1 À titre de bref rappel, le rapport de la commission Ribot de 1899 parlait déjà de « crise » et de « malaise enseignant ».
2 P. Berger et T. Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, A. Colin, 1996.
3 À l’instar de la passion amoureuse, la vocation semble entourée d’une sorte d’idéal et d’absolu, puisque c’est en vivant sa passion que le passionné se met à vivre et, de façon comparable, c’est en réalisant sa vocation que la personne se réalise vraiment comme sujet.
4 A. Ernaux, Les armoires vides, Paris, Folio, 1974.
5 R. Ballion, Les consommateurs d’école, op. cit.
6 On peut également penser que le « malaise » exprimé par certains jeunes enseignants constitue un des fonds objectifs à partir duquel une analyse en termes de crise de l’école a pu se développer. Crise des valeurs et des missions de l’école que mettrait en lumière une inadaptation croissante entre des enseignants envisagés selon leurs méthodes pédagogiques, leurs rapports aux élèves, leurs rapports au savoir, etc. et les élèves envisagés du point de vue d’une envie et d’une capacité à apprendre de la part d’un adulte dit professeur. Mais un tel jugement portant sur l’un des fondements de la crise de l’école demande que soit évalué le nombre de jeunes enseignants susceptibles de rencontrer durablement une situation de malaise. Les nouveaux entrants dans le métier n’ont pas eu à renoncer à un état du système scolaire qu’ils n’ont pas connu. Les nouveaux professeurs, du moins dans leur majorité, prennent (ou devraient prendre) l’école telle qu’elle est aujourd’hui et non faire référence avec nostalgie au monde enchanté de l’école d’autrefois. On ne doit pas penser que tous les nouveaux professeurs aient à faire le douloureux deuil de l’exercice d’un métier qu’ils auraient rêvé. Nos résultats statistiques montrent que ce n’est pas le cas, beaucoup des nouveaux enseignants n’importent pas au seuil de leur carrière professionnelle l’image de l’élève idéal, tout bonnement parce qu’eux-mêmes ne correspondaient pas à cette image. La souffrance des professeurs, évoquée dans le numéro 412 des Cahiers pédagogiques (2003), est sûrement réelle, mais pour les nouveaux enseignants, elle est aussi l’effet de l’isolement familial et social ainsi que de l’isolement professionnel qu’entraîne le premier lieu d’affectation.
7 « Vraie » école que montrent les médias, en particulier la télévision, à travers des reportages divers dans lesquels sont présentés des établissements généralement extrêmes soit dans leur niveau d’anomie scolaire, soit, à l’inverse, dans celui de l’excellence. On peut porter aussi un intérêt sociologique à l’ouvrage de François Bégaudeau, Entre les murs, Gallimard, 2006 et, surtout, à la façon dont la presse (ou une certaine presse) a accueilli cet ouvrage comme racontant enfin la « vraie » école. Notre travail devrait avoir le mérite de mettre en doute l’existence d’une « vraie » école. On devrait admettre, une fois pour toutes, que l’école à l’instar des professeurs, des élèves et de tous les personnels qui la fréquentent est plurielle.
8 Nous reprenons pour notre compte la définition que donne Claude Dubar dans Traité de sociologie du travail, Bruxelles, De Boeck, 1994, « Les identités professionnelles sont des manières socialement reconnues, pour un individu, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail et de l’emploi. »
9 C. Dubar, La crise des identités, Paris, PUF, 2000.
10 On peut faire référence ici aux travaux que Charles Suaud a consacrés à la « fabrication » des vocations sacerdotales, pour dire que toute institution finie par « produire » les agents qui la servent. Dans le cas des enseignants, la « crise » des vocations (qui sera fatale dans le processus de recrutement des futurs membres du clergé) semble plutôt une bonne chose lorsqu’il s’agit de passer de l’éthos de la « vocation » (Beruf au sens large du terme) à celui de la profession. Une des revendications majeures des spécialistes des sciences de l’éducation est justement d’affirmer qu’être enseignant est un métier, une profession au sens sociologique du terme et non une destinée. C. Suaud, La vocation. Conversion et reconversion des prêtres ruraux, op. cit.
11 Idem.
12 Près de 39 % des mères et 29 % des pères des stagiaires de ce groupe sont instituteurs ou professeurs de l’enseignement secondaire ou supérieur contre respectivement 23 % et 18 % pour la population de l’enquête.
13 On peut distinguer un troisième groupe, très minoritaire, 5 % de la population étudiée a choisi d’être professeur pour les avantages du métier (disponibilité, temps libre, vacances, etc.)
14 Parmi ces nombreuses publications, on peut distinguer le livre de Guy Morel et Daniel Thual-Loizeau, L’horreur pédagogique, Ramsay, 1999. Ces deux professeurs de Lettres nous servent une complainte sur les dérives de l’école : les élèves ne maîtrisent plus rien : ni les savoirs fondamentaux et encore moins le sens de l’analyse et de la réflexion. Les principaux responsables : les « pédagogues », Philippe Meirieu en tête qui devient le principal responsable de la fin de l’école. On peut également citer Nicolas Revol, Sale prof, édition Fixot, 1999 ainsi que Pierre Milner, À bas les élèves, Albin Michel, 1999. Le secret pour la consécration médiatique est de choisir un titre accrocheur, développer des détails croustillants sur la vie de la classe. Lors de la saison 2002-2003, une pièce de théâtre Prof ! a connu un certain succès. Cette pièce met en scène la trahison des professeurs qui n’ont plus aucune ambition culturelle pour leurs élèves. De plus, pour relever le spectacle, une jeune professeure se fait violer par l’ensemble de ses élèves garçons. À propos de ce spectacle, Henri Peyronie note : « cette imbrication entre une position idéologique conservatrice et une dramaturgie qui met en scène les passages à l’acte dans l’ordre des pulsions les plus archaïques, sans le détour d’une distanciation esthétique, fait de ce spectacle une étonnante invitation à la détestation des enseignants et du monde scolaire contemporain ». Henri Peyronie, «Prof ! ou la détestation des enseignants et du monde scolaire contemporain au théâtre », Les Sciences de l’éducation. Pour l’Ère nouvelle, CERSE – Université de Caen, vol. 36, 2003.
15 A. Barrère, « Sociologie du travail enseignant », L’Année sociologique, vol. 50/2000, n° 2.
16 Idem.
17 D. Lepoutre, Cœur de banlieue, Éditions Odile Jacob, collection de poches, 2001. David Lepoutre a enseigné dans un collège de La Courneuve.
18 À propos de l’évolution des publics scolaires, il nous est arrivé de revoir nos anciens élèves quelques années après leur sortie de Terminale. Dans la conversation, invariablement, revient une question sur la difficulté de faire cours à des élèves de plus en rétifs à l’ordre scolaire. La question « Alors, vos élèves, pas trop difficiles ? », par des jeunes qui viennent de quitter le système scolaire depuis peu montre que ceux-ci, malgré leur jeune âge, ont parfaitement intériorisé les représentations sur les difficultés de l’enseignement, alors qu’eux-mêmes appartenaient à une génération déjà difficile.
19 J.-P. Brighelli, La fabrique du crétin, la mort programmée de l’école, Paris, Édition Jean-Claude Gawsewitch, 2005. Voir en contrepoint de l’école des « crétins » la contribution de Franck Rimbert, La fabrique du génie. À bas l’école à Papa !, Édition du temps, 2007.
20 G. Simmel, Le problème de la sociologie, Paris, Éditions du Sandre, 2006.
21 C’est dans les situations de refus de collaborer avec les autres collègues (pour les voyages de classes, pour certains enseignements, comme les TPE, pour la « rotation » des classes entre enseignants de la même discipline, pour la coordination des sujets de devoirs, etc.) ; dans la façon d’envisager la vie dans l’établissement (en particulier les rapports avec la vie scolaire et la direction) ; dans les relations professeurs/élèves et dans les critères de jugements mobilisés pour qualifier les élèves (exprimés en salle des professeurs et lors des conseils de classes) que des tensions, voire des conflits apparaissent.
22 Enquête 2003, exploitation d’une question ouverte : « Quelle opinion professionnelle avez-vous de vos collègues qui arrivent en fin de carrière ? »
23 Dans une contribution à un ouvrage collectif, Jean Manuel de Querioz, remarque que les prises de position les plus virulentes pour le modèle de l’école des « savoirs » viennent de personnalités qui sont rarement en poste dans des classes de collèges ou de lycées. Cette remarque est utile pour dire que dans la plupart des établissements « ordinaires » les oppositions entre enseignants, lorsqu’il y en a, ne prennent pas la forme ni l’ampleur des « grands » débats de société. Il n’y a pas, ou très exceptionnellement, dans la salle des professeurs le « clan » des partisans des seuls « savoirs » contre celui des « pédagogues », comme si, en réalité, les deux positions ne pouvaient se combiner en un savoir-être professionnel dans lequel se mêlent des exigences en termes de savoirs avec l’usage d’une pédagogie adaptée aux groupes classes, voire différenciées en fonction de la non-homogénéité des élèves d’une même classe. J. Manuel de Querioz, « Pédagogie et pédagogues contre le savoir ? », in L’école l’état des savoirs, A. Van Zanten (dir.), Paris, La Découverte, 2000.
24 Enquête 2003, exploitation d’une question ouverte : « Quelle opinion professionnelle avez-vous de vos collègues qui arrivent en fin de carrière ? »
25 P. Périer, « Le métier d’enseignant dans les collèges et lycées au début des années 2000 », Les dossiers d’éducation et formation, n° 145, 2003.
26 Voir P. Masson, Les coulisses d’un lycée ordinaire. Enquête sur les établissements secondaires des années 90, Paris, PUF, 1999.