Le PSU dans le mouvement social en Bretagne
p. 93-111
Texte intégral
1Grand vainqueur politique de mai/juin 1968 avec l’UDR, le PSU voit dans les événements de 1968 un acte fondateur, à l’égal, dans les mémoires du parti, de la guerre d’Algérie1. Une affirmation dans un paysage politique français malmené par la contestation qui doit autant à sa réputation de « boîte à idées » d’une gauche en reconstruction, et qui à ce titre attire les intellectuels mais également les jeunes cadres et techniciens modernistes, qu’à son ancrage dans le local ouvrant un espace des possibles à nombre de militants syndicaux, associatifs ou politiques séduits par la pratique de la multi-appartenance. On estime à 43 % la part de nouveaux membres au sein du PSU après les événements2. Dans le cadre breton, ce ralliement est amplifié par la capacité reconnue du PSU à résister à l’attirance du Parti communiste dans une région où les acteurs demeurent largement imperméables à la dialectique marxiste portée par les mouvements trotskystes ou maoïstes3. Cette diversité des approches individuelles rend donc problématique l’étude des interactions entre le PSU et le mouvement social dans une Bretagne secouée par les conflits sociaux dans les années 70 tout en lui conférant une indéniable richesse. Au fil des entretiens collectés – pas spécifiquement sur l’appartenance au PSU mais davantage centrés sur la conflictualité usinière dans les années 684 – les occurrences au PSU s’imposent d’elles-mêmes au sein des histoires de vie. De là une lecture heurtée du phénomène d’appartenance qui masque autant qu’elle dévoile mais qui révèle le caractère incontournable du PSU dans une mémoire des luttes sociales. L’objet de cet article est donc de reprendre ces témoignages épars, fruits de la mémoire des acteurs connus ou inconnus, pour esquisser des régularités faisant sens permettant de saisir l’objet PSU en Bretagne dans sa singularité.
Entrer au PSU : substrat chrétien, diversité et écart générationnel
2Adhérer au PSU ce n’est pas se disposer à intégrer un discours officiel mais de tenter d’inscrire dans les actes les innovations nées du mouvement de mai-juin. De là une pluralité des motivations initiales. À ce titre, l’étude englobe de fait les différentes générations militantes, mais également les accompagnateurs de l’organisation, les « compagnons de route » pour reprendre un vocabulaire communiste, les observateurs voire les opposants. Chacun, à sa manière, amenant un éclairage sur les multiples perceptions de ce parti politique. L’entrée en PSU semble suivre deux chronologies distinctes. Au noyau des premiers militants transfuges de la SFIO et venus du PSA s’ajoutent, aux lendemains des événements, une nouvelle génération elle aussi formée dans les mouvements de jeunesse et dans le syndicalisme. De cette confrontation générationnelle dont il faut se garder d’exagérer les oppositions, demeure une différence notable de positionnement qui se lit dans la menée des conflits sociaux.
Tentative de chronologie
3Il est délicat de tracer une chronologie de l’engagement militant au sein du PSU. Cette difficulté tient à plusieurs éléments. D’une part, la coexistence au sein des sections de deux générations aux attentes et aux histoires très diverses. Ainsi les « anciens » connaissent un itinéraire politique agité né de leur opposition à la guerre d’Algérie mûrie dans les organisations de jeunesse ou syndicales qui les amène à rompre avec la SFIO et à chercher à retrouver, souvent par le biais d’un engagement associatif, une nouvelle identité politique. Celle-ci se construit lentement, ainsi Jean Le Faucheur évoque-t-il rapidement son parcours militant :
« — Vous étiez à la SFIO ?
— Ah non, la SFIO, Guy Mollet, ah non, PSU. J’ai été dans un mouvement familial qui s’appelait le Mouvement populaire des familles, j’ai plus la chronologie exacte, il y a eu une cassure, le MLP, Mouvement de libération du peuple et le Mouvement pour la libération ouvrière. La tendance la plus radicale c’était le MLP, à Saint-Brieuc on était dedans et le MLP s’est retrouvé ensuite à l’union de la gauche socialiste. L’Union de la gauche socialiste a fusionné avec la PSA pour faire le PSU et après le PSU a rejoint le PS en 19735. »
4On le voit le chemin d’accès au PSU est souvent tortueux et ancré dans un cheminement individuel. On retrouve les mêmes attentes chez un autre militant syndical, Henri Didou :
« — Qu’est ce que c’était le PSU à Brest ?
— Peu influent mais intéressant, c’était le fait de quelques intellectuels et de militants ouvriers, cathos, JOC de gauche qui ne se reconnaissaient pas à la SFIO, c’était pas possible, et qui étaient engagés syndicalement. C’était mon cas et celui de pas mal de copains ; on était convaincu qu’il n’y avait pas de solutions juste syndicales, qu’il fallait un renouveau politique et quand il y a eu le PS, on a favorisé, nous, la création du PS6. »
5D’autre part, les événements de mai/juin 1968 apportent une nouvelle vague d’adhérents. Pour ces nouveaux militants issus du mouvement social les motivations d’adhésion sont diverses, mais pour tous il s’agit d’appliquer dans les faits les idées nées de des événements et au premier chef l’autogestion. Dans ce cadre, la volonté d’entrée au PSU découle pour certains d’une adhésion aux débats nationaux. Ainsi pour ML et RL7 la manifestation du stade Charléty le 27 mai 1968 – largement médiatisée – apparaît comme fondatrice de leur engagement autour de la personne de Pierre Mendés France avec la conscience que le syndicalisme ne suffit plus et qu’il faut aller plus loin pour développer les idées de mai. L’adhésion au PSU est donc souvent une volonté de combler le vide ressenti aux lendemains des événements et à l’absence de partis politiques capables de traduire en acte et en idée les modalités de l’action collective accomplis sur le terrain. Pour d’autres, l’importance des relations humaines est essentielle ; ainsi AC fédérateur de la grève à la CSF-Thomson de Brest entraîne, à partir d’un commun engagement syndical CFDT, nombre de ces acteurs au sein de l’organisation politique sans qu’il y ait de leur part de véritables motivations idéologiques8. La politisation du bureau syndical y est sensible dès 1969 avec une forte composante PSU qui domine des adhérents socialistes et udébistes. Cette politisation des militants syndicaux ne doit semble-t-il rien au hasard, c’est à leur initiative au terme de « réunions informelles » réunissant les grévistes les plus impliqués dans le mouvement que les représentants des partis sont invités dans l’usine pour présenter leurs positions. Scène étonnante mais crédible tant ces derniers étaient attentifs au recrutement de militants d’usine qui plus est déjà structurés. Il semble bien que ce soit autour de la charnière 1969-1971 que l’on assiste à l’émergence de cette nouvelle génération née de 1968. C’est en 1969 que la section PSU de la CSF commence à se mettre en place avec immédiatement de nombreux adhérents. En revanche, les entretiens issus des conflits antérieurs (Joint Français, Pédernec, Plogoff) laissent peu de place au PSU entérinant l’image d’une brusque affirmation sur le terrain dans le temps court des événements.
6Si les oppositions générationnelles sont estompées par les acteurs trente ans après, des mises en cause perdurent. Elles sont le fait des anciens militants entrés au PSU pendant la guerre d’Algérie et qui considèrent les nouveaux militants comme des gauchistes sans véritable projet politique alors qu’eux-mêmes ont quitté, parfois avec violence, la SFIO et vont tout naturellement rejoindre le PS dans la foulée de Michel Rocard en 1974. Ces anciens sont particulièrement hostiles à l’extrême gauche dans son ensemble ce qui se ressent dans leur appréciation de ces nouveaux militants naturellement plus proches des idéaux véhiculés par les organisations d’extrême gauche dans les années 1968 :
« Ces types-là avaient une autre culture et une autre approche des problèmes. Moi j’étais un produit traditionnel et classique et çà n’a rien de restrictif. C’est sûr que çà bousculait complètement mais on était réceptif complètement même s’il y avait certaines réticences avec certains, pas à cause de la CSF mais parce qu’ils faisaient du gauchisme ; moi aussi j’avais été adhérent au PSU après la guerre d’Algérie, mais c’était le débat normal. On n’a pas fait, nous, de chasse aux gauchistes contrairement à d’autres régions de France. Par contre à la Thomson certains avaient un complexe de supériorité et ils l’ont gardé, je ne sais pas pourquoi9. »
7En retour les nouveaux militants acceptent difficilement le poids des anciens d’autant plus que ces derniers disposent de postes élevés dans l’appareil syndical notamment CFDT, fer de lance du mouvement social dans les années 1968. De là des escarmouches au sein des sections entre les différentes cultures revendicatives qui s’y expriment mais qui débouchent semble-t-il rarement sur des conflits ouverts.
La complexité de la multi-appartenance
8Au travers de ces quelques parcours individuels est mise en évidence la coexistence de trois pôles de militantisme : le parti, le syndicat, l’association. L’une des difficultés majeures pour cerner le profil du militant PSU est précisément liée à cette multi-appartenance acceptée par le PSU lequel ne répugne pas à favoriser l’entrisme les cas échéants. De ce fait les militants du PSU n’abandonnent pas leurs engagements antérieurs pour l’action politique comme cela est le cas quand ils rejoignent les groupes d’extrême gauche. Au contraire ils accumulent les engagements y trouvant une complémentarité dans une période où les attentes et les demandes sont multiples. Ainsi PR, ouvrier ajusteur à la CSF Brest et initialement militant à l’ACO :
« — À quoi était liée l’ACO ?
— Elle se trouvait plutôt dans les quartiers, j’ai commencé l’ACO adulte à Recouvrance après mon service militaire vers 62, à 22/23 ans. On est venu me chercher en me disant la JOC c’est bien mais maintenant c’est autre chose et puis ma foi c’était ma conviction aussi alors je m’y suis retrouvé.
— Quelle conviction ?
— Oh, je pense que c’était avoir un monde plus juste avec plus de respect des gens. À mon avis c’était l’essentiel de cette action, c’était très présent ; il y avait des gens qui se sont affiliés à la section comme GL qui n’étaient pas du tout sous cette influence-là, mais il y avait des gens sous cette influence-là à l’époque. Après j’ai retrouvé l’ACO dans la ZUP là seulement on était très vite écrasé par les responsabilités que l’on vous demandait de prendre. Je me suis retrouvé dans les associations familiales, je me suis retrouvé à la CFDT et puis au PSU et donc à partir du moment où j’ai eu plusieurs responsabilités au niveau du syndicat, hé bien, j’ai arrêté de m’occuper de la Confédération syndicale des familles. Il y avait en plus de cela les comités de parents d’élèves et comme les ACO nous invitaient à prendre des responsabilités dans toutes les structures pour faire bouger les choses10… »
9On retrouve donc des convergences dans ces multi-appartenances. Pour certains militants PSU, l’adhésion au parti entre naturellement en résonance avec une forme de militantisme mûri au sein des mouvements d’action catholique qui à l’exemple de la JAC pousse les jeunes militants à prendre des responsabilités. C’est dans ce cadre qu’ils investissent le champ politique au sein du PSU perçu comme plus accommodant avec les enseignements d’une Église militante que les formations d’extrême gauche ouvertement athéistes. Ainsi ML et RL anciens jocistes qui avaient pris un recul certain avec la pratique religieuse s’engagent-ils au PSU en 1969 puis entre à l’ACO en 1971 alors que l’on assiste à un regain d’adhésion en direction des associations catholiques (notamment le MRJC). Ils y militent deux ans tout en travaillant avec d’autres militants PSU au sein des groupes Témoignage Chrétien11. Pour d’autres, par contre, la rupture avec l’Église est ferme et durable. Le retrait des enfants de l’école privée est alors un acte fort et revendiqué comme tel.
10Des multi-appartenances qui posent cependant problème dans la confrontation avec l’action syndicale. Pour certains militants, mandats politiques et mandats syndicaux sont incompatibles, ainsi JG12 abandonne son mandat syndical à la CFDT et adhère au PS pour devenir conseiller municipal de Saint-Renan à proximité de son usine, ce faisant, il souligne spontanément son refus d’intégrer le PSU marque de la prégnance de cette organisation sur les consciences collectives. Pour d’autre l’engagement politique ne saurait primer sur l’engagement syndical autrement plus important même si la double appartenance est vécue sans aménité de leur part qu’elle soit au PSU – massivement – au PS voire dans les organisations maoïstes.
Un substrat chrétien porteur d’imaginaires
11Le succès même du PSU lui attire des jalousies et des critiques d’autant plus quand ses militants disposent de par leur nombre d’une majorité incontournable au sein des instances comme c’est le cas à l’usine CSF de Brest. De là l’émergence de critiques qui visent principalement une apparente communauté d’origine.
« Les sections CGT et CFTC de l’usine étaient animées par un petit groupe de jocistes très influents dans lequel je ne m’impliquais pas. Cette section était très influencée par le PSU dominé à Brest par les chrétiens progressistes, d’ailleurs il était courant de dire que la JOC menait au PSU. À ces derniers s’opposaient les neutres, les laïques qui refusaient cet aspect dominateur, cette volonté de créer des réseaux s’opposant à l’esprit critique13. »
12Trente ans après, cette formulation lapidaire née d’une expérience forte de militantisme à la CSF de Brest dessine les représentations d’un PSU pré 68 de la part d’un militant syndicaliste et régionaliste. L’influence de la JOC ou de la JAC et plus largement le contenu chrétien progressiste qui caractérise le discours PSU en Bretagne semble tellement évident qu’il ne nécessite, de la part du témoin interrogé, aucune explicitation préalable. De là la dénonciation d’une manipulation – ancrée dans une confrontation tendue au sein d’une section d’entreprise aux lendemains des événements – fondée sur une unicité des parcours partisans issus de la démocratie chrétienne s’opposant « naturellement » aux laïcs. À cette aune, le PSU apparaît comme une officine liant entre eux des réseaux nombreux et complexes d’autant plus fantasmés qu’ils apparaissent cachés. Un parti original certes, mais surtout une minorité agissante porteuse d’idées largement utopiques qu’elle instille au sein des conflits. D’où des questionnements redondants, trente ans après, quant à l’irruption de problématiques politiques au sein des luttes sociales au début des événements de mai/juin 1968. Ainsi le mot d’ordre autogestionnaire largement ignoré des militants syndicaux plus orientés vers les salaires et les conditions de travail et mis en œuvre notamment à la CSF Thomson de Brest au cours des événements est-il attribué au « côté sous-marin14 » du PSU impliquant ainsi une action souterraine voire sectaire accordant à l’organisation une importance bien supérieure à son audience réelle.
13Pour autant le substrat chrétien est pour beaucoup une réalité prégnante et c’est parfois par le biais des multiples associations d’Action catholique très dynamiques que se construisent des itinéraires militants dessinant ainsi des réseaux de sociabilité entre l’usine, l’association et l’action politique.
« — Comment se sont faits ces contacts ?
— Il faut savoir qu’à l’époque il y avait quand même l’Église qui jouait un rôle important même si AC s’était dégagé du milieu ACO, je pense qu’il a quand même touché à la JOC ou à la JEC, même s’il n’a pas repris au niveau de l’ACO.
— Vous y étiez ?
— Oui, j’y étais, et donc il était connu des curés et petit à petit on est rentré en communication comme cela et à l’usine on s’est retrouvé, on s’est retrouvé au PSU après avec J. Nous étions plusieurs au PSU, mais disons qu’il y a eu à travers les curés de l’ACO des portes qui se sont ouvertes, qui ont favorisé certaines rencontres15. »
14Mais si l’appartenance chrétienne des militants PSU apparaît fondée au fil des histoires de vie, le militantisme PSU ne saurait se réduire à cette stricte appartenance chrétienne sociale issue des mouvements de jeunesse. Il est ainsi à noter au cours des entretiens que la reconstruction de leurs parcours militants par certains acteurs syndicaux, marqués notamment par le militantisme dans des organisations d’extrême gauche aux références nettement marxisantes, tend à estomper l’importance d’un substrat initial chrétien social. De plus nombre de témoins insistent sur l’importance des effectifs laïques – notamment les instituteurs – qui composaient à Brest plus de la moitié des effectifs et qui jouent à ce titre un rôle majeur dans l’animation des sections PSU. De là des confrontations – encore peu interrogées – entre laïques et catholiques sociaux au sein des sections où les idéaux chrétiens se fondent avec les idéaux laïques autour d’une commune volonté de transformation sociale.
Agir : réflexion et action
15L’action revendicative est l’ensemble des actions menées par les acteurs du mouvement social afin de faire progresser et d’approfondir leurs idées. En ce sens l’action revendicative s’exprime bien sûr par la grève et son soutien mais également par toutes les autres formes de militantisme. Il s’agit ici de souligner la multiplicité des formes que prend le militantisme au sein du PSU pour les acteurs du mouvement social. Souvent novices en termes d’engagement, ceux-ci vont être particulièrement sensibles aux apports théoriques du PSU pour problématiser leur engagement qu’ils traduisent ensuite sur le terrain en terme syndical.
L’importance des apports théoriques : le PSU et l’autogestion
16Trente ans après, nombre d’anciens militants évoquent l’utopie dont était porteur le PSU. Terme semble-t-il péjoratif à l’heure du réalisme froid de cette aube du XXIe siècle mais qui dans les entretiens semblent échapper à cette appréciation trop rude pour recouvrir la force d’un engagement passé. C’est bien à partir de ses multiples apports théoriques que le PSU s’impose auprès des militants du mouvement social. En traduisant en parole les attentes formulées, parfois grossièrement, par les acteurs au cours des événements, le PSU fournit des outils d’intelligibilité qui permettent des avancées individuelles durables dans le cadre du travail comme dans le cadre privé. L’habitude de lire, la confrontation avec une pensée conceptualisée sont parmi d’autres des acquis fondamentaux pour nombre de témoins qui leur permet de formaliser cette « rupture d’allégeance16 » qui semble bien être la marque de la pensée contestataire de la période.
17Au premier rang de ces apports théoriques à la compréhension et à la construction des luttes sociales s’affirme la notion d’autogestion qui demeure, encore aujourd’hui, une référence forte pour les témoins de la période en ce qu’elle permet de réunir les aspirations à la liberté dans l’entreprise issue de la CFDT et la demande d’autonomie au sein des régions qui s’affirme au cours des années 1970. Dès 1966, aux rencontres socialistes de Saint-Brieuc, l’autogestion démocratique est présentée comme le moyen d’assurer une renaissance des régions17. En mars 1973, Yves Le Foll, maire de Saint-Brieuc, dans sa profession de foi, allie autogestion et planification démocratique chargées de supprimer les inégalités sociales et régionales18. Un thème qui n’est abordé que lors des réunions du PSU ; de là sans doute la surprise des militants de voir la CFDT lancer un mot d’ordre autogestionnaire le 20 mai 1968 alors que ce concept est très peu étudié dans les sections syndicales. Forgée au sein des réunions militantes, l’idée autogestionnaire est fréquemment abordée auprès de militants par ailleurs peu à l’aise avec la presse militante. Reste que cette idée trouve un débouché pratique au cours du mouvement.
« — Quelles étaient les idées du PSU qui vous ont marqué ?
— Bien, il y avait l’autogestion, petit à petit je m’y suis mis, au PSU on parlait souvent de la Yougoslavie, c’était une référence, il y avait aussi mise en place des comités de soldats ; on avait des réunions, il y avait la Marine à Brest et puis on allait distribuer des papiers de bonne heure le matin à l’entrée de l’Arsenal, on avait des copains de l’Arsenal, bon, ils se sont fait choper, on avait des revendications bien précises, on s’était fait coffrer une fois avec Messmer qui était venu à Brest et on était au port de commerce pour distribuer des papiers. Et puis il y a un gars j’étais à l’école avec lui qui m’appelle, hé ! B. donne-moi un papier, donc ! alors moi je lui donne un papier gentiment et on s’est fait tous embarqués au commissariat, Messmer était venu à Brest et il y avait des RG partout, çà avait dérouillé sec, çà avait bardé. Il y avait le Joint aussi donc on était à l’initiative avec les copains du PSU du ramassage des produits dans les fermes pour les envoyer là-bas. Alors on m’avait prêté une camionnette comme j’avais l’habitude de conduire puisque j’avais travaillé chez Richoud, on est parti dans les fermes, on a récupéré des sacs de pomme de terre, des kilos de cochon, on en avait plein la camionnette, c’était donné gratis, on avait fait une distribution de tracts auparavant et donc on allait dans les fermes et on savait que dans telle ou telle ferme, on aurait quelque chose, c’était envoyé à Saint-Brieuc avec un gars qu’était étudiant. Y’a eu çà et puis il y a eu LIP aussi, on s’est beaucoup investi dans LIP, c’était l’autogestion, prolonger le syndical par l’action politique, un peu changer la société19. »
18On le voit la réflexion politique autour de l’autogestion est prolongée sur le terrain par ces militants avides d’actions revendicatives. Pour nombre d’entre eux, l’attachement au PSU se formalise également par l’assistance à des réunions, par la pratique du débat avec des interlocuteurs venus d’ailleurs. De là, la pratique d’une réflexion politique autour des idées de mai/juin 1968 que les témoins ne cessent d’interroger.
« — Est-ce qu’il y a eu un esprit de 68 ?
ML : — Oui, au niveau des idées, on a repris les mêmes idées au sein du PSU maintenant est-ce que nous on a changé ? Je ne sais pas, bon, on est moins utopique.
RL : — Le problème en ce moment c’est de se situer par rapport aux différents mouvements politiques parce qu’il n’y a plus rien qui corresponde à nos idées, on n’est pas bien, on n’est pas bien dans notre peau.
ML : — C’est pas qu’il y a plus rien, moi, il y a quelque chose que j’aimerais bien c’est les clubs par exemple, c’est quelque chose que j’aimerais bien parce que je n’ai plus envie de m’investir en tant que politique dans la vie locale, en tant que conseillère municipale ou un truc comme çà, par contre j’aimerais bien retrouver un groupe de réflexion politique20. »
19Trente ans après, l’apport du PSU à une réflexion personnelle des militants reste l’élément le plus valorisé au point que si les projets ultérieurs de participation politique restent lettre morte portés par le désaveu croissant de la classe politique après le tournant de la rigueur en 1982, l’attente pour des lieux de discussion politique reste toujours aussi vivace.
Pratiques de la lutte revendicative : un parti fédérateur au cœur des interrelations
20Pour ces nouveaux militants, l’action et la réflexion vont de pair. De là un activisme sur le terrain qu’essaie d’accompagner le PSU d’abord en s’organisant au niveau des structures. La mise en place d’un PSU-Bretagne permet de valider des mots d’ordre plus proches des conflits qui se multiplient durant la période et dont sont partie prenante nombre de militants d’usine.
21Les formes d’action sont diverses. La plus courante est le tractage qui permet aux militants de se confronter à d’autres acteurs d’horizons très divers et d’affûter les argumentaires esquissés lors des réunions au cours desquelles est décryptée la presse du PSU. La participation aux comités de soutien qui fleurissent dans l’après 68 est également une action forte des militants du PSU. Souvent à l’origine des comités, le PSU s’accorde volontiers avec toute organisation. Ainsi le conflit du Joint Français voit de nombreux militants s’engager dans le soutien notamment alimentaire en lien avec les militants paysans. Les interrelations sont là essentielles, une distribution de tracts avise les agriculteurs du passage d’un camion de collectage et ce sont les militants paysans du PSU qui sont souvent les plus sûrs fournisseurs de denrées faisant profiter la collecte de leur propre influence au sein du village. De leur côté, militants PSU de la CSF interviennent ensemble dans les différentes campagnes électorales. Ainsi lors de la campagne des cantonales, ce sont trente militants de l’usine qui assurent le tractage et la présence militante à Saint-Renan, ce sont les mêmes qui s’opposent à l’éviction d’un fermier à Plouzané. On voit là une adéquation entre luttes politiques et luttes d’usines. Cet épisode met également en évidence une attitude courante du PSU, parfois à l’initiative mais souvent suiviste à l’égard des initiatives individuelles comme les organisations trotskystes alors que les maoïstes restent très fermes sur le contrôle de leurs militants.
« Le PSU fédérait pas mal de choses, les autres extrême gauche, ils passaient leurs tracts, c’était l’Humanité Rouge, il y avait un agriculteur qu’était au PSU et qu’est parti là-dedans, il est dans l’Aveyron maintenant, et puis il y avait aussi des frictions sérieuses avec le PC parce que le PC n’aimait pas le PSU, il y avait un groupe PSU ici, il y avait un groupe PSU à l’Arsenal et autrement, le PS, on avait très peu de relations avec eux21. »
22L’influence du PSU se fait également sentir au sein de luttes d’usine immédiatement après les événements quand des militants politiques sont déjà sur place. Ainsi à la CSF Brest, l’affirmation d’un important courant PSU au sein de la section syndicale entraîne une nette politisation des revendications, ces militants publient ainsi un journal interne Le pen baz qui popularise les idées du PSU. La section d’usine de la CSF est relativement importante surtout elle réunit les leaders de la contestation. De ce fait elle a un poids et une visibilité sans commune mesure avec son importance numérique ce qui se fait sentir au sein de l’usine, mais également au sein de la section syndicale CFDT de Brest où leur activisme et leur nombre bouscule les militants de l’arsenal plus traditionnels. Dans l’usine même, une fracture menace la cohésion du bureau syndical au sein duquel les opposants qu’ils soient udébistes ou socialistes sont systématiquement mis en minorité par la majorité PSU, situation délicate au moment où les conflits d’usine se radicalisent ce qui oblige le leader syndical – AC – à atténuer l’effet de groupe afin de sauver l’idéal autogestionnaire au sein de l’usine. Cela n’empêche pas les militants PSU de déclencher une grève en 1969 en dehors de l’approbation syndicale, grève dure qui se solde par un échec, marquant ainsi les limites d’un discours volontariste au moment même où le patronat comme l’État entame une reprise en main de la contestation sociale.
Le Joint Français : une lutte du PSU ?
23Le conflit du Joint français apparaît comme le conflit PSU par excellence, d’une part parce qu’il intervient en 1972 alors que les outils dont disposent le parti dans la région sont en place et efficients au travers d’une réorganisation des structures militantes et de la présence d’une presse spécifiques comme Combat socialiste l’organe du PSU des Côtes-du-Nord qui développent un argumentaire fort efficace, mais également par le fait que Saint-Brieuc est historiquement un point d’appui pour le PSU en Bretagne avec une mairie acquise de longue date. Sans revenir sur les détails du conflit, il est intéressant d’interroger l’influence du PSU dans son déroulement. Or c’est bien aux discours véhiculés que l’historien tend à s’intéresser devant l’incertitude d’une action spécifique de tel ou tel acteur PSU.
24Un discours qui se construit en lien étroit avec le déroulement de la grève. Dès le 4 mars, le PSU de Côtes-du-Nord appelle à la solidarité financière22. Cet appel est renouvelé, dès le 18 mars, avec l’entrée en grève illimitée. Les revendications mises en avant par les ouvriers du Joint sont essentiellement les demandes d’augmentation de salaire appuyées sur les différences de traitement entre Paris et Saint-Brieuc et les directions « boîte aux lettres ». La référence immédiate aux conflits antérieurs ne distingue alors pas, dans la presse du PSU, le conflit du Joint Français d’une représentation classique d’un conflit social. Lors du meeting du 7 avril, Jean Le Faucheur, meneur de la grève, harangue la foule du balcon de l’hôtel de ville. Le député maire Yves le Foll intervient, lui, régulièrement pour dénoncer les conditions d’installation de l’usine du Joint Français notamment dans Le Combat Socialiste23, utilisant une dialectique régionale et autogestionnaire qui l’amène à condamner les positions anti-gauchistes de la CGT et du PCF.
25Un discours offensif et régional qui est alors relayé au niveau local tant par la mairie PSU que par l’Église catholique, les deux pôles institutionnels de la contestation, marquant ainsi une unification des représentations du conflit au-delà des divergences théoriques, il est vrai estompées en Bretagne et notamment à Saint-Brieuc où les liens entre catholiques de gauche, laïques et communistes sont monnaie courante à défaut d’être totalement acceptés. Ses multiples interventions vont amener le PSU à insister sur la dimension politique du conflit du Joint au travers d’une remise en cause du processus d’industrialisation à l’œuvre en Bretagne et ainsi participer à la régionalisation du discours sur le conflit du Joint Français24.
26Le message est ainsi abondamment repris par la section départementale du PSU qui s’appuie alors sur les prises de position de Michel Rocard25. Dans Combat socialiste, les militants développent une idéologie régionaliste à partir du conflit en reprenant nombre d’éléments issus des mouvements strictement régionalistes. Cette interprétation qui confronte inégalité régionale et toute puissance patronale trouve son expression au sein des comités de soutien ou des sections d’entreprise qui font part de leur solidarité aux grévistes du Joint. Les représentations régionalistes y sont omniprésentes et si beaucoup d’entre elles insistent sur les différences de salaire entre Paris et la province, c’est bien la politique d’industrialisation de la Bretagne qui est mise en cause. La notion de « prise de conscience » des travailleurs bretons contre l’exploitation et l’aliénation dont ils sont l’objet s’affirme alors progressivement dans les colonnes de l’hebdomadaire du PSU des Côtes-du-Nord à partir du 25 mars. La participation des conseillers municipaux aux quêtes est soulignée, marque des divergences au sein du PSU local entre une branche gestionnaire, les conseillers municipaux, partisans d’une participation limitée au soutien et une branche militante, représentée par les maoïstes de L’humanité rouge, partisans d’une intervention directe26. À partir du 15 avril, le soutien est analysé en tant que tel, et indépendamment de la lutte, d’où des croisements à l’intérieur de la ligne éditoriale entre la défense des travailleurs et l’extension régionale.
27Dans cette course à la politisation du conflit, la dialectique proprement régionaliste rencontre la dialectique gauchiste qui est, elle, à portée universaliste. Ces deux discours semblent opposer deux perceptions du combat du Joint appelées à faire fortune : une vision proprement régionaliste appuyée sur l’histoire récente et qui défend l’idée d’une Bretagne laissée-pour-compte de la France centralisée et une vision d’extrême gauche qui, à partir de l’exemple local du Joint, veut généraliser les problèmes à l’ensemble de la classe ouvrière. Ces deux approches, si différentes dans leur conception, vont cependant cohabiter, voire se confondre, dans le discours anti-CGE qui se développe à la fin du conflit et s’épanouit dans les commentaires postérieurs. Cette confusion des discours se traduit par la généralisation du terme de « colonisation » dans les différentes analyses portées sur le conflit en cours, reliées, sur le mode incantatoire, à la notion de « prise de conscience ».
28On le voit dans le cadre de ce conflit social bien particulier, l’action du PSU est multiple. La participation militante au soutien est confortée par une formalisation théorique des débouchés de la lutte par la presse militante – qui reçoit d’ailleurs un écho dans la presse régionale comme nationale – et reçoit une caution politique par l’action de la majorité municipale. Loin de s’isoler des multiples organisations qui irriguent le conflit lui-même, le PSU s’évertue à la synthèse aboutissant in fine à la formalisation d’un mot d’ordre régionaliste encore inédit.
La confrontation avec les autres formes de militantisme
29Au sein des conflits d’usines ou plus largement des conflits sociaux, les militants PSU sont en contact souvent étroit avec les militants d’autres organisations. Si on retrouve les gauchistes essentiellement les maoïstes de L’Humanité Rouge et les trotskystes de la Ligue communiste, c’est bien avec l’UDB que les interactions sont les plus fortes mais également les plus tendues.
30L’opposition de nombreux acteurs aux formations d’extrême gauche est liée souvent à des conflits de méthode. Les mao « spontex » de L’Humanité Rouge, dont certains dénoncent l’entrisme au sein de la CFDT, sont les principales victimes de ce rejet bien plus que les trotskystes : l’absence de débats d’idées, dimension fondamentale nous l’avons vu pour des militants syndicaux entrant en politique, le poids d’une organisation révolutionnaire exigeant des cotisations importantes, l’exigence d’un investissement individuel total, autant d’éléments qui éloignent durablement les militants d’usine de l’extrémisme révolutionnaire et de fait ces derniers vont surtout recruter chez les étudiants et les lycéens. Il n’en reste pas moins que ce sont les militants PSU qui assurent les contacts avec des organisations que leur activisme sur le terrain rend incontournables tant en terme d’organisation du soutien que de popularisation de la lutte. D’autre part, des relations se construisent avec des militants trotskystes de la Ligue communiste, des réseaux de sympathie qui entrent dans le cadre de cette multi-appartenance et qui permettent à certains militants ouvriers du PSU de s’affirmer comme révolutionnaires à l’issue des tractages communs à l’entrée de l’arsenal de Brest.
31Mais c’est bien avec l’UDB que la concurrence semble la plus vive au sein des usines autour des thèmes de l’autogestion et de l’autonomie régionale. À ce titre la brochure de l’UDB Bretagne = colonie a fortement marqué les militants ouvriers aux lendemains des événements de 68. Si les idées décentralisatrices du PSU rencontrent une appréciation favorable de la part des militants udébistes, les réserves du PSU sur l’autonomie de la Bretagne exhalent pour ces derniers des relents de jacobinisme. Pour les militants PSU c’est bien la revendication d’autonomie qui est la pierre d’achoppement, considérée comme trop réductrice. Alors que l’Europe des régions n’est pas encore ancrée dans les esprits, cette revendication est largement assimilée à un repli sur soi. D’où des regrets au terme des années de militantisme qui voit certains revenir sur leur engagement passé comme ce paysan du CDJA, sympathisant PSU, qui déplore après coup le déficit d’investissement du PSU sur des questions régionales malgré les prises de position du colloque de Saint-Brieuc.
32Le PSU est – avec la ligue communiste – le principal agent de constitution des comités de soutien qui se multiplient en marge des conflits sociaux dans les années 68. Ces comités de soutien permettent aux militants du PSU d’apparaître comme des fédérateurs entre les différents groupuscules qui participent au mouvement social. On le voit ainsi organiser les comités de soutien au Joint Français dans toute la Bretagne sans exclusive au contraire du PCF. À Quimper, le « Comité populaire de soutien aux travailleurs du Joint Français » qui se met en place le 10 avril sur l’initiative du Parti socialiste et du PSU, réunit tout ce que la ville connaît d’organisations politiques ou syndicales27, hors les groupes d’extrême gauche, et les mouvements d’action catholique, à l’exception de la JOC. Au fil du temps, on discerne cependant les évolutions doctrinales du PSU en lien avec les mutations identitaires. Ainsi les conflits des années 1974-1976 – établissements Garnier à Redon en 1974, chantier naval SICCNA de Saint-Malo en 1975-1976 – voient se mettre en place des comités de soutien quasi essentiellement liés au mouvement breton avec la participation du Comité d’action pour la Bretagne, le Parti communiste breton, de Strollad Ar Vro, de SAV Breizh ou de Skol an Emsav au côté du PSU. Mais celui-ci rencontre des difficultés croissantes qui correspondent au début de la baisse de son audience. Ainsi, le 28 septembre 1978, le PSU Bretagne échoue à fédérer les organisations de gauche et d’extrême gauche à l’intérieur d’un collectif antinucléaire de Plogoff du fait de l’opposition du maire du village, Jean-Marie Kerloch. Celui-ci exige que le comité de défense de Plogoff bénéficie d’un droit de veto sur toutes les décisions. Surtout il exclut la participation de tout mouvement politique. De ce fait, l’initiative de la contestation appartient au comité de défense de la pointe du Raz présidé par le maire, mais aussi aux militants d’Evit Buhez ar C’hap présents sur place rejoignant ainsi une méfiance croissante des militants du mouvement social à l’égard d’un soutien dont la politisation devient de plus en plus envahissante.
33Au final le PSU fournit des apports théoriques à des militants impliqués dans d’autres engagements notamment syndicaux, mais également associatifs et qui recherchent un débouché politique à leurs actions locales. Il s’agit bien là d’un changement d’échelle d’analyse pour ces acteurs qui tentent par le biais du politique de dépasser le cadre du local – l’usine, la ville – pour se projeter au niveau national voire international. Reste que si les luttes d’usine popularisées entre autre par le PSU demeurent un ferment d’appartenance à l’organisation alors que le Joint Français et surtout le conflit LIP restent des références prégnantes trente ans après, les militants ouvriers peinent cependant à partager les finalités révolutionnaires de l’organisation. Préventions qui éclatent au grand jour au moment du départ de Rocard vers le PS en 1974.
Partir : autres horizons et mémoires
34L’ensemble des entretiens marque bien une nette différenciation entre revendications sociales d’une part et aspirations culturelles d’autre part. Cette frontière est d’ailleurs clairement et précocement évoquée par le PSU Bretagne, dès 1973, dans un numéro spécial de Critique socialiste28 qui récuse, au nom des témoignages recueillis parmi les grévistes du Joint, la prise de position d’Alain Guillerm faisant du Joint Français « la première grève nationale bretonne ». Avec le recul, le PSU semble bien s’être fourvoyé en accolant artificiellement deux messages sans lien entre eux : la défense de la démocratie dans l’entreprise, y compris sous la forme de l’autogestion, et la défense d’une autonomie régionale dont la majeure partie des acteurs se désintéresse et qui ne semble concerner que les intellectuels. Ainsi, quand en 1974 les salariés de l’usine Doux de Pédernec évoquent le soutien régionaliste trente ans après, ils évoquent spontanément une « récupération29 », marque de leur méfiance à l’égard d’un message à teneur régionaliste.
35L’une des limites attribuées au PSU est bien la teneur de plus en plus affirmée des débats autour d’idées théoriques de plus en plus abstraites et excluant de fait les militants ouvriers et paysans. Le travail au sein des organisations syndicales ou associatives aboutit souvent à des constats de mésentente d’autant plus que la solidarité des adhérents PSU aboutit parfois à un noyautage de fait, ainsi leur départ précoce du CDJA du Finistère en 1971 du fait d’une incompatibilité programmatique avec les représentants syndicaux. Cette implantation croissante des gauchistes au sein des organisations PSU est le principal motif de prise de distance des militants de 68, le déficit d’analyse des militants révolutionnaires effraye les militants ouvriers qui peinent à reconnaître dans cette phraséologie extrême les attentes qui étaient les leurs au moment de leur adhésion :
« L’autogestion c’était surtout la volonté de changer la société où les travailleurs seraient pris en compte. Je pense que le PSU était beaucoup plus étudiant ; j’avais un engagement précis parce que j’avais envie d’apporter mon appui, je n’avais pas d’engagement personnel, j’avais ma carte du PSU, j’assistais à quelques réunions ; mais je trouvais assez désolant parce qu’en définitive quand on demandait quelque chose, il y avait toujours quelqu’un pour nous dire, ah ! Non, nous autres on veut autre chose et toujours, c’était trop intellectuel30. »
36Ou bien :
« J’aurais été au PSU sans doute, mais le PSU c’est compliqué, parce que ces gens-là, ce sont des gens qui pratiquent la démocratie et qui règlent les problèmes par des votes à quatre heures du matin par deux voix contre une abstention. Non, mais ce sont des gens qui ne sont pas nombreux mais ils aiment çà comme tous les hommes politiques au-delà du raisonnable31. »
37La prise en main des sections PSU, après le départ de Michel Rocard, par des intellectuels, notamment enseignants et cadres moyens de l’administration32, est donc pour beaucoup dans ces départs en direction du Parti socialiste33. Pour certains même, le départ de Michel Rocard en 1974, marque la fin définitive du PSU34. Dans les faits, une première vague de départ a lieu en 1972 au profit des organisations gauchistes, la plus importante reste la fracture de 1974 ; à partir de cette date les départs vont s’amplifier : 1975, 1976, 1978. On peut dire qu’en l’espace de quatre ans le PSU perd l’essentiel de ses militants ouvriers d’abord au sein des usines qui voient fondre les effectifs des sections d’entreprise puis finalement au sein des sections strictement PSU. De quelle manière quitte-t-on le PSU ? C’est parfois à l’occasion de débats contradictoires qui se déroulent mal, c’est souvent l’évocation d’un lent effilochage échappant au questionnement. Dès lors que le réseau d’interrelations s’affaiblit, l’une des motivations premières d’adhésion au PSU disparaît d’où le recours à d’autres formes d’investissements sociaux et culturels qui trouvent une expression durable dans la mouvance antinucléaire. Un départ de la politique qui préfigure pour beaucoup le désengagement syndical lequel s’accélère dans les années 1983-1984 voyant ainsi une génération de 68 quitter les postes à responsabilité au profit d’une nouvelle génération à la culture syndicale beaucoup moins marquée. Pour d’autres, c’est dans un autre engagement politique que se formalise l’abandon du PSU :
« Le PS est arrivé tout naturellement, on sentait çà venir, à Brest, c’est en 77 que çà a basculé, cinq conseillers généraux ont été élu à Gauche. Les gens de gauche qui avaient des convictions laïques même s’ils étaient religieux ; par ailleurs, leur nombre a augmenté considérablement grâce à l’influence du clergé moderne, grâce à la place de plus en plus importante que prenaient les organisations non-communistes de gauche et elles étaient nombreuses. Quasiment tous les types qui ont pris des responsabilités au PS venaient de la CFDT, quasiment tous dans les années 77-81, à Lorient par exemple, mais eux ils avaient un avantage sur nous c’est qu’ils avaient une tradition SFIO comme à Saint-Brieuc, c’était des laïques qui n’étaient pas sous la coupe du PC, c’était la vieille génération qui avait cassé avec la SFIO et qui était entré au PSU35. »
38Si une part importante des militants PSU – et notamment les plus anciens – rejoignent le PS à la fin des années 1968, une frange non négligeable se tourne vers d’autres investissements militants. Pour beaucoup c’est vers le Tiers-monde que se tournent leurs attentes. Des associations tiers-mondistes comme Peuples solidaires ou Terre des hommes enregistrent ainsi de nombreuses arrivées. Ce transfert militant marque bien l’abandon des attentes de transformations politiques des années 68 clairement révolutionnaires pour un retour sur des solidarités internationales en résonance avec la volonté d’autonomie des peuples et la permanence d’un idéal autogestionnaire qui se formalise dans la construction du soutien associatif. Collectage du financement (qui passe ainsi par la récolte et la vente de potimarrons), tractage, interpellation des politiques, autant d’actions qui permettent la perpétuation d’un ancrage militant. Au sein de ces initiatives le lien PSU reste prégnant notamment quand il s’agit de se raccrocher au plan national.
« — Comment êtes-vous entré dans cette mouvance ?
— AC était à Plouzané, il a eu l’idée parce que sa femme était à Terre des hommes, ils ont adopté un enfant par l’intermédiaire de Terre des hommes, un coréen, et ils ont créé un collectif avec les gens de Terre des hommes, il y avait de la brocante et puis cet argent a servi pour faire des actions au Sénégal, le retour dans leur village au Sénégal de gens qui travaillaient chez Renault, au début c’ était çà.
— C’était en quelle année ?
— En 1983 ou 84, et puis après il y avait un copain qui travaillait à l’IFREMER, il avait été au PSU aussi, il était d’origine parisienne, on est tous les deux au conseil national, il est aussi au CE et puis un jour on s’est senti obligé de se rattacher à quelque chose au plan national donc on a demandé à deux copains de venir présenter l’association et c’est RA qui est venu présenter Peuples solidaires et on a adhéré, ils fédèrent une centaine de groupes en France36. »
39D’autres luttes sociétales sont l’objet d’un investissement des anciens militants PSU à la fin des années 1970. On peut ainsi citer l’aide à la réinsertion des anciens taulards par l’association Les chaîne brisées, mais c’est bien au sein de l’écologie politique naissante que se reconnaissent nombre d’anciens militants que l’on va retrouver au sein des Comités locaux d’informations sur le nucléaire (CLIN) lors des conflits antinucléaires bretons qui culminent à Plogoff, recyclant là nombre des idées qu’ils ont défendues au risque de se confronter à une nouvelle génération militante bien éloignée de ces attentes.
« La Ligue était inexistante, l’UDB se rapprochait de ce que l’on pensait, le PSU était d’accord avec nous, mais n’avait pas la même culture. C’est-à-dire, ils ont une culture d’extrême gauche et un respect pour le marxisme qui n’était pas du tout ma position37. »
40On le voit les oppositions sont nombreuses entre militants PSU et les premiers militants écologistes autour des conflits antinucléaires. Pourtant c’est bien l’activisme des CLIN brestois largement irrigués par les militants PSU qui fait échouer le projet de centrale nucléaire à Plomodiern et amène les dirigeants EDF à choisir Plogoff pour son implantation future avec les résultats que l’on connaît.
Conclusion
41Miroir d’une période, le PSU dans son évolution heurtée participe à une chronologisation des années 1968. Les entretiens collectés tracent les contours d’un parti porteur des espoirs nés de 68 et l’utopie, si elle est énoncée comme telle trente ans après, est loin d’avoir perdu tous ses droits. Le PSU a donc bel et bien été fondamental pour tous ces militants de 68 en ce qu’il a accompagné plutôt que déclenché les multiples aspirations sociétales nées des événements. Parti de terrain, il a suivi les volontés militantes en apportant un ancrage institutionnel aux multiples interrelations qui caractérisent la période. L’absence de débouchés politiques à cette contestation participe cependant des regrets redondants des témoins. Il est cependant sûr que le PSU en s’appuyant sur une dynamique ancrée dans le local a, par là même, hypothéqué ses capacités de rayonner au niveau national. Pourtant sa disparition inéluctable après 1974 n’a pas eu de réels effets sur les passions militantes. D’autres enjeux liés au nucléaire, au tiers-mondisme, à l’écologie se sont affirmés pour poursuivre une action militante qui rebondit en terme politique avec les lois Auroux en 1982 avant de s’affaiblir durablement par le tournant de la rigueur qui semble marquer la fin d’un militantisme collectif avant le rebond des années 1990.
Notes de bas de page
1 Fisera Vladimir-Claude, Acteur, animateur et chambre d’écho, le PSU en 1968, Paris, CRHMSS-CEVIPOF, 1988.
2 Depreux Édouard, Servitude et grandeur du PSU, Paris, Syros, 1974, p. 230-231.
3 Kernalegenn Tudi, Drapeaux rouges et Gwenn-ha-du, Rennes, Apogée, 2005, 223 p.
4 Porhel Vincent, Ouvriers bretons. Conflits d’usine, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968, Rennes, PUR, 2008, 325 p.
5 Entretien Jean Le Faucheur, secrétaire départemental CFDT en 1972.
6 Entretien Henri Didou, secrétaire départemental CFDT en 1968.
7 Entretien ML et RL, ouvrier professionnel et agent comptable en 1968.
8 Il n’est pas anodin de constater que c’est le conflit de la CSF-Thomson, usine fabricant des radars, qui donne le plus d’occurrences spontanées au PSU au fil des entretiens pour des raisons qui tiennent à la fonction professionnelle, à l’âge moyen, à l’existence initiale d’une présence PSU et à une forte présence CFDT au sein de l’usine.
9 Entretien Henri Didou.
10 Entretien PR, ouvrier ajusteur.
11 Entretien ML et R.
12 Entretien JG, technicien et délégué syndical CFDT en 1968.
13 Entretien JM, agent technique en 1968.
14 Entretien GL, agent technique en 1968.
15 Entretien PR.
16 Gobille Boris, Mai 68, Paris, éd. La découverte, 2008, 120 p.
17 Arch. Dép. des Côtes d’Armor (ADCA), 146 J 3C1b. Keravel A., Rapport sur les problèmes régionaux, 26-27 novembre 1966.
18 ADCA, 146 J 2. Profession de foi d’Yves Le Foll du 4 mars 1973.
19 Entretien PB, manœuvre en 1968.
20 Entretien ML et RL.
21 Entretien JM.
22 Le Combat Socialiste du 4 mars 1972.
23 Le Combat Socialiste du 15 avril.
24 Pour certains, la municipalité est même le principal outil d’extension régionaliste du conflit avec les paysans, on peut le relativiser au vu des limites de la prise en compte politique du conflit par les acteurs. Quéré L., Dulong R., « Mouvements sociaux en Bretagne », in Sociologie du travail, no 3/74, p. 247-264.
25 Rocard Michel, Décolonisons la province, 1967, synthèse des assises PSU de Saint-Brieuc (26-27 novembre 1966).
26 Politique Hebdo, mai 1972.
27 On y compte en effet outre le PS et le PSU, le PCF, l’UDB, le PR, la CFDT, la CGT, FO, la CFTC, le SGEN, la FEN, la FDSEA, le CDJA, le MODEF, la fédération Cornec, le secours catholique, le secours populaire, l’APF, la FFF, l’UFCS, la JEC, la JOC, la Jeunesse communiste et des représentants étudiants. Arch. de l’UL CFDT de Quimper.
28 Bars J., « Bretagne et autogestion », in Critique socialiste, no 11, janvier-février 1973, p. 41.
29 Entretien CB, OS en 1974.
30 Entretien PR.
31 Entretien RB, ingénieur agronome.
32 Depreux Édouard., op. cit.
33 Entretien PB.
34 C’est notamment la position de Monnier J.-J., Le comportement politique des Bretons, Rennes, Presses Universitaires de Bretagne, 1994, mais aussi de certains militants, Entretien CH, technicien et militant CFDT au CNET de Lannion en 1973-1974.
35 Entretien H. Didou.
36 Entretien PB.
37 Entretien JM, étudiant et militant antinucléaire.
Auteur
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