Les conseils d’élèves : la parole des enfants face à une tentative d’organisation institutionnelle de leurs relations sociales
p. 225-233
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Depuis la fin des années quatre-vingt, une certaine synergie s’est formée autour de la question de l’enfance, entre les chercheurs de langue française (historiens, sociologues, démographes, ethnologues), les professionnels en charge de ce secteur et l’opinion publique, depuis la dénonciation des souffrances de l’enfant et la revendication de sa protection jusqu’à la reconnaissance de son existence spécifique en tant qu’acteur dans les différentes sphères de la vie sociale (école, famille, justice, consommation, loisirs…) (Sirota, 1998). Le programme constructiviste en sociologie concerne désormais aussi bien les enfants que les adultes (Corcuff, 1995 ; Rayou, 1998), dans un contexte général d’accroissement de la sensibilisation des sociétés occidentales au thème de l’enfance.
2Dans le domaine scolaire, les préoccupations récentes de l’Éducation Nationale française s’inscrivent bien dans cette perspective. Les programmes récents applicables à la rentrée 2002 concernant l’éducation civique à l’école élémentaire insistent sur le rôle actif que doit jouer l’élève, voire même proposent l’instauration de « débats » concernant la vie scolaire en cycles 2 et 3 (élèves depuis la grande section maternelle jusqu’à la fin de l’école élémentaire, soit âgés environ de 5 à 10 ans) Le thème de la participation active de l’élève n’est évidemment pas nouveau. La conception selon laquelle les élèves doivent participer de manière plus responsable à leur éducation civique est le fruit d’une évolution historique qui a vu s’instaurer puis se modifier la fonction moralisatrice/socialisatrice de l’école (Vincent, 1980) Les textes officiels de l’Éducation Nationale antérieurs à la parution des programmes de la rentrée 2002 soulignaient déjà combien les « leçons de morale » relèvent aujourd’hui d’un registre dépassé, inefficace, « les élèves ne tirant aucune conséquence pratique des notions étudiées même, paradoxalement, lorsqu’ils se montrent capables de les appliquer aux règlements qu’ils proposent eux-mêmes pour la classe » (Bulletin officiel spécial n° 7 du 26 août 1999, cycles 2 et 3). L’accent était porté sur la manière dont les enfants peuvent ressentir que « les valeurs, règles ou conventions les concernent personnellement au point d’éprouver le besoin de s’en inspirer dans leur vie quotidienne ».
L’ENFANT « ACTEUR » DE SA SOCIALISATION : UNE PRÉOCCUPATION DE L’école ET UNE PERSPECTIVE DE LA SOCIOLOGIE DE L’ENFANCE
3Un aspect nouveau est apparu dans les programmes, à savoir la demande officielle faite aux enseignants d’instaurer des débats en cycles 2 et 3. Cette pratique est déjà présente dans quelques classes primaires, de manière informelle ou sous une forme plus institutionnelle proche des « conseils » ou des « réunions de coopérative » telles que par exemple Célestin Freinet les préconisait au début du XXe siècle. Voici une occasion intéressante de s’interroger sur une injonction de l’école qui pourrait bien paraître à première vue paradoxale : on reconnaît aux élèves une capacité à être acteurs de leur socialisation, mais en même temps on souhaite organiser fortement leurs relations sociales. Les programmes actuels concernant l’éducation civique des élèves du cycle 3 reflètent cette oscillation entre d’un côté la volonté de rappeler le cadre socialisateur contraignant de l’école (l’expression de « petite société » y est reprise, ce qui n’est pas sans rappeler la position durkheimienne) et d’un autre côté la marge de manoeuvre laissée à l’enfant : « […] les enseignants font comprendre la signification des contraintes justifiées par le surcroît de liberté qu’elles apportent. La petite société que constitue l’école permet de conduire cette réflexion de manière concrète dans le cadre des débats prévus à l’emploi du temps. Le règlement intérieur et les lois républicaines qu’il met en application dans l’école doivent y être expliqués comme une condition indispensable à toute vie collective, pour les élèves comme pour les adultes. Les règles de vie de la classe sont élaborées par les élèves sous la direction du maître. Les difficultés nées de leur mise en œuvre sont régulièrement examinées afin d’en aménager le fonctionnement et le respect. Ces débats sont l’occasion d’une mise en pratique de la communication réglée : ordre du jour, présidence de séance, compte-rendu » (Éducation Nationale, 2002). L’école paraît tour à tour très confiante dans les capacités de l’enfant à instaurer des relations sociales, puis très méfiante alors même que nombre de travaux sociologiques et ethnologiques viennent relativiser ce pessimisme (colloque Sociétés et cultures enfantines, 2000). Les élèves n’ont pas besoin de se référer systématiquement aux enseignants pour réguler leurs interactions et ils savent instaurer des règles, par exemple dans la cour de récréation où derrière un désordre apparent, ils structurent en fait leurs relations, ils savent développer des formes de sociabilité loin du regard des adultes (Delalande, 2001). Selon Patrick Rayou, les compétences politiques développées par les enfants seraient identiques « en nature, sinon en degré à celles que manifestent les adultes » (1999, p. 5), même si une conduite collective consciente, organisée comme projet durable reste exceptionnelle.
LA DISCIPLINE SCOLAIRE À LA CROISÉE DE LA SOCIOLOGIE DE L’ÉDUCATION ET DE LA SOCIOLOGIE DE L’ENFANCE
4Les comportements indisciplinés des élèves ont déjà fait l’objet de nombreuses études (par des auteurs tels que Georges Felouzis, Jean-Paul Payet, Régine Sirota, Jacques Testanière, Paul Willis, Peter Woods…). Notre angle d’analyse dans la compréhension sociologique de la discipline scolaire privilégie d’abord la manière dont les enseignants imposent l’ordre scolaire pour mieux comprendre ensuite les manières de réagir des élèves. Afin de mieux saisir l’éclatement actuel des modèles pédagogiques, l’intérêt s’est porté sur les pédagogies « novatrices » nommées ainsi pour désigner les pédagogies qui s’inscrivent dans une perspective revendicatrice de changement et qui déclarent vouloir prendre davantage en compte l’enfant comme acteur de ses apprentissages. Ces pédagogies « novatrices » ne sont pas « nouvelles » dans le sens où les propositions qui sont faites sont rarement totalement inédites et cette désignation n’induit pas un jugement de valeur dans notre propos qui supposerait qu’elles sont « meilleures » que des pédagogies traditionnelles. Les pédagogies « novatrices » sont certes minoritaires en France, mais leur étude présente un intérêt sociologique dans la mesure où elles conduisent une réflexion systématique autour de l’idée d’un enfant placé au centre du système éducatif. Or ce modèle « puerocentré » (réaffirmé dans la loi d’orientation du 10 juillet 1989), s’il est présent dans beaucoup de réflexions liées à l’école, relève davantage du « pédagogiquement correct » (Rayou, 2000) et du lieu commun que de réelles pratiques de terrain.
5La compréhension de la manière dont l’ordre scolaire est organisé par l’enseignant dans des classes « novatrices » et des classes « non novatrices » ne peut laisser de côté le caractère co-construit de la relation pédagogique et de la régulation disciplinaire, résultant des interactions entre l’enseignant et les élèves.
6Premièrement quelques heures d’observation dans une classe suffisent pour s’apercevoir combien l’autorité de l’instituteur ne s’impose pas « naturellement » aux élèves du simple fait du statut d’enseignant. Pour reprendre les propos de François Dubet (2000), l’enseignant est actuellement confronté à la perte de légitimité de son autorité autrefois vécue comme plus « évidente ». Marie Verhoeven (1998 et 1999) souligne combien le mode de contrôle vertical et disciplinaire paraît en crise à l’école, remplacé par un mode de contrôle plus horizontal, avec négociation et association des pairs, ainsi qu’un appel à la responsabilisation. Cette mutation du mode de régulation scolaire serait en lien avec une mutation plus globale concernant les modes de régulation de nos sociétés postindustrielles.
7Deuxièmement, en discutant de manière informelle avec les élèves durant les observations en classe, on se rend compte de la variation des interprétations selon les enfants ayant vécu pourtant exactement la même situation pédagogique : là où certains pensent qu’ils ont une marge de manoeuvre non négligeable, les autres décrivent une maîtresse omniprésente, prenant toutes les décisions et potentiellement capable de punir physiquement (bien qu’ils reconnaissent ne l’avoir jamais vu faire). D’où l’importance de la confrontation systématique entre les entretiens avec les élèves, les observations et les propos des enseignants, non pas dans un esprit soupçonneux pour débusquer la part de mensonge et celle de vérité, mais afin de comprendre comment les enquêtés « donnent forme », « produisent du sens », « produisent leur vérité », pour reprendre des termes de Jean-Claude Kaufman (1996).
8Prendre en compte l’enfant en tant qu’acteur dans la compréhension de la discipline vient interroger la théorie de la forme scolaire comme mode prédominant de socialisation. À partir du moment où l’on s’intéresse à ce que l’enfant fabrique à l’intersection des différentes instances de socialisation que sont l’école, la famille ou l’État (pour reprendre des propos de Régine Sirota, 1998, p. 21), n’est-on pas en droit de se demander ce qu’il reste de la forme scolaire au coeur de cette fabrication impliquant plusieurs modes de socialisation parfois concurrents, voire opposés ? Guy Vincent, Bernard Lahire et Daniel Thin (1994) ont commencé leur texte « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire » en se demandant si la crise actuelle de l’école et les critiques très acerbes faites aux systèmes scolaires pouvaient être interprétées comme la fin de la forme scolaire elle-même en tant que configuration socio-historique particulière apparue au XVIe siècle dans nos sociétés européennes, marquant l’instauration d’une « relation pédagogique » qui s’accomplit dans un espace et un temps spécifiques, distincts des autres activités sociales, avec des méthodes et des procédés d’apprentissage systématiques et particuliers à l’école. Or cette question, ramenée à la question de la discipline, prend une acuité particulière actuellement en France où certains discours médiatiques et politiques s’inquiètent de la « restauration » de l’autorité dans les écoles, comme s’il s’agissait d’une « pièce » qui aurait disparu mécaniquement de la relation pédagogique. Autrement dit, la part d’initiative laissée apparemment aux élèves à l’école aboutit-elle à une remise en cause des caractéristiques de la forme scolaire, notamment la soumission aux règles impersonnelles auxquelles doivent se soumettre le maître comme les élèves et qui accoutume l’enfant à une relation de pouvoir spécifique (Vincent, 1980) ?
LA RÉGULATION SCOLAIRE CO-CONSTRUITE DANS LES CONSEILS D’ÉLÈVES
9Deux recherches ont porté sur des classes primaires « novatrices » de 3e cycle (CE2/CM1/CM2, de 8 à 10 ans environ) et des classes de 6e d’un même collège (11 ans environ) (Gasparini, 1998 ; Gasparini et Pardo, 2000)1. Les classes primaires « novatrices » prennent place dans un établissement ayant pour projet explicite de former de futurs « citoyens actifs », avec en filigrane la perspective politique d’une société « plus démocratique2 ». Une partie des enfants a été suivie lors de la deuxième recherche entre leur classe primaire « novatrice » et leur scolarité en 6e, notamment pour observer si certaines dispositions manifestées lors des conseils d’élèves étaient encore présentes chez ces enfants ensuite au collège.
10Les conseils organisés dans les classes élémentaires connaissent une structure globalement similaire, très cadrée : ils ont lieu une fois par semaine, dans la salle de classe, pour une durée toujours identique (en général une heure) ; certains élèves sont élus pour gérer le conseil en occupant des fonctions de « président » ou « animateur » de séance, de « trésorier », de « secrétaire »; la majeure partie du temps des conseils est consacrée à examiner les plaintes émises par les élèves pour tenter de trouver collectivement des solutions, notamment en se référant à des règles de classe. Mais loin de correspondre à une expérience pédagogique homogène, la mise en place des conseils observés dans ces classes de 3e cycle conduit à des co-constructions différentes dans lesquelles sont en jeu des pratiques enseignantes et des expériences subjectives d’élèves. Pour reprendre les variantes de la forme scolaire dégagées par Guy Vincent (1980), si les figures pédagogiques de l’élève « co-opératif » et « raisonnable » sont valorisées dans ces classes qui pratiquent les conseils, la figure de l’élève « discipliné » ne s’éclipse pas pour autant totalement. Ainsi plusieurs manières d’obtenir l’obéissance se croisent, ce qui reflète bien finalement le caractère nécessairement composite de l’autorité enseignante actuelle (Dubet, 2000).
11Cependant, il ne semble pas qu’on puisse en conclure que « tout est relatif » et que finalement le déroulement de la scolarité de l’enfant ne dépendrait pas des orientations pédagogiques, ni d’une manière générale de la forme scolaire, mais d’interactions au déroulement plus ou moins aléatoire entre des acteurs, élèves et enseignant. La théorie de la forme scolaire reste encore pertinente comme cadre d’analyse des trois classes « novatrices » puisque la tentative de placer l’enfant en tant qu’acteur de ses relations sociales à travers les conseils renforce la dimension de soumission aux règles impersonnelles. En effet, l’élève se trouve confronté à une réaffirmation de contraintes liées à la vie en société et à des nécessités dépassant la personne même des élèves ou de l’enseignant. Même si l’expérience pédagogique des conseils varie entre les classes, il reste un principe fondamental selon lequel la régulation des interactions en classe peut s’effectuer par le groupe lui-même, mais en référence à des règles impersonnelles, valables pour tous, édictées collectivement. Certaines de ces règles ne se discutent pas du tout et sont imposées en début d’année par les instituteurs qui considèrent qu’elles relèvent du respect fondamental de l’être humain (par exemple accepter la différence ou bien ne pas avoir recours à la violence physique). Bien sûr la personne de l’enseignant joue beaucoup dans l’obéissance de l’élève à l’école primaire, mais le principe général de la soumission aux règles impersonnelles n’est pas remis en cause par les enfants, qui ne font jamais de propositions extravagantes en début d’année lorsqu’ils réfléchissent sur les règles à édicter : les enseignants reconnaissent que la discussion a essentiellement pour vertu de rappeler aux élèves des lois qu’ils connaissent déjà.
12Que deviennent les élèves des écoles primaires « novatrices » quand ils entrent ensuite au collège ? C’est la question que nous nous sommes posée en suivant le passage de certains élèves des classes « plurielle » et « ouverte » du CM2 s’inscrivant ensuite dans le même collège du quartier (Gasparini et Pardo, 2000). Les résultats de cette investigation ne permettent pas de conclure que les élèves provenant de ces deux classes pratiquant les conseils sont plus dynamiques, plus sensibles à l’éducation civique et ont des représentations différentes de l’autorité enseignante. Lors d’entretiens menés en 6e, les élèves n’ont abordé que très peu et en tout cas pas de façon prioritaire les questions d’obéissance à l’adulte, de responsabilité et d’initiative accordée. S’ils ont évoqué souvent avec nostalgie leurs enseignants du primaire, la proximité qu’ils appréciaient avec eux et s’ils se sont plaints de certains traitements injustes, les collégiens interrogés nous ont bien moins parlé des espaces de discussion autrefois aménagés en CM2 et très peu présents au collège.
13Un premier élément d’interprétation doit être pris en compte, concernant la mauvaise réputation du collège fréquenté : ceux qui avaient les résultats et/ou les moyens financiers et/ou pouvaient bénéficier de connaissances concernant les dérogations scolaires ont évité ce collège, alors que ceux qui sont restés malgré eux en ont souvent gardé de l’amertume.
14Une autre explication, non incompatible avec la première, se situe au niveau des modalités de fonctionnement de ce collège et de la relation pédagogique valorisée dans laquelle se percevait une accentuation de la variante la plus directive de la forme scolaire, d’autant plus importante dans des matières telles que l’éducation physique et sportive et la technologie qui paraissent moins légitimes scolairement (en termes de poids dans l’orientation et dans l’organisation des apprentissages engageant les corps différemment que la position assise en classe). Les variantes « élève raisonnable » et « élève co-opératif » étaient bien plus présentes dans les écoles élémentaires étudiées. Récemment, Olivier Cousin et Georges Felouzis (2002) ont souligné combien l’entrée en 6e se caractérise pour les collégiens d’établissements situés dans des quartiers populaires par un renforcement de la distanciation des relations enseignant/élève et un accroissement de la sévérité en matière de discipline et de travail. Marie Verhoeven (1997) a souligné aussi que dans les établissements peu valorisés, où les élèves sont le plus en difficultés, on observe une crispation sur les attitudes disciplinaires plus directes et rigides. Il existe un risque de mise en péril de la forme scolaire, d’autant plus fort dans les collèges de la « périphérie » (pour reprendre une expression d’Agnès Van Zanten, 2001) où la croyance dans l’égalité de traitement du système scolaire et dans les perspectives de rendement social et professionnel des diplômes scolaires est largement émoussée. Dans certains collèges, la perte de légitimité de la forme scolaire vient modifier la nature des relations sociales visées chez les élèves, et ce de manière parfois contradictoire avec les objectifs affichés de responsabilisation de l’élève comme acteur.
15Le caractère hétérogène et co-construit des relations sociales qui émergent dans le cadre des conseils tels qu’ils ont été analysés en primaire ne remet pas en cause le mode scolaire de socialisation, notamment dans sa caractéristique fondamentale de soumission aux règles impersonnelles. Les variations pédagogiques insistant sur l’élève en tant qu’acteur à l’école primaire à travers la mise en place de débats ne semblent pas présenter de « risque » pour la forme scolaire. Ces variations paraissent finalement très secondaires par rapport à l’expérience du passage entre l’école primaire et le collège où la question des relations sociales dans les établissements prend un caractère beaucoup moins hétérogène et co-construit, en tout cas pour les établissements regroupant des familles populaires marginalisées. Il ne s’agit là pas seulement d’une remise en cause de l’institution scolaire, mais d’une mise en doute de la prédominance du mode scolaire de socialisation par des élèves confrontés à d’autres modes de socialisation tout autant sinon plus légitimes à leurs yeux, notamment pour ce qui relève de la culture juvénile (Lepoutre, 1997 ; Cousin et Felouzis, 2002).
16Les recherches actuelles sur la discipline ne peuvent passer outre cette évidence selon laquelle l’élève est acteur de sa socialisation : il se réapproprie différemment les contextes pédagogiques auxquels il est confronté et il réagit au mode scolaire de socialisation au point de parfois le faire vaciller au collège. Mais il s’agit d’un acteur encore très dépendant de cadres de socialisation structurés par des projets socialisateurs forts. Il n’est pas sûr d’ailleurs que l’instauration de débats ne soit pas particulièrement contraignante pour certains enfants, obligés de montrer leur bonne conformité en classe, y compris sur le plan de leurs relations sociales avec les autres élèves. Certains peuvent se trouver tentés d’afficher dans les échanges une fausse authenticité d’eux-mêmes, pour rassurer l’enseignant quant à leurs compétences sociales. Or on peut se demander s’il n’est pas fatigant, comme pour un adulte, d’être toujours « soi-même » (selon une expression d’Erhenberg) entre des univers de socialisation différents. La volonté institutionnelle revient alors à recouper sous le regard d’un même enseignant deux univers (celui de la classe et des performances scolaires, celui de la cour et des relations entre les enfants), d’une manière qui pourrait se révéler fort intrusive, si les élèves n’avaient pas les moyens de s’en protéger (par exemple en ne réglant pas un certain nombre de problèmes en dehors des conseils hebdomadaires).
17De plus les projets socialisateurs des adultes sont insérés dans des rapports hiérarchiques de société au sein desquels l’organisation scolaire n’est pas anodine. Olivier Cousin et Georges Felouzis (2002) montrent bien qu’au collège la position du « frimeur », mauvais élève ayant accumulé du retard, perturbant la classe, se heurtant au règlement, se construisant en opposition à l’école, suscite de moins en moins d’admiration chez les pairs au fur et à mesure de l’avancement dans les classes, compte tenu de l’importance actuelle de la réussite scolaire pour un enfant. L’enfant n’est donc pas un acteur à considérer tout à fait au même titre qu’un adulte, ce qui ne signifie pas d’ailleurs que pour les adultes et en particulier les enseignants, la tâche soit facile. Pour comprendre ce que l’enfant fabrique avec les instances de socialisation, il nous semble donc indispensable de ne pas étudier seulement les réactions des enfants, mais conjointement les contextes de socialisation dans lesquels ils se trouvent.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
BIBLIOGRAPHIE
Corcuff, P., 1995, Les nouvelles sociologies, Paris, Nathan.
Cousin, O. et Felouzis, G., 2002, Devenir collégien. L’entrée en classe de sixième, Paris, ESF.
10.4000/books.pur.24138 :Delalande, J., 2001, La cour de récréation. Pour une anthropologie de l’enfance, Rennes, PUR.
Dubet, F., 2000, « Une juste obéissance », Autrement, n° 198, p. 138-151.
Gasparini, R., 1998, La discipline à l’école primaire. Une interprétation sociologique des modalités d’imposition de l’ordre scolaire moderne, Thèse de doctorat, Université Lyon II.
Gasparini, R. et Pardo, A., 2000, De l’école au collège. Analyse des changements et des prolongements du mode de socialisation scolaire, Rapport de recherche, GRS/Université Lyon II.
Lepoutre, D., 1997, Coeur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob.
10.3917/puf.rayou.1999.01 :Rayou, P., 1999, La grande école. Approche sociologique des compétences enfantines, Paris, PUF.
Saadi-Mokrane, D., 2000 (éd.) Sociétés et cultures enfantines, Lille, Éditions du CSU Lille III.
Sirota, R., 1998, « L’émergence d’une sociologie de l’enfance : évolution de l’objet, évolution du regard », Éducation et Sociétés, n° 2, p. 9-33.
10.4000/books.pul.12393 :Thin, D., 1998, Quartiers populaires. L’école et les familles, Lyon, PUL.
10.3917/puf.vanza.2012.01 :Van Zanten, A., 2001, L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF.
Verhoeven, M., 1997, Les mutations de l’ordre scolaire. Régulation et socialisation dans quatre établissements contrastés, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia.
10.4000/books.pul.30073 :Vincent, G., 1980, L’école primaire française, Lyon, PUL.
10.4000/books.pul.9522 :Vincent, G., Lahire, B., Thin, D., 1984, « Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire », dans Vincent, G. (éd.), L’éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles, Lyon, PUL, p. 11-48.
Notes de bas de page
1 Au total, des entretiens ont été réalisés avec 34 élèves, les trois enseignants d’élémentaire et les enseignants en 6e de mathématiques, de français, d’éducation physique et sportive et de technologie.
2 Une classe Freinet, une classe « plurielle » (le projet d’établissement s’inspire de plusieurs pédagogues : Freinet, Oury, Wallon, Korczak, Piaget ou Montessori) et une classe « ouverte » (le projet d’établissement insiste sur « l’ouverture » de l’école au quartier et à la société).
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011