« Certes il ne s'agit que de la noblesse...
mais de proche en proche,
c'est tout l’écheveau social qui se dévide ».
J. Meyer, La noblesse bretonne... p. XIII

1Les travaux historiques consacrés globalement à la noblesse sont presque fatalement orientés vers la description de l'aristocratie1, des composantes riches et moyennes de la noblesse. Au surplus, les sources sont beaucoup moins abondantes sur les familles dénuées de fortune et de puissance. Aussi la petite noblesse reste-t-elle assez peu connue. Pourtant ni son rôle ni son intérêt historique ne sont négligeables. Jusqu'au XVII^e siècle, la force d’exécution contre les fauteurs de troubles, loups, brigands, rebellions diverses reste, faute d’une police, entre les mains de la petite noblesse. Au XVIII^e, c'est elle « qui fournit la quantité d'officiers qui soutiennent les troupes du Roi »2. En Bretagne la noblesse petite et pauvre a joué en outre un rôle politique : celle des quatre évêchés de Haute-Bretagne formait toujours la majorité de l’ordre aux réunions des États provinciaux au XVIII^e siècle (Rébillon, p. 67), et faisait la véritable force de l’opposition. Un peu plus tard elle fournit des cadres à la chouannerie. Au lendemain de la Révolution, ses activités économiques, ses alliances avec la paysannerie aisée et la petite bourgeoisie l'ont fondue dans la classe des propriétaires et des négociants, si bien qu’elle a contribué à former la classe moyenne de la société bretonne du XIX^e siècle. Déjà dans l'Ancien Régime, la situation sociale de la noblesse pauvre était le point de contact à la fois des trois ordres et de plusieurs classes sociales : paysans propriétaires, marchands ruraux, petite et moyenne bourgeoisie urbaine, classes dans lesquelles elle trouvait des alliances et même dans lesquelles, en Bretagne du moins, elle travaillait. L'existence d'une noblesse petite et pauvre assez nombreuse donnait aux petits notables des chances réelles de conclure des alliances avec des lignages d'une noblesse incontestable, dont l'honneur rejaillissait sur eux. La noblesse petite et pauvre avait cette importante fonction sociale d'être pourvoyeuse d'honneur.

2Cette sorte de « marche » sociale entre les ordres, que les familles appauvries, présume-t-on, traversaient pour rejoindre le Tiers (ce qui reste à vérifier), nous paraît un observatoire privilégié de la société d'ordres. La simple existence d'une noblesse pauvre fait problème ; la conjonction d'une certaine pauvreté avec l'appartenance à l'ordre privilégié semble paradoxale et contradictoire. Ce problème devint précocement un enjeu idéologique et historiographique : dès les premières années du XVIII^e siècle, la misère de beaucoup de gentilshommes fut le point de départ de la réflexion de Boulainvilliers, et la raison pour laquelle il tenta de donner au second ordre une idéologie de combat (Devyver, p. 250). Des historiens du XIX^e siècle brossèrent le tableau d'une petite noblesse victime de la centralisation monarchique et de l'évolution de la société qui avait fait de l'argent la valeur première. Ces auteurs, Hippolyte Taine, Pierre de Vaissière, avaient une motivation précise : il s'agissait de jeter le discrédit sur la répression anti-aristocratique de la Révolution. Aussi n'est-il pas inutile de tenter une observation scientifique de ce phénomène.

3Expliquer l'existence d'une catégorie sociale, dès lors qu'on la considère sur plusieurs générations, c'est analyser comment elle peut se reproduire. L'origine de la noblesse petite et pauvre n'est pas séparable du processus d'appauvrissement. On imagine que l'appauvrissement devait provoquer la chute dans la roture ; dès la fin du XVII^e siècle, le spécialiste de la noblesse qu'était La Roque3 se demandait « si la noblesse qui vient de naissance se peut perdre par la pauvreté ». C'est une question à laquelle on répond plus souvent par des suppositions que par des observations, car on étudie souvent la mobilité sociale ascendante, jamais la mobilité descendante4. Pourtant cette migration du second au tiers ordre doit avoir une histoire, elle ne fut pas toujours fatale, et ses fluctuations pourraient bien être fort révélatrices de l'ensemble de la société.

4Notre but est donc surtout d'analyser un processus, une dynamique sociale, plus que de dresser une taxonomie, et c'est pour la commodité de l'exposé que nous utiliserons les termes de noblesse « petite » et « pauvre ». Souvent employés, ils sont porteurs de bien des ambiguités tant qu'ils ne sont pas précisés par un chiffre de revenu. Il nous faudra d'abord définir ces deux niveaux inférieurs de la noblesse en termes de revenus seigneuriaux ou de rentes foncières, et en précisant leur importance numérique. Il nous faudra décrire tout particulièrement les activités qui rapportaient à beaucoup de nobles bretons des revenus complémentaires. L'estimation la plus précise possible des effectifs à différentes dates sera fondamentale pour vérifier dans quelle mesure il y a eu effectivement reproduction. Pour mesurer un éventuel appauvrissement, la comparaison de chiffres de revenu à différentes dates n'aura de sens qu'au sein de lignées. Il faudra analyser les causes de l'appauvrissement. D'abord pondérer le rôle de la hausse des prix du XVI^e siècle, qui a érodé les rentes en argent. Apprécier le rôle du partage noble, « cause accessoire » selon Marc Bloch5, alors qu'en fait c'est lui qui, à partir de cette donnée biologique qu'est la succession des naissances, crée une distinction sociale, de l'ordre de la parenté, entre aîné et cadets. Opposé à aîné, le terme puîné ne désigne qu'un rang ultérieur de naissance, alors que le terme cadet s'oppose plutôt à celui d'héritier principal ; il met l'accent sur un statut, celui qui exclut de la totalité ou de la majeure part de l'héritage. C'est ainsi que dans la noblesse d'Ancien Régime comme, par exemple, chez les Gonja du Ghana, « la sœur d'un homme est sa cadette même si elle est née avant lui » (Héritier, p. 16 et 56). En détail, le mécanisme du partage noble n'a jamais été analysé, ni surtout ses conséquences à court et moyen terme. L'analyse nous conduira, tant au XV^e qu'aux XVI^e-XVII^e siècles, à concentrer notre attention sur les cadets et surtout sur le cumul du statut de cadet, sur plusieurs générations, sur les lignées cadettes. Il faudra donc une étude des comportements démographiques, puisque le nombre des cadets dépend d'abord de la fécondité, et le nombre de lignes cadettes dépend aussi de la nuptialité, que les registres paroissiaux permettent de mesurer à partir du XVII^e siècle.

Les sources

5Les sources bretonnes, en particulier les sources sur la noblesse, nous invitaient à un champ chronologique de longue durée, du XV^e au XVIII^e siècle. Les effectifs peuvent être étudiés au XVIII^e siècle, non sans problèmes, dans les rôles de capitation, dont les plus précis sont les plus anciens qui nous soient conservés, ceux de 1710. Une source propre au XVIII^e siècle permet de connaître les propriétés et les revenus fonciers, le contrôle des actes et le centième denier, mais ni le XVII^e ni le XVI^e siècles n'offrent des sources livrant des chiffres équivalents. En revanche l'administration ducale effectua des réformations de feux dont nous restent des données nominatives sur les nobles, et les ducs convoquèrent les teneurs de fiefs à des montres générales : les rôles qui en sont conservés permettent d'étudier les effectifs et comportent des chiffres de revenu. Quant à la documentation seigneuriale, ce sont les déclarations les plus anciennes qui sont, et de loin, les plus précises ; les « minus » rendus au duc en vue du rachat au XV^e siècle donnent un prisage du revenu de chaque parcelle de terre et de toutes les rentes en nature. Le XV^e siècle est bien plus propice à une étude des revenus seigneuriaux que les siècles ultérieurs. Une dernière source, propre à la noblesse, nous encourageait enfin à remonter jusqu'au XV^e siècle dans l'observation des lignages : les arrêts de maintenue de noblesse remis aux familles lors de la grande réformation de 1668-1671, qui consistent en généalogies descendantes, commençant fréquemment au XV^e siècle, et en l'énumération, souvent fort intéressante, des pièces justificatives.

6L'étude des revenus est un véritable problème. Ne nous renseigne sur eux, aux XVI^e-XVII^e siècles, que la documentation seigneuriale. Nous venons d'évoquer la qualité des déclarations rendues au duc au XV^e siècle, mais nous ne disposons que d'un seul jalon ultérieur fournissant presque les mêmes données, aires des domaines, prisages des revenus fonciers et des rentes seigneuriales : le livre terrier de la sénéchaussée de Hédé en 1601. Encore ne s'agit-il là que de seigneuries tenues du duc, puis du roi. Or nous ne saurions partager l'optimisme de J. Kerhervé, selon lequel « ce handicap... n'est gênant que pour les personnages d'envergure, car les petits n'avaient souvent pas d'autre seigneur que le duc »6. Au contraire, la géographie seigneuriale bretonne était si morcelée que de nombreux domaines relevaient de plusieurs seigneuries, et la part tenue du duc ou du roi pouvait être très minoritaire. Ainsi la « sieurie » de la Bonne-Denrée en La Chapelle-Chaussée relevait de quatre seigneuries, dont du roi seulement 11 %. Les cent hectares du Prémorel en Plesder relevaient de neuf seigneuries moyennes ou petites, mais aucunement du roi ! Même une petite métairie noble comme Launay-Margat en Guipel, ne s'étendant que sur 17 journaux et ne valant que 2 060 livres, en fonds, au XVIII^e siècle, était tenue de trois seigneuries. Le problème est analogue en Penthièvre : le manoir du Frescheclos était tenu du duché de ce nom avec trois journaux seulement, alors que le contrôle des actes montre que cette sieurie s'étendait en fait sur 38 journaux7. Les aveux rendus au duc ou au roi sont donc loin de nous décrire l'ensemble des biens d'un vassal, et il est très difficile de retrouver tous les aveux rendus par un même personnage à ses différents seigneurs. Ce sont les actes de vente ou de partage qui donnent une description globale d'un bien. Or les actes notariés sont conservés très irrégulièrement et sont encore trop rarement déposés dans les archives publiques. Ce sont les archives des petits notaires ruraux, devant lesquels étaient passés la plupart des actes de la noblesse petite et pauvre, qui étaient les plus mal conservées déjà sous l'Ancien Régime. Le problème est aggravé en Bretagne par le fait que deux types d'actes, les testaments, à cause du caractère directif du droit successoral, et les contrats de mariage, étaient beaucoup moins usités qu'ailleurs8. Aussi l'étude des revenus aux XVI^e-XVII^e siècles n'est-elle possible que sur des exemples précis, privilégiés par quelque source particulière.

Une méthode « lignagère »

7Sauf dans quelques sources générales comme les rôles de montre et de capitation, la plupart des données sont fragmentaires et hétérogènes. Faute d'un ample corpus de textes livré directement par les archives, seule une somme de données collectées dans toutes les sources possibles pouvait nous procurer un éclairage assez intense parce que multiple. Encore fallait-il un cadre cohérent, et fatalement limité. Puisqu'il s'agit d'analyser la reproduction d’une catégorie sociale, nous avons choisi d'élaborer un échantillon constitué de lignages. Ce cadre présente divers avantages méthodologiques. Dans l'analyse de démographie historique, des fiches qui seraient restées « ouvertes » après le dépouillement des registres d'une seule paroisse ont été « fermées » par des informations de toutes origines : registres d'autres paroisses, autres sources, travaux généalogiques. Les fiches ouvertes, nombreuses, ont permis d'atteindre une grande précision dans certaines analyses comme celle de l'âge au mariage.

8Surtout la « généalogie sociale », selon l'expression d'Aline Daumard, met en évidence la mobilité sociale. Une généalogie sociale retient des indicateurs qui caractérisent la situation des individus et des couples : profession, qualité, fortune ou revenu, imposition ; la comparaison de générations successives révèle les évolutions. L'analyse peut alors chercher des explications, soit endogènes, au sein de la famille ou du lignage, soit exogènes, en relation avec la conjoncture économique, les réformes institutionnelles, les crises, le temps de paix ou de guerre... La comparaison de destinées de frères (à part d'héritage égale) ou de cousins peut permettre de distinguer dans la mobilité sociale la part des circonstances et le dynamisme individuel, voire des traits psychologiques comme l'ambition9.

9Plus précisément nous avons choisi de reconstituer non des familles ni des lignées isolées mais des lignages, c'est-à-dire des ensembles de descendants agnatiques (en ligne patrilinéaire) d'un couple originel. Nous étions incité à ce choix par les généalogies nobiliaires, notamment les arrêts de maintenue de noblesse prononcés lors de la réformation de 1668-1671. Surtout, la reconstruction lignagère met en évidence des évolutions au long de plusieurs générations, dans un temps long, séculaire. Alain Becchia, dans un article pionnier (1984), a montré quelques-unes des analyses que permet particulièrement la reconstitution des lignées. Certains phénomènes, divers indicateurs sociaux deviennent très significatifs une fois mis dans la perspective lignagère. La répartition des cotes de capitation dans chaque lignage à un moment donné nous montrera l'évolution différentielle des branches aînées et cadettes. L'analyse des plans cadastraux et des voisinages de tenures reconstituera des mécanismes d'appropriation du sol. C'est aussi dans le cadre lignager que, dans les provinces de l'Ouest, la reconstitution des patrimoines peut être entreprise dans le contrôle des actes comme nous l'avons déjà montré10. La méthode de mesure de la mobilité géographique des familles que nous avons proposée11 atteint sa plus grande efficacité également après une reconstitution des lignages. Quant aux solidarités enfin, question si importante sur laquelle les sources sont si parcimonieuses, la connaissance des relations de parenté permet de retrouver des solidarités familiales.

10Pour la reconstitution des lignages, les données généalogiques sont à la fois surabondantes et au bout du compte souvent décevantes. Quelques sondages au cabinet des Titres de la Bibliothèque nationale ont confirmé que la noblesse bretonne pauvre était peu connue : générations omises, branches entières disparues, les données sont lacunaires, de même que dans les registres de généalogies descendantes copiés après la réformation de 1668-1671 et conservés à la Bibliothèque nationale et dans les bibliothèques municipales de Nantes, Rennes, Rouen... Nous avons donc écarté complètement ce type de documentation. Très fiables au contraire sont les arrêts de maintenue de noblesse prononcés lors de la réformation de 1668-1671. Ils présentent des généalogies prouvées souvent jusqu'au XV^e siècle, et des résumés des pièces justificatives produites, fournissant même parfois des extraits des registres paroissiaux, des activités, voire des chiffres de revenu. Malheureusement les registres des réformations ont brûlé pendant la Révolution, mais maints arrêts ont été conservés, notamment par les familles, comme celui que nous présentons (pièce justificative n^o 12). Les arrêts publiés au début de ce siècle par Rosmorduc et L'Estourbeillon ne concernent environ que le dixième des 1500 lignages maintenus, et le recensement des arrêts inédits conservés dans des archives privées enrichirait beaucoup notre connaissance de la noblesse.

11Seuls les registres paroissiaux apportent l'assurance de reconstituer les familles les plus obscures. Tout généalogiste, tout historien démographe sait que souvent ces registres ne suffisent pas à retrouver les filiations et, pour prouver celles-ci, il nous a fallu compléter les fiches de familles par les autres sources. Quant aux généalogies dressées par des érudits depuis un siècle, quelques-unes sont excellentes, mais il est étonnant de constater combien rares sont celles qui ne sont pas trop incomplètes : il faut dire que la mobilité géographique des familles et le caractère pléthorique de certains lignages sont capables de venir à bout des chercheurs les plus patients. Plus gravement, même d'excellents érudits ont commis des erreurs de filiation. Les travaux si précis d'Anne-Duportal souffrent de ce que cet auteur n'a pas consulté les archives de la chambre des comptes aux Archives de la Loire-Atlantique. Même d'un lignage célèbre comme les Chateaubriand12, il n'existe pas de généalogie relativement complète ni dépourvue d'erreur. Les travaux les plus utiles sont les deux vastes recensions d'actes extraits de registres paroissiaux de Haute-Bretagne. Le plus sûr, celui du vicomte Freslon, concerne surtout la Loire-Atlantique13. L'abbé Paris-Jallobert a publié des actes extraits de 175 paroisses d'Ille-et-Vilaine et des Côtes-d'Armor qui nous intéressent surtout ici (carte n^o l). Ces deux très utiles instruments de travail ont en commun de se limiter aux familles nobles et de notables roturiers. Il s'agit, par paroisses, de dictionnaires de fiches de familles comportant les noms, les dates des actes, voire les activités quand les registres les mentionnent. La publication de Paris-Jallobert comporte quelques erreurs, assez peu nombreuses eu égard à la masse de la documentation ; malheureusement, tous les actes de baptême de chaque famille ne sont pas toujours donnés exhaustivement, ce qui disqualifie cet instrument de travail pour l'étude de la fécondité. Il reste néanmoins extrêmement utile pour le suivi des familles de paroisse en paroisse.

Le cadre géographique

12L'inconvénient de la reconstitution lignagère du cadre de l'étude, A. Daumard et A. Becchia le signalent, c'est que le recours à des documents très nombreux et très dispersés ne fournit au chercheur qu'un échantillon « réduit ». Ceci est d'autant plus vrai pour la période moderne, faute de tables alphabétiques jointes aux registres paroissiaux. Le pari méthodologique de ce travail consiste à savoir si le très bas rendement préalable du dépouillement est compensé par la précision des analyses que permet l'observation au microscope.

13Une autre conséquence évidente du choix d'un cadre lignager est signalée par A. Becchia : « Même s'il subsiste une dominante, il faut accepter une délimitation géographique mouvante », puisque le chercheur est amené à « suivre » les membres du lignage dans tous leurs déplacements, ce qui nous a emmenés en l'occurence du bocage breton jusqu'au port de Toulon et à Saint-Domingue. D'où la localisation relativement vague de notre échantillon, le nord de la Haute-Bretagne, à l'ouest de l'Ille et au nord du Meu, dans un triangle dont les sommets sont Rennes, Saint-Malo et Saint-Brieuc, recouvrant le nord-ouest de l'évêché de Rennes, l'évêché de Dol, la moitié septentrionale de celui de Saint-Malo et l'est de celui de Saint-Brieuc. A l'intérieur de cet espace encore très vaste, la situation « dominante » de notre échantillon est surtout la petite sénéchaussée de Hédé (carte n^o 9). Il fallait en effet construire celui-ci dans les régions de forte densité de la petite noblesse bretonne, les trois évêchés des côtes de la Manche, ceux de Tréguier, Saint-Brieuc et Saint-Malo, qui concentraient à eux seuls la moitié des nobles capités en 1710. D'autre part il importait de choisir des lignages dont les membres siégeaient aux États au XVIII^e siècle, donc des Hauts-Bretons. Les lignages de notre échantillon étaient surtout établis dans une des deux zones de forte concentration nobiliaire au nord-ouest de Rennes. Une partie des familles composant la plèbe nobiliaire au XVIII^e siècle sont indiquées par les listes des bénéficiaires des aumônes des États14 ; elles appartenaient à des lignages comprenant aussi des familles de petite noblesse, et même de noblesse moyenne. Les pièces justificatives n^o 1 et 2 présentent les douze lignages de cet échantillon à deux dates différentes.

14Cet échantillon du nord de la Haute-Bretagne, il n'est pas impossible qu'il soit assez représentatif de la petite noblesse de toute la province. Certes dans le détail la Bretagne est très diverse, et surtout la Haute et la Basse-Bretagne s'opposaient culturellement et économiquement. La langue bretonne était limitée à la seconde, et la première ne parlait que le français. D’autre part la Haute-Bretagne a ignoré cette spécificité bas-bretonne qu’était, en matière d'exploitation des terres, le domaine congéable. Sans coïncider exactement, les deux limites étaient voisines. Mais la Bretagne présentait aussi plusieurs traits d'homogénéité fondamentaux pour notre sujet : situation péninsulaire, prospérité littorale, unité politique et administrative, unité juridique enfin constituée par la Coutume.

15La Bretagne, c'était, au XV^e siècle, un état indépendant ; une indépendance d'ailleurs que le contrat du second mariage d'Anne aurait peut-être pu préserver si la duchesse reine avait eu deux fils. Avec de 1,25 à 2,3 millions d'habitants respectivement en 1500 et 1789, la Bretagne était peuplée autant ou plus que des royaumes fameux, l'Écosse, la Suède, le Portugal, et l'on sait la grande part qu'elle a occupée du XV^e au XVIII^e siècle dans le dynamisme de toute la façade atlantique de l'Europe. Pour faire de Landerneau un symbole de pays perdu et arriéré, il faut écrire dans une capitale retirée à l'intérieur des terres et ne pas comprendre que les empires se construisent sur les mers. Faute d'être une puissance maritime, il est resté à la Bretagne d'être la généralité la plus peuplée de France, dont elle constituait à elle seule 9 % de la population en 1789.

16Finalement, les sources permettent deux tableaux précis, l'un vers 1480, lorsque le duc préparait les teneurs de fiefs à combattre les armées françaises, l'autre vers 1710, date du premier rôle de capitation conservé, deux moments qui encadrent le mouvement séculaire de hausse des prix. Notre démarche restera généralement chronologique : nous décrirons d'abord la noblesse petite et pauvre au XV^e siècle. Puis nous analyserons les facteurs d'évolution exogènes aux XVI^e-XVII^e siècles, économiques et institutionnels. Nous finirons par une description au XVIII^e siècle. Mais comme c'est la mesure de l'effectif nobiliaire au début du XVIII^e qui mettra en évidence un des phénomènes fondamentaux, la décroissance démographique aux XVI^e-XVII^e siècles, ce n'est qu'ensuite que nous étudierons les facteurs endogènes d'évolution, c'est-à-dire les comportements familiaux autour du droit successoral.

Guide de voyage

17Cet ouvrage voudrait être lisible à plusieurs niveaux. Il se veut d'abord et surtout recherche d'Histoire, donc synthèse ; la vocation des graphiques est d'y contribuer. Mais, pour approcher la réalité humble et concrète, il invite aussi le lecteur au plus près des familles et des individus. Pour offrir au voyageur la liberté de galoper sur les grand'routes du texte ou divaguer dans les chemins creux et le parcellaire, nous lui proposons trois instruments. L'amateur de chroniques familiales trouvera dans le texte maints exemples concrets, plus ou moins détaillés en fonction des besoins de l'enquête. Il pourra les approfondir dans les tableaux et les pièces justificatives, où il retrouvera le chercheur qui voudrait nous suivre dans le bocage des sources et des méthodes. Le lecteur aventureux pourra faire le coup de feu contre l'Anglais, avant de trouver un « charlit » dans une chaumière pour faire étape (pièces justificatives n^o 43 et 45). Enfin, pour replacer ces scènes dans le cadre d'un lignage, il montera aux échauguettes, ou aux hunes, que sont les tableaux généalogiques. Les renvois rendent ces trois types d'instruments complémentaires ; on y rencontre les mêmes abréviations désignant les individus.

18Une numérotation ingénieuse a été imaginée au séminaire de généalogie de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales pour des généalogiques descendantes, mais en vue de l'enquête portant sur les XIX^e et XX^e siècles, soit deux siècles seulement15 ; pour nos généalogies descendant du XV^e au XVIII^e siècle, une numérotation significative ne pourrait être qu'excessivement lourde, les numéros des personnages vivant à la fin de l'Ancien Régime comprenant une douzaine de chiffres ! Nous avons préféré un repérage partiel mais simple, celui des seuls foyers ou individus pour lesquels nous disposons d'un indicateur social fondamental. Il en est deux auquels se réfère constamment notre texte, pour lesquels le lecteur trouvera deux numérotations :

1 — La situation de chaque foyer en 1710 du point de vue de la capitation (pièce justificative n^o 1)

19Chaque foyer existant en 1710 porte un numéro composé d'un double chiffre, le premier est le numéro du lignage dans l'ordre alphabétique, le second est le rang du foyer dans le lignage en fonction de la genèse des branches et des rameaux. Ainsi le n^o 1.1 est le chef de nom et d'armes (aîné de la ligne aînée) Beschard, le n^o 12.4 est le représentant du rameau cadet de la branche cadette du Rocher.

2 — Les actifs

20Chaque actif porte un numéro d'ordre précédé par une lettre rappelant l'activité dont il s'agit, soit :

21A : Avocats et procureurs de cours royales (pièce justificative n^o 6)

22F : Employés des Fermes (pièce justificative n^o 8)

23M : Militaires (pièce justificative n^o 10)

24N : Employés de la marine marchande (pièce justificative n^o 9)

25R : Notaires et officiers de cours royales (pièce justificative n^o 5)

26S : Notaires et officiers de cours seigneuriales (pièce justificative n^o 7).