Chapitre IV. Claude Le Peletier et le clan Le Tellier
p. 97-123
Texte intégral
1« Parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Michel Le Tellier et Claude Le Peletier auraient pu s’appliquer la formule qu’utilisa Montaigne pour décrire son amitié avec La Boétie. Le biographe anonyme du contrôleur général a préféré désigner le secrétaire d’État de la Guerre par les termes latins « patronus et amicus », qui renvoient aux souvenirs de la République romaine, très vivaces parmi les magistrats des XVIIe et XVIIIe siècles1, et qui nous propulsent au cœur de la relation entre ces deux personnages : les liens de clientèle et de fidélité. Depuis les études fondatrices de R. Mousnier, cette thématique a fait l’objet d’une bibliographie abondante, qui reste, néanmoins, principalement centrée sur les clientèles nobiliaires du XVIe et du début du XVIIe siècle2. La faveur dont jouit Claude Le Peletier auprès de son cousin, et la position privilégiée qu’il occupa au sein de la clientèle des Le Tellier, nous offrent un angle de vue incomparable sur l’une des deux grandes clientèles administratives des années 1660-1690, la seconde étant celle des Colbert. Simple client à l’origine, Le Peletier devint rapidement un fidèle du secrétaire d’État de la Guerre, et, en définitive, la sympathie réciproque l’emporta sur des liens personnels fondés sur l’intérêt. Plus qu’un intermédiaire ou qu’un intendant des affaires, il se révéla un relais irremplaçable entre le ministre et ses clients, et acquit progressivement une influence qui fit de lui, derrière Michel Le Tellier et son fils Louvois, le troisième personnage du clan3.
Le fidèle
2Dans les écrits des mémorialistes et des chroniqueurs du règne de Louis XIV, la vie de Claude Le Peletier fait rarement l’objet de longs développements. Leur plume, guère indulgente, consacre parfois quelques mots à son caractère, à sa carrière, à sa famille ou à ses amis, et relève les quelques anecdotes connues sur le personnage : discret et honnête, notre héros n’a laissé que peu de matière aux thuriféraires comme aux contempteurs du règne du Roi-Soleil. Il est remarquable, dans ces conditions, que la majorité de ces auteurs aient décrit avec autant de pertinence et en des termes aussi justes les sentiments de fidélité qu’éprouvait Claude Le Peletier à l’égard de son prestigieux cousin, Michel Le Tellier. L’accent mis sur cette fidélité est tel que, même contrôleur général des finances, même après la mort du chancelier, Le Peletier ne semble exister, au propre comme au figuré, qu’à travers son protecteur. On est d’ailleurs en droit de se demander si cette présence étouffante, cette association immédiate et presque inconsciente entre Le Peletier et Le Tellier n’a pas conduit les contemporains et les historiens à associer aussi leurs idées et leurs actes, au bénéfice du second.
Aux origines de la fidélité
3Dès 1658, le Tableau du Parlement décrit Le Peletier comme un « habile homme, en estime dans sa compagnie, attaché à M. le premier président, à M. Boucherat, à M. d’Estrades et singulièrement à M. Le Tellier, son parent4 ». L’essentiel est dit : Le Tellier se distingue nettement parmi les connaissances de Le Peletier, et l’auteur relève un autre élément important en mentionnant leur lien de parenté. Il est en cela plus précis que Saint-Simon, pour qui le hasard semble avoir présidé à la rencontre des deux hommes : « Il fut connu de M. Le Tellier et de M. de Louvois… et entra tellement dans leur confiance, qu’il devint l’arbitre des affaires de leur famille et des débats particuliers du père et du fils, qu’ils eurent toujours le bon esprit de cacher sous le dernier secret5. » Saint-Simon introduit cependant un nouvel élément en soulignant la familiarité qui existe entre eux, familiarité que vient confirmer et amplifier É. Spanheim. Ce dernier en fait même la raison principale de la nomination de Claude Le Peletier au contrôle général : « [Le Peletier] n’y fut aussi appelé… qu’après la mort de M. Colbert, sur la fin de l’an 1683, et pour lui succéder dans les deux emplois de contrôleur général des finances et de ministre d’État. J’ai touché aussi qu’il en fut entièrement redevable au chancelier [Le] Tellier, dont il étoit le parent et l’ami intime, et qui se reposoit aussi sur lui du soin de ses affaires particulières6. » Quelques années plus tard, Saint-Simon est, lui, beaucoup plus lapidaire : « M. [Le] Peletier de Souzy… et son frère le contrôleur général étoient créatures de M. de Louvois7. » Mises en ordre, ces indications se révèlent très complètes : parent de Le Tellier, Claude Le Peletier fut aussi un fidèle et un véritable ami ; il prit soin des affaires particulières de son protecteur et de sa famille ; en les intégrant, lui et ses frères, dans sa clientèle, Le Tellier favorisa leur ascension jusqu’au sommet de l’État.
4L’origine des relations entre Michel Le Tellier et Claude Le Peletier doit être cherchée, comme souvent à l’époque moderne, dans leur lien de parenté, conséquence des fructueuses alliances contractées par la famille Chauvelin dans la seconde partie du XVIe siècle. Toussaint Chauvelin épousa en premières noces Geneviève de Brée et, à sa mort, se remaria avec Marie Malingre, veuve de Jacques de Charmolue. Issu de son premier mariage, François Chauvelin épousa la fille de la seconde épouse de son père, Marie de Charmolue ; l’une de ses filles, Claude, épousa Michel Le Tellier le 4 juillet 1599, et de cette union naquit, en 1603, le futur chancelier. Du second mariage de Toussaint Chauvelin est issue Madeleine, qui épousa Jean Le Peletier, grand-père du futur contrôleur général. Ce cousinage ne suffit cependant pas à expliquer la profondeur des liens qui se tissèrent entre les deux hommes. D’autres parents aussi proches n’ont pas bénéficié des mêmes égards, ni de la même protection de la part du ministre. Louis Robert et Louis Chauvelin, par exemple, accomplirent de belles carrières et bénéficièrent du soutien de Le Tellier, mais sans entrer, sauf exception, dans son intimité, ni accéder aux plus hautes fonctions.
5La faveur dont jouirent les Le Peletier jusqu’à la mort du chancelier découle vraisemblablement de l’aide qu’apporta Louis Le Peletier, leur père, à Michel Le Tellier lorsque le jeune orphelin dut défendre son héritage contre les prétentions de trois de ses oncles en 1621. Selon Claude Le Peletier, « estant sorti du colège, il fut obligé de solliciter un procès important pour la terre de Chaville qui luy donna les premières teintures des formalités de la justice, son aplication singulière et sa pénétration faisant profit de tout8 ». Il est toutefois permis de douter que les capacités de cet adolescent de quatorze ans aient été suffisantes pour mener un tel procès et, qui plus est, le gagner : son tuteur, Louis Le Peletier, fut chargé de l’affaire et la conduisit au succès. Dans la perspective des relations entre les familles Le Peletier et Le Tellier, cette rencontre tient une place centrale. En effet, Michel Le Tellier en conçut une gratitude qui survécut à la mort de son tuteur et profita à ses enfants, placés à leur tour dans une situation difficile. Ainsi, en septembre 1624, remercia-t-il Louis Le Peletier d’avoir « secouru la veuve et les orphelins9 » ; dans ses lettres, cette reconnaissance se double d’un profond respect. Michel Le Tellier s’efforça de payer sa dette, mais, on l’a vu, un refroidissement provisoire de leurs relations l’en empêcha. Ils se réconcilièrent cependant avant 1650 puisque, dans son testament, Louis Le Peletier remercia Le Tellier et sa sœur d’avoir accueilli ses filles à la Ville-l’Évêque10. Lorsque Claude et sa fratrie furent livrés à eux-mêmes, Michel Le Tellier les prit sous sa protection. Respectueux du testament de leur père, qui les confiait à Jérôme Bignon et à leurs cousins Chauvelin, il se contenta d’abord de leur prodiguer quelques conseils de bon sens11. Mais avant même la mort de Bignon, il prit en charge leur établissement et joua le rôle d’un père de substitution.
6Le Tellier ne se départit jamais de cette attitude, au point d’en venir, parfois, à considérer les enfants de son tuteur comme sa propre famille. Le mérite des Le Peletier, et en particulier de Claude, est d’avoir su répondre à ses attentes et édifier, sur les fondations de cet héritage paternel, les liens de clientèle et de fidélité qui décidèrent de leur carrière et de leur établissement dans le monde. Cette fidélité se matérialise dans la correspondance qu’entretinrent les deux hommes de 1652 à 1684. Elle se compose de 1 595 lettres et fait de Michel Le Tellier le premier correspondant de Le Peletier, loin devant son frère Michel (262 lettres). Claude Le Peletier a donc reçu de son patron, pendant 33 ans, un peu plus de 48 lettres par an, soit presque une lettre par semaine. Cette proportion ne correspond pourtant à aucun rythme convenu entre les deux hommes, et l’hypothèse séduisante de rapports et d’instructions hebdomadaires ne résiste pas à l’épreuve des chiffres.
7Seules onze années, soit un tiers de la période, correspondent environ à cette moyenne (de 40 à 60 lettres) ; douze années sont couvertes par moins de 40 lettres, et dix par plus de 60 (dont huit entre 1665 et 1672). Le fil conducteur de cette correspondance, plus ou moins affirmé selon les époques, demeure l’évocation du monde de la robe parlementaire et de la robe du Conseil. D’autres grandes questions y sont abordées. Ainsi, la Fronde et la politique de Mazarin (1652-1658), la rivalité avec Colbert (1661-1668) et la situation de la famille d’Orléans, donnent-elles matière à de nombreux débats. En revanche, les questions militaires ne sont évoquées que pour simple information. L’année 1677 constitue un tournant important : aux problèmes de clientèles s’ajoutent après cette date les affaires religieuses et la gestion de la Chancellerie.
8La forme de ces lettres évolue peu en trente-trois ans. Pressé par le temps et le manque de place lors des campagnes des années 1650-1660, Le Tellier sature ses lettres en écrivant en longueur dans la marge ; revenu à Paris, il abandonne heureusement cette pratique mais continue d’écrire de sa propre main à son cousin12. Le formulaire de ces lettres est presque inexistant13. En général, plusieurs sujets sont abordés et se suivent sans grande organisation ; tout juste remarque-t-on que les allusions à la famille ou à la carrière de Le Peletier surviennent soit au début, soit au contraire à l’extrême fin de la lettre, dans un paragraphe à part. La ponctuation est absente ou remplacée, dans de rares cas, par une barre oblique. Le texte se présente donc souvent en un bloc compact dont la longueur varie d’une à huit pages, où Le Tellier passe par exemple des nouvelles de l’archevêque de Sens à celles du roi, de la tutelle de Mme de Guise aux congés de Le Peletier et à un mémoire adressé à Talon14 ! Enfin, Le Tellier utilise une écriture et des abréviations très personnelles qui vont parfois à l’encontre des règles de la graphie ou de l’usage courant. La forme des réponses de Le Peletier dépend des événements ou des exigences de son patron. La lettre est utilisée pendant les périodes de calme et de paix ; le billet domine en période de crise ou de conflit, quand Le Tellier reste à Paris ; lorsque le ministre suit le roi à l’armée, Le Peletier a recours aux paquets, qui contiennent non seulement ses lettres, mais aussi des journaux et la correspondance d’amis ou de clients ; plus rarement, enfin, Le Tellier demande à son cousin de lui composer un mémoire15. Claude Le Peletier attacha jusqu’à sa mort une grande importance à ces lettres et en prit grand soin. Conscient de l’intérêt historique de cette correspondance, il s’en servit pour composer son « Mémoire de mes véritables et derniers sentimens sur les affaires de l’Église et de l’État » et sa « Vie de monsieur le chancelier Le Tellier », et les légua à son fils Louis II, président au Parlement de Paris16.
Les formes de la fidélité
9Le vocabulaire utilisé par un fidèle et son patron lors de leurs échanges épistolaires reflétait la différence de statut entre les deux personnages. Le fidèle exprimait son « obéissance » et son « dévouement », affirmait être le « très humble et très fidèle ou affectionné serviteur » de son maître et entrer dans toutes ses vues et ses volontés17. Il demandait à bénéficier de ses « grâces », de sa « bonté » ou de ses « bons offices » au nom du lien affectif qui les unissait. Le patron, tel le maître envers son serviteur, tenait un discours moins obséquieux et remerciait son obligé pour son « attachement » et les « services » qu’il lui rendait.
10Nous ne disposons d’aucune lettre écrite par Le Peletier à son cousin, mais il est peu probable qu’il se soit beaucoup écarté de ce schéma. Il est cependant tout aussi peu probable que ses lettres aient débordé de ces protestations d’attachement qui constituent l’essentiel de la rhétorique de la fidélité. Le Tellier exigea en effet dans une lettre du 4 août 1654 que son cousin bannît de ses missives ces manifestations d’attachement excessives, étant bien persuadé de ses sentiments à son égard. Le jeune Le Peletier eut de toute évidence des difficultés à se conformer à cette exigence de modestie, puisque Le Tellier renouvela sa demande deux ans plus tard : « Excusez ma liberté, mais faisant profession d’amitié il fault bannir toute cérémonie. Usez en de mesme en mon endroict, s’il vous plaist18. » Cette marque de confiance prouve la faveur dont jouissait Claude Le Peletier. Elle explique pourquoi les lettres que Michel Le Tellier lui adressait se terminaient le plus souvent par des « je suis tout à vous », « je suis entièrement à vous » ou « croyez-moi tout à vous » qui loin d’exprimer, comme dans les formulaires en vigueur à l’époque, la condition très nettement supérieure du rédacteur de la lettre19, trahissaient au contraire la très grande proximité entre ces deux personnages : dans sa correspondance quotidienne, Le Tellier considérait plus Le Peletier comme un ami que comme un client.
11En certaines occasions, le vocabulaire de la fidélité refaisait son apparition sous la plume du secrétaire d’État. Il s’agissait tout d’abord des lettres dans lesquelles Le Tellier demandait un service à son cousin, par exemple à propos de ses affaires financières. La formulation de la lettre se faisait plus respectueuse, Le Tellier « suppliait » son cousin d’accepter et concluait en exprimant sa plus profonde reconnaissance. Le Tellier n’envisageait certes pas que son cousin refusât d’exécuter cet ordre déguisé. Ces termes indiquaient simplement que cette demande était la première partie d’un échange réciproque entre Le Tellier et son client, et que ce dernier serait largement dédommagé. Le Tellier utilisait également ces expressions pour récompenser les flatteries et les compliments bien tournés dont son cousin ne manquait pas de truffer ses lettres, ou pour annoncer une promotion ou une grâce du roi en faveur du prévôt des marchands et de ses enfants : elles signalaient alors que le secrétaire d’État avait rempli sa part de l’échange.
12La forme la plus éclatante que revêtit cette fidélité résida cependant dans l’assimilation faite par Le Tellier de la famille de Le Peletier à la sienne. Lorsque Le Peletier le priait d’intercéder auprès du roi afin d’obtenir une place pour l’un de ses enfants, lorsqu’il lui demandait conseil à propos des prétendants à la main de sa fille, Le Tellier acceptait sans hésitation de l’aider et lui répondait qu’il s’attellerait à ces tâches comme il l’aurait fait pour ses propres enfants20. Loin d’être de simples mots jetés sur le papier par un patron soucieux de calmer à peu de frais les inquiétudes d’un de ses clients, ces réponses doivent être prises au premier degré : Michel Le Tellier considéra Le Peletier et ses enfants comme de véritables membres de sa famille, et non comme des cousins parmi d’autres. Ainsi, en 1659, lorsque Louvois montra peu d’entrain à se former aux exigences de la charge de secrétaire d’État, dont il avait reçu la survivance le 14 décembre 1655, et ne cacha pas qu’il préférait les plaisirs au travail, Le Tellier menaça de le remplacer par Claude Le Peletier s’il n’amendait pas sa conduite21. Même si l’authenticité de cet épisode est sujette à caution, il n’en demeure pas moins que c’est Le Peletier, et non Saint-Pouange ou Villacerf, que l’on voyait succéder à Louvois. Claude Le Peletier noua aussi d’excellentes relations avec la vertueuse femme du futur chancelier, Élisabeth Turpin22.
13Membre de la famille, il en partagea les joies comme les deuils. D’Ormesson signale que le 22 juin 1668, à la mort de Madeleine-Fare Le Tellier, épouse du marquis de Villequier, toute la famille Le Tellier se retira à Chaville « avec l’évêque d’Autun et M. Le Peletier23 ». L’intégration de Claude Le Peletier dans la famille de son patron fut paradoxalement facilitée par les fréquentes absences de Michel Le Tellier jusqu’en 1660. Le Peletier servit de relais entre le secrétaire d’État et sa femme, et se vit confier le soin de veiller sur les deux garçons du couple, François-Michel et Charles-Maurice. Ainsi, pendant que Le Tellier se trouvait à Péronne, assista-t-il à l’énigme de Louvois en compagnie d’Élisabeth Turpin, de Colbert, de Colbert de Saint-Pouange et d’autres cousins24. Il en fit de même en juin et juillet 1656 pour Charles-Maurice qui, comme son frère, poursuivait ses études au collège de Clermont25. Le Peletier renseignait Le Tellier sur la progression des études de ses fils et le remplaçait avec Lamoignon le dimanche matin quand, absent, il ne pouvait contrôler lui-même leurs connaissances26. En juillet 1657, Louvois quitta le collège de Clermont et passa sous l’autorité directe de son père. Il ressort des lettres adressées à Le Peletier que le jeune survivancier fut un élève difficile et peu acharné à l’étude. Le Peletier continua de s’occuper de Charles-Maurice jusqu’en 1660, tout en conférant avec Le Tellier de la meilleure manière de compléter l’éducation de Louvois27. Le Tellier s’excusa à plusieurs reprises de la difficulté de cette mission et du temps qu’elle requérait28. Elle valut cependant à Le Peletier d’entrer définitivement dans le proche entourage et les bonnes grâces de son patron, au point qu’il déclara, en 1657 : « Je ne puis avoir recours qu’à vous dans mon absence29. »
14Cette familiarité se manifesta par un grand nombre de visites de Le Peletier, principalement à Chaville et à Saint-Germain-en-Laye. Celles-ci étaient l’occasion de voir réunis les principaux membres du clan et se terminaient souvent par des dîners ouverts à d’autres personnages : le prévôt des marchands y amena par exemple Bourdaloue30. Le Peletier joignait l’utile à l’agréable et profitait de ces moments pour s’entretenir avec son patron de sujets dont celui-ci l’informait à l’avance31. Michel Le Tellier était très fier des jardins et des jeux d’eau qu’il avait fait aménager à Chaville. Il s’y promena souvent avec son cousin et ce cadre servit de décor à la plupart de leurs entretiens.
Le disciple de Michel Le Tellier
15Nous avons déjà montré comment Le Tellier s’efforça de modérer par ses conseils la vivacité de Le Peletier. Le secrétaire d’État considéra très vite le jeune homme comme un véritable disciple, qui de fait embrassa cet état avec passion. Le Tellier entreprit de former le futur ministre à ses principes, d’abord par ses lettres, puis, lorsque la paix lui permit de revenir à Paris, lors de leurs nombreuses discussions.
« Sur ce pied-là, ayant commencé depuis la mort de feu mon père et dans mes premières années de raison et de réflexion à entendre parler des plus grandes affaires et à y faire attention, par la confiance que M. Le Tellier voulut de si bonne heure prendre en moy, comme une suite de l’amitié dont il avoit honnoré feu mon père, et une reconoissance peu commune des soins et de l’attachement que feu mon père avoit eu pour luy et pour son avancement. J’avoue que l’attention sur ces matières, quoyque disproportionnée à mon âge, remplit tellement mon jeune cœur qu’elle me tint lieu de tout ce qui occupe ordinairement les jeunes gens. Les habitudes que feu mon père m’avoit laissé des plus honnestes gens qui fussent dans la magistrature et dans le commerce de la bonne littérature contribuèrent fort à entretenir mon esprit dans cette attention. Ce que j’entendois dire à ces personnages distingués me servoit à entretenir M. Le Tellier, qui y prenoit plaisir et mesme en profitoit dans son grand ministère, et ce que j’apprenois de M. Le Tellier sur les affaires de la cour et du grand monde me donnoit occasion de me faire valoir auprès de mes autres amis, et souvent mesme de leur estre utile32. »
16L’« enseignement » de Le Tellier tournait autour de quelques notions simples, qu’il illustrait en commentant les actions de ses contemporains, courtisans, financiers ou parlementaires. À la base de tout se trouvait la vertu, à laquelle les hommes choisis par le roi pour son service et celui du public devaient se soumettre totalement33. Venaient ensuite le calme, la discrétion et l’obéissance aveugle aux ordres de son souverain :
« Je suis persuadé qu’un homme qui est dans l’emploi doit exécuter de bonne foi tout ce qu’on lui ordonne, s’abstenant de donner des avis qui puissent servir à des nouveautés, autrement il est impossible que le roi gouverne son Estat s’il rencontre de la contradiction en la personne de ceux qui ne sont préposés que pour exécuter ses ordres34. »
17Le Tellier lançait de fréquentes diatribes contre la tyrannie que l’argent faisait peser sur le service du roi, et les dangers auxquels l’ambition exposait les hommes. Le Tellier fut par exemple très impressionné par la triste situation à laquelle fut réduite la maréchale de Rochefort à la mort de son mari. Cette dernière perdit les revenus de la charge de gouverneur de Lorraine, du Barrois et des Trois-Évêchés, qui lui permettaient d’acquitter les intérêts de 620 000 livres de dettes. Et Le Tellier de conclure : « Telles spéculations affligent et nous doibvent apprendre qu’il n’est pas bon de mettre sa famille au hazard de tomber en nécessité pour satisfaire son ambition35. »
18Puis, l’âge aidant, leurs conversations prirent un tour plus personnel à partir de 1671. Le Peletier devint le véritable confident du secrétaire d’État, plus tourmenté à cette époque par les affaires du royaume et sa propre existence que par l’avenir ou l’attitude de ses enfants. Ils abordaient des sujets aussi variés que l’importance de l’agriculture, la douceur de la retraite dans un lieu isolé – en l’occurrence l’abbaye de Jouy, dont le fils de Le Peletier venait d’être pourvu36 – et, surtout, la littérature et le théâtre. Le plus souvent, les deux magistrats préféraient commenter et s’échanger des livres, avec une prédilection pour les ouvrages à caractère historique. En 1666, Le Tellier chargea par exemple son cousin de négocier pour lui l’achat des manuscrits de Fouquet ou, à défaut, de ceux de Brienne, mais sans donner suite37.
19Cette pratique se développa lorsque Le Tellier devint chancelier et à ce titre fut chargé des questions relatives à la police du livre38. À la demande d’Antoine Varillas, les deux amis relurent ainsi les neuf premiers livres de son Histoire de François Ier39. Ils arbitrèrent également un conflit qui opposa le même Varillas et le père Maimbourg, le premier accusant le second de s’être inspiré de trop près de son Histoire de Charles IX pour écrire son Histoire du calvinisme40. Varillas, le père Maimbourg : ces auteurs, pour lesquels l’histoire était avant tout « une école de morale, un tribunal souverain, un théâtre pour les bons princes, un échafaud pour les mauvais41 », correspondaient bien aux caractères de ces cousins, tous deux profondément marqués par les valeurs de l’Antiquité et de la Renaissance. Vers 1680, Le Peletier était devenu pour le chancelier un confident et un véritable ami. Cette amitié supplanta peu à peu leurs habitudes respectives de patron et de client et devint manifeste à partir du moment où ils furent réunis au Conseil du roi. Elle se traduisit par une familiarité accrue, qui décida peut-être Le Tellier à proposer son cousin au roi lorsque la disparition de Colbert laissa vacante la place de contrôleur général.
20Fidèle de Michel Le Tellier du vivant du chancelier, Claude Le Peletier fut également le défenseur de sa mémoire après sa disparition. Lorsque le chancelier mourut le 30 octobre 1685, il restait encore vingt-six années à vivre au contrôleur général. Pendant ce quart de siècle, le souvenir de son cousin ne le quitta jamais. Dès après la mort du chancelier, le contrôleur général rédigea une première mouture de sa Vie du chancelier Le Tellier. Bossuet y puisa l’essentiel de l’oraison funèbre qu’il prononça à l’église Saint-Gervais le 25 janvier 168642. Il est probable qu’Esprit Fléchier et Marc-Antoine Hersan l’utilisèrent eux aussi43. Le ministre la reprit après sa retraite et supprima certains développements relatifs au caractère et à la mort du chancelier. Loin de dissimuler cette Vie, Le Peletier la distribua largement, entretenant ainsi le souvenir de son cher patron44. Claude Le Peletier resta également l’un des intimes de la chancelière jusqu’à la mort de celle-ci en 1698 et continua ses visites à l’hôtel de la rue des Francs-Bourgeois. Ultime preuve de la confiance qu’ils accordaient à leur fidèle cousin, les Le Tellier en avaient fait leur exécuteur testamentaire45.
21Tous les contemporains ne partageaient pas cette vision édifiante et sans nuances de l’existence du chancelier, qui, il est vrai, tourne souvent à l’hagiographie et exalte un preux et vertueux soldat du roi et de Dieu érigé en modèle. Si les mémorialistes de l’époque font crédit à Michel Le Tellier de capacités supérieures d’homme d’État et d’une fidélité inconditionnelle au roi, ils dénoncent également des travers qui jurent avec l’image du saint magistrat laïc reconstruite par Le Peletier. Fidèle à ses habitudes, l’abbé de Choisy se distingue par ses traits perfides :
« Michel Le Tellier avait reçu de la nature toutes les grâces de l’extérieur ; un visage agréable, les yeux brillants, les couleurs du teint vives, un sourire spirituel qui prévenait en sa faveur. Il avait tous les dehors d’un honnête homme, l’esprit doux, facile, insinuant ; il parlait avec tant de circonspection qu’on le croyait toujours plus habile qu’il n’était ; et souvent on attribuait à sagesse ce qui n’était que d’ignorance. Modeste sans affectation, cachant sa faveur avec autant de soin que son bien, la fortune la plus éclatante et la première charge de l’État ne lui firent point oublier que son grand-père avait été conseiller de la Cour des aides. […] Il promettait beaucoup et tenait peu ; timide dans les affaires de sa famille, courageux et même entreprenant dans celles de l’État ; génie médiocre, vues bornées ; peu propre à tenir les premières places, où il payait souvent de discrétion, mais assez ferme à suivre un plan quand il avait aidé à le former ; incapable d’en être détourné par ses passions, dont il était toujours le maître ; régulier et civil dans le commerce de la vie, où il ne jetait jamais que des fleurs (c’était aussi tout ce qu’on pouvait espérer de son amitié), mais ennemi dangereux, cherchant l’occasion de frapper sur celui qui l’avait offensé, et frappant toujours en secret par la peur de se faire des ennemis, qu’il ne méprisait pas quelque petits qu’ils fussent46. »
22À travers différents témoignages, Michel Le Tellier apparaît comme un homme prudent et discret, soucieux de ne se dévoiler ni devant ses amis, ni devant ses ennemis. Mais sous la façade d’une civilité parfaitement maîtrisée et d’autant plus plausible qu’elle s’appuyait sur l’assurance d’une supériorité tirée de services incontestables, perce un personnage plus sombre, dissimulé, calculateur et rancunier. Doté d’un sens de l’observation très développé, sans illusions sur les ressorts des passions humaines, dont la force lui avait été révélée par la fréquentation des caractères les plus variés, princes frondeurs, généraux rebelles, courtisans jaloux, financiers véreux, jeunes robins ambitieux, Michel Le Tellier hésitait à agir au grand jour, de peur de donner prise à ses ennemis, ou d’en susciter de nouveaux, mais il n’oubliait jamais un affront. Le moment venu, d’un mot négligemment lâché devant le roi, d’une directive transmise aux juges d’un procès au Parlement, le ministre réglait ses comptes et savourait, dans l’ombre, sa revanche.
23Prudence et discrétion furent également des vertus cardinales dans les rapports du secrétaire d’État avec le roi. Avec une grande habileté, Michel Le Tellier sut s’effacer devant son souverain et lui laisser le sentiment qu’il était le maître. Cependant, par le biais de remarques en apparence anodines, il parvenait à conserver une certaine influence sur un monarque certes jaloux de son autorité, mais naturellement enclin à rechercher l’avis de son plus ancien et plus fidèle conseiller. L’abbé de Saint-Pierre a bien senti que c’était la capacité de nuisance du ministre qui lui valait une bonne part du respect dont il jouissait à la Cour, d’ordinaire peu amène à l’égard des vieux ministres. Selon l’abbé, Le Tellier « détruisait tous ceux dont il voyait poindre la fortune » et appelait cela « abattre des arbres à droite et à gauche sur son chemin47 ». Et de donner l’exemple du procureur général Achille de Harlay vers 1680 :
« Un jour, le roi lui parlait avantageusement de Harlay, il disait qu’il ferait un bon chancelier. Le Tellier tomba d’accord sur tous ses mérites, mais il ajouta ce petit mot : je craindrais que la cire ne devînt pas molle entre ses mains. Louis XIV, frappé de cette réflexion, cessa de penser à Harlay48. »
24La crainte de se compromettre, de révéler une faiblesse ou une ignorance, semble avoir conduit Le Tellier, dès son arrivée au département de la Guerre, à pousser la prudence et la discrétion jusqu’à la pusillanimité, et, par ricochet, à avoir recours aux services de fidèles comme Claude Le Peletier, qui ne risquaient pas, en commettant des erreurs, d’égratigner sa réputation d’omniscience. Le mystère dont faisait preuve le ministre sur ses entretiens avec le maître, les fréquents délais qu’il exigeait pour présenter une demande, arguant que « le moment n’était pas favorable », contribuèrent à accroître dans le public son prestige de chef de clientèle. Toutefois, à la lecture de sa correspondance avec Le Peletier, force est de constater qu’il arrivait à Michel Le Tellier de se tromper, parfois lourdement, quant aux intentions du roi. Toute son habileté consistait à ménager l’illusion de la connaissance aux yeux du public, en jouant sur les ambiguïtés, les silences et les doubles sens dont il parsemait son discours. Comment ne pas voir dans ces traits de caractère l’héritage des années de la Fronde, lorsque la survie politique de Michel Le Tellier dépendit de sa capacité à contenter des caractères aussi différents que ceux d’Anne d’Autriche, de Mazarin et des princes révoltés, tout en restant fidèle au roi ?
25Claude Le Peletier était-il dupe des deux visages de son patron ? Non, sans aucun doute possible. Le contrôleur général lui-même, malgré toute son affection pour son cousin et ami, se permit des critiques qui dépassent le cadre de l’anecdote ou des affaires domestiques. Ainsi, après le renvoi de Pomponne fin 1679 :
« M. Le Tellier laissoit agir la vivacité de M. de Louvois, souffroit de l’ingratitude de M. Colbert, qui avoit eu le crédit de l’empescher d’être chancelier [en 1672, à la mort de Séguier]. Son âge s’avançoit, et sa prudence augmentoit sa retenue en toute nature d’affaires. Je ne pouvois m’empescher de faire de grandes réflexions sur tout cela tant à l’égard des affaires généralles que sur la conduite des principaux acteurs suivant leurs différens génies, leurs intérests, les dispositions du roy, et la situation de tous les États de l’Europe49. »
26De même, dans ses Mémoires, Le Peletier n’éluda pas la responsabilité du chancelier dans la révocation de l’Édit de Nantes. S’il y écrit : « L’on engagea le roy à la révocation de l’Édit de Nantes sous prétexte de dévotion », dans la première version du texte, raturée, le « on » était remplacé par « M. le chancelier ». Certes, les critiques de Le Peletier restent voilées ; surtout, elles sont formulées au soir de la vie du contrôleur général, à une époque où la légende s’est déjà emparée des Le Tellier, Colbert, Louvois, et les a figés, pour longtemps, telles ces statues monolithiques aux cartouches usés par l’Histoire, qui gardent siècle après siècle l’entrée des temples. Intime du contrôleur général pendant les dernières années de sa vie, Saint-Simon les a peut-être recueillies, mais qui, en 1707, s’intéressait encore aux tourments de Michel Le Tellier, hormis le petit duc ? Si Le Peletier défendit son patron envers et contre tout, y compris dans des situations qui étaient loin de correspondre aux impératifs moraux professés par le secrétaire d’État, il le fit en conscience, certain que le ministre n’agissait, au bout du compte, que dans l’intérêt du roi et de l’État. Tout pénétré d’admiration et d’attachement qu’il fût, le contrôleur général n’usa pas, en raison de ces impératifs moraux auxquels il entendait se soumettre, des mêmes méthodes lorsque son tour vint d’être confronté seul aux intrigues de la Cour et d’entrer dans le jeu du Conseil ; attitude qui ne fut pas comprise par les contemporains, qui s’en gaussèrent, mais qui permit à Claude Le Peletier de quitter le ministère l’esprit en paix.
Le client
27Pour les hommes du XVIIe siècle, les liens de clientèle se matérialisaient nécessairement par un échange de services, dont le patron et son obligé espéraient tous deux retirer des avantages matériels importants50. En vertu de leur conception chrétienne de la société, et de la structure hiérarchisée qui en découlait, le patron avait l’obligation d’assurer la protection et l’ascension de son client qui, en retour, l’assurait de sa loyauté et se mettait à sa disposition51. Michel Le Tellier et son cousin sacrifièrent évidemment à cet échange de services, qui permit à Le Peletier d’effectuer la carrière que l’on sait. Pourtant, il est nécessaire de bien distinguer deux types de services : ceux qui furent échangés dans un cadre strictement personnel, au profit de l’un et de l’autre, et ceux qui furent échangés avec pour cadre le clan Le Tellier dans son ensemble. Claude Le Peletier sortit largement gagnant du premier type d’échange. En revanche, on connaît moins la contrepartie qu’il dut acquitter pour prix de son ascension, et les efforts qu’il déploya pour conserver sa situation de client privilégié.
Donner
28La position du client était la plus inconfortable. Installé dans une situation de dépendance, il était obligé de donner avant de recevoir et d’exécuter les ordres de son patron sans autre garantie d’être un jour récompensé que l’engagement tacitement conclu avec son protecteur. De plus, un client était rarement employé une seule fois : il devait faire en sorte de mériter les avantages promis par son zèle répété et sa loyauté sans cesse démontrée52.
29Débordé par son travail et contraint à de fréquentes absences, Michel Le Tellier eut recours à son cousin pour gérer sa fortune. Le Tellier se servit de lui comme d’un prête-nom lors d’opérations plus ou moins complexes. En 1675, Le Peletier céda 64 013 livres à Dugué de Bagnols qui utilisa cette somme pour acquérir 6 096 livres d’augmentations de gages ; quelques jours plus tard, Dugué de Bagnols vendit ces 6 096 livres à Le Tellier, et remboursa Le Peletier avec le produit de cette vente53. Le Peletier intervenait même à l’occasion de simples constitutions de rente : il signait le contrat et en faisait immédiatement transport au secrétaire d’État54. Il semble qu’en agissant ainsi Le Tellier ait souhaité dissimuler autant que possible le montant et la composition de sa fortune, ce qui lui permit de se présenter aux yeux de tous comme un homme détaché des biens de ce monde, et de négocier en position de force ses principales acquisitions terriennes. Le Tellier se servit également de son cousin comme d’un procureur et d’une caution. Lorsque le futur contrôleur général négocia au nom de Le Tellier l’achat d’une charge de conseiller au parlement de Metz qu’il destinait à Louvois, une clause du contrat stipula que Le Peletier accepterait cette vente en son nom si Le Tellier ne la ratifiait pas dans les six semaines55. Quelques années plus tard, Le Peletier aplanit un différend qui était sur le point de dégénérer en procès entre son patron et la princesse de Conti56. Louvois le constitua aussi plusieurs fois son procureur pour recevoir les loyers et fermages de ses terres et seigneuries ou discuter des modalités d’un échange57.
30Le Tellier utilisa surtout Le Peletier comme un agent de renseignement chargé de rapporter ou de confirmer les bruits qui circulaient sur les mariages, les successions ou les fortunes des contemporains. En 1671, la mort du premier officier de la grande écurie fit vaquer une charge qui avait coûté 270 000 livres à son dernier titulaire. Le Tellier informa son cousin d’une rumeur qui disait que trente-deux cavaliers l’avaient sollicitée auprès du roi. Il demanda si elle était véritable et quels étaient les noms des impétrants58. De même, Le Tellier le chargea de conférer discrètement avec les amis d’un magistrat de la Cour des aides qui souhaitait vendre sa terre : le secrétaire d’État était intéressé mais craignait que Guénégaud, le trésorier de l’Épargne, ne l’eût déjà réservée59. Si une affaire lui semblait rentable et sans risques, Le Peletier en faisait part au chancelier, qui décidait de s’engager ou non.
31Le Peletier ne se contentait pas de transmettre des informations financières. À la demande de Le Tellier, il lui décrivait par exemple la carrière des membres les plus en vue des cours souveraines et celles de leurs enfants60. Il effectuait aussi de nombreuses recherches au sujet des usages militaires ou des préséances de la Cour. Lorsque Turenne fut fait maréchal général des camps et armées en 1660, Le Tellier dut rédiger le formulaire de ses lettres de provision. Il chargea donc son cousin de vérifier si les provisions et les gages de Biron, pour lequel cette charge avait été créée en 1596, ne figuraient pas dans les comptes de l’Épargne de la fin du XVIe siècle ou à la Chambre des comptes61. Quand Louvois fut nommé chancelier des ordres du roi, il demanda à Le Peletier, par l’intermédiaire de son père, de se renseigner pour savoir si le chancelier des ordres jouissait de la prérogative d’entrer en carrosse chez le dauphin, les enfants de France et la reine lorsqu’ils étaient séparés du roi62.
Recevoir
32Il était plus facile au patron de récompenser la loyauté et le dévouement de clients qui l’avaient justement choisi pour sa capacité à leur procurer certains avantages. Encore fallait-il que l’occasion se présentât au bon moment, qu’une place se libérât à temps et que la faveur du maître ne déclinât pas. Le hasard et l’habileté de Le Tellier permirent de surmonter ces obstacles et assurèrent la réussite politique, sociale et financière de son cousin. Nous avons déjà évoqué plusieurs fois la part décisive qui revient au secrétaire d’État dans l’ascension de Claude Le Peletier. Nous nous contentons donc de développer ici les exemples les plus révélateurs des faveurs que lui procura le chancelier.
33La relation entre ces deux personnages emprunta certains caractères d’une forme particulière des liens de clientèle : celle d’un protecteur et de sa créature63. C’est le secrétaire d’État qui attira l’attention de Le Peletier sur les avantages que pouvait présenter l’emploi de la tutelle des filles de Gaston d’Orléans en 1660 : « Je crois que cet emploi-là vous pourroit estre avantageux en ce qu’il vous donneroit accès partout et mesme auprès de Son Éminence64. » Sur ordre du roi, Le Tellier demanda au premier président Lamoignon, tuteur désigné, de choisir un auxiliaire de confiance pour le suppléer dans cette lourde tâche. Il avança le nom de Claude Le Peletier, que Lamoignon agréa immédiatement. En cette occasion comme en bien d’autres, Le Tellier s’engagea au nom de son cousin avant de lui en faire part, certain de son obéissance et de sa soumission. Le plus grand service que Michel Le Tellier rendit jamais à son cousin fut de lui procurer la commission de contrôleur général des finances65. Cependant, toutes les tentatives de Le Tellier ne remportèrent pas un succès aussi éclatant. Ainsi, en 1681, le secrétaire d’État proposa-t-il son cousin au roi pour remplacer Pierre Poncet de La Rivière comme conseiller au Conseil royal des finances. L’entrevue s’engagea mal puisque le roi crut d’abord que Le Tellier sollicitait pour lui une place de conseiller d’État ordinaire ; le secrétaire d’État évita habilement de rappeler au roi que Le Peletier l’était déjà depuis trois ans et reformula sa demande. Le monarque comprit alors son erreur, hésita quelques secondes, et remit sa décision à plus tard. Le Tellier ne se montra pas optimiste en rendant compte de son intervention, car il avait compris que le silence du souverain était dû à la présence de Colbert dans la pièce et cela lui faisait soupçonner que cette place avait déjà été attribuée66.
34Le Peletier demanda également l’aide de Le Tellier pour des questions plus immédiates et moins cruciales que l’orientation de sa carrière. En 1673, en raison de sa nomination comme conseiller d’État semestre67, il dut se séparer de sa charge de président aux enquêtes. Deux obstacles risquaient de l’obliger à la vendre à perte et il demanda à Le Tellier de l’aider à les écarter. Le premier était sa promotion elle-même : en l’apprenant, chaque acheteur potentiel saurait que Le Peletier était contraint de se défaire de sa charge et pourrait en profiter pour diminuer le prix qu’il en offrait. Sur l’intervention de Le Tellier, le roi décida de surseoir à rendre publique la nomination de Le Peletier tant que ce dernier n’aurait pas trouvé d’acquéreur pour sa charge de président68. Le second obstacle était qu’une autre charge de président aux enquêtes était proposée à la vente au même moment. Le Tellier obtint que le roi défende au garde des sceaux de sceller des lettres de provision d’office de président aux enquêtes sans un ordre exprès, ce qui lui permettait de faire passer dans tous les cas son cousin en premier et, partant, de faire durer les négociations aussi longtemps qu’il l’estimerait bon69.
35Même lorsqu’il se trouva à l’armée, pendant les années critiques qui suivirent la Fronde, Le Tellier n’oublia jamais de contribuer à la subsistance de son cousin70. En 1652, il lui fit obtenir une première gratification royale, d’un montant de 1 500 livres, symboliquement motivée par les services rendus en Dauphiné par Louis Le Peletier71. Le secrétaire d’État s’impliqua aussi dans les négociations que mena Le Peletier afin d’établir ses enfants. Il traita avec Lionne puis avec La Vrillière lorsque Le Peletier décida de marier Marie-Marguerite de Fourcy. La chose était de notoriété publique, au point que le comte de Nanteuil lui proposa le mariage de son fils sans même passer par Le Peletier72, et que les discussions avec Lionne se déroulèrent dans les appartements du ministre à Saint-Germain-en-Laye73. Le Tellier ne ménagea jamais ses efforts pour satisfaire ce type de demandes. On a vu plus haut qu’il collabora avec Le Peletier pour procurer une abbaye à son fils Michel. Le Peletier fit le siège du P. de La Chaise pour faire placer le jeune homme sur la liste des prétendants à un bénéfice ; dans le même temps, Le Tellier obtint du roi la promesse de lui accorder cette grâce74.
Conserver la faveur du maître
36Au XVIIe siècle, les relations entre un patron et son client pouvaient être rompues à tout moment. Aucun engagement écrit ne liait les deux parties ; un client qui s’estimait négligé par son patron pouvait se détacher de lui et chercher un autre protecteur qui servirait mieux ses intérêts75. De même, un client devait veiller à entretenir les bonnes dispositions de son patron à son égard et lui prouver son attachement par des actions apparemment gratuites mais d’une lourde charge symbolique, comme des cadeaux ou des vœux de nouvelle année. La ressemblance qui existe entre les prénoms de Le Tellier et de ses enfants et ceux des enfants mâles de Claude Le Peletier est également trop troublante pour être fortuite76 : le premier fils de Le Peletier porte le même prénom que le secrétaire d’État, et le troisième porte celui de l’archevêque de Reims, Charles-Maurice. On remarque que le futur contrôleur général plaça son premier fils sous la protection du prénom de son patron, au lieu de reprendre, selon l’usage, le prénom de son père (Louis, deuxième garçon) ou le sien (Claude, quatrième garçon). Par ce choix, il indiquait symboliquement à son patron qu’il mettait l’avenir de sa famille entre ses mains. Les contrats de mariage de ses enfants furent également l’occasion de mettre en valeur les liens qui l’unissaient à Le Tellier. Alors qu’à l’occasion du mariage de Claude Le Peletier, en 1656, Le Tellier occupait une place anodine dans la liste des témoins, il ne fut supplanté que par le premier président de Lamoignon lors de l’union Le Peletier-d’Argouges en 1677 et par la famille royale lors de l’union Le Peletier-d’Aligre de 1684. Claude Le Peletier offrit aussi de nombreux cadeaux à son protecteur. L’un des plus appréciés fut une médaille à l’effigie de Le Tellier que Le Peletier fit frapper à ses frais en Hollande77.
37Le meilleur moyen de conserver la faveur de son patron restait néanmoins d’écarter les concurrents éventuels. En raison des liens particuliers qu’avaient tissés Louis Le Peletier et Michel Le Tellier, les principaux concurrents de Claude Le Peletier furent d’abord ses deux frères : la reconnaissance que vouait le secrétaire d’État à la famille de son ancien tuteur les incluait tout comme leur aîné. Cependant, alors que Claude Le Peletier devint rapidement un fidèle de Michel Le Tellier, puis son ami, ses deux frères restèrent toute leur vie de simples clients. Le Tellier les employa en de nombreuses occasions lorsque ses affaires particulières l’exigèrent, mais il ne noua jamais avec eux des liens aussi étroits que ceux qu’il entretenait avec leur frère aîné. Claude Le Peletier accapara en quelque sorte son prestigieux cousin… et ses faveurs, ce qui explique, peut-être, pourquoi Souzy se rapprocha peu à peu de Louvois, qu’il trouva plus disposé à servir ses intérêts, comme l’aurait fait n’importe quel client mécontent78.
38Claude Le Peletier fut parfois forcé d’entrer en compétition avec d’autres clients du secrétaire d’État lorsqu’une place susceptible de constituer une promotion pour lui se libéra. En 1671, une rumeur laissa ainsi entendre que Nicolas de La Reynie, lieutenant général de police de Paris, pourrait être remplacé. Immédiatement, Le Peletier se déclara intéressé par cet emploi, mais Le Tellier lui apprit que Louis Chauvelin avait déjà fait acte de candidature auprès de lui. Le secrétaire d’État précisa que, si cette rumeur était fondée, « sans rapport à l’amitié qui est entre vous et moi de longue main et qui durera longt temps (sic) après ma mort, faisent (sic) considération de ce qui est deub au public, j’en disposerois à vostre profit par préférence à M. Chauvelin79 ». Les grâces que Le Tellier accordait à certains de ses clients suscitèrent aussi la jalousie de Le Peletier, dont les sentiments ne manquaient pas de transparaître dans ses lettres ; habile diplomate, Le Tellier y répondait toujours en renchérissant sur l’affection qu’il portait à son cousin.
39Même si Le Tellier prit toujours soin de distinguer d’autres hommes de robe, sans doute afin de maintenir une sorte d’émulation parmi ses obligés, Le Peletier ne fut jamais vraiment menacé. Si, par exemple, Honoré Courtin demeura un pilier du clan, il fut, à l’image de Chamlay, de Vauban ou de Saint-Pouange, beaucoup plus proche de Louvois que de son père. De même, bien qu’apparenté aux Le Tellier et l’un des personnages importants de leur clientèle dans les années 1660-1670, Louis Boucherat ne s’engagea pas définitivement à leurs côtés ; c’est ainsi Colbert qui lui procura la charge de conseiller au Conseil royal des finances vacante en 1681, alors que Le Tellier cherchait, on l’a vu, à en faire pourvoir Le Peletier. Seul Claude Bazin de Bezons acquit une certaine influence sur Le Tellier au moment où il devint chancelier. Avant même d’être pourvu de cette charge, Le Tellier l’invita plusieurs fois chez lui sans que Le Peletier assistât à leurs réunions80. Bezons accompagna également les deux cousins lors des visites qu’ils firent à Paris et à Saint-Germain-en-Laye81. Cette influence resta néanmoins sans commune mesure avec celle de Le Peletier, d’autant que Bezons, déjà vieux et affaibli, était de la même génération que le chancelier.
40On pourrait s’étonner que le terme de créature n’ait pas été plus souvent employé dans ces pages pour décrire la situation de Claude Le Peletier. Il nous semble néanmoins que les liens qui existaient vers 1680 entre Le Tellier et son cousin se rapprochent plutôt de la fidélité qui eut cours au début du XVIIe siècle au sein de l’aristocratie, fondée sur une estime, une amitié et même un amour réciproque. Passées les premières années, Le Tellier ne parla plus de son cousin comme de sa « créature », peut-être parce que leur relation tirait son origine de la sollicitude désintéressée de Louis Le Peletier. En revanche, Saint-Simon qualifia à bon droit Le Peletier de Souzy (et Claude Le Peletier après 1685) de « créature » de Louvois, avec lequel ils n’avaient pas un semblable héritage en commun82. On retrouve dans les relations entre Le Peletier et son protecteur les enjeux habituels des liens de clientèle, c’est-à-dire le service, la récompense et, parfois, la rivalité entre clients. Cependant, le rapport d’échange entre le patron et son client semble très disproportionné : l’achat d’une seigneurie ou de quelques milliers de livres d’augmentations de gages ne constituait pas un motif suffisant pour que Le Tellier fît de Le Peletier son presque égal et le maître des finances du royaume. Aussi, la véritable contrepartie des récompenses que distribua généreusement Le Tellier doit-elle être cherchée ailleurs, dans le rôle fondamental que joua Le Peletier au sein de la clientèle de son patron.
Le membre du clan
41À partir de 1656, Le Peletier reçut la considérable mission de servir d’intermédiaire entre Le Tellier et la partie civile de sa clientèle. Dès lors, il représenta le secrétaire d’État, devint son porte-parole et assura la transmission des messages que délivrait le ministre à ses nombreux obligés. Peu à peu, sa faveur grandissant et Le Tellier déclinant, il dépassa le rang de simple exécutant et messager et contribua par ses initiatives à la bonne marche du clan. Les relations particulières qu’il tissa dans l’exercice de ces fonctions contribuèrent à le distinguer de la multitude des obligés du chancelier et à faire de lui un personnage essentiel dont on rechercha vite le soutien et les bonnes grâces.
Au sommet du clan
42Définir la place de Claude Le Peletier au sein de la clientèle de son protecteur n’est pas chose aisée. À l’époque, déjà, un certain flou entourait ses fonctions, et une personne non initiée au subtil équilibre du clan pouvait facilement commettre un impair qui n’était pas sans conséquence sur sa requête. Ainsi, en novembre 1677, Le Peletier eut-il la surprise d’être sollicité par Falentin, un avocat du Conseil, au sujet des affaires de sa communauté, ledit Falentin prétendant être envoyé par le chancelier. Informé de cette affaire, Michel Le Tellier répondit :
« Il n’est pas vray que j’aye dict au sieur Falentin ny à ses confrères qu’il s’adressa (sic) à vous pour les intérests de leur communauté, bien qu’il est vray qu’il m’a demandé si j’avois aggréable qu’il s’adressa à mon secrétaire pour les affaires qui regarderoient la discipline intérieure de son corps […]. Je ne vouldrois pas vous charger d’une si mauvaise marchandise83. »
43Dans l’esprit de Le Tellier, Falentin devait s’adresser à Jean-Pierre Arnaud de Juncquières ou à Philippe-Joseph Perrotin de Barmond, ses secrétaires, et non à son cousin conseiller d’État, mais cette erreur est révélatrice de l’image confuse que pouvait donner Claude Le Peletier de ses relations avec le chancelier. En effet, on ne saurait réduire son rôle à celui d’un simple agent, « intendant des affaires », « surintendant », « secrétaire-intendant », même si, comme eux, « la réalité [de ses] fonctions dépend de la confiance du maître84 ». Sa situation ne fut, par exemple et toutes proportions gardées, pas comparable à celle du jeune Jean-Baptiste Colbert intendant de Mazarin. Contrairement à Colbert, jamais Le Peletier ne demanda ni n’obtint de procuration générale de Le Tellier, et ne devint pas le mandataire unique du secrétaire d’État. Alors que Colbert entendait gérer seul la fortune et la maison du cardinal85, Le Peletier agit toujours en concertation avec les intendants du chancelier ou, au moins, avec le notaire Philippe Gallois, et il n’intervint que dans les matières dont il avait une certaine expérience, achats de terres, constitutions de rentes ou augmentation de gages, sans jamais se voir chargé de veiller aux besoins quotidiens de son patron86.
44La situation géographique de ces différents personnages confirme cette analyse. Depuis 1653, Michel Le Tellier logeait rue des Francs-Bourgeois dans un hôtel agrandi par plusieurs acquisitions en 1656 et 166287. Devenu le « petit hôtel Le Tellier », l’ancien hôtel de Coulanges abritait la nombreuse maisonnée, soixante domestiques en 1685, et le secrétaire (ou intendant) des affaires du secrétaire d’État. Ce rôle fut rempli jusqu’en 1678 par Jean Darbon de Bellou, qui cumulait ces fonctions avec celles de premier commis du département de la Guerre88. À sa mort, il fut remplacé par François Mouret. Le secrétaire des affaires était donc, en quelque sorte, sous la main du ministre, disponible jour et nuit en cas d’urgence. Tel n’était pas le cas de Claude Le Peletier, même si ses domiciles successifs, rue Barbette puis rue Vieille-du-Temple, ne s’éloignèrent jamais du centre de gravité du clan : retenu au Palais ou à l’Hôtel de Ville, à Saint-Germain-en-Laye, à Fontainebleau ou à Versailles par le travail des Conseils, le futur contrôleur général n’était pas assez disponible pour assurer la gestion au quotidien d’une maison ministérielle.
45Le Peletier appartient-il alors à cette catégorie de clients que S. Kettering appelle des « brokers », des « courtiers », qui servent d’intermédiaires entre des patrons et des clients séparés par la naissance ou la distance89 ? Cela permettrait d’expliquer pour ainsi dire « professionnellement » les relations épistolaires qui se tissent entre les deux hommes à une époque où Le Tellier voyage encore beaucoup (1652-1660). Néanmoins, il apparaît vite que Le Peletier n’a en rien les caractéristiques d’un « courtier ». Certes, c’est un personnage qui gagne en envergure, surtout à partir de 1660, mais il ne dispose ni d’une clientèle, ni de ressources qui lui soient propres ; il lui manque l’indépendance et l’éloignement du courtier, qui s’appuie en général sur une solide base provinciale90. Il se rapproche beaucoup plus de ceux que S. Kettering appelle des « intermédiaires91 », qui remplissent les mêmes fonctions et n’existent qu’en vertu de la protection de leur maître, à ceci près que Le Peletier, au contraire de ces personnages, demeure à Paris auprès de son patron.
46Comment, alors, définir le rôle du futur contrôleur général au sein de la clientèle des Le Tellier ? Ses fonctions font de lui bien plus qu’un intendant des affaires, plus qu’un intermédiaire entre un patron et ses clients, ou qu’un scribe prenant sous la dictée les volontés de son maître : Le Peletier est le véritable « lieutenant général » du clan. Cette fonction de « lieutenant général », personnage qui porte la parole de son maître et le représente au quotidien, lui imposa une fréquentation assidue de son patron, le devoir de se plier à ses modes de travail, l’obligation de satisfaire à ses demandes les plus diverses et les plus impromptues ; obéissant à une sorte de mimétisme, Le Peletier eut d’ailleurs tendance à s’identifier à son patron et à reproduire ses habitudes en les exagérant, surtout après 1683. Cette situation est rare mais non exceptionnelle dans l’histoire des grandes clientèles du XVIIe siècle. Richelieu traita Léon Bouthillier de Chavigny comme son propre fils ; il le fit secrétaire d’État des Affaires étrangères et s’en servit comme d’un intermédiaire entre lui-même, le roi et Gaston d’Orléans92. Parmi les créatures dont le cardinal peupla l’administration royale, Chavigny occupa l’un des premiers rangs et intercéda à plusieurs reprises en leur faveur auprès de son patron93.
47Cette fonction de « lieutenant général » confiée à Claude Le Peletier fut plus importante qu’il n’y paraît : elle lui donna une autorité morale dans le monde de la robe et lui permit d’influencer les choix du chancelier. Il est certain que Claude sut profiter de cette position hégémonique, de la confiance sans faille et de la sollicitude que lui témoigna Le Tellier pour assurer l’ascension de sa famille et surtout la sienne propre. On comprend alors mieux son ardeur à écarter ses frères et d’autres clients trop pressants. Cependant, si cette structure permit à Le Tellier de tenir bien en main ses clients, elle eut à long terme des conséquences néfastes pour l’équilibre de sa clientèle : l’autorité croissante de Louvois dans l’administration de la Guerre, puis le choix de Le Tellier comme chancelier en 1677, amenèrent leurs obligés à se réorganiser autour de ces deux départements et à accélérer une spécialisation déjà en cours. Masqués après la mort du chancelier par la prépondérance de Louvois au Conseil, les inconvénients de cette situation se firent durement sentir après 1691 et conduisirent à la dispersion du clan.
48Selon L.-N. Tellier, la hiérarchie au sommet du clan se déclina sur le modèle de la Trinité divine, avec le Père (Le Tellier), le Fils (Louvois) et… le Saint-Esprit (Le Peletier), qui conseilla dans les moments de doute, modéra les excès et rétablit la concorde94. Cette théorie repose en grande partie sur les assertions de Saint-Simon, qui fait de Le Peletier l’arbitre des conflits entre le père et le fils, assertions qui sont surtout valables pour les jeunes années de Louvois ou, à la rigueur, pour les dernières années de la vie du chancelier. Cependant, dans sa correspondance, Michel Le Tellier sollicite rarement des conseils, alors qu’il ne cesse de guider, de modérer Le Peletier dans sa jeunesse et de le faire profiter de sa connaissance des hommes et des institutions. Si, selon nous, il convient de ne pas faire du prévôt des marchands l’un des chefs du clan sur un pied d’égalité avec Le Tellier, car il n’aurait jamais été en mesure d’entrer en compétition sur ce plan avec son patron, Claude Le Peletier n’en reste pas moins l’un des quelques personnages qui étaient associés aux grandes décisions prises par la famille. Les Le Tellier semblent avoir toujours répugné aux décisions prises dans l’urgence par un homme seul. Il est vrai que la Fortune leur a rarement souri lorsqu’ils s’y sont essayés, à l’image de Louvois lors du renvoi d’Arnauld de Pomponne. Lorsque se dessinait un événement lourd de conséquences pour la position, voire la pérennité de la famille, ses chefs se réunissaient dans ce que Gourville appelle des « conférences »95. Y participaient Michel Le Tellier, Louvois, Charles-Maurice Le Tellier, archevêque de Reims, et les parents les plus proches : Claude Le Peletier, Jean-Baptiste Cassagnet, marquis de Tilladet, beau-frère du chancelier, peut-être son frère Gabriel Cassagnet, chevalier de Tilladet, sans doute Nicolas de Neufville, maréchal de Villeroy, Gilbert Colbert de Saint-Pouange et Édouard Colbert de Villacerf. L’attitude que devaient adopter la famille et ses affidés y était débattue, même si la décision finale revenait toujours à Le Tellier et à Louvois. Il est probable que la composition de ces « conseils » variait en fonction de leurs objets et de la spécialisation des uns et des autres. Fin 1685, c’est une conférence de ce genre qui, selon Gourville, prit la décision de priver Michel-François Le Tellier, marquis de Courtanvaux, de la survivance de la charge de secrétaire d’État de la Guerre dont il avait été pourvu le 5 décembre 1681, et de lui substituer le troisième fils de Louvois, Louis-François-Marie Le Tellier, marquis de Barbezieux96. Et, peu de temps avant la mort de Le Tellier, c’est un conseil de famille qui convint de demander au roi, le moment venu, la charge de chancelier pour Claude Le Peletier.
Le Peletier au sein du clan Le Tellier
49En tant que chef d’une clientèle nombreuse, Le Tellier recevait quotidiennement un courrier abondant dont une grande partie, relative à ses fonctions officielles, était traitée par les bureaux du département de la Guerre et de la Chancellerie. Certaines de ces lettres contenaient des demandes de faveurs ou de grâces dont l’examen faisait partie du rôle de Le Peletier, qui les transmettait ensuite au ministre. Pour respecter l’engagement qu’il avait conclu avec ses clients, le patron se devait de prendre lui-même connaissance des avantages auxquels ils estimaient pouvoir postuler en contrepartie de leur loyauté et de leurs services. Une fois sa décision prise, il restait à Le Tellier à communiquer sa réponse. La bienséance et la discrétion lui commandaient de s’en charger lui-même. Mais, accaparé par ses fonctions officielles, le secrétaire d’État dut souvent s’en remettre à son cousin. Dans les lettres qu’il lui adressait, Le Tellier indiquait à Le Peletier la substance de sa réponse, à charge pour lui de l’annoncer verbalement ou de l’envelopper dans le vocabulaire de la fidélité avant de l’expédier à qui de droit. La longueur des réponses du secrétaire d’État dépendait en grande partie de la qualité de leur destinataire. Le Peletier modifiait son attitude selon les mêmes critères et délivrait de vive voix, aux personnages les plus importants, la réponse de son maître. L’attitude de Le Tellier et le rôle de Le Peletier dépendaient donc grandement de la personnalité du demandeur et du service dont il était question. Un service mineur rendu à un client secondaire ne valait guère d’égards à ce dernier. En revanche, dans le cas des clients les plus importants, Le Tellier faisait part à Le Peletier presque quotidiennement des progrès de ses manœuvres, ce dernier en avertissant immédiatement la personne concernée. En 1668, Guillaume de Lamoignon voulut obtenir la charge de procureur général du parlement de Toulouse pour son fils aîné et celle de conseiller au Parlement avec dispense d’âge pour son cadet. Le jour même, le roi fit savoir à Le Tellier qu’il refuserait la dispense pour le second ; Le Tellier revint plusieurs fois à la charge en tenant Lamoignon informé par l’intermédiaire de Le Peletier97. La masse anonyme des clients, pour lesquels un contact personnel avec le patron était plus qu’improbable, doit donc être distinguée du cercle plus restreint des parents et intimes : leur rang social et leur proximité, physique ou intellectuelle, pouvaient leur ouvrir un accès direct à Le Tellier ou à Louvois. Il arrivait toutefois que des demandes de protection trop fréquentes indisposassent le ministre. De cette manière, le client maladroit perdait une grande partie de son crédit. Le Tellier n’hésita pas à demander à Le Peletier de faire sentir au président de Nesmond que l’avalanche de lettres dont il l’abreuvait finissait par l’indisposer98. L’inverse se produisait plus rarement : nous n’avons retrouvé qu’une seule lettre dans laquelle Le Tellier chargea son cousin de détromper l’un de ses clients qui se croyait tombé en disgrâce auprès de son patron99.
50Dans le cas de clients peu importants, ou dont les demandes outrepassaient visiblement les limites de ce que leur position leur permettait de prétendre, le ministre pouvait s’autoriser un échec, voire le provoquer pour se débarrasser de l’importun. Mais ce pis-aller n’était pas envisageable dans le cas de ses principaux obligés, qui lui offraient l’opportunité, par les fonctions qu’ils occupaient et leur obéissance à ses directives, d’avoir une influence politique et sociale bien supérieure à ses attributions théoriques de ministre de la Guerre. La pression de cette obligation de résultat est visible dans le soulagement dont fait preuve Le Tellier après avoir obtenu pour Boucherat une faveur particulièrement attendue :
« J’ay satisfaict à ce que M. le premier président a désiré pour M. Boucherat, le roy luy ayant accordé la place […] sans aulcunne diminution, et ainsy me voylà quitte de ma parolle avec honneur100. »
51Toutes les démarches de Le Tellier ne rencontraient pas un aussi heureux succès, y compris dans le cas de proches ou de membres de sa famille dont il souhaitait sincèrement la satisfaction. Un événement imprévu pouvait ruiner les plans les mieux conçus101. Même très bien introduit auprès du roi, un secrétaire d’État, fût-il membre du Conseil d’en Haut, n’avait jamais entre ses mains l’ensemble des leviers permettant de garantir l’octroi d’une faveur. Le ministre conservait certes toujours la gestion du calendrier, en se réservant le choix du moment et du lieu les plus propices au bon succès de ses démarches. Mais, au bout du compte, Louis XIV restait le maître des largesses distribuées en son nom, comme en témoigne cette anecdote rapportée par le duc de Saint-Simon :
« Un ami de M. Le Tellier avoit une affaire de nature à être décidée entre le roi et Le Tellier : il la lui recommanda comme chose qui lui importoit fort. M. Le Tellier l’assura qu’il le serviroit de tout son possible. L’ami, surpris de cette réponse, lui en témoigna sa peine, et lui dit que, dans la place et le crédit où il étoit, on savoit bien qu’il faisoit ce qu’il vouloit et des choses bien plus difficiles et bien plus importantes que n’étoit celle dont il s’agissoit pour lui. Ne vous y trompez pas, lui repartit Le Tellier, vous êtes trop mon ami pour que je vous laisse rien sur le cœur et que je vous cache rien. Ce que vous dites est vrai et ne l’est pas. De vingt affaires que je porterai au roi, je serai toujours très sûr d’en faire passer dix-neuf comme je voudrai, et tout aussi sûr que la vingtième sera décidée tout au contraire, car le roi, qui nous veut montrer à tous tant que nous sommes qu’il est le maître et qu’il se décide par lui-même, ne manque jamais à prendre cette bisque avec nous. De répondre sur laquelle des vingt affaires le sort tombera de passer outre mon avis, c’est ce dont ni moi ni pas un des autres ministres, chacun pour son sac, ne peut répondre ni à soi, ni à personne. Ainsi, vous n’avez pas tort de croire que les affaires que je porte au roi passent comme je veux, et vous voyez que j’ai raison aussi de vous avoir répondu comme j’ai fait. Mais assurez-vous encore une fois que je ferai tout mon possible pour le succès de ce que vous désirez, et que c’est tout ce que j’y puis et que j’espère y réussir102. »
52Tout l’art du ministre consistait alors à faire croire à chacun des clients déçus que sa demande faisait partie de l’infime pourcentage que le roi se refusait par principe à accorder. Néanmoins, là encore, cette tactique d’évitement n’était pas applicable aux membres du Conseil, lesquels, entourant la personne royale, pouvaient constater de visu en quelle faveur le maître les tenait. Par conséquent, Claude Le Peletier se vit parfois confier la pénible mission d’informer des clients dont il était très proche du refus de leurs sollicitations. Ainsi, Michel Le Tellier connut-il par deux fois l’échec avant d’obtenir pour Jérôme Bignon, en 1678, la place de conseiller d’État qu’il convoitait103.
53Le Tellier utilisait aussi son cousin pour transmettre ses demandes de services à ses clients. Les ordres du secrétaire d’État, transmis par Le Peletier, descendaient alors la pyramide de la clientèle jusqu’au niveau nécessaire à leur exécution. Ainsi, en 1676, le ministre « supplia » Le Peletier de « prier » Bezons de « prier » l’avocat général Denis Talon « en mon nom » de parler en faveur du maréchal d’Aumont, son gendre, dans l’affaire qu’il avait au Parlement contre sa mère104. Le rôle de Claude Le Peletier dépendait là aussi du service demandé et de la personne à laquelle ses fruits devaient revenir. Le Tellier réclamait l’engagement total de son cousin dans les affaires qui regardaient sa famille ; il précisait, parfois au mot près, l’attitude que devait adopter son messager. Le Peletier n’avait alors qu’à suivre la ligne de conduite déterminée par son patron. En 1666, Le Tellier demanda à son cousin d’intervenir auprès d’Étienne d’Aligre, qui était le rapporteur d’une affaire dans laquelle le maréchal d’Aumont avait le plus grand intérêt. Il lui ordonna de s’instruire de cette affaire, puis de rencontrer d’Aligre, de lui remettre une lettre « que je luy écris en créance sur vous », de le prier d’examiner « soigneusement » les pièces concernant cette affaire et de savoir ses sentiments sur elle. Si d’Aligre inclinait en faveur du maréchal, Le Peletier devait le « supplier de [sa] part » d’envoyer son avis favorable à Colbert ; en revanche, s’il trouvait quelques difficultés à l’affaire, Le Peletier devait le porter « à l’accommoder le plus à la satisfaction de M. le maréchal qu’il se pourra » et l’assurer qu’il obligerait « sensiblement » Le Tellier en agissant ainsi105. Le Tellier ne fut pas toujours aussi directif. Quelques mois plus tôt, il s’était contenté d’inviter Le Peletier à rencontrer Olivier d’Ormesson au sujet de la protection que les officiers du présidial de Tours lui demandaient dans une affaire pendante au Conseil. Le Peletier s’enquit de son opinion et lui témoigna que le secrétaire d’État prenait une part sensible à cette affaire106.
54La Cour et la Ville bruissaient d’innombrables rumeurs, dont Le Peletier rapportait fidèlement la teneur à son patron. Conscient des effets ravageurs que des bruits trop insistants pouvaient avoir sur sa réputation, son crédit et la position de son clan, ce dernier chargea plusieurs fois son cousin de les démentir publiquement. Le Peletier dut ainsi intervenir à deux reprises pour contrebalancer le mauvais effet produit par les efforts de son patron pour l’établissement de son fils Charles-Maurice. En 1665, il mobilisa le clan sur l’ordre de Le Tellier : « Mes amis me feroient plaisir de dire que, s’il dépendoit de moy de faire pourvoir mon fils de l’évesché de Metz, je ne le ferois pas, n’estimant pas que ce soit un poste de son âge107. » Les clients jouent ici le rôle d’une garde rapprochée du patron face aux attaques ou aux critiques dont il fait l’objet. L’affaire de la coadjutorerie de Reims obligea Le Tellier à réagir afin de sauver sa réputation d’homme modéré et éloigné des honneurs de ce monde. Il envoya donc Le Peletier faire le même discours « à tout le monde » et assurer chacun que le ministre n’avait accepté cette promotion que sur les instances du roi108. Cette affaire témoigne de la répugnance de Le Tellier à apparaître personnellement dans ces diverses négociations, moins par modestie que par intérêt bien calculé. Il évitait ainsi de s’exposer à la vindicte de clients mécontents ou déçus. Ce goût du secret contraignit Le Tellier à tenir son cousin au courant de la plupart de ses affaires. Il lui communiquait les lettres qu’il écrivait sans les fermer (à « cachet volant ») pour que Le Peletier pût en prendre connaissance, à charge pour lui de les faire ensuite parvenir à leurs destinataires109. Le Tellier était aussi amené à l’informer de la faveur dans laquelle il tenait ses clients, afin que Le Peletier fût à même de traduire les nuances de sa pensée. En 1659, Le Tellier rendit compte à son cousin de son entrevue avec Mazarin au sujet du remplacement de Thomas-Alexandre Morant à l’intendance de Normandie. Il annonça que le cardinal refusait de donner cette place à Olivier d’Ormesson, le jugeant « bon homme, mais de nulle capacité » (« cela pour vous seul […] sans que M. d’Ormesson en doive rien savoir »). Le Tellier se proposait d’envoyer Bezons en Normandie et de donner à Morant l’intendance de Languedoc « dont il est capable ayant de l’esprit pour la conduite des affaires du roy dans les États », mais ce dernier risquait de renâcler à s’éloigner autant de Paris. Le ministre se réservait la possibilité de proposer Dugué de Bagnols, certain que le cardinal approuverait ce choix, mais souhaitait placer Morant avant tout autre client110. Parfois, cependant, point n’était besoin de nuances au secrétaire d’État pour signifier qu’il entendait rompre ses engagements. Le Tellier était alors sec et sans pitié. On reconnaît la marque du maître dans ses propos : « Vous me ferez plaisir d’interrompre tout commerce avec la personne que vous nommez et ce pour les raisons dont je me suis expliqué avec vous, lesquelles ne reçoivent point de répliques111. »
55Tel les commissaires du roi lors des assemblées des pays d’États, Claude Le Peletier « portait la parole » de son prestigieux cousin et le représentait auprès de ses clients, pour donner ou exiger, féliciter ou réprimander. Le Tellier ne se contentait pas de donner ses ordres par des lettres ; il informait aussi de vive voix Le Peletier de la conduite qu’il souhaitait qu’il adoptât, mais ces échanges ne nous sont parvenus que sous la forme édulcorée de leur correspondance. Même si nous ignorons une grande partie des faveurs accordées par Michel Le Tellier à ses clients, l’échantillonnage que nous avons pratiqué permet de dégager les périodes pendant lesquelles ces faveurs semblent s’être concentrées. Le Tellier et ses clients furent très actifs entre 1658 et 1660, puis on assista à un repli jusqu’en 1668, suivi d’une nouvelle montée en puissance qui atteignit un plafond vers 1680. Ces dates correspondent presque exactement aux moments où le clan des lézards prit l’avantage sur le clan rival des couleuvres112.
La marque de Le Peletier
56La qualité des personnages qui apparaissaient dans la correspondance entre Le Tellier et Le Peletier changea au fur et à mesure que le second progressa dans sa carrière. En 1659 et 1666, les milieux du Conseil du roi et des cours souveraines dominaient largement113. L’entrée au Conseil de Le Peletier en 1673 provoqua un déclin spectaculaire des magistrats, auxquels Claude n’avait plus aussi facilement accès. La présence constante du clergé et de la noblesse à partir de 1666 témoigne de l’intimité croissante de Le Tellier et de son cousin et prouve que le champ de leurs discussions et le rôle de Le Peletier ne se limitaient plus au monde de la robe. Après 1677, l’essor des nobles d’épée indique que Le Peletier bénéficiait à l’époque d’une considération suffisante pour traiter avec les personnes les plus prestigieuses de la Cour ; elle indique sans doute aussi que, en vieillissant, Le Tellier confia une part de plus en plus grande de ses attributions de chef de clientèle à son cousin.
57Claude Le Peletier ne se contenta pas du rôle que l’on sait au sein du clan de son patron. On l’a vu, il contribua modestement à son élargissement en développant sa propre clientèle ; il y contribua aussi, de manière moins directe, par les projets de mariage de Marie-Marguerite de Fourcy avec les fils des deux secrétaires d’État qui n’appartenaient ni au clan Le Tellier, ni au clan Colbert, Lionne et La Vrillière. Après la chute de Fouquet, Hugues de Lionne se retrouva isolé au Conseil. Le roi lui ayant conservé sa faveur, il se rapprocha de Le Tellier et collabora avec lui sur les questions de politique extérieure114. Marier son fils à Marie-Marguerite de Fourcy aurait permis à Lionne de lui procurer le soutien de Le Tellier et de Louvois et ainsi de lui assurer la transmission de sa charge de secrétaire d’État. Cela aurait aussi fait entrer définitivement le département des Affaires étrangères dans le giron du clan Le Tellier-Louvois. Les négociations menées par La Vrillière s’expliquent sans doute par des craintes identiques pour l’avenir du marquis de Châteauneuf, son fils. Pour un personnage aussi préoccupé des affaires religieuses que l’était Le Tellier, une alliance avec le secrétaire d’État de la R.P.R. n’était pas à dédaigner, en dépit des attributions presque insignifiantes de ce personnage. Il est difficile d’estimer la part que Le Tellier et Louvois prirent dans le choix des successeurs de ces deux secrétaires d’État. On constate néanmoins que Berny fut écarté en 1671 au profit de Pomponne, un ami de longue date de Le Tellier et de Le Peletier, alors que Châteauneuf succéda sans accroc à son père en 1680.
58La solidarité qui existait entre les membres du clan Le Tellier se manifestait dans le domaine professionnel, mais également dans le domaine économique et financier. À la fin du XVIIe siècle, malgré la mise en place d’institutions visant à permettre un enregistrement exhaustif et public des hypothèques, il restait très difficile d’estimer la solidité des gages sur lesquels un particulier pouvait garantir son prêt : la seigneurie qu’engageait un riche financier pour garantir le capital d’une rente de 2 000 livres au denier 20 (soit 40 000 livres) n’était-elle pas déjà grevée par d’innombrables hypothèques ? Aux procédures longues et redoutées en cas de faillite d’un particulier venait s’ajouter le risque de découvrir que Sa Majesté faisait partie des créanciers du failli, car le roi se réservait d’autorité la meilleure part des actifs saisis. Il manquait, sur la place parisienne, un maillon essentiel pour rassurer les prêteurs115. En pratique, ces derniers ne pouvaient se fier qu’au cercle étroit de leurs connaissances : parents, amis, collègues de travail ou voisins116. Structuré autour de réseaux, impliquant une bonne connaissance de la situation et des disponibilités financières de ses membres, et fonctionnant avec un notaire unique, Philippe Gallois (étude LXXV), le clan Le Tellier était à même de résoudre les principales difficultés que rencontraient les riches robins désireux de placer sans risque leurs liquidités : trouver des emprunteurs solvables en donnant au prêteur un levier suffisamment contraignant – en l’occurrence le lien de clientèle. Au-delà de cette mission de centralisation de l’information en tant que « lieutenant général », Le Peletier fut l’un des créanciers privilégiés du clan, et il se procura l’essentiel des sommes dont il avait besoin pour financer ses acquisitions de terres auprès de clients du secrétaire d’État. Les autres obligés de Michel Le Tellier ne furent pas en reste. On peut estimer que le clan avait mis au point un système de financement autonome qui présentait un double avantage : offrir presque instantanément des fonds en cas de besoin (achat d’office ou de terre, mariage, etc.) et procurer des débiteurs fiables à ceux qui désiraient placer leurs capitaux en toute sécurité, quel que soit le montant des sommes concernées. Loin d’être exceptionnel, ce type de situation apparaît au contraire presque consubstantiel aux organisations reposant sur des liens personnels117.
59Peu à peu, Claude Le Peletier dépassa les fonctions d’exécution dans lesquelles son patron l’avait tout d’abord cantonné, et acquit une véritable autorité au sein du clan. Il lui fut aisé d’influer sur les décisions de son patron puisqu’il était en quelque sorte le représentant du clan auprès de lui. La plupart des demandes de faveurs des clients passaient par le « lieutenant général », qui les transmettait par écrit ou verbalement à Le Tellier en les agrémentant parfois d’avis ou de suggestions. Le Peletier put ainsi les favoriser ou, au contraire, les desservir. Vers la fin de sa vie, Le Tellier associa de plus en plus fréquemment son cousin à ses décisions, se déchargeant même sur lui de certaines d’entre elles. Les clients du chancelier ne s’y trompèrent pas, qui adressèrent à plusieurs reprises deux lettres en un même envoi à Le Tellier, l’une pour lui, l’autre pour Le Peletier118. Le Tellier préféra par exemple attendre l’avis de Le Peletier sur une affaire que le duc d’Aumont avait devant le Parlement plutôt que d’en discuter immédiatement avec le magistrat qui en était chargé119. Le Peletier se substitua même complètement au chancelier en certaines occasions. En 1679, le ministre lui envoya une lettre qu’il avait reçue de Mme d’Aumont en faveur de la prieure du monastère de la Ville-l’Évêque pour qu’il en prît connaissance et lui fît savoir « ce que je doibs faire de ma part pour contribuer au repos qu’elle désire laisser à son monastère en sortant de charge120 ».
60Avec l’âge, les ennuis de santé du chancelier se firent plus nombreux et plus menaçants. Le clan chargea alors tacitement Le Peletier de veiller sur son patron et de l’informer du moindre incident. Tout le prédisposait à ce rôle : son intimité avec le ministre, les rapports quotidiens qu’ils entretenaient depuis que Le Tellier était devenu chancelier et, surtout, sa proximité. Alors que Louvois sillonnait les provinces et accompagnait le roi aux armées, que Charles-Maurice Le Tellier administrait son diocèse, le futur contrôleur général ne quittait Paris que pour se rendre à Versailles ou prendre du repos à Chaville ou Villeneuve-le-Roi. Le Peletier avait déjà rempli cette fonction en décembre 1672, quand le secrétaire d’État fut « attaqué d’une espèce de mouvement d’apoplexie121 ». Les séquelles de cette maladie préoccupèrent encore Louvois l’année suivante pendant son long voyage en Lorraine. En 1674, depuis Briançon, Louvois remercia Le Peletier de lui donner des nouvelles de la santé de la chancelière, malade, mais lui demanda aussi de divertir son père et d’empêcher son chagrin d’altérer sa propre santé122. Ces précautions lui semblèrent encore insuffisantes, et il demanda à Le Peletier d’inciter son père à quitter le chevet de sa femme qu’il veillait depuis six semaines :
« Il y a plus de six semaines que je la vois tomber dans un anéantissement dont on doit tout craindre. Comme mon père est plein de raison, je ne doute pas qu’il ne prenne le parti de se séparer le plus qu’il le poura d’un objet aussi triste que celui là. Je vous supplie de l’aider autant qu’il vous sera possible à prendre cette résolution que je crois tout à fait nécessaire pour la continuation de sa santé123. »
61Charles-Maurice Le Tellier s’informait lui aussi avec angoisse de la santé du vieux ministre. Il rappelait fréquemment à son cousin que le chancelier avait besoin de compagnie, et se réjouissait de ce que les affaires de Le Peletier lui permissent, par exemple, de passer une semaine entière avec Le Tellier en juin 1679124.
62À travers ces correspondances se dessine la solidité des liens qui unissaient les membres du clan : les nouvelles qu’envoyait Le Peletier descendaient cette pyramide de clientèles et, relayées par le département de la Guerre ou la Chancellerie, se répandaient jusqu’à sa base, semant le désespoir, si elles étaient funestes, ou la joie qui accompagnait un prompt rétablissement. Jusqu’en 1682, ces interventions demeurèrent toutefois l’exception : sa santé rétablie, la fièvre tombée, le chancelier reprit ses activités officielles. Après cette date, l’état de Michel Le Tellier s’aggrava brutalement. Il fut gravement malade en septembre et en octobre 1682 puis en 1684, avant la « crise dernière » d’octobre 1685. Sur les instances de Louvois et l’archevêque de Reims, Le Peletier s’efforça de soulager ses douleurs, mais en vain125. Le 23 octobre 1685, Dangeau nous apprend que « le contrôleur général, en sortant du Conseil, est parti en diligence pour voir M. le chancelier126 ». Il ne le quitta plus jusqu’à son décès, le 30 octobre suivant.
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63Le rôle que joua Claude Le Peletier au sein du clan de son patron renvoie logiquement à celui qu’il exerça dans les affaires publiques comme messager de Le Tellier auprès des cours souveraines. Ses activités au sein de la clientèle du secrétaire d’État dépassèrent cependant rapidement celles d’un simple intermédiaire et firent de lui un personnage indispensable, un « lieutenant général » sur lequel Le Tellier se reposa à mesure que sa santé déclinait. S’appuyant sur leur lien de parenté, Le Peletier sut aussi profiter de sa position hégémonique, de la confiance sans faille et de la sollicitude que lui témoignait son puissant cousin pour assurer l’ascension de sa famille, et la sienne propre.
64Quelles conclusions tirer de cette étude du clan Le Tellier pour les clientèles administratives du règne personnel de Louis XIV ? Sans doute qu’elles se rapprochent bien davantage de la définition qu’en donne S. Kettering que de celle proposée par R. Mousnier, qui séparait fortement les relations maître-fidèle et patron-client127. Sans doute, aussi, qu’elles se distinguent des grandes clientèles nobiliaires : jusqu’au milieu du XVIIe siècle, « c’était sa capacité à mobiliser de nombreux gentilshommes qui faisait la principale force d’un grand seigneur128 », et cette mobilisation passait par des relations de parenté associatives, les parents d’un grand personnage lui suscitant d’autres dévouements parmi leurs propres alliés. Même si elles sont présentes, les relations de parenté ne jouent pas ici le même rôle structurant. Elles assurent certes la cohérence du cœur de la clientèle, les Le Tellier et leurs plus proches parents, mais elles disparaissent dès que l’on plonge dans la masse aujourd’hui anonyme des clients. Le clan Le Tellier s’apparente alors à une vaste gens romaine, au sein de laquelle cohabitaient parents, fidèles, clients, créatures et obligés. Le véritable lien qui unit les clientèles administratives de l’époque post-ministériat, c’est la structure administrative elle-même, qui transforme le subordonné en obligé, et qui garantit la capacité du patron à tenir ses engagements. Enjeu majeur des révoltes nobiliaires jusqu’au XVIIe siècle, le patronage royal est à présent en grande partie capté et diffusé par les ministres, la puissance du ministre garantissant le service du roi.
Notes de bas de page
1 J. Krynen, L’État de justice : France, XIIIe-XXe siècle, t. I : L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, 2009.
2 E. Haddad, « Noble clienteles in France in the sixteenth and seventeenth centuries: a historiographical approach », French history, 2006, no 1, p. 75-109.
3 Par commodité, nous employons le terme « clan » pour désigner l’ensemble des personnes attachées à la famille Le Tellier par des liens familiaux, domestiques ou de clientèle (d’origine écossaise, « clan » désigne « un ensemble de familles se groupant autour d’un même chef et ayant un ancêtre commun » ; ce terme apparaît dans la langue française vers 1850).
4 Bibliothèque Mazarine, Ms. 2906, « Caractères de MM. les présidens et conseillers du Parlement de Paris… en l’année 1658 », fo 42. Les passages en italique sont de notre fait.
5 Saint-Simon, Mémoires de Saint-Simon. Nouvelle édition augmentée des additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau, Paris, 1879-1931, t. IV, p. 263.
6 Spanheim, Relation de la cour de France en 1690, Paris, 1882, p. 220-223.
7 Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 335.
8 L. André, Deux mémoires historiques de Claude Le Peletier publiés avec une introduction et des notes de Louis André, Paris, 1906, p. 48.
9 AN, 90 AP 32, lettre de Le Tellier à Louis Le Peletier, [s. l.], 28 septembre 1624.
10 AN, 259 AP 1, testament de Louis Le Peletier, 17 mai 1644 et 9 février 1650.
11 AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Poitiers, 31 janvier 1652.
12 Seules une dizaine de lettres ont été dictées à un secrétaire, sans doute Juncquières, en raison d’indispositions diverses ou du manque de temps.
13 Le Tellier signale en haut le lieu et la date d’expédition, puis, juste en dessous, commence à écrire en faisant allusion à la dernière lettre de Le Peletier. Dans certains cas, il se contente d’un simple « ce soir » ou « ce soir à telle heure ».
14 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Fontainebleau, 10 août 1671.
15 AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, La Fère, 5 juillet 1656.
16 AN, 259 AP 126, note de Claude Le Peletier concernant ses clefs et ses papiers.
17 R. Mousnier, « Les fidélités et les clientèles en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire sociale, t. XV, 1982, p. 35-46.
18 AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, La Fère, 29 juillet 1656.
19 T. Sarmant et M. Stoll, « Le style de Louvois. Formulaire administratif et expression personnelle dans la correspondance du secrétaire d’État de la Guerre de Louis XIV », Annuaire-bulletin de la société de l’Histoire de France, 1997 (1999), p. 57-77.
20 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 30 juillet 1676.
21 L. André, Michel Le Tellier et Louvois, p. 64-65, et A. Corvisier, Louvois, Paris, 1983, p. 69-70.
22 L. André, Deux mémoires…, p. 49.
23 O. d’Ormesson, Journal, Paris, 1860-1861, t. II, p. 549.
24 SHD, A1 516, fo 26, lettre de Darangon à Le Tellier, Paris, 10 juillet 1654.
25 AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, La Fère, 20 juin 1656.
26 L. André, Deux mémoires…, p. 7-9.
27 AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Sedan, 27 juillet 1657.
28 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, La Fère, 30 juin 1656.
29 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Sedan, 27 juillet 1657.
30 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 1er septembre 1673.
31 AN, 259 AP 11, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 7 octobre 1668.
32 L. André, Deux mémoires…, p. 120-121.
33 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Nevers, 21 janvier 1659.
34 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, [ ?] avril 1676.
35 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 26 mai 1676.
36 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Versailles, 13 novembre 1678.
37 AN, 259 AP 10, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 3 décembre 1666.
38 H.-J. Martin, Livre et société à Paris au XVIIe siècle (1598-1701), Genève, 1969, t. II, p. 670.
39 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Versailles, 1er décembre 1678.
40 AN, 259 AP 14, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Fontainebleau, 9 septembre 1681.
41 P. Hazard, La crise de la conscience européenne, 1680-1715, Paris, 1963, p. 27.
42 F. Strowski, « Comment Bossuet composait une oraison funèbre », Revue Bossuet, janvier 1902, p. 30-48.
43 L. André, Michel Le Tellier et Louvois, p. 630.
44 AN, 259 AP 36, lettre de Michel Le Peletier à Claude Le Peletier, Paris, 28 février 1708.
45 Le testament mutuel du chancelier et de sa femme est daté du 10 juin 1683 (L. André, Michel Le Tellier et Louvois, p. 678).
46 Abbé de Choisy, Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIV, Paris, 2002, p. 103-104.
47 Cité par É. Pilastre, Achille III de Harlay, premier président du parlement de Paris sous le règne de Louis XIV, Paris, 1904, p. 23.
48 Ibidem, p. 23.
49 L. André, Deux mémoires…, p. 139.
50 R. Mousnier, « Les fidélités et les clientèles en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire sociale, t. XV, 1982, p. 35-46.
51 R. Mousnier, « Les concepts d’“ordres”, d’“états”, de “fidélité” et de “monarchie absolue” en France de la fin du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle », Revue historique, 1972, t. 247, p. 289-312, et S. Kettering, Patrons, brokers and clients in XVIIth century France, New York, 1986, p. 13.
52 S. Kettering, Patrons, brokers and clients…, p. 13.
53 AN, MC, LXXV, 178, transport du 7 décembre 1675, et AN, MC, LXXV, 179, quittance du 28 janvier 1678.
54 Le 28 janvier 1676, Dugué de Bagnols constitua 450 livres de rente moyennant 9 000 livres à Le Peletier ; le même jour, ce dernier la transporta à Le Tellier (AN, MC, LXXV, 179, constitution et transport du 28 janvier 1678).
55 AN, MC, LXXV, 99, traité d’office du 8 juin 1658.
56 AN, 259 AP 11, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 1er avril 1668.
57 AN, MC, LXXV, 135, procuration du 10 mai 1667 et AN, MC, LXXV, 200, procuration du 8 mai 1680.
58 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Ath, 3 juillet 1671.
59 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Toulouse, 11 novembre 1659.
60 AN, 259 AP 11, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 18 mars 1668.
61 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Carcassonne, 16 avril 1660.
62 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier, Saint-Germain-en-Laye, 10 mai 1672.
63 R. Mousnier, « Les fidélités et les clientèles en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire sociale, 1982, p. 35-46. O. Ranum a repris ce terme pour évoquer les clients dont Richelieu peupla l’administration royale pendant son ministériat (O. Ranum, Les créatures de Richelieu, secrétaires d’État et surintendants des finances, 1635-1642, Paris, 1966).
64 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Aix, 28 février 1660.
65 Abbé de Choisy, op. cit., p. 132.
66 AN, 259 AP 14, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 3 mai 1681.
67 AN, O1 17, fo 66 vo, lettres de conseiller d’État semestre, 17 avril 1673.
68 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 12 avril 1673.
69 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 13 avril 1673.
70 Il contribua aussi aux frais du mariage de Le Peletier en lui offrant, par l’intermédiaire de Mme Le Tellier, les bijoux dont son cousin fit cadeau à Marguerite Fleuriau lors de leur mariage (AN, 259 AP 127, achat de bijoux par Mme Le Tellier, 11 et 24 octobre 1656).
71 O1 12, fo 55, brevet de don du 3 mai 1652. Le secrétaire d’État lui en procura au moins une autre (AN, 259 AP 8, lettre de Le Tellier à Le Peletier, La Fère, 29 juillet 1656).
72 AN, 259 AP 11, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 21 décembre 1669.
73 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 8 janvier 1670.
74 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 30 juillet 1676.
75 S. Kettering, Patrons, brokers and clients…, p. 27-28.
76 M. Bennini, « Mémoire, implantation et stratégies familiales : les Leclerc de Lesseville (XVIe-XVIIIe siècles) », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007, no 3, p. 7-39.
77 AN, 259 AP 36, lettre de Michel Le Peletier à Claude Le Peletier, Lille, 10 janvier 1680.
78 Ibidem, lettre de Michel Le Peletier à Claude Le Peletier, Valenciennes, 6 juillet 1678.
79 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 30 novembre 1671.
80 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 16 février 1677.
81 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 20 novembre 1677.
82 Saint-Simon, op. cit., t. V, p. 335.
83 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Versailles, 13 novembre 1677.
84 P. Lefebvre, « Aspects de la “fidélité” en France au XVIIe siècle : le cas des agents des princes de Condé », Revue historique, 1973, vol. 250, p. 59-106.
85 J. Villain, La fortune de Colbert, Paris, 1994, p. 42-43.
86 Colbert fournissait aussi bien les vins que les chevaux, les légumes et les confitures du cardinal (J. Meyer, Colbert, p. 152).
87 J.-P. Babelon, « L’hôtel Le Tellier, 39-45 rue des Francs-Bourgeois », La rue des Francs-Bourgeois au Marais, Paris, 1992, p. 126-129.
88 E. Pénicaut, « Les commis et premiers commis des bureaux du département de la Guerre sous Michel Chamillart », Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, 2002 (2004), p. 77-130.
89 S. Kettering, Patrons, brokers and clients…, p. 42.
90 Ibidem, p. 44.
91 Le terme anglais utilisé par S. Kettering est « go-betweens » (ibidem, p. 56).
92 C’est d’ailleurs en cette qualité d’intermédiaire bien plus qu’en celle de secrétaire d’État qu’il joua un rôle décisif dans les affaires (O. Ranum, op. cit., p. 104-105).
93 Ibidem, p. 65.
94 L.-N. Tellier, Face aux Colbert, les Le Tellier, Vauban, Turgot et l’avènement du libéralisme, Québec, 1987, p. 192.
95 Gourville, Mémoires, Paris, 2004, p. 275.
96 N. Certain, Instruction, formation professionnelle et stratégies familiales à la fin du XVIIe siècle à travers l’exemple des fils du marquis de Louvois, secrétaire d’État de la Guerre de Louis XIV, mémoire de DEA, université Paris X, 2001, p. 97-101.
97 AN, 259 AP 11, lettres de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, les 8, 15, 16 et 21 juin 1668.
98 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Toulouse, 16 novembre 1659.
99 AN, 259 AP 11, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 18 avril 1668.
100 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, [s. l.], 19 novembre 1661.
101 S. Kettering, « Brokerage at the Court of Louis XIV », The Historical Journal, vol. XXXVI, no 1 (mars 1993), p. 69-87.
102 Dangeau, Journal du marquis de Dangeau, avec les additions du duc de Saint-Simon, Paris, 1854-1860, t. I, p. 240, Addition de Saint-Simon.
103 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 18 juin 1677 ; ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, [s. l.], 4 mai 1678.
104 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 9 février 1676.
105 AN, 259 AP 10, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Fontainebleau, 8 juillet 1666.
106 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Fontainebleau, 7 février 1666.
107 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 10 juillet 1665.
108 O. d’Ormesson, op. cit., t. II, p. 546. Voir p. 181.
109 AN, 259 AP 12, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Chaville, 29 juin 1673.
110 AN, 259 AP 9, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Nevers, 22 janvier 1659.
111 AN, 259 AP 14, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 19 février 1681.
112 J.-C. Petitfils, Louis XIV, Paris, 1995, p. 236-241.
113 L.-N. Tellier, op. cit., p. 221.
114 L. André, Michel Le Tellier et Louvois, p. 293.
115 Ph. T. Hoffman, G. Postel-Vinay, et J.-L. Rosenthal, Des marchés sans prix. Une économie politique du crédit à Paris, 1660-1870, Paris, 2001, p. 91.
116 En 1662, 45 % des prêts devant notaires sont passés entre un emprunteur et un membre de sa famille (ibidem, p. 92).
117 Voir, par exemple, les circuits mis en place par les officiers domestiques des princes de Condé décrits par K. Béguin (K. Béguin, Les princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Paris, 2003, p. 226-231).
118 AN, 259 AP 13, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Versailles, 8 novembre 1677.
119 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 1er janvier 1680.
120 Ibidem, lettre de Le Tellier à Le Peletier, Saint-Germain-en-Laye, 12 juillet 1679.
121 L. André, Michel Le Tellier et Louvois, p. 627.
122 AN, 259 AP 14, lettre de Louvois à Le Peletier, au camp devant Briançon, 8 mai 1674.
123 Ibidem, lettre de Louvois à Le Peletier, au camp devant Briançon, 9 mai 1674.
124 AN, 259 AP 17, lettre de l’archevêque de Reims à Le Peletier, Reims, 28 juin 1679.
125 SHD, A1 681, fo 57, lettre de Louvois à Le Peletier, Strasbourg, 14 septembre 1682.
126 Dangeau, op. cit., t. I, p. 238.
127 R. Mousnier, « Les fidélités et les clientèles en France aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Histoire sociale, 1982, p. 35-46.
128 M. Nassiet, Parenté, noblesse et états dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, 2000, p. 323-324.
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