1Au terme de nos approches particulières et de nos débats collectifs, riches et vifs, autour de la question de la représentation de la puissance royale de l’Antiquité au Moyen Âge, il ressort quelques constats, plusieurs enseignements et certaines pistes de réflexion. Le sujet était vaste, mais la pertinence de l’association entre historiens et spécialistes de littérature, tant des périodes antique que médiévale a été reconnue par tous : en effet, au-delà de la diversité des faits, des réalités et des époques, elle a permis une mise en perspective de certaines réflexions fondamentales, voire une sorte de partage des problématiques. Nous avons regroupé ces pistes de réflexions au sein de quatre catégories.

Espaces, époques, approches

2Du fait de l’importance du cadre spatio-temporel envisagé, tout ne pouvait être abordé. Sur le plan géographique, d’abord, malgré la grande diversité des espaces concernés, les différentes approches se sont avant tout concentrées sur l’espace méditerranéen. Chronologiquement, ensuite, il était impossible de couvrir toutes les époques de manière homogène. La période hellénistique a été particulièrement présente, un peu au détriment de l’Antiquité romaine, mais celle-ci a parfois été indirectement évoquée, au travers de l’étude des interactions entre Rome et les pouvoirs locaux tant en Gaule qu’au Proche-Orient. Pour le Moyen Âge, le royaume des Francs puis de France a focalisé ici l’attention d’une majorité d’études et si la réflexion a été élargie au monde byzantin et à l’Espagne, ni l’Italie, ni l’Angleterre, ni le monde musulman n’ont cependant pu être envisagés. En terme d’approches, enfin, en dépit de l’absence d’historiens de l’art, la création artistique et l’acte créateur des images ont bien été évoqués par la plupart des auteurs, avec leurs implications autant techniques qu’idéologiques. C’est même l’insistance sur les techniques, en termes de contraintes matérielles, notamment dans la gravure des coins monétaires, qui a suscité certaines des approches les plus originales développées au cours de notre rencontre. Les pistes de réflexions sur les aspects purement idéologiques ont souvent été novatrices, mais peut-être davantage attendues en raison même de la présentation thématique que nous avions proposée. Particulièrement motivantes pour l’esprit ont été les considérations sur les savoirs-faires ou encore sur la « mauvaise foi » des artistes/artisans qui prédéterminaient le résultat final et l’interprétation idéologique qui en était donnée.

Limites liées aux sources

3Le problème des limites imposées par les sources a sans cesse été souligné, suscitant paradoxalement de très intéressants constats méthodologiques ou repositionnements historiographiques. On a ainsi pu souligner la nécessité d’une remise en cause d’une historiographie parfois douteuse et dépassée, mais aussi le problème fondamental posé par les sources indirectes qui n’emploient pas forcément le langage de l’autorité d’origine. Le problème des images dans les sources littéraires a donné lieu à une réflexion sur le caractère exceptionnel des occurrences de telles mentions : la situation de crise est toujours privilégiée par l’écrit qui omet presque obligatoirement d’évoquer les situations banales. Or, il est fondamental de pouvoir saisir également le pouvoir dans sa réalité paisible et quotidienne. Dans tous les cas, les problèmes de langue, de langage, y compris au sens figuré, n’ont eu de cesse d’alimenter nos échanges, sans permettre cependant d’aboutir à des conclusions définitives, mais jetant les bases d’une réflexion qui pourrait, pensons-nous, s’avérer novatrice. L’étude du « vocabulaire » et de la « grammaire » des images, avec leurs figures de style et leurs faux-amis, autant au Moyen Âge (notamment carolingien) que dans l’Antiquité (en particulier hellénistique), est apparue comme nécessaire pour éviter les contresens et a fait naître quelques hypothèses tendant à remettre en cause certaines interprétations traditionnelles. On a ainsi mis en garde contre l’habillage de certaines réalités par des modèles culturels qui ne sont convoqués qu’en surface, sans forcément impliquer une quelconque continuité. Ainsi, dans le royaume lagide, le temple égyptien a pu être considéré par le monarque comme une sorte d’équivalent indigène de la polis grecque. À l’époque carolingienne, les modèles antiques sont repris, mais réinterprétés. Pour comprendre les images sans faire de contresens, il faut tenir compte de la lenteur des évolutions des systèmes idéologiques et de la valeur légitimante de certaines références. Il peut y avoir transfert d’images, sans transfert idéologique.

Diversité des supports et des images : symboles et attributs

4Monnaies et enluminures ont été les principaux supports étudiés, à juste titre, car les inscriptions accompagnant les images en permettent une attribution relativement sûre. Il convient néanmoins de ne pas les envisager comme seuls outils de propagande, mais dans un contexte global qui prend aussi en compte les réalités sociales, économiques, religieuses, culturelles et artistiques. Les analyses confirment en outre la nécessité, pour comprendre un programme iconographique, de replacer les images dans des séries : plusieurs manuscrits sont ainsi décorés d’enluminures qui se renvoient les unes aux autres et n’acquièrent leur cohérence que si elles sont envisagées dans leur ensemble et en lien avec le texte qu’elles illustrent plus ou moins fidèlement.

5Au sein des répertoires iconographiques de la monarchie, on a pu distinguer les symboles courants, relevant de véritables convergences entre les époques et les espaces, voire de coïncidences culturelles, des motifs ou attributs beaucoup plus rares. On a néanmoins souligné qu’un élément banal en apparence pouvait également être érigé au niveau de concept, comme la couronne du roi médiéval désignant non plus l’objet lui-même mais la notion même de fonction royale. Dans ce cas, la banalité du motif se retrouve pour ainsi dire transcendée par sa conceptualisation. De même, la notion de royaume (regnum) dans son abstraction immatérielle finit par remplacer la personne physique et mortelle du roi (rex).

6Parmi les symboles jugés rares, l’étoile a été évoquée, en même temps que le caractère polysémique qui en rend l’interprétation d’autant plus ardue. La signification d’un attribut peut également ne pas se limiter à la royauté : le torque gaulois doit ainsi être replacé dans son contexte originel plus aristocratique que proprement monarchique. Nous avons donc insisté sur le caractère discriminant ou non de certains symboles d’un point de vue strictement monarchique.

Une image du pouvoir monarchique entre uniformité et diversité

7Si le pouvoir monarchique est d’abord associé à une figure masculine, il peut également être incarné par la dualité d’un couple, voire par un personnage féminin presque exclusif, notamment dans le cadre d’une régence. La reine apparaît alors pourvue des mêmes symboles et dans les mêmes mises en scène que le roi, ce qui ne signifie cependant pas qu’il n’y ait aucune différence dans le rapport de l’un et l’autre au pouvoir.

8Si le pouvoir monarchique se donne à voir ou se trouve montré dans toutes les sociétés du passé, sa représentation peut prendre des formes extrêmement variées : de la statue monumentale au cortège funéraire ou de la mise en scène de la chasse à la frappe monétaire, en passant par l’enluminure, le poème, l’architecture, etc. Elle est aussi destinée à un « public » plus ou moins nombreux et varié : élites, ennemis vaincus, clergé, sujets, commanditaire, etc. Cette variété est fonction de la nature du message à faire passer, mais aussi du contexte général et des conditions particulières de réalisation. Il en résulte une déclinaison variée de l’image de ce pouvoir, ce qui n’exclut pas des tendances communes.

9Si le roi est le plus fréquemment représenté comme un être supérieur, puissant ou victorieux, les différents articles ont plutôt mis l’accent sur les différences idéologiques les moins évidentes de prime abord. Ainsi, l’image traditionnelle du roi-guerrier présente dans toutes ces sociétés – sans être la seule – s’efface parfois : dans certaines enluminures de la fin du Moyen Âge, rejetant l’ignominie de la guerre, l’auteur cherche à délivrer un message de paix au travers même des représentations combattantes du roi.

10De même, si la qualité et la quantité des membres de l’entourage royal, marqueur de supériorité, sont le plus souvent soulignées par les sources des diverses époques, le roi médiéval s’affiche aussi parfois, notamment sur sa monnaie, dans une pose hiératique, encadré par un polylobe qui le sépare symboliquement de son entourage. Le souverain apparaît donc à la fois comme un individu rassembleur et unificateur en lien avec le reste de la société, mais aussi comme un être particulier, occupant une place à part, intermédiaire entre peuple et divinité(s). Les images du pouvoir présentent donc des situations contradictoires : elles relativisent parfois les grandes tendances que nous pourrions être amenés à énoncer comme des généralités.