M^gr Pierre d’Ornellas

1C’est un honneur et une joie pour moi d’ouvrir ce colloque sur un évêque de Rennes, M^gr Yves Mahyeuc, à l’occasion du 500^e anniversaire de son ordination épiscopale. Je suis certain que les compétences réunies pendant ces deux journées et les réflexions échangées contribueront grandement à mieux faire connaître cette belle figure d’évêque en notre ville de Rennes au temps doublement nouveau de la Renaissance et de l’Union d’août-septembre 1532.

2Je tiens à remercier vivement les initiateurs et les organisateurs de ce colloque : les frères dominicains de Rennes, et en particulier le P. Augustin Pic, l’université de Rennes 2, et en particulier M. Georges Provost, ainsi que le diocèse de Rennes, en particulier le P. Bernard Heudré. Mais ce colloque n’aurait pu avoir lieu sans le soutien immédiat et explicite de la Mairie de Rennes, et de vous-même, Monsieur le Maire. Recevez ici toute ma gratitude.

3Il était en effet important de saisir l’occasion du 500^e anniversaire de l’accession au siège épiscopal de Rennes du frère dominicain Yves Mahyeuc pour tenter de mieux cerner cette personnalité.

4Permettez-moi, en ouvrant ce colloque, de formuler une question.

5Nous le savons, la fama sanctitatis de M^gr Mahyeuc s’est répandue dès l’annonce de sa mort, le 20 septembre 1541. On lui attribua des miracles. On vint prier sur sa tombe. On garda si vivement le souvenir de sa sainteté que, dès 1638, l’évêque de Rennes, alors un Breton, fit une enquête sur les vertus de son illustre prédécesseur, lui aussi breton. Il faut remarquer en effet que, contrairement aux dispositions de l’acte d’Union entre la Bretagne et la France, les évêques nommés après 1541 ne furent pas tous bretons. Il fallut attendre l’arrivée de Pierre Cornulier, Breton et ancien évêque de Tréguier, pour que cet évêque de Rennes soit sensible aux qualités de son prédécesseur breton1. Et le procès de canonisation exista. Il vient d’être heureusement retrouvé après quelques siècles d’oubli. Il est donc aisé pour l’historien d’aujourd’hui de constater cette fama sanctitatis comme un fait avéré. L’étude et la publication de ce document seront précieuses pour comprendre quel évêque fut M^gr Mahyeuc.

6La science historique a ses lois. Sa rigueur est telle qu’elle se méfie de tout anachronisme. La figure d’un évêque breton de la première moitié du XVI^e siècle ne peut se comparer à celle, mieux connue, d’un évêque de la première moitié du XX^e siècle. L’expression de la doctrine catholique sur l’épiscopat telle qu’elle est développée aujourd’hui diffère singulièrement de celle que l’on trouve dans les conciles antérieurs à la Renaissance jusqu’à Latran V.

7Les travaux de ce colloque feront mieux ressortir les traits caractéristiques d’Yves Mahyeuc et sa manière d’exercer l’épiscopat. Cependant, on sait déjà quelle attention effective il portait aux plus pauvres. On connaît son zèle pour la formation et son insistance pour que les prêtres portent la plus grande attention à la prédication. On a remarqué son audace inventive quand il rassemble dans son manoir de Bruz des artisans pour former des jeunes garçons afin qu’ils trouvent aisément un métier. On voit quelle vision architecturale il partageait avec l’art nouveau de la Renaissance quand il lance les travaux de la cathédrale Saint-Pierre de Rennes.

8Ce labeur épiscopal a duré 34 ans. Il se situe à la charnière de deux époques et cette charnière ouvre à deux changements majeurs. D’une part, la Renaissance qui arrive avec la nouveauté de ses imprimeries et de ses manières de penser. Ne dit-on pas que la première œuvre d’art de la Renaissance en Bretagne date de 1507 ? Ce serait le tombeau de l’évêque Thomas James, œuvre d’un Florentin, que l’on voit dans la cathédrale de Dol. L’évêque de Rennes sut user de la nouveauté. D’autre part, la fin de l’indépendance de la Bretagne et son union à la France en 1532 conclurent de difficiles débats politiques. Ici, l’évêque de Rennes conseilla ; il lia ainsi le spirituel et le politique. En effet, M^gr Mahyeuc fut mêlé de près à ce changement politique et juridique puisqu’il fut conseiller des artisans bretons de cette union.

9Et voici la question à laquelle vous pourriez peut-être apporter une réponse. Nous le voyons, bien des aspects ressortent du ministère épiscopal de M^gr Mahyeuc à Rennes. L’étude historique de sa vie ne pourrait-elle pas conduire à dévoiler la cohérence de tout ce labeur ? En effet, les historiens savent mettre en évidence les diverses actions menées par un homme. Ils savent étudier le contexte et le tissu social, religieux, politique et culturel dans lequel ces actions ont été entreprises. Ils peuvent ainsi en dire la plus ou moins grande originalité ou la plus ou moins grande banalité. Mais la science historique ne pourrait-elle pas mettre aussi en évidence ce qui est en amont de toutes ces actions ? Dans le cas d’Yves Mahyeuc, elles sont réputées bonnes pour un évêque qui, de plus, reste à sa résidence et prie. Le travail historique ne pourrait-il pas aller plus loin en mettant au jour la cohérence d’une vie qui serait en quelque sorte la clef de sa réputation ?

10Nous l’avons dit, la découverte du procès de canonisation atteste historiquement l’existence d’une fama sanctitatis. Certes, la figure de sainteté s’incarne sous mille visages, tous différents par l’histoire et la culture. Elle ne peut être classée dans aucune catégorie humaine. Elle est toujours originale et, pour une part, dérangeante. Mais surtout, elle est bien souvent en avance sur son temps car elle présente une constante : l’art du discernement des enjeux spirituels propres à une époque. Loin des modes et au-delà des coutumes, ce discernement provoque des engagements audacieux, suscite des conseils appropriés et conduit aux justes décisions. Chez Yves Mahyeuc, la variété de toutes ses actions est d’autant plus grande qu’elles existent au sein de grands changements comme ceux que connaît la Bretagne de cette première moitié du XVI^e siècle. Ne serait-il pas précieux pour la vérité que ce colloque et les études qu’il pourrait susciter par la suite mettent au jour quel discernement et quel jugement ont animé M^gr Mahyeuc au cours de son épiscopat ?

11C’est à répondre à cette question que contribuera certainement, je l’espère, ce colloque. La publication de ses actes et les études qui suivront sont attendues. Ne permettraient-elles pas à un archevêque de Rennes, non breton, de racheter la négligence de sept de ses prédécesseurs, non bretons comme lui ? En effet, il pourrait être rappelé au Pape l’affirmation publique de Jean-Paul II quand, parmi les saints de Bretagne qu’il énumérait à Sainte-Anne d’Auray le 20 septembre 1996, il évoqua « le bienheureux Yves Mahyeuc ». Il rejoignait l’intuition de M^gr Brossays-Saint-Marc qui fit dessiner dans le déambulatoire de la cathédrale un Yves Mahyeuc avec une auréole et portant en ses mains cette cathédrale de Rennes. Pourquoi ces études ne montreraient-elles pas que Jean-Paul II ne s’est pas trompé ?

12C’est pourquoi je m’empresse de céder la place aux orateurs compétents afin qu’ils nous fassent part de leurs recherches et de leurs découvertes.