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Le PSU vu d’en bas

 | 
Tudi Kernalegenn
, 
Francois Prigent
, 
Gilles Richard
, 
et al.

Deuxième partie. Un parti dans les régions

Le PSU dans la Creuse et les Basses-Alpes

Fabien Conord

Texte intégral

  • 1 Ce travail est fondé sur les rapports préfectoraux, la presse militante et les professions de foi (...)

1La Creuse et les Basses-Alpes sont deux départements ruraux, marqués par le poids de la montagne, et présentent pour trait commun d’avoir été des terres relativement favorables au PSU durant les années soixante. Ce parti réalise des scores remarquables lors des élections législatives de 1962 et 1967 et dispose d’élus locaux (maires, mais aussi conseillers généraux). Cette puissance relative s’effondre à partir de 1967. En effet, la plupart des élus PSU rallient alors la FGDS. Les conséquences de ce choix révèlent l’importance des élus dans l’implantation rurale du PSU. Ses causes sont à rechercher dans l’origine, les pratiques et l’idéologie du personnel politique de ce parti1.

Un terreau favorable

2Le PSU est issu de segments différents de la gauche que rapprochent les conditions de naissance de la Ve République. À l’échelle nationale, il émane principalement de l’UGS et du PSA. Dans les deux départements considérés, sa fondation est presque exclusivement tributaire du PSA. Dans les Basses-Alpes, celui-ci est une scission de la SFIO, tandis qu’il apparaît, dans la Creuse, comme la synthèse entre des dissidences plus anciennes, en provenance du radicalisme ou du socialisme (Parti socialiste unitaire).

  • 2 AD Creuse, 976 W 648, rapport du préfet de la Creuse, 2 décembre 1958.

3Le PSA bénéfice déjà d’une implantation appréciable dans les deux départements. En octobre 1958, deux responsables creusois de la coopération agricole, Labetoulle et Ducher, démissionnent de la SFIO ; l’ancien député socialiste Anselme Florand, agriculteur de profession, hésite à quitter le parti2. Il franchit le pas quelques mois plus tard, et appartient au PSA en 1959. Celui-ci, qui prolonge ici l’UFD (Union des forces démocratiques), accueille aussi les progressistes venus du parti radical-socialiste, avec à leur tête l’ancien député Pierre Ferrand, et un ancien membre du RDR (Rassemblement démocratique révolutionnaire), Jean Monteiller. En 1962, la composition du ticket PSU pour les élections législatives dans la 2e circonscription témoigne de cet amalgame, puisque l’ancien radical-socialiste Pierre Ferrand a pour suppléant l’ancien secrétaire fédéral de la SFIO Roger Bodeau.

  • 3 Centre d’archives socialistes, correspondances fédérales, lettre de Claude Delorme, 6 juin 1959.
  • 4 Centre d’archives socialistes, correspondances fédérales, lettre de Jacques Favier, 4 juin 1959.

4À l’exception de ce dernier, l’appareil fédéral de la SFIO demeure fidèle à la « vieille maison ». Dans la Creuse et les Basses-Alpes, le PSA puise sa capacité de mobilisation dans l’investissement d’élus et de responsables agricoles. Dans les Basses-Alpes, Guy Reymond et Fernand Tardy fondent une section à la fin du printemps 19593. Les deux hommes sont connus : le premier est conseiller général depuis 1955, le second maire d’une commune rurale et membre de la Chambre d’agriculture. Guy Reymond a succédé au Conseil général à son père, Camille Reymond. Celui-ci exerce toujours les fonctions de maire de Château-Arnoux, et rejoint lui aussi le PSA puis le PSU. Son ralliement est important, car il incarne la vieille garde socialiste dans les Basses-Alpes. Il a contribué à structurer la fédération SFIO durant l’entre-deux-guerres et fut conseiller général de 1925 à 1955, député aux deux Assemblées constituantes en 1945 et 1946. Il est en quelque sorte le doyen des socialistes bas-alpins : sa présence inscrit le nouveau parti dans une filiation de gauche et lui apporte une légitimité historique. Le secrétaire fédéral adjoint de la SFIO se montre très sévère envers les fondateurs du PSA dans les Basses-Alpes. Il voit en eux des ambitieux déçus, qui n’ont pu se tailler dans le parti la place qu’ils convoitaient4. Camille Reymond a été écarté de la direction fédérale de la SFIO durant l’après-guerre au profit de Claude Delorme, qui est toujours secrétaire fédéral au moment de la fondation du PSA. Le propos n’est donc pas forcément dénué de vérité, mais n’épuise pas le sens de la dissidence.

  • 5 Archives nationales, fonds Naegelen, 518 AP 6 (« Basses-Alpes, 1951-1958 »).

5Dans les deux départements, le PSA s’inscrit dans une filiation de contestation à l’égard de la politique internationale de la SFIO (refus de l’atlantisme dans la Creuse, du réarmement allemand et de la politique algérienne de Guy Mollet dans les deux départements) et un attachement prononcé à l’union des forces de gauche. La propension à contester les choix nationaux de la SFIO est visible tout au long de la IVe République dans les Basses-Alpes. La fédération a soutenu indéfectiblement son député, Marcel-Edmond Nægelen, dans l’opposition à la CED et au réarmement allemand5. Depuis 1956, des critiques se font entendre à l’égard de la politique algérienne de Guy Mollet. Elles émanent de plusieurs militants, mais aussi d’élus importants, tel le sénateur Émile Aubert. Dans la Creuse, l’attachement à l’union de la gauche est déjà visible durant les années 1950. En 1951, un conseiller municipal rural, Émile Grandet, socialiste indépendant, est présent sur la liste communiste aux élections législatives. En 1956, le département se singularise par la victoire d’une liste d’« Union des Gauches et de défense républicaine, sociale et laïque ». Celle-ci regroupe le député sortant communiste, le radical-socialiste Pierre Ferrand et le maire socialiste de La Souterraine, récemment exclu de la SFIO, Émile Parrain. Elle recueille plus de 47 % des suffrages exprimés, ce qui permet à Pierre Ferrand, neveu d’un ancien sénateur radical-socialiste de la IIIe République, d’être élu député. Anselme Florand, député sortant SFIO, fait les frais de l’opération.

  • 6 Émile Aubert adhère à la CIR en 1964.

6En 1958, Pierre Ferrand est candidat dans la 1re circonscription au nom de l’UFD. Il recueille 19,74 % des suffrages exprimés et devance la SFIO (qui obtient 16,53 % des suffrages exprimés). Lors des élections sénatoriales de 1959, une liste « d’entente socialiste travailliste et démocratique » réunit les deux rivaux de 1956, l’ancien député Anselme Florand et le socialiste dissident d’alors, Émile Parrain. Leur liste rassemble quelques dizaines de suffrages (11,60 % des votants pour Anselme Florand et 8,36 % pour Émile Parrain). Ce score témoigne de l’audience limitée, certes, mais non négligeable de ce courant idéologique. Malgré cette implantation observable chez les grands électeurs, le PSU est absent des élections sénatoriales de 1962 dans la Creuse. Le seul sénateur socialiste en place est alors Paul Pauly qui, en tant que président du Conseil général, est très attentif à la bonne entente entre les deux partis socialistes et le PCF, ce qui peut expliquer l’absence du PSU. Dans les Basses-Alpes, le PSA (en 1959) puis le PSU (en 1962) s’abstiennent de concurrencer le sénateur du département, Émile Aubert, qui avait adopté une attitude critique envers la direction nationale de la SFIO durant la fin de la IVe République et voté non lors du référendum de 19586. La stratégie du PSU lors des élections sénatoriales semble donc tributaire de la personnalité des parlementaires socialistes, ce qui révèle bien le poids des facteurs individuels dans les relations entre les deux partis socialistes des années soixante.

7Le PSU présente en revanche des compétiteurs pour les élections législatives qui suivent la dissolution de l’Assemblée Nationale dans les deux circonscriptions de la Creuse. Les résultats sont presque semblables (8,75 % dans la 1re circonscription et 9,60 % dans la seconde). Le PSU est largement devancé par la SFIO (17,54 % et 37,76 %). Ses scores sont toutefois remarquables. Ils révèlent deux éléments. L’audience du PSU est réelle, avec un petit dixième de l’électorat et des résultats supérieurs à 10 % dans sept cantons (sur un total de 25 cantons pour le département). Elle est partiellement tributaire de personnalités bien implantées. Le docteur Jean Monteiller recueille 35,81 % des suffrages exprimés dans le canton de Chatelus-Malvaleix, qu’il représente au conseil général. Pierre Ferrand atteint 37,69 % dans le canton de Royère, dont il est l’élu. Le même constat peut être opéré dans les Basses-Alpes, où le PSU concourt dans la 1re circonscription. Le score de Guy Reymond dépasse 10 % dans huit cantons sur 14, et il obtient 26,85 % des suffrages exprimés dans le canton de Volonne, où il est conseiller général depuis sept ans. L’ensemble de la circonscription lui accorde 13,81 %, en l’absence il est vrai de candidat SFIO, puisque ce parti fait cause commune avec le radical-socialiste Marcel Massot dans la 1re circonscription, tandis que les radicaux-socialistes soutiennent Claude Delorme (SFIO) dans la seconde. Les scores du PSU sont directement corrélés avec l’influence de ses leaders, ce qui explique et révèle la structuration de cette force politique en milieu rural.

Des fédérations d’élus

  • 7 L’absence d’archives fédérales ne permet pas une restitution précise de la vie militante locale, m (...)

8La structure du PSU est assez proche dans les deux espaces considérés. Les adhérents sont peu nombreux, et l’activité militante semble faible7. En revanche, le PSU s’appuie sur une phalange d’élus locaux. Ce sont eux qui forment la substance de ce parti dans les Basses-Alpes et dans la Creuse.

  • 8 Centre d’histoire du travail, PSU 26, fédérations et sections.

Cartes rentrées au PSU, 1960-19708

Cartes rentrées au PSU, 1960-19708
  • 9 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, janv (...)
  • 10 Centre d’histoire du travail, PRI 20, document PSU, septembre 1966.

9Entre 1961 et 1970, le nombre d’adhérents du PSU passe de 60 à 41 dans les Basses-Alpes tandis qu’il régresse de 37 à 10 dans la Creuse. Dans ce département, un pic est observable en 1966 : la fédération de la Creuse compte alors 84 adhérents, mais le départ des conseillers généraux en 1967 fait chuter ce chiffre à 20 en 1968. A contrario, leur présence n’avait pas catalysé de forces militantes considérables. En 1964, alors que le PSU compte quatre conseillers généraux dans le département, un membre du bureau fédéral admet : « Sans doute, notre fédération n’est pas aussi nombreuse que nous le souhaiterions9. » Les conseillers généraux PSU de la Creuse ne se distinguent guère de leurs voisins radicaux-socialistes ou SFIO. Il est donc probable que leurs pratiques politiques soient semblables, et qu’ils ne se préoccupent pas de partager leur influence avec des sections trop fournies. Un document préparatoire aux élections législatives de 1967 reconnaît que « l’obstacle essentiel » dans les deux circonscriptions des Basses-Alpes « réside dans la quasi-inexistence de la Fédération, mais renoncer à mener campagne c’est renoncer à la possibilité d’un redémarrage10 ».

  • 11 L’Avenir. Organe régional bimestriel Cantal-Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), puis L’Avenir pour (...)

10Ces deux fédérations, qui comptent peu d’adhérents, pèsent un poids infime dans le parti. Pour le congrès de Paris, en juin 1967, la fédération de la Creuse compte seulement quatre mandats, et celle des Basses-Alpes deux. Les sections sont rares, et leur nombre s’amenuise encore après les ralliements d’élus à la FGDS et au PS. En 1970, le PSU creusois est cantonné à Guéret. Dans les Basses-Alpes, en dehors de Manosque, une section existe à Château-Arnoux-Saint-Auban. Il n’est donc pas surprenant que le PSU ne parvienne pas à entretenir une presse militante. La Voie socialiste sert principalement de support électoral au PSU des Basses-Alpes pour la campagne législative de 1962. La Creuse est concernée à partir de 1964 par un organe commun aux trois départements limousins et au Cantal11.

11Dans ces espaces ruraux, le PSU est redevable de son implantation à une poignée de militants agricoles et d’élus locaux. En 1962, deux des trois candidats PSU ont pour suppléant un agriculteur. Dans la 1re circonscription des Basses-Alpes, Edmond Jugy, « né en 1905 à Aiglun, d’une vieille famille paysanne », est présenté par le journal du PSU comme

  • 12 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.

« le type même du paysan bas-alpin. Son métier d’agriculteur, il le fait avec passion et seule la guerre de 39-40 vint interrompre ses activités. Élu maire de sa commune en 1938, il gère depuis, avec beaucoup de bonheur et de compétence, les affaires de son petit village d’Aiglun. Syndicaliste agricole, délégué cantonal de la CGA, membre du conseil d’administration du foyer de progrès et de la caisse de mutualité agricole, membre de la Chambre d’agriculture, Edmond Jugy s’intéresse à tous les problèmes de la terre12 ».

  • 13 AD Alpes de Haute-Provence, 34 W 15, syndicats agricoles Digne et Barcelonnette 1940-1964.

12Les responsabilités exercées par Edmond Jugy attestent son audience dans le monde paysan. Son engagement n’est pas isolé, puisque le secrétaire fédéral du PSU dans les Basses-Alpes, Fernand Tardy, présente un profil similaire. Secrétaire de la Chambre d’agriculture depuis 1952, il est maire de la commune rurale de Thoard depuis 195313. Dans la 1re circonscription de la Creuse, le docteur Jean Monteiller est suppléé par Jean Ducher, directeur de coopérative agricole.

  • 14 Ces cinq élus sont Guy Reymond dans les Basses-Alpes (canton de Volonne) et quatre conseillers gén (...)
  • 15 En 1970, 11 conseillers généraux des Basses-Alpes ne résident pas dans leur canton d’élection.
  • 16 Centre des Archives Contemporaines, 0019780654, article 72 : tableau des conseillers généraux, 195 (...)
  • 17 AD Creuse, Fonds Chandernagor, 69 J.

13La sociologie des cinq conseillers généraux du PSU dans les deux départements est assez hétérogène14. Guy Reymond est peseur-juré dans les Bouches-du-Rhône. Il ne réside donc pas dans son canton d’élection, ce qui est courant dans les Alpes du Sud15. Dans la Creuse, deux des quatre conseillers généraux PSU sont médecins (l’un dans le secteur hospitalier, l’autre en médecine libérale) ; les deux autres sont respectivement commerçant et enseignant. Trois des cinq hommes ont été élus conseillers généraux avant la naissance du PSU, le premier sous l’étiquette SFIO (Guy Reymond en 1955), les deux autres (Pierre Ferrand et Marcel Maginier) comme divers gauche en 195816. Jean Monteiller est élu dans le canton de Châtelus-Malvaleix (Creuse) en 1961. Ce n’est pas pour autant un novice en politique, comme le révèle sa trajectoire. Membre de la SFIO entre 1936 et 1948, il adhère au RDR en 1948, à l’UFD en 1958, puis au PSA en 1959. Serge Cléret, le benjamin du groupe, est élu conseiller général en 1964 et maire d’Évaux-les-Bains en 1965. Il cumule les responsabilités : président du syndicat intercommunal d’adduction d’eau Évaux-Budelière-Chambon, du syndicat intercommunal d’aménagement rural et urbain Évaux-les-Bains-Budelière et du comité départemental de l’APAJH (association de placement et d’aide aux jeunes handicapés), il est également vice-président du syndicat de cylindrage Évaux-Chambon et du comité Creuse-Corrèze-Haute-Vienne de l’ALEFPA (association laïque pour l’éducation et la formation professionnelle des adolescents)17. Homme nouveau dans le personnel politique local, ses pratiques politiques n’ont rien à envier aux stratégies déployées par les élus radicaux-socialistes et SFIO en la matière. Son investissement dans la sphère laïque l’inscrit également dans un corpus doctrinal classique.

Un corpus doctrinal classique

14La destinée de ce personnel politique s’explique par son attachement à des formules traditionnelles en matière de doctrines agraires et de stratégies électorales. Les représentants du PSU dans la Creuse et les Basses-Alpes défendent des programmes agricoles classiques (exaltation de la coopération, soutien des prix, attachement à la petite propriété) et participent rapidement à la gestion départementale aux côtés des autres partis de gauche. À ce titre, ils refusent l’évolution que connaît le PSU au milieu des années soixante et sont sensibles à l’attraction de la FGDS puis des retrouvailles au sein du PS à partir de 1969.

  • 18 La Voie socialiste, octobre 1962.
  • 19 La Voie socialiste, novembre 1962.
  • 20 L’Avenir. Organe régional bimestriel Cantal-Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creus (...)
  • 21 L’Avenir pour l’unité et le renouveau de la gauche, octobre 1967.
  • 22 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, mai (...)
  • 23 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 26 mai 1964.

15Les professions de foi des candidats PSU aux élections cantonales et législatives montrent leur fidélité à des doctrines agraires héritées de la SFIO et du radicalisme. La défense de la coopération est sans faille, alors que ses modalités sont contestées en Bretagne à la fin des années soixante. Le droit de propriété fait l’objet d’une attention sourcilleuse, et même si les militants PSU reconnaissent, dans leurs périodiques, l’intérêt du remembrement, celui-ci suscite l’hostilité des représentants locaux du parti. Le PSU bas-alpin met l’accent, comme la SFIO, sur « le développement des coopératives de producteurs, l’organisation des marchés et l’aide massive à l’enseignement agricole18 ». Il réclame aussi l’extension des « avantages sociaux » aux ruraux et l’établissement des salaires des ouvriers agricoles « au niveau des salaires industriels de même qualification19 ». L’ancien radical-socialiste Pierre Ferrand plaide sans surprise pour la coopération, l’agriculture familiale et le soutien des prix20. En 1967, Jean Feyfant demande la création d’un Office de la viande, sur le modèle de l’Office du blé constitué au temps du Front populaire21. Le seul élément de renouveau théorique est l’apparition d’une critique de l’industrialisation de l’agriculture, émise à plusieurs reprises en 1964, dans les colonnes de l’organe limousin du PSU22 et au Conseil général de la Creuse23.

  • 24 Constans P., Un siècle de franc-maçonnerie dans les Basses-Alpes 1870-1970, université Aix-Marseil (...)
  • 25 AD Alpes de Haute-Provence, 94 W 16, dossiers individuels des Renseignements Généraux.
  • 26 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.

16La matrice républicaine du PSU est aussi visible dans son attachement à la laïcité. Dans les Basses-Alpes et la Creuse, les élus du PSU relèvent d’une gauche laïque classique, et plusieurs d’entre eux côtoient leurs collègues de la SFIO ou du parti radical-socialiste dans les loges maçonniques locales, ce qui permet le maintien de contacts amicaux entre les différents groupes24. Fernand Tardy, secrétaire fédéral du PSA puis du PSU dans les Basses-Alpes, est vice-président de la fédération départementale des Œuvres Laïques en 196025. En 1962, le PSU bas-alpin dénonce l’entente nouée entre radicaux-socialistes, SFIO et MRP à l’occasion du référendum sur la révision constitutionnelle. En effet, ses militants estiment que l’on ne « défend pas la République avec ceux qui sapent patiemment son soutien le plus solide : l’École de la Nation ». La présentation du candidat aux élections législatives fait également la part belle à son engagement au service de la laïcité : Guy Reymond, délégué cantonal des écoles publiques, « est animé par un idéal de socialiste, de laïque et de républicain forgé par les luttes de son père, ancien député des Basses-Alpes26 ». Lors de ces élections législatives, la SFIO et le parti radical-socialiste se partagent les deux circonscriptions. Le PSU ne présente un candidat que dans celle où la SFIO est absente, et cherche explicitement à rallier l’électorat socialiste.

  • 27 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.
  • 28 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 17 juin 1961.
  • 29 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 3 décembre 1962.
  • 30 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, mai (...)

17Un article de son périodique bas-alpin résume assez bien les difficultés de positionnement du PSU en 1962 : « les organisations non communistes tentent de nous dénigrer en nous faisant passer pour des satellites du parti communiste. Ce dernier, par contre, affecte de nous considérer comme des tenants de la social-démocratie27. » En effet, malgré de fréquentes alliances, lors des élections municipales notamment, les relations entre PSU et PCF ne sont pas toujours des plus cordiales. La Creuse apparaît de nouveau comme un terrain propice au regroupement à gauche. Après les élections cantonales de 1961, les trois élus du PSU accueillent le seul conseiller général communiste du département dans un groupe « PSU et apparentés28 ». En 1962, Pierre Ferrand, membre du groupe PSU au Conseil général, est admis à la commission départementale29. En 1964, un accord est conclu entre la SFIO, le PSU et le PCF pour une candidature unique et un appel commun en vue du second tour des élections cantonales30. Le bureau du Conseil général est composé des représentants des trois partis.

  • 31 Centre d’histoire du travail, PRI 20, document PSU, septembre 1966.
  • 32 OURS, Fonds FGDS, 2 APO 6, lettres du 4 octobre 1967.
  • 33 Le PSU maintient principalement une activité militante dans les Basses-Alpes, devenues Alpes de Ha (...)

18En 1967, un modus vivendi permet au PSU de présenter un candidat dans la 1re circonscription, tandis qu’il n’oppose pas de candidat à André Chandernagor, député sortant SFIO, dans la seconde31. Pierre Ferrand, pourtant conseiller général dans la 2e circonscription, est donc candidat dans la 1re, où il dispose, il est vrai, d’une certaine renommée en tant qu’ancien député de la Creuse et chef de service à l’hôpital de Guéret. Le rapprochement entre PSU et FGDS s’accentue au cours de l’année. Le 4 octobre 1967, les quatre conseillers généraux PSU de la Creuse demandent leur intégration à la FGDS en adressant un courrier à la direction nationale de l’organisation. Chacune des lettres est libellée de la manière suivante : « Je soussigné [X], conseiller général de [L.], demande mon adhésion à titre personnel au sein de la FGDS (en qualité d’adhésion individuelle) et mon inscription au groupe FGDS du Conseil général de la Creuse32. » Cet acte est sans doute facilité par la défaite des unitaires au congrès national du PSU. Dans la Creuse, où cette ligne politique constitue un fil rouge dans la carrière des élus PSU, la volonté unitaire l’emporte sur l’appartenance partisane. Dans les Basses-Alpes, le conseiller général Guy Reymond, qui avait porté les couleurs du PSU lors des élections législatives de 1962, refuse de faire acte de candidature lors du renouvellement de 1967, ce que déplore vivement la direction du parti. Guy Reymond appartient à la majorité socialiste au Conseil général des Basses-Alpes. En 1971, l’ancien secrétaire fédéral du PSU, Fernand Tardy, est suppléant du sénateur socialiste sortant Maxime Javelly. Le PSU est alors devenu quasiment inexistant dans les deux départements considérés33. Les scissions des années cinquante et soixante font place au rassemblement des socialistes, renforcé de quelques éléments venus du radicalisme.

  • 34 C’est le cas du Lot-et-Garonne où les deux conseillers généraux PSU rejoignent eux aussi la FGDS e (...)

19Le PSU n’a plus de rôle à jouer dans ces territoires, où il semble avoir eu pour vocation d’offrir aux hommes de la gauche non communiste en rupture de ban une structure d’accueil. Les évolutions de la SFIO durant les années soixante permettent la réunion au sein de la vieille maison des héritiers de la tradition républicaine en milieu rural, anciens radicaux-socialistes compris. L’observation du PSU dans ces deux départements montre donc son ancrage dans une gauche classique et l’importance de la mue qui s’opère durant les années soixante. Malgré une concurrence initiale, les relations du PSU avec les autres forces de gauche apparaissent empreintes d’une certaine cordialité, entretenue grâce à trois lieux de rencontre où les militants des différents partis travaillent ensemble : le Conseil général, le syndicalisme agricole et la sphère laïque. Cette proximité explique l’intégration des représentants du PSU dans une gauche rassemblée. Les phénomènes décrits, observables dans d’autres espaces34, suggèrent une réévaluation du rôle de la FGDS dans la structuration de la gauche et invitent à préciser la chronologie de la refondation du socialisme français, qui couvre une large séquence, de 1967 à 1974.

Notes

1 Ce travail est fondé sur les rapports préfectoraux, la presse militante et les professions de foi des candidats du PSU aux différentes élections (municipales, cantonales et législatives).

2 AD Creuse, 976 W 648, rapport du préfet de la Creuse, 2 décembre 1958.

3 Centre d’archives socialistes, correspondances fédérales, lettre de Claude Delorme, 6 juin 1959.

4 Centre d’archives socialistes, correspondances fédérales, lettre de Jacques Favier, 4 juin 1959.

5 Archives nationales, fonds Naegelen, 518 AP 6 (« Basses-Alpes, 1951-1958 »).

6 Émile Aubert adhère à la CIR en 1964.

7 L’absence d’archives fédérales ne permet pas une restitution précise de la vie militante locale, mais les indications contenues dans la presse interne montrent le peu d’activités déployées par les sections creusoises et bas-alpines.

8 Centre d’histoire du travail, PSU 26, fédérations et sections.

9 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, janvier-février 1964.

10 Centre d’histoire du travail, PRI 20, document PSU, septembre 1966.

11 L’Avenir. Organe régional bimestriel Cantal-Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), puis L’Avenir pour l’unité et le renouveau de la gauche (à partir de 1967). Le Cantal disparaît assez rapidement des colonnes de cette publication.

12 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.

13 AD Alpes de Haute-Provence, 34 W 15, syndicats agricoles Digne et Barcelonnette 1940-1964.

14 Ces cinq élus sont Guy Reymond dans les Basses-Alpes (canton de Volonne) et quatre conseillers généraux de la Creuse (Serge Cléret, canton d’Évaux-les-Bains, Pierre Ferrand, canton de Royère, Marcel Maginier, canton de La Courtine et Jean Monteiller, canton de Châtelus-Malvaleix).

15 En 1970, 11 conseillers généraux des Basses-Alpes ne résident pas dans leur canton d’élection.

16 Centre des Archives Contemporaines, 0019780654, article 72 : tableau des conseillers généraux, 1958 (Ain à Finistère).

17 AD Creuse, Fonds Chandernagor, 69 J.

18 La Voie socialiste, octobre 1962.

19 La Voie socialiste, novembre 1962.

20 L’Avenir. Organe régional bimestriel Cantal-Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, avril 1966.

21 L’Avenir pour l’unité et le renouveau de la gauche, octobre 1967.

22 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, mai 1964.

23 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 26 mai 1964.

24 Constans P., Un siècle de franc-maçonnerie dans les Basses-Alpes 1870-1970, université Aix-Marseille-I, mémoire de maîtrise réalisé sous la direction de Jean-Marie Guillon, 2004, p. 93-97 ; Robert M., « Évolution politique du Limousin (1945-1973) : de la gauche déchirée à la percée gaulliste », inLenoble J., Robert M., Dunis S., Gendillou J.-P., La gauche au pouvoir depuis un siècle en Limousin, Ethnologia, février 1978, p. 147-170, p. 154.

25 AD Alpes de Haute-Provence, 94 W 16, dossiers individuels des Renseignements Généraux.

26 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.

27 La Voie socialiste, no 2, novembre 1962.

28 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 17 juin 1961.

29 AD Creuse, procès-verbaux des séances du Conseil général, 3 décembre 1962.

30 L’Avenir. Organe régional bimestriel Corrèze-Creuse-Haute-Vienne (PSU), édition de la Creuse, mai 1964.

31 Centre d’histoire du travail, PRI 20, document PSU, septembre 1966.

32 OURS, Fonds FGDS, 2 APO 6, lettres du 4 octobre 1967.

33 Le PSU maintient principalement une activité militante dans les Basses-Alpes, devenues Alpes de Haute-Provence en 1970, et particulièrement autour de Château-Arnoux-Saint-Auban (témoignage de Bernard Vial, ancien militant PSU).

34 C’est le cas du Lot-et-Garonne où les deux conseillers généraux PSU rejoignent eux aussi la FGDS en 1967 (OURS, Fonds FGDS, 2 APO 6, lettre du 17 décembre 1967). Le cas des Ardennes, traité dans ce volume par Gilles Deroche et Didier Bigorgne, présente des similitudes de ce point de vue.

Table des illustrations

Titre Cartes rentrées au PSU, 1960-19708
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