Entre le glaive et le stylet. Armée et administration des provinces dans l’Occident romain (197 av. J.-C.-192 ap. J.-C.)
p. 77-106
Texte intégral
1Si nous parlons aujourd’hui de l’armée romaine au singulier, il n’y a pour les Romains que des armées, exercitus, des milites, des legiones1… L’effort militaire se conçoit à l’image du divers qu’est l’Empire. On peut y voir un premier signe des liens forts qui peuvent attacher une armée aux régions où elle opère. Ce pluriel contraste avec l’image cohérente de l’institution tant dans le tableau dressé par Polybe au début de la période que dans l’apparente homogénéité de nombre de ses traits, d’un bout à l’autre de l’Empire, à la fin de l’époque antonine : ce paradoxe témoigne bien de la place des armées entre Rome et les provinces. Élément essentiel, mais non pas unique, de la conquête puis du pouvoir romain, l’armée a des missions simples : « des peuples à combattre, des territoires à contrôler, des ressources à exploiter2 » et constitue une structure sur laquelle peut s’appuyer l’administration. Outil du gouvernement central, elle en est aussi une des préoccupations majeures : à la fois instrument et contrainte. L’ampleur du sujet3 et la brièveté impartie interdisent l’exhaustivité et contraignent parfois à l’arbitraire dans le choix des exemples, des points abordés. Il s’agira ici de présenter certains des rapports fondamentaux qui se nouent entre les armées, le gouvernement et l’administration, d’indiquer les modalités par lesquelles l’armée structure le pouvoir romain dans la province. Cette perspective nous conduit à suivre un ordre d’exposition très largement thématique, mais on ne doit pas pour autant sous estimer les ruptures chronologiques. Durant les quatre siècles considérés, le poids de l’armée romaine dans les provinces d’Occident varie considérablement. Les modalités même de la présence de l’armée et des rapports entretenus avec le territoire provincial sont aussi marquées par une profonde hétérogénéité : conflit et conquête d’une part, cantonnement en temps de paix de l’autre sont des types de présences opposés en bien des aspects. La place de l’armée dans les provinces est aussi considérablement transformée par les évolutions de l’institution militaire, avec en premier lieu le passage de l’armée civique à l’armée permanente et professionnelle et son attachement au régime impérial. Le règne d’Auguste apparaît alors comme le pivot de la période. Les profondes ruptures qu’il introduit ne doivent pas masquer les continuités et en particulier les héritages de la période césarienne et triumvirale, ni faire oublier non plus qu’il est loin de fixer tous les cadres qui sont par la suite ceux de l’armée du Haut-Empire : la carrière équestre et l’organisation des troupes auxiliaires n’est fixée pour l’essentiel qu’avec Claude. En Hispanie, pour reprendre les catégories de Patrick Le Roux4, l’armée « expérimentale » cède la place à l’armée « permanente » sous Vespasien, alors que la transition s’effectue un peu plus tard en Germanie et Bretagne : jusqu’à l’époque de Trajan, les mouvements de troupes et les déplacements de garnison restent nombreux et importants.
La terreur et la paix, les armées expression de l’ordre romain
2La présence militaire romaine a toujours un poids très inégal dans le temps et dans l’espace. Si tout gouverneur a la capacité de diriger des troupes et doit assurer le maintien de l’ordre, la présence permanente d’une armée n’est pas un élément nécessaire à la vie d’une province romaine. Deux légions sont maintenues en Hispanie après la création des provinces, car Rome s’avère incapable de trouver une solution permettant un retrait des troupes romaines et est prise dans l’engagement presque continu de conflits successifs, au fil d’une conquête graduelle et fractionnée. La présence d’une armée plus ou moins importante sur un territoire est donc avant tout circonstancielle : décidée initialement par le Sénat sous la République, puis par la volonté du prince à partir d’Auguste, elle exprime la pacification incomplète de la province ou l’agressivité – supposée ou réelle – de ses voisins. Elle varie en fonction des besoins, de la nécessité de calmer une révolte, de la possibilité d’étendre la conquête. Auguste peut ainsi en 27 av. J.-C. restituer au peuple romain – dans les faits au contrôle du Sénat – les provinces les plus anciennes et les plus prestigieuses sans amputer son contrôle sur l’appareil militaire. Toutefois, la mise en place de l’armée professionnelle modifie la situation : la présence militaire permanente n’est plus seulement affaire de circonstances auxquelles il faut répondre, mais elle résulte de l’institutionnalisation de l’armée. Le dispositif militaire dans les provinces devient alors constitutif du régime impérial et son inégale répartition témoigne certes toujours des circonstances, mais aussi d’une certaine inertie : les étapes de la diminution progressive de l’armée d’Espagne de la fin des guerres cantabriques au règne de Vespasien ne résultent pas tant de changements internes que des besoins nés ailleurs : conquête de la Bretagne sous Claude, besoins sur la frontière danubienne sous Néron, besoins en Germanie après 69. Les provinces impériales ne se définissent pas seulement par leur situation militaire. L’extension de la pacification n’entraîne donc pas l’extension du nombre des provinces du peuple Romain : Aquitaine ou Lyonnaise, où la présence militaire est rapidement assez limitée après l’installation des légions sur le Rhin, restent dans le domaine du prince. Inversement, rien n’interdit la présence d’une garnison, certes légère, dans les provinces du peuple romain : la Bétique a pu avoir une cohorte5. La nécessité ponctuelle de la présence d’une importante force militaire remet momentanément en question la répartition des provinces : lorsque la Bétique est victime de raids maures vers 172 et que la légion de Citérieure doit intervenir, elle est brièvement retirée au contrôle du Sénat, qui reçoit alors en compensation la Sardaigne6. Aucune démilitarisation n’est définitive : les circonstances ont éloigné l’armée, elles peuvent toujours la faire revenir. Au gré de l’évolution des provinces et des priorités stratégiques, les centres de prépondérance militaire changent : c’est d’abord l’Espagne, où l’armée est présente en permanence à partir de la seconde guerre punique, puis la Gaule avec César. L’achèvement de la conquête de l’Espagne ne met pas fin à son poids militaire sous Auguste et ses successeurs : Tibère y conserve trois légions. Mais le cœur de l’armée romaine se trouve alors sur le Rhin. La conquête de la Bretagne par Claude diminue la garnison espagnole et ajoute une province fortement armée face au Rhin. Durant les années 80, les priorités stratégiques se déplacent sur le Danube où se situe désormais la plus grande concentration de légions7.
3Reprenant la distinction républicaine entre armée prétorienne et armée consulaire, le rang des provinces impériales dépend largement des troupes présentes sur place, avec quelques nuances : la Citérieure reste de rang consulaire malgré le départ de deux de ses trois légions. Les petites provinces sans légion sont confiées à des procurateurs équestres. Légat ou procurateur, ces gouverneurs commandent et administrent les armées présentes dans leur province. Le gouvernement civil et le commandement militaire, pour utiliser des termes modernes, convergent dans la personne du gouverneur provincial. La province est donc l’unité stratégique fondamentale pour organiser la défense et l’expansion de l’Empire, la disposition et la direction des troupes. Après le désastre de Varus, les districts de Germanie ne constituent qu’une exception momentanée : en les transformant en province, Domitien passe du fait au droit. La coordination à un niveau supérieur ne peut se faire qu’à Rome, autour de l’empereur. Ainsi, bien que contiguës, les fortifications linéaires de Germanie et de Rhétie diffèrent. Les limites de cette organisation militaire centrée sur le cadre provincial apparaissent durant la crise militaire du règne de Marc Aurèle : vers 172, le gouvernement d’Aufidius Victorinus rassemble Bétique et Citérieure ; dans les mêmes années Didius Julianus doit pallier l’absence de troupes en Belgique, lever des auxiliaires et organiser leur cantonnement comme à Maldegem8, tandis que la Rhétie, qui vient de recevoir une légion et de changer de statut, est peut-être placée quelque temps sous la direction du gouverneur de Germanie supérieure9. La souplesse et la réactivité du système font qu’il n’est pas remis en cause malgré l’ampleur de l’alerte.
4Expression de la volonté politique du peuple Romain et du Sénat, puis prérogative du prince, la présence de l’armée reste toujours la manifestation de la souveraineté romaine, l’incarnation du monopole de la violence légitime. L’exercice de celle-ci recouvre cependant des modalités et des significations diverses qui dépendent en définitive des relations politiques définies par Rome. Force de conquête et de coercition, l’armée romaine est aussi instrument de protection, de sécurité interne. Ces deux rôles sont complémentaires et parfois concomitants. Lorsque l’appel à l’aide de Marseille, peinant à lutter contre les Salyens, entraîne les troupes de Rome en Transalpine, la conquête suit une mission initiale de protection envers un allié de longue date. Inversement, la conquête débouche sur la possibilité d’une protection pour les vaincus : la deditio d’une communauté la place dans la fides romaine. Rome se doit alors d’honorer la protection de ceux qui se sont totalement remis à sa volonté. Elle peut trouver là des casus belli propres à nourrir son expansion. Protection, coercition et guerre offensive n’ont donc pas nécessairement de limites tranchées.
5Par delà la diversité des opérations militaires sur quatre siècles, et malgré la mise en place progressive de garnisons permanentes massées le long d’un espace frontalier, il faut noter la réticence romaine à assurer dans la durée le contrôle purement militaire d’un territoire. Même si elle peut l’être, l’armée romaine n’a pas vocation à être une armée d’occupation et les effectifs doivent toujours être ramenés à la superficie des régions concernées, aux possibilités techniques, démographiques et économiques de l’Empire. La défense de l’ordre romain se fait donc avant tout par la répression et la dissuasion : il ne s’agit pas tant d’assurer l’impossibilité de révolte ou d’invasion que de signifier un rapport de force montrant que les ennemis de Rome ont tout à perdre quand par ailleurs elle sait se montrer magnanime – autre manière de montrer sa puissance et d’instaurer le rapport de force10. Ayant assez inspiré la terreur, Agricola peut faire valoir aux Bretons les avantages de la paix11. Il s’agit donc d’un contrôle à l’économie : Strabon décrit pour la Sardaigne, où la garnison de troupes est difficile, un stratagème dissuasif et punitif : après un raid d’une des populations indigènes, les Romains attaquent, pillent et capturent celle qui se réjouit et fête sa victoire, mais il faut aussi parfois des interventions plus conséquentes12. La volonté de terminer une guerre, de venger l’affront d’une défaite, mènent à des accès de violence et à leur mise en scène. Lorsque Maximus Aemilianus capture une bande de brigands en 145 av. J.-C. en Espagne, il leur fait couper les mains à tous13. César, en 51 av. J.-C., soucieux de calmer les troubles persistants en Gaule, use de la même punition, l’auteur du livre VIII du Bellum Gallicum prenant soin de la justifier14. Dans certains cas, la disparition d’une communauté est décidée : les Bergistani sont tous vendus à l’encan par Caton15, les Eburons ravagés par César16, et les Salasses vendus sous Auguste en 25 av. J.-C., exemple de ces petits peuples des Alpes qui, dit Strabon, sont ou domptés ou exterminés17. Ce sont là des cas où l’exploitation diplomatique de la victoire n’est pas possible ou souhaitée. Le déchaînement de violence n’a pas toujours les effets espérés. Les massacres de Lucullus en 151 av. J.-C. contre les Vaccéens et de Galba à Cauca l’année suivante se révèlent contre-productifs. On peut comprendre en partie la garde des frontières romaines sous l’Empire dans le cadre de ce fonctionnement dissuasif : fleuves et barrières linéaires peuvent certes être des obstacles, ils sont aussi l’indication claire de la limite à ne pas franchir pour les peuples extérieurs, sauf à s’exposer à de sévères mesures de rétorsion. Le dispositif militaire le long des frontières romaines n’est pas un rideau ou un cordon de troupes à qui l’on aurait confié l’impossible tâche d’arrêter les ennemis. Il permet en revanche la circulation des troupes et de l’information autorisant une réaction rapide et puissante. La valorisation de l’offensive et des valeurs martiales dans la culture romaine encourage au demeurant la possibilité d’attaques préventives.
6Variable, le degré de contrôle exercé par l’armée sur le territoire provincial reste difficile à apprécier, les sources littéraires répugnant à s’étendre sur les opérations de faible envergure assimilées à de la lutte contre le brigandage18. Une seule inscription nous permet de savoir que des opérations ont lieu contre les Astures durant le règne de Néron19. On ne doit pas majorer pour autant les interventions dans la sécurité quotidienne : la « paix romaine » désigne d’abord l’absence de guerre civile et s’accommode d’un certain degré de violence interne20. La Méditerranée pose le problème de la piraterie et du contrôle de la mer. Malgré les navires que les alliés peuvent fournir, comme ceux que Verres exige en Sicile21, l’administration provinciale est peu adaptée pour y faire face. Le commandement exceptionnel de Pompée ne peut que mettre fin ponctuellement à une situation particulièrement dégradée. La mise en place de flottes permanentes par Auguste offre un outil de maintien de l’ordre22. Basée à Fréjus après Actium, où un détachement conserve une garnison plusieurs décennies, l’essentiel de la force navale est ensuite répartie entre Misène et Ravenne. La flotte attachée à Misène a vocation à surveiller l’espace maritime occidental, en liaison avec les garnisons terrestres. Un détachement de la flotte de Misène à Carales complète le dispositif militaire de la Sardaigne, qui se limite à la présence de deux cohortes23. On songe aussi à la praefectura orae maritimae attestée à partir de la fin du premier siècle et chargée de veiller sur le littoral espagnol24. De même, la cohorte basée dans les Alpes-Maritimes à Cemenelum25 peut contrôler un littoral montagneux. Une piraterie de basse intensité et des naufrageurs continuent d’exister26, de même que sur terre un brigandage est toujours possible. Là le maintien de l’ordre au quotidien revient aux cités27, d’où l’inertie parfois constatée des structures militaires. C’est le cas sous Commode où l’empereur doit rappeler les gouverneurs à leur devoir afin de mettre fin à la Guerre des déserteurs28. Le nom même de Bellum desertorum montre que le seuil ordinaire est dépassé, un brigandage endémique s’est installé, puis mué en quasi soulèvement local. On ne doit pas exagérer cependant son ampleur et il faut faire justice du mythe historiographique qui place à ce moment une action militaire contre l’Armorique et a donné lieu à maintes spéculations : c’est en Arménie qu’Artorius Castus a combattu, et au IIIe siècle29. La répression est menée par les troupes du Rhin, qui ont été exposées aux assauts des rebelles et sont récompensées avec leurs officiers pour leurs actions et leur fidélité30. Le pouvoir romain ne peut laisser se développer des situations qui remettent en cause sa légitimité.
7Expression concrète du pouvoir de Rome et, pour les légions, émanation de son corps civique, l’armée entretient la célébration du pouvoir légitime dans sa province. D’abord dans son quotidien d’obéissance à ses officiers, conséquence du serment (sacramentum) prononcé à l’engagement, et réitéré tous les 3 janvier sous l’Empire. Le serment concerne désormais l’empereur, son renouvellement manifeste dans les camps la reconnaissance du pouvoir légitime et la loyauté des troupes. Sacrifices et cérémonies religieuses l’accompagnent : l’armée honore les dieux de Rome qui garantissent sa victoire et protégent l’empereur. D’autres cérémonies rythment l’année au fil d’un calendrier religieux et festif où se mêlent honneurs rendus aux dieux et culte impérial. De nombreuses inscriptions témoignent de cette religiosité militaire : à Maryport en Bretagne, dix-sept autels dédiés à Jupiter ont été retrouvés près du fort et du vicus, proclamant la protection divine dont bénéficient l’unité et ses soldats31. Ces actions ne touchent peut-être qu’un nombre restreint de civils, mais elles matérialisent le lien de l’armée avec Rome.
8Lorsque la légitimité du pouvoir est fragile ou contestée, les armées deviennent des acteurs importants de la vie politique avec de lourdes conséquences pour les provinces. Le cas de Sertorius montre comment un chef militaire peut refuser de se plier aux décisions du pouvoir en place, au nom précisément d’un attachement à Rome. Bien plus tard, en 69 à Mayence, les soldats révoltés contre Galba en appellent au peuple et au Sénat. En revanche, l’action des soldats qui suivent Civilis est bien plus grave : ce n’est pas seulement le pouvoir en place, mais Rome même qu’ils renient. Dans de telles crises, la fidélité des soldats à leurs officiers est un enjeu majeur : en 49 av. J.-C. en Espagne, le pompéien Petreius, suspectant des velléités de défection envers César, fait jurer ses troupes32. Après Auguste, les affrontements entre factions républicaines, puis entre grands imperatores cèdent la place à la lutte des prétendants à l’Empire lors des crises de successions. Dans de tels moments, les soldats redeviennent les clients et les partisans des chefs en présence : à Clunia, en Espagne, en 69 un soldat se dit miles otonianus, soldat d’Othon, substituant à son unité l’attachement à un parti33. À l’image de Cerealis refaisant prêter serment aux soldats vitelliens à Trèves, promettant l’oubli et leur demandant de faire comme s’ils étaient au premier jour de leur service, il revient au vainqueur de refonder des liens de loyauté et de punir ceux que l’on ne peut réintégrer. La loyauté des armées provinciales garantit la stabilité du pouvoir impérial, le poids politique d’une province dépend de l’importance de sa garnison : la nomination d’un gouverneur peut y être délicate. On comprend les distinctions que Domitien adresse à l’armée de Germanie inférieure lorsqu’elle écrase en 89 l’usurpation de Saturninus. C’est très logiquement que cette armée est l’objet des premières attentions de Trajan nommé empereur : il prend aussitôt en personne la tête de la province de Germanie inférieure34. Néanmoins, les mouvements de troupes de la fin du Ier siècle ont déjà fortement affaibli le poids des Germanies. Au siècle suivant, c’est la province la plus éloignée de l’Occident et la plus armée, la Bretagne, qui fait trembler la légitimité de Commode, dans des circonstances troubles et complexes. Le gros des troupes désormais est sur le Danube. Les choix des armées durant ces périodes de crise engagent les provinces et leurs habitants ; ceux-ci peuvent alors subir les débordements de l’armée, mais aussi chercher à les instrumentaliser, à l’image de Lyon face à Vienne en 6935. Force de répression au service du pouvoir, mais aussi acteur politique qu’il faut ménager, les armées encadrent la loyauté des provinces.
La contribution de l’armée à l’administration des provinces d’Occident
9Si tout gouverneur n’a pas à disposition une force militaire importante, sa présence peut modifier les pratiques administratives. L’armée impose ses propres contraintes : il faut assurer la discipline des soldats, leur bon ravitaillement, en collaboration avec le responsable financier de la province, questeur sous la république, procurateur sous l’Empire. Elle offre aussi des possibilités : conquêtes, butin et gloire peuvent s’offrir au gouverneur de l’époque républicaine, tandis que sous l’Empire les commandements militaires restent de puissantes sources de distinction, sauf jalousie ou méfiance du prince. Plus concrètement, compte tenu du faible encadrement administratif de l’Empire romain, l’armée offre au gouverneur un personnel dont il peut faire usage. En 49 av. J.-C., Pétréius en Espagne s’entoure de gardes du corps cavaliers barbares que César désigne comme ses bénéficiaires (beneficiarii)36. Le terme n’a pas encore ici de valeur institutionnelle et désigne la faveur personnelle qui a attaché des soldats à un officier. Les sources d’époque républicaine, mais de manière rare, nous font connaître d’autres désignations de soldats qui pour une tâche ou une autre, souvent militaires, constituent l’entourage des officiers. Ces titres se retrouvent sous l’Empire : l’entourage des officiers, l’officium, est alors plus structuré et peut être utilisé à des fins administratives. La professionnalisation de l’armée et sa progressive stabilisation dans ses garnisons lui permettent de jouer un plus grand rôle dans l’administration des provinces. Le développement des pratiques écrites dans l’armée et le travail de gestion propre aux unités permanentes nécessitent des soldats avec une compétence administrative ; la professionnalisation de l’armée garantit la stabilité de ces cadres. Gouverneurs et procurateurs administrent la province entourés d’un officium où les soldats jouent un rôle majeur et offrent un personnel permanent par delà la rotation assez rapide des gouvernements : au glaive s’ajoute le stylet du soldat administrateur et alphabétisé. La composition des officia est bien connue à l’époque sévérienne, où les documents sont nombreux, et dans une large mesure on peut considérer que la situation alors observée vaut aussi pour la période antérieure. La carrière du Viennois Carantius Macrinus37 montre que sous les Flaviens, le gouverneur de Lyonnaise a un officium déjà structuré avec des possibilités d’avancement interne. Pour l’essentiel, l’officium d’un gouverneur38 est dirigé par un centurion princeps qui a sous ses ordres deux ou trois corniculaires et autant de commentarienses chargé de l’archivage. Puis, en descendant la hiérarchie, vient un plus grand nombre de speculatores – apparemment 10 par légion présente dans la province – et de bénéficiaires, 30 ou 60 pour une province à une légion, des quaestionarii et enfin des soldats dispensés de corvée (immunes) affectés à des tâches spécialisées comme la comptabilité, le secrétariat ou l’archivage : exacti, librarii, exceptores. Le nombre de ces soldats varie en fonction de la garnison de la province. Des frumentarii sont souvent présents auprès de l’officium du gouverneur. Font-ils partie des officia provinciaux ? La question est disputée39. Quoi qu’il en soit, ils ont souvent des liens forts avec un officium qu’ils peuvent intégrer dans un autre grade à l’occasion d’une promotion. Ainsi au deuxième siècle, Gargilius Rufus, soldat de la VIIe Gemina en Espagne est attesté comme frumentarius à Rome, puis comme speculator à Tarragone et sa tombe montre qu’il y mourut dans la fonction de commentariensis40. Les frumentaires ont une caserne à Rome et assurent la liaison entre l’empereur et l’administration provinciale, ce qui implique parfois des pratiques d’espions ou d’assassins. Les missions de l’officium sont variées : ses membres assistent le gouverneur dans ses tâches, dans l’exercice de la justice, comme courrier, dans des missions de police, d’investigation…
10Pour les provinces impériales dépourvues de légion, les soldats peuvent venir des légions des provinces voisines : on connaît à Mérida en Lusitanie deux bénéficiaires détachés de la légion VIIe Gemina41. La Lyonnaise constitue un cas particulier, puisque le gouverneur utilise les soldats de la cohorte urbaine qui stationne à Lyon42. L’organisation de l’entourage des proconsuls dirigeant les provinces du peuple romain, Bétique, Narbonnaise et Sicile dans notre cas, est bien moins connue43. On ne connaît pas de beneficiarius proconsulis : ces provinces semblent avoir largement conservé les pratiques administratives républicaines, l’entourage administratif du proconsul étant fourni par sa cohors. Il peut cependant disposer de quelques soldats. Il est possible qu’une partie des fonctions accomplies dans les provinces impériales le soient par des stationarii et des prétoriens. Les procurateurs disposent aussi d’un officium. Celui du procurateur de Belgique et des Germanies se trouve à Trèves et c’est à lui qu’il faut rapporter l’essentiel des inscriptions de soldats sur place : bénéficiaires, corniculaires pris dans les légions de Germanie.
11L’un d’entre eux Aelius Agrippinus, fils et frère d’affranchis d’Hadrien44, a peut-être dû son poste aux recommandations que ses parents ont pu lui trouver : c’est un cas intéressant d’une famille présente dans l’administration impériale des affranchis et dans l’administration militaire. Des cas comme ceux de Gargilius Rufus ou de Carantius Macrinus, qui indique la chronologie précise de sa carrière dans son épitaphe, montrent que l’administration provinciale permet à un nombre restreint – mais non négligeable – de soldats de s’élever dans la hiérarchie et d’en tirer un profit important. On a pu calculer que Carantius Macrinus, qui devint centurion sous Nerva après 17 ans de service, a pu recevoir un total de 240 000 sesterces durant sa carrière. Sa fortune semble être toutefois bien supérieure. On peut se demander si son avancement n’a pas bénéficié de recommandations : on connaît à Vienne un seul autre Carantius, prétorien durant le règne de Vespasien et donc en position de trouver des appuis pour un proche45.
12Les tâches des soldats de l’officium ne se cantonnent pas à la capitale provinciale : les soldats accompagnent le gouverneur dans ses déplacements et offrent aussi une mobilité à son administration. À partir du règne de Trajan, semble-t-il, des bénéficiaires du gouverneur sont détachés en divers points des provinces, dans des stationes souvent à proximité d’un nœud routier, d’une ville importante, d’une garnison46. Un ou deux bénéficiaires résident dans la statio pour un temps de détachement qui semble être de six mois. Nombre d’entre eux érigent un autel votif à la fin d’un de ces détachements. La présence de ces autels, portant souvent une date à partir du second tiers du IIe siècle permet d’identifier ces stationes et pour les mieux connues d’avoir une idée de la succession des soldats en poste. Deux stations de Germanie supérieure ont été fouillées et sont particulièrement bien connues : Osterburken et Obernburg ; elles peuvent être comparées avec la station fouillée à Sirmium (Pannonie). Si les stations partagent un certain nombre de points communs, on ne doit pas imaginer un modèle systématique. À Osterburken, la fouille a surtout révélé le sanctuaire des bénéficiaires et leurs nombreux autels ; à Obernburg, elle permet de connaître le bâtiment qui accueille le bénéficiaire. Rectangulaire, organisé autour d’une cour à portique, il semble montrer qu’un personnel est là pour assister le bénéficiaire, qui peut résider aussi avec ses proches. L’inscription la plus ancienne date de 144, mais le bâtiment est antérieur. Les tâches du bénéficiaire sont multiples : policières, administratives, logistiques, éventuellement judiciaires, parfois en collaboration avec une autre administration par exemple lorsque la station est proche d’une station des douanes ou d’une mine. La documentation papyrologique, et les échos qu’elle peut trouver dans les tablettes de Vindolanda, permettent d’imaginer le quotidien des stations de l’occident romain. Le bénéficiaire enquête, contrôle, enregistre, transmet des documents officiels, il peut recevoir des pétitions, exiger des bakchichs. Les interactions avec le milieu local doivent être nombreuses, mais limitées par la courte durée de présence de chaque bénéficaire. L’importance de leur fonction dépend aussi du contexte de la station : elle grandit sans doute loin d’un centre urbain, là où l’élite locale ne peut guère relayer le pouvoir romain47. Les stations témoignent de ce que l’on peut appeler un processus de provincialisation des armées, de la part croissante qu’elles prennent dans l’administration et la vie des provinces. Le maintien des stations jusqu’au cœur de la crise du IIIe siècle montre que s’est formée là une institution solide.
13Officia et beneficiarii n’épuisent pas la part que l’armée peut prendre dans l’administration provinciale. Les zones minières appellent la présence de soldats. Elles nécessitent en effet diverses missions de surveillances : des captifs qui peuvent s’en échapper ou être razziés, à l’image de l’ancienne déportée dans les salines, esclave du célèbre centurion d’Auchendavy48, surveillance encore du métal extrait, de l’application des règles… Si la mine est placée sous l’autorité d’un procurateur, des soldats peuvent l’assister. En Hispanie, les inscriptions de la mine d’or de Villalis49 montrent, au début des années 160, des bénéficiaires du procurateur détachés auprès du procurateur affranchi s’occupant des mines, mais aussi la présence d’un centurion de la légion, de centurions et décurions auxiliaires, de porte-enseignes, d’un tesserarius : un détachement militaire d’environ 200 hommes réside autour de la mine, outre la surveillance et l’administration ces soldats peuvent aussi apporter une aide technique. En plus des soldats professionnels, il faut considérer les officiers supérieurs : légions et auxiliaires assurent la présence dans la province de sénateurs et de chevaliers qui peuvent recevoir des missions administratives particulières. Ainsi Mocconius Verus, tribun laticlave de la VIIe Gemina, est chargé de recenser 24 cités50. En Germanie une tablette d’Arae Flaviae montre en 186 le légat de la légion de Strasbourg dénouant une affaire de droit civil51. S’agit-il d’une intervention ponctuelle, où il officierait comme iudex datus, ou d’une juridiction plus régulière qui peut être confiée aux légats de légion ? D’autres exemples manquent : le caractère lacunaire de la documentation empêche de prendre conscience de l’étendue réelle de situations ponctuellement attestées, ce qui rend difficile aussi l’identification de spécificités locales.
14« Auxiliaires et intermédiaires52 » de l’administration provinciale, les armées offrent une réserve de compétences et de ressources humaines qui peuvent être mobilisées selon les besoins. C’est la même logique qui entraîne l’intervention des militaires dans les grands travaux provinciaux : soit que l’armée apporte ses spécialistes, architectes et arpenteurs par exemple, soit qu’elle offre la main d’œuvre de ses soldats. On ne doit pas exagérer ce dernier rôle : les collectivités locales sont mises à contribution aux côtés de l’armée, comme le montre en 79 l’inscription du pont de Chaves53, et en général c’est à elles que revient le plus gros du travail, y compris dans le financement et l’entretien des routes. Par ailleurs, aux yeux des Romains, les grands travaux exécutés par l’armée peuvent certes profiter aux provinces, mais ils doivent d’abord se justifier du point de vue militaire. Outre leur valeur stratégique, ils expriment les normes qui doivent idéalement caractériser l’armée pour les aristocrates romains : créateurs de disciplina, ils évitent la mollesse des soldats en attendant le combat ou pour pallier son absence. C’est ainsi que Marius fait creuser ses fossae et que Tacite montre Corbulon confiant un travail semblable à ses soldats entre Meuse et Rhin54. L’apparente continuité de certaines conceptions de l’usage des soldats ne doit pas masquer les évolutions qui semblent se dessiner, malgré les défauts de nos sources et en particulier le biais introduit par une documentation épigraphique qui ne se développe réellement qu’avec Auguste et met encore du temps à être abondante. L’importance de la mise en place d’une armée professionnelle, la stabilisation des garnisons contribuent à renforcer la place que les armées peuvent prendre dans l’administration des provinces. La taille très variable des garnisons provinciales et leurs situations stratégiques très différentes interdisent toute généralisation hâtive.
15L’apport des armées à l’administration provinciale doit cependant être mis en regard des contraintes et des obligations qui découlent de cette présence. Malgré tout ce que les plaintes des Bretons à l’encontre de l’Empire dans l’Agricola de Tacite peuvent avoir de rhétorique, il n’y a pas de raison de supposer qu’elles ne recouvrent pas, à leur façon, le poids de l’armée de Rome sur ses possessions en exigeant du sang et du blé, des recrues et du ravitaillement55.
Frumentum commeatusque : le ravitaillement des armées et les provinces
16De la résolution de la contrainte logistique dépendent les capacités d’une armée et ses rapports avec le territoire où elle stationne. Deux solutions opposées existent. Vivre sur le terrain apporte une grande souplesse opérationnelle, mais impose aussi des contraintes fortes : les grandes troupes doivent se disperser, les opérations sont limitées dans la durée, les populations locales sont rudement mises à contribution et le risque de disette existe. Au contraire, dépendre de circuits d’intendance extérieurs et organisés permet, si les bases et les lignes logistiques sont sécurisées, de longues opérations offrant un avantage stratégique considérable. L’épisode de Caton débarquant à Emporion en 195 et renvoyant le ravitaillement en Italie pour vivre sur le pays ennemi56 ne doit pas masquer le fait que Rome choisit en général l’inverse. Le pillage des récoltes de l’adversaire est pratiqué avant tout comme stratagème, non comme soutien logistique, le ravitaillement dépend d’autres sources. L’utilisation du blé a des avantages : aisément transportables les grains craignent peu les pertes et se conservent longtemps. Sicile et Sardaigne ont donc un rôle essentiel, le blé livré au titre de la dîme permettant de soutenir des opérations lointaines. Ainsi Cicéron peut dire que l’avidité de Verres compromet la sécurité de ressources dont dépendent la Ville et ses armées57. Les armées d’Espagne sont donc, dans les deux derniers siècles av. J.-C., ravitaillées par la mer. D’où les efforts de Sertorius pour occuper le littoral espagnol en 77-76 et les reproches adressés peu après par Pompée à un Sénat peu soucieux de lui envoyer l’aide désirée. Il a pu toutefois compenser la pénurie par le recours au blé de Transalpine envoyé par le gouverneur Fonteius58. Ces épisodes appellent plusieurs réflexions. D’abord la conduite d’opérations militaires importantes suppose la capacité d’obtenir du Sénat des troupes, mais aussi un approvisionnement suffisant pour sa province. Ensuite, comme le montre le cas du blé envoyé par Fonteius, le développement d’opérations militaires à grande échelle encourage l’exploitation des provinces, et pas nécessairement des régions où ont lieu les opérations, si bien que l’on pourrait dire avec Paul Erdkamp que « les Romains ne conquirent pas un Empire pour ses ressources, mais que l’ayant conquis il furent forcés d’exploiter ses ressources59 ». À la contribution initiale des deux anciennes provinces riches en céréales s’ajoute la fiscalité des nouvelles provinces, malheureusement mal connue, mais qui peut entraîner un prélèvement de blé. S’ajoutent aussi les réquisitions, parfois lourdes, faites auprès des alliés. Il faut aussi prendre en compte l’achat de céréales. Il y a donc diversité des modes de ravitaillement qui exprime les diverses facettes de la domination romaine et de la présence des soldats : « l’approvisionnement en blé synthétise, en quelque sorte, la relation ambivalente des légions avec les territoires provinciaux, dont elles ne devaient pas dédaigner les ressources mais dont elles ne pouvaient (ni ne voulaient) devenir entièrement dépendantes60 ».
17L’acheminement du ravitaillement se heurte à la géographie et aux limites technologiques de l’antiquité. La fragilisation de lignes de communications et la perte d’une base logistique peuvent dangereusement compromettre une campagne : Fulvius Nobilior doit abandonner le siège de Numance après la défection de la cité d’Ocilis qui lui servait de base. Diversifier ses approvisionnements, assurer ses bases, ses convois, construire une chaîne de dépôts et de relais sont autant de préoccupations que l’on retrouve dans les campagnes de César en Gaule. Il peut compter sur les importants surplus céréaliers que dégagent les sociétés de la Tène tardive. Pourtant la sécheresse de 54 av. J.-C. le contraint à réorganiser l’hivernage de ses troupes61. Dès lors, dans la conquête et lors des guerres civiles la prise de villes comme l’installation de garnisons doivent donc être avant tout considérées à l’échelle d’une campagne en regard des exigences tactiques et logistiques plutôt qu’interprétées comme volonté d’imposer un contrôle militaire direct des territoires62. L’insistance de l’historiographie sur le frumentum, les céréales, ne doit pas faire oublier que le ravitaillement militaire est bien plus diversifié et obéit parfois à d’autres contraintes. L’eau, le bois et le fourrage ne sont pas transportables comme le blé : vivre sur le pays est nécessaire dans ces domaines. Le régime du soldat implique aussi un ravitaillement en huile, sel, vin, légume, fromage, viande. Toutes ces denrées ne sont pas fournies par l’armée : seul le blé fourni par l’état semble entraîner une retenue sur solde ; pour le reste butins et marchands sont mis à contribution. Enfin, on ne saurait oublier la fourniture d’armes et de vêtements qui donnent aussi lieu à des retenues.
18Le maintien de troupes dans une situation de paix, même très relative comme dans les garnisons d’hiver à l’époque républicaine, entraîne une situation différente : faire du butin n’est plus possible, marchands et échanges gagnent en importance. La mise en place d’une armée professionnelle dotée de garnisons stabilisées implique nécessairement des changements dans le ravitaillement et fait de l’institution militaire un acteur important dans la vie économique des provinces. Les anciennes provinces frumentaires sont sans doute toujours mises à contribution : la présence d’un légionnaire espagnol à Catane au Ier siècle peut s’expliquer par une mission de ravitaillement63. Les réquisitions continuent, plus ou moins prédatrices et humiliantes selon les gouverneurs. D’après Tacite, avant Agricola, les Bretons voisins des garnisons sont victimes de pratiques proches de celles de Verres puisqu’ils doivent livrer leur blé dans d’autres lieux, éloignés et inaccessibles64. Néanmoins, il faut imaginer qu’en général, on cherche à se procurer des céréales à proximité des garnisons, tout en ménageant les provinciaux, sans quoi une installation durable n’aurait pas été possible. On a pu se demander, notamment à propos de la Bretagne, dans quelle mesure les capacités des sociétés locales à dégager des surplus en céréales et à permettre leur collecte au titre de la fiscalité ou des réquisitions a pu influencer les lieux de garnisons et l’emplacement des frontières de l’Empire. Cependant les frontières traversent souvent des zones homogènes et, dans le cas de la Bretagne, Rome aurait pu organiser le transport des denrées65. Par ailleurs, l’installation de troupes a pu constituer un facteur incitatif pour l’agriculture. L’étude de la Wetterau en Germanie a montré qu’avec environ trois cents villae rusticae au milieu du IIe siècle ap. J.-C., la région peut nourrir sans problème les troupes des quatorze forts qui gardaient sa frontière66. Qui sont les propriétaires des villae ? A Melbach vers 220, c’est un vétéran67, mais ailleurs ? L’armée peut pratiquer des achats forcés à un prix inférieur à celui du marché, jusqu’à quel point la demande militaire est-elle profitable ? Peut-on penser alors que M. Liberius Victor, négociant en blé nervien qui a laissé une dédicace à Nimègue, commerce avec l’armée ? Aucune certitude n’est possible68. On se gardera d’imaginer un modèle applicable partout : la diversité des situations domine sans doute d’une région à l’autre, d’une période à l’autre. La carpologie montre qu’au IIe siècle à Valkenburg (Pays-Bas), l’épeautre de la garnison a été produit plus au sud, en Belgique actuelle ou dans le nord de la France, tandis qu’au siècle suivant à South Shields en Bretagne, l’approvisionnement d’épeautre est local69, mais le blé importé70. On ne doit pas sous-estimer les déplacements occasionnés pour le ravitaillement : au début du IIe siècle, c’est en Gaule que des soldats de la cohorte Ie Hispanorum cantonnée dans les Balkans viennent chercher des vêtements et du blé71.
19L’approvisionnement local n’est pas possible pour toutes les denrées. La nécessité de fournir des produits méridionaux aux garnisons installées loin de la Méditerranée crée de nouveau flux de marchandises que les amphores permettent de retracer. L’exemple le plus parlant, et aussi le plus disputé, est celui des grosses amphores à huile espagnoles, les Dressel 20 qui apparaissent avec le règne de Claude. Retrouvées en nombre en Bretagne et en Germanie, elles témoignent de l’ampleur des échanges nés de la présence des garnisons. Leurs inscriptions révèlent leur provenance. En Bretagne, leur étude distingue trois régions consommatrices différentes : Londres et Colchester, les sites romains du pays de Galles, la zone du Mur d’Hadrien. Ces trois zones se fournissent dans des régions différentes, le pays de Galles ayant des relations privilégiées avec le Conventus Hispalensis72. En revanche, les amphores du Conventus Cordubensis sont peu attestées en Germanie et Bretagne, il a pourtant une production importante73. Des liens se sont donc noués entre certains producteurs et des régions frontières. Qui initie ces flux, qui les contrôle, quel est le rôle de l’état ? Celui du marché ?
20Nos sources sont sur ces questions décevantes. Seul un très petit nombre d’amphores et de tonneaux portent des inscriptions nommant une légion : quelques cas sont connus en Bretagne pour la IIe Augusta, d’autres à Vindonissa74. Etudiant les Dressel 20, José Remesal Rodriguez a supposé que le ravitaillement de l’armée romaine a fait l’objet d’une centralisation contrôlée par le préfet de l’annone, permettant des compensations financières entre provinces et simplifiant les échanges75. Aucune source toutefois ne permet d’envisager ce rôle pour le préfet de l’annone, sans envisager même tout ce que cette hypothèse a, à notre avis, d’anachronique. En revanche, le ravitaillement des armées et celui de la Ville obéissent à des règles voisines et peuvent avoir des sources communes d’approvisionnement76. Comme en témoigne Strabon pour la péninsule Ibérique, la nouvelle organisation augustéenne a placé le procurateur de la province au cœur des enjeux de ravitaillement, puisqu’il doit financer la vie des soldats77. Le bilan global se fait sans doute, si l’on en croit Stace, dans les bureaux a rationibus78. Le développement de pratiques écrites quotidiennes et importantes permet alors de faire face à la complexité des opérations de soldes et de ravitaillement en l’absence d’un service central d’intendance militaire79. Le dossier de Vindolanda permet d’approcher ce quotidien des unités. Le tableau qui en ressort est nuancé, voire ambigu80. Civils et soldats y sont étroitement liés, même si l’armée semble peu disposée à laisser échapper son contrôle sur le ravitaillement essentiel. Les échanges locaux sont importants pour les céréales, les fruits, les œufs, mais une part importante du ravitaillement a une origine assez lointaine. Les domaines impériaux du sud de l’île ont pu fournir du blé, des biens viennent d’outre-mer : luxe et produits exotiques sont bien présents, pour les officiers essentiellement. Les échanges sont très monétisés, mais la tablette concernant la distribution de blé aux soldats ne porte aucune mention monétaire : la déduction est faite directement sur la solde. La documentation de Vindolanda montre l’importance des civils et des esclaves dans les fabricae des unités militaires81.
21Car les soldats peuvent produire les biens qui leur sont nécessaires. On ne doit pas exagérer ces productions : l’armée n’est pas autarcique et le soldat est un guerrier avant d’être un travailleur. Les productions concernées sont assez diverses et une partie de l’ager publicus de la province peut être attribuée à des unités militaires afin qu’elle se les procure. On connaît en Espagne les bornes qui délimitent les prairies (prata) de la cohorte IVe Gallorum : c’est sous Claude que le bornage est effectué séparant ses prata des territoires de la civitas de Bedunia et de celle des Luggones82. Plus qu’un vaste territoire continu, il faut imaginer des parcelles morcelées. Des vexillations peuvent aller se procurer du bois, contrôler des carrières comme à Norroy en Lorraine où des centurions laissent à l’époque flavienne des dédicaces à Hercule Saxsanus83, exploiter un banc d’argile… La production de tuiles et de briques militaires accompagne l’évolution des camps vers des garnisons construites en dur. Les tuileries (figlinae) travaillent pour une vaste région, aussi sont-elles situées en Germanie près du Rhin ou de ses affluents. On connaît bien les productions céramiques de l’armée de Bretagne. Le grand atelier de tuiliers et de potiers de la XXe Valeria Victrix, à Holt, à quelques kilomètres du camp de Chester, commence sa production à la fin des années 80, elle culmine dans les années 130 et semble se terminer vers 165-170. L’armée qui ne vise pas au commerce ni à l’échange peut cependant diffuser des techniques et des habitudes de consommation sans qu’il faille exagérer cet impact. Les productions légionnaires en Bretagne n’ont pas d’impact local à long terme84, et les productions identifiées le long du mur d’Antonin ne font que compléter les importations de Gaule, de Germanie ou du sud de l’île85. Les besoins de l’armement exigent aussi une activité métallurgique. Les soldats que l’on a vu associés à l’administration des mines peuvent eux-mêmes exceptionnellement y travailler : sous Claude, Curtius Rufus emploie ses soldats pour exploiter une mine d’argent en Germanie : un tel cas ne doit pas être généralisé86 et si l’on a pu voir dans les estampilles des lingots de l’épave de Comacchio des marques légionnaires, l’analyse isotopique ne confirme pas la lecture87.
22Au ravitaillement en nature, garanti ou facilité par l’institution, s’ajoute dès la république le stipendium dédommagement financier des contraintes de la vie militaire. Dès l’époque républicaine, la présence prolongée d’une troupe romaine entraîne donc un flux monétaire jusque dans des régions alors peu monétisées. À partir du IIe siècle av. J.-C., les légions d’Espagne entraînent une arrivée régulière de numéraire romain88. La professionnalisation de l’armée transforme de fait le stipendium en un salaire dont le versement dépend désormais du procurateur équestre de la province directement lié au prince et autonome face aux gouverneurs, ce qui peut entraîner des situations parfois tendues. Les postes de procurateurs liés aux grandes provinces militaires sont des postes clés de l’administration équestre : il faut souligner à cet égard l’importance de la procuratèle de Belgique et des Germanies et les belles carrières de certains de ses titulaires comme Bassaeus Rufus ou Varius Clemens sous Marc Aurèle, des personnages qui connaissent bien l’armée. La stabilisation des garnisons aux frontières à partir d’Auguste auxquelles il faut faire parvenir les soldes et le ravitaillement entraîne des dépenses étatiques importantes aux marges de l’Empire. Les provinces à forte garnison comme la Bretagne peuvent donc recevoir plus d’argent du pouvoir impérial qu’elle ne lui en fournisse par la fiscalité. Quels sont les flux de numéraires ? L’analyse des trésors monétaires montre que la mobilité des monnaies n’est pas aussi grande que ce à quoi l’on aurait pu s’attendre : on redistribue aux soldats sans doute d’abord les monnaies collectées localement par le fisc89. On peut s’interroger à la suite d’un célèbre article de Keith Hopkins90 sur les conséquences économiques globales induites par ces dépenses, et sur leur effet sur le commerce. Quoi qu’il en soit, l’impact économique des garnisons dans les provinces occidentales est certain. L’armée permanente est devenue un acteur de la structuration des territoires et des économies provinciales, bien que cela ne fût sans doute jamais son but. Si les exigences en ravitaillement peuvent peser lourdement sur les provinciaux, elles contribuent aussi à transformer et intégrer les provinces.
Socii, auxilia et dilectus
23Les armées romaines demandent aussi des hommes. La place tenue par les socii, alliés italiens, prédisposait à intégrer des troupes étrangères. La présence prolongée d’armées hors d’Italie et la création de provinces entraînent rapidement l’intégration de troupes de provinciaux dans l’armée romaine, auxilia externa qui prennent place dans l’ordre de bataille, aux ailes, de part et d’autre des socii : comme en 180 av. J.-C. dans l’armée de Fulvius Flaccus face aux Celtibères91. La récurrence des campagnes crée un emploi banalisé de ces troupes qui offrent une spécialisation tactique comme dans le cas des frondeurs souvent Siciliens ou Crétois, puis originaires des Baléares après 123 av. J.-C.92, mais surtout une souplesse des effectifs : les auxiliaires ibériques fournissent une infanterie lourde ou légère comme de la cavalerie. Avec l’intégration des Italiens aux légions après la guerre sociale, l’adoption de l’organisation légionnaire en cohortes93, la disparition des velites – infanterie légère romaine et italienne –, les ailes ne sont plus constituées que des auxiliaires issus des provinces et des cités et royaumes clients. S’il est possible qu’à la fin de la république, une distinction commence à apparaître entre des troupes auxiliaires presque professionnelles et d’autres qui ne sont levées que pour l’occasion94, les réformes d’Auguste entrainent la transformation des auxiliaires en unités pérennes, à l’image des légions. Cela ne se fait qu’au fil d’une longue période de transition très souple durant laquelle un nouveau cadre institutionnel prend place95. Les auxiliaires n’ont pas alors de garnisons autonomes, mais sont associés au cantonnement des légions, en particulier dans les grandes concentrations de troupes sur le Rhin96. Le nouveau cadre se constate d’abord dans la terminologie. Désormais le terme aile désigne une unité de cavalerie commandée par un chevalier romain. Appliqué aux auxiliaires, le mot cohorte se rapporte généralement à une unité de fantassins, mais convient aussi pour une troupe montée (cohors equitata). Nos sources restent parfois ambiguës. Dans l’ordre de marche de Germanicus en 16, on peut distinguer, outre les légions, des auxiliaires professionnels – archers, cohortes de Gaulois, de Rhétes et Vindélices – d’autres qui le sont moins, mais sans que nous puissions être sûrs de la situation institutionnelle de chaque unité. Comment comprendre le mot socii désignant les « autres cohortes d’alliés » qui ferment la marche ? Peut-être n’est-ce qu’une variatio de style97 ? Avec Claude, le commandement des auxiliaires est définitivement organisé et constitue le début de la carrière équestre. L’évolution des unités auxiliaires est portée à son comble entre la dynastie flavienne et Trajan98 : elles ont désormais des garnisons bien individualisées, souvent pérennes qui commencent à se construire en pierre ; elles peuvent être utilisées comme corps de bataille sans nécessiter la présence des légions.
24La contribution des provinces d’Occident au recrutement initial de cette armée auxiliaire professionnelle est énorme99. Les provinces gauloises – Germanie comprise – représentent la première région de recrutement avec un peu moins d’une centaine d’unités. La répartition de ces unités est loin d’être homogène : seulement deux ailes en Narbonnaise, mais 96 unités pour les Trois Gaules, au sein desquelles la part de la région nord-est est écrasante : 6 ailes et 57 cohortes100. La péninsule Ibérique vient ensuite avec plus d’une soixantaine d’unités dont 14 ailes101. La répartition des levées n’est pas non plus homogène. De nombreux noms d’unités renvoient aux peuples de l’Ouest de la péninsule. Rhétie et Bretagne n’apparaissent qu’après la Thrace, la Pannonie et la Syrie, qui ont chacune fourni une trentaine d’unités. Pour la Rhétie on peut compter 18 unités, des cohortes uniquement102. La contribution de la Bretagne103, une quinzaine d’unités, plus qu’à l’image de l’armée qui y fut cantonnée, reflète l’entrée tardive dans l’Empire d’une province insulaire. Pour les Alpes occidentales, on compte une demi-douzaine environ de cohortes Alpinorum et au moins 2 cohortes de Ligures. Corse et Sardaigne contribuèrent à hauteur de quelques cohortes.
25Cette professionnalisation ne met pas fin pour Rome à la possibilité d’exiger une aide militaire de la part des peuples dépendant de sa souveraineté si le besoin s’en fait sentir, comme lors des grandes campagnes militaires. Sous Trajan, une troupe d’Astures est levée pour accompagner les troupes déplacées de l’Hispanie vers la Dacie. Ils sont désignés comme des symmachiarii104, mot dérivé du terme grec de l’alliance, et dirigés par un praefectus qui est un des leurs et commence ainsi une belle carrière de centurion. Un besoin ponctuel a réanimé les termes militaires d’un ancien foedus, sans création d’une nouvelle unité permanente ; la chose est encore possible cependant, puisqu’Hadrien a pu créer une cohorte hispanorum105. Si symmachiarii insiste sur le lien contractuel qui règlemente les rapports entre Rome et ses sujets, ces troupes de renfort sont en général qualifiées de nationes et gentes, terme insistant sur les communautés fournissant à Rome les soldats. Appelées au départ à appuyer une opération militaire, comme le faisaient les socii sous la république, certaines de ces unités connaissent un destin semblable aux auxiliaires. Des unités permanentes de nationes et de gentes viennent compléter le dispositif de certaines armées provinciales. Elles sont désignées par le nom de leur peuple d’origine parfois complété du nom du lieu de garnison. L’absence d’une terminologie particulière fait qu’on désigne ces troupes comme des numeri, le terme numerus voulant simplement dire unité, troupe106. Connues par l’épigraphie à partir d’Hadrien, ces unités existaient auparavant : à Hesselbach, dans l’Odenwald, le petit fort qui accueille un numerus de 150 à 200 bretons est aménagé vers 100107. L’installation dans des garnisons permanentes témoigne d’une évolution similaire à celle des auxiliaires, mais avec un décalage notable. Peu nombreuses au demeurant, pas plus de 1 000 soldats pour tout l’Odenwald108, ces troupes témoignent de la capacité d’adaptation de l’armée – ici l’accueil traditionnel des alliées et des vaincus – en même temps que du puissant mouvement d’institutionnalisation, d’intégration et de provincialisation qui ne cesse de l’animer à partir d’Auguste.
26Le recrutement auxiliaire, à toutes époques, recouvre des situations très différentes : il peut résulter d’une levée autoritaire, en particulier sur un peuple qui vient d’être vaincu, mais ce peut aussi être des alliés offrant gracieusement leur aide ou des transfuges. Tous ces cas doivent être distingués du mercenariat que Rome a toujours préféré éviter. Les rares cas attestés, comme pour Caton en 195 av. J.-C., relèvent de l’expédient109. Entrer dans la fides romaine, pour une communauté indigène, c’est accepter les obligations d’un traité explicite qui fixe les droit et les devoirs de chacun et dont la contribution militaire est un des éléments centraux. Dans les Verrines, Cicéron peut faire lire les traités concernant Tauromenium et les Mamertins et montre que les cités peuvent chercher à échapper à ces obligations110. Ces dernières ont aussi des conséquences économiques : il faut pourvoir à l’entretien, au ravitaillement des troupes, à leur solde. Fonteius exige des Gaulois vaincus un grand nombre de cavaliers, de grosses sommes d’argent (stipendium) et de grandes quantités de blé111. Ces sommes, vraisemblablement destinées à la solde des auxiliaires, peuvent être données dans la monnaie locale112. Incontestablement le recrutement auxiliaire a des effets importants sur la circulation monétaire, et doit encourager le développement de frappes locales. Le développement des deniers ibériques correspond « à un moment de demande accrue de Rome en matière de troupes auxiliaires auprès des peuples limitrophes des théâtres d’opération113 ». Durant la guerre des Gaules et à l’époque pré-augustéenne en Gaule, la place du numéraire gaulois dans les soldes auxiliaires paraît essentielle ; il semble ainsi par exemple que l’on ait pu frapper des quinaires gaulois au camp de la Chaussée-Tirancourt114.
27Les conditions d’établissement des termes des traités sont variables et dépendent bien sûr en premier lieu des conditions dans lesquelles la communauté pérégrine s’est liée et soumise à Rome. Même révisables, ces obligations structurent ensuite la relation à Rome, parfois sur le très long terme. Au IVe siècle ap. J.-C. encore, un notable éduen rappelle comment son peuple a assisté César « offrant l’hospitalité de leurs quartiers d’hiver, fournissant des vivres en abondance, fabriquant des armes, envoyant des renforts d’infanterie et de cavalerie115 ». On peut imaginer derrière l’allusion à un épisode glorieux de l’histoire de Rome le rappel du traité qui liait les Eduens à Rome et fixait leurs obligations militaires. Si par ce rappel l’orateur cherche à accroître la gloire de sa cité, le récit de César nous montre de manière brutale les contraintes qu’il fait peser sur l’aristocratie éduenne au moment de la guerre des Gaules : en 54 av. J.-C., les nobles éduens doivent suivre César en Bretagne, la défection de Dumnorix aboutit à sa mise à mort. Les cavaliers éduens sont des appuis militaires, mais aux côtés de César ils sont, sinon des otages potentiels, au moins des personnages étroitement surveillés. Inversement, diriger une unité auxiliaire c’est être reconnu comme personnage de premier rang chez soi, et y trouver le surcroît de légitimité que Rome et ses représentants peuvent apporter. Tant en Gaule qu’en Espagne, le cheval est un signe distinctif des notables et des puissants : les levées de cavaliers ne visent pas seulement à compenser la faiblesse de la cavalerie légionnaire, mais elles traduisent « aussi l’attention portée par Rome aux élites indigènes dont il s’agissait de reconnaître la position ou de garantir la fidélité116 ». En éloignant ainsi une partie de l’aristocratie et de la force d’une cité, Rome peut peser sur la vie politique locale et s’assurer la tranquillité d’une partie des communautés alliées, tandis qu’en distinguant par un commandement certains fidèles elle s’en fait des alliés et construit la légitimité de leur pouvoir et du sien.
28L’exemple éduen montre bien que le recrutement auxiliaire peut être un fardeau comme une opportunité. Il illustre aussi la place des aristocraties locales dans le recrutement et l’importance des liens avec le gouverneur. En 49 av. J.-C., au moment de se lancer contre les Pompéiens en Espagne, César recrute au préalable nominativement les principes les plus braves et plus nobles qui lui fournissent des contingents117. Les implications sont fortes pour les notables indigènes qui constituent les officiers des cohortes auxiliaires. Ils gardent cependant une certaine marge de manœuvre à l’image des frères Roucillus et Ecus, princes allobroges, passant de César à Pompée à Dyrrachium en 48 av. J.-C.118. Un tel choix a de lourdes conséquences… L’importance des aristocrates se constate encore à l’époque julio-claudienne à travers certaines ailes gauloises qui prennent le nom d’un de leur commandant. L’ala Atectorigiana renvoie à un Atectorix en qui on peut reconnaître le Picton homonyme connu par des monnaies, cette frappe monétaire étant peut-être liée à sa participation à l’armée romaine119. L’ala Indiana est une de ces unités les mieux connues120. En 21, Iulius Indus à la tête d’une unité, qui est peut-être déjà une aile régulière, disperse les derniers partisans du rebelle Iulius Florus. Comme Florus, Indus est un aristocrate trévire romanisé, sa fille épouse Iulius Classicianus121, qui s’illustre ensuite comme procurateur de Bretagne. À Worms, on connaît la stèle d’un cavalier de l’aile, mort à une date antérieure à 43, un des premiers monuments funéraires figurés en Rhénanie : c’est Argiotalus, un pérégrin Namnète. Cette origine peut s’expliquer par la participation de l’aile à la répression de la révolte de 21 dans l’ouest de la Gaule. Le recrutement de l’aile a cessé d’être uniquement trévire. Même s’il est facile aux unités cantonnées non loin de leur lieu de recrutement de conserver un peu plus longtemps un recrutement homogène, on voit que la situation évolue finalement assez vite. Les situations où une unité auxiliaire a un recrutement homogène et est dirigée par un notable indigène deviennent sans doute assez rapidement rares.
29Les noms des unités nous renseignent sur leur recrutement initial, sur l’inégale contribution des divers peuples de l’Empire, ils correspondent sans doute aux modalités du recrutement122 – qui nous échappent en général –, ils indiquent aussi une certaine géographie institutionnelle au moment de la création des unités, la perception que Rome peut avoir de l’identité des communautés locales et les choix qu’elle opère en identifiant les communautés politiques et en définissant des cadres de représentation, d’administration et de dialogue. En Callaecia, dans l’actuelle Galice, région dont la contribution aux troupes auxiliaires fut notable123, on connaît des unités qui peuvent correspondre à toute la région, et même plus, puisque les Callaeci sont associés aux Astures dans les cohortes Asturum et Callaecorum. L’ala124 ou la cohorte Lemavorum se rapporte en revanche très spécifiquement à un seul peuple de la région, un des deux seuls peuples que Pline nomme dans le conventus de Lucus125. Le rôle de ce dernier type de circonscription dans la levée des troupes a été discuté126, mais un grand nombre d’unités levées dans la région sont qualifiées de Lucenses ou de Bracari (ou Bracaraugustani), noms qui renvoient à la division de la Callaecia en deux conventus, cadre du culte impérial, du recensement et de la justice127. La chronologie de ces recrutements et plus encore la raison du choix de tel ou tel niveau nous échappe. Pline indique cependant clairement que dans ce cas au moins, Rome semble avoir eu une conscience très claire de la démographie locale : les Lucenses comptaient selon lui 166 000 hommes libres et les Bracari 285 000, un peu plus que les 240 000 Astures voisins. Ces trois indications chiffrées, isolées dans le livre III, sont un signe de l’importance de la contribution militaire que l’on attend de ces circonscriptions : la démographie pratiquée par les États antiques a le plus souvent une visée militaire. Par ailleurs, cens et dilectus peuvent aller de pair comme en témoigne les fonctions de Torquatus Novellius Atticus en Narbonnaise vers 30-35128. Mieux, les chiffres de Pline nous permettent d’avoir une idée du poids de la levée de nouvelles unités auxiliaires dans ces régions. Le numéro le plus élevé porté par une unité de Bracari ou de Lucensi est le chiffre V : on a donc levé, au maximum, 2 500 hommes pour chaque conventus129, il s’agit d’un ordre d’idée valable pour d’autres levées dans l’Empire : de nombreux noms de cohortes ont comme numéro le plus élevé V ou VI. S’il y a bien eu trois cohortes IIIe Bracaraugustanorum différentes130, il faut compter trois levées chez les Bracari entre Auguste et la fin du premier siècle qui semblent donc avoir fourni plus d’unités que les Lucenses conformément à leurs possibilités démographiques. À défaut de nous permettre de bien comprendre la structure sociale de ces régions au tournant de notre ère, et le rôle qu’a pu y tenir l’institution militaire, l’archéologie révèle cependant le prestige qu’y ont les guerriers : on connaît 25 statues de guerriers dans le conventus de Bracara Augusta, 4 portent une inscription latine131. Lors de la mise en place des unités auxiliaires permanentes, on voit l’institution militaire s’appuyer sur les cadres de la provincialisation – et en retour leur donner un contenu – sans jamais se départir d’une certaine souplesse et de pragmatisme. Rome sait exploiter les possibilités démographiques des communautés de son Empire, mais aussi mettre au service de son armée les dispositions culturelles qui peuvent être synonyme de valeur militaire avant de devoir céder la place, dans le système de valeurs reflété par Strabon, à un mode de vie plus paisible et civilisé132. L’évolution ne se fait pas toutefois à la même vitesse dans toutes les unités et dans toutes les régions, l’impact de l’institution militaire n’est pas homogène.
30Au Ier siècle de notre ère, pour les peuples belges et germaniques ayant fourni des unités auxiliaires, cantonnées pour beaucoup le long du Rhin, l’archéologie témoigne du maintien d’une culture martiale – armes dans les tombes ou dans des dépôts votifs –, alors que les peuples installés plus loin de la frontière et ne fournissant pas d’unités auxiliaires ont abandonné ces pratiques133. Le cas le plus parlant est bien sûr celui des Bataves où un recrutement local est conservé jusqu’à la fin du Ier siècle et va de pair avec un commandement par les notables locaux. C’est, selon Tacite134, le résultat d’une antique alliance qui les exempt du tribut et des taxes, ne leur imposant qu’une charge militaire. Dans le même temps, l’aristocratie locale accède à la citoyenneté romaine sans remise en cause de la culture guerrière de cette élite, ni de l’importance des relations de clientèles. Les inconvénients de cette situation se révèlent cependant à la fin du règne de Néron et lors des affrontements qui suivirent : il n’était plus question de garder des unités avec une forte identité ethnique si près de leur territoire et commandées par leurs notables135. L’étude des auxiliaires de Germanie inférieure montre un changement dans leur commandement : sur 14 commandements recensés à l’époque julio-claudienne, 5 concernent des officiers locaux trévires ou bataves ; 21 commandements sont connus des Flaviens à la fin du règne de Trajan, aucun officier local n’est connu à l’époque flavienne et un seul sous Trajan, un Belge136. Dans le même temps, l’archéologie montre l’abandon des pratiques dénotant l’importance de la culture guerrière137. On ne doit pas pour autant majorer le tournant de 69 : les découvertes récentes ont montré que les unités Bataves conservent une situation similaire à celle qu’elles avaient avant 66. Leur caractère ethnique ne s’efface qu’avec leur déplacement sur le Danube138.
31Au IIe siècle, les auxiliaires recrutent au plus près de leur garnison et attirent même les citoyens romains tentés par le métier militaire, mais qui n’ont pu trouver place dans la légion. La présence de plus en plus importante de citoyens dans les provinces d’Occident et l’intégration des populations romanisées, en Hispanie d’abord, a en effet entraîné la possibilité d’un recrutement légionnaire provincial, d’abord pour des supplementa – compléments d’effectifs –, puis durant les guerres civiles pour des légions entières, la légion vernacula139 en Hispanie, et plus significatif encore la Ve Alaudae en Gaule, et enfin pour le recrutement ordinaire des légions professionnelles après Auguste. La provincialisation du recrutement légionnaire et ses rythmes ont été depuis longtemps étudiés et on ne reviendra pas sur ce mouvement ni sur ses conséquences si ce n’est pour rappeler qu’il revient aux gouverneurs d’assurer les opérations de recrutement140. L’évolution des bassins de recrutement fait qu’à la fin de la période, une grande partie du travail des officia des provinces doit concerner l’intégration et la libération des soldats. Cette dernière opération est fondamentale pour eux : ils reçoivent le prix de leur service professionnel. Pour les auxiliaires, le service militaire est devenu une voie vers la citoyenneté. En ce domaine aussi les auxilia des provinces ont suivi, mais avec retard, le parcours des socii italiens. Significativement c’est au moment de la guerre sociale que le bronze d’Asculum141 témoigne pour la première fois de la concession de la citoyenneté romaine à 30 cavaliers espagnols, en vertu de la lex Iulia de l’année précédente. Mesure exceptionnelle qu’il faut sans doute rapprocher des difficultés de Rome pour recruter. Par la suite, la citoyenneté devient une récompense pour les meilleurs soldats : c’est peut-être le cas du Santon C. Julius Macer, fils d’Agedill, vétéran réengagé, décoré et « inscrit sur le bronze » après 32 ans de service142. Néanmoins de nombreux auxiliaires terminent un service tout aussi long sans recevoir la citoyenneté143. Avec Claude, les auxiliaires reçoivent systématiquement, à la fin de leur service, la citoyenneté romaine attestée par un diplôme en bronze, citoyenneté qui est même donnée, jusque vers 140 aux enfants et descendants, parfois exceptionnellement aux parents frères et sœurs. Ponctuellement, pour un haut fait, et à titre de récompense, toute une unité peut recevoir la citoyenneté. Les nombreux diplômes militaires retrouvés témoignent éloquemment des liens multiples qui lient les armées, les provinces et Rome144. Le volontariat caractérise alors très largement le recrutement, ce qui ne veut pas dire que toute conscription a disparu : la présence de déditices dans les numeri de Bretons, au IIIe siècle, atteste de l’enrôlement autoritaire de vaincus. Le dilectus peut donc être brutal : l’Agricola de Tacite montre les plaintes des Bretons et la mutinerie des Usipi145. Le volontariat ne suffit pas toujours. La Guerre des déserteurs est née des conséquences de guerres longues et difficiles menées dans une période de crise. Les recrutements massifs ont débouché sur des situations tendues : mutineries, désertion et brigandage. Les recrutements ne sont pas toujours traumatiques et peuvent conserver des solidarités locales : à Birrens (Bretagne), des groupes de soldats originaires du même pagus ou de la même province érigent des autels146 ; à Glanum, une dédicace mentionne les Glanici qui s’étaient retrouvés à l’armée et en étaient revenus147.
Conclusion
32À la fin de l’année 192, l’Empire se remet de trente ans d’épreuves qui ont commencé sur les frontières septentrionales vers 155. Dans une vie politique marquée par les purges, la suspicion et l’ambition, la répartition des légions détermine toujours l’importance des provinces. Leurs camps étaient bien loin des castra hiberna des premières troupes installées en Hispanie : la conquête a cédé la place à la garde et à l’intégration à la province. Les camps légionnaires étaient des éléments clés dans un réseau qui définissaient les limites des provinces et de l’Empire, limites appuyées sur les fleuves ou sur des dispositifs militaires expérimentés à l’époque flavienne en Bretagne148 et en Germanie, puis développés sous les Antonins et improprement appelés limes par les modernes. Puissantes casernes aux murailles et portes monumentalisées, centres d’un territoire d’une lieue de rayon placé sous contrôle militaire, ils avaient aussi donné vie à des agglomérations, structuré la vie urbaine de régions entières. Comme en 69, la mort de Commode plaça les armées qui les occupaient sur le devant de la scène impériale. Il revint à la dynastie des Sévères d’en tirer les conséquences et de poursuivre les mouvements entamés au siècle précédent.
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Notes de bas de page
1 James 2002, 38.
2 Cadiou 2008, 19.
3 Outre les synthèses récentes sur l’armée romaine – Cosme 2007, Le Bohec 1990 –, on renverra à Le Roux 1998, 375-424.
4 Le Roux 1982, 83 et 128.
5 Plin., Ep., III, 9, 18 ; Le Roux 1982, 92-93.
6 Bernard 2009.
7 Bérard 1994.
8 Reddé et al. 2006, 319-320.
9 Rossignol 2007, 7-12.
10 Voir Cadiou 2008, 77.
11 Tac., Agr., 20, 2.
12 Strab., V, II, 7 ; Ibba 2005.
13 App., Ibér., 69.
14 BG, VIII, 44.
15 Liv., XXXIV, 16, 10
16 BG, VI, 32-34.
17 Strab., IV, 6, 6.
18 Liv., XXXV, 7, 6 (hiver-192) ; Cadiou 2008, 33.
19 CIL XI, 395 ; Le Roux 1982, 96-97.
20 Braund 1993.
21 Cic., 2 Verr., 5, 42-50.
22 Reddé 1986.
23 Ibba 2005, 398.
24 Le Roux 1977, 362-363 ; Reddé 1986, 417-418.
25 CIL V, 7820, 7890, 7895, 7898 et AE 1964, 243, 244, 248, 249 et AE 1981, 601-604 et IANice-Cimiez, 55.
26 Braund 1993.
27 Lamoine 2009, 298-327.
28 Hérodien I, 10, 3.
29 Loriot 1997.
30 CIL XI, 6053 ; AE 2003, 598.
31 RIB 815-831.
32 BC, I, 76.
33 AE 1988, 788 ; Le Roux 2000b.
34 Eck 2007, 33-52.
35 Tac., Hist., I, 65-66.
36 BC I, 75. Nelis-Clément 2000, 59.
37 CIL XII, 2602 (ILS, 2118) ; CBI 39 ; ILN Vienne (3), 866. Voir Nelis-Clément 2000, 81, 89-90, 313-314 ; Bérard 2000.
38 Austin et Rankov 1995, 149-169 ; Bérard 2000 ; Nelis-Clément 2000, 115-16.
39 Bérard 2000, 294-295 ; Mann 1988 ; Nelis-Clément 2000, 120.
40 AE 1991, 268 puis CBI 851 puis CIL II 4179 ; RIT 229. Nelis-Clément 2000, 120.
41 Nelis-Clément 2000, 85. Leur présence était-elle permanente ? Ce n’est pas sûr : Le Roux 2000a, 394.
42 Bérard 2000.
43 Austin et Rankov 1995, 154 ; Nelis-Clément 2000, 106.
44 CIL X, 1679 = 2611.
45 CIL IX, 4682 ; Rémy et Kaiser 2005, 74-75.
46 Nelis-Clément 2000, 134-210 et 2006.
47 Rossignol 2003.
48 RIB, 2174-2177 et Digeste, XLIX, 15, 6.
49 ILS, 9125-9131 ; Le Roux 1977, 363-368 ; Nelis-Clément 2000, 263.
50 CIL VI, 1463.
51 AE 1981, 691.
52 Le Roux 1982, 100.
53 CIL II, 2477 = 5616.
54 Plut., Marius, 15-16 ; Tac., Ann., XI, 20, 2.
55 Tac., Agr., 15, 19, 30-32.
56 Liv., XXXIV, 9, 11-12 ; Cadiou 2008, 579-580.
57 Cic. 2 Verr., 3, 127.
58 Cadiou 2008, 592.
59 Nous traduisons Erdkamp 2007, 104.
60 Cadiou 2008, 609.
61 Durost et alii 2008.
62 Cadiou 2003.
63 Le Roux 1977, 360.
64 Tac., Agr., 19, 4. Erdkamp 2002b, 58-59.
65 Breeze 1988, 13-14.
66 Kreuz 1999, 91-94.
67 AE 2001, 1544.
68 CIL XIII, 8725, voir aussi 7672. Erdkamp 2002 b, 67.
69 Bouby 2000.
70 Whittaker 2004, 103.
71 P. Lond., 2851; Saddington 1975, 194-195.
72 Funari 1995, 106.
73 Funari 2002, 244.
74 Bezeczky 1996.
75 Remesal Rodriguez 1986 ; 2002.
76 Le Roux 1986b, 248-249.
77 Strab., III, 4, 20.
78 Silvae, III, 3, 99-101.
79 Cosme 2007, 139.
80 Whittaker 2004, 88-114.
81 Whittaker 2004, 91.
82 Le Roux 1977, 350-353.
83 CIL XIII, 4623-5 et AE 1920, 118. Voir Reddé et al. 2006, 73.
84 Swan 2004, 260.
85 Swan 1999, 405.
86 Tac., Ann. XI, 20; Andreau 1990, 93.
87 Domergue et alii, 2006.
88 Cadiou 2008, 517.
89 Duncan-Jones 1994, 174-179.
90 Hopkins 1980.
91 Liv., XL, 40, 1.
92 Cadiou 2008, 265-267 et 663.
93 Keppie 1998, 64; Cosme 2007, 53-54.
94 Saddington 1975, 178.
95 Saddington 1975, 187-189.
96 Schnurbein 2006, 30-32.
97 Tac., Ann., II, 16-17; Saddington 1975, 179-181.
98 Saddington 1975, 192 ; Bérard 1994, 232.
99 Haynes 2001, 63.
100 Nous reprenons les chiffres de D. et F. Tassaux 1996, 154 (il faut ajouter dans la liste les Ségusiaves de l’ala II Sebosiana).
101 Le Roux 2007, 206.
102 Cheesman 1914, p. 176 ; Le Bohec 1990, 98-100.
103 Dobson et Mann 1973.
104 Le Roux 1985.
105 Holder 1998, 259-260.
106 Le Roux 1986 ; Southern, 1989. On évitera Kerneis 1998 entaché de graves erreurs factuelles et méthodologiques.
107 Reddé et al. 2006, 293.
108 Southern 1989, 97.
109 Cadiou 2008, 663.
110 2 Verr., 5, 50.
111 Cic., Pro Fonteio, 13.
112 Delestrée 1999, 22.
113 Cadiou 2008, 542.
114 Delestrée 1999, 31-32.
115 Pan. Lat. VIII (5), III tr. fr. E. Galletier, Paris, 1952, p. 92. Merci à Antony Hostein d’avoir attiré notre attention sur ce passage ; sur les rapports entre les Eduens et Rome on consultera sa thèse à paraître.
116 Cadiou 2008, 274.
117 BC, I, 39 ; Goudineau 2006, 728.
118 BC, III, 59-63 et 84. Voir Lamoine 2009, 81-82.
119 Tassaux et Tassaux 1996, 148-149.
120 Tac., Ann., III, 42 et 46 ; CIL XIII, 6230 ; Santrot et al., 2008.
121 Tac., Ann., XIV, 38 ; AE 2002, 880.
122 Dobson et Mann 1973, 193.
123 Santos Yanguas 1988 ; sur la géographie révélée par le nom des auxiliaires : Le Roux 1985, 94-96 et 2007, 208.
124 CIL II, 2103. L’ala Gigurrorum ne semble pas avoir existé, voir AE 1976, 296 puis AE 1981, 528 ; contra Santos Yanguas 1988, 176.
125 Plin., NH, III, 28.
126 Bref rappel de la bibliographie dans Ozcariz Gil 2006, 86-87.
127 Le Roux 2007, 208.
128 Christol 2000.
129 Le Roux 1985, 300-301.
130 En Bretagne, Rhétie et Syrie-Palestine au milieu du IIe siècle, mais voir Knight 1991, 207, n. 33 sur la possible identification de l’unité de Bretagne et de celle de Syrie-Palestine.
131 Le Roux 2003, 176-177.
132 Le Roux 1985, 295-296.
133 Roymans 1993.
134 Tac., Germ., 29.
135 Dobson et Mann, 1973, 194.
136 Alföldy 1968, 115.
137 Roymans 1993, 49.
138 Van Rossum 2004 ; Derks, 2009, 243.
139 Le Roux 1982, 42-49 ; Cadiou 2008, 619-627.
140 Cosme 2007, 103-121.
141 CIL I (2) 709 (ILS, 8888) ; ILLRP 515 ; Le Roux 1982, 39.
142 CIL XIII, 1041.
143 Birley 1986.
144 Eck et Wolff 1986; Cosme 2007, 175-197.
145 Tac., Agr., 28, 31.
146 RIB 2100, 2107-2108.
147 Christol 2001.
148 Woolliscroft et Hoffmann 2006.
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