Introduction. Noblesses obligent…
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Texte intégral

Pierre-Narcisse Guérin (Paris, 1774-Rome 1833), Le Retour de Marcus Sextus, vers 1799, huile sur papier marouflé sur toile (H. 37 cm x L. 42 cm), Vizille, Musée de la Révolution française, achat en 2008 grâce à la Banque de Vizille, à l’occasion de son vingtième anniversaire, avec l’aide du Fonds régional d’acquisition pour les musées en Rhône-Alpes, Inv. MRF 2008-1.
1Le jeune Guérin, élève de Jean-Baptiste Regnault (1754-1829), tenta dès 1793 le prix de peinture de l’Académie qu’il n’obtint pas. Cependant, le tableau qu’il peignit à cette occasion, La Mort de Brutus, aujourd’hui au Musée, est un des premiers jalons importants de son œuvre. En 1797, il obtint finalement le prix de l’Académie avec La Mort de Caton d’Utique, tableau qui vient d’être déposé à Vizille par l’École nationale supérieure des Beaux-arts. Deux ans plus tard, il exposa Le Retour de Marcus Sextus (Louvre, H. 217 cm x L. 243 cm, signé et daté de l’an VII), qui remporta un immense succès et établit sa réputation de figure majeure parmi les peintres de l’époque. Marcus Sextus, échappé aux proscriptions de Sylla (138-78 av. J.-C.), trouve à son retour sa fille en pleurs auprès de sa femme morte. Les personnages comme l’action de cette scène sont imaginaires et, au Salon de 1799, les royalistes croyaient y voir non sans raison une allusion au retour des émigrés. Mais ce qu’on y loua surtout, c’est la puissance dramatique, la force et la vérité des expressions.
2L’esquisse provenant très probablement de l’atelier de Guérin, passée en vente publique en France à plusieurs reprises entre 1943 et 2001, laisse apparaître par endroits le trait souple et continu du dessin, sans doute décalqué à partir d’un autre dessin tenant lieu de feuille d’étude. Elle présente aussi quelques variantes par rapport au tableau final avec notamment le personnage de la pleureuse, au fond à gauche, qui disparaît, ainsi que le sabre et la lance sur le mur du fond, remplacés par le haut d’une niche. L’esquisse de Vizille témoigne du changement de sujet effectué par Guérin, originellement un Retour de Bélisaire dans sa famille, au prix d’une modification radicale de sa précédente composition.
3Alain Chevalier
4Directeur du Musée de la Révolution
5Il est désormais des rendez-vous attendus qui, année après année, réunissent les chercheurs spécialistes de la Révolution française au Musée de la Révolution, à Vizille, aux bons soins d’une équipe qu’il faut une fois encore remercier. Nous n’omettrons pas, dans l’évocation de ces souvenirs heureux, les responsables du Conseil général de l’Isère et du domaine de Vizille, qui nous ont accompagnés avec enthousiasme, bienveillance et compétence dans l’aventure. Le Centre d’Histoire « Espaces & Cultures » de l’université Blaise-Pascal (Clermont II), à l’initiative de plusieurs de ces rencontres scientifiques, sait le privilège qui lui a été donné de pouvoir mener cette dernière dans un partenariat fort désormais de liens de confiance et d’amitié : deux colloques sur les arts de la scène et la Révolution, un autre sur l’écriture de l’histoire immédiate des révolutions, ont jusqu’à celui-ci, sur Les noblesses françaises dans l’Europe de la Révolution, marqué cette entente et cette collaboration1. Le Musée de la Révolution, le Centre d’Histoire « Espaces & Cultures » ont aussi, chacun pour leur part, l’habitude de travailler avec la Société des études robespierristes, troisième partenaire de ce colloque2. D’aucuns, faute de mesurer exactement son rôle dans la diffusion de la recherche universitaire, ne l’attendaient sans doute pas sur ce thème, ce qui nous renvoie immanquablement à l’état de la question et de la bibliographie sur les noblesses dans la décennie révolutionnaire, donc aux reliefs, souvent en creux, de l’historiographie de la Révolution française, des creux qui justifiaient amplement qu’on entreprenne de les combler, d’autant que les importants travaux menés sur le deuxième ordre de la France d’Ancien Régime par les dix-huitiémistes et les dix-neuviémistes les rendaient d’autant plus béants. La décennie révolutionnaire complique, il est vrai, considérablement le champ des aventures sociales et collectives, et oblige dès le printemps 1789 à reconsidérer les hiérarchies du vieux monde, les dépassant au nom de la nation, au sein de laquelle nombre de « ci-devant » vont trouver leur place.
Ordre et individus
6Afin de bien mesurer les éventuelles contradictions, et au moins les complexités à l’œuvre, tout commencera, justement, par quelques citations empruntées à l’un d’eux, François-Xavier Pagès de Vixouze, bientôt rédacteur des Tableaux historiques de la Révolution française auxquels le Musée de la Révolution a consacré plusieurs expositions et autant d’ouvrages dirigés par Claudette Hould3. Issu d’une très ancienne noblesse auvergnate, Pagès est né à Aurillac le 16 mai 1745, fils d’Antoine Pagès, seigneur de Vixouze, subdélégué de l’intendant d’Auvergne à Aurillac, poste dans lequel il lui succédera jusqu’à sa démission, en août 1789. La famille paternelle de François-Xavier a fait sa carrière dans la robe : son grand-père, mort en 1738, à environ 80 ans, était conseiller au présidial d’Aurillac ; les filles, depuis plusieurs générations, quand elles ne convolaient pas avec des parents proches, étaient volontiers mariées à la bourgeoisie marchande montante d’Aurillac : les Delzons, Lespinat, Dorinière. François-Xavier se rallie à la Révolution avec une ferveur qui le met à plusieurs reprises au ban des Amis de la Constitution aurillacois et le rapproche au contraire des Francs-Tenanciers d’Arpajon, société politique dédiée aux campagnes de l’arrière-pays qui s’illustrera dans les luttes antiféodales, la guerre aux châteaux4. C’est un ami de Mirande, Milhaud, ou Carrier, qui transcrit en termes vifs, que ne renierait pas le Père Duchesne, ses opinions dans le journal qu’il fonde, Le Cantaliste (1790-1791). Longtemps contenue, l’attaque en règle contre la noblesse est menée tambour battant dans le no 18 du 6 avril 1791. Pagès prétend donner à voir « ce royaume divisé pendant plus de huit siècles en deux classes, la Noblesse & le Peuple, la première destructive & oppressive, la seconde productive & opprimée ». Outre une condamnation de la féodalité, « système absurde & immoral », le rédacteur doute des facultés de rédemption des membres de ce second ordre, auquel il a lui-même appartenu : le préjugé de supériorité demeure car les mentalités sont longues à évoluer. Aussi rappelle-t-il « les meurtres, les brigandages commis par cette classe orgueilleuse & altière contre ceux qu’ils osaient appeler vilains, roturiers, canaille », cette « caste » qu’il propose de stigmatiser comme celle des « ci-devant soi-disant nobles », conseillant à ses lecteurs l’ouvrage de Dulaure, Histoire critique de la Noblesse, où l’on expose ses préjugés, ses brigandages, ses crimes, où l’on prouve qu’elle a été le fléau de la liberté, de la raison, des connaissances humaines, etc. Il y a trouvé un juste réquisitoire contre les préjugés : « On a cru longtemps qu’il existait dans le sang des prétendus nobles une vertu particulière, une qualité surhumaine qui ne se trouvait point dans le sang des autres hommes, & l’on a eu pour les ci-devant nobles, ô honte de l’esprit humain ! un respect presque religieux. On a cru de même, & on a osé répéter de nos jours, avec solennité, que les nobles ont été le soutien de la monarchie & la force de l’État. » Mais il reconnaît néanmoins, autodéfense oblige, l’existence de nobles « fort au-dessus de la chimère de la Noblesse », qui méritent hommages et respect. Dans le no 20 (20 avril 1791), il prophétise même une acculturation révolutionnaire des membres de l’ancien ordre : « Bientôt les intérêts privés disparaîtront devant l’étendart sacré du bonheur universel. Bientôt nous verrons toutes les passions immolées sur l’Autel de la Patrie. La feue Noblesse que l’ancienne Cour tenoit dans un état d’abjection & d’avilissement, préférera à de ridicules titres, un genre de Noblesse bien autrement imposant, un titre bien autrement précieux à un être pensant, le noble titre d’homme libre. L’éternelle beauté du chef-d’œuvre constitutionnel, malgré quelques taches légères, frappera tous les esprits & portera comme la lumière l’enchantement dans toutes les âmes. » Quant aux aristocrates récalcitrants : « On finira par les chasser de France comme on chassa Adam & Ève du paradis terrestre » (no 27, 8 juin 1791).
7François-Xavier, qui a eu à souffrir de la morgue de l’intendant d’Auvergne Chazerat, est loin d’être le seul à dénoncer cette affectation de supériorité de laquelle on se plaindra jusque dans certains cahiers de doléances qui, n’en soyons pas dupes, au-delà d’une certaine réalité, servent aussi le discours hostile des Lumières. Fondée sur le sang, l’antériorité, les privilèges, les jeux de la distinction sociale et la culture des apparences par ceux qui l’affichent, cette superbe n’est pourtant pas seulement moquée par ceux qui la subissent, mais aussi intériorisée par ceux-ci comme une donnée de leur condition. De ces deux réactions, les lettres de la très éclairée « Miette » Tailhand, fille de procureur et nièce de Gilbert Romme, et comme telle reçue à la fin des années 1780 dans les résidences de campagne de la noblesse de Riom ou accueillant chez elle le jeune comte Stroganov, sont très révélatrices. À son détriment, la jeune bourgeoise est traitée de haut par Mme de Capponi, épouse du seigneur du bourg voisin de Combronde : « Elle est aussi fière qu’il est modeste. C’est une créole qui a pris tous les ridicules du nouveau monde. Elle se fait servir par une négresse qui obéit à ses moindres mouvements […]. Elle ne se sert jamais de ses bras ; on dirait que c’est un automate. Elle ne travaille pas de peur de compromettre sa dignité. Elle a toujours des gants qu’elle ne quitte pas même pour manger5. » Comme toute sa famille élevée dans l’ascétisme janséniste et apôtre de la discrétion sociale, elle reçoit de plein fouet les modes et les mœurs des cours européennes, que ramènent depuis la Russie son oncle, encore précepteur, et son élève, même contrôlées par une éducation spartiate :
« Mon amour-propre souffre d’être si simplement vêtue. J’aurais ma robe des dimanches tous les jours que je n’égalerais pas l’élégance de nos étrangers. Ils sont toujours mis comme s’ils étaient à la cour. Mon oncle a des habits de soie de toutes les couleurs, des manchettes et des jabots de points d’Angleterre. Il prend beaucoup soin de sa coiffure. Il est crépé et poudré à blanc. Il lui arrive souvent de se faire peigner deux fois par jour. La toilette du jeune comte donne beaucoup de peine à son valet de chambre. Il est très difficile et d’une propreté minutieuse. Il se lave tous les matins depuis la tête jusqu’aux pieds et change de linge tous les jours. La chemise qu’il quitte est plus blanche que celle que nous prenons le dimanche […]. Il y a si loin de nos habitudes aux leurs que tout ce qu’ils font nous parait extraordinaire. Cette différence dans leurs usages et dans leurs fortunes me met dans une position gênante6. »
8Mais, au-delà de ces réalités vécues qui disent un monde et qu’il faudrait prendre garde de ne pas oublier, on aura surtout retrouvé dans les propos de Pagès cet « antinobilisme nobiliaire » ailleurs étudié par Jean-Marie Constant ou Anne de Mathan, qui fait que la légitimité des privilèges est contestée depuis Corberon sous Richelieu jusqu’à Montlosier ou Antonelle sous la Révolution ; que les prérogatives de la naissance sont remises en cause depuis Belleguise sous Louis XIV jusqu’à la défense du mérite par les Lumières, et notamment par le marquis de Condorcet – cette même défense qui fera dire à Mirabeau : « L’exercice de la raison et de la vertu est la seule vraie noblesse7. » Pagès n’omet pas non plus de réduire à quia les prétentions à une race noble, les revendications portées plus fortement que jamais depuis Boulainvilliers – sont-elles totalement absentes du discours des Monarchiens, plaidant pour un sénat élitaire dans un bicaméralisme à l’anglaise ? Manquent les stéréotypes littéraires et théâtraux, ceux auxquels ne rechignent ni Laclos, ni Beaumarchais, du noble libertin, ruiné par ses débauches : Pagès, il est vrai, lui-même homme de lettres, relevait en bien des aspects de sa vie de cette caricature et dilapidait allégrement la fortune familiale… En revanche, la référence à Sieyès est évidente, Sieyès qui, dans Qu’est-ce que le Tiers état ?, rejette la noblesse réactionnaire dans « les forêts de la Franconie » et voit dans la nation la descendance des Gaulois et des Romains, alors même qu’« en 1789, comme le rappelle Jean-Yves Guiomar, aucune Gaule ne se soulève contre treize siècles d’oppression germanique8 ». Mais, au-delà, Pagès de Vixouze reconnaît aussi l’existence d’une noblesse patriote et concentre ses attaques contre la noblesse de cour, actant par là même la pluralité des noblesses. Or, les historiens de la Révolution ont depuis longtemps brièvement réglé le cas du second ordre, perçu comme une entité pour mieux le laisser dans son émigration franconienne, au mieux comme l’un des éléments de l’« aristocratie », terme valise enfermant tous les ennemis de la Révolution et les livrant aux pamphlétaires et aux caricaturistes. Dans l’avant-propos des actes de l’important colloque de 2001 à Bordeaux sur La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson se réjouissent de l’intérêt nouveau des chercheurs pour le deuxième ordre de la société d’Ancien Régime, jusqu’alors abandonné « aux généalogistes, aux spécialistes de l’héraldique, aux biographes mondains » et, rajouterais-je pour la période qui nous préoccupe aujourd’hui, aux panégyristes avertis d’un long martyrologe9.
Un chantier renouvelé
9Non que quelques recherches méritoires n’aient abondé çà et là et depuis longtemps le débat. Elles nourrissent très timidement les Annales historiques de la Révolution française qui, depuis leur fondation il y a un siècle, n’ont pas explicitement consacré plus de quatre articles à la noblesse ; encore s’est-il agi de la noblesse d’Empire, de la noblesse seigneuriale au Canada ou des émigrés10… Ajoutons aux articles, pour faire bon poids, 11 analyses d’ouvrages et, au titre des recensions annuelles, 33 citations d’articles publiés dans d’autres revues, dont un tiers depuis 1990. À l’heure où triomphait l’histoire sociale, la Société des études robespierristes, de son côté, publiait en 1965 les travaux de Beatrice Hyslop sur L’apanage de Philippe-Égalité, duc d’Orléans (1785-1791), l’une des plus mauvaises ventes de ses éditions… Tandis que les grandes thèses d’histoire rurale des années 1960 et 1970, qu’Albert Soboul avait encouragées, insistaient sur le poids des prélèvements et des justices seigneuriaux, et nourrissaient l’idée d’une réaction seigneuriale généralisée, matérialisée par la révision des terriers ou la fermeture des carrières des armes et d’Église aux roturiers, la prétention renouvelée aux privilèges, idée depuis nuancée tant sont justement diverses les situations locales. Le même Soboul faisait éditer en 1968 le colloque d’Aix-en-Provence sur Les Mirabeau et leur temps, autour d’une noblesse éclairée et surtout d’un grand tribun plébéien, puis en 1969 les recherches d’Arnaud de Lestapis sur La conspiration de Batz (1793-1794). L’émigration, il est vrai, avait nourri d’importantes pages huit ans plus tôt dans l’innovante synthèse de Jacques Godechot sur La Contre-Révolution (1789-1804), et justifié quatre ans auparavant la parution de l’étude due à Jacqueline Chaumié sur Le réseau d’Antraigues et la contre-révolution (1791-1793)11. Dans un ailleurs mythifié, Guy Chaussinand-Nogaret présentait au contraire, au mitan des années 1970, une noblesse socialement ouverte, économiquement dynamique et culturellement en pointe12.
10De Jean Meyer à Michel Figeac, et à tous leurs étudiants, les historiens dix-huitiémistes ont notoirement fait avancer l’étude sociale d’un monde nobiliaire des plus divers et des plus complexes, affirmant haut et fort la pluralité des noblesses, que vient corroborer la multiplication des études régionales et des biographies dont le présent volume n’est pas exempt. Rendant compte du renouveau historiographique, le no 194 (décembre 1995) de la Revue d’histoire moderne et contemporaine peut s’intituler « Les noblesses de l’époque moderne ». C’est aussi par des « Réflexions préliminaires sur la diversité des noblesses » qu’Yves-Marie Bercé introduit les actes du colloque de Bordeaux, insistant d’emblée sur les positions sociales, politiques, diplomatiques de toute nature occupées par les nobles et parfois divergentes, antinomiques, contradictoires13. Depuis les années 1990, les recherches sur les échelles de fortune et de rang ont conduit Laurent Bourquin, s’attachant à la Champagne puis aux pays de Loire, à parler de « noblesse seconde », tandis que sur un autre objet Michel Cassan proposait le concept d’« officiers moyens14 » ; Michel Nassiet, quant à lui, associait, sur l’exemple breton, noblesse et pauvreté15. Je renvoie pour avoir une perspective sur les travaux majeurs à la synthèse bibliographique qui ouvre le bel ouvrage de Michel Figeac sur L’automne des gentilshommes. Noblesse d’Aquitaine, noblesse française au siècle des Lumières16. Toujours est-il que Pierre Serna, esquissant un portrait du noble au sein d’une peinture collective de L’homme des Lumières dirigée par Michel Vovelle, a pu parler de confusion et de désordre au sein d’un second ordre soucieux en conséquence de se reconnaître et de se compter, tout en soulignant les enjeux en matière d’histoire politique : « Dresser le portrait du noble au temps des Lumières revient à poser le rapport dialectique qu’a pu entretenir un groupe au sommet de la pyramide sociale avec une pensée moderne et séduisante dans ses abstractions, et cependant périlleuse et à terme dangereuse dans son expression pratique17. » Inscrite dans le titre du colloque d’aujourd’hui, la diversité des noblesses rompt avec tout discours univoque et plaide pour un objet historique complexe, dégagé de toute gangue militante, alors que les progrès sensibles de l’histoire de la politique et de la culture révolutionnaires nous imposent le retour vers le social pour mieux nuancer et enrichir notre propos, en espérant pouvoir nous réjouir d’avancées épistémologiques espérées, comme le fit dans les conclusions du colloque de Bordeaux Claude-Isabelle Brelot :
« Les noblesses ne sont plus étudiées en elle-mêmes, mais comme élites sociales, et donc replacées dans la société, qu’elles soient instituées ou non. L’adaptation de la noblesse au modèle républicain – contre-modèle par excellence – en est une belle illustration, rendue possible par la greffe des noblesses sur la longue durée. Quant à l’analyse des représentations de la noblesse, elle est essentielle à la réinsertion des noblesses dans la société globale : l’histoire sociale sort de l’étude des groupes sociaux, dans laquelle elle s’est longuement attardée, pour atteindre l’utopie d’une véritable histoire du social18. »
11Le présent volume se reconnaît aussi dans la démarche des historiens lillois, Jean-Pierre Jessenne en tête, qui en 2006 nous invitaient à fusionner les différents champs historiques – Vers un nouvel ordre bourgeois ? Révolution française et changement social –, arguant « qu’il était plus que temps de réinterroger l’événement révolutionnaire en partant des acquis récents de l’histoire sociale selon lesquels l’identité des individus ou des groupes dans la société n’est pas un donné, mais le résultat d’une construction dont il importe de reconstituer le processus […] sans scénario écrit d’avance ou détermination mécaniste d’un phénomène sur un autre », avec cependant la conviction que « des formes d’identité sociale peuvent se construire au travers même de l’action politique, y compris dans l’invention de langages politiques nouveaux19 ».
12Rares cependant sont les modernistes à s’aventurer dans la décennie révolutionnaire, sinon pour l’effleurer. Si Jean Duma suit la maison des Bourbon-Penthièvre jusqu’en 1793, la raison en est purement biographique : Louis Jean-Marie de Bourbon, duc de Penthièvre, qui a perdu son épouse puis le dernier de ses fils quand arrive la Révolution, très affecté par l’assassinat de sa belle-fille, la princesse de Lamballe puis par la mort du roi votée par son gendre, le duc d’Orléans, mène une vie retirée, mélancolique, toute centrée sur la dévotion et la charité, avant de mourir dans son lit en son château de Bizy, en Normandie, en 1793 – enterré clandestinement à Dreux, sa tombe est profanée le 29 novembre 1793, et son cadavre jeté dans la fosse commune20. Ludmilla Pimenova fonde, elle, son enquête consacrée à La noblesse à la veille de la Révolution française, sur l’analyse de la crise parlementaire et de son retentissement dans l’opinion, et sur celle de 165 cahiers de doléances qui lui permettent de distinguer plusieurs positionnements idéologiques au sein du second ordre : une défense de la tradition héritée du XVIIe siècle (28 cahiers), une illustration de l’esprit des Lumières (29 cahiers, essentiellement rédigés dans la région parisienne), et beaucoup d’incertitude pour la majorité restante, sauf pour contester l’absolutisme sans proposer de réelle réforme politique, selon un esprit « conservateur-réformateur » selon l’auteur – au total, seuls 17 cahiers, qualifiés de « libéraux-réformateurs », remettent en cause le système politique et social de l’Ancien Régime21. Il paraît évident que d’autres enseignements peuvent être tirés de la fronde parlementaire et de la prise à témoin de l’opinion, de la gigantesque campagne de presse et de pamphlets alors menée : Sarah Maza a analysé les représentations sociales en jeu, les parlementaires rendant publics des débats jusqu’alors secrets et diffusant des mots d’ordre qui déstabilisent les fondements de l’ordre politique, jusqu’à prétendre incarner une représentation de la nation souveraine, prétention dont la Révolution sonnera le glas22. Tout n’est pas dit non plus des conséquences politiques de la participation d’une jeunesse noble à la guerre d’Indépendance américaine, alors que la figure écrasante, car ô combien riche, de La Fayette, mobilise sur cette période l’historiographie de part et d’autre de l’Atlantique23.
13Si les vertus rassembleuses des commémorations, qui ont encore récemment marqué le 150e anniversaire de sa naissance, lissent l’image du héros, celle de La Fayette est double de son vivant, et ses nombreux biographes n’ont pas manqué tout au long de ces deux siècles de maintenir l’ambiguïté. Sa vie est de fait en permanence associée à une abondante littérature en prose ou en vers, à une imagerie nourrissant une culture populaire pleine de clichés. Côté pile, il est un niais et un médiocre, le « Gilles César » dénigré par Choiseul, une tête brûlée étant allé défendre les Insurgents sans ordre explicite du roi, un réformateur oublieux de la protection de Louis XVI et à ce titre vilipendé par la coterie de la reine, ou, la Révolution venue, alors qu’il est déchiré entre idéal et devoir, un intrigant cherchant en vain à sauver la monarchie et surtout la famille royale, un traître aux patriotes – seules les Trois Glorieuses de juillet 1830 lui permettant de retrouver sa popularité de 1789-1790. Côté face, il est un jeune, brillant et désintéressé chef de guerre, un habile diplomate, qui prouve ses talents avec les chefs indiens avant de grandement contribuer aux relations hispano-et surtout franco-américaines, depuis son amitié avec Washington jusqu’à celle avec Jefferson. Il est un médiateur entre la culture aristocratique européenne et la culture républicaine naissante des anciennes colonies anglaises. L’Amérique, qui l’a naturalisé et accueilli dans l’American Philosophical Society de Franklin, est de fait sa seconde patrie, et les prénoms donnés à deux de ses trois enfants (George Washington, Virginie) démontrent assez combien il vit intimement et intensément sa relation à l’autre continent. Mais le « héros des deux mondes » devient surtout citoyen du monde. Dans les années 1780, il partageait les tables des souverains et des Grands d’Europe, les attentes démocratiques du salon Condorcet et militait dans la Société des Amis des Noirs. Élu en 1818 à la Chambre des députés, La Fayette sera le grand témoin auquel rendront visite diplomates, élus, nationalistes libéraux, écrivains et admirateurs américains et européens. Tout à la fois il n’a cessé d’aimer les cercles de rencontre et les activités plus clandestins : la franc-maçonnerie, le mesmérisme, la Société des Cincinatti, la Charbonnerie. Il est de ce point de vue là encore un homme dans son époque, goûtant à toutes les nouvelles formes de sociabilité et n’oubliant pas le devoir du partage, accompli au sein des sociétés philanthropiques des années 1780 (sa femme y est tout autant que lui impliquée), ou à travers les gestes charitables dont il fait profiter des terres auvergnates où il aime à se retirer. Porteur d’une mémoire et d’une conscience révolutionnaires, passeur d’idées entre Lumières et romantisme, il sait les rendre vivantes, défendant les Idéologues contre Napoléon ou les mouvements insurrectionnels en Grèce, en Pologne, en Italie, en Amérique latine, au nom des indépendances nationales et des droits de l’Homme24.
L’historiographie révolutionnaire
14La bibliographie propre à la Révolution française n’est pas restée muette dans cette redéfinition des enjeux relatifs au deuxième ordre de l’Ancien Régime, encore qu’elle se soit surtout développée outre-Atlantique : pensons en particulier au livre de Patrice Higonnet, Class, ideology, and the rights of nobles during the French Revolution25. En France, sauf les travaux de Bernard Bodinier et Éric Teyssier sur la vente des biens nationaux26, qui posent la question de la propriété nobiliaire, de ses revenus, de sa postérité, et s’essaient à une hiérarchie économique et sociale nobiliaire variable selon les régions, cette historiographie a surtout pris à bras-le-corps des thématiques politiques et culturelles. Ces dernières rencontrent la noblesse au théâtre, public ou privé, dans les sociétés savantes, les salons, les loges maçonniques, plus rarement dans l’analyse des bibliothèques et des collections privées, à la recherche d’une reconnaissance intellectuelle, d’une sociabilité plus ouverte qui fait s’entrechoquer Lumières et anti-Lumières27. Quelques synthèses et deux thèses à caractère biographique, mais dont les enjeux dépassent nettement celui-ci, ont participé de ces voies renouvelées. Au titre des premières, il faut citer la grande thèse de Catherine Duprat sur la philanthropie entre XVIIIe et XIXe siècle28, dont les pages sur la fin des années 1780 montrent bien les interactions entre les sociétés philanthropiques, les loges, les premières sociétés politiques (ainsi la Société des Amis des Noirs) et l’émergence du parti patriote, depuis le Comité des Trente jusqu’aux débats de l’année 1789. La Société Philanthropique, fondée en 1780, attire à elle nombre de francs-maçons et les principaux pairs du royaume, d’anciens ministres, des intendants, des présidents de cours royales, des banquiers et des fermiers généraux. L’archevêque Ferdinand de Rohan, le prince de Polignac, les ducs de Béthune-Charrost, de La Vauguyon, de La Rochefoucauld, de Liancourt, de Broglie, de Montmorency, le baron de Staël, y rencontrent Lavoisier et Franklin. Ces patronages sont gage de succès pour cette société masculine, libre de références à l’Église ou au roi – quoique celui-ci y aille de son obole –, ouverte et publique : parmi les 744 affiliés de 1789, 53 % sont nobles. La Société Philanthropique va servir de matrice à des succursales provinciales ou à des fondations autres, à l’étranger comme à Paris. La Société de Charité maternelle, ouverte en 1788 par Mme Fougeret, fille d’un conseiller au Parlement de Paris et femme d’un receveur général des finances, tous deux membres de la précédente société, s’en inspire directement et attire d’ailleurs un noyau de souscripteurs communs, notamment des financiers ; Mme de La Fayette en est vice-présidente. L’Association de bienfaisance judiciaire, qu’inaugure en 1787 Boucher d’Argis, conseiller au Châtelet, dominée par le Tiers état, trouve elle aussi de solides protections dans la noblesse : le duc de Béthune-Charrost encore (l’un des principaux bailleurs de fonds de la philanthropie), La Fayette, Bertier de Sauvigny, par exemple.
15Mais la distinction entre noblesse libérale et défenseurs de la tradition monarchique ne se fait pas explicitement au sein de la philanthropie, alors qu’elle est plus nette au sein des premiers clubs et, a fortiori, au sein du Comité des Trente, noyau du « parti patriote » : cette « conspiration des honnêtes gens », selon les mots de Mirabeau qui en est, se réunit trois fois par semaine chez Adrien Duport et compte dans ses rangs, entre autres, Condorcet, les frères Lameth, La Rochefoucauld, La Fayette, Talleyrand, des proches du duc d’Orléans. Les grands thèmes de la philanthropie marquent les textes qu’ils diffusent pour aider notamment à la rédaction des cahiers de doléances : abolition de la traite et de l’esclavage, rédaction d’un code civil et d’un code pénal, gratuité de la justice d’abord, organisation de l’assistance, droits des indigents, prévention de la mendicité ensuite. Vingt-cinq de ces hommes sont élus aux États généraux. Siégeant à gauche ou au centre, ils constitueront l’un des premiers groupes de pression efficace, auquel se joignent des élus provinciaux comme Barère, Grégoire, Pétion ou Robespierre. Ils seront présents dans tous les grands moments qui fédèreront le Tiers état, du serment du Jeu de paume à la nuit du 4 Août (qu’ils préparent assidûment) et se retrouveront pour rédiger la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, pour faire mettre à l’ordre du jour la question de la traite et de l’esclavage, la réforme de la procédure criminelle ou la création d’un Comité de mendicité. Le « parti » se désagrège cependant dans les premiers mois de 1790, les enjeux politiques, notamment portés par les clubs, séparant progressivement les individus.
16Suivant chronologiquement les précédents, les travaux de Timothy Tackett et Edna Lemay nous permettent justement de partager le quotidien des élus aux États généraux, et parmi les 1 177 députés effectivement présents à Versailles à la mi-juillet 1789, du petit quart de nobles, dont le benjamin de l’Assemblée, Mathieu de Montmorency (22 ans). Les quatre cinquièmes des députés du second ordre sont des militaires, quoique soixante-quinze d’entre eux seulement aient réellement essuyé le feu des combats : parmi ceux-là le marquis de Custine ou le comte de Toulouse-Lautrec, enrégimentés très jeunes, au détriment de leurs études secondaires. Aux trois quarts titrés (seuls 2 à 6 % des nobles le sont dans les registres de la capitation), ces représentants sont issus très largement de la plus haute et la plus prestigieuse noblesse : quatre princes, seize ducs, quatre-vingt-trois marquis, cent trois comtes ou vicomtes, vingt-huit barons. Les grandes familles qui ont fait l’histoire du royaume et dont les prérogatives remontent le plus souvent au Moyen Âge répondent évidemment à l’appel : La Rochefoucauld, Luynes, Orléans, d’Aiguillon, Noailles, Clermont-Tonnerre, Montmorency, Liancourt, etc. ; leur présence est d’autant plus forte que vingt et un d’entre eux ont au moins un frère élu à leurs côtés. Les revenus de ces grands sont le plus souvent supérieurs à 50 000 livres annuelles – dix fois plus pour le duc d’Aiguillon –, issus de leurs propriétés foncières mais pour certains également, qui profitent du développement des sociétés anonymes pour ne pas ouvertement déroger à leur ordre, de leurs entreprises industrielles et commerciales (Antraigues et Clermont-Tonnerre ont investi dans les mines, Batz dans une compagnie d’assurances, Lameth et Gouy d’Arsy dans les plantations et la traite des esclaves). Avec leurs 10 000 livres annuelles en moyenne, les gentilshommes campagnards, parmi lesquels aucun hobereau, représentent tout de même 20 à 25 % des élus de la noblesse. Entre ces deux catégories, il faut compter avec les trente-huit membres de la noblesse de robe, globalement plus cultivés que le reste de la représentation du second ordre, et dont plusieurs s’illustreront dans les travaux et les débats de l’Assemblée et partagent une culture et nombre de préoccupations communes avec l’importante minorité des 218 hommes de loi qui dominent la représentation du Tiers état : Duport, Le Peletier de Saint-Fargeau, Duval d’Éprémesnil, par exemple.
17Le champ historiographique consacré à la noblesse s’amenuise au-delà de 1789. Deux thèses importantes l’ont cependant marqué, qui nous amènent l’une comme l’autre dans l’entourage de Babeuf et dans le cercle le plus initié de la Conjuration des Égaux. Celle de Pierre Serna d’abord, Antonelle, aristocrate révolutionnaire (1747-1817) ; celle de Laurence Constant ensuite, Félix Lepeletier de Saint-Fargeau. Un itinéraire, de la Révolution à la Monarchie de Juillet29. Le premier réfléchissait notamment sur la notion de déclassement, un déclassement qu’il ne jugeait jamais total : quelles que soient les ambitions de la régénération révolutionnaire, l’individu social ne peut perdre totalement son identité originelle et finit par produire un discours sur les mécanismes de l’exclusion et de la distinction. Il est nourri chez Antonelle, dans les années 1780, de ses commentaires de Condillac comme de ses relations amoureuses et de ses pulsions masochistes. Et Pierre Serna, comme il l’affectionne légitimement, de chercher le paradoxe qui caractérise son héros, de l’Ancien Régime à la Restauration : « Plus qu’un déclassement, sa trajectoire éclaire les luttes très âpres de classement au sein des élites de tous les régimes. Personnage limite, Antonelle fait partie de toutes ces élites : il en a tous les signes, la naissance, la culture, l’argent, le savoir-faire et le talent. Ce serait plutôt un “hyper-classé” qu’un déclassé et le décalage entre sa perception et la réalité objective des postes qu’il occupe peut surprendre30. » Il est, comme une bonne partie des élites anciennes, perturbé par la redéfinition politique, symbolique et culturelle de celles-ci, par les nouvelles stratégies d’ascension et de déclassement qui imposent de renouveler sans cesse le discours sur la légitimation. De la révolution municipale aux élections du Directoire, en passant par la Législative et la Terreur, s’affirme dans sa complexité la figure d’un noble démocrate, maîtrisant bientôt tant la pratique publique de la politique, qui n’exclut pas le débat d’idées (notamment autour du concept de démocratie représentative), que celle du secret, partagé entre autres avec le milieu démocratique italien.
18Ce sont des milieux identiques que fréquente Félix Le Peletier, dont Laurence Constant, avec beaucoup de sens critique, réhabilite la mémoire, jusqu’alors occultée par celle de son frère mythifié, Michel Le Peletier, martyr officiel de la Révolution, et son aîné. Cadet de famille voué à la carrière des armes sous les ordres de Lambesc, libertin partageant les débauches de Thérésia Cabarrus et de Joséphine de Beauharnais, collaborateur dans l’ombre de Michel, Félix connaît la lumière après l’apothéose du martyr, sortant d’un coup de son anonymat familial et social. Lui qui n’avait abandonné ses espoirs en Louis XVI qu’au soir de Varennes marche désormais sur les pas de son aîné dont la présidence des funérailles nationales, puis la sauvegarde de la mémoire, lui servent de bouclier. « Frère du martyr », il est nommé à la Convention, admis au club des Jacobins, qu’il présidera avant d’en être exclu pour cause de sang bleu, ostracisme qu’il vit tout aussi mal que l’Auvergnat Soubrany. Son identité est dans l’autre, son alter ego, dont on ne lui laisse pas lire le plan d’éducation, mais sans doute finit-il par la dépasser et en rejoignant le Conjuration des Égaux, et en joignant si nécessaire le geste à la parole : le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), il fait le coup de feu aux côtés des troupes de Bonaparte. Décidément voué à entretenir une mémoire qui ne peut être familiale – la famille, qui perd plusieurs de ses membres sur la guillotine, est très majoritairement royaliste –, il donne encore à ses frères de lutte qui en retour le confortent dans sa nouvelle identité : dès août 1797, avec Antonelle, il lutte pour la réhabilitation des condamnés de Vendôme et adopte l’aîné des fils Babeuf, soulage les patriotes ayant perdu statut social et politique, au sein du club du Manège ou dans la communauté de démocrates qu’il crée dans sa propriété versaillaise.
L’émigration
19L’autre camp est moins connu. Il transparaît dans l’étude menée par Olivier Paradis sur l’École royale militaire d’Effiat, qui fournit à Coblence un contingent soudé d’élèves-officiers et de leurs parents, la « Coalition d’Auvergne », faite de compagnies à cheval31. Certains rentrés, d’autres restés sont également actifs au sein de l’Institut philanthropique sous le Directoire, usant dans la France entière, en Vendée et à Paris surtout, de leurs réseaux militaires. D’aucuns accèdent aux fonctions municipales en l’an III et davantage encore en l’an V, avec l’espoir d’une reconquête du pouvoir par les urnes ; d’autres, qui n’ont jamais rien imaginé que la carrière des armes, s’obstinent dans la lutte armée. Ainsi Nicolas Bonnevie de Pognat, de retour de Saint-Domingue où il s’était allié aux Anglais, et désigné par Dunan, qu’il a connu à la Grande Écurie du Roi, comme chef de l’Agence royale pour le Bourbonnais. Bonnevie, qui a servi aux Indes sous Suffren et y a perdu un bras, portant une prothèse, se fait surnommer « Bras de Fer » et, sous cette signature romanesque, multipliera en l’an VII, dans une région comprise entre Riom et Gannat les lettres de menaces, les réquisitions et les demandes de rançon au nom de Louis XVIII32. De l’émigration, que rapportent ces hommes : la mélancolie d’un monde et d’une situation sociale et familiale bouleversés ? Le sentiment tragique d’une patrie avec laquelle renouer ? D’autres modèles idéologiques et politiques ?
20L’émigration n’est pas la même partout et pour tous : 69 % de nobles du Puy-de-Dôme émigrent, 51 % en Gironde, 10 % en Essonne, 14 % dans le comté de Nice, finement observé par Robert Demeude, sur les pas du consul Le Seurre ; tous les nobles n’ont pas la possibilité d’abandonner leurs biens, et notamment les membres de la petite et de la moyenne noblesse. La mobilité à l’étranger n’est pas toujours contrainte mais voulue (les exemples du duc de Villequier, s’intégrant 23 ans durant aux cours allemandes, ou du comte d’Espinchal, respectivement développés par Françoise Vinot et Frédéric Derne dans les pages qui suivent, le rappellent). Rencontrant une historiographie allemande puis anglo-saxonne bien plus avancées que les travaux français, bibliographie qu’elle reconstruit dans sa contribution à ce volume, Karine Rance, travaillant sur les Mémoires de nobles émigrés dans les pays germaniques33, reprend les travaux de Paul-André Rosental sur les migrations34, qui distinguent celles dites « de rupture », marquées par une déliquescence des liens avec le pays d’origine, le lieu d’accueil devenant « l’espace investi », où le migrant envisage de concrétiser ses projets, et les migrations « de maintien », le pays d’origine demeurant le cadre dans lequel l’expatrié souhaite réaliser ses objectifs, ne trouvant là où il s’exile qu’un « espace-ressources ». Karine Rance a passé cette proposition de classification au crible de l’analyse de terrain, concluant par un article sur « L’émigration française en Allemagne : une “migration de maintien” (1789-1815)35 ». Pour elle, les émigrés n’ont mené aucune stratégie d’enracinement dans le pays de Goethe, réaffirmant au contraire leur identité française au cours de leur séjour. Ainsi la famille Gantès, promouvant une éducation familiale ou un préceptorat exclusivement français, comptant sur l’émulation entre jeunes émigrés – Julie de Gantès aura toute sa vie à cœur de se remettre à niveau par des lectures cependant choisies, qui rejettent les lumières d’un grand-père honni pour favoriser une littérature pieuse et la mythologie, selon les observations de Vincent Cuvilliers. Fort peu de ces émigrés sont reçus dans les cours de Weimar, Berlin, Brunswick ou Vienne ; ils se posent en conséquence volontiers en observateurs critiques des mœurs allemandes et se limitent à des relations très superficielles, réduites, particulièrement avec les roturiers, aux nécessités de la vie quotidienne. Les mariages à l’étranger sont rares, avec les autochtones davantage encore – une situation contrastant avec le rattrapage matrimonial que suscitera le retour en France. L’apprentissage de la langue allemande demeure exceptionnel (chez Vitrolles, Villers, Certain de La Meschaussée par exemple), trop d’émigrés se reposant sur l’universalité du français. Privée de toute instance représentative, contrairement aux Huguenots, et ce malgré les demandes réitérées du comte de Provence, l’émigration française s’abîme pour partie dans les fêtes qu’organise l’entourage des princes, les problèmes d’argent devenant vite cruciaux. Cette observation générale explique l’image négative qui, à l’étranger, est attachée à ce « vide mouvant et bruyant », selon les mots d’Isabelle de Charrière, repris par Marita Gilli, le vide d’une troupe de vantards, de bavards incapables de s’adapter aux temps nouveaux, des privilégiés ignorants du mérite portés sur les scènes allemandes et helvètes. Mais le constat souffre d’autant d’exceptions particulières : la curiosité diplomatique et culturelle du comte d’Espinchal, son appétit pour les théâtres allemands et italiens répondent à ces mêmes penchants antérieurement assumés dans la capitale française ; le jeune baron de Gaujal, originaire de Millau dans l’Aveyron, où Cyril Triolaire l’a redécouvert, lui dispute l’intensité de cette même passion, en Allemagne ou à Londres, brûlant les planches des amateurs, fondant une revue en Angleterre pour mieux comparer les scènes britannique et française, entre deux campagnes militaires décevantes.
21Car les émigrés se désolent et s’irritent de l’attitude des puissances étrangères ; ils désertent à partir de Valmy les armées qui les ont recueillis et essayent de rentrer clandestinement en France, où les lois contre l’émigration s’aggravent pourtant. Seules résistent plus longtemps les troupes de Condé, un duc de Bourbon qui, portraituré par Stéphane Panekoucke, semble incarner la fermeture absolue aux idées nouvelles, sauf aux progrès de la géographie et aux récits de voyages : s’il protège l’Académie de Dijon ou fait donner du théâtre à Chantilly (interdisant tout de même que Beaumarchais soit représenté), c’est pour perpétuer une tradition familiale qui lui apporte une image culturelle, s’il correspond avec Voltaire, c’est uniquement pour sauver les horlogers de Ferney. Mais trois duchés et plusieurs baronnies ne le poussent ni à l’agronomie ni à la physiocratie… Si seule une petite minorité des exilés s’investit dans les entreprises – quoique l’idée de gagner sa vie devienne valorisante, l’abrogation des privilèges ayant rendue caduque l’idée de déroger, et la valeur du travail étant par certains désormais affirmée (ainsi chez les Gantès) –, la plupart le font de manière éphémère, abandonnant leur travail dès leur retour en France. Mais c’est dire aussi que la déchéance n’est pas toujours au bout de la route, tant les compétences individuelles sont mises à profit pour se construire une nouvelle identité sociale. Ainsi le comte de Moré de Pontgibaud, se lançant dans le commerce et la banque (au profit d’un réseau nobiliaire) sous un pseudonyme pour devenir Labrosse, l’un des plus riches et puissants négociants de Trieste, diplomate écouté des différents camps français successifs en Italie, selon les canons d’une émigration de rupture décrits par Amandine Fauchon.
22Au terme de cette évocation bibliographique partielle, nombre de questions restent en suspens. La dignité sociale, la raison d’être des noblesses étaient-elles seulement liées à la monarchie et anéanties par la disparition des privilèges, des devoirs et des fonctions ? L’honneur ne pouvait-il renaître, différemment investi dans les institutions et l’armée révolutionnaires, au service d’un nouvel État, d’un territoire (d’une patrie ?) et peut-être d’une nation ? La notion de « noblesse » pouvait-elle exister en dehors de tout enjeu et adoubement royal ou étatique ? Quid des espoirs de promotion sociale d’une partie de la bourgeoisie, de la « savonnette à vilains » ? Le colloque se donnait pour objet de marquer les différentes adaptations d’un ordre aboli en 1789 à la société nouvelle, soit qu’il l’acceptât, abandonnant ses titres, ses prérogatives, participant (à un niveau et dans une proportion qu’il fallait mesurer) aux Assemblées, aux instances administratives, à l’effort de guerre, soit qu’il la rejetât, s’investissant alors ou non dans l’anti-et dans la contre-révolution (qu’il s’agisse des guerres intérieures, de l’armée des Princes, du Club monarchique ou de l’Agence royale). Passant de la sphère publique à la sphère privée, il fallait comprendre les stratégies familiales à l’œuvre pour préserver les domaines ancestraux, garder contact avec le père, le fils, le frère parti à l’étranger, s’adapter à ces séparations sentimentalement et matériellement douloureuses, voire préserver des identités claniques mises à mal par les déchirements idéologiques qui pouvaient aussi briser les liens de filiation. Quels transferts politiques et culturels se jouaient dans l’émigration puis, en sens inverse, lors du retour ? Que restait-il, en France comme à l’extérieur des frontières, de la culture de la distinction : ses anciens thuriféraires la préservaient-ils ou au contraire la vouaient-ils aux gémonies, rêvant d’être confondus avec le reste de la nation ? Quels principes de restauration apparaissaient dans les programmes politiques proposés, notamment bon an mal an à l’occasion des scrutins du Directoire, ou depuis Londres, Rome, Turin ?
La quête identitaire
23L’analyse de ces mutations supposait bien évidemment de laisser une place éminente à l’histoire des représentations, objet de la dernière partie de cet ouvrage. Les cahiers de doléances construisent une image négative du seigneur, noble ou non, et davantage encore des riches prélats issus du second ordre. Les caricatures de l’époque révolutionnaire, partout dans l’Europe de la gravure et du dessin visitée par Pascal Dupuy, renchérissent sur la difformité des corps qu’exclut la nation régénérée, jusqu’à les renvoyer dans les « sombres forêts de Franconie », pour reprendre le mot de Sieyès en référence aux thèses des origines défendues par Boulainvilliers ou Saint-Simon, surtout s’agissant des chefs du Parti noir à l’Assemblée nationale constituante (tel Mirabeau-Tonneau, particulièrement visé). Les archétypes négatifs, en Allemagne comme en Angleterre, ont précédé 1789 pour dessiner un noble français aussi cacochyme que le régime auquel il accorde sa fidélité, aussi efféminé que le laissent supposer les jeux de la cour, ou aussi brutal que le veut son rôle militaire ; les Français, après avoir beaucoup dessiné en 1789 la réconciliation des ordres ou cet univers renversé qui faisait s’asseoir le Tiers état sur la noblesse et le clergé, emploient à réduire l’aristocratie en une vieille de Carême ou en un monstre des Enfers. La presse (le Père Duchesne, cher à Michel Biard, par exemple), le roman, le théâtre ou la chanson révolutionnaires construisent des stéréotypes et participent de la confusion progressive entre noble, aristocrate, émigré, qui nourrit la figure de l’ennemi en opposition à laquelle le nouveau régime se construit. Elle justifie un contrôle accru sur ceux qui passent, il n’est qu’à voir les motifs de suspicion, pour des suppôts systématiques d’un Ancien Régime révolu, ceux que l’on finit par évincer des sociétés populaires comme ceux qu’une démocratie paysanne encadre au sein des troupes soulevées de Vendée. De l’Auvergne de Sébastien Pivoteau à la Provence de Nathalie Alzas, en passant par l’Essonne de Serge Bianchi, la Picardie de Laurent Brassart ou la Lorraine de Jean-Paul Rothiot, le rejet prend des formes voisines, au gré des mouvements sociaux et politiques, qui encouragent aux confusions sémantiques : le noble vilipendé est perçu comme l’incarnation des tares de l’Ancien Régime ou d’une asociabilité qui le détourne du nouvel espace public, l’émigré se confond avec la figure du traître, le château imaginé comme le centre de tous les complots.
24Mais ce sont les efforts d’autodéfinition d’un second ordre menacé, dont les divisions vont s’avérer un handicap redoutable pour lutter efficacement contre les mesures d’éradication d’un régime ancien, qui frappent surtout par leur récurrence au crépuscule de la France moderne. Il existe à l’évidence un malaise identitaire que prouve la recherche de nouveaux signes collectifs de reconnaissance. De ce point de vue, William Doyle a beau jeu de rappeler ce qu’a représenté pour beaucoup de jeunes nobles la Société des Cincinnati, fondée en 1783 outre-Atlantique après la victoire de Yorktown, et disposant d’une branche française l’année suivante. Cénacle d’anciens combattants, il faut pour y entrer avoir combattu au moins trois ans sur la terre américaine et être au moins colonel, mais sur ces deux points de nombreuses dérogations sont accordées, et y entrent même bientôt des hommes qui n’ont jamais combattu, ou qui n’ont pour mérite que d’être les rejetons de combattants. Le débat est vif aux États-Unis contre une Société qui apparaît comme antirépublicaine, prémisses à une aristocratie, et Washington se résout en mai 1784 à en prononcer la dissolution quand on le prévient du soutien du roi de France à la branche française : il fait donc seulement abandonner le principe héréditaire. La controverse, par Franklin, Mirabeau (Considérations sur l’Ordre de Cincinnatus, Londres, 1784) et Chamfort notamment, gagne la France et nourrit une critique des notions de valeur et d’honneur militaires. Rien n’y fait : 300 membres se reconnaissent dans cette nouvelle distinction, dont Lameth, Noailles, etc., soit plusieurs des nobles qui proposeront ultérieurement l’abolition de leur ordre, façon de dire aussi l’acceptation du mérite, fût-il militaire. De là à conclure à un phénomène générationnel, il y a un pas que Michel Figeac nous invite à ne pas franchir, en comparant les parcours opposés de Le Peletier de Saint-Fargeau, Lally-Tollendal, et Clermont-Tonnerre, tous trois issus de la haute aristocratie, tous trois anciens élèves des collèges passionnés par les philosophes, initiés à la franc-maçonnerie, persuadés d’une régénération possible par l’éducation, favorables à l’émancipation des juifs et à une réforme de la justice, le premier franc jacobin et bientôt martyr de la Révolution, les autres Monarchiens (Clermont-Tonnerre lynché par la foule, Lally émigré).
25Il n’empêche : la revendication identitaire revient, différente et plus forte encore avec la Révolution, promotrice des décrets des 19 et 20 juin 1790, qui abolissent les titres héréditaires, les ordres de chevalerie, les livrées et les armoiries, de celui des 26 et 27 germinal an II (15 et 16 avril 1794), qui exclut tous les anciens nobles de toutes les fonctions publiques. Dans le premier moment, celui de 1790, Necker ne craint pas de provoquer l’opinion, suscitant contre lui force pamphlets : si la suppression des privilèges fiscaux et des droits féodaux lui semble justice, celle des titres honorifiques et des armoiries n’apporte à ses yeux, selon Léonard Burnand, aucun avantage au peuple et, vexant les nobles, les encourage un peu plus à émigrer. Mais c’est peut-être dans le deuxième moment, en l’an II, à travers près de 1 200 pétitions étudiées par Jennifer Heuer puis par Jean-Luc Chappey, que la noblesse, cherchant à faire oublier les prétentions de race et l’émigration, se mobilise le plus uniment pour revendiquer son appartenance à la Grande Famille, son utilité, sa sociabilité même (mariages, famille, relations de voisinage sont mises en avant). Non sans succès : dans 80 % des cas, les autorités accordent des exemptions, bien conscientes de la part essentielle des anciens privilégiés dans la gestion locale du pays ; non sans risques peut-être : ces pétitions n’ont-elles pas aidé à dresser les listes de proscrits à guillotiner dans les mois qui suivent ? L’utilité sociale est aussi déclinée en regard des services militaires rendus au pays (au vu de la part écrasante des nobles parmi les officiers), et désormais à la nation, le pouvoir révolutionnaire reprenant à son compte cette notion de service et nationalisant les vertus de l’honneur, comme le développe Bernard Gainot.
26L’utilité sociale, longtemps éprouvée, peut enfin être gage d’une protection par delà les différences et les événements. En Lorraine, le comte de Frenelle, selon le récit de vie que nous livre Jean-Paul Rothiot, sera sollicité pour bien des présidences d’assemblées électorales, sans être jamais élu lui-même, preuve d’une autorité morale et sociale maintenue. Et Serge Bianchi souligne combien la réputation de « gens d’armes » vaut aux ci-devant d’être régulièrement appelés, jusqu’en 1792 au moins, à commander les bataillons des gardes nationales – observation tout autant vérifiable dans l’Aisne –, combien les jeux positifs de clientèle et la reconnaissance d’une protection pourront susciter à leur bénéfice nombre de pétitions pour les libérer des prisons de l’an II, combien enfin des notabilités perdurent et se renforcent tout au long du XIXe siècle (en faveur des Joly de Fleury, des Bertier de Sauvigny, etc.). Paul Chopelin mesure, lui, l’emprise sociale des chanoines-comtes lyonnais, qui peuvent exciper de plus de quatre générations nobiliaires, et tout autant de leur rôle de conciliateurs et de protecteurs des humbles dans les grèves ouvrières du textile. Ce rôle leur assurera une tranquillité relative durant la Révolution (un seul d’entre eux sera inquiété), et surtout un soutien constant à leurs activités clandestines dans la capitale des Gaules. La Révolution enfin, contradictoirement, par les engagements politiques personnels ou collectifs qu’elle suggère, peut nourrir les identités sociales. Étienne Couriol montre combien la noblesse de Lyon et des environs est forte d’anoblis récents issus de la bourgeoisie d’affaires, prompts à se construire d’imaginaires généalogies, multipropriétaires, résidant de manière épisodique sur leurs terres – un absentéisme qui sera un facteur de rejet en Aquitaine –, entretenant cependant des liens de parrainage avec des gens du peuple (des fils de jardiniers, par exemple). Pour affirmer leur identité et maintenir leurs acquis, ils vont rejoindre très majoritairement le camp des insurgés de 1793, faisant montre de la solidarité et de l’entraide qui jusqu’alors n’étaient affirmées qu’en principe, et d’une vigueur combattante égale à leur inexpérience militaire, avant de tomber victimes de la Terreur.
Déclassements et reclassements
27Ces diverses formes d’affirmation identitaires sont concomitantes d’un sentiment ancien de déclassement, qui affecte notamment la petite noblesse provinciale (comme pour mieux rappeler la permanence des hiérarchies nobiliaires). Cette affection explique pour partie le parcours de Mirabeau, redessiné par François Quastana : issu d’une vieille noblesse militaire provençale, qui a conscience de sa déchéance sociale, il s’interroge sur la nécessité de continuer une « race » qui dégénère et fait sien au départ le ressentiment nobiliaire contre le despotisme royal (Essai sur le despotisme, 1775), qui serait la source de tous les maux, mais il use pour ce faire d’un langage tout républicain emprunté à l’Antiquité comme à Thomas Gordon, et finit par dresser un réquisitoire contre une noblesse militaire passivement obéissante et par confier à la nation le soin de discuter de la notabilité pour l’accorder aux talents et non à l’hérédité. Guillaume Mazeau fait tout autant du sentiment de déclassement une clé majeure pour expliquer l’acte criminel de Charlotte Corday : son geste porté à Marat, qui lui apparaît comme l’incarnation de la violence révolutionnaire, ne doit-il pas relever l’honneur familial trahi depuis la disparition de son glorieux ancêtre Thomas Corneille ? Cela expliquerait sa reddition volontaire, toute chargée de son testament politique, et de la force de l’acte accompli et assumé au cours d’un procès qui va devenir une vitrine sociale, comme ceux des grands criminels dont elle connaît les récits (d’où son attention aux artistes qui viennent la peindre dans sa prison). Ce, après que le père de Charlotte, qui devait lutter pour faire accepter ses fils dans les collèges normands, marier ses filles ou les faire entrer à l’abbaye de la Trinité de Caen, a vu dans la Révolution une chance pour le cadet de famille qu’il est, s’investissant dans la gestion municipale, participant aux débats et enquêtes publics, publiant des pamphlets, mais subissant aussi la marginalisation à partir de 1791 (conflit familial sur la dot de sa femme, émigration de ses frères, refus de la Constitution aidant). Mais le déclassement réel ou ressenti conduit aussi à chercher des voies plus pacifiques de reconnaissance, par le verbe, quoique la plume puisse se faire arme redoutable. Les poésies fugitives de l’Almanach des Muses, recomposées par Jean Salvat, servent ainsi un désir d’exister dans l’espace intellectuel, une culture de la distinction et ce que l’on pourrait appeler par anachronisme un spleen. Ce dernier se nourrit à l’évidence des contraintes et des conséquences sociales, politiques, familiales de l’émigration. S’arrêtant volontiers sur des événements déclencheurs ou traumatisants, comme la réunion des États généraux ou le 10 Août, les mémorialistes, relus par Catriona Seth, revendiquent ainsi haut et fort l’appartenance à une lignée, à la noblesse en général, à un monde et une sociabilité en voie de disparition, à un entourage princier. Mais ils le font pour un cercle espéré restreint de lecteurs, des pairs auxquels ils s’adressent, refusant d’être confondus avec tel écrivain bénéficiant du nouveau statut de l’intellectuel ou de la carrière de l’homme de lettres porté par la vox populi ou la place publique.
28Mais de ces sentiments à la réalité, il y a parfois plus d’un pas, tant la décennie révolutionnaire est aussi riche de possibles. L’effacement du second ordre n’est pas partout une évidence ; il se recompose aussi, se reconstruit dans le mouvement, et redessine ses propriétés, au gré des ventes des biens nationaux. Les travaux de Bernard Bodinier et Éric Teyssier sur celles-ci36 posent la question de la propriété nobiliaire, de ses revenus, de sa postérité, et s’essaient à une hiérarchie économique et sociale nobiliaire, variable selon les régions. Développant lors du colloque l’exemple du département de l’Eure, dont il convient volontiers qu’il peut être contredit par d’autres, Bernard Bodinier montre comment la noblesse, qui y possédait 30 % des terres, sortira de la Révolution an ayant perdu seulement 7 % de sa fortune foncière, qui par ailleurs a pu être redistribuée au fil des achats de biens nationaux, surtout de première origine, et de biens de la Couronne – l’ancien chancelier Maupeou, le comte de La Puisaye avant de partir en Vendée, s’emploient à ces achats. À Étampes, vingt-six gros acquéreurs nobles achètent 30 % des biens mis aux enchères. Âpre au gain, le comte de Frenelle, d’une vieille noblesse militaire lorraine, saura de même agrandir ses domaines, quelles que soient les oppositions qu’il fasse naître dans sa maîtrise des communaux, avant de tout revendre au moment opportun, quand sa légitimité est remise en cause et qu’il préfère à ses terres des Vosges sa résidence à Lunéville ; encore saura-t-il épouser la principale bénéficiaire de ses ventes une fois passée la Terreur… Dans le domaine des droits matrimoniaux justement, la Révolution s’avère émancipatrice pour plus d’un fils de famille, tels ces gentilshommes normands prétendant avant 1789 échapper à l’endogamie sociale et menacés d’emprisonnement par leurs pères, via des lettres de cachet, toutes affaires de justice étudiées par Élise Chopin : contraints à l’exil pour échapper à la vindicte paternelle, ces enfants trouvent leur délivrance après 1789.
29Mais pour transcender des revendications identitaires et un sentiment de déclassement circonscrits à tout ou partie d’un groupe social minoritaire, que reste-t-il, sinon une pensée politique qui tienne compte d’une réalité affirmée par l’événement et la loi révolutionnaires, la nation, et d’une autre, plus sentimentale, la patrie, sol des libertés pour les nouveaux citoyens, sanctuaire des temps enfuis et des souvenirs pour les exilés ? À la nation, Bonnier, issu de la magistrature de la Cour des comptes montpelliéraine récemment anoblie et localement des plus influentes, magistrat lui-même, se donne pleinement : tel que nous le fait découvrir Mathieu Soula, ce lettré, correspondant de Voltaire, ami des négociants protestants, volontiers anticlérical, portait avant 1789 la critique des ordres et des princes, et se délectait de transgresser les hiérarchies ; la Révolution lui offre l’espace des clubs, aux côtés de Cambacérès, puis la voie de la députation, de l’Assemblée législative à la Convention. Comme pour Le Peletier de Saint-Fargeau, 1792 ne représente donc pas pour lui un point de bascule dans son parcours et son engagement. Le drame de la famille de Dietrich, récemment anoblie à la fois par l’empereur d’Autriche et le roi de France, fort impliquée dans la sociabilité des Lumières (loges maçonniques, salons, réseaux de correspondants), ne se joue pas non plus précisément à ce tournant. Philippe-Frédéric, maire de Strasbourg et commanditaire bien connu des strophes de Rouget de l’Isle, propagandiste de la Révolution en Allemagne au travers de nombreux pamphlets qu’il finance, est inquiété puis condamné sous la Terreur, dont il refusait les attendus. La dynastie des maîtres de forges, partisans à la fois des libertés et d’une autorité tutélaire forte, continue pourtant en s’adaptant à des réalités économiques préoccupantes (manque de minerai, pertes de débouchés, émigration des cadres) : emprunts, actionnariat, rôle reconnu aux femmes de la famille aident à surmonter les difficultés, tandis que les liens matrimoniaux incitent à aider Ochs dans sa révolution helvétique, selon une geste révolutionnaire qui nourrit la mémoire familiale en plusieurs récits reconstruits par Laure Hennequin-Lecomte.
30Si ces anoblis récents conjuguent leurs destins avec les évolutions révolutionnaires, il en va cependant bien autrement pour beaucoup des nobles d’ancienne souche qui avaient contribué aux premières années de la décennie. Laurent Brassart montre de manière convaincante comment ils sont peu à peu écartés des responsabilités politiques dans le département de l’Aisne, où pas plus d’une dizaine accompagnera le processus révolutionnaire. Mais l’exclusion de l’espace public français est aussi volontaire, justifiée par les évolutions du régime. Représentants de la noblesse libérale, les frères Charles et Alexandre de Lameth, fort actifs dans la préparation des États généraux, au sein de la Société des Trente, puis au sein de l’Assemblée nationale qu’ils président un temps, sont populaires au club des Jacobins jusqu’en 1791 (ils y sont notamment écoutés pour leur dénonciation de Mirabeau, tandis que les pamphlétaires voient dans leur engagement une aigreur de cadets de famille). Mais ils manifestent après la fuite du roi leur peur d’une République, offrent leurs services à la cour, se réconcilient avec La Fayette et, rejoignant l’armée, trahissent avec lui en 1792, un parcours retracé par Sylvia Delannoy. Ainsi, après avoir nourri et parfois servi les premiers débats, les premières lois révolutionnaires, d’aucuns vont se rapprocher de la contre-révolution, non parfois sans mal, tant est large le grand écart idéologique auquel les invitent des penseurs tels que Bonal, de Maistre et Barruel (Arnaud Decroix montre comment la noblesse émigrée, si ouverte aux Lumières fût-elle parfois, finit par voir dans la religion un facteur d’ordre susceptible de rétablir la monarchie, et non l’inverse).
31Une place à part est sans doute à faire aux Monarchiens, retrouvés dans leur émigration par Vladislava Sergienko, entre Londres (où ils se regroupent en un comité) et Lausanne, fortement soudés par l’amitié, l’entretien de relations au moins épistolaires. Malouet, Mallet du Pan, Lally-Tollendal, Montlosier, en sont les principaux meneurs. Ils s’entendent sur les causes de la Révolution (dénonçant les philosophes, les mauvais ministres), rejettent les thèses providentialistes, acceptent une partie des acquis révolutionnaires mais répudient une République confondue avec la Terreur. Ils envisagent un éventuel recours aux armes – une hypothèse à laquelle ils se refusaient avant l’exil –, pariant sur l’union des différents courants monarchistes tout en se heurtant à l’intransigeance des ultras. De cette pensée théorique, qui offre sa modernité à la droite contre-révolutionnaire, Montlosier, dont les écrits sont analysés par Pierre Serna, est l’un des meilleurs représentants. Désireux de terminer la Révolution, thème qui irrigue dès 1789 le débat politique français, il fustige les principes de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen qui, cassant selon lui tous les anciens cadres, laisse croire à une artificielle égalité des individus, alors que la vie publique se résume à ses yeux à la défense d’intérêts de groupes minoritaires. Il rêve en conséquence d’une alternative aux extrêmes et, envisageant jusqu’en 1797 au moins une reconquête du pouvoir par les urnes, prône la modération au lieu des solutions violentes, contre-révolutionnaires comprises. Sans doute participe-t-il plus efficacement que d’autres à l’élaboration des conditions d’une Restauration, dont on sait qu’elle devra aussi tenir compte des années de l’Empire, et du ralliement à celui-ci d’une partie importante de l’ancienne noblesse française, émigrée ou non.
Notes de bas de page
1 Philippe Bourdin, Gérard Loubinoux, Révolution française et arts de la scène, actes du colloque de Vizille (juin 2002), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2004 ; Philippe Bourdin (dir.), La Révolution (1789-1871). Écriture d’une histoire immédiate, actes du colloque de Vizille (22-23 septembre 2005), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2008 ; Philippe Bourdin et Françoise Le Borgne (dir.), Costumes, décors et accessoires dans le théâtre de la Révolution et de l’Empire, actes du colloque de Vizille (14-15 juin 2007), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, à paraître (2010).
2 Songeons, là encore, aux publications communes. Entre autres : Philippe Bourdin, Bernard Gainot, La République directoriale, actes du colloque international de Clermont-Ferrand (22, 23, 24 mai 1997), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal et Société des études robespierristes, 1998, 2 t. ; Robert Chagny (dir.), La Révolution française. Idéaux, singularités, influences, actes des journées d’étude de Vizille en hommage à Albert Soboul, Jacques Godechot et Jean-René Suratteau, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2002 ; Raymonde Monnier (dir.), Citoyens et citoyenneté sous la Révolution française, Paris, Société des études robespierristes, 2006.
3 Claudette Hould, La Révolution par la gravure. Les Tableaux historiques de la Révolution française, une entreprise éditoriale d’information (1791-1817), Vizille, Musée de la Révolution française et Réunion des Musées nationaux, 2002 ; La Révolution par l’écriture. Les Tableaux historiques de la Révolution française, une entreprise éditoriale d’information et sa diffusion en Europe (1791-1817), ibid., 2005 ; La Révolution par le dessin. Les dessins préparatoires aux gravures, ibid., 2008.
4 Cf. Jonathan R. Dalby, Les paysans cantaliens et la Révolution française (1789-1794), Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1989.
5 René Bouscayrol, Lettres de Miette Tailhand-Romme (1787-1797), Aubière, 1979, lettre no 25 du 4 juillet 1788, p. 50.
6 Ibid., lettre no 11 du 14 juin 1788, p. 35.
7 Jean-Marie Constant, « La fin annoncée de la suprématie nobiliaire à travers le discours des agents de l’État dans les enquêtes des intendants aux XVIIe et XVIIIe siècles », in Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, Angers, Atlantica, 2002, t. 2, p. 187-201 ; Anne de Mathan, « L’aristocratie, l’antinobilisme et la révolution. Honni soit qui noble fut », in ibid., p. 203-220.
8 Jean-Yves Guiomar, « La Révolution française et les origines celtiques de la France », Annales historiques de la Révolution française, no 287, janvier-mars 1992, p. 63-85.
9 Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, op. cit., t. 1, p. 5.
10 Michel Bruguière, « Finance et noblesse. L’entrée des financiers dans la noblesse d’Empire », Annales historiques de la Révolution française, no 1, 1970, p. 161-170 ; Pierre Durye, « Les chevaliers dans la noblesse impériale », Annales historiques de la Révolution française, no 2, 1970, p. 171-181 ; Pierre Toussignant, « Le conservatisme de la petite noblesse seigneuriale au Canada », Annales historiques de la Révolution française, no 3, 1973, p. 321-343 ; Philippe Bourdin, « Mémoires d’ex-, mémoires d’exil : l’émigrante noblesse auvergnate », Annales historiques de la Révolution française, no 343, janvier-mars 2006, p. 3-27.
11 Respectivement : Paris, PUF, 1961 ; Paris, Plon, 1965.
12 Guy Chaussinand-Nogaret, La noblesse au XVIIIe siècle, de la féodalité aux Lumières, Paris, Hachette, 1976.
13 In Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, op. cit., t. 1, p. 9-14.
14 Laurent Bourquin, Noblesse seconde et pouvoir en Champagne aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Presses de la Sorbonne, 1994 ; Michel Cassan (dir.), Les officiers « moyens » à l’époque moderne : pouvoir, culture, identité, actes du colloque de Limoges (11-12 avril 1997), Limoges, Presses universitaires de Limoges, 1998 ; Id. (dir.), Offices et officiers « moyens » en France à l’époque moderne, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2004.
15 Michel Nassiet, Noblesse et pauvreté. La petite noblesse en Bretagne (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne, 1993.
16 Michel Figeac, L’automne des gentilshommes. Noblesse d’Aquitaine, noblesse française au siècle des Lumières, Paris, Champion, 2002.
17 In Michel Vovelle (dir.), L’homme des Lumières, Paris, Seuil, « L’univers historique », 1996, p. 93.
18 In Josette Pontet, Michel Figeac et Marie Boisson (dir.), La noblesse de la fin du XVIe au début du XXe siècle, un modèle social ?, op. cit., t. 2, p. 365.
19 Jean-Pierre Jessenne (dir.), Vers un nouvel ordre bourgeois ? Révolution française et changement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 11.
20 Jean Duma, Les Bourbon-Penthièvre (1678-1793), Paris, Presses de la Sorbonne, 1995.
21 Ludmilla Pimenova, La noblesse à la veille de la Révolution française, Moscou, 1986.
22 Sarah Maza, The myth of the French bourgeoisie : an essay on the social imaginary, 1750-1850, Cambridge (Mass.) - Londres, Harvard University Press, 2003.
23 Voir, entre autres : Étienne Taillemite, La Fayette, Paris, Fayard, 1989 ; Lloyd Kramer, Lafayette in two Worlds. Public cultures and personal identities in an age of Revolutions, Chapel Hill - Londres, The University of North Carolina Press, 1996.
24 Philippe Bourdin (dir.), La Fayette, entre deux mondes, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2009.
25 Patrice Higonnet, Class, ideology, and the rights of nobles during the French Revolution, Oxford, Clarendon Press ; New York, Oxford University Press, 1981.
26 Bernard Bodinier, Éric Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux, Paris, Société des études robespierristes et Comité des travaux historiques et scientifiques, 2000.
27 Voir, par exemple : Michel Figeac (dir.), L’ancienne France au quotidien. Dictionnaire d’Histoire matérielle, Paris, Armand Colin, 2007 ; Pierre-Yves Beaurepaire, L’Autre et le Frère. L’étranger et la franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1998 ; Id., Nobles jeux de l’arc et loges maçonniques dans la France des Lumières. Enquête sur une sociabilité en mutation, Montmorency, Ivoire-clair, 2002 ; Id., L’espace des francs-maçons. Une sociabilité européenne au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003 ; Benedeta Craveri, L’âge de la conversation, Paris, Gallimard, 2001 ; Jacqueline Hellegouarc’h, L’esprit de société. Cercles et « salons parisiens » au XVIIIe siècle, Paris, Garnier, 2000 ; Antoine Lilti, Le monde des salons. Sociabilité et mondanité à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 2005 ; Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Mme de Genlis et le théâtre d’éducation, Oxford, Studies on Voltaire and the Eighteennth Century, 1997 ; Ead. et Dominique Quéro (dir.), Les théâtres de société au XVIIIe siècle, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, « Études sur le XVIIIe siècle », 2005 ; Philippe Bourdin et Jean-Luc Chappey (dir.), Réseaux et sociabilité littéraire en Révolution, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 2007.
28 Catherine Duprat, Pour l’amour de l’humanité. Le temps des philanthropes, Paris, Comité des Travaux Historiques et Scientifiques, 1993.
29 Pierre Serna, Antonelle, aristocrate révolutionnaire (1747-1817), Paris, Éditions du Félin, 1997 ; Laurence Constant, Félix Lepeletier de Saint-Fargeau. Un itinéraire, de la Révolution à la Monarchie de Juillet, Paris, Découvrir, « Jeunes Talents », 1995.
30 Pierre Serna, Exposé de thèse, Annales historiques de la Révolution française, no 301, juillet-septembre 1995, p. 463.
31 Cf. Olivier Paradis, L’École royale militaire d’Effiat et ses élèves, thèse de doctorat, université Clermont-Ferrand II, 1998, p. 581 sqq.
32 Philippe Bourdin, Le Puy-de-Dôme sous le Directoire. Vie politique et esprit public, Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise-Pascal, 1990, p. 260-270.
33 Karine Rance, Mémoires de nobles émigrés dans les pays germaniques pendant la Révolution française, thèse de doctorat (dir. Étienne François), université Paris I-Sorbonne, 2001.
34 Annales Économies, Sociétés, Civilisations, juillet-septembre 1990, p. 1403-1431.
35 Genèses, no 30, mars 1998, p. 5-29.
36 Bernard Bodinier et Éric Teyssier, L’événement le plus important de la Révolution. La vente des biens nationaux, op. cit.
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