Préface

1Le présent livre s’inscrit dans une tradition vieille de plus d’un demi-siècle : celle qu’avait inaugurée Georges Duby en publiant son célèbre et remarquable ouvrage sur la société en Maconnais du X^e au XIII^e siècle. Ce grand médiéviste avait ainsi ébauché un vaste mouvement de recherches sur les grands ensembles territoriaux nés de l’effondrement du monde carolingien. Elève de ce très remarquable historien de la Bretagne médiévale que fut le professeur Hubert Guillotel, Stéphane Morin s’est attelé à une recherche particulièrement difficile ayant pour thème central les destinées, durant les XI^e et XII^e siècles, d’un illustre lignage, celui des « Eudonides » – et dont l’ancêtre éponyme fut, au XI^e siècle, le comte Eudes, frère cadet d’Alain III, duc de Bretagne –, et celles des régions septentrionales de la Bretagne où cette famille exerça trois siècles durant son autorité : Trégor, Penthièvre et Goëlo.

2Il fallait en effet un certain courage pour s’atteler à un thème portant la marque d’un historien qui compte en Bretagne, La Borderie, et pour remettre en cause bien des conclusions, parfois fondées sur de tenaces préjugés, auxquelles était parvenu cet auteur. Stéphane Morin l’a fait avec une grande rigueur scientifique et un constant souci de la nuance, rassemblant et analysant, avec un regard tout à fait neuf, non seulement l’ensemble des sources bretonnes, mais aussi celles de régions dont les autorités entretinrent d’étroites relations avec la Bretagne : Normandie, Anjou, Blésois, Angleterre. Le résultat de ces minutieuses analyses est une étude très attentive à situer l’ère d’influence des « Eudonides » dans un cadre beaucoup plus vaste que le duché breton, et à montrer que ceux-ci furent partie prenante au jeu politique très complexe des XI^e et XII^e siècles dans lequel intervinrent les plus grands princes du temps : le duc de Bretagne, rival traditionnel de nos « Eudonides », mais aussi celui de Normandie bientôt roi de cette Angleterre où le lignage issu du comte Eudes, ayant joué son rôle dans la conquête de 1066, acquit de riches possessions, les comtes d’Anjou (bientôt eux-mêmes rois d’Angleterre et duc de Normandie) et de Blois-Champagne, le roi de France dont l’influence s’avérera prépondérante au temps de Philippe Auguste. Cette dimension inter-régionale et « internationale » du lignage des Comtes de Bretagne est remarquablement mise en relief dans la première partie, intitulée « le pouvoir politique d’un haut lignage de l’Occident chrétien ».

3La seconde partie est consacrée à l’enracinement territorial des Comtes de Bretagne dans le nord du duché, avec une rapide évocation des possessions d’outre-manche, au sein de cette châtellenie de Richmond bientôt érigée en comté, avec aussi une remarquable étude prosopographique consacrée aux lignages nobles situés dans la fidélité des Eudonides et des réponses originales, qui susciteront sans doute quelques réactions critiques, sur les origines du siège épiscopal de Saint-Brieuc comme sur celles des principaux centres de peuplement de ce que l’on appelle aujourd’hui les « Côtes-d’Armor ».

4Le livre de Stéphane Morin s’adresse certes en premier lieu aux médiévistes, historiens comme historiens-juristes, auxquels son auteur apporte un très utile point de vue sur des sujets toujours sensibles comme ceux de la mutation de l’an mil, de l’enracinement châtelain, du rôle des structures ecclésiastiques – séculières et monastiques – dans le façonnement du paysage castral, mais il comblera aussi les attentes de ceux, plus nombreux, qu’intéresse l’histoire de la Bretagne septentrionale et qui trouveront de multiples réponses à des questions jusqu’à présent non élucidées.