Dénominations de l’enfance : de l’anormal au handicapé
p. 161-171
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Quelle place peut occuper la question du handicap dans le cadre de la sociologie de l’enfance ? Telle est la contribution que nous voudrions apporter en analysant à la fois l’histoire de l’enfance dite « handicapée », et les évolutions récentes, depuis 1975, en matière de scolarisation. Tout en fournissant des descriptions détaillées de ces évolutions, nous cherchons à mettre à l’épreuve deux hypothèses complémentaires :
- La représentation de l’enfant porteur de « handicap » est dominée par la représentation du handicap, plus que par celle de l’enfant en tant que tel, avec ses éventuelles particularités1.
- L’altérité « ordinaire » de l’enfant par rapport à l’adulte est redoublée dans le cas de l’enfant porteur de handicap et rend encore plus ambiguës l’énonciation et l’application à son égard de l’idéologie moderne des droits de l’enfant2.
DÉNOMINATIONS ET CLASSIFICATIONS : DE L’ENFANT ANORMAL À L’ENFANT HANDICAPÉ
Quelles évolutions ?
2Le modèle de l’anormalité et la dénomination corrélative d’« enfant anormal » sont scientifiquement légitimés à la fin du XIXe et au début du XXe siècles. Les travaux de Monique Vial (1990) sur la genèse de la loi de 1909 relative aux écoles et classes de perfectionnement destinées aux enfants dits « arriérés » montrent que le modèle de l’anormalité a été « importé » dans l’école par des spécialistes, des « techniciens de l’enfance anormale », selon le vocabulaire de l’auteur. Il ne s’agirait donc nullement d’une élaboration conceptuelle secrétée par l’école. Les revendications en faveur de classes spéciales ont été d’abord énoncées par ces techniciens, puis ont progressivement (et très partiellement) pénétré les milieux de l’éducation, tout au moins chez certains responsables administratifs ou associatifs. Une telle interprétation, soutenue par une documentation historique solide, est évidemment opposée au schéma linéaire spontané qui trace une continuité entre la loi sur l’obligation de l’enseignement primaire (1882) et la loi sur les classes de perfectionnement (1909).
3Il est vrai cependant que l’anormalité et l’enfant anormal ne reçoivent pas des définitions univoques. Mais, à la fin du XIXe siècle, l’attention se porte de plus en plus sur les situations scolaires et sur les enfants qui ne seraient « pas faits pour l’école ». Aussi bien les médecins que les psychopédagogues prétendent ainsi faire le diagnostic des « anormalités scolaires », pour lesquelles ils fournissent le plus souvent des définitions tautologiques. Les enfants anormaux sont des enfants qui « par leur organisation physique et intellectuelle, sont rendus incapables de profiter des méthodes ordinaires d’instruction et d’éducation qui sont en usage dans les écoles publiques » (Binet et Simon, 1907, p. 6-7)3.
4Le modèle de l’inadaptation est formulé au cours de la seconde guerre mondiale (par le « Conseil technique pour l’enfance déficiente et en danger moral » de 1943), il est publié à la Libération sous le nom de Lagache, puis il est largement diffusé jusque dans les années soixante. Pour Michel Chauvière, « la cause de l’enfance inadaptée progresse de façon décisive dans un moment de forte délégitimation des valeurs de l’école républicaine » (dans Chauvière, Plaisance, 2000, p. 59). De plus, c’est la validation d’instances proches de la Santé publique (dont le ministère est créé en 1920), en vue d’orienter les politiques dans le domaine socio-éducatif et, particulièrement, en direction de l’enfance dite « inadaptée ». Sa définition se veut consensuelle : elle est censée se substituer à tout un ensemble de dénominations éparses : enfants anormaux, arriérés, déficients, irréguliers, dysharmoniques, vagabonds, en danger moral, etc. « Est inadapté un enfant, un adolescent, ou plus généralement un jeune de moins de vingt et un ans que l’insuffisance de ses aptitudes ou les défauts de son caractère mettent en conflit prolongé avec la réalité et les exigences de son entourage conformes à l’âge et au milieu social du jeune » (cité par Chauvière, 1980, p. 98). Une telle définition est à double face. D’un côté, elle consacre ce que Chauvière appelle une « naturalisation » de l’enfance inadaptée, car l’accent est porté sur les manques individuels (inaptitudes, défauts de caractère). D’un autre côté, elle met en évidence le caractère interactif et même conflictuel de l’inadaptation.
5Le modèle du handicap est consacré par la loi de 1975 dite « d’orientation en faveur des personnes handicapées ». En réalité, il était déjà proposé dans le rapport Bloch-Laîné de 1967, qui peut être considéré comme un texte de transition entre le modèle de l’inadaptation et celui du handicap. Paradoxalement, la loi de 1975 se garde de toute définition. Les rapporteurs ont argué du fait qu’une telle définition leur paraissait très largement impossible, du fait des divergences d’approches scientifiques et, à leurs yeux, la plus grande ouverture vers l’avenir était nécessaire pour ne pas engendrer des exclusions d’éventuels bénéficiaires de la loi. Le handicap devient un nouveau « référentiel d’action publique », susceptible de s’appliquer à tous les âges : « le handicap fait loi4 ».
6Pour la tranche d’âge de 0 à 20 ans, les Commissions départementales d’éducation spéciale (CDES) reçoivent le pouvoir de reconnaître ou non tel enfant comme handicapé et, à ce titre, celui d’attribuer éventuellement une allocation d’éducation spéciale et d’orienter vers tel ou tel type de classe ou d’établissement. Une logique administrative de repérage est à l’œuvre5. Et les orientations effectuées en fonction du « handicap » prévalent sur les références à la scolarité ordinaire et, par conséquent, à la proximité des âges avec les enfants ordinaires.
Quelles interprétations ?
7En amont, quels sont les acteurs en cause, qui soutiennent la légitimité de telle dénomination ou classification ? Les professionnels spécialisés y jouent un rôle central. Ils se présentent en tant qu’experts, qui ont reçu la reconnaissance de leur qualification pour définir ou classer. Le savoir savant est alors requis pour se substituer au savoir spontané, et c’est bien cette légitimation par la science qui est explicitement revendiquée. Pour autant, le recul historique permet d’y repérer la forte part d’idéologie. Pour Francine Muel (1975), « l’institutionnalisation d’un appareil de contrôle symbolique » sur l’enfance à problème, au tournant du XIXe et du XXe siècles, est justifiée par des arguments qui tiennent surtout à la défense de l’ordre social. De plus, le classement des « anormaux » délimite des intérêts professionnels et des champs d’action. Binet et Simon (1907) disent, avec une superbe élégance, qu’il convient d’éliminer (symboliquement) les enfants dont ils n’auront pas à s’occuper, les enfants avec troubles neurologiques ou avec déficiences mentales profondes qui sont directement renvoyés au champ médical : ce sont les anormaux d’hospice ou d’asile. Pour les auteurs, il est inutile d’espérer quelque efficacité d’une action éducative à leur égard : peine perdue et gaspillage, car seule la garderie est justifiée. En contrepartie, ils se déclarent compétents pour définir, en tant que psychologues, un autre public d’anormaux et les modalités d’action conjointes : les enfants repérables à l’école elle-même, mais qui ne doivent pas fréquenter les classes ordinaires. Ce sont les « anormaux d’école ». En fait, les auteurs ont élaboré une « échelle métrique de l’intelligence » pour repérer à l’école les arriérés « perfectibles », ceux qui sont susceptibles de fréquenter des classes précisément appelées de « perfectionnement ». Contrairement aux « arriérés d’asile », selon l’argumentation de Binet et Simon, ils peuvent apprendre des éléments d’instruction primaire, acquérir certaines normes sociales et, ainsi, être socialement utilisables ultérieurement sur le marché du travail, en exerçant des métiers manuels.
8Ainsi, sous le discours sur le « bien » des enfants, courent en réalité à la fois des arguments pour la défense de l’ordre social et des plaidoyers pro domo, qui visent à convaincre de la pertinence de l’expertise et des interventions de tel ou tel professionnel. Pour Binet et Simon à nouveau, les maîtres d’école se plaindraient « avec la dernière énergie » de la présence d’enfants arriérés dans leurs classes : ils réclament plus d’attention et entravent la marche normale de la classe. Or, Monique Vial (1990a) ne trouve aucune trace de ce type de plainte qui aurait pu engendrer la revendication de classes spéciales, tout au moins pour la période 1882-1909. Ce qui confirme bien la place qu’occupe la « rhétorique des besoins » utilisée par les professionnels pour se présenter comme indispensables. De même, Nathalie Bélanger (2002) qui analyse la psychologie scolaire en France après la seconde guerre mondiale, montre bien que l’argument des « besoins » de l’école a été présenté comme une justification des psychologues à l’école, censés remédier aux problèmes soulevés par l’inadaptation infantile, par exemple en dépistant les enfants susceptibles d’être orientés vers des dispositifs spéciaux.
9En aval, quelles sont les conséquences des dénominations ? Quelles politiques se mettent en place, quelles institutions sont fabriquées, quelles pratiques sont effectuées ? Il ne s’agit donc pas seulement d’une question de mots, d’une valse des étiquettes. Certes, des pathologies perdurent, d’autres changent, mais notre regard construit le repérage de telle ou telle perturbation. En ce sens, les mots font les choses. Les étiquettes « collent », dit Mary Douglas (1999). Dénommer et classer, c’est faire exister, car les représentations qui y sont attachées engendrent des institutions et des pratiques. Ce qui est à l’œuvre, ce n’est plus seulement une logique de connaissance mais une logique qui fonde des partages de territoires. Au début du XXe siècle, c’est le partage entre l’asile pour les plus arriérés et l’école (et les classes spéciales) pour les débiles. Pour toute la période qui suit la seconde guerre mondiale (et en partie jusqu’à aujourd’hui), c’est le partage entre les champs de compétence du Ministère de la Santé et du Ministère de l’Éducation, avec la distinction de niveaux d’éducabilité, certains enfants étant encore considérés comme « inéducables » vers la fin des années soixante et relevant des institutions de la santé. La logique des classifications est alors une logique de filières institutionnelles, voire d’exclusions, à tel point que le quotient intellectuel, qui n’a strictement de sens que dans le cadre d’une situation d’examen clinique, est devenu un critère de classement d’institutions spécialisées définies par des tranches de QI. Les « schèmes classificatoires », selon l’expression de Pierre Bourdieu (1979), ont ici pour fonction majeure de distinguer et, en l’occurrence, de délimiter des champs d’action.
10L’analyse sociohistorique met en évidence la prégnance de la figure du handicap par rapport à l’attention portée au statut de l’enfant. C’est bien en fonction de cette représentation dominante que l’action éducative et les mesures scolaires ont été prioritairement envisagées dans le cadre de filières spécialisées limitées au niveau de l’enseignement primaire.
ÉDUCATION ET SCOLARISATION
11Les débats sur l’éducabilité ne sont pas nouveaux, ils s’enracinent dans le XVIIIe siècle pour les enfants déficients sensoriels (sourds et aveugles), dans le XIXe siècle pour les déficients intellectuels. Mais ils ont pris une nouvelle tournure depuis le début des années quatre-vingt, car les débats se sont en grande partie concentrés sur la question de l ‘ intégration scolaire, qui bouleverse les représentations traditionnelles.
L’obligation éducative dans la loi de 1975 « en faveur des personnes handicapées »
12La loi énonce, que les enfants et les adolescents handicapés sont soumis à « l’obligation éducative », sous la forme soit d’une éducation ordinaire soit d’une éducation spéciale. Au moment de la préparation de la loi, des propositions avaient été faites en faveur, non de « l’obligation éducative », mais de « l’obligation scolaire ». Des va-et-vient complexes se sont déroulés entre la Chambre des députés et le Sénat. En retenant l’obligation éducative, le législateur mettait ipso facto en valeur le principe de l’éducabilité de tout enfant, quelles que soient ses déficiences éventuelles, et se démarquait ainsi des périodes encore proches où des distinctions étaient encore opérées entre les « éducables », les « semi éducables » et les « non éducables ». Dans l’esprit de cette loi, et selon ses défenseurs au gouvernement de l’époque, tout enfant est donc déclaré « éducable », mais tout enfant n’est pas nécessairement « scolarisable ».
Le droit à la scolarisation
13Malgré les mesures adoptées après la loi de 1975 (exactement en 1982 et 1983) pour favoriser l’intégration scolaire des enfants handicapés (mais aussi de ceux qui ont des troubles de la personnalité), de nombreuses critiques ont surgi à propos de leur faible application : intégrations scolaires faites « à l’essai », sans véritable continuité d’action, rejet progressif vers les filières spécialisées au fur et à mesure du déroulement de la scolarité, etc. En 1999, une « relance » officielle de la politique de scolarisation des enfants handicapés est effectuée, sous le titre de « Handiscol’ ».
14Cette « relance » est formulée sous l’égide du droit, plus exactement en termes de droit fondamental à la scolarisation pour tous les enfants, quelles que soient les déficiences ou les maladies qui peuvent perturber leur développement. La formule plus vague de la loi de 1975, qui se contentait de l’obligation « éducative » est donc dépassée. Une double formule est retenue pour préciser la scolarisation des enfants et adolescents handicapés : « la scolarisation est un droit »; « l’accueil est un devoir6 ».
15Un processus de révision de la loi de 1975 a été mis en place, d’abord avec un groupe de mission en 2001-2002 sous le gouvernement socialiste (Assante, 2002), puis avec le Parlement en 2004. Dans le projet de loi « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées » (loi votée le 11 février 2005), la scolarisation est envisagée sous le titre général de l’accessibilité. Le service public d’éducation doit assurer aux enfants handicapés ou présentant des troubles de la santé invalidants, « une formation scolaire, supérieure ou professionnelle ». De plus, ceux-ci sont inscrits dans l’école ordinaire la plus proche de leur domicile, quitte à ce que, en fonction de leurs « besoins particuliers », ils reçoivent une formation dans des établissements ou services médico sociaux. Au-delà de ces précisions à venir sur l’application de cette nouvelle loi, il convient de retenir que l’enfant en situation de handicap est considéré non plus seulement comme éducable, comme en 1975 mais comme scolarisable. Cela soulève la question des modalités de cette sco- larisation, nécessairement diverses selon les cas particuliers. Mais les évolutions au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont précisément mis l’accent sur le projet individualisé, conçu comme le moyen par lequel la trajectoire de tout enfant handicapé doit être définie par les acteurs concernés. Cet accent sur l’individu en tant que tel est, à l’évidence, une orientation tout à fait moderne et non spécifique aux enfants handicapés, mais elle va à l’encontre des représentations traditionnelles des enfants présentant tel ou tel type de handicap comme formant des masses indistinctes, et identifiées seulement par le handicap, au détriment de la personne7.
Quels droits pour les enfants handicapés ?
16Dans les analyses précédentes, ont été privilégiés les points de vue normatifs adoptés par les adultes sur les enfants porteurs de handicaps. D’autres approches sont évidemment possibles, encore qu’elles soient actuellement fort rares. Elles peuvent se heurter, pour certains enfants, à des difficultés méthodologiques liées à leurs capacités de compréhension, ou encore d’interaction avec le chercheur. Mais nous pouvons sans doute apprendre beaucoup de disciplines et de pratiques telles que celles de la psychanalyse, qui procèdent à des approches directes du point de vue des enfants, dans une relation de type clinique. D’autres types d’observations ont été expérimentés, par exemple sur les interactions entre les enfants valides et les enfants handicapés, ou sur leurs choix réciproques8.
17Néanmoins, l’analyse des représentations des enfants handicapés offre l’intérêt d’amplifier celle des représentations de l’enfant en général. Elle est comme un miroir grossissant de la question soulevée par des chercheurs de philosophie politique à propos du statut et des droits de l’enfant9. Selon Alain Renaut (2002), la dynamique démocratisante et égalitaire des sociétés modernes a progressivement mené à un rapprochement de statut entre l’enfant et l’adulte, estompant le critère de l’âge. Les déclarations des droits de l’enfant ont d’abord énoncé des droits correspondant en fait à des protections accordées par l’adulte (protections physiques par exemple). Or, des déclarations telles que celle de 1989 aux Nations Unies, ont introduit une franche rupture dans les représentations de l’enfant. Il ne s’agit plus seulement de droits-protection mais de droits-liberté, (opinion, expression, réunion…). Nous entrons alors dans une phase à la fois nouvelle et contradictoire de nos relations à l’enfant. D’un côté, les droits-protection se réfèrent à une vision communément partagée et, en un sens, traditionnelle de ces relations, d’un autre côté, l’application stricte des droits-liberté sape la relation d’autorité de l’adulte envers l’enfant, c’est-à-dire le processus de socialisation défini par Durkheim comme relation verticale des générations adultes vers les plus jeunes « qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale ». Pour Alain Renaut, les deux types de droits devraient être articulés pour éviter les excès des uns et des autres. Les droits-protection venant imposer leurs limites aux droits liberté et réciproquement, les droits-liberté venant contrebalancer les protections qui peuvent réduire à néant tout processus d’autonomisation des enfants.
18Cette problématisation des droits des enfants, issue de la philosophie politique, ouvre des pistes d’interprétation des données précédentes, de même que des clefs pour l’analyse des débats en cours sur les « droits » des enfants en situation de handicap.
PROPOSITIONS EN GUISE DE CONCLUSIONS
Proposition 1
19L’histoire des représentations du handicap (dénominations et classifications, ainsi que leurs conséquences sur les institutions et les pratiques) est caractérisée par une assimilation de l’enfant porteur de handicap à un enfant plus jeune ou à un enfant entravé dans son développement. D’où la prééminence du critère du handicap au détriment du critère de l’âge chronologique.
20Commentaires :
- Le cas de la débilité mentale est révélateur de cette assimilation. L’enfant débile a été considéré, dans les travaux classiques issus de Binet et Simon au début du XXe siècle, comme un enfant avec un âge mental ne correspondant pas à son âge chronologique10. Ce sont les travaux des années soixante seulement qui ont tenté de cerner des spécificités de la débilité, en ne la réduisant pas à une enfance plus jeune : travaux de René Zazzo sur la structure hétérochronique de la débilité, travaux des psychanalystes sur les structures de personnalité, sur les processus de débilisation, etc. (par exemple, Roger Mises, Maud Mannoni, malgré les différences entre les écoles de ces psychanalystes).
- La limitation à l’enseignement primaire de l’enseignement destiné aux enfants handicapés a été une traduction significative de cette valorisation du handicap censée entraîner une impossibilité d’accès à des niveaux supérieurs de scolarité, quel que soit l’âge des enfants et quels que soient les types de handicap (y compris pour les handicaps moteurs, visuels, auditifs, etc.).
Proposition 2
21L’évolution des représentations en faveur de l’intégration scolaire des enfants porteurs de handicap, de même que l’application à leur égard du droit fondamental à la scolarisation pour tous, est une revalorisation de statut d’enfant chez l’enfant handicapé, au détriment du critère exclusif du handicap.
22Commentaires :
- La scolarisation des enfants porteurs de handicap est considérée, à partir de la fin des années quatre-vingt-dix, comme l’application logique à leur égard du droit à la scolarisation (et non plus seulement à l’éducation) pour tous.
- Les mesures d’intégration scolaire, formulées officiellement depuis le début des années quatre-vingt, enclenchent un processus d’ajustement de la scolarisation des enfants porteurs de handicap à la scolarisation ordinaire et, par conséquent, aux niveaux ordinaires de scolarisation et aux niveaux d’âge correspondants. L’extension de la scolarisation des enfants porteurs de handicap (y compris pour handicaps mentaux) au niveau du second degré, officiellement annoncée en 2003, est caractéristique de cette évolution en faveur du critère d’âge, même si des modalités spécifiques sont prévues (par exemple, les Unités Pédagogiques d’Intégration dans les collèges et lycées).
Proposition 3
23L’évolution des représentations en faveur de l’application des droits de l’enfant en général aux enfants porteurs de handicap engendre une double difficulté, d’une part du fait de l’altérité « ordinaire » de l’enfant par rapport à l’adulte, d’autre part, du fait de la spécificité du handicap.
24Commentaires :
- L’évolution précédemment constatée en faveur de la revalorisation du critère de l’âge rapproche l’enfant porteur de handicap et l’enfant « ordinaire », mais elle tend à être complétée par le processus contemporain de rapprochement entre l’enfant et l’adulte, dans la formulation moderne des droits de l’enfant. En effet, celle-ci implique un estompement du critère de l’âge par une relative assimilation enfant – adulte.
- L’énonciation et l’application de la bipolarité des droits de l’enfant (droits-protection et droits-liberté) sont encore très peu appliquées aux enfants porteurs de handicap. Ils sont considérés comme devant nécessairement bénéficier de « droits-protection », qui sont en fait des obligations de protection des adultes à leur endroit, mais non comme devant accéder à des « droits-liberté ». Bien des mesures restent encore prises « pour leur bien », mais entravent précisément leurs « droits-liberté », comme les droits à l’expression, à l’autonomie, à la sexualité, etc.
Proposition 4
25L’évolution des représentations des enfants porteurs de handicap rend encore plus sensible la question de l’altérité enfant-adulte, dans cette tension entre protection et liberté. Elle agit comme un révélateur des difficultés d’application des droits de l’enfant en général. En ce sens, le handicap redouble et met en évidence les apories contemporaines des droits de l’enfant.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
Assante, V., 2002, avec le concours de Stiker H.-J., Plaisance É., Sanchez J., Mission d’étude en vue de la révision de la loi d’orientation du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées. Rapport remis à Ségolène Royal, Ministre déléguée à la Famille, à l’Enfance et aux Personnes Handicapées.
Barral, C., Paterson, F., Stiker, H.-J., Chauvière, M. (éd.), 2000, L’institution du handicap. Le rôle des associations. XIXe-XXe siècles, Rennes, PUR.
Belanger, N., 2002, De la psychologie scolaire à la politique de l’enfance inadaptée, Paris, CTNERHI.
Binet, A., Simon, T., 1907, Les enfants anormaux. Guide pour l’admission des enfants anormaux dans les classes de perfectionnement, Paris, Armand Colin.
Bourdieu, P., 1979, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit.
Castel, R., 1981, La gestion des risques, Paris, Éditions de Minuit.
Chauvière, M., Plaisance, É. (éd.), 2000, L’école face aux handicaps. Éducation spéciale ou éducation intégrative ?, Paris, PUF.
Chauvière, M., 1980, Enfance inadaptée, l’héritage de Vichy, Paris, Éditions Ouvrières.
Douglas, M., 1999, Comment pensent les institutions, Paris, La Découverte.
Mougel-cojocaru, S., 2005, « L’enfant hospitalisé, figure paradoxale de l’enfance ? », dans Bergonnier-dupuy G. (éd.), L’enfant acteur et/ou sujet dans la famille, Toulouse, Érès, p. 28-38.
Muel, F., 1975, « L’école obligatoire et l’invention de l’enfance anormale », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 1, p. 60-74.
Plaisance, É., Gardou, C., 2001, présentation du dossier « Situations de handicap et institution scolaire », Revue française de pédagogie, n° 134, p. 5-13.
Renaut, A., 2002, La libération des enfants, Paris, Bayard/Calmann-Levy.
Singly, F. DE (éd.), 2004, Enfants-adultes. Vers une égalité de statuts ?, Paris, Encyclopaedia Universalis France S. A.
Vial, M., 1990, Les enfants anormaux à l’école, Aux origines de l’éducation spécialisée, 1882-1909, Paris, Armand Colin.
Vial, M., 1998, « Enfants handicapés du XIXe au XXe siècle », dans Becchi E. et Julia D. (éd.), Histoire de l’enfance en Occident, tome 2. Du XVIIIe siècle à nos jours, Paris, Le Seuil, p. 331-357.
Zazzo, R., Gilly, M., Verba-rad, M., 1967, Nouvelle échelle métrique de l’intelligence. 1 Principes de construction et d’utilisation, Paris, Armand Colin (1re éd., 1966).
Notes de bas de page
1 Nous sommes redevables à Monique Vial qui a formulé cette hypothèse à propos de l’histoire de l’anormalité, hypothèse que nous étendons jusqu’aux périodes contemporaines, qui utilisent le vocabulaire du « handicap ». Selon Monique Vial, qui analyse la situation à la fin du XIXeet au début du XXe siècles, « les enfants anormaux sont davantage conçus comme des anormaux que comme des enfants. Plus que leur enfance, c’est leur futur d’adolescents puis d’adultes qui préoccupe. Le discours scientifique n’opère pas de distinctions d’âges » (Vial, 1998, p. 341).
2 Les analyses d’Alain Renaut (2002) sont ici un arrière-plan de référence important, car elles soulèvent clairement la question de l’application des droits aux enfants.
3 Une définition semblable est publiée en 1911, sous la signature de Gustave Baguer, dans le « Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire » de Ferdinand Buisson : ces enfants « ne peuvent être suffisamment instruits par les procédés pédagogiques ordinairement employés pour les élèves pourvus de tous leurs sens et doués d’une intelligence moyenne » (Buisson, 1911, article « anormaux »). Les premières éditions du dictionnaire de Ferdinand Buisson (années 1882 et suiv.), véritable Bible de l’école républicaine de la fin du XIXe siècle, ne comportaient pas d’article sur l’enfant anormal. Ce qui confirme la pénétration lente et tardive du modèle de l’anormalité dans les milieux pédagogiques.
4 C’est le titre d’une partie du livre coordonné par Catherine Barral et collaborateurs (2000). Michel Chauvière retient l’expression « référentiel d’action publique » qui désigne classiquement « l’ensemble des normes prescriptives (modes de désignation des objectifs, critères de choix…) qui donnent sens à un programme d’action gouvernementale dans un secteur donné » (ibidem, p. 245).
5 De telles remarques sont partagées par Robert Castel (1981).
6 Circulaire du 19 novembre 1999. Le même texte ajoute : « Chaque école, chaque collège, chaque lycée a vocation à accueillir, sans discrimination, les enfants et adolescents handicapés dont la famille demande l’intégration scolaire. Il ne sera dérogé à cette règle générale que si, après une étude détaillée de la situation, des difficultés importantes rendent objectivement cette intégration impossible ou trop exigeante pour l’élève. » Une telle formulation est reprise intégralement dans une autre circulaire, celle du 30 avril 2002.
7 Pour François de Singly (2004), le mouvement d’individualisation touche les enfants, dans la période qu’il appelle « seconde modernité ».
8 Marie-Françoise Berthe-Deneux et Véronique Léoni, dans Chauvière et Plaisance (2000), et Cornelia Schneider, recherche en cours sur les choix réciproques selon la technique des sociogrammes.
9 Ce qui est particulièrement le cas de l’enfant hospitalisé ainsi que le montre Sarra Mougel-Cojocaru (2005).
10 René Zazzo commente ainsi l’histoire de l’échelle métrique de l’intelligence à partir des travaux de Binet et Simon : « L’intelligence est définie par sa genèse chez l’enfant, et ses degrés sont les âges successifs du développement mental. La débilité est un retard de ce développement… l’enfant débile est assimilé à un enfant plus jeune » (Zazzo, 1967, p. 15).
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
L'école et ses stratèges
Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures
Philippe Gombert
2012
Le passage à l'écriture
Mutation culturelle et devenir des savoirs dans une société de l'oralité
Geoffroy A. Dominique Botoyiyê
2010
Actualité de Basil Bernstein
Savoir, pédagogie et société
Daniel Frandji et Philippe Vitale (dir.)
2008
Les étudiants en France
Histoire et sociologie d'une nouvelle jeunesse
Louis Gruel, Olivier Galland et Guillaume Houzel (dir.)
2009
Les classes populaires à l'école
La rencontre ambivalente entre deux cultures à légitimité inégale
Christophe Delay
2011