1 L’« association » des Jeunes musulmans de France, en tant que structure conçue et cadrée pour séduire et recruter, trouve son véritable fondateur en Hassan Iquioussen, lequel a grandi dans le Nord-Pas-de-Calais (ancienne région industrielle où les usines ont débauché toute une génération d’immigrés avant de les abandonner au chômage) et s’est très vite fixé comme objectif de venger l’humiliation des pères. Devenu une véritable star de la prédication islamiste, H. Iquioussen va cependant être mis quelque peu sur la touche après avoir produit une cassette où il exprime pendant plus d’une heure son exécration des Juifs. Les propos ouvertement antisémites d’H. Iquioussen ont posé problème à l’UOIF… qui, pour autant, se gardera bien de retirer cette cassette de la vente (cf. F. Venner, 2005, p. 67-76).

2 Cf. Le Monde du 22 février 2005.

3 Un mouvement de contestation d’autant plus fort que la première moitié des années soixante-dix a été marquée par l’édification du Sillon de Bretagne, immense tour de 30 étages (contre seulement 16 prévus dans le « plan de masse ») se prolongeant par trois barres plus classiques, sur la partie nord de Saint Herblain. Cette pyramide est devenue un thème politique lorsque la liste d’union de la gauche « en a fait le symbole de ce qu’il ne fallait pas faire en matière d’urbanisation » (cf. D. Asseray, 2002). Le Sillon de Bretagne, pour retracer brièvement son histoire, était pensé à l’origine pour que ses habitants très divers socialement (ouvriers qualifiés et employés/célibataires en difficulté/familles très défavorisées…) « se rencontrent », « vivent ensemble »… C’était du moins le projet de la SA HLM Home Atlantique s’appuyant sur tout un collectif de militants catholiques sociaux (d’où la référence implicite au Sillon de Marc Sangnier). Mais la dynamique escomptée a très vite laissé place à des conflits entre catégories de locataires pour l’espace et son contrôle ; des conflits qui iront en s’exacerbant lorsque ce grand ensemble un peu particulier se mettra à accueillir les travailleurs immigrés ayant participé à sa construction et leur famille… Les locataires appartenant aux classes moyennes auront tendance de côté à se regrouper à l’extrémité de l’aile la plus longue, signant un peu plus l’échec de cette expérience explicitement anti-ségrégative (cf. M. Pinçon, 1982). La proximité sociale a aussi comme effet d’exacerber les différences, comme l’avaient déjà constaté J.-C. Chamboredon et M. Lemaire (1977).

4 Au sens d’H. Becker (1985).

5 Littéralement, la « voie tracée ». La charia est le corpus variable de lois islamiques régissant la vie religieuse, politique et sociale des êtres humains. La charia est souvent le prétexte trouvé par les gouvernements et les intégristes pour faire adopter des lois réactionnaires, parfois sans fondement islamique, comme la lapidation.

6 2 novembre 1992 : le conseil d’État, allant dans le sens de ceux qui souhaitent une laïcité légitimant l’affirmation des choix individuels distinctifs, juge qu’« une interdiction générale et absolue des signes d’appartenance religieuse est illégale ». Ce qui ouvre la voie à une laïcité « à géométrie variable » et dont l’application du principe sera très dépendante des rapports de forces locaux…

7 La JOC s’est par exemple prononcée très tôt pour que les musulmans puissent disposer de lieux de prière décents.

8 Cf. Témoignage chrétien du 18 novembre 1994.

9 On lira avec intérêt l’entretien que Sophia de Oliveira accorde au quotidien Le Monde (10 mai 2005) suite à la nomination du cardinal Ratzinger comme nouveau pape. Un entretien qui commence par cette phrase « l’idéal qu’il prêche n’est pas vécue dans la vraie vie » et où l’ancienne présidente de la JOC « espère » que Benoît XVI « fera preuve d’ouverture et de tolérance ». Rappelons que le cardinal Ratzinger, opposant de toujours à l’évolution des mentalités et de la doctrine, Hérault d’un catholicisme intransigeant et porté à affirmer sa conception exclusive de la Vérité, a secondé Jean Paul II pour mettre au pas la Théologie de la libération en Amérique latine. Il fut largement aidé en cela par les « croisés de l’ordre moral » de l’Opus Dei et par Les Légionnaires du Christ, groupe fondé en 1941 et qui représente en quelque sorte la main armée du Vatican contre la laïcité.

10 … au risque d’en arriver à promouvoir un mode de fonctionnement sociétal à l’anglo-saxonne, principalement fondé sur le lobbying/contre lobbying… ainsi que le proposent les auteurs du Livre blanc sur la gouvernance européenne (2001), en appelant pour leur part à une « culture renforcée de consultation et de dialogue », censée répondre à la « panne » de la démocratie représentative. Un mode de fonctionnement qui repose en dernière analyse sur l’argent, celui dont on dispose ou non pour faire prévaloir ses idées : version « moderne » du pot de terre (militant) contre le pot de fer (capitaliste).

11 Au sens large : y compris le mouvement altermondialiste, tout particulièrement prospère en terre chrétienne.

12 … davantage ouverte à la publicisation des allégeances particulières, diront les détracteurs de cette deuxième gauche d’inspiration chrétienne.

13 … comme expression que l’on préférera ici à celle de « pédagogie individualisée » qui fait un peu trop référence à la société marchande et à son irrespect de la personne humaine.

14 La participation dans les quartiers populaires est surtout le fait des salariés les plus stables.

15 F. Verchère, maire de Bouguenais (aujourd’hui l’une des quatre communes hors AGCS de l’agglomération nantaise), proche de B. Cassen, se demande, un brin provocatrice, si « les anciens élus, les futurs élus, les élus potentiels et les déçus de ne pas l’être » ne seraient pas aujourd’hui les seuls à répondre à l’appel de la démocratie participative (exposé introductif à la « journée débat – tout public » organisée par ATTAC 44 et intitulée « Démocratie ou démagogie participative ? », Bouguenais, le 11 octobre 2003).

16 Les JMF se voient autant que possible opposer des « critères de droit » à leurs revendications, notamment sur celles qui aboutiraient à renforcer la discrimination entre les sexes (propos recueillis auprès de la conseillère municipale à la démocratie locale elle-même enseignante en ZEP). Le problème est que les JMF (association loi de 1901), prompts à se poser en « victimes » si on leur refuse des financements, appartiennent « aussi » au mouvement associatif nantais.

17 En matière de laïcité, le vote de la loi « sur les signes religieux à l’école » du 15 mars 2004 marque pour le parti socialiste une volte-face par rapport aux années quatre-vingt et quatre-vingt-dix : une période où ce parti en était arrivé à prôner ouvertement le «droit à la différence », tandis que les attitudes trop ouvertement hostiles à l’école privée se voyaient disqualifiées comme « laïcardes » en son propre sein (cf. R. Lefebvre et F. Sawicki, 2006) ; une période où « on est passé – sans coup férir – de l’intégration des établissements religieux à la religion de l’établissement », comme le rappelle C. Lelièvre (1996, p. 89-91). Il « reste » aujourd’hui pour le PS à émettre des propositions pour que puisse être solutionnée l’épineuse question de l’école privée, constitutionnellement protégée de toute participation à la mixité sociale… et où de nombreux socialistes, ceux notamment des classes moyennes, mettent leurs enfants.

18 La « tolérance », au nom du «droit à la différence » et du respect des traditions, peut aboutir à accepter le voile, la séparation des hommes et des femmes dans l’espace public, les mariages forcés, les répudiations, la lapidation (éventuellement assortie du « moratoire » cher à T. Ramadan), l’excision, l’infibulation, les crimes d’honneur…

19 Les difficultés à accéder au marché salarial poussent nombre de salafistes à emprunter la voie du petit commerce : stands de kebab, cabines de téléphonie mobile à destination des pays du Maghreb, tout ce qui touche au « marché du halal » (en particulier les boucheries).

20 Des on-dit ou interrogations sur « qui » pourrait bien être, des salafistes ou de l’UOIF, derrière tel ou tel commerce ethnicisé (presque tous le sont désormais sur la place la plus proche du collège F. Rabelais) ?… Sur les liens éventuels qui pourraient exister entre l'économie souterraine et la « nébuleuse islamiste » (après l’arrestation sur Bellevue du fils d’un imam en possession d’une très importante quantité de haschich) ?…

21 Français né de parents guyanais, connu sous l’identité d’Olivier Saint-Jean avant sa conversion à l’islam aux États-Unis, T. Abdul-Wahad exerce pour le compte des JMF une véritable fascination auprès des jeunes de Bellevue (cf. infra l’entretien de Saïd [p. 311-329]). Il s’agit là d’un militant islamiste au sens fort, grand défenseur s’il en est de la cause palestinienne en général et du Hamas en particulier… mais il joue aussi la carte marketing du « vêtement islamique occidental » en étant responsable de la promotion de Dawahwear pour la France, comme le rappelle P. Haenni dans son livre intitulé L’islam de marché (2005). Culture du business, rigueur morale et critique de l’État-providence au profit de l’initiative privée et des œuvres charitables, P. Haenni observe pour sa part que l’islam commence à entrer à son tour en résonance avec ce que L. Boltanski et Ève Chiapello appellent le nouvel esprit du capitalisme. Les militants décrits par l’auteur (membres de la bourgeoisie urbaine du Caire ou d’Istanbul, certains « islamistes modérés » du type Frères musulmans…) sont désabusés, « contrariés », le grand soir islamiste ne les faisant plus rêver. Grands lecteurs de la littérature managériale américaine, porteurs d’un nouveau credo dans lequel l’argent n’est plus synonyme de décadence mais le signe de la baraka divine, s’employant à rappeler que le prophète Mahomet était un riche entrepreneur de la Mecque, il s’agit pour ces nouveaux penseurs islamistes « de jouer, dans le cadre de l’économie de marché, la carte gagnante de l’islam comme religion entrepreneuriale, et de se placer dans le mouvement global de new traditionnalism visant à réinscrire les économies modernes dans des systèmes religieux traditionnels » (p. 102). Et c’est sur cette base que pourrait s’échafauder à terme « une communion de pensée (et d’action) entre les ennemis d’hier pour plaider l’instauration d’une société civile confessionnalisée où communautés religieuses et secteur privé géreraient aux confins des logiques de marché et des œuvres pieuses les espaces laissés vacants par la déshérence des institutions publiques » : ce que P. Haenni appelle le « consensus des pieux » (p. 97)…

22 Sur la stratégie personnelle du très séduisant et très charismatique T. Ramadan (petit fils de Hassan al Banna) au sein de la mouvance des Frères musulmans, stratégie « légère » (en comparaison de la lourde et électoraliste manœuvre d’approche de l’État par l’UOIF) et ayant pour objectif de s’attirer les bonnes grâces du courant altermondialiste : cf. G. Kepel, 2004, p. 324-329. C’est peu dire que « les » altermondialistes sont aujourd’hui divisés sur son cas, avec d’un côté J. Bové, prêt à l’accueillir en souhaitant que l’islam « connaisse un jour sa Théologie de la libération » et, de l’autre côté, B. Cassen (proche de J.-P. Chevènement) qui met en garde les « naïfs » en train de dérouler le tapis rouge devant un homme qui les « balade », leur fait perdre tous leurs points de repères et dont l’ambition est « d’islamiser l’Occident dans une perspective fondamentaliste » (cf. Politis, n ° 835 du 20 janvier 2005). Cela étant, « les » altermondialistes ne sont évidemment pas les seuls, à gauche ou à l’extrême gauche, à être divisés sur l’attitude à adopter vis-à-vis des « islamistes modérés » (cf. C. Fourest, 2005 ; cf. également et à titre d’exemple, la contribution apportée à ce débat par A. Spire et C. Porin, « Pouquoi nous quittons la Ligue des droits de l’homme », dans Le Monde du 24 novembre 2006).

23 … qui contrôle sur le quartier les principaux lieux de culte et est aujourd’hui en mesure d’envoyer dix cars à sa manifestation annuelle du Bourget.

24 Pour une présentation plus détaillée de la confrérie internationale des Frères musulmans et de son « credo » : cf. A. Sfeir (Cahiers de l’Orient), 2002, p. 183-197. L’autre grand nom de la confrérie (celui qui complètera par la suite le programme de Hassan Al Banna) est Sayyed Qotb (1906-1966), référence obligée de tous les adeptes de la réactivation du jihad et du recours à la violence au nom de leur projet de réislamisation radicale (cf. également A. Meddeb, 2002, notamment p. 117-128) et en particulier de Ayman al-Zawahiri, véritable idéologue de la nébuleuse Al-Qaeda et issu des Frères musulmans.

25 Cette chercheuse au CADIS/CNRS n’hésite pas à souligner la responsabilité des politiques et notamment de N. Sarkozy dans la mise sur orbite de l’UOIF lors de la création du CFCM, en une sorte de trahison pour l’immense majorité des musulmans de France qui ne se reconnaissent pas dans cette organisation. Une organisation qui sait également très bien jouer des failles de la démocratie médiatique pour gonfler artificiellement son poids réel et peser de toute son influence. F. Venner estime que l’UOIF « représente au mieux quarante mille sympathisants sur cinq cent mille pratiquants et 3,5 millions de Français possiblement musulmans » (p. 235).

26 … au niveau national comme sur Bellevue. Héritage indirect du temps où Hassan II s’appuyait sur les salafistes et les Frères musulmans pour contrer le socialisme et le communisme dans les campagnes et les quartiers populaires. Le parti de la Justice et du Développement (proche des Frères musulmans, 6 à 7 000 cadres, prônant l’application à terme de la charia au Maroc) représente aujourd’hui la principale force d’opposition face à Mohamed VI… et attend patiemment les élections de 2009. Par rapport à l’Algérie, les salafistes sont relativement peu présents au Maroc. On les trouve surtout au sein du GIC (Groupe islamique combattant), à l’origine des attentats de Casablanca et Madrid. Suite à leur expulsion d’Égypte sous Nasser, les Frères musulmans ont été un moment très influents dans les milieux de l’enseignement en Algérie, mais les salafistes des GIA (Groupes islamiques armés) joueront de fait les premiers rôles après la suspension du processus électoral en 1992. Suivront les massacres que l’on sait (près de 150 000 morts) et les attentats meurtriers commis en France de juin à octobre 1995. Les militants du GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat, issu d’une scission au sein des GIA et créé en 1998), 2 000 à 3 000 environ, sont considérés aujourd’hui comme l’une des principales menaces terroristes sur le territoire français.

27 Les Frères musulmans, conformément à la stratégie « étapiste » définie par Hassan Al Banna (et qui peut être résumée comme suit : « L’individu, puis la famille, puis la nation musulmane, jusqu’à l’établissement d’un empire musulman réunissant tous les pays conquis » – cf. F. Venner, 2005 –), s’emploient à quadriller l’espace social et culturel en se rendant indispensables chaque fois que l’État manque à l’appel. Une stratégie qui passe autrement dit par la (lente) conquête du terrain, par la tranquillisation des autorités, la visibilité médiatique et la légalisation du mouvement, et dont on commence à voir qu’elle finit par être très payante comme en témoignent les récents succès électoraux de la confrérie au Maroc (via le PJD) ou en Égypte (les Frères musulmans, toujours interdits mais tolérés, se présentent ici sous l’étiquette d’« indépendants »)… Sans oublier bien sûr le « séisme électoral » qu’a constitué la victoire du Hamas (janvier 2005) dans la bande de Gaza et les territoires occupés. Sa charte, prônant la destruction de l’État d’Israël et relevant de ce qu’il faut bien appeler un « fascisme vert » pour le reste, a été suffisamment reproduite par les médias pour que n’ayons pas à y revenir…

28 Terme qui peut signifier simplement l’effort spirituel sur soi, mais qui ici est entendu également au sens de guerre sainte.

29 Enseignant dont nous avons déjà parlé pour ses prises de position médiatiques contre les politiques élitistes menées par les « grands » lycées « publics » nantais (cf. supra p. 49-54).

30 La langue arabe est investie d’une valeur symbolique d’autant plus forte par les néo-fondamentalistes qu’elle est à leurs yeux la seule à pouvoir traduire la richesse des textes sacrés.

31 L’enquête a été réalisée ici sur 61 collèges, lycées et lycées professionnels publics, répartis sur une vingtaine de départements et « jugés susceptibles, davantage que d’autres, d’être affectés par des manifestations de la religion ». Les établissements « ont été choisis par, ou en concertation avec l’inspecteur d’académie et le directeur des services départementaux ». La Loire Atlantique n’entre pas dans la liste des départements où cette enquête a été menée.

32 La profession de foi (« il n’y a de Dieu que Dieu et Mahomet est son prophète ») ; la prière (les 5 prières quotidiennes) ; le jeûne du ramadan (qui représente aussi un exercice de contrôle de soi) ; l’aumône ; le pèlerinage à la Mecque (une fois au cours de la vie, pour tout musulman qui a la possibilité de l’accomplir).

33 … se donnant comme objectif « de faire avancer l’idée et la réalité d’une cohabitation citoyenne dans un esprit dynamique et d’ouverture, opposé à tout intégrisme et à tout communautarisme ». Cette association ne regroupe qu’un nombre très limité de personnes sur Bellevue.

34 … grands organisateurs sur Bellevue de mariages eux-mêmes surnommés « Halal », entre filles et garçons au sein du groupe ou alors arrangés avec de « bons » musulmans encore au pays et souhaitant venir en France.