise en charge, l’exclu demeure considéré comme une victime capable d’apprentissage, tel est l’exigence capacitaire du modèle de la victime supposé par les politiques sociales d’aide à l’insertion. A contrario, si le bénéficiaire n’affirme et ne développe plus aucune capacité d’apprentissage, le paradoxe de l’autonomie devient insoluble, et un fondement idéologique essentiel des politiques s’effondre.
14Cette seconde anthropologie capacitaire n’est, en quelque façon, que préparatoire à ce que requiert le modèle du consentement informé. Elle vise à intégrer l’état de victime qui, dans ce qu’il peut supposer de dommages faits à la personne, pose un problème d’adéquation avec ce qu’exige le consentement mutuel. Les politiques d’intervention sociale disposent alors d’un volet pédagogique visant à soutenir le renflouement des ressources à l’autonomie de la victime (la solvabilité et le logement figurant comme les pièces les plus essentielles). Pour préserver la contrainte de mutualité et de l’agir conjoint, nécessaire à la reconnaissance de cette autonomie, la modalité didactique normalement privilégiée par les travailleurs sociaux est d’orientation téléologique. Elle prend alors essentiellement la forme du conseil, censé éclairer la volonté et renforcer les convictions sur la visée des mesures d’accompagnement, et de la participation verbale qui facilite un retour réflexif sur les épreuves qui jalonnent le parcours d’insertion (Breviglieri et Stavo-Debauge, 2006). L’usager est alors amené à tester une prudence pratique dévoilant déjà les capacités requises dans l’exercice du consentement informé, et qui, peu à peu, l’amène à se déprendre de toute la passivité de l’assisté et à se mobiliser durablement par lui-même.
MUTISME, ÉPUISEMENT.
CE QUE NOUS APPREND DE L’INSTITUTION LE DÉCROCHAGE DES USAGERS
15Je souhaiterais désormais amener un point de discussion sur les limites mêmes de ce double modèle anthropologique mis en avant dans les politiques sociales récentes de lutte contre l’exclusion. Aux limites de l’anthropologie capacitaire du modèle du consentement informé se situe la figure du mutique pour laquelle le problème est entièrement concentré au niveau de la capacité à émettre une parole, et même un signe qui fasse sens ou un son duquel un mot se discerne. Aux limites de l’anthropologie capacitaire du modèle de la victime se dresse la figure de l’épuisé (figure inextricable mais différente de la première) pour lequel aucune expérience n’embraye plus sur un apprentissage ni sur le renflouement des capacités.
16Ces limites circonscrivent un point aveugle important des politiques d’intervention sociale. Elles laissent envisager le moment crucial d’un échec : soit le « décrochage » de l’usager que rien ne semble plus retenir dans les rets de l’accompagnement social, soit la démission du travailleur social relative à un où plusieurs cas sur lesquels il intervient. Le décrochage, qui reste un phénomène considérable mais à notre connaissance mal évalué par les politiques publiques, nous porte à considérer pleinement la possible résignation du patient, laissé par ces politiques au vide d’une existence sans propriétés et compétences dignes d’estime. La délimitation de l’arrière-plan anthropologique de la politique contractuelle des institutions du travail social permet précisément d’envisager ce phénomène. Les menaces qui éprouvent la fragilité de la personne démunie se tiennent en effet déjà dans la charge imposée par la succession d’épreuves publiques exigées au fil de l’accompagnement social et par le nécessaire travail de configuration identitaire polarisé sur l’affirmation de capacités à se rendre responsable et autonome.
17Dans cette perspective qui nous situe aux limites du modèle capacitaire supposé par les politiques d’intervention sociale, la démission du travailleur social semble alors répondre au décrochage de l’usager. La démission survient dans un contexte où aucune réponse évidente ne peut se présenter dans le cadre institutionnel stricto sensu5. L’idée générale de « capacité en puissance » qui continûment conduit l’espoir professionnel de l’intervenant semble en effet se dissoudre dans l’atonie durable de l’usager. Celui-ci n’est plus en mesure de livrer comme matière au travail social que sa fatigue démissionnaire, la synthèse passive d’impressions sensibles affectées, soit, pour finir, une matière sans prise pour l’interaction et la production d’un agir.
18La « solution démissionnaire » n’est pourtant pas celle que privilégient généralement les travailleurs sociaux6. C’est alors en s’accordant de pouvoir déborder le strict cadre d’application des politiques contractuelles qu’ils examinent d’autres modalités d’intervention, notamment sous la forme d’une proximité qui permet un soutien plus personnel à l’usager et qui ne se restreint pas à la simple récolte d’informations personnelles. Mais, comme nous l’avons vu précédemment, le rapprochement commandé par un soin personnalisé place le travailleur social dans une position délicate. D’une part ce rapprochement s’opère au risque que l’intervenant se rende captif d’un scrupule éthique où revient puissamment et inévitablement le dilemme du trop proche/trop distant, d’autre part, et consécutivement, il convoque une exigence puissante de tact nécessaire à la préservation d’une juste distance à l’usager.
INTERMÈDE.
CES VISITES OÙ LE CONSENTEMENT INFORMÉ N’EST PAS VRAIMENT NÉCESSAIRE
19J.-C., assistant social depuis une bonne quinzaine d’années dans la banlieue sud-est de Paris m’avait accordé un long entretien sur la question des visites à domicile. Dans l’extrait qui suit, il me narre une scène où, après la visite d’un premier usager et de son jeune enfant, qui tous deux squattaient un immeuble délabré, il croise par hasard un second usager du centre social. Ce dernier est ivre et tient à peine sur ses jambes. Il m’est décrit comme étant physiquement fébrile et incapable de prononcer correctement un mot. Pourtant, le grommellement obscur qu’il émet en sourdine va, en un sens, pleinement rassurer J. -C. Son diagnostic s’établit rapidement sur la simple base d’une « matière » corporelle et vocale perçue, bien loin de ce que requiert, sur les plans de la mutualité, du cognitif et du langagier, l’idée de consentement informé.
« Fin de journée
– […] En descendant de chez M me X, je croise M. L. dans la cage d’escalier. Une vieille connaissance ! On a eu de graves difficultés avec cet usager : interné plusieurs fois, violences conjugales, problèmes avec la justice et gros, gros problème avec la boisson… Bon, bref, je le salue, il ne me répond pas… juste un râle à voix basse, pas très harmonieux, où je reconnais vaguement un “bonsoir”. Et là, crac, il se casse la figure devant moi. J’accours, je tente de parler un peu avec lui, je le redresse, et… finalement, quoi faire ? Appeler pour ça un secours médical ? Non, en fait j’ai senti à sa voix qu’il passerait la nuit sans difficulté.
– Vous ne vouliez pas appeler un secours, vous ne pensiez pas qu’il mettait en danger sa vie ?
– Non pas là. Tout ça fait partie d’un travail souterrain, c’est un truc de vigilance, surtout dans les visites à domicile, on voit vite si la situation est alarmante ou pas. » (Extrait d’entretien, février 2000, J.-C.)
CORPORÉITÉ.
OÙ LE TIMBRE DE VOIX PRÉVAUT SUR LA PAROLE ÉNONCÉE
20Cet extrait d’entretien porte à s’interroger sur la surprenante assurance qui ressort du point de vue du travailleur social. Une telle assurance n’est-elle pas en contraste avec l’impression trouble et inquiétante qui pourrait émaner du grommellement et de l’hébétude de l’usager en état d’ivresse ? Rendre compte de cette assurance revient à questionner l’acuité perceptive du travailleur social sous l’angle de son aptitude particulière à détecter des indices pertinents au niveau physiquement expressif de la mine et du timbre de voix de l’usager. Le grommellement à mi-voix n’est pas pour l’intervenant un élément indéchiffrable ou flou, mais une matière à travailler où perce une affection existentielle qui propage un indice sensible suffisamment fiable pour qu’il puisse fonder à sa lecture une décision tranchée.
21Mais quelle substance perceptive certifie à l’intervenant que l’usager « passera une nuit sans rencontrer de problèmes » ? Comment appréhender ces situations où le plan de la signification linguistique déployée à partir de la langue parlée est moins pertinent pour le travailleur social que la dimension de la corporéité de l’usager ? Pour en venir à une solution, il faut tenter de faire glisser la question en deçà du code linguistique et des canaux sociaux d’expression, par exemple, l’abaisser au niveau phénoménal de la voix. La voix se distingue du langage, elle regarde plus le corps qui commande l’émission vocale que le signe qui s’en détache et s’affirme dans un espace discursif. La voix impose l’évidence du fait physiologique, dans sa parenté au geste physique et au souffle qui l’expulse du corps.
22Dans une étude qu’il consacre à l’autisme, Y. Murakami rappelle le rôle décisif de la corporéité dans la fonction de l’expression linguistique et logique (Murakami, 2006). La langue parlée donne à percevoir une réalité complexe composée de trois dimensions d’écoute qui s’interpénètrent. Le sens du mot parlé occupe certes le premier plan de la conscience, mais il cache la nécessaire unification (qui ne fonctionne pas facilement chez les autistes) entre ces trois dimensions. Ainsi, (i) la dimension intuitive du son de la voix s’interpénètre avec (ii) les kinesthèses de la prononciation où se donne l’aperception d’autrui (on entend la « voix d’un autrui »), et enfin (iii) la dimension de la langue, qui véhicule une intention de communication, s’unifie dans une articulation réciproque avec la voix.
23Aux deux premières dimensions engageant la corporéité de la voix, une perception s’opère sans qu’un mot parlé soit nécessairement pourvu au langage. Le second niveau, comparé au premier, fait davantage que composer avec l’ambiance sonore et rencontrer un champ intuitif, il rend perceptible le fond d’humanité qui imprègne l’intensité du timbre de la voix. Les kinesthèses tentent d’y tresser l’articulation des sons, la prononciation s’élabore et monte en puissance, l’humanité pénètre à chaque connotation émotionnelle que prend la voix. Par exemple, le gémissement, même s’il ne rend aucun mot discernable, est incomparablement plus « humain » que le hurlement qui reste à la limite de la bestialité. Le grommellement, pour sa part, ajoute au mécontentement du grognement la trace sensible d’une confusion intérieure dont les caractéristiques restent étrangères à l’animal.
24Il y a donc, pour revenir à l’extrait présenté, un travail de perception et d’enquête qui s’opère au niveau du large spectre de la corporéité dans lequel la parole du témoignage et de la plainte ne sont que des éléments enchâssés parmi d’autres phénomènes vocaux. Certaines situations amènent les travailleurs sociaux à privilégier des phénomènes qui ne relèvent pas de la dimension de la parole articulée. Dans cet extrait, on mesure qu’un diagnostic fiable peut s’établir à partir de la manière dont résonne et se propage un timbre de voix7. Le travailleur social perçoit, dans le grommellement de l’usager, une voix dont la teneur sensible ouvre pour lui un espace de confiance. L’hébétude de l’ivresse provoque la préoccupation du travailleur social, mais, en quelque façon, l’absence relative de lucidité manifestée reste perçue sur un « mode mineur » de réalité (Piette, 1996). Par contre, en marmonnant d’une certaine manière quelque chose à mi-voix, en se redressant sur ses jambes avec un peu d’aide, il imprègne son attitude d’une teneur rassurante, de l’impression qu’aucun péril ne menace son humanité. Il y a, dans le registre des interventions professionnelles du travailleur social, une dimension de savoir et de préoccupation consacrée à la contenance (en humanité) de l’usager qu’illustre cet exemple. Les tonalités affectives propres au mouvement et à la corporéité offrent une appréhension perceptive au travailleur social qu’il peut traduire au plan du maintien de soi de la personne et d’une humanité plus ou moins affaiblie dans sa vitalité.
AGITATION NERVEUSE.
OÙ LE TRAVAIL SOCIAL S’ACCOMPLIT SUR LE « CORPS EMPÊCHÉ »
25C’est à la faveur de cet exemple que nous tenterons désormais d’étendre notre analyse sur le savoir-faire professionnel des travailleurs sociaux, notamment lorsqu’il s’approche des cas de figure du mutique ou de l’épuisé que nous avons définis plus haut. Ce faisant, nous reviendrons insensiblement sur les limites de la pertinence du modèle du consentement informé. Ces limites tiennent moins, dans notre analyse, au fait que ces cas s’apparentent au problème classique du « privilège thérapeutique » qui pose la question de l’autonomie du choix du patient, qu’au fait que le registre perceptif pertinent et la temporalité juste d’intervention du travailleur social bouleversent l’anthropologie d’arrière-fond du modèle du consentement éclairé. En effet, ils se placent au contact instantané de tonalités affectives propres à la corporéité de la personne et non pas, comme le suppose le consentement (et la modalité du contrat de [ré] insertion), en réponse à des informations personnelles verbalisables, recevables par l’institution, intégrables à un projet de vie et assimilables à une pièce à conviction fournissant la preuve d’une autonomie en acte.
26Le savoir-faire que nous cherchons à reconnaître ici puise à la source d’un pâtir s’exposant à l’intervenant et à ce qu’on a nommé le « corps empêché » (de l’usager). Ce corps est empêché de venir au contact, il se situe hors du registre significatif de l’interaction bien qu’il se laisse percevoir au niveau de l’« affection existentielle8 ». Le « corps empêché » s’inscrit dans le registre subtil de la rétivité, il semble traversé par une pointe de résistance à toute espèce de mobilité, il semble tenu par une volonté non motivée de garder l’immobilité, de rester, d’« y » rester9. C’est alors le niveau désormais palpable de la fébrilité qui s’offre comme la plus essentielle matière à travailler pour l’intervenant. Elle exprime d’une certaine manière un corps bousculé et déséquilibré cherchant à se cramponner quelque part, à agripper et tenir ferme un point d’ancrage. La fébrilité n’a rien à voir directement avec l’agir intentionnel de celui qui contracte avec l’institution pour se donner les moyens de conduire un projet de vie, mais à travers la rétivité, elle montre quelque chose de l’ordre d’une agitation nerveuse qui donne prise à l’idée de « capacité en puissance » qui continue de conduire l’espoir de l’intervenant social. La fébrilité produit de manière non intentionnelle une première couche de signification10. Interprétée en signe d’une hésitation, la fébrilité se place déjà sur la pente positive d’une volonté qui s’esquisse, d’« un choix qui se cherche », d’« un vouloir embarrassé qui s’oriente » (Ricœur, 1967, p. 130-131). Seul un « savoir s’approcher par le tact » est à même de donner un sol de résonance au travail social qui s’instaure, initiant un contact, partout où le mutisme ou l’épuisement donnent malgré tout à entrevoir l’étincelle d’un sursaut dans la chute vers la résignation.
27Ce détour, qui nous place hors des limites de l’arrière-plan anthropologique opérant dans les politiques de l’institution du travail social, nous permet d’amener deux remarques. D’une part, le « corps empêché », qui se trouve noué aux deux failles du mutisme et de l’épuisement, n’a pas ou ne peut pas avoir la posture volontariste consistant à signaler sa présence ou son état. D’autre part, si, par exemple lors d’une maraude, une équipe de nuit rencontre à l’improviste (où grâce au signalement émis par un tiers), un SDF qui a sombré dans un tel état, le savoir faire qui est d’emblée en jeu est ce « savoir s’approcher par le tact » dont nous venons de faire mention. Il semble alors, à l’instar de la démarche avancée par J. Stavo-Debauge, qu’une bonne manière d’esquisser la compréhension d’un tel savoir faire correspond en partie à une analyse pragmatique du choc produit par la rencontre et l’interpellation (Stavo-Debauge, 2007)11.
28Nous avons vu que ce choc peut être intentionnellement commis afin de décramponner le SDF de son aspiration à l’immobilité pour lui ouvrir la possibilité ultérieure d’une orientation vers une institution d’accueil. Il y a, à cet égard, un répertoire dense de gestes et de paroles lancées à l’usager qui escompte le pousser à réagir. Ces actes d’interpellation se placent généralement sur deux registres d’accès au plan motivationnel : l’un qui tend à soutenir l’esquisse de motivation qui se présente dans la fébrilité (notamment par des gestes et des mots d’encouragements12), l’autre visant à la provoquer (précisément par l’élaboration de quelques chocs mesurés pouvant susciter une réaction).
OPÉRATIONS DU TACT.
POUSSER, SOUTENIR ET RACCORDER
29La dimension du tact professionnel mis en œuvre par les intervenants agit alors sur une diversité de registres au point qu’on peut parler, comme le suggère justement E. Gardella, E. Le Méner et C. Mondémé à propos des EMA, de « funambules du tact13 ». Il y a, pour commencer, la bonne appréciation des effets produits par le choc de l’interpellation de l’usager. Dans une certaine mesure, l’intervenant peut aller jusqu’à bousculer sa volonté, mais le tact consistera alors à garder le souci de ne pas le heurter en portant atteinte à sa dignité et de l’entreprendre tout en provoquant une poussée qui le mobilise vers un registre actif. Ce souci évoque une problématique cruciale des mesures d’urgence qui, dans leur précipitation constitutive, peuvent inclure une forme de brutalité susceptible de provoquer un raidissement dommageable de l’usager. Les efforts produits par les équipes de nuit du Samusocial sont à cet égard nécessairement considérables. Elles sont en effet, et pour commencer, dans l’obligation d’anticiper et d’atténuer le choc relatif au surgissement que produit leur visite quand elle est inopinée14.
30Mais le tact professionnel requiert aussi de trouver le bon réglage du geste d’un soin visant, cette fois-là, à soutenir l’usager. Le soutien ramène à son tour un débat classique tournant autour des limites de l’investissement personnel dans le travail social. Il permet en cela de revenir sur la question de l’ingérence et la limite du « trop proche » dans la sollicitude. Le soutien passe par une sollicitude qui s’ouvre d’abord par l’écoute aux failles de l’usager, qui sait percevoir où ses fragilités risquent de plier, et qui enfin devine l’originarité du mal souffert et du besoin qu’il recouvre. Le soutien n’est ferme qu’à la condition que la sollicitude soit mue par l’attention plutôt que par l’inquiétude du travailleur social. L’inquiétude peut en effet révéler un défaut de fermeté dans la mesure où elle coïncide avec le tremblement inhérent au doute ou avec l’attendrissement de la compassion. Par ailleurs, le tact attribué au soutien consiste à permettre un élan libérateur plutôt que de consolider un attachement affectif dont on a vu que, du point de vue des institutions du travail social, il risque d’assombrir l’horizon d’autonomie de l’usager. Cela suppose que l’intervenant se place en contiguïté avec le « territoire du soi » de l’usager, sans jamais devoir y pénétrer mais en travaillant à sa délimitation et à son appropriation privative (Breviglieri, 2006). Le tact du soin tient alors ici sa finesse de ce qu’il cherche à préserver un égard pour le domaine privé qui garantit l’autonomie morale de l’individu.
31Enfin, le tact se déploie à travers un troisième domaine de savoir-faire. Il n’agit alors plus uniquement dans le registre subtil du choc ou du soutien, mais contribue au déplacement même de l’usager (sous-entendu : vers son insertion socio-économique), il livre un mouvement actif d’accompagnement. Nous avons déjà désigné ce troisième registre de savoir-faire sous l’angle de techniques de raccordement (Breviglieri, Pattaroni et Stavo-Debauge, 2003) permettant d’inscrire et de rendre mobile l’usager entre divers « régimes d’engagement » (Thévenot, 2006). La notion de « régimes d’engagement » permet d’exprimer la pluralité des formes d’attentes et d’exigences d’un monde rendu complexe par les ambitions partiellement paradoxales du travail social (voir supra). Ces techniques de raccordement invitent l’usager à diversifier ses engagements dans la relation d’aide tout en permettant à l’intervenant de glisser continûment d’une attention rapprochée sur la personne à la généralisation de son cas.
32Toutefois, pour que ce savoir-faire s’inscrive réellement dans une didactique et une politique, cette souplesse (souhaitée) de la relation doit s’inscrire distinctement dans un sens qui progresse, et notamment, dans le sens d’une responsabilisation de l’usager. De sorte que l’activité d’accompagnement s’affirme idéalement comme un exercice progressif dessinant un véritable « parcours de la reconnaissance » (Ricœur, 2004). C’est, reprenant les catégories de P. Ricœur, en partant d’un assentiment dirigé vers certaines inclinations jugées profitables pour l’usager, que ce parcours de la reconnaissance peut s’élever au niveau supérieur d’une approbation relative aux volontés légitimes qui s’affirment au fil des épreuves rencontrées, puis culminer au stade ultime de l’attestation réciproque consacrant les compétences utiles et les choix pertinents à l’horizon de l’insertion. Mais ce parcours de reconnaissance ne fait pas que consolider l’individu au plan de son identité personnelle, il convoque conjointement la (re-)constitution du socle de confiance nécessaire à la conduite d’une vie par l’autonomie. Aux trois niveaux que nous avons évoqués ci-dessus, le tact professionnel tente de restaurer et de consacrer une forme de confiance : confiance dans le proche au moment de la sollicitude, confiance en soi pour pouvoir déterminer un choix propre, confiance dans la justice de l’institution que représente le travailleur social pour pouvoir livrer ce choix aux dispositifs institutionnels. Et c’est sur la base de cette confiance en l’institution, scellée par l’opération du consentement informé et mutuel, que l’usager peut s’élancer dans la promesse du contrat et les décisions du projet, en s’estimant à son tour, digne de confiance.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
BIBLIOGRAPHIE
Astier I., « L’exposition de la personne et les procédures d’insertion du RMI », dans Ion J. et Peroni M. (éd.), Engagement public et exposition de la personne, La Tour D’Aigues, Éditions de l’Aube, 1997.
Botros S., « Consentement », dans Canto-Sperber M. (éd.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 2004.
Breviglieri M., L’usage et l’habiter. Contribution à une sociologie de la proximité, Thèse de doctorat, EHESS, 1999.
Breviglieri M., « Bienfaits et méfaits de la proximité dans le travail social », dans Ion J. (éd.), Le travail social en débat(s), Paris, La Découverte, 2005.
Breviglieri M., « La décence du logement et le monde habité. Une enquête sur la position du travailleur social dans les remous affectifs de la visite à domicile », dans Roux J. (éd.), Sensibiliser. La sociologie dans le vif du monde, La Tour D’Aigues, Éditions de l’Aube, 2006.
Breviglieri M., Pattaroni L. et Stavo-Debauge J., « Quelques effets de l’idée de proximité sur la conduite et le devenir du travail social », Revue Suisse de Sociologie, 29 (1), 2003.
Breviglieri M. et Stavo-Debauge J., «Sous les conventions. Accompagnement social à l’insertion : entre sollicitude et sollicitation », dans Eymard-Duvernay F. (éd.), L’économie des conventions. Méthodes et résultats, Paris, Éditions La Découverte, 2006.
Giuliani F., « La procédure de l’entretien individualisé dans le travail d’accompagnement. Quand usagers et intervenants ont à organiser l’expérience de situations sans qualité », dans Astier I. et Duvoux N. (éd.), La société biographique : une injonction à vivre dignement, Paris, L’Harmattan, 2006.
Gardella E., Le Méner E. et Mondémé C., Les funambules du tact. Une analyse des cadres du travail des équipes mobiles d’aide du Samusocial de Paris, Document de travail, Samusocial, 2006.
Ion J., « L’engagement personnalisé comme mode d’intervention », Les cahiers du DSU, 19, 1998.
Murakami Y., « L’origine de l’expression », Annales de Phénoménologie, 5, 2006.
Pattaroni L., « Les compétences de l’individu : travail social et responsabilisation », dans Chatel V., Soulet M.-H. (éd.) Faire face et s’en sortir, Fribourg, Éditions Universitaires, 2002.
Pattaroni L., « Le care est-il institutionnalisable ? Quand la “politique du care” émousse son éthique », dans Paperman P. et Laugier S. (éd.), Le souci des autres, Raisons Pratiques, 16, 2006.
10.4000/books.editionsehess.27633 :Piette A., Ethnographie de l’action, Paris, Métaillié, 1996.
Soulet M.-H., « Une solidarité de responsabilisation », dans Ion J. (éd.), Le travail social en débat (s), Paris, La Découverte, 2005.
Ricœur P., Philosophie de la volonté. Le volontaire et l’involontaire, Paris, Aubier, 1967.
10.4000/books.pusl.18900 :Ricœur P., « Autonomie et vulnérabilité », dans Le Juste 2, Paris, Éditions Esprit, 2001.
Ricœur P., Parcours de la reconnaissance. Trois études, Paris, Stock, 2004.
Stavo-Debauge J., Venir à la communauté, Pour une sociologie de l’hospitalité et de l’appartenance, Thèse de doctorat, EHESS, 2008.
10.3917/dec.theve.2006.02 :Thévenot L., L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, Éditions La Découverte, 2006.
Van Kerckhoven G., « La gêne comme affection existentielle (H. Lipps) », Annales de Phénoménologie, 5, 2006.
Van Sevenant A., Philosophie de la sollicitude, Paris, Vrin, 2001.
Notes de bas de page
1 Je tiens à remercier Anne Laporte, directrice de l’observatoire du Samusocial de Paris, ainsi qu’Erwan Le Méner pour la relecture de ce texte. Je souligne aussi, dès à présent, qu’un travail d’enquête sur les équipes mobiles d’aide du Samusocial de Paris a été initié par Gardella, Le Méner et Mondémé (2006). Concernant ma propre recherche sur les visites à domicile : Breviglieri (2006).
2 Un retentissement qui tient notamment à la promulgation de la loi du 4 mars 2002 qui donne aujourd’hui au consentement informé le statut de droit du patient.
3 Sur ce point, on se reportera à la manière dont L. Pattaroni démontre la difficile et « paradoxale institutionnalisation du care » (Pattaroni, 2006). Sur l’importance du paradigme du toucher dans les activités de soin, voir Breviglieri (1999) ; la question du tact professionnel est ensuite abordée dans Breviglieri, Pattaroni et Stavo-Debauge (2003) et Breviglieri (2005). Sur l’intervention de la dimension interpersonnelle dans le travail social, et au fil de l’accompagnement : je renvoie aux travaux pionniers d’Astier (1997) et de Ion (1998) et récemment de Giuliani (2006).
4 Il est entendu que ces différents problèmes ont toujours la possibilité de se recouper entre eux.
5 La « solution démissionnaire » de moindre coût consiste à placer l’usager sous la tutelle d’une autre profession (« psy » par exemple).
6 Nous nous appuyons sur un ensemble d’observations que nous avons faites dans des situations d’intervention où l’usager manifestait déjà des éléments inquiétants d’atonie (voir infra).
7 L’impression venant du timbre de la voix est probablement mêlée, dans la scène que l’intervenant commente, à la mine que lui présente l’usager.
8 H. Lipps parle de l’affection existentielle en l’opposant à l’ordre interactionnel. Il évoque le cas de la gêne où les hommes sont « empêtrés en eux-mêmes » (cité par Van Kerckhoven, 2006).
9 Les équipes mobiles d’aide (EMA) du Samusocial se trouvent très fréquemment confrontées à ce désir des SDF de rester sur le lieu de leur propre déréliction, un désir mal justifié du point de vue de la grammaire morale de l’aide d’urgence où le secours consiste à conduire l’usager dans un abri institutionnel.
10 Dans le cas présent, elle fait entendre l’écho d’une dramatique « ne plus savoir quoi faire », elle reflète l’ignorance de ce qui est dû dans la situation présente, elle dit l’être « démuni » au sens premier du terme. Notons que dans un cas de figure opposé, la fébrilité peut s’exprimer dans la maladresse de l’empressement à vouloir bien faire. Elle connote phénoménalement, et à nouveau, un problème avec le sens du devoir, mais cette fois-là, comme J. Stavo-Debauge a pu le montrer relativement à ce que met en jeu l’hospitalité, la volonté ne transparaît pas dans une faiblesse mais dans un excès et un débordement relatif au geste qui convient (Stavo-Debauge, 2008).
11 L’auteur ne se contente pas de décrire la survenue, c’est-à-dire l’impact et l’effet du choc, mais, symétriquement, la capacité à l’« encaisser ». Il ouvre ainsi l’analyse à une dimension historiale relative aux épreuves passées qui ont dessiné tant les failles de la vulnérabilité que les récifs de la solidité permettant de résister au choc.
12 Il faut alors ouvrir une constellation sémantique différente de celle du choc. Elle s’apparente à celle du soutien, du port ou du maintien.
13 E. Gardella, E. Le Méner et C. Mondémé (2006) soulignent la manière dont les équipes mobiles déploient avec tact des activités de cadrage permettant de régler « la tension entre le principe professionnel du travail (relation de service) et sa détermination écologique (aller à la rencontre des usagers) ».
14 Bien souvent, il arrive que les équipes de nuit surprennent les SDF dans le repli de leur habitation précaire et parfois même dans leur sommeil.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011
