La petite noblesse feudataire au XVe siècle
p. 29-74
Texte intégral
Le mois de mars, avec ses marteaux, vient de frapper à nos portes ; les bois sont courbés par la pluie qui tombe à torrents, et les toits craquent sous la grêle.
Mais ce ne sont pas les seuls marteaux... ce n'est pas seulement la grêle... pire que le vent et la pluie, ce sont les Anglais détestables !
Hersart de La Villemarqué,
Barzaz Breiz, XXVI
Le foin est mûr : qui fauchera ?
Le blé est mûr : qui moissonnera ?
Le foin, le blé, qui les emportera ?
Le roi prétend que ce sera lui ;
Il va venir faucher en Bretagne, avec une faux d'argent
Il va venir faucher nos prairies avec une faux d'argent et moissonner nos champs avec une faucille d'or.
Ibid., XXXI
1Pour distinguer sans arbitraire les niveaux composant la noblesse du XVe siècle, le premier critère doit être la capacité à assumer la vocation militaire au sein du service féodal exigé par le duc. Les ordonnances ducales comportent une échelle des revenus par rapport à laquelle il sera possible de situer divers caractères politiques ou économiques : la fidélité dans le service ducal, l'attention consacrée aux prééminences honorifiques, l'ampleur relative de l'architecture manoriale, et surtout la composition des patrimoines et des seigneuries, et la nature des activités. Parmi celles-ci, l'exercice d'activités dérogeantes par les nobles et l'achat de fiefs par des bourgeois rendaient très confuse la délimitation de la noblesse et de l'ensemble des gens de bas état, disons le tiers état. Ce n'est qu'après une discussion de ce problème que nous pourrons entreprendre la mesure qui aura une importance fondamentale pour toute la suite de l'analyse, celle de l'effectif de la noblesse.
1. Une noblesse encore militaire et rurale
1.1. Les sources du XVe siècle : réformations et montres
2Les sources où apparait la petite noblesse bretonne du XVe siècle sont de quatre sortes. Les registres des anciennes réformations ducales (1426-1513) donnent des listes en principe exhaustives des chefs de familles nobles, mais ce ne sont que des copies, d'ailleurs assez nombreuses1, du XVIIIe siècle, puisque les registres de toutes les réformations de la noblesse ont été brûlés à Rennes, le 5 août 1792, et à Nantes. Copies aussi la plupart des rôles de montres générales des feudataires2. Les feudataires étaient les teneurs de fiefs, c'est-à-dire de biens nobles, tenus à devoir de foi et d'hommage. Le duc en exigeait un service militaire, en vue duquel ils devaient montrer leur équipement, qui était défini par les ordonnances ducales en fonction du revenu de chacun ; c'est pourquoi les rôles de montres de la fin du XVe siècle comportent des chiffres de revenu particulièrement précieux. L'une des incertitudes est que la plupart de ces teneurs de fiefs étaient personnellement nobles, mais pas tous, dans une proportion qu'il faudra préciser. Les listes de nobles dressées lors des réformations ducales de 1427 à 1513 sont en principe exhaustives dans le cadre de chaque paroisse, mais, d'une part, il arrive qu'un même noble soit nommé dans plusieurs paroisses, d'autre part, aucune réformation n'a été menée à bien dans toutes les paroisses. Les rôles des montres générales qui comportent un chiffre de revenu constituent donc la source la plus utile, à cause bien sûr de cette donnée fondamentale, et aussi parce que presque toutes les paroisses d'un évêché y figurent. C'est pourquoi nous fonderons sur ces montres l'analyse de la noblesse du XVe siècle. Mais puisque celles-ci, de même que toutes les réformations des XVe et XVIe siècles, ne nous sont connues que par des copies du XVIIIe, il est indispensable de tester d'abord leur authenticité. Les registres manuscrits de la bibliothèque municipale de Saint-Brieuc sont de loin les meilleurs, d'abord parce que ce sont les seuls qui comportent les montres avec revenus de plusieurs évêchés, ainsi que la très intéressante réformation de 1478, ensuite parce qu'ils sont beaucoup plus détaillés, donnant pour la réformation de 1513 plusieurs pages là où les autres manuscrits ne consistent qu'en une liste de noms. Ces manuscrits de Saint-Brieuc ont été copiés sur les originaux, comme le montre le rapport de la paroisse de Miniac-sous-Béchérel, incomplet parce que le cahier ou il estoit escript est tout déchiré et tellement rongé de pouriture et uzé que la plus part des articles ne se peuvent lire qu'à demy, et est anosté du moys de feber MVc XIII3.
3Le troisième type de documents, ce sont les archives seigneuriales, terriers et rentiers, aveux, et surtout les minus pour le rachat. Le rachat était l'obligation, lors d'une succession à un fief, de payer une année de revenu au seigneur supérieur ; mais ce devoir ne pesait que sur une fraction des biens nobles, c'est une première raison qui fait que cette source n'est pas exhaustive. Sont conservées notamment les déclarations des fiefs relevant de grandes seigneuries comme le Penthièvre4 ou le domaine ducal. Dans ce dernier cas il s'agit des archives de la chambre des comptes5 de Bretagne qui constituent la série la plus importante de pièces originales du XVe siècle, quoique nombre d'aveux effectivement rendus n'aient pas été conservés. Ces déclarations sont très précises : jusque vers 1530 les minus donnent un prisage détaillé, en deniers, des revenus en question. Mais elles ne décrivent que les fiefs tenus du duc (à l'exception des minus rendus en sous-rachat une année où la seigneurie suzeraine était elle-même tenue en rachat) alors que les petits nobles étaient très souvent vassaux d'autres seigneurs. Par ailleurs, quelques actes notariés sont conservés dans des fonds seigneuriaux ou dans des chartriers familiaux, mais ne constituent pas de séries. Le quatrième type enfin, ce sont les arrêts de maintenue de noblesse de 1668-1671, qui indiquent des ancêtres des XVe et XVIe siècles et donnent des éléments fiables d'identification et de filiation6.
4Une critique externe est possible en comparant les réformations et les montres entre elles, aux dossiers de maintenue de 1668-1671 et surtout aux documents originaux, notamment les déclarations de biens rendues au duc. Une telle confrontation à propos d'un lignage sur lequel existent les quatre types de sources (tableau no l) révèle une cohérence parfaite, tant pour l'identification des adultes et leur localisation que pour celles de leurs terres. Toutefois les rôles de montres opposent des difficultés sérieuses à une étude quantitative. Puisque ce sont des listes élaborées lors de rassemblements, elles distinguent des comparants, des absents excusés et des défaillants. Si le contrôle des présents était simple, le cas des absents révèle le manque d'information et la précarité de l'organisation dans lesquels se tenait la montre. La revue avait lieu devant deux commissaires et un officier de juridiction du duc, qui devait se munir du rôle de la montre précédente et pouvait se faire assister d'un clerc faisant lui-même partie des comparants7. A propos des absents, qu'il fallait classer comme excusés ou défaillants, on n'avait souvent que des « on dit » ; même d'une riche dame, on dit qu'elle se montre en Rennes8, sans doute parce qu'elle possède des biens dans l'évêché de Saint-Malo et dans celui de Rennes et qu'elle habite dans ce dernier. Même l'appartenance de certains à la maison du duc ou aux compagnie d'ordonnance était mal connue des commissaires9. Diverses raisons firent inscrire comme défaillants des hommes qui ont pourtant effectivement comparu. Le découpage administratif était source d'ambiguïté dans les paroisses situées à une limite, comme entre les évêchés de Dol et Saint-Malo, ou à l'intérieur de ce dernier entre les archidiaconés de Dinan et du Porhoët. Les feudataires dans ces deux archidiaconés devaient se montrer respectivement à Dinan et à Ploërmel, et par exemple trois nobles d'Irodouër et trois de Miniac-sous-Bécherel firent défaut à Ploërmel, à 50 kilomètres de chez eux, parce qu'ils s'étaient rendus à Dinan à 25 km seulement. La question se posait particulièrement à ceux qui avaient des fiefs dans les deux archidiaconés ; ainsi les hoirs Ollivier Grésillé (sic), ayant 50 livres de revenu dans la paroisse de Romillé en Porhoët, ont fait défaut à Ploërmel, mais il s'agit certainement des Guézille que nous avons présentés ci-dessus, qui possédaient effectivement en Romillé la terre de la Haie, et qui se sont présentés aux montres comme habitants en La Chapelle-Chaussée, paroisse limitrophe de Romillé. Plus généralement, une autre cause de double mention d'un personnage pouvait être la dispersion des fiefs, due, dans le cas de petits nobles, à des mariages antérieurs : Colin Ginguené, de Brusvily, défaillant, apparemment très pauvre avec 60 sols de revenu, pourrait bien être le fils de Jehan, sieur du Rochay, qui déclare 40 livres en La Chapelle-Chaussée à 26 km de Brusvily10. Enfin jouait l'archaïsme des techniques, si l'on peut dire, de secrétariat : le même jour et dans la même ville, le même rôle comporte deux fois, comme présent puis défaillant, un même homme que le nom de sa seigneurie permet d'identifier sans aucun doute possible11. Ces observations nominatives révèlent donc deux faits importants : le nombre des défaillants, tels que l'on peut les compter dans le rôle, est supérieur au nombre réel, et il faut en tenir compte pour apprécier l'efficacité du ban et de l'arrière-ban sous le duc François II d'autre part, à cause des doubles mentions, le nombre réel des possesseurs de fief était un peu inférieur à celui que donne le simple comptage dans les rôles de montre. Dans le dictionnaire des teneurs de fiefs des évêchés de Dol et Saint-Malo en 1480 que nous avons publié à partir de ces rôles12, l'ordre alphabétique a permis de repérer et éliminer la plupart de ces doubles mentions, et de mesurer avec une meilleure approximation les effectifs et la proportion des défaillants. Le lecteur y trouvera de multiples exemples illustrant les analyses qui vont suivre.
Tableau 1. Confrontation des sources du XVe siècle

Ces données concordantes sur cinq générations permettent de dresser la tableau généalogique no 2. Sauf mention contraire (« original ») la source est une copie du XVIIIe siècle ; l'arrêt de 1668 résume deux actes du XVe siècle aujourd'hui perdus.
1.2. Le peuplement
5Au XVe siècle, la masse de la noblesse était encore essentiellement rurale. Elle était certes présente dans les villes, mais n'était guère déjà sensible à une attirance urbaine particulière. L'effectif nobiliaire de Pontivy, Saint-Brieuc, Ploërmel, Dinan, Dol n'était pas plus élevé que celui des paroisses rurales à l'entour. S'il y avait 51 feudataires à Lamballe, c'était moins que dans la paroisse voisine de Maroué (77 !). Quant à Saint-Malo, elle n'est mentionnée dans la montre que du fait des 40 feudataires qui contribuent à sa garde, mais dont certains résident dans les paroisses voisines. Proportionnellement à la densité de la population globale, la densité nobiliaire était bien plus faible dans les villes. La grande majorité de la noblesse partageait donc la simplicité du mode de vie et la modicité du coût de la vie à la campagne ; les hobereaux trouvaient sur leur domaine les produits de premières nécessité, denrée (y compris le vin) et le bois.

2 — Nombre des feudataires en 1480 (évêchés de Dol et Saint-Malo)
6La géographie de la présence nobiliaire en Bretagne était déjà fortement contrastée13. La densité nobiliaire était maximale dans une zone littorale septentrionale continue depuis le Léon, à l'ouest, jusqu'à l'évêché de Saint-Malo, à l'est. En 1426, le nombre de familles nobles par paroisse était souvent supérieur à 24 au bord de la Manche, et restait souvent supérieur à 9 dans une zone septentrionale couvrant environ le tiers de la péninsule. La limite sud de cette zone était sensiblement la ligne de partage des eaux entre les rivières coulant vers la Manche et celles qui descendent vers le sud. Cette ligne traverse le Léon au nord de l'Elorn, suit la limite diocésaine Tréguier/Cornouaille, traverse l'évêché de Saint-Brieuc de Quintin à Moncontour et celui de Saint-Malo jusqu'à Hédé. Il s'y ajoutait une bande méridienne de densité encore importante qui, à l'ouest de l'évêché de Saint-Malo, descendait dans l'intérieur jusqu'autour de Guer. C'est aussi sur la côte septentrionale que la population globale avait ses plus fortes densités, et de loin, à cause surtout de la prospérité que la mer apporte aux activités économiques.
7Du point de vue agraire, la fertilité que l'apport ancien des amendements marins avait donné à l'Armor (du goémon dès le XIIe siècle14 au moins), avait un triple aspect. L'assolement triennal y était généralisé, alors que certains terroirs de l'Arcoat ne connaissaient encore au début du XVe siècle que l'assolement biennal. En second lieu, sur la sole des céréales d'hiver, la plus productive, le froment avait déjà une importance non négligeable par rapport au seigle, en particulier sur le littoral du Penthièvre comme le montre la fréquence des rentes en froment. Enfin, sur les meilleurs terroirs littoraux, il est possible que la troisième sole, ordinairement en jachère, ait été rendue productive dès le XVe siècle. La mer en outre facilite l'exportation des excédents céréaliers, qui, vers l’Angleterre, dès la première moitié du XVe siècle, étaient la base du trafic de la plupart des petits ports bretons de la côte nord, du Goëllo à Saint-Malo (Touchard, p. 136). La côte bretonne est si découpée qu'elle nichait un grand nombre de petits havres, si bien que la navigation et l'armememnt maritime étaient des activités aussi bien rurales qu’urbaines. Or les petits nobles y prenaient part, en Haute comme en Basse-Bretagne15 : en 1466, Pierre Gouéon possédait les trois quarts d’une carvelle, que son fils Jehan conduisit en Angleterre pour le compte de fretteurs de Saint-Lô et Kerdiguen, et ce Jehan était très probablement le noble feudataire de Pléhérel qui comparut en 1480 à la montre de l’évêché de Saint-Brieuc16.
8D’autre part, une concentration aussi marquée sur la côte nord a dû avoir des causes particulières, que nous envisagerons à la fin de ce chapitre.
1.3. Le ban et l'arrière-ban : une valeur militaire encore réelle
9Pour apprécier socialement cette petite noblesse, le premier critère est qualitatif, c'est sa capacité à assumer la fonction qui la légitimait, le service militaire. Quand le duc avait besoin ponctuellement de forces armées, il réunissait des hommes qu’il soldait et qu’il trouvait notamment au sein de la petite noblesse qui devait le service militaire. Dans l'armée réunie en juillet 1419 pour protéger la frontière d'incursions anglaises17, Guillaume Guezille et Colin Ginguené sont les grands-pères des hommes qui déclareront, en 1472, 60 et 80 livres de revenu noble ; la solde touchée à l'occasion, 7 livres 10 sols par « demi-mois », n'était donc pas négligeable. Cette institution fit ses preuves au printemps 1420 après le rapt du duc Jean V par les Penthièvre : la mobilisation de tous les nobles, et notamment de la masse de la petite noblesse18, fut assez rapide pour constituer des compagnies d'archers et d'arbalétriers qui prirent part aux sièges des places adverses. Certes, rassembler une armée de recrutement féodal implique beaucoup de retards, il est impossible de la garder mobilisée très longtemps, et il en résulte une efficacité opérationnelle inférieure à celle d'une armée permanente. C'est une des raisons pour lesquelles, lors de la campagne de 1488 aboutissant à la défaite fatale de Saint-Aubin-du-Cormier, l'initiative a toujours appartenu à l'armée du roi de France. Il y avait aussi l'indiscipline, qu'il faut apprécier de façon relative et sans anachronisme : dans les rapports de la fin du XVIIe siècle, les compagnies du ban et de l'arrière-ban sont décrites comme très désordonnées, mais c'était en comparaison avec les troupes réglées, auxquelles on venait de réussir à imposer une discipline réelle ; au XVe siècle, l'indiscipline était encore très habituelle. Finalement la mobilisation des teneurs de fiefs restait la force militaire essentielle du duché, du fait du rapport des effectifs. Vers 1480, l'armée permanente de François II, composée de la garde du corps ducale et des compagnies d'ordonnance, comprenait environ 250 hommes d'armes et 580 archers et coutilliers19. A côté, les feudataires des seuls évêchés de Dol et Saint-Malo, sur lesquels le duc pouvait compter pour couvrir la frontière face au domaine royal, d'après les présents à la montre de 1480, étaient au nombre de 70 hommes d'armes, 980 archers et jusarmiers qui étaient montés mais combattaient à pied, auxquels s'ajoutaient encore 200 hommes que devaient s'adjoindre les feudataires les plus riches. Ce qu'apportait la mobilisation féodale, c'était donc un complément non négligeable de cavalerie lourde, mais c'était surtout la majorité des effectifs, et en particulier de l'infanterie.
10Aussi le service féodal a-t-il été réorganisé attentivement dans la deuxième moitié du XVe siècle. L'ordonnance de Pierre II du 15 février 1451 rappelle que le service militaire est imposé à tout sujet tenant fief noble et donne droit à une solde ; elle est renouvelée en 146720. Ces textes décrivent l'équipement que chaque possesseur de fief devait présenter en fonction de son revenu noble et dressent une hiérarchie de douze classes. Dans la dixième, au-dessus de 1000 livres, les nobles riches devaient avoir chevaux de prix et présenter un autre homme d'armes, des archers et des jusarmiers. Au-dessus inclusivement de la cinquième classe, le feudataire devait être homme d'armes, et à partir de la troisième, se faire accompagner d'un page ou de combattants équipés ; aussi distinguerons-nous là, de 100 à 500 livres, une noblesse « moyenne ». Dans les deux plus basses, à 80 livres et au-dessous, les petits nobles devaient être revêtus d'une brigandine, sorte de cotte de mailles, et avaient le choix d'être archers ou jusarmiers, c'est-à-dire piquiers, une guisarme étant une pique à pointe asymétrique. Au-dessous de 60 livres suffisaient à tout le moins bons paletocques armés de nouvelle façon, sans manches, à laisches de fer ou mailles sur le bras21.
11Ces réformes ont été mises en pratique comme l'attestent les premiers rôles de montre conservés22, datant de 1464 et 1467, puis les ordonnances annuelles de convocation23. En 1477, dans le cadre des efforts et préparatifs défensifs demandés à toutes les composantes de la population, François II veillait à assurer une réelle efficacité militaire à la mobilisation des teneurs de fief. Le 4 février il retarda les montres de deux mois considérons la froydure et rudesse de temps, mais aussi parce qu'allaient se tenir plusieurs foyres par le pays, esquelles les nobles et subgictz ausdictes montres se pourroient fournir tant de hernoys, chevaulx que autres choses nécessaires pour eulx mectre en appareill d'armes24. Puis, constatant que nombre d'hommes s'étaient abstenus de paraître, il convoqua les montres à nouveau en ordonnant à ses officiers la plus grande sévérité contre les défaillants25. La démonstration fut plus satisfaisante en 1480. Le 26 novembre 147926, l'ordonnance ducale avait fixé la date des montres au 8 janvier suivant ; elles eurent lieu effectivement au jour dit, et c'est de ces montres que nous sont conservés les rôles pour les évêchés de Dol et Saint-Malo. La proportion des défaillants y est d'un tiers, au même niveau que dans le diocèse de Vannes (Gallet, p. 144, et tableau no 3). Dans la catégorie des petits nobles déclarant de 25 à 80 livres de revenu, la proportion des comparants de l'évêché de Saint-Malo ne descend pas au-dessous de 71 %. C'est donc à bon escient qu'en mai suivant on fit savoir que les rassemblements ont réussi, ce qui a fait plaisir au duc de voir qu'il pouvait compter sur le concours des nobles et des gens de bas état27. La grande majorité des présents portaient cette brigandine prescrite si faire le peuvent et dans l'ensemble, leur équipement était suffisamment peu défectueux pour que les commissaires pussent mentionner en détail leurs injonctions d'y remédier.
12L'équipement et les déplacements n'étaient pas les seules occasions de dépense. Lors d'une guerre, les prisonniers étaient rançonnés. En 1480 dans les évêchés de Dol et Saint-Malo, deux feudataires invoquent le fait d'avoir été prisonniers pour solliciter l'indulgence des commissaires ; l'un d'eux, Jehan de Lestanc, qui ne déclare que 15 livres de revenu, a dû mettre sa terre en gage. L'effondrement militaire de 1488 a coûté cher à tous les niveaux de la noblesse. Le sire de Maure, ayant 3000 livres de revenu, prisonnier des Français, dut vendre une seigneurie ; René de Montbourcher, riche de 800 livres de revenu, fut rançonné quelques mois avant d'être tué à Saint-Aubin-du-Cormier ; Michel de Boaisriou, ayant 40 livres de revenu, fut gratifié de 100 écus par le duc pour avoir été fait prisonnier, mais neuf hommes d'armes durent entreprendre de faire conduire du sel en France pour payer leur ranczon28.
13Ainsi, dans la deuxième moitié du XVe siècle, c'est un effort important qui a été demandé régulièrement pendant plus d'une génération. La proportion des présents et des excusés, l'équipement convenable de la plupart des comparants permettent de conclure que la valeur militaire individuelle des petits nobles était encore réelle.
2. Analyse des patrimoines
2.1. Revenu noble, rente foncière roturière
14Les chiffres de revenus fournis par les copies de rôles de montre ont une importance telle pour analyser la noblesse du XVe siècle qu'il nous faut d'abord en contrôler la vraisemblance. Il est possible de comparer les revenus de chaque feudataire dans deux montres se suivant de peu, par exemple dans celles de l'évêché de Saint-Malo en 1472 et en 1480 ; dans notre échantillon la cohérence est satisfaisante (pièce justificative no 2). D'autre part nous avons comparé les chiffres des montres aux revenus fournis par les déclarations pour le rachat dû au duc. Le tableau no 2 fait apparaître que le chiffre des montres est toujours le plus grand, ce qui est normal puisqu'il comprend le revenu d'autres fiefs tenus d'autres seigneurs ; en outre les seigneuries les plus grandes sont bien aux mains des nobles les plus riches, si bien qu'il n'y a pas de contradiction entre les deux séries de chiffres. Les archives de la chambre des comptes confirment donc la fiabilité des revenus cités dans les montres, au moins en ordre de grandeur. C'est qu'en effet les montres ne se passaient pas sans contrôle, puisqu'un officier ducal y assistait, muni des rôles précédents, et faisait des observations sur l'équipement de chacun en fonction de ses facultés. En outre, les revenus des seigneurs étaient connus, tant par les nobles qui avaient besoin d’avoir une notion des revenus de leurs pairs en vue des alliances matrimoniales, que par les roturiers aisés qui prenaient les terres nobles à ferme. La dissimulation fiscale était donc limitée.
15Ce revenu des feudataires dont les montres nous fournissent un chiffre, il faut en préciser la nature. L'ordonnance de Pierre II en 1451 impose un service militaire à tout sujet tenant fief. Par définition, la montre ne devait mentionner que le revenu qui motivait la présence du feudataire à la revue, c'est-à-dire le revenu de son fief, le revenu de ses seuls biens nobles, exclusivement. En 1477, ayant constaté que de nombreux sujets ne se sont pas présentés à la première montre de l'année, le duc ordonne à ses officiers de saisir tous les héritages, fiefs, rentes et revenus nobles des absents29. De même l’original de la montre en 1541 de l'évêché de Rennes précise souvent, après le montant du revenu exprimé en toutes lettres, de rente noble30. Puisque le suzerain prétendait à un contrôle sur ces revenus, il ne peut s'agir que du revenu brut des fiefs (rente foncière des terres nobles et rentes seigneuriales) ; ces chiffres ne comprennent donc ni les gages des officiers, ni la rente foncière des terres roturières.
Tableau 2. Revenu noble total et revenu tenu du duc au XVe siècle

16Or dans la seconde moitié du XVe siècle, beaucoup de petits nobles achetèrent des terres roturières, quoiqu'elles fussent assujetties à l'impôt ducal du fouage. Ils prétextaient de leur noblesse pour ne pas payer celui-ci, si bien qu'après quelques décennies et l'oubli de son origine, l'acquêt roturier pouvait passer pour une terre noble. En revanche ce processus était contrecarré par les cadets de famille qui avaient sur les terres roturières des droits égaux à ceux de leur aîné, en outre dans les décennies 1470 et 1480, à l'apogée de la pression militaire que le duc François II exerça sur tous ses sujets, les nobles n'avaient pas intérêt à inclure leurs rentes roturières dans leur revenu noble. Ils pouvaient plutôt essayer de jouer sur les deux tableaux : ne pas payer le fouage sur leurs terres roturières, lesquelles n'alourdissaient pas leurs obligations militaires définies en fonction du seul revenu noble. C'est une des raisons pour lesquelles dès 1478 le duc ordonna de mener une enquête dans les diocèses de Rennes, Dol, Saint-Malo et Nantes pour répertorier les exemptions fiscales abusives ou douteuses31, parmi lesquelles le fait que les nobles ne contribuaient pas au fouage pour leurs terres roturières. Les mutations de propriété ont continué avec une ampleur telle que la duchesse Anne ordonna une réformation des terres en 1513 pour répertorier toutes les situations qui diminuaient les rentrées fiscales : acquêts roturiers effectués par des nobles, achats de fiefs par des gens de bas état. C'est parce que cette réformation de 1513 porte d'abord sur le statut des terres que les nobles, y étant mentionnés comme propriétaires, y apparaissent souvent dans plusieurs paroisses. Finalement, la proportion des terres roturières dans les patrimoines des petits nobles était loin d'être négligeable. Il est impossible de la mesurer parce que ces réformations de 1478 et 1513 ne précisent jamais la superficie des terres nobles. Voyons seulement deux exemples d'acquêts roturiers en Langan avant 147832. Robert Ginguené I a acheté vers 1463 la terre de la Fontaine à des gens de bas estat, critère qui la rendait fort suspecte d'être roturière ; elle comprenait 13 journaux, et comme la rente foncière d'un journal était alors d'environ 0,4 livre (pièces justificative no 21), nous pouvons envisager un revenu roturier de 5 livres, alors que ce personnage déclarait un revenu noble de 30 livres : le revenu roturier paraît ici de 1/7. De même Jehan Ginguené qui déclarait 40 livres de revenu noble possédait deux métairies dans la même paroisse : celle du « bourg » était composée de terres dont le statut était fort incertain pour les enquêteurs, et la Mériaillais qui a été entièrement constituée d'acquêts accumulés en trente ans et qui s'étendait sur 16,5 journaux dont 13 encore suspects de roture. Ainsi la proportion des terres roturières était importante dans les patrimoines des petits nobles et le montant de leur revenu noble était sensiblement inférieur à leur revenu total.
2.2. La hiérarchie des revenus nobles
17Ces chiffres de revenu noble fournis par les rôles de montre restent néanmoins la meilleure approximation du revenu global de tous les feudataires, et c'est d'après eux que nous définirons la hiérarchie nobiliaire à la fin du XVe siècle dans les évêchés de Dol et Saint-Malo. Le duché ayant conservé sa propre monnaie jusqu'à la décennie 1490, l'unité est la livre « monnaie », livre bretonne valant pendant la deuxième moitié du XVe siècle 1,2 livre tournois33.
18La noblesse riche était extrêmement peu nombreuse dans l'ensemble de l'ordre : 3 % des possesseurs de fief déclarèrent 600 livres ou plus. Les barons n'ayant pas à comparaître, les trois plus riches étaient le sire d'Acigné en Guer avec 4 000 livres, le sire de Maure et le seigneur du Plessis-Angier en Lieuron avec 3 000 livres34 ; le grand seigneur qu'était l'ancêtre de Chateaubriand avait 2 000 livres. Dans la noblesse très riche au-dessus de 1 500 livres, c'est une majorité des seigneurs qui firent défaut à la montre de 1480 : ces défections sont significatives de ce que ces grands seigneurs, souvent pensionnés par le roi de France, ne voulaient pas combattre celui-ci.
19La noblesse moyenne était plus nombreuse : 16,8 % des feudataires avaient de 100 à 500 livres de revenu noble. C'étaient surtout des seigneurs de noblesse riche ou moyenne qui avaient été armés chevaliers et portaient alors l'avant-nom de messire. C'est d'eux surtout que nous restent des effigies gravées sur les pierres tombales ou des portraits du couple seigneurial apposés sur des vitraux. C'était entre eux aussi qu'à propos de leurs prééminences honorifiques dans les églises paroissiales surgissaient des contestations fréquentes et des conflits parfois violents35. Les trois quarts exactement de la noblesse riche et moyenne étaient employés dans les compagnies d'ordonnance formées vers 1450, ou dans la maison du duc ou celle du comte de Laval. C'est la noblesse moyenne qui fournissait la plupart des cadres administratifs du duché aux différents niveaux. La plupart des principaux officiers de justice du XVe siècle étaient nobles, tous les sénéchaux de Rennes successifs, tous ceux de Lamballe et de Dinan36 tous les alloués de Lamballe... Se situaient dans la moyenne noblesse en 1480 le président de Bretagne, tenant 600 livres de revenu noble, le sénéchal de Rennes ayant 460 livres de revenu noble, l'alloué de Rennes 300 livres, le procureur de l'importante juridiction de Ploërmel 400 livres, l'alloué et le procureur de Dinan respectivement 300 et 160 livres (pièce justificative no 14). Ce sénéchal de Rennes envoyait du vin en Angleterre en 147837 : noblesse et office de justice n'empêchaient pas de prendre part au grand commerce. La moyenne noblesse fournissait aussi des officiers de finance comme les Dubouays38. Il n'y avait que 17 % de défaut à la montre de 1480 parmi les hommes de cette moyenne noblesse qui, au contraire des plus riches seigneurs, sont restés fidèles au duc François II : certains se sont fait tuer à la fatale bataille de Saint-Aubin-du-Cormier en 148839.
Tableau 3. Analyse par classes de revenu noble (Montre de 1480 des évêchés de Dol et Saint-Malo)


3 — Feudataires des évêchés de Dol et Saint-Malo en 1480
20Les deux plus basses classes prévues par les ordonnances ducales se situaient au-dessous de 80 livres de revenu noble. Dans l'évêché de Saint-Malo elles comprenaient 80,3 % des possesseurs de fief ! Donnons-nous d'abord une mesure des deux principales dépenses auxquelles elles devaient faire face. La stricte subsistance d'une famille de cinq à six personnes nécessitait au moins huit livres de pain par jour, soit 19,50 hectolitres de grains par an, valant, dans les années 1470, 8 à 9 livres monnaie s'il s'était agi de pain de froment40 et de l'ordre de 6 livres monnaie, pour une consommation plus probable de pain de seigle. Quant à l'équipement militaire d'un archer ou d'un jusarmier, un cheval ordinaire, ne servant qu'aux déplacements d'un combattant à pied, coûtait au moins dix livres41, et un armement en bon état une dizaine de livres (tableau no 4), trois fois moins que la seule armure défensive d'un homme d'armes42. L'équipement minimal coûtait donc de l'ordre du triple de la nourriture d’une famille de cinq personnes pendant un an. S'y ajoutaient les frais des déplacements lors des revues et des missions, élevés du fait qu'il fallait cette fois acheter vivres et fourrages qu'ordinairement on trouvait sur son domaine, et c'est pour y faire face que l'ordonnance de 1451 attribuait aux feudataires équipés comme jusarmiers une solde mensuelle de 4 réaux, soit 5 livres43.
21Un revenu noble d'une trentaine de livres laissait donc un excédent par rapport au coût de la subsistance d'une famille, et les feudataires à ce niveau jouissaient encore d'une petite aisance, à condition de se contenter d'une vie rurale. Ils pouvaient participer aux systèmes signifiants de la noblesse, comme nous le verrons. Les défaillants à la montre de 1480 furent moins de 30 % seulement pour tous les niveaux de revenu depuis 500 jusqu'à 25 livres : ce comportement plus discipliné que celui de la noblesse riche traduit une fidélité plus grande envers le duc et la volonté politique de défendre l'indépendance bretonne, et en même temps confirme la capacité matérielle à se rendre aux montres avec un équipement convenable. Remarquons enfin que les descendants de personnages déclarant en 1480 jusqu'à 15 livres de revenu noble ont pu rester dans la noblesse aux générations suivantes : c'est le cas de huit lignages de notre échantillon. Nous appellerons « petite noblesse » cet ensemble des familles déclarant de 15 à 80 livres de revenu noble à la fin du XVe siècle, 49 % de l'ensemble. Il semble que ce fût la majorité de la noblesse pauvre du XVIIIe qui descendit de cette petite noblesse du XVe siècle44.
Tableau 4. Armement d'archer
Prisage (1) 1517 | Achat (2) 1528 | |
Une paire de brigandines, fauldes, manches de maille, une salade | 45 s | 205 s |
Javeline de barde | 3 s 4 d | 12 s 6 d |
Épée | 16 s 8 d | |
Deux arbalètes | 50 s | |
Une dague | 2 s 6 d | |
Total | 5 liv. 10 d | 11 liv. 14 s |
(1) Inventaire après décès bas breton publié par Ropartz, p. 44. La proportion de ces armes dans la valeur totale des meubles est de 4,52 %. Quand aux cinq chevaux, le meilleur n’est prisé que 5 livres 10 sols. Il s’agit d’une famille de noblesse pauvre : le père du défunt, Merrien Le Crozaec, ne déclarait en 1481 que 10 livres de revenu noble (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 38 p. 338) ; mais le défunt de 1517 augmentait ses ressources en étant notaire.
(2) En vue d'une montre générale à Rennes, livre de raison publié par Parfouru, p. 413.
22C’est à 30 livres monnaie que se situe le revenu noble médian, c'est-à-dire que la moitié des feudataires avaient moins de 30 livres. Ils étaient encore 36 % des feudataires à se contenter d'un revenu noble de 15 livres ou moins, alors qu'un revenu inférieur à 8 livres ne suffisait plus à nourrir une famille. La situation réelle d'un feudataire à ce niveau dépendait de la quantité de ses tenures roturières et de ses activités. Jehan de Lesnouen ne tenait que 2 livres de revenu noble et 3 journaux roturiers, dont la rente foncière s'élevait à peine à 1,5 livre ; c'était un petit bien comme en avaient les paysans relativement aisés, mais qui ne faisait vivre son homme que si celui-ci prenait la peine de l'exploiter lui-même. Jehan de Lesnouen fit défaut à la montre de 1480 car il lui était impossible d'assumer le service militaire. Certains se dérangèrent pour comparaître à Dinan bien que n'ayant aucun équipement à montrer : Olivier de Saint-Pern, en sa robe, a dit n'avoir point de terre, quoique déclarant encore un revenu de 10 livres45. A ce bas niveau de revenu, la défaillance aux montres était fréquente. Celle-ci était certes due aussi à la mortalité : faisaient défaut notamment des veuves et des héritiers sans doute très jeunes ; mais au-dessous de 25 livres la proportion des défaillants croit régulièrement à mesure que le revenu diminue (graphique no 3), et la défaillance devient vite majoritaire. C'était donc cette fois la faiblesse du revenu qui était la cause première de la défaillance.
23Nous appellerons « noblesse pauvre » ou « plèbe nobiliaire » cette catégorie que ses fiefs minuscules rendaient incapable d'assumer la justification première de son statut privilégié. Nous la situerons, pour fixer les idées, à 12 livres et au-dessous (31 % des feudataires), mais il n'est pas possible en fait de lui assigner une limite précise en terme de revenu noble, tant à ce très bas niveau la situation réelle dépendait aussi des tenures roturières et des activités exercées.
2.3. Les revenus des petites seigneuries
24Une seigneurie comprenait toujours un domaine et une mouvance. Celle-ci était l'ensemble des tenures dont les possesseurs devaient au seigneur des rentes seigneuriales et quelques corvées. Du domaine, le seigneur avait gardé la propriété utile, le droit de l'exploiter, par exemple en l'affermant ; le domaine consistait surtout en terres, parfois en moulins. Le propre d'une seigneurie était de conférer aussi le droit de justice. Les petits fiefs, aux mains de la petite noblesse, comportaient-ils un droit de justice ? On peut se le demander car celui-ci n'est mentionné qu'exceptionnellement dans les aveux du XVe siècle et du début du XVIe siècle, même dans ceux déclarant des « fiefs » ou « bailliages », noms en Bretagne des circonscriptions de la mouvance dans lesquelles étaient perçues les rentes seigneuriales. Ce problème importe en ce que, si les petites juridictions seigneuriales étaient déjà nombreuses au XVe siècle, le phénomène d'usurpation du droit de justice au XVIe n'aurait pas été si fréquent qu'on a pu le croire. Rarum est in Britannia feudum sine jurisdiction, écrivait le juriste d'Argentré au XVIe siècle, et en son temps les mots « fief » et « juridiction » étaient employés l'un pour l'autre46. La question alors est de savoir si cette règle, selon laquelle « le fief et la justice étaient tout un », existait déjà au XVe siècle. Constatant que dans beaucoup de documents le droit de justice n'était pas mentionné, Jean Gallet conclut que les petites seigneuries laïques étaient dans le Vannetais « des exceptions »47, mais il reconnaît lui-même que « des seigneurs qui avaient une justice ne la déclaraient pas toujours dans les minus des rentes ». Il est certain que des maisons nobles, donnant droit à des prééminences honorifiques dans l'église paroissiale, étaient dépourvues du droit de justice48. Mais au XVe siècle, l'omission de ce droit pouvait être due au fait que celui-ci allait de soi dès lors qu'il y avait fief. A la Chevallerais le droit de justice est omis en 1440, 1468 et 1524 et n'est revendiqué qu'en 1539 : confesse... avoir droict de ventes, espaves, galloaiz, taux, admendes sur ses hommes et subgectz... povair d'y meptre et instituer officiers et faire tenir sa court et y a aussi droict de sceaux, d'actes et contractz avecques justice basse et moyenne... et debvoir de moulte sur ses hommes estaigiers lors que son moullin sera en done reparation, qu'il est a present ruyneulx49.
25S'agit-il d'une usurpation du droit de justice, ou seulement de l'explicitation d'un droit qui jusqu'à présent allait de soi ? En 1539 le vassal a estimé nécessaire d'affirmer son pouvoir banal parce que la réformation du domaine royal apportait la menace de la perte de tous les droits qui ne seraient pas revendiqués et prouvés, et que les mines du moulin à vent, qui attestaient de ce pouvoir, menaçaient de disparaître (il était déjà en ruine en 1440 !). Il n'est pas impossible que le droit de justice ait existé à la Chevallerais, comme le moulin, dès le début du XVe siècle. La documentation ne permet pas de trancher, mais rien ne s'oppose à ce que de petites terres nobles fussent aussi des juridictions. Le droit de basse justice n'était pas très onéreux, car les audiences se tenaient souvent en plein air, sous un chêne ou un orme près du cimetière. Et si la très petite extension des juridictions est étonnante, c'est qu'elles pourraient bien être issues des partages, qu'il nous faudra bientôt étudier. Finalement, rien n'incline à penser que la règle de l'union de la justice et du fief ne serait apparue qu'au XVIe siècle.
26Les rentes seigneuriales consistaient toujours, dans les pays de Rennes et de Ploërmel, en cens, c'est-à-dire en redevances fixes en monnaie ou en nature, jamais en champart. Les cens en nature étaient en froment, rarement en seigle, souvent en avoine, grains auxquels s'ajoutaient quelques poules. Les corvées étaient dues le plus souvent au mois d'août, elles consistaient alors en journées à « scier » les blés (à couper à la faucille) ou battre les grains ; elles étaient d'un rapport minime car chaque tenancier n'en devait que quelques journées tout au plus50, et souvent aucune. Nous ne trouvons de moulins, généralement à eau, que sur des terres appartenant à des personnages au moins de moyenne noblesse, déclarant plus de 80 livres de revenu noble. Beaucoup étaient ruinés. L'entretien en était coûteux, et les revenus en avaient été diminués par la baisse démographique. Les plus petits seigneurs n'avaient donc pas alors intérêt à en construire, et lorsqu'une seigneurie était partagée lors d'une succession, les cadets qui héritaient d'un petit lot n'avaient pas intérêt à essayer d’avoir celui comprenant le moulin.
27Ce qui importe, ce sont les proportions de ces diverses composantes dans le revenu seigneurial ; or les moyennes pondérées de ces proportions montrent des tendances variables selon l'importance de la seigneurie (tableau no 5).
Tableau 5. Structure pondérée des revenus seigneuriaux. Source : pièce justificative no 21 (période 1460-1520)

28La rente foncière, autrement dit le revenu des terres, est minoritaire dans les seigneuries grandes et moyennes, alors que sa part est supérieure aux deux tiers dans les seigneuries petites et très petites. Inversement la proportion des cens diminue à mesure que l'on considère des seigneuries plus petites. Les cens en deniers rapportaient régulièrement plus que les cens en nature, et dans cette forte proportion des rentes en deniers, de l'ordre du tiers, il y aura l'origine d'un appauvrissement pour tous les niveaux de la noblesse lorsque les prix des grains seront animés d'un mouvement long de hausse, ce qui n'est pas encore le cas dans la seconde moitié du XVe siècle51. Retenons que dans les biens appartenant à de petits nobles, la rente foncière comptait pour plus des deux tiers du total.
2.4. Les terres et leurs modes d'exploitation
29Les achats de parcelles roturières que nous indiquent les réformation de 1478 et 1513 suggèrent que de nombreux petits nobles avaient les moyens d'agrandir leurs terres. Robert Ginguené I achète vers 1463 la Fontaine au nord du bourg de Langan, qui comprend 13 journaux. Jouhan Ginguené possédait deux métairies en Langan dont l'une fut entièrement constituée par huit acquêts successifs en une trentaine d'années et rassemblait 16,5 journaux52. Non seulement les métairies nobles étaient nombreuses53 dès le XVe siècle à cause de l'existence de cette petite noblesse nombreuse et relativement aisée (de 12 à 14 en moyenne par paroisse dans les évêchés de la côte nord, du Léon à celui de Saint-Malo), mais en outre ces petits hobereaux en créaient de nouvelles.
30Très précocement, nombre de parcelles sont dénommées des « clos » (tableau no 6). Dès 1387 le « minu » du Plessis-de-Cintré mentionne deux clos consacrés à l'élevage et un autre isolé du reste du domaine54 ; en 1394 sur deux assez grands domaines en Montgermont ce sont toutes les parcelles consacrées à la céréaliculture (en étouble ou en guerez) ou en pâtures qui sont des clos, à la seule exception d'un champ. Sur des domaines plus petits du pays de Hédé au XVe siècle, les parcelles sont généralement exiguës, de l'ordre en moyenne d'un hectare, et les clos constituent la majorité. Le fait que ce mot de clos désigne des parcelles précises suggère que celles-ci étaient entourées de clôtures déjà permanentes. Dès les premières années du XVe siècle, ces clos constituent, ici un tiers ou une moitié des parcelles, là presque toutes, et rien n'empêche que celles auxquelles ce terme n'a pas été affecté ne fussent pas encloses pareillement. L'acte de vente de la Chaponnière de 1503 cite entre deux parcelles homonymes ugn fossé et haye, probablement une division ultérieure d'une parcelle initialement unique55. Ainsi donc les métairies nobles étaient dans le paysage des éléments bocagers dès la première moitié du XVe siècle. Métairie et bocage56 opposent le nord de la Haute-Bretagne à la Gâtine poitevine où le Dr Merle ne situe la constitution de « métairies » et corrélativement du bocage, par un effort de remembrement systématique, qu'au XVIe et au début du XVIIe siècle57. A la suite de cette analyse célèbre, les historiens ont vu dans la métairie un type nouveau d'organisation des campagnes ; nous verrons certes encore à la fin du XVIe siècle des nobles rassembler des terres, mais la métairie58 et le bocage étaient déjà largement répandus. La petite noblesse, qui possédait au XVe siècle la grande majorité de ces nombreuses métairies, a imprimé précocement une marque durable sur les structures agraires de la Haute-Bretagne.
Tableau 6. Clôtures au XVe siècle

31La majorité des petits nobles confiaient leurs domaines à des « métayers ». Sont baillés à un métayer les deux hôtels d'Eustache Beschard et celui des Guitton en 1448 ; en 1478, le domaine de la Chevallerais de Guillaume Ginguené ; en 1478 et 1513, la terre de la Fontaine de Robert Ginguené ; en 1478, les deux métairies de Jouhan Ginguené59. Le terme de « métayer » en Bretagne ne préjugeait pas de la nature du bail. Dès le XVe siècle s'offraient aux contractants trois types de location d'une exploitation agricole : soit le fermage, consenti pour un prix fixe payable en monnaie60, soit le métayage proprement dit61, pas toujours à moitié fruit, soit un type intermédiaire, le bail consenti pour une quantité fixe de produits à livrer en nature ; ainsi en 1522 la métayrie de Rains en Gévezé est baillée pour trois ans seulement pour un fermage annuel fixe de 30 mines de céréales, seigle, avoine et blé noir par tiers, 6 chapons et 80 livres de beurre62.
32Mais de petits nobles exploitaient eux-mêmes leurs terres. En 1478, Nicolas Rahier, qui déclare 20 livres de revenu noble, laboure 20 journaux par an, et son père le faisait avant lui63. Pierre Guezille, notaire (R 1), cadet fils de cadet dont le grand-père déclarait 60 livres en 1480, fait valoir lui-même la terre de la Chaponnière et y fait d'importantes augmentations et réparations64. Ces petits nobles disposaient d'un capital mobilier suffisant pour mener une exploitation agricole relativement importante : plusieurs chevaux, une véritable charrue, de l'ordre de quatre vaches et plusieurs génisses, des ovins65. Les meubles de Guillaume de La Motte en 1517 sont prisés 71 livres, dont 11 livres de capital mobilier agricole, une fois à une fois et demie la ration céréalière annuelle d'une famille. Avec la possibilité de labours plus fréquents et plus nombreux, les petits nobles et leurs métayers obtenaient peut-être des rendements légèrement meilleurs que ceux de leurs voisins paysans. En outre sur ces métairies nobles d'une quinzaine à une quarantaine de journaux, soit de 7 à 20 hectares, l'exploitant disposait d'une superficie assez grande pour laisser à la terre un repos sous forme de pâtures aussi long que nécessaire ; au contraire la majorité des paysans sur leurs très petites tenures n'avaient pas cette marge de manœuvre.
33La mise en valeur par des métayers ou des fermiers était rendue indispensable aux petits nobles par la dispersion de leurs propriétés. Les deux hôtels baillés en 1448 par Eustache Beschard, en Miniac-sous-Bécherel et Guenroc, étaient distants d'une douzaine de kilomètres ; or son épouse Raoulette Guezille allait faire hériter leur fils d'un lot de la Chaponnière en Langouët à 9 km au sud-est. Cette dispersion était due à la Coutume selon laquelle les filles héritaient d'une part des patrimoines66 : chaque homme, le roturier comme le noble, pouvait hériter d'une terre paternelle et d'une terre maternelle, auxquelles venait s'ajouter le lot de son épouse. On procédait bien à des échanges pour remplacer un bien trop éloigné par un plus proche, mais il restait souvent des parcelles dispersées, voire une métairie éloignée, qu'il fallait bien affermer.
34Ceci n'explique pas qu'Eustache Beschard et Jouhan Ginguené aient confié apparemment toutes leurs métairies à des paysans, sans en faire valoir une seule par eux-mêmes ; ce sont les mentalités aussi qui faisaient que ces petits nobles étaient moins volontiers exploitants67 que rentiers. Néanmoins les baux à moitié fruit et même les fermages en nature leur laissaient l'initiative de la vente des grains ; et les nombreux achats de petites parcelles révélés par les enquêtes de 1478 et 1513 montrent qu'ils se souciaient de leur domaine.
2.5. Les pratiques successorales
35C'est par les pratiques successorales qu'étaient modelées à long terme les propriétés et même qu'était partiellement déterminé, nous venons de l'entrevoir, le mode d'exploitation. Le droit successoral nobiliaire était devenu très confus à la fin du Moyen Age et l'est resté jusqu'à la réforme de la Coutume en 1580. La Très Ancienne Coutume, rédigée entre 1312 et 1330, reprend l'Assise au comte Geoffroy de 1185 selon laquelle la seigneurie entière, dorénavant indivisible, devait passer à l'aîné. Toutefois l'Assise prévoyait formellement un démembrement au profit des filles pour lesquelles une part constituait une dot « à héritage », c'est-à-dire un fief transmissible à leurs héritiers. Aux frères puînés était en revanche cédée par l'aîné une partie de ses rentes, assise sur des biens qu'il désignait, à titre viager seulement. Cette part était déjà d'un tiers dans quelques partages de la première moitié du XIIIe siècle68, sans que cela ait été rendu obligatoire par aucun texte.
36Mais parallèlement à ce mode de succession qui ne concédait qu'une rente viagère aux cadets existait un second modèle dans lequel les fils puînés étaient partagés « par héritage », c'est-à-dire recevaient des terres en pleine propriété, transmissibles à leurs descendants. Ils étaient dit alors « juveigneurs d'aîné » et rendaient à l'aîné, puis à son successeur, un hommage créant une relation féodale très faible puisque ne créant au profit de ce dernier ni droit de juridiction ni droit de rachat69 : c'est toujours au seigneur dont relevait le fief avant le partage que les juveigneurs devaient rendre hommage. Il n'y avait guère de différence réelle entre la concession en juveigneurie et le don pur et simple d'un bien. A côté de l'Assise existait donc un modèle juridique impliquant le démembrement des seigneuries et la participation des puînés aux héritages70. C'est ce second modèle qui est devenu l'unique droit nobiliaire successoral breton dans la Nouvelle Coutume de 1580, où la part des biens nobles revenant à l'ensemble des cadets est fixée au tiers (article 54).
37Avant 1580, la coexistence de deux modèles juridiques causait beaucoup de confusions et suscitait entre aînés et cadets des procès excessivement fréquents. En présence de ces deux modèles, la question est de savoir quelle était la pratique réelle. Pour Jean Gallet71, « les terres abandonnées définitivement à des cadets, et les terres accordées en juveigneurie ont constitué des exceptions. La plupart du temps les seigneurs ont abandonné la quasi-totalité de leurs biens au fils aîné — et ont parfois abandonné des terres à une fille ». La question est d'importance car l'on peut penser que les cadets bénéficiant seulement de rentes viagères que, par définition, ils ne pouvaient léguer à leurs enfants, étaient dissuadés de se marier et de créer un foyer ; c'est le cas d'un cadet de Basse-Bretagne issu d'une famille aisée qui, n'ayant jamais eu aucun partage de la maison et succession de ses père et mère72, a passé sa vie dans les compagnies d'ordonnance ducales et ne s'est pas marié. C'est donc un des éléments de l'origine de cette petite noblesse pléthorique au XVe siècle qui est ici en cause. L'argument de J. Gallet est « qu'à une même date... il est rare de rencontrer plusieurs membres d'une même famille portant le même nom... même sur l'ensemble de l'évêché... Par conséquent il n'y avait pas eu partage des terres entre l'aîné et ses cadets ».
38Dans les évêchés de Saint-Malo et Dol en 1480, le nombre moyen des feudataires par patronyme est exactement de 1,94. En fait, qu'il n'y ait qu'une minorité de lignages à comprendre plusieurs familles conjugales est explicable indépendamment des partages. Supposons un instant que le régime démographique de la petite noblesse fût le même que celui qu'on connaît à l'ensemble de la population de l'époque classique, où la mortalité laissait en moyenne dans les familles à peine plus de deux enfants arriver à l'âge au mariage. Avec un taux de masculinité qui ne pouvait être très différent de 1/2, il restait à peine plus d'un garçon par famille pour transmettre le patronyme ; seuls les noms portés par des familles où deux garçons au moins atteignaient l'âge adulte pouvaient être représentés à la génération suivante par plusieurs familles, et ce n'était pas le cas le plus fréquent. Peu importe ici pour les pratiques successorales que cette hypothèse soit conforme à la réalité du XVe siècle : sa vraisemblance73 suffit à montrer que l'observation de J. Gallet peut n'être redevable qu'au seul régime démographique et donc ne prouve rien quant à la pratique des partages.
39En outre, comme Marcel Planiol l'a déjà observé, si l'Assise avait été respectée, « elle aurait fixé la géographie de la féodalité bretonne », ce qui a été le cas au niveau seulement des très grandes seigneuries, celles-là mêmes que visait à protéger l'Assise.
40La préférence entre les deux modèles juridiques dépendait notamment des traditions lignagères. Certains lignages ont pratiqué systématiquement la cession viagère, mais des cessions définitives de lots, non seulement à des filles, mais aussi à des fils puînés, ont été fréquentes aux XVe-XVIe siècles à tous les niveaux, depuis la noblesse riche jusqu'à la petite noblesse. Dans la ligne des Le Bouteiller de la Chênais, qui se situaient dans la moyenne noblesse, Du Paz rapporte un don en juveigneurie d'aîné en 1402. Chez les Boisgelin, une donation à un juveigneur est confirmée à la génération suivante par un acte de 1440. Christophe de Chateaubriand, mort en 1569, aîné de riche noblesse, a cédé la seigneurie de Beaufort à son cadet Briand à charge de la tenir de lui comme juveigneur d'aîné74.
41L'histoire familiale confirme et précise cette pratique des partages en en montrant l'empreinte dans les structures foncières : le voisinage à une date donnée de terres possédées par des parents suggère qu'elles proviennent de partages d'un domaine initialement unique. Une série d'exemples anciens apparaît dans les deux lignages Ginguené dont les membres possédaient aux XVe et XVIe siècles des terres s'entrejoignant à la limite de La Chapelle-Chaussée et de Langan. Séparées de l'essentiel du territoire de La Chapelle-Chaussée par la forêt de Nid de Cors, situées tout près du bourg de Langan, ces terres tenues du duc ont dû être défrichées ensemble au XIIIe siècle. Elles sont passées aux Ginguené avant le début du XVe siècle. En 1460 ils y sont trois propriétaires : le seigneur de la Chevallerais, sans doute le chef de nom ; Olivier qui tient du duc seulement 2,4 journaux, auxquels il ajoute avant 1468 une maison au bourg de Langan, proche parent du précédent qui est son héritier en 1468 ; enfin le sieur du Rochay dont la parenté est plus lointaine75, mais dont la terre est limitrophe de la Chevallerais. Le plan no 4 montre les terres tenues du roi en 1539 : ce sont maintenant cinq Ginguené qui possèdent séparément la Chevallerais, le Rochay et la Mériaillais (en revanche la Fontaine, ne relevant pas du duc, a été achetée par Robert Ginguené I vers 1465). Ces propriétés semblent provenir d'une succession de partages selon l'hypothèse suivante (le rang des partages peut être lu sur le tableau généalogique no 1 qui sert de légende à la carte) :
- le Rochay, où il n'y a pas encore de maison au XVe siècle, paraît avoir été démembré de la Chevallerais très tôt, avant 1440.
- avant 1440 aussi, les 2,4 journaux en Langan ont dû être donnés en partage à un cadet de la Chevallerais, en pleine propriété puisqu'un fils y succède à son père.
- Robert I, qui achètera la Fontaine, frère cadet du sieur de la Chevallerais, tient une parcelle limitrophe de la Chevallerais à l'est relevant du seigneur du Châtellier76.
- des parcelles faisant partie de la Chevallerais à l'ouest en ont été distraites après 1468 ; elles sont possédées dans la première moitié du XVIe siècle par Julien Ginguené sieur des Aulnais.
- par ailleurs le Rochay et la Mériaillais, possédés ensemble par Jean Ginguené jusqu'à son décès en 1477, sont ensuite séparés, le sieur de la Mériaillais en 1513, Guillaume, étant sans doute un fils cadet.
42La réalité était bien plus complexe, car d'autres terres voisines étaient tenues d'autres seigneurs : le sieur du Rochay et le sieur de la Fontaine devaient des rentes et des corvées au seigneur de la Chevallerais, lui-même vassal du seigneur du Chatellier... Le voisinage des propriétés et l'identité du statut seigneurial des terres tenues du duc (a foy et debvoir de rachat) accréditent l'hypothèse de partages d'un domaine initial unique : c'est cinq fois au moins qu'une terre a été attribuée à un cadet, qui quatre fois l'a léguée à ses enfants.
43Fréquemment, c'est une terre apportée en dot par une épouse qui servait à lotir les filles, voire les fils puînés, pour faciliter la dévolution du bien paternel à l'aîné. La Chaponnière en Langouët, d'abord incluse dans la seigneurie de la Piédevachais, fut dans les dernières années du XIVe siècle attribuée en juveigneurie à Jehanne Piédevache, qui la transmit à sa fille, qui fit de même (tableau généalogique no 2) ; c'est à quatre reprises que la Chaponnière fut le lot d'une fille ou de la descendance d'une fille. Ce qui nous importe le plus ici, c'est que des fils puînés pussent aussi bénéficier de la juveigneurie d'aîné ; après que la Chaponnière fut revenue collatéralement à Olivier Guezille, mort peu avant 1475, Robert Guezille la partagea en 1480 : la maison et la majeure partie des terres furent encore attribuées à la descendance d'une fille, Guillaume Beschard, mais quelques champs furent baillés à un puîné, Jehan Guezille, comme jouveigneur d'aisné de Robert Guezille. A la génération suivante c'est aussi de sa mère que le fils puîné de Jehan Guezille, Pierre, que nous avons vu racheter la Chaponnière et la faire valoir, hérita du bailliage de la Chevrie en Langan, lequel fut partagé entre son fils et sa fille avant d'être réunifié par un même acquéreur77 : un bailliage pouvait donc être partagé comme une terre, et il n'est pas rare de trouver deux bailliages distincts voisins et homonymes pouvant provenir pareillement d'un partage.
44Le partage des seigneuries et des bailliages et la participation des puînés aux héritages étaient donc fréquents. C'est que, si les cadets y voyaient l'avantage de disposer d'un bien à léguer à leur descendance, les aînés pouvaient y trouver aussi leur intérêt, comme va le montrer la pratique successorale des aînés Dubouays sur trois générations. A la première, l'aîné, marié vers 1495 à, semble-t-il, l'héritière de la Piédevachais, n'accorde un « acte de partage noble » à son frère puîné qu'en 1520 :
Rolland du Bouays, escuyer, sieur de Couabouc, herittier principal et noble... avait promis audit Raoul, son frère juveigneur, le nombre de 21 livres 12 sols, pour le droit de partage à viagé et par usufruit seullement, et au moyen du consentement dudit Rolland que ledit Raoul en eust jouy à jamais par herittage, ils transigèrent à la somme de 10 livres seullement.
Tableau généalogique no 1. GINGUENÉ, XVe siècle

Ginguené : patronyme
Rochay : nom de terre

4 — Le terroir Ginguené en 1539
Tableau généalogique no 2. GUEZILLE, XVe siècle

45On notera que même dans une famille de moyenne noblesse, la part de biens nobles dévolue à un cadet le mettait au bas de la petite noblesse (20 livres) ou même dans la plèbe nobiliaire (10 livres) ; mais ce qui nous intéresse ici, c'est la préférence du cadet pour une cession définitive et l'accord des deux frères moyennant une réduction de 21,5 à 10 livres. Le partage des cadets à la deuxième génération confirme ces choix. L'aîné, Jehan, s'attribue la seigneurie paternelle de Couesbouc et la Piédevachais et destine à ses cadets les deux biens en Gévezé qui étaient joints à la Piédevachais. La Chaigne est démembrée : la maison et des terres sont attribuées en 1535 à la sœur, et les deux bailliages vont à l'un des cadets, Hervé, qui les tient et possède à viaige... la propriecté desqueulx bailliaiges doit tourner à icelle seigneurie de la Piédevachaye78 : deuxième cession viagère. A un autre puîné a été baillée dès 1523 la terre de Rains pour en jouir ledit Jacques sa vie durante seulement : troisième concession viagère. Mais dès 1525, l'aîné consentit que ledit Jacques jouisse héritellement pour luy, ses hoirs successeurs, perpétuellement comme juveigneur d'aisné noblement et à foy79. L'intérêt de cet acte tient à ce que les mêmes protagonistes utilisent pour le même bien successivement les deux modes habituels de partage et qu'il permet de comprendre pourquoi. La première transaction avantageait l'aîné, mais le cadet a vite découvert des abus flagrants, notamment une déclaration mensongère du montant de la ferme de la terre. Il a donc envisagé un procès et revendiqué un pré gardé par l'aîné. Le deuxième accord précise qu'en faveur de la présente baillée et réception par heritage ledit Jacques a quitté ledit pré audit Jehan, c'est-à-dire que la cession définitive a été accordée par l'aîné moyennant une baisse des prétentions du cadet. Jacques, comme son oncle Raoul, a préféré une part réduite mais tenue en pleine propriété. Or ce choix d'un cadet se trouve dans d'autres lignages80, y compris dans la riche noblesse. Dans la mesure où deux procédures étaient licites, et puisque la Coutume avant 1580 ne chiffrait pas quelle fraction des biens nobles l'aîné devait céder à ses puînés, les partages pouvaient devenir des marchandages, et l'offre d'une cession définitive un moyen pour les aînés de réduire encore les parts des cadets. Ceux-ci y gagnaient du moins la sécurité de leurs revenus fonciers et pouvaient plus facilement fonder une famille. Si la cession définitive de lots aux cadets n'était pas rare, c'était aussi parce que tous les protagonistes y trouvaient avantage.
46Cette possibilité d'arriver à un compromis intéressant aînés et cadets rend plus vraisemblable encore la fréquence des cessions en juveigneurie. Les exemples que nous avons cités, le fait d'ordre général que la géographie seigneuriale n'a pas été fossilisée, nous font penser que la cession définitive de lots aux cadets a été la procédure la plus suivie. Or cette pratique explique un double phénomène : l'inégalité aiguë du partage était une cause d'appauvrissement rapide des cadets, et la cession définitive d'héritages rend compte de la possibilité des cadets à fonder un foyer et avoir une descendance. Le partage noble est donc l'une des causes provoquant en Bretagne l'émergence d'une nombreuse noblesse petite et pauvre dès le XVe siècle.
47Récapitulons les conséquences de ces partages sur les structures foncières. Lorsque le patrimoine ne comportait pas un fief pour chaque héritier il fallait bien partager les propriétés, les bailliages comme les terres. Il en a résulté une pulvérisation des domaines, fort avancée au début du XVIe siècle pour celui des Ginguené. Le souci de remembrer ces domaines très fluctuants au fils des générations apparaît souvent. Quelques petits nobles ont pû racheter le lot d'un héritier, comme la Chaponnière en 1503 (d'une façon non durable) et le bailliage de la Chevrie. Un moyen sans doute plus fréquent était l'alliance : le mariage de Robert et Marie Ginguené vers 1530 est dû au voisinage de la Fontaine et du Rochay (carte no 4 et tableau généalogique no 1) ; le tableau généalogique no 3 montre le remembrement de la Chaigne trois générations après le partage, quoiqu'en principe les interdits canoniques contraignissent à attendre quatre générations pour unir les descendants de deux cohéritiers. Ainsi le remembrement ne parvenait pas à rattraper les partages.
Tableau généalogique no 3. Dubouays ; XVe siècle. Sources : Rosmorduc, La Noblesse... op. cit., t. 2

2.6. Le problème de l'origine de la noblesse petite et pauvre
48L'observation d'un partage noble consistant à céder aux cadets des lots restreints mais transmissibles à leurs enfants conduit à quelques hypothèses sur l'origine de cette petite noblesse. En 1480 c'était celle-ci qui constituait la composante la plus fournie d'une noblesse nombreuse dès 1426. Or il semble que les ducs n'aient guère procédé à des anoblissements de personnes entre 1365 et 1420, on n'en connaît actuellement aucun exemple (Bossy). Le problème est donc renvoyé avant 1365, ce qui nous conduit à la guerre de Succession de Bretagne ; on pourrait supposer qu'une partie de la petite noblesse résultât alors d'un vaste mouvement de restructuration sociale. Mais bien des lignages sont attestés antérieurement, comme les Ginguené81 La pratique du partage noble suggère que des petits nobles du XVe siècle descendaient, par des branches cadettes appauvries, d'ancêtres situés à un niveau supérieur de la hiérarchie seigneuriale. Ainsi ceux qui sont homonymes de membres de la moyenne noblesse : le lignage de Saint-Pern comprend en 1480, outre le seigneur du Ligouyer dans la paroisse éponyme, à moins de 25 km de celle-ci, cinq autres très petits feudataires du même nom. Il est très probable que ces homonymes appartenaient au même lignage et que les petits feudataires constituaient des branches cadettes résultant de partages. Quant aux lignages qui au XVe siècle ne sont représentés que par de petits nobles, ils ont pu comprendre antérieurement des hommes plus puissants. Des comparaisons de toponymes et d'anthroponymes donneraient des éléments de reconstitution. Certains toponymes, en -ais par exemple, rendent compte de défrichements individuels par des hommes du XIIIe siècle : la comparaison avec des homonymes du XVe siècle peut mettre en évidence la continuité locale d'un lignage, et si le représentant au XVe siècle n'est qu'un noble pauvre82 il peut être l'aboutissement d'un appauvrissement. Si un renouvellement partiel au cours de la guerre de Succession de Bretagne est probable, il est vraisemblable aussi qu'une bonne partie de la petite noblesse du début du XVe siècle résulte de lignées déjà nobles plusieurs générations plus tôt. La Très Ancienne Coutume de Bretagne, rédigée dans le premier tiers du XIVe siècle, invoque déjà de petiz gientilzhommes (chap. 334).
49Enfin la concentration sur la côte nord, qui est certes déjà le fait de la population globale, suggère une dernière hypothèse. Il est remarquable qu'à ce peuplement nobiliaire ancien corresponde assez bien la géographie des densités des juridictions seigneuriales telle que la révèlent les enquêtes du début du XVIIIe siècle83 : le nombre de juridictions par paroisse dépasse 3 dans les évêchés de la côte nord (sauf Tréguier), culmine à 4,6 dans le diocèse de Saint-Malo, alors qu'il est toujours inférieur à 3 dans les évêchés sud du duché. D'autre part nous avons vu que les petits feudataires avaient encore au XVe siècle une fonction militaire tout à fait effective. Or le besoin d'une défense des côtes a existé très tôt, face aux pirates, et à partir du XIIIe siècle après l'effondrement de la puissance anglaise en France et en Bretagne (1204-1206) ; lorsqu'en 1403 la Bretagne a participé à une reprise des hostilités franco-anglaises, les côtes bretonnes ont été attaquées. La garde de la côte a été organisée très tôt, les procédures (allumer des feux, sonner les cloches) en étaient déjà accoutumées à la fin du XVe siècle84 Aussi peut-on se demander si la concentra tion nobiliaire sur la côte septentrionale n'aurait pas résulté du souci des grands seigneurs d'assurer en permanence une garde du littoral par la fixation d'une population de limitanei, de guerriers installés à demeure sur la limite exposée aux incursions adverses, auxquels ils auraient dans ce but donné un fief. L'inféodation aurait permis la mise en place du réseau serré de petites seigneuries de la Bretagne septentrionale, dont les bénéficiaires, devant un service militaire, constitueraient une origine de la forte densité nobiliaire.
Notes de bas de page
1 Bibl. nat., Fr 8311-8312, 18712 et 22320-22321. Bibl. mun. Nantes, ms 1823 à 1825. Bibl. mun. Rennes, ms 499 et 501. Bibl. mun. Rouen, ms Martainville 14. Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 31 à 38 et 42. Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 F 1, 2, 9, 53. Arch. dép. Loire-Atlantique, B 12874.
Publications partielles : De Laïque (Vannes), Des Salles (Saint-Malo), et René (Dol).
2 Montres générales donnant des chiffres de revenu, XVe siècle :
évêché de Dol, 1480 : Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 33, p. 265 sq.
évêché de Saint-Malo, 1472 : Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 F 4 et 2 F 5 ; 1480 : Bibl. mun. Saint-Brieuc. ms 35 p. 343 sq. Copies plus récentes : Arch. dép. Côtes-d'Armor, C 7, Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 F 6 (Porhoët seulement).
évêché de Saint-Brieuc, 1480 : Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 31 (publiée partiellement par Potier de Courcy).
évêché de Vannes, XVe s. : publiées par de Laigue, 1902, et La Borderie, 1897. Pour le XVIe siècle :
évêché de Rennes, 1541 : Bibl. mun. Rennes, « Manuscrit de Missirien », p. 678-876 (original).
évêché de Saint-Brieuc, 1569 : Arch. dép. Côtes-d'Armor, C 184 (original ; certains revenus seulement sont indiqués).
D'autres montres générales du XVe siècle, sans les revenus, ont été publiées par Freminville et Potier de Courcy.
Pour une comparaison avec la Bourgogne, Dumay, « État militaire et féodal des bailliages d'Autun... en 1474 ».
3 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 342.
4 Arch. dép. Côtes-d'Armor, série E.
5 Arch. dép. Loire-Atlantique, série B.
6 Publications surtout dans les quatre tomes de Rosmorduc, La Noblesse de Bretagne devant la Chambre de la Réformation, 1668-1671 ; Saint-Pern et L'Estourbeillon, « Réformation de la noblesse de Bretagne », R.H.O. Quelques autres dossiers ont été publiés isolément : Odon du Hautais, « Les La Motte de la Motte-Rouge » ; Léon Maitre, Généalogie de la Maison de Lespinay originaire de Bretagne, Nantes 1897 (p. 69-72) ; « La maison de Poix et la seigneurie de Fouesnel en Bretagne », B.M.S.I.V., t. XV, p. 289-291 ; ont été publiés dans des généalogies les arrêts des lignages Farcy, de Kergorlay, de La Goublaye, de Lantivy, Le Nepvou, de Ploeuc, du Pontavice, de Talhouet.
7 En 1480 le « clerc » de la montre de l'évêché de Saint-Malo, déclarant 20 livres de revenu noble, appartient à la petite noblesse (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 355).
8 La douairière du Bois de la Motte, qui déclare 400 livres (ibid., ms 35, p. 346).
9 Ainsi en Irodouër : Guillaume d'Yrodouër, ayant 40 livres de revenu, est dit défaillant en janvier 1480 (nouveau style) (ibid., p. 390) mais on apprend lors de la montre suivante, la même année qu’il appartient à la maison de la duchesse (Arch. dép. Ille-etVilaine, 2 F 6).
10 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 368 et 365 ; aveu du Rochay, Arch. dép. LoireAtlantique, B 1544.
11 Guillaume Piédevache, seigneur de Langouët, est cité dans la liste des « hommes d’armes » au début du rôle sans mention de paroisse, et plus loin est porté défaillant en Langouët (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 348 et 365)
12 Nassiet, « Dictionnaire des feudataires des évêchés de Dol et Saint-Malo en 1480 », Bulletin de l'Association bretonne, 1990, 1991, 1992.
13 Cartes des nobles en 1426 d'après le registre de la Réformation générale des feux (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2988) dans Kerhervé, L'État breton... p. 559. Cf. infra carte no 13.
14 « Omnes verderie quas mare dimittit » dans l'évêché de Dol, Morice, 1, 682.
15 Outre les célèbres Coëtanlem à Morlaix (Touchard, p. 359), citons Jehan Kemezne, près de Brest, qui possédait un navire dont il s'occupait partiellement de l'« appareillage » (testament de 1495, dans du Halgouet, Archives des châteaux bretons, le Grégo, p. 71).
16 En 1466, c'est par une habitant de Pleherel que Pierre Gouéon fut mis en cause (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 4 fo 107 ; Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 31 p. 543).
17 Morice, 2, 1105 et 1107. Outre Guillaume Guézille I (sieur de la Mériennais) et Colin Ginguené I (seigneur de la Chevallerais) on reconnaît parmi leurs compagnons des membres d'autres familles nobles des paroisses voisines : Alain Garrel, Guillaume Le Roux et Jean Le Roux (de Saint-Brieuc-des-Iffs), « Guillaume Piédevache de Langoët », Bertran de Saint-Pern, Yvon Le Bart (du Rheu ou de Pacé)...
18 Morice, 2, 1011 ; Arch. dép. Loire-Atlantique, E 133/4 et 7. Ainsi dans les montres du vicomte de la Bellière : Jehan et Perrin Guézille, Colin Ginguené, etc...
19 Kerhervé, L'État breton, p. 324.
20 Morice, 2,1555 ; 3, 138.
21 Morice, 2, 1556. C'est le « paltocz » prescrit en 1468 « aux gens de bas état » servant dans les francs archers.
22 1464 : montre de l'évêché de Vannes (de Laigue, 1902) ; 1467 : montres des évêchés de Léon et Saint-Malo, Bibl. nat. Fr. 22361.
23 Convocation en 1466, 1467, 1468 (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 4 fo 74 & 145, B 5, B 6, fo 35, 47, 59,124), 1469 (Morice, 3, 201).
24 Mandement de François II, Arch. dép. Loire-Atlantique, B 8 ; La Borderie, 1897.
25 Sous peine de confiscation perpétuelle de leurs fiefs et punition corporelle(Lescouzeres, p. 7, 21, 107, 305).
26 Arch. dép. Loire-Altantique, E 128.
27 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 9.
28 Du Paz, p. 643 ; Morice 3, 580-583.
29 Mandement du 9 mai 1477, Lescouzeres, p. 109.
30 En Saint-Symphorien, « Ollivier Robert seigneur de Saint-Gondran... archer... vériffie par serment son revenu noble ne valloir que trante quatre livres monnoye ». En Andouillé, Pierre de la Vieux Ville se présente pour une « myneure... Et dit ne sçavoir déclarer son revenu en fyé noble pour ce que les déclarations sont soubz les seaulx de la court d'Aulbigné et l'inventoire n'avoir uncore esté faict (Bibl. mun. Rennes, ms 15497, « manuscrit de Missirien », p. 741 & 786).
31 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 36 p. 134 sq. De toutes les réformations ducales, celle de 1478 est celle dont l'intérêt va le plus loin, au-delà de la seule noblesse. Malheureusement, dans la copie qui nous en reste de nombreuses paroisses manquent sans qu'on sache si l'enquête y eut lieu ou non.
32 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 36 p. 350, ms 35 p. 365.
33 Depuis 1457. La monnaie bretonne est stable plus particulièrement entre 1472 et 1487 (Touchard p. 99, 295).
34 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 pp. 400, 402, 409. Sur la riche noblesse, cf les études de comptes seigneuriaux de Chauvin et Kessedjian.
35 M. Nassiet, « Signes de parenté, signes de seigneurie : un système idéologique », M.S.H.A.B., LXVIII, 1991, p. 175-232.
36 Rennes : Morice. Lamballe : Kernest. Dinan : Odorici.
37 Jacques de La Villéon ; Touchard, p. 359.
38 Sur les offices des Dubouays, pièce justificative no 4 ; sur leurs seigneuries au XVe siècle, pièce justificative no 21. Jean Kerhervé confond Jehan I et Jehan II (L'État breton... p. 803). Il n'y a aucune raison de penser que les Dubouays étaient des roturiers récemment anoblis. Me Jehan, I ou II, était seigneur du Puits-Mauger au sud de Rennes en 1456, tenait déjà une terre « à fay et rachat » en Saint-Gondran (Arch. dép. Loire-Atlantique. B 1547) et l’achat de Couësbouc dans la même paroisse en 1465 n'a été qu'un agrandissement (Arch. dép. Loire-Atlantique. B 5 fo 144). En outre, contrairement à ce qu'à écrit Potier de Courcy dans son Nobiliaire, suivi par Kerhervé (L'État breton). Me Jehan Dubouays possessionné en Saint-Gondran et Me Jehan Dubouays sgr de Bréquigny, (seigneurie située aussi en dehors des murs de Rennes, près du Puits-Mauger) étaient les mêmes personnages, comme le montre la comparaison des minus de cette terre en SaintGondran et de Bréquigny (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2155) : outre l'identité des patronymes, les pères avaient le même prénom (Jehan), le même titre de « Maître », sont morts la même année (1456), et le « filz ainsné héritier principal » est prénommé Jehan dans les deux déclarations. Voir l'analyse de leurs partages nobles infra. Pour une description du manoir du Puits-Mauger en 1487, Leguay, Fastes... p. 335 et Le paysage urbain de Rennes..., p. 193 et Kerhervé. p. 876, d'après Arch. mun. Rennes, 1054, inventaire de 1487 fo 12 vo et 13.
39 Ecuyer René de Montboucher et Arthur de La Marzelière (Arch. dép. LoireAtlantique. B 2184), Pierre Freslon sgr de la Freslonnière (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2118).
40 A Hédé le boisseau de froment mesurait 4,618 décalitres et coûtait 4 sols ; il fallait donc à une famille 42 boisseaux de Hédé, valant 8,5 livres. A Châteauneuf le boisseau pesait 121,5 livres et valait 7,5 sols : il y fallait 24 boisseaux d’une valeur de 9 livres (pièces justificatives no 35-36).
41 En 1480 le duc défend « dans l'intérêt du service militaire » l'exportation des chevaux d'une valeur supérieure à 10 livres (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 9 fo 100). Un cheval « de prix », destiné au combat, valait une centaine de livres (La Borderie, R.B.V. 1885 p. 175).
42 En 1467 le seigneur du Plessis en Melesse a payé 25 « escuz d'or neuffs » un « harnoys de Millan compleict » au marchand rennais Jehan Dautie (Parfouru, p. 403), soit 34 livres (l’écu est évalué 27 sous 5 d en 1470, Touchard. p. 295), sans compter les armes offensives.
43 En 1479 les marchands évaluent le réal à 25 sous bretons (Touchard p. 341, 295).
44 Certes parmi les lignages maintenus lors de la Réformation de 1668, J. Meyer a trouvé 17 % de lignages formant une « noblesse nouvelle » et résultant d'anoblissements des XVIe et XVIIe siècles, 55 % de lignages dont les membres ont été qualifiés d'« écuyer d'extraction », « remontant au moins à la première moitié du XVIe siècle », et seulement 28 % de lignages « d'ancienne extraction » issus de la « vieille noblesse » remontant au moins à la plus ancienne des réformations, celle de 1427 (La Noblesse bretonne, p. 57). Mais c'est dans l'attribution des titres d'écuyer et de chevalier d'extraction simple ou bien « ancienne »,ne », qui n'impliquaient aucune conséquence juridique, que la Chambre de 1668 s'est permis beaucoup d'arbitraire et de partialité : beaucoup de lignages remontant incontestablement au début du XVe siècle, mais obscurs, n'ont eu droit qu'au titre d'écuyer d'extraction, comme les Guezille, que le tableau no 2 fait remonter jusqu'en 1402 !
45 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 365, ms 36 p. 247.
46 Nouvelle Coutume, articles 74 et 358 (Bourdot de Richebourg).
47 La seigneurie bretonne, p. 93 et p. 90 note 20.
48 Ainsi la Bonne Denrée en La Chapelle-Chaussée (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1557, acte de vente de 1741) ; et le Prémorel en Plesder (Nassiet, « Riches bourgeois et nobles pauvres, les sieurs du Prémorel en Plesder »),
49 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1538. Le revenu de la Chevallerais est en 1440 de 26 livres 13 s ; en 1468, 25 1. 3 s ; en 1524, 25 1 15 s ; cf. pièce justificative no 21.
50 La Chevallerais, petite seigneurie en La Chapelle-Chaussée, ne donnait droit qu’à deux journées d'août « à batre » ; ainsi que deux autres corvées très particulières, « à buscher et à meptre le tison... ou feu » la nuit de Noël (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1538/4, minus de 1440, 1468 et 1524) ; en 1467, la prieure de Tinténiac avait le droit de faire « amenez le tizon de Nouel » de fort loin, la forêt de Tanouarn, au prieuré, en Bazouges-sous-Hédé, le sieur de la Gorière ne percevait que des rentes mais ses tenanciers devaient « mectre le tisson de Nouel en la chemynée de la salle dud. lieu... A estre celuy tisson de Nouel prins en la court dud. lieu... pourveu qu'il puisse passer par la porte de lad. salle, en criant troys foys : “Nouel !” » (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 23 H 290, aveu de 1467 fo 2 vo ; Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1540/6, minu de 1549). On voit que porter cette grosse buche qui devait brûler toute la nuit n’était pas une mince affaire. Or la buche de Noël a été observée par des folkloristes à la fin du XIXe siècle « aux environs de Dinan », à 25 km du pays où se situent nos mentions du XVe siècle. Au XVIIIe siècle le père Maunoir condamnait les superstitions consistant à mettre le tison de Noël au feu quand il fait du tonnerre, et croire qu'il est meilleur qu'un tison ordinaire (Arnol Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, tome premier, VII, 1ère partie, p. 3078, Revue des Traditions Populaires, t. XVI, 1901 p. 12 ; Maunoir, Le sacré collège de Jésus, Quentehou christen, Quimper 1659, no 19). Sur de telles similitudes entre des gestes anciens et les relevés des folkloristes, Croix, La Bretagne... p. 938-940.
51 En 1420, les nobles se sont plaints au duc d'une baisse de leurs rentes, due à la hausse des prix et à la crise monétaire que subissait la Bretagne (Morice, 2, 1109). Sur cette crise, Kerhervé, p. 205.
52 La Mériaillais, Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 36 p. 350.
53 Il y avait au moins une métairie noble attachée à chaque maison noble, et d'après la réformation de 1440-1456, le nombre moyen de maisons nobles par paroisse était de 14,7 dans les évêchés de Saint-Brieuc et Saint-Malo. 7,5, et 7,4 dans ceux de Dol et Rennes (Salmon-Legagneur, p. 207).
54 Arch. dép. Loire-Atlantique, B 2185.
55 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Eb 29.
56 Gallet, p. 331. Meyer, « L'évolution des idées sur le bocage... ».
57 « Ce qui n'était à la fin du Moyen Age que l'exception va devenir la règle. Pendant tout le cours du XVIe, et une partie du XVIIe, ces petites tenues vont être réunies et dissoutes dans le sein de vastes exploitations... » (Merle, p. 102).
58 En Haute-Bretagne les mentions de métairies et métayers « abondent » dans les chartes des XIe et XIIe siècles (Planiol, 4. p. 221).
59 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 20 & 24 (1448), ms 36 p. 247 & 350 (1478), ms 33 p. 7 (Langan 1513). Voir la liste de ces domaines en pièces justificative no 2.
60 Exemple de bail à ferme en deniers en 1484 en Ménéac publié par La Borderie, « Variétés historiques concernant l'agriculture... », 1893, d'après Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 1 F 1220.
61 Ainsi en 1468 sur le domaine de Saint-Brice près de Fougères (A. Dupuy, t. 2, p. 320) ; et Sée, « Un bail de métayage dans le pays de Rennes en 1537 ».
62 Archives de Couesbouc.
63 Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 36 p. 178. En Pleudihen un « noble homme » a 10 journaux qu'il laboure, en Saint-Coulomb un autre laboure sa terre (Ibid, p. 144 & 148).
64 Il cultive du blé noir en 1507. Il a racheté en 1503 pour 157 livres 10 sols les 16,3 journaux du lot de la Chaponnière hérité par son cousin Beschard, et le revend en 1508 pour un prix tenant compte de 64 livres de « réparations » (Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Eb 29).
65 D’après les inventaires après décès en 1517 de deux petits nobles agriculteurs, l'un aussi notaire (Ropartz, et supra tableau no 4), l'autre tavernier (Nassiet, « Les activités d’un petit noble au début du XVIe siècle... », A.B. 1993). La charrue complète est prisée 18 sols ; il y a aussi des charrettes.
66 Ainsi Guillaume Guezille II et sa femme tiennent en Miniac-Morvan la métairie de Coaybel ; son beau-père, Olivier de Hirel sr du Boaisguiot, a démembré du Boaisguiot cet « héritage » de Coaybel pour le « bailler » à sa fille. Mais Miniac-Morvan est à 24 km au nord de La Chapelle-Chaussée ; aussi vers 1472 Guillaume Guezille a construit « les maisons » existantes en 1478, et la terre est exploitée par un « mestayer » (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 36 p. 149 ; pièce justificative no 2).
67 Exemple dans la moyenne noblesse : Guillaume de Beaumanoir seigneur de Beauchêne en Langrolay, qui déclare 200 livres en 1480 : en 1513 la métairie noble de Beauchêne est exploitée par un métayer qui bénéficie d'une exemption légale de fouage, et le seigneur « fait valloir par ses serviteurs plusieurs pièces roturières qui payoient fouages », et n'en paient plus. C'est donc l'exemption fiscale qui paraît motiver ce faire valoir « par mains », à une date où, nous le verrons, le fouage pesant sur les terres roturières est redevenu aussi lourd que sous le duc François II (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 357 ; Bibl. mun. Nantes, ms 1823 fo 35).
68 L'aspect juridique a été approfondi par Planiol, 2, p. 280.
69 Hommage dont la forme est précisée par un acte de 1440 dans lequel un aîné prend son juveigneur « a homme ramagier de bouche et de mains » (Lamare, « La famille de Boisgelin » p. 121-122). Dans la Coutume réformée en 1580 (art. 335) le juveigneur « ne doit ôter l'épée ni éperons ni mettre ses mains entre celles de son aîné mais doit l'aîné baiser le juveigneur ».
70 L'émergence à la fin du Moyen Age d'un modèle moins défavorable aux cadets nobles se rattache peut-être à la poussée d'égalitarisme qui au début du XVIe siècle fit davantage prendre en compte les frères et sœurs de l'héritier principal par le droit roturier orléano-parisien (Leroy Ladurie, « Structures familiales... » p. 233).
71 La seigneurie bretonne, p. 153.
72 Lettre de rémission publiée par La Borderie, 1857.
73 D'une part, P. Chaunu (1974) situe l'amorce du retard du mariage au XIVe siècle ; d'autre part nous verrons (infra chap. VI) qu'au XVIIe siècle le régime démographique de la petite noblesse n'était pas différent de celui de l'ensemble de la population, et il pouvait en être déjà de même.
74 Exemples dans la noblesse riche et moyenne : Morice, 2, 684 (1398) ; 3, 371 ; Du Paz p. 486 ; Lamare, « La famille de Boisgelin », p. 121-122 ; Collas, « Un drame... », p. 81. Planiol (2, p. 284-285) fournit huit exemples de partages nobles lors desquels les puînés reçurent des terres en pleine propriété, quatre au XIIIe siècle et quatre entre 1398 et 1449.
75 C'est parce que la parenté entre le premier sieur de la Chevallerais et le premier sieur du Rochay est inconnue que nous avons distingué deux lignages Ginguené. Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1538 & B 1544 ; cf. tableau no 3 et pièces justificatives no 2 & 3.
76 La Ville Artur (Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1538/2, minu de 1475).
77 Arch. dép. Ille-et-Vilaine, 2 Eb 29 ; Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1544, aveu du Rochay.
78 Acte résumé dans l'arrêt de maintenue de noblesse de 1668 : Rosmorduc, La Noblesse... 2, p. 74. Aveu au roi de 1540, Arch. dép. Loire-Atlantique, B 1545. Sur ces seigneuries, pièces justificative no 21.
79 Archives de Couesbouc.
80 En 1570 dans une famille Léziard le cadet « moyennant la somme de 1200 livres... se désiste de l'assiette de 69 livres de rente que sondit frère aîné était tenu de lui faire... suivant l'assise du comte Geffroi ». « Au denier vingt », le capital accepté ne correspond qu'à 60 livres de revenu, ce qui est inférieur à la rente qu'aurait payée le frère aîné (Rosmorduc, Preuves des demoiselles... p. 264). Voir aussi une transaction chez les Rohan en 1571 publiée par L'Estourbeillon, « Documents pour servir à l'histoire des anciens seigneurs de la Garnache », p. 27-36.
81 Geoffroi Ginguené, chevalier en 1301 (Morice, I).
82 Le domaine de la Chevallerais, que nous avons déjà vu, en La Chapelle-Chaussée à la limite de Langan, pourrait bien avoir été défriché par un nommé Chevalier ; or en 1480 habite encore en Langan un très petit feudataire nommé « Pierre fils Pierre Chevalier » qui déclare 10 livres de revenu noble. (Bibl. mun. Saint-Brieuc, ms 35 p. 367).
83 Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, p. 796.
84 Morice, 3, 431.
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