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Vers un homme nouveau ?

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Emmanuel Droit

Première partie. L’école d’un type nouveau (1949-1959)

Chapitre IV. Les nouveaux acteurs institutionnels du champ scolaire

Texte intégral

L’implantation des organisations de jeunesse en milieu scolaire

  • 1 Kott S., op. cit., p. 199-236.
  • 2 Fitzpatrick S., op. cit., p. 25.

1Depuis 1946, la Jeunesse Allemande Libre (Freie Deutsche Jugend, FDJ) est reconnue comme la seule organisation encadrant les jeunes de 14 à 25 ans dans la zone d’occupation soviétique. Elle est complétée par l’organisation des Pionniers (Pionierorganisation, PO) créée en décembre 1949 pour prendre en charge les enfants entre 6 et 14 ans. Sur le modèle des Komsomols soviétiques, ces deux organisations commencent à s’implanter dans les écoles à partir de la fin des années 1940, celles-ci devenant très rapidement leur champ d’action principal au détriment des entreprises1. Outre leur fonction d’encadrement des activités extrascolaires, elles ont pour mission de développer la « conscience politique » des élèves2. L’implantation des organisations de jeunesse socialistes au sein de l’institution scolaire représente une rupture fondamentale dans l’histoire des mouvements de jeunesse en Allemagne, qui jusqu’à présent étaient organisées en dehors de l’école au niveau d’unités territoriales comme les quartiers. Le but du SED est de neutraliser les éventuelles influences négatives de structures de socialisation primaire ou secondaire comme la famille et l’Église. L’École en RDA a la prétention d’être une institution d’encadrement « total », c’est-à-dire que sont réunies en son sein les fonctions d’enseignement et de loisirs ; la classe et la cellule de base des Jeunes Pionniers doivent en quelque sorte fusionner, ce qui se reflète dans les sources par l’emploi du doublet « élèves et Pionniers ». Les organisations de jeunesse deviennent désormais un acteur institutionnel concret incontournable du quotidien scolaire. Cette présence se matérialise par la superposition de leurs structures sur celles de l’école, par l’obtention d’une salle qui leur est réservée (Pionierzimmer) et par la nomination d’un corps de fonctionnaires permanents qui entre parfois en concurrence avec le corps enseignant.

  • 3 Pour les organisations d’entreprises du parti, voir Christian M., op. cit.
  • 4 Broschüre der Jungen Pioniere, Berlin (Est-), 1949.
  • 5 Entre l’âge de six et dix ans, on parle de Jeunes Pionniers et entre dix et quatorze ans de Pionni (...)

2Sur le modèle de l’implantation du SED dans les entreprises3, les établissements scolaires deviennent le lieu d’enracinement des cellules de base des organisations de jeunesse qui fonctionnent sur le principe du centralisme démocratique. Au niveau de l’école primaire4 (mais le processus est identique au niveau des lycées), la classe est théoriquement la structure qui doit servir à constituer la cellule de base de l’organisation des Pionniers : le groupe de Pionniers5. En théorie, il est même prévu de diviser la classe en sous-groupes appelés cercles de pionniers (Pionierzirkel) qui correspondent aux brigades dans les entreprises. L’unité de base comporte les élèves d’une même classe qui élit sur « proposition » de l’instituteur un conseil de groupe au sein duquel sont distribuées différentes fonctions : un président, un vice-président, un secrétaire, un responsable des activités culturelles, sportives. Chaque groupe au niveau des classes désigne des représentants qui forment le conseil de l’amitié de l’établissement, organe supérieur supervisant l’action de tous les groupes.

Schéma 3. – Organisation théorique de l’organisation des Pionniers dans une école.

  • 6 BA, DR 2/1 196, Inspektionen von Berliner Schulen, 1953, p. 29.
  • 7 BBF, DIPF, Nachlass Karl Sothmann, 04.01/74, Schriftwechsel mit Paul Wandel, 28 février 1955, p. 2

3Si l’implantation des organisations de jeunesse se déroule relativement rapidement dans les différentes régions de RDA, il n’en va pas de même à Berlin-Est. La capitale est-allemande pose problème et se caractérise par une lenteur qui inquiète et agace les autorités politiques. Ce décalage entre Berlin-Est et le reste de la RDA est mis en lumière dès janvier 1953 dans un rapport du ministère de l’Éducation : « Les écoles ne se différencient pas des écoles de la République d’un point de vue scolaire mais sur la question des Pionniers6. » Deux ans plus tard, Karl Sothmann, fonctionnaire du DPZI souligne ce problème dans une lettre adressée à Paul Wandel, qui depuis 1952 n’est plus ministre de l’Éducation : « Ce qui est beaucoup plus important, c’est le fait que les Jeunes Pionniers ne soient pas encore populaires parmi la majorité des parents. Cette situation doit vraiment fondamentalement être changée avec énergie7. »

  • 8 LAB, C REP 120/253, Zusammenarbeit zwischen Schule und Pionierorganisation, Pionierarbeit an den S (...)

4Le principe « une école – un conseil de l’amitié » existe seulement dans environ 10 % des établissements scolaires de Berlin-Est au début des années 1950. La plupart du temps, deux écoles s’associent pour pouvoir constituer un conseil de l’amitié. Dans certains cas, il faut se mettre à quatre pour en former un ! Au niveau des établissements, toutes les classes ne possèdent pas de groupes de Jeunes Pionniers. Dans les écoles qui ont des groupes, ceux-ci regroupent diverses tranches d’âges voire parfois l’ensemble des membres de l’organisation pour un établissement. L’existence de cercles de Pionniers au sein de classes n’est attestée que dans quelques écoles comme les 8e et 9e écoles de l’arrondissement de Lichtenberg8. La plupart du temps, la faiblesse du recrutement fait que cette structure n’existe que sur le papier.

5Cette exception berlinoise s’explique tout d’abord par la situation juridique particulière de Berlin, gérée jusqu’en 1948 par le Conseil de contrôle allié. Cette instance n’a autorisé la FDJ et l’ancêtre de l’organisation des Pionniers (l’association des enfants, Kindervereinigung) qu’à partir d’octobre 1947, soit un an et demi après les autres régions de la zone d’occupation soviétique. Mais la capitale est-allemande aurait pu combler son retard beaucoup plus rapidement. Ce décalage est aggravé ensuite par tout un faisceau de facteurs : la proximité de Berlin-Ouest, la concurrence de l’organisation des jeunes protestants (Junge Gemeinde) et surtout l’extrême méfiance des parents et des enseignants.

Graphique 4. – Évolution du recrutement des Jeunes Pionniers en RDA et à Berlin-Est dans les années 1950.

  • 9 SAPMO, DY 25/2 632, Statistische Angaben der Pionierorganisation Ernst Thälmann im Zeitraum 1949-1 (...)
  • 10 Sm/Do, 09/12/03/04, op. cit., p. 108.

6L’évolution du recrutement des Jeunes Pionniers en RDA et à Berlin-Est est quasi similaire9. Seule l’échelle de grandeur diffère, c’est-à-dire que le rythme de recrutement est très lent à Berlin par rapport au reste de la RDA. Le taux annuel moyen de recrutement est de 0,5 % à Berlin-Est contre 2,5 % pour le reste du territoire est-allemand ! D’après la chronique de l’école de Triepkendorf dans le Mecklembourg, le taux d’encadrement des élèves du village par l’organisation des Pionniers est rapide. En 1951, sur 162 élèves, 68 % d’entre eux sont des Jeunes Pionniers10. À Berlin-Est, l’évolution de l’encadrement n’est pas linéaire : elle est faite d’avancées et de reculs. Le premier pic d’augmentation s’observe à l’issue de l’organisation du Deutschlandtreffen en mai 1950 avec 25,9 %. Il semble que cette manifestation ait réussi à susciter l’enthousiasme d’élèves qui désirent s’engager dans les organisations de jeunesse socialiste. L’augmentation de membres qui s’en suit ne dure pas. Le recul à un pallier autour de 17-18 % s’explique aussi par le fait que la direction de la FDJ de Berlin-Est a gonflé les chiffres pour masquer son retard. Le rapport de la direction centrale de la FDJ pour l’année 1950 pointe du doigt cette falsification. La franchise avec laquelle l’auteur parle est une caractéristique des années 1950. Ce n’est qu’à partir des années 1960 que la langue de bois se diffusera jusqu’au plus petit échelon organisationnel du SED et de ses organisations de masse :

  • 11 SAPMO, DY 25/2 632, Statistische Angaben der Pionierorganisation Ernst Thälmann im Zeitraum 1949-6 (...)

« L’augmentation du niveau des membres ne repose pas uniquement sur des fondements réels. Il faut avant tout évoquer ici le travail irresponsable de la région de Berlin. Le nombre de membres des Jeunes Pionniers à Berlin est passé de 12185 à 34649. A la fin du troisième trimestre, c’est-à-dire en septembre, les organisations de Pionniers à Berlin ne comptaient encore seulement que 15 039 membres, c’est-à-dire que par rapport au second trimestre, on a enregistré le départ de 19610 Pionniers. Il n’en demeure pas moins que Berlin n’a jamais eu 34649 membres. L’amitié Maxime Gorki [Conseil de l’amitié] de l’arrondissement de Mitte a par exemple inscrit 2 000 Jeunes Pionniers alors que seulement 1 200 écoliers sont recensés. En réalité, seulement quatre cents enfants sont organisés dans ces écoles, cependant le nombre de membres est tombé à 90 du fait que l’amitié n’a pas de responsable et que le travail est de mauvaise qualité. C’était la même chose dans d’autres amitiés11. »

7Plus généralement, les statistiques élaborées au niveau des arrondissements doivent être utilisées avec prudence. Leur emploi se heurte à deux écueils : d’une part, les chiffres sont parfois inexacts ou imprécis, d’autre part, les cellules locales gonflent artificiellement leurs résultats pour montrer leur dynamisme. Mais ces chiffres reflètent quand même une évolution de fond que l’on peut analyser.

8Le rythme de la progression est très lent au milieu des années 1950 (1953-1958) voire proche de la stagnation avant de connaître une augmentation quasi exponentielle à la fin de cette décennie. D’une part, en mettant davantage l’accent sur les activités de loisirs proposés, le travail de recrutement à la base par les enseignements et les jeunes Pionniers porte ses fruits. D’autre part, il semble que les organisations de jeunesse soient progressivement « acceptées » par la population. Cela correspond à une phase d’intériorisation de ce nouvel acteur éducatif à l’école qui est une réalité plus précoce dans les autres régions de RDA (dès la première moitié des années 1950), notamment dans les zones rurales où la figure du fonctionnaire permanent se confond la plupart du temps avec celle de l’instituteur.

  • 12 Schulze E., DDR-Jugend. Ein statistisches Handbuch, Berlin, Akademie Verlag, 1995.
  • 13 LAB, C REP 920/20, Statistik der Kreisleitungen der Berliner FDJ, Août-décembre 1958, non paginé.

9Les difficultés de recrutement de la FDJ parmi les 15-25 ans sont plus difficilement analysables car on ne peut pas isoler les élèves dans les statistiques des étudiants ou des jeunes ouvriers. Il faut nuancer ces chiffres selon le statut social de ces jeunes. Le faible taux de recrutement tient essentiellement au manque d’engagement des jeunes ouvriers adultes et des apprentis dans les entreprises. Par contre, il ne reflète pas du tout le fait que la FDJ ait réussi à s’implanter progressivement dans les établissements secondaires. On en veut pour preuve le fait qu’entre 1951 et 1960, la part totale des élèves au sein de la FDJ berlinoise est passée de 7 à 23 %12. L’encadrement des élèves des lycées est d’ailleurs beaucoup plus rapide que celui des élèves du primaire. Dans la plupart des établissements secondaires de Berlin-Est, le taux de recrutement atteint 80 % à la fin des années 1950. Ponctuellement, nous disposons de statistiques de la direction berlinoise de la FDJ. En septembre 1958, sur 880 nouveaux adhérents, la moitié sont des lycéens13.

Sources : SAPMO, DY Y 24/2 349, Statistik, 1949, non paginé ; SAPMO, DY Y 24/2 393, Statistik, non paginé 1950 ; LAB, C REP 920/20, Statistik der Kreisleitungen der Berliner FDJ, août-décembre 1958, non paginé.
Graphique 5. –Taux de membres de la FDJ chez les 15-25 ans de Berlin-Est dans les années 1950.

Source : Schulze E., DDR-Jugend. Ein statistisches Handbuch, Berlin, Akademie Verlag, 1995.
Graphique 6. –Pourcentage de membres parmi les 15-25 ans en RDA et à Berlin-Est dans les années 1950.

10Dans le cadre de la reconstruction matérielle des bâtiments, la FDJ exige qu’une salle lui soit automatiquement réservée. Lors du quatrième Parlement de la FDJ à Leipzig en mai 1952, le texte final insiste sur la nécessité d’instituer également une salle spécifique pour les membres des Jeunes Pionniers :

  • 14 SAPMO, DY 25/531, Vorlage an das 4. Parlament der FDJ zur Einrichtung von Pionierzimmern an allen (...)

« L’organisation des jeunes Pionniers a une énorme importance dans l’éducation des enfants afin d’en faire des individus progressistes et démocratiques, ce qui s’exprime aussi particulièrement dans la croissance continue du nombre d’adhérents. […] Afin d’offrir à l’activité des Jeunes Pionniers dans les écoles plus de possibilités d’épanouissements et afin de garantir dans le même temps encore un plus grand soutien au travail éducatif de l’école démocratique, le Parlement décide en accord avec l’administration centrale pour l’éducation allemande l’instauration d’une salle des Jeunes Pionniers dans toutes les écoles primaires de la zone d’occupation soviétique et de Berlin.
a) Dans les plus grandes écoles et les écoles de taille moyenne, une pièce doit être exclusivement mise à la disposition des Jeunes Pionniers.
b) Dans les écoles primaires plus petites, où cela n’est pas possible, la répartition des classes doit être effectuée de telle manière que les après-midi une pièce en particulier serve à ce but et qu’aucun cours ne doit y avoir lieu14. »

  • 15 SAPMO, DY 25/478, Referate und Dispositionen zur Arbeit der Jungen Pioniere in den Schulen und Ent (...)
  • 16 LAB, C REP 120/253, op. cit., p. 58.
  • 17 SAPMO, DY 24/2 129, Protokoll der 4. Tagung des Zentralrates der FDJ vom 1-2.12.1949, p. 90.

11La décision de 1952 ne fait qu’entériner une pratique qui se développe depuis la création de l’organisation des Pionniers Dès le début des années 1950, 90 % des établissements primaires berlinois se dotent d’une « salle des Pionniers ». Cette dernière doit devenir le « centre d’attraction de l’école15 ». Un fonctionnaire des services scolaires de la ville chargé d’évaluer la qualité de ces pièces dresse un tableau sévère mais réaliste de la situation : « La majorité des salles de Pionniers sont mal éclairés, ce qui entrave le travail des Pionniers. Dans certaines écoles, il n’existe aucune salle de Pionniers, d’autres sont également mal installées, seulement dans des baraques16. » Ce rapport montre que l’instauration d’une salle réservée pour les Jeunes Pionniers ne constitue pas toujours la priorité des chefs d’établissements. Le témoignage assez désabusé d’un fonctionnaire de la FDJ souligne aussi la difficulté d’obtenir parfois une salle : « Nous avons pu encore et toujours observer cette erreur commise par les autorités scolaires qui considèrent la plupart du temps le travail des Pionniers comme quelque chose de secondaire. Bien souvent la salle des Pionniers se trouve encore aujourd’hui dans la cave17. » La rénovation et le bon fonctionnement des salles destinées à l’enseignement passent souvent avant l’octroi d’une salle aux organisations de jeunesse. Mais à partir du milieu des années 1950, chaque école dispose d’une salle adéquate prête à accueillir leurs réunions et leurs activités.

  • 18 LAB, C REP 120/253, op. cit., p. 58.

12Ces salles sont parfois la cible d’actes de vandalisme de la part d’élèves non membres de l’organisation. En novembre 1950, la salle des Pionniers de la quatrième école de Lichtenberg a été dégradée et les drapeaux ont été dérobés. Au-delà de la dimension politique ou non de cet acte, il est intéressant de voir l’instrumentalisation politique faite par le chef de l’établissement. Ce dernier en profite en effet pour accuser le concierge qui serait le seul à avoir la clé et qui est surtout membre du SPD, pour finalement le renvoyer18.

13L’implantation des cellules de base des organisations de jeunesse dans les années 1950 s’accompagne de l’apparition d’un nouvel acteur totalement inédit du quotidien scolaire : le fonctionnaire permanent détaché dans les écoles primaires (Hauptamtlicher Pionierleiter, HPL) et secondaires (Freundschaftsleiter, FL). Dans le contexte d’une école hautement idéologisée, la majorité des enseignants voit d’un mauvais œil l’arrivée des fonctionnaires des organisations de jeunesse dans leur univers de travail.

Les fonctionnaires permanents des organisations de jeunesse : une reconnaissance difficile

  • 19 BA, DR 2/3 986, Ausbildung der Pionierleiter, 1954-1955, p. 19.

14Cet éducateur symbolise la volonté du SED de contrôler l’institution scolaire et de fusionner les structures scolaires et les structures des organisations de jeunesse. Sa mission est officiellement d’exercer la « direction politique » des cellules de base de la FDJ et de l’organisation des Pionniers à l’école19. Concrètement, il doit surtout coordonner et développer les activités de loisirs dans le cadre de l’école, en priorité celles à caractère scientifique et technique. Ces pratiques extrascolaires sont considérées comme un moyen de compléter l’éducation idéologique donnée en classe sous une forme plus ludique. C’est ainsi que le développement de l’« éducation patriotique » complète les cours de géographie (enseignés à partir de la 5e classe) en prenant la forme d’excursions dans la nature (dans les montagnes de Saxe ou de Thuringe) afin de « ressentir » concrètement le sens du mot Heimat.

  • 20 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 112.

15Le régime socialiste est confronté à deux problèmes principaux : la qualité des fonctionnaires permanents et le manque de fonctionnaires bénévoles. On pourrait ajouter un problème plus subjectif qui serait de l’ordre de la reconnaissance de cette fonction par les collègues enseignants comme le souligne un fonctionnaire des services scolaires de l’arrondissement de Pankow en août 1950 : « Souvent, les responsables des Pionniers mis en place par le FDJ n’ont pas encore trouvé une proximité dans leurs relations avec les collègues enseignants20. » Cette remarque faite au niveau local est en fait valable pour les autres arrondissements de Berlin-Est pour l’ensemble de cette décennie. Même dans les rapports scolaires de base, ces fonctionnaires sont peu évoqués. Ils ne sont en tout cas pas analysés à l’intérieur d’un paragraphe spécifique, ce qui témoigne de ce manque d’importance. Cette impression est confirmée dans les chroniques scolaires ou les procès-verbaux des réunions pédagogiques : ces fonctionnaires semblent ne pas exister.

  • 21 LAB, C REP 903-03-01/159, op. cit., non paginé.
  • 22 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 15.

En dépit de campagnes de propagande, la FDJ n’arrive pas à recruter suffisamment de fonctionnaires permanents. En 1954, sur les 28 écoles primaires de l’arrondissement de Lichtenberg, huit n’en disposent pas encore21. Cette couverture incomplète des écoles conduit à une efficacité différenciée de l’action des organisations de jeunesse. Ce constat est dressé par un employé municipal de l’arrondissement de Treptow dès août 1950 : « Dans les écoles où un responsable permanent des Pionniers est actif, l’activité des Jeunes Pionniers est plus stable et résolu que dans les écoles, ou seuls les enseignants sont les porteurs du mouvement des Pionniers22. »

  • 23 SAPMO, DY 25/2 632, Statistik, 1949-1960, non paginé.

16Nous disposons de peu d’informations concernant l’origine sociale de ces nouveaux acteurs éducatifs. Des statistiques réalisées en mai 1951 nous permettent toutefois de dresser un portrait des responsables des Pionniers à Berlin-Est23.

Graphique 7. – Origine sociale des Pionierleiter en RDA et à Berlin-Est en mai 1951 (en %).

17Les différences entre Berlin-Est et le reste de la RDA sont minimes. Ce qui est intéressant, c’est de voir que ces fonctionnaires permanents sont issus à plus de 50 % de familles d’éducateurs, de pédagogues et d’enseignants. En gros, presque deux tiers d’entre eux sont issus des classes moyennes et un quart a des origines ouvrières. Beaucoup ont voulu s’inscrire dans la tradition familiale mais en choisissant la voie d’un engagement partisan. Ce sont en majorité des femmes (53 %), mais les hommes sont aussi fortement représentés au départ, ce qui est moins le cas par la suite. 1/3 est membre du SED. Ces acteurs éducatifs sont très jeunes : 80 % ont moins de 25 ans. Cette jeunesse constitue à la fois un avantage dans le contact avec les enfants mais aussi un handicap, dans la mesure où elle représente un manque d’expérience dans la façon de les encadrer. Au début des années 1960, 56 % des responsables des Pionniers ont moins de 25 ans. Ils appartiennent à cette génération née dans les années 1930 et qui reproduit inconsciemment ou non des pratiques vécues dans le cadre des organisations de jeunesse hitlériennes. R.H. est une des rares personnes scolarisées dans les années 1950 qui se souvient de sa responsable des Pionniers :

  • 24 Transcription de l’entretien réalisé avec R.H. le 12 mars 2004, p. 6.

« Oui, oui, je me souviens très bien parce que nous avions une véritable responsable des Pionniers. Elle était pour ainsi dire un prototype de la fille des jeunesses hitlériennes. C’est incroyable : une jeune blonde, vigoureuse avec des joues rouges, sympathique. La fille allemande ! Je me la vois encore devant moi. Elle aimait chanter des chansons avec nous, et elle chantait avec nous des chansons qui, je vous le garantis, venaient de l’époque antérieure. C’était encore une phase de transition. Elle avait 20-25 ans. Nous avons chanté autour d’un feu de camp… Ces chants allemands… [silences] Ce n’était pas une Nazie mais elle était la représentante du type culturel nazi. C’est intéressant. Je l’aimais bien cette responsable des Pionniers24. »

  • 25 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 19.
  • 26 BA, DR 2/1 196, op. cit., p. 7.

18Ces fonctionnaires permanents sont souvent dépeints comme des personnes de faible qualité. Les inspecteurs scolaires rappellent sans cesse leur mauvais travail qui se traduit par la lenteur des recrutements d’élèves voire par des sorties de l’organisation25. Au manque de soutien des collègues enseignants qui les considèrent souvent comme des « incapables26 » s’ajoute celui de leur hiérarchie au niveau de l’arrondissement ou du district. La mauvaise qualité de ces éducateurs oblige souvent les directions locales à changer de responsable permanent dans les écoles, ce qui nuit à la continuité du travail. Ils sont souvent recrutés de façon rapide. Les personnes y voient un moyen de prendre pied dans le monde scolaire et d’accéder à une meilleure position sociale. Devant les tâches à accomplir et face à l’hostilité des collègues, beaucoup démissionnent au bout de quelques temps. Les réunions pédagogiques dans les écoles où sont parfois représentées des organisations de masse sont l’occasion pour ces dernières de souligner ces faiblesses. A l’occasion de la réunion de la 4e école de Lichtenberg, la représentante de la fédération allemande des femmes (Deutscher Frauenbund Deutschlands, DFD) formule des critiques à l’encontre du travail des organisations de jeunesses :

  • 27 LAB, C REP 903-03-01/159, op. cit., non paginé.

« En tant que représentante à l’école de la fédération allemande des femmes, Madame D. est encore une fois revenue sur le rapport concernant le travail des Pionniers et elle critiqua le fait que jusqu’à présent le travail des Pionniers au sein des écoles était entravé avant tout par les nombreux changements de responsables des Pionniers et aussi par le fait que ce poste ne soit pas toujours occupé par des forces puissantes27. »

19Les rapports d’inspections scolaires soulignent le manque de qualité de ces fonctionnaires formés trop rapidement. En 1954, une note de synthèse évalue la responsable des Pionniers de la 18e école de l’arrondissement de Lichtenberg :

  • 28 Ibid.

« La qualité du travail des Pionniers laisse à désirer. La responsable des Pionniers manque d’élan et de richesses d’inspiration. En raison de la charge domestique (un enfant en bas âge), elle ne peut que très rarement entreprendre des sorties et des excursions avec les Pionniers. Il lui manque une capacité d’initiative et par conséquent des moments favorables à l’éducation et au recrutement ne sont pas exploités. Elle n’agit aucunement de façon dynamique et attractive, cependant elle est volontaire et ces derniers temps elle travaille en fonction d’un plan28. »

20Des raisons à la fois d’ordre personnel et professionnel sont évoquées dans ce rapport. Son manque d’idées ne s’explique pas seulement par des capacités personnelles limitées. Il tient aussi en partie au manque de suivi de la part des directions d’arrondissements et des SPO.

  • 29 Collectif d’auteurs, Handbuch des Pionierleiters, Berlin-Est, Verlag Neues Leben, 1952.
  • 30 BA, DR 2/3 986, op. cit., 1954-55, p. 11.

21Pour tenter de remédier à ce problème, la FDJ instaure une formation plus approfondie de ses agents de base, qui est mise en place sous la forme d’un cursus dans les facultés pédagogiques, puis après 1955 dans les universités. Celle-ci s’étend dans un premier temps sur quatre semestres, soit deux ans, à raison de dix heures par semaine, auxquels viennent s’ajouter des séminaires le week-end dans une école de formation à Prieros dans le Brandebourg. Elle se répartit en quatre blocs : 140 heures d’histoire, 140 heures d’histoire du parti communiste soviétique, 265 heures de pédagogie, 140 heures d’allemand. L’influence de la pédagogie soviétique est aussi présente dans ce cursus avec des cours théoriques et des traductions de manuels soviétiques sur l’encadrement des jeunes dans les organisations de jeunesse29. Un magazine a été spécialement créé pour eux en 1949 : Der Pionierleiter. Il mélange informations et conseils pédagogiques. En 1954, la durée de la formation passe à quatre ans. Mais la FDJ souhaitant élargir le recrutement des fonctionnaires permanents aux jeunes ouvriers, ces derniers ont un cursus spécifique accéléré en deux ans30. Une fois cette formation accomplie, ils sont envoyés tels des missionnaires dans les écoles, où leur fonction est de développer les cellules de base des organisations de jeunesse en tentant de contrôler les activités extrascolaires. Cette fonction leur sert de tremplin soit pour devenir enseignant à part entière, soit pour gravir les échelons au sein de la FDJ et du SED.

22La difficulté principale que rencontrent les fonctionnaires permanents des organisations de jeunesse, c’est de se faire accepter par les enseignants de l’établissement au sein duquel ils sont actifs. Les textes officiels appellent à une collaboration fructueuse entre enseignants et responsables des Pionniers et les rapports des fonctionnaires locaux du parti ou des organisations de jeunesse ne cessent d’appeler à un travail d’équipe :

  • 31 SAPMO, DY 25/479, op. cit., non paginé.

« Afin d’atteindre les buts éducatifs communs de la nouvelle école démocratique, une collaboration étroite et amicale entre les enseignants et les responsables de Pionniers doit être partout mise en place. L’échange réciproque d’expériences, la participation et la collaboration continues du responsable des Pionniers à l’équipe pédagogique constituent la base fondamentale pour une collaboration fructueuse. Nous exigeons de l’ensemble du corps enseignant, dans l’intérêt des buts de l’école démocratique et de la consolidation de l’ordre démocratique antifasciste, qu’il accorde tout son soutien à l’organisation des Jeunes Pionniers qui est en train de se développer de façon puissante31. »

  • 32 LAB, C REP 903-01-06/348, op. cit., p. 6.

23Pourtant, tensions et rivalités caractérisent les relations entre les enseignants et les fonctionnaires de base des organisations de jeunesse. L’un des signes les plus visibles de ces tensions s’observe dans les procès-verbaux des enseignants. Malgré des directives officielles, beaucoup d’équipes pédagogiques refusent que les responsables de Pionniers participent à leurs réunions pédagogiques ou qu’ils prennent la parole. Dans un rapport dans lequel un fonctionnaire du SED de l’arrondissement de Prenzlauer Berg déplore le manque de soutien du parti aux responsables de Pionniers, on trouve cette remarque qui en dit long sur les difficultés de ces éducateurs à s’imposer parfois auprès de leurs collègues enseignants : « C’est ainsi qu’il pouvait arriver que par exemple à la 15e école les responsables des Pionniers n’ont pas pris une seule fois la parole sur le travail des Pionniers entre septembre et janvier32. »

24Les enseignants ne les considèrent pas comme faisant partie de leur « caste ». Les rapports déplorent le fait qu’ils méconnaissent l’importance de la FDJ comme élément de la vie scolaire. Mais les enseignants dénient à cette organisation le droit d’exercer une influence sur leur travail. Cette très mauvaise collaboration entre corps enseignants et organisations de jeunesse conduit à Berlin à de faibles taux de recrutements parmi les élèves. Ce n’est pas le cas dans les autres régions de la RDA, notamment dans les campagnes où la fonction d’enseignant et de fonctionnaire de la FDJ est souvent exercée par une seule et même personne.

25Cette mauvaise collaboration entre enseignants et responsables de Pionniers oblige l’inspection académique à publier des directives dans lesquelles elle rappelle un certain nombre d’obligations :

  • 33 LAB, C REP 120/253, Zusammenarbeit zwischen Schule und Pionierorganisation, Pionierarbeit an den S (...)

« Le responsable des Pionniers participe à toutes les réunions avec siège et voix.
Le plan de perspective de l’amitié est établi en commun avec les enseignants.
Lors de la définition du plan de travail des groupes, le professeur principal soutient le conseil de groupes.
Le responsable des Pionniers participe régulièrement aux inspections et observe ainsi les fondements de la technique de l’inspection. Le directeur et l’enseignement aident le responsable des Pionniers à se qualifier sur le plan pédagogique33. »

  • 34 LAB, C REP 120/2 078, op. cit., p. 18.
  • 35 Ibid., p. 119.

26Les tensions entre ces deux catégories d’acteurs se traduisent par l’instrumentalisation d’une arme redoutable : les inspections scolaires. Les responsables de Pionniers soutenus par la minorité d’enseignants engagés font pression pour obtenir une inspection de leurs écoles afin d’éliminer un certain nombre de collègues jugés trop mous. C’est en tout cas le sens des conclusions d’un rapport général sur l’attitude politique des enseignants à Berlin-Est à la fin de l’année scolaire 1949-50 : « Nous écarterons dans le futur de façon plus importante que jusqu’à présent les enseignants, qui ne se montrent aucunement prêts à prendre en considération les nouveaux rapports sociaux34. » Les lycées font l’objet de rapports détaillés réguliers dans lesquels le vocabulaire employé rappelle celui employé pour des purges politiques : « Il est absolument nécessaire que le corps des enseignants des établissements secondaires soit encore plus nettoyé, il faut trouver de jeunes forces, les former, et éliminer la passivité parmi les collègues les plus âgés35. »

27Ces contrôles à caractère idéologique répétés exaspèrent de nombreux enseignants de lycées :

  • 36 Ibid., p. 114.

« La première raison de cette nécessaire vérification, c’est l’inquiétude toujours croissante des cercles progressistes de notre société à propos du niveau de performance et du développement démocratique de nos lycées. Mais une grande partie de nos enseignants ne se pas convaincus de cette nécessité. Ils ressentent cette vérification non pas comme une aide, mais comme une tutelle et un espionnage pesant36. »

28Les enseignants réagissent mal à l’intrusion des fonctionnaires permanents des organisations de jeunesse dans la mesure où ils considèrent leur activité comme un empiètement et un contrôle de l’exercice de leur profession. Les responsables des groupes de Pionniers ou de FDJ ont du mal à trouver leur place au sein de l’équipe pédagogique d’un établissement : ils sont souvent méprisés par la majorité des enseignants, ils reçoivent peu de soutien de la part de la direction et de leur autorité hiérarchique au niveau de l’arrondissement. Sur le terrain, ils sont confrontés au problème du recrutement de bénévoles et au quant-à-soi des enseignants qui ne veulent pas placer leurs activités extra-scolaires sous leur tutelle.

29Parallèlement au problème des fonctionnaires permanents se pose donc celui du recrutement des fonctionnaires bénévoles chargés de prendre en charge les activités de loisirs au niveau d’une classe. Les enseignants constituent au départ le gros des troupes mais seule une minorité d’engagés travaillent dans le cadre des organisations de jeunesse. La majorité de leurs collègues se tiennent à distance ou refusent de se laisser recruter. Les auteurs des rapports de base du SED pointent un problème essentiellement didactique chez les enseignants exerçant la fonction de responsables bénévoles de groupes de Pionniers : ils seraient incapables de se transformer en véritables éducateurs politiques en dehors des cours. Ils dirigent leurs cellules de Pionniers comme ils font un cours. C’est pourquoi ils proposent d’élargir le recrutement à d’autres couches de la population :

  • 37 LAB, C REP 903-01-06/348, op. cit., p. 10.

« C’est pourquoi il faut tirer les conséquences de cette pratique selon laquelle les enseignants sont en même temps responsables des groupes de Pionniers, comme cela a été exprimé lors que des question sur le travail des Pionniers dans le cadre de la conférence théorique du DPZI. Les responsables des groupes de Pionniers qualifiés doivent être recrutés parmi les jeunes ouvriers et les élèves qualifiés des cycles primaires et secondaires37. »

30Le plus souvent, il s’agit surtout de combler le manque d’engagement des enseignants :

  • 38 LAB, C REP 903-01-06/355, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Berichte über Pionierarbeit und Arbeit (...)

« Afin de renforcer le travail des groupes de Pionniers, il est nécessaire d’occuper le plus rapidement possible la fonction de responsable de groupes de Pionniers. Ce faisant, il s’agit de renforcer la campagne de recrutement des responsables de groupes de Pionniers parmi les jeunes enseignants ainsi que les lycéens. Dans toutes les organisations du parti dans les écoles, il faut tenir conseil afin de savoir quelles sont les forces qui pourraient être disponibles pour exercer la fonction de responsables de groupes de Pionniers38. »

  • 39 LAB, C REP 120/153, op. cit., p. 152.

31À partir de 1952 et une décision prise lors de la 10e réunion de son Conseil central, la FDJ recrute donc avant tout des lycéens et des étudiants engagés et motivés pour encadrer les cellules de bases des Jeunes Pionniers en tant que fonctionnaire bénévole de groupe de Pionniers (Gruppenpionierleiter, GPL). Le recrutement des GPL parmi les jeunes adultes (enseignants ou ouvriers) est cependant insuffisant pour couvrir les besoins de chaque école. En 1953-1954, six cents étudiants de l’institut de formation des enseignants sont enrôlés comme GPL39. Cette fonction leur est présentée comme un complément à leur formation, une sorte d’expérience pratique qui vise à leur montrer que tout futur enseignant doit s’investir autant dans le domaine scolaire que dans celui des loisirs. Ces fonctions constituent souvent le point de départ d’une carrière de fonctionnaire au sein des organisations de jeunesse et du parti. Les personnes qui se font remarquer intègrent ensuite la direction de la FDJ au niveau du district, puis de l’arrondissement. Généralement, l’étape suivante est le passage dans un échelon du SED. Par contre, les autorités scolaires et la FDJ ne réussissent pas à convaincre les jeunes ouvriers de s’investir dans les activités extra-scolaires. Les rares données statistiques semblent confirmer cette tendance : à peine 1 % des jeunes ouvriers sont GPL à Berlin-Est.

32À côté des organisations de jeunesse, l’entreprise fait aussi son entrée dans le champ scolaire sous la forme d’un contrat de parrainage.

Le système de parrainage entre les écoles et les entreprises

  • 40 Kott S., op. cit., p. 90-99, ici p. 90.
  • 41 Droit E., « Die “Arbeiterklasse” als Erzieher ? Die Beziehung zwischen Schulen und Betrieben in der (...)
  • 42 Mazurek M., « “Billiger und schneller” produzieren – “genauer und mehr” verarbeiten. Der Alltag in (...)

33Inspiré par la double tradition éducative du marxisme et de la pédagogie réformée qui insiste sur le lien entre l’École et le monde du travail, s’inscrivant dans la tradition paternaliste de la culture industrielle allemande, le ministère de l’Éducation est-allemand encourage le développement de relations de parrainage (Patenschaft) entre les écoles et les entreprises. L’École n’est qu’une institution parmi d’autres avec lesquelles les entreprises entretiennent des relations de parrainage (institutions culturelles, police, coopératives agricoles) mais c’est avec les établissements scolaires qu’elles ont les relations les plus régulières. L’entreprise est considérée par le régime la « matrice du monde socialiste40 », un instrument essentiel pour diffuser les valeurs du monde du travail auprès des jeunes générations. Une très forte volonté officielle existe pour encourager le développement d’une telle relation pédagogique, ce qui semble plutôt spécifique à la RDA qui se caractérise au sein des pays du Bloc de l’Est par une société très centrée autour de l’entreprise41. En Pologne par exemple, les relations de parrainage entre écoles et entreprises sont inexistantes. Cette différence s’explique par la différence du niveau d’industrialisation entre les deux pays frères et par l’existence en RDA d’une tradition ouvrière et paternaliste plus importante42. Dans l’Allemagne socialiste, l’entreprise est un acteur essentiel de la redistribution sociale et se voit confier entre autres des tâches relevant du domaine de l’éducation.

  • 43 Dokumente der SED. Beschlüsse und Erklärungen des Parteivorstandes des Zentralsekretariats und des (...)
  • 44 Kott S., op. cit., p. 91.

34Lors de la première conférence du SED en janvier 1949, l’une des mesures définies dans le cadre du plan de deux ans est justement de développer des relations de parrainages étroites entre les écoles et les entreprises43. En novembre 1950, une directive élabore un contrat-modèle avant que le ministère de l’Éducation et la direction centrale de la FDGB ne promulguent la directive du 21 septembre 1955 qui réglemente définitivement cette pratique en définissant précisément les devoirs de chaque partie. Comme le rappelle l’historienne française Sandrine Kott, ce contrat n’a pas de valeur juridique, mais se présente comme un « engagement moral44 », c’est-à-dire que les deux parties s’engagent à s’aider mutuellement dans un certain nombre de domaines définis (aide idéologique, culturelle, matérielle)

  • 45 Ibid., p. 271-293.

35Le contrat entre l’école et l’entreprise repose sur le système du don et du contre-don45. La contrainte politique et idéologique « imposée » par les autorités officielles aux entreprises se double d’une dimension économique et sociale – aide matérielle et financière – qui intéresse fortement les écoles et qui constitue souvent l’unique mobile de ces contrats. Mais plus que sur l’aide matérielle – quelques lignes du 5e paragraphe de la directive de 1955 lui sont consacrées, les auteurs du texte officiel mettent essentiellement l’accent sur l’investissement idéologique que doivent fournir les « ouvriers » dans le cadre de ces parrainages. Le véritable objectif de ce système de parrainage est énoncé à la fin du contrat. Il est double, à la fois idéologique et économique. Cette pratique vise aussi bien à idéaliser un groupe social pour renforcer la confiance et la loyauté des élèves envers le régime qu’à diffuser les valeurs officielles.

  • 46 Lattard A., op. cit.

36D’un côté, la « classe ouvrière » doit être un modèle pour les jeunes générations et véhiculer auprès d’elles un certain nombre de valeurs : l’amour du travail, la solidarité, le goût de l’effort, la discipline. Le mot « travail » ne désigne pas seulement l’ensemble des activités destinées à produire des biens matériels mais également l’intériorisation de valeurs morales. Il est une contribution au développement de la « personnalité socialiste » et à la « consolidation de la société socialiste ». Cet attachement au travail s’appuie sur un facteur socio-culturel profond : l’éthique protestante du Beruf. Ce terme introduit en allemand par Luther superpose les sens de vocation et de métier, manifestant le caractère non seulement fonctionnel mais aussi sacré conféré à l’activité professionnelle. Dans sa version sécularisée à partir du début du XIXe siècle, cette éthique valorise le travail comme facteur d’identité à la fois sociale et individuelle, le célébrant donc tant comme vecteur d’intégration à la collectivité que comme source de satisfaction intérieure46. Notre hypothèse est que la RDA adapte ce concept du Beruf au travail industriel qui a été tout au long du XIXe siècle synonyme de déqualification en Allemagne. Parallèlement à l’« amour du travail », l’« amour de la classe ouvrière » est également placé au premier rang des priorités. Cette dernière doit s’engager concrètement dans le quotidien scolaire afin de contribuer plus généralement à la construction de la « communauté socialiste des hommes » (sozialistische Menschengemeinschaft). De l’autre, il s’agit de susciter l’intérêt des enfants pour les métiers techniques, de leur donner le goût du travail industriel et les orienter le plus tôt possible vers telle ou telle branche afin de former une nouvelle génération d’ouvriers qualifiés (Facharbeiter) : les élèves d’aujourd’hui sont les ouvriers de demain.

37La loi de 1955 reconnaît officiellement à l’entreprise un statut d’éducateur à part entière. Le régime attend d’elle un sens du devoir et de la responsabilité envers les jeunes générations car l’école est considérée comme l’« institution de la classe ouvrière ». Concrètement, les personnes en charge du parrainage d’une école (une à trois personnes selon les cas) sont membres de droit du conseil pédagogique et du conseil de parents d’élèves. Tous les trimestres, ils font un rapport d’activités dans le cadre d’une réunion syndicale. En outre, les groupes FDJ de l’entreprise doivent soutenir le travail des Jeunes Pionniers à l’école. Des ouvriers volontaires peuvent même assurer l’encadrement de cellules de loisirs à caractère technique. Il est également prévu des rencontres entre les élèves et d’anciens ouvriers. L.W., né en 1935, se souvient d’une de ces rencontres au début des années 1950 qui l’a marquée « idéologiquement » comme élève :

  • 47 Transcription de l’entretien réalisé avec L.W. le 28 avril 2004, p. 2.

« Les ouvriers à la retraite ont essayé de nous expliquer les lois de l’histoire : comment le monde s’est construit, comme un ordre social a pris objectivement la place d’un autre, pourquoi il y eut d’abord le féodalisme, le capitalisme, pourquoi est arrivé le socialisme et puis le communisme. Ces lois de l’histoire se sont profondément enracinées en moi, elles étaient tellement convaincantes47. »

38Ces discussions intergénérationnelles visent à montrer aux élèves que la RDA représente l’État du progrès social, une sorte de fin de l’histoire, d’aboutissement des luttes du mouvement ouvrier.

  • 48 Cette pratique d’entraide entre les générations est importée d’URSS et fait référence au jeune pio (...)

39En échange de l’engagement de l’entreprise, les élèves doivent assurer un certain nombre de « devoirs » d’ordre culturel : organiser des fêtes au sein des entreprises à l’occasion de cérémonies en l’hommage d’« activistes du travail », exposer le récit de la visite de l’entreprise sur le journal mural de l’entreprise. Les Jeunes Pionniers doivent aider les retraités de l’entreprise dans le cadre de l’aide de Timur dans leurs activités quotidiennes (aller faire les courses, chercher le charbon à la cave…)48.

La réalité des parrainages entre écoles et entreprises

  • 49 Köpenicker Heimatmuseum, 1092.0 Oberschöneweide Schulen, Chronik des Schulwesens, p. 10.

40Les sources attestent l’existence d’un parrainage à Berlin-Est dès 1949 entre l’entreprise de câbles KWO (Kabelwerk Oberspree) et la 17e école de l’arrondissement de Köpenick. Malheureusement, on ne dispose d’aucune information sur le contenu du contrat49. Cette pratique, qui est donc antérieure à sa définition normative, connaît un succès rapide et important car en moins de deux ans, toutes les écoles ont une, voire deux ou trois entreprises.

  • 50 Sm/Do, 09/12/03/04, op. cit., p. 102.

41En zone rurale, les écoles concluent des contrats avec des coopératives agricoles50.

  • 51 LAB, C REP 120/298, Zusammenarbeit zwischen Schule und Patenbetriebe, 1949-1969, p. 7-8.
  • 52 LAB, C REP 903-01-06/351, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Zur politischen und pädagogischen Situ (...)

42D’après un bilan effectué par la mairie au 15 avril 1951, presque toutes les écoles de Berlin-Est ont conclu un parrainage avec une ou plusieurs entreprises qui ne sont pas forcément localisées dans le même quartier. Une analyse de la nature des entreprises parrainant les écoles de Prenzlauer Berg montre qu’elles ne sont pas toutes des entreprises d’État (Volkseigener Betrieb, VEB) et à caractère industriel51. Des écoles sont liées parfois à des entreprises privées (comme la 18e école de Prenzlauer Berg en 195452), à un commissariat de police, un hôpital, un théâtre, un journal (Neues Deutschland) ou un bureau de poste c’est-à-dire des employés du secteur tertiaire. La chancellerie présidentielle est même liée à l’école… Wilhelm Pieck de Pankow !

  • 53 Marx K., Engels F., Manifeste du Parti communiste, Paris, Nathan, 1981, p. 53.

43Cette pratique de parrainage est très bien acceptée par les enseignants. Beaucoup d’instituteurs sont sensibles aux activités manuelles et aux contacts avec le monde du travail. La pédagogie réformée, dont l’héritage est encore très présent d’une façon ou d’une autre au sein du corps enseignant, prône le lien entre l’école et la « vie », c’est-à-dire l’environnement extérieur. Cette idée est aussi très répandue dans la pensée éducative communiste depuis la thèse marxiste de « la combinaison de l’éducation avec la production matérielle53 ». Par contre, les enseignants voient d’un mauvais œil l’octroi aux représentants de l’entreprise d’un statut d’éducateur.

Arrondissement

Mitte

Prenzlauer Berg

Friedrichshain

Köpenick

Nombre moyen de parrainage par école

3

2

1,2

1

 % de bonnes relations

37,5

15

70

85

Arrondissement

Treptow

Lichtenberg

Weissensee

Pankow

Berlin

Nombre moyen de parrainage par école

1

1,2

2,3

1,5

1,6

% de bonnes relations

36

16

36

40

42

  • 54 LAB, C REP 120/298, op. cit.

Tableau 4. – Nombre et qualité du parrainage entre les écoles et les entreprises de Berlin-Est au début des années 195054.

  • 55 LAB, C REP 903-01-06/348, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Einschätzungen über die Verbesserung d (...)

44Au total, 343 entreprises parrainent 198 écoles, soit presque une moyenne de 1,7. Mais le taux d’échec est relativement élevé dans la mesure où les relations entre les écoles et les entreprises parrainées sont bonnes ou très bonnes à seulement environ 40 %. Les auteurs de cette enquête entendent par « bonnes relations » des relations régulières entre l’école et l’entreprise. Le croisement de ces deux données montre que les écoles ont tout à intérêt à avoir plusieurs « parrains » ou « marraines ». Lorsque les entreprises qui parrainent une école sont de petite taille, elles n’ont ni le temps ni les moyens humains de s’engager dans le quotidien scolaire. Un certain nombre d’entre elles n’invitent pas les enfants, ne se rendent pas aux réunions, aux fêtes scolaires. C’est pour cela aussi que bien souvent des écoles ont deux à trois partenaires. Bref, sur environ trois cents parrainages recensés à Berlin-Est, beaucoup restent lettre morte. En 1955, un fonctionnaire du SED de Prenzlauer Berg attire l’attention de sa direction sur ces liens formels entre école et entreprise : « Nous pouvons ainsi constater que seulement deux écoles possèdent un lien étroit avec leurs entreprises55. » Or, cet arrondissement compte quarante-neuf établissements scolaires…

  • 56 Chronique de la 8e école primaire de Mitte (1949-1965) ; Chronique de la 9e école primaire de Mitt (...)

45Si une école veut du matériel scolaire ou de l’argent, elle a intérêt à avoir plusieurs entreprises qui la parrainent. D’après leurs chroniques, les 8e et 9e écoles de l’arrondissement Mitte sont associées à six entreprises au début des années 195056. E. M, jeune enseignante dans une école de Weissensee dans les années 1950, rappelle l’importance de la dimension matérielle de ces parrainages et souligne l’intérêt à multiplier les contrats :

  • 57 Transcription de l’entretien réalisé avec E.M. le 15 juillet 2003, p. 6-7.

« Bien sûr, plus on en avait, mieux c’était. Ben, c’était d’abord en raison de la dimension matérielle. Chaque entreprise avait de l’argent dans son fond culturel et l’école avait un certain pourcentage dans le cadre du partenariat. On pouvait aller là-bas et dire “Mon Dieu nous avons besoin d’un nouveau projecteur de diapositives, oui, et d’autres matériaux pédagogiques.” Nous pouvions naturellement en recevoir du ministère [de l’Éducation], oui naturellement, mais nous pouvions obtenir quelque chose en plus que les entreprises avaient. Pendant une longue période, la cuisine du gouvernement était la marraine de l’école et c’est incroyablement lucratif, du point de vue du manger bien sûr57 ! »

46Les paroles de cette enseignante nous montrent que le contrat de parrainage est bien une solution qui permet de résoudre les difficultés matérielles concrètes quotidiennes auxquelles les écoles doivent faire face. En l’absence d’aide matérielle fournie dans le cadre de l’économie planifiée centrée sur l’industrie lourde, les enseignants ont recours à des acteurs locaux extérieurs au monde de l’éducation. Les liens sociaux entre les écoles et les entreprises relèvent généralement de trois ordres : matériel, financier et culturel.

  • 58 LAB, C REP 120/298, op. cit. p. 25.
  • 59 Ibid., p. 14
  • 60 Ibid., p. 24.

47L’aide matérielle est très précieuse pour les écoles au début des années 1950 car elles disposent de peu de moyens pour la reconstruction et l’aménagement de leurs bâtiments et des salles de classes. En fonction de sa nature, de ses possibilités en temps et en hommes et de sa motivation, chaque entreprise essaie d’améliorer le quotidien matériel de l’école qu’elle parraine. Un atelier de menuiserie a réparé les fenêtres, les armoires, les portes et les bancs des salles de classe de la 16e école à Hohenschönhausen : ce ne sont pas moins de 25 à 30 ouvriers qui sont venus deux dimanches de suite au cours du mois de février 195158. L’entreprise de construction de postes radio (RFT-Funkwerk) offre en avril 1951 à deux écoles de Köpenick des appareils de mesure destinés au cours de sciences physiques59. Parfois, l’aide matérielle est donnée uniquement aux groupes de Jeunes Pionniers implantés dans l’école. Phonetika, entreprise spécialisée dans le matériel radiotéléphonique, installe en février 1951 une ligne téléphonique pour une école de Weissensee et offre une radio au groupe de Jeunes Pionniers60. Ce geste vise à montrer le lien particulier entre l’entreprise et la cellule de base de l’organisation de jeunesse socialiste. D’une part, l’entreprise montre l’importance qu’elle accorde à l’organisation des Pionniers. D’autre part, cette situation de privilégiés peut contribuer à développer le recrutement de nouveaux membres.

48L’aide financière est aussi très développée. Elle remplace l’aide matérielle quand l’entreprise ne peut concrètement intervenir faute de temps ou de motivation. Ces dons financiers permettent souvent aux écoles de financer des excursions ou l’achat de livres pour leurs bibliothèques.

  • 61 La RAW (Reichsbahnausbesserungswerk) est une des plus vieilles entreprises créées dans l’arrondiss (...)
  • 62 LAB, C REP 120/298, op. cit., p. 21.

49La dimension culturelle est à double sens. D’un côté, les entreprises délèguent des employés (le plus souvent des contremaîtres et non des ouvriers) pour encadrer les cellules d’activités extrascolaires à caractère technique et scientifique. Un rapport mentionne l’existence dans le secteur de Friedrichshain d’un parrainage très dynamique entre la 23e école et la RAW61. L’entreprise fournit deux bénévoles pour encadrer les groupes de jeunes modélistes et de jeunes techniciens. Elle contribue aussi à la création d’équipes de football et de handball62. Mais dans l’ensemble, les employés des entreprises s’investissent peu dans cet encadrement, faute de temps et de motivations. De l’autre côté, les élèves organisent des fêtes culturelles dans les entreprises à différentes occasions liées à la temporalité socialiste.

  • 63 Ibid., p. 6

50En développant ces parrainages, le régime est-allemand espère surtout mobiliser la « classe ouvrière » pour le travail idéologique et politique. Il veut faire des « ouvriers » des pédagogues capables d’influencer les enfants. C’est pour cela que les directives édictées par les autorités scolaires invitent les employés des entreprises à assister aux réunions pédagogiques, à suivre les conférences sur la pédagogie soviétique, à participer aux heures de cours selon le slogan de la FDGB « L’entreprise à l’école une heure chaque jour63 ». En règle générale, les rapports d’évaluation de ces relations de parrainage ne cessent de déplorer « le manque d’investissement idéologique » des entreprises. Les services scolaires municipaux aimeraient qu’elles soient plus présentes, notamment pour orienter la jeunesse vers tel ou tel métier : ceux du métal pour les filles et ceux de la construction de machines lourdes pour les garçons. Ils rappellent l’importance des visites d’usine destinées à surmonter la crainte des enfants vis-à-vis des métiers manuels et à susciter la curiosité voire l’intérêt pour des techniques. Cet encadrement politique est absent la plupart du temps lorsque le parrain est une entreprise industrielle. Le fonctionnement en trois huit de nombreuses usines ne laisse souvent guère la possibilité de libérer du temps libre pour cette pratique de parrainage. Par contre, les sources donnent à voir un fort investissement des commissariats de police sur ce terrain : on les voit régulièrement aller en classe parler de leur métier, aborder des questions d’actualité politique.

51On remarque aussi que les relations humaines entre les élèves et les ouvriers productifs sont en fait quasi inexistantes. Le parrainage n’est donc pas l’occasion de construire ce lien communautaire si important aux yeux des autorités. Des ouvriers viennent parfois présenter leur métier pendant les heures de cours mais l’essentiel des contacts et des rencontres se réalise entre les directions. Derrière l’expression de « classe ouvrière » employée dans les documents officiels, ce sont avant tout des contremaîtres qui sont envoyés dans les écoles et très rarement des ouvriers de base.

  • 64 Ibid., p. 16.

52Lorsque les relations de parrainages fonctionnent, c’est souvent à sens unique. Cette situation déséquilibrée exaspère des entreprises qui s’investissent particulièrement dans cette pratique. Dans un rapport daté du 9 février 1951, l’entreprise Schering, jumelée avec le lycée de Berlin-Adlershof de Köpenick, déplore le fait qu’elle n’a toujours pas reçu les rédactions des élèves à propos de la visite de leur entreprise. Elle est d’autant plus déçue qu’elle a fixé des primes pour chaque dissertation64.

53Dès les années 1950, le succès réel des contrats de parrainage repose donc sur leur dimension économique et sociale, ce qui tend à limiter le rôle d’éducateur des entreprises. En janvier 1955, le service scolaire de l’arrondissement de Pankow dresse un bilan des relations entre écoles et entreprises, dans lequel l’auteur met l’accent sur le fait que l’aspect idéologique du contrat est souvent mis de côté par les entreprises, par manque de temps et de volonté :

  • 65 LAB, C REP 149-13/2, op. cit., non paginé.

« Excepté la 15e école, tous les établissements ont une entreprise qui les parraine. Le soutien idéologique fourni par l’entreprise n’existe vraiment jusqu’à présent que dans les 13e et 16e écoles. L’aide matérielle est plus importante et s’exprime sous la forme de subventions, de prises en charge de petits travaux, de dépenses de Noël pour les enfants et de l’engagement à fournir des places dans leurs camps de vacances. L’aide de l’école consiste essentiellement à collaborer à la conception des vacances d’entreprises65. »

  • 66 Kuhn K., « Wer mit der Sowjetunion verbunden ist, gehört zu den Siegern der Geschichte. » Die Gesel (...)

54Outre la relation privilégiée instaurée entre les écoles et les entreprises, le régime considère les organisations de masse comme des partenaires éducatifs incontournables des établissements scolaires. Mais sur le terrain, leurs structures de base ne sont guère visibles. À l’exception de la société pour l’amitié germano-soviétique (Gesellschaft für deutsch-sowjetische Freundschaft, DSF)66, les autres organisations de masse comme la Société pour la technique et le sport (Gesellschaft für Sport und Technik, GST) sont absentes du champ scolaire dans les années 1950. La GST n’intervient véritablement qu’à partir des années 1960 dans le cadre de la militarisation croissante de l’éducation.

55Dès le début des années 1950, le SED met en place autour de l’école un réseau d’institutions auxquelles il confie une fonction éducative. L’entreprise et les organisations de jeunesse constituent les deux principaux nouveaux acteurs institutionnels de l’école. Elles ont toutes les deux une mission pédagogique, politique et idéologique à remplir si bien qu’on peut parler d’un partage des compétences éducatives. L’école se trouve inscrite dans un réseau d’encadrement qui doit mobiliser toutes les forces de la société, mais les organisations de masse comme la DSF ont du mal à se faire leur place. Dans le même temps, cette « révolution » du champ scolaire se double d’une transformation symbolique du cadre spatial et temporel des établissements.

Notes

1 Kott S., op. cit., p. 199-236.

2 Fitzpatrick S., op. cit., p. 25.

3 Pour les organisations d’entreprises du parti, voir Christian M., op. cit.

4 Broschüre der Jungen Pioniere, Berlin (Est-), 1949.

5 Entre l’âge de six et dix ans, on parle de Jeunes Pionniers et entre dix et quatorze ans de Pionniers de Thälmann. La distinction se matérialise au niveau du foulard : bleu pour les premiers, rouge pour les seconds.

6 BA, DR 2/1 196, Inspektionen von Berliner Schulen, 1953, p. 29.

7 BBF, DIPF, Nachlass Karl Sothmann, 04.01/74, Schriftwechsel mit Paul Wandel, 28 février 1955, p. 2.

8 LAB, C REP 120/253, Zusammenarbeit zwischen Schule und Pionierorganisation, Pionierarbeit an den Schulen, 1950-1952, p. 53-55.

9 SAPMO, DY 25/2 632, Statistische Angaben der Pionierorganisation Ernst Thälmann im Zeitraum 1949-1960, non paginé.

10 Sm/Do, 09/12/03/04, op. cit., p. 108.

11 SAPMO, DY 25/2 632, Statistische Angaben der Pionierorganisation Ernst Thälmann im Zeitraum 1949-60, non paginé.

12 Schulze E., DDR-Jugend. Ein statistisches Handbuch, Berlin, Akademie Verlag, 1995.

13 LAB, C REP 920/20, Statistik der Kreisleitungen der Berliner FDJ, Août-décembre 1958, non paginé.

14 SAPMO, DY 25/531, Vorlage an das 4. Parlament der FDJ zur Einrichtung von Pionierzimmern an allen Grundschulen der DDR, 1952, non paginé.

15 SAPMO, DY 25/478, Referate und Dispositionen zur Arbeit der Jungen Pioniere in den Schulen und Entwicklung der gesellschaftlichen Rolle des Pionierverbandes, 1949-1952, non paginé.

16 LAB, C REP 120/253, op. cit., p. 58.

17 SAPMO, DY 24/2 129, Protokoll der 4. Tagung des Zentralrates der FDJ vom 1-2.12.1949, p. 90.

18 LAB, C REP 120/253, op. cit., p. 58.

19 BA, DR 2/3 986, Ausbildung der Pionierleiter, 1954-1955, p. 19.

20 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 112.

21 LAB, C REP 903-03-01/159, op. cit., non paginé.

22 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 15.

23 SAPMO, DY 25/2 632, Statistik, 1949-1960, non paginé.

24 Transcription de l’entretien réalisé avec R.H. le 12 mars 2004, p. 6.

25 LAB, C REP 120/2 077, op. cit., p. 19.

26 BA, DR 2/1 196, op. cit., p. 7.

27 LAB, C REP 903-03-01/159, op. cit., non paginé.

28 Ibid.

29 Collectif d’auteurs, Handbuch des Pionierleiters, Berlin-Est, Verlag Neues Leben, 1952.

30 BA, DR 2/3 986, op. cit., 1954-55, p. 11.

31 SAPMO, DY 25/479, op. cit., non paginé.

32 LAB, C REP 903-01-06/348, op. cit., p. 6.

33 LAB, C REP 120/253, Zusammenarbeit zwischen Schule und Pionierorganisation, Pionierarbeit an den Schulen, 1950-1952, p. 160.

34 LAB, C REP 120/2 078, op. cit., p. 18.

35 Ibid., p. 119.

36 Ibid., p. 114.

37 LAB, C REP 903-01-06/348, op. cit., p. 10.

38 LAB, C REP 903-01-06/355, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Berichte über Pionierarbeit und Arbeitsgemeinschaft im Stadtbezirk, mai 1953-juin 1962, non paginé.

39 LAB, C REP 120/153, op. cit., p. 152.

40 Kott S., op. cit., p. 90-99, ici p. 90.

41 Droit E., « Die “Arbeiterklasse” als Erzieher ? Die Beziehung zwischen Schulen und Betrieben in der DDR (1949-1989) », Droit E, Kott S. (dir.), Die ostdeutsche Gesellschaft. Eine transnationale Perspektive, Berlin, Links Verlag, 2006.

42 Mazurek M., « “Billiger und schneller” produzieren – “genauer und mehr” verarbeiten. Der Alltag in den VEB in der VRP und der DDR Ende der fünfziger Jahre bis Anfang der sechziger Jahre », Zeitschrift für Ostmitteleuropa – Forschung, vol. 53, no 4, 2004, p. 525-555 ; Id., Socjalistyczny zakład pracy. Porównanie fabrycznej codzienności w PRL NRD u progu lat sześćdziesiątach, Varsovie, Trio, 2005.

43 Dokumente der SED. Beschlüsse und Erklärungen des Parteivorstandes des Zentralsekretariats und des Politischen Büros, vol. II, Berlin (Est), 1951, p. 204.

44 Kott S., op. cit., p. 91.

45 Ibid., p. 271-293.

46 Lattard A., op. cit.

47 Transcription de l’entretien réalisé avec L.W. le 28 avril 2004, p. 2.

48 Cette pratique d’entraide entre les générations est importée d’URSS et fait référence au jeune pionnier Timur héros d’un roman pour enfants de Arkadi Gaidar (1904-1941) Timur et sa troupe.

49 Köpenicker Heimatmuseum, 1092.0 Oberschöneweide Schulen, Chronik des Schulwesens, p. 10.

50 Sm/Do, 09/12/03/04, op. cit., p. 102.

51 LAB, C REP 120/298, Zusammenarbeit zwischen Schule und Patenbetriebe, 1949-1969, p. 7-8.

52 LAB, C REP 903-01-06/351, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Zur politischen und pädagogischen Situation an den Schulen, février 1951-octobre 1962, non paginé.

53 Marx K., Engels F., Manifeste du Parti communiste, Paris, Nathan, 1981, p. 53.

54 LAB, C REP 120/298, op. cit.

55 LAB, C REP 903-01-06/348, SED Kreisleitung Prenzlauer Berg, Einschätzungen über die Verbesserung der politischen Führungstätigkeit an den Schulen, mars 1955-mai 1958, p. 10.

56 Chronique de la 8e école primaire de Mitte (1949-1965) ; Chronique de la 9e école primaire de Mitte (1949-1964).

57 Transcription de l’entretien réalisé avec E.M. le 15 juillet 2003, p. 6-7.

58 LAB, C REP 120/298, op. cit. p. 25.

59 Ibid., p. 14

60 Ibid., p. 24.

61 La RAW (Reichsbahnausbesserungswerk) est une des plus vieilles entreprises créées dans l’arrondissement de Friedrichshain en 1867. Ses employés travaillent à l’entretien et à la vidange des locomotives et des wagons.

62 LAB, C REP 120/298, op. cit., p. 21.

63 Ibid., p. 6

64 Ibid., p. 16.

65 LAB, C REP 149-13/2, op. cit., non paginé.

66 Kuhn K., « Wer mit der Sowjetunion verbunden ist, gehört zu den Siegern der Geschichte. » Die Gesellschaft für Deutsch-Sowjetische Freundschaft im Spannungsfeld von Moskau und Ostberlin, Thèse de doctorat en histoire, Université de Mannheim, 2002.

Table des illustrations

Légende Schéma 3. – Organisation théorique de l’organisation des Pionniers dans une école.
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Légende Graphique 4. – Évolution du recrutement des Jeunes Pionniers en RDA et à Berlin-Est dans les années 1950.
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Légende Sources : SAPMO, DY Y 24/2 349, Statistik, 1949, non paginé ; SAPMO, DY Y 24/2 393, Statistik, non paginé 1950 ; LAB, C REP 920/20, Statistik der Kreisleitungen der Berliner FDJ, août-décembre 1958, non paginé.Graphique 5. –Taux de membres de la FDJ chez les 15-25 ans de Berlin-Est dans les années 1950.
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Légende Source : Schulze E., DDR-Jugend. Ein statistisches Handbuch, Berlin, Akademie Verlag, 1995.Graphique 6. –Pourcentage de membres parmi les 15-25 ans en RDA et à Berlin-Est dans les années 1950.
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/126672/img-4.jpg
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Légende Graphique 7. – Origine sociale des Pionierleiter en RDA et à Berlin-Est en mai 1951 (en %).
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