1 Comme nous l’avons dit depuis le début, ce travail ne repose pas sur le prédicat de la « maladie fléau » et veut s’interroger avant tout sur l’expérience individuelle face à la maladie.
2 Il faut analyser le mouvement anti-sida à travers sa tension entre une orientation identitaire fortement tournée vers la question de l’homosexualité et une orientation communautaire plutôt orientée vers le thème de la maladie. Le premier versant étant incarné par Act-Up et le second par Aides.
3 On ne considère pas les associations comme un monde homogène. Certains utilisent l’image du mille-pattes pour en souligner la diversité. Pour exemple, voir Pinell, P., Bussher, P. O. (de), Thiaudière, C., « Le mille-pattes associatif : une approche sociologique », Journal du sida, n° 88, août 1996.
4 À titre d’exemple, s’est ainsi créée à Bordeaux (en 1995) l’association « Séro de conduite », composée de femmes volontaires en rupture de banc avec Aides. Ayant le sentiment de ne pas être entendues, ou que l’orientation stratégique de l’association ne faisait qu’une place marginale aux problèmes spécifiquement féminins du VIH, quelques-unes d’entre elles se sont regroupées dans cette nouvelle structure qui n’a pas survécu très longtemps, car l’association n’a pu se développer dans l’environnement concurrentiel de la subvention publique.
5 Auto Support des Usagers de Drogue.
6 G. Lefort, Libération 26-27 Juin 1999.
7 Au cours de cette émission, Act Up a accompli un de ses faits d’arme les plus mémorables en interpellant publiquement P. Douste-Blazy et en lançant le fameux « qu’est-ce que c’est que ce pays de merde ! ». La campagne de dons a été un échec (six fois moindre que ce qui avait été collecté deux ans auparavant) mais entre-temps, le sida avait changé de cycle pour entrer dans l’ère de la normalisation.
8 Sur ce point, voir Leroy-Forgeot, F., Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris, PUF, 1997.
9 Eribon D., Nouvel Observateur, juin 1999 : « le coming out, quelles que soient les conditions qui facilitent ou au contraire lui font obstacle est toujours pour chaque individu un geste intensément personnel qui ressemble à ce que Sartre appelle le choix originel, c’est-à-dire le libre choix que chacun peut faire de lui-même de sa vie. Cette idée sartrienne du choix que l’on fait – que l’on peut ou doit faire – de soi-même à tout moment de sa vie mais surtout au moment déterminant où l’on choisit ce que l’on sera en lançant ce « projet » dans le futur, ce choix présenté par Sartre comme un choix entre l’authenticité et l’inauthenticité me semble décrire à merveille la rupture profonde introduite dans les existences gaies par l’instant de la décision qui change tout le rapport au monde et aux autres ».
10 Voir Eribon, D., Réflexion sur la question gay, Paris, Fayard, 1999.
11 Lyotard, J. -F., La phénoménologie, Paris, PUF., p. 79.
12 Honneth, A., La lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 187.
13 Ce « soutien » se manifeste parfois par de petites choses mais qui comptent. Nous avons rencontré un malade hospitalisé pour qui le « moral » est revenu après le passage d’un volontaire de Aides. Ce malade n’avait aucune connaissance dans le milieu associatif anti-sida, ni dans la communauté gaie. Cette intervention a semble-t-il complètement retourné la dynamique dans laquelle il se trouvait. Artisan, il avait dû fermer son commerce pour subir une lourde hospitalisation. La maladie avait complètement enfermé son couple sur lui-même dans une atmosphère étouffante et morbide (son amant étant lui-même sidéen). Reclus, isolé, il se sentait maintenant épaulé. Quelqu’un qu’il ne connaissait pas lui avait exprimé sa sollicitude ouvrant, par ce geste, la possibilité même d’autres horizons plus favorables.
14 Ce type de consignes n’est pas le propre des associations de lutte contre le sida et bien des médecins en font également l’alpha et l’oméga de l’expérience du sida.
15 L’exemple du militant d’Act Up dans la rue courant sifflet à la bouche a été maintes fois avancé dans nos entretiens. Si du point de vue de l’action militante, ce type d’action est destinée à concrétiser une force et à retourner une image négative, du point de vue du malade, soit il en tire une force morale importante, soit il se sent complètement complexé devant une telle démonstration de force qui lui semble hors de portée.
16 Aussi, certains s’essaient à la « copie » et font le récit d’une expérience qui n’est pas la leur ou tentent de reprendre à leur compte les caractéristiques (désincarnées) de l’image publique des militants du sida. C’est ainsi qu’il y a parfois une très grande distance entre ce qu’ils dénoncent et ce qu’ils ont effectivement vécu.
17 Sur ce point, voir le très instructif compte rendu de la conférence de Vancouver rédigé par J. Pierret, « Personnes atteintes : témoignages et sciences sociales », Journal du sida/ANRS/Transcriptase, n° Spécial Automne 1998, p. 38-39. L’auteur s’interroge sur la place du témoignage des personnes concernées dans les congrès à caractère scientifique, elle note que les « experts convoqués » sont plutôt des personnes atteintes qui témoignent de leur propre expérience, tendance qui s’effectue au détriment des sciences sociales rendues du même coup dérisoires : « lors de chaque conférence, on peut s’interroger sur la place donnée à une approche s’appuyant sur le travail rigoureux et systématique de mise en forme et d’interprétation des données sur la vie quotidienne et la prise en charge des personnes atteintes, en regard de l’importance prise par l’expérience individuelle et le témoignage de personnes atteintes » (p. 39).
18 Sur ce point, voir notamment, Amselle, J. -L., Logiques métisses. Anthropologie de l’identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990.
19 Hérault, B., Lapeyronnie, D., « Le statut de l’identité. Les conflits sociaux et la protestation collective » in Galland, O., Lemel Y., (dir.), La nouvelle société française. Trente années de mutation, Paris, Armand Colin, 1998, (chapitre 7).
20 Pour un panorama de ces mouvements, voir Castells, M., Le pouvoir de l’identité. L’ère de l’information, T2, Paris, Fayard, 1999.
21 Raynaud, E. « Le militantisme moral », Mendras, H., (dir.), La sagesse et le désordre, France 1980, Paris, Gallimard, 1980, p. 275.
22 Herzlich, C., Pierret, J., Malades d’hier, malades d’aujourd’hui, op. cit., p. 82.
23 Dans la continuité du mouvement hygiéniste, un certain nombre de ligues avaient vu le jour dans une logique patronnesse de charité et/ou de contrôle social : Ligue contre la tuberculose 1892 ; contre la syphilis 1901 ; contre l’alcoolisme 1905 ou contre le cancer 1918. Le fonctionnement de celles-ci était intimement lié à la non-participation des personnes concernées. Avec la grande guerre, la situation change car les « gueules cassées » jouissent du statut de héros et peuvent revendiquer une participation effective plus grande.
24 Les laboratoires Bayer ont ainsi édité un Annuaire des associations de santé qui recense plus de 5000 associations françaises créées à l’initiative de malades ou de proches de malades. Certaines sont confidentielles, d’autres ont une assise nationale. La plupart jouent un rôle de veille d’alerte et de pression, notamment sur les instances publiques et les entreprises pharmaceutiques et veillent à la poursuite des recherches sur les pathologies en dépit parfois de leur marginalité statistique, et à l’accès aux soins. Ces associations constituent également une sorte d’immense réseau de solidarité. D’autres annuaires des associations, comme l’annuaire Tricot, offrent 12 000 adresses et contacts en France.
25 Voir Langlois, E., « Droits des malades : une nouvelle éducation morale », op. cit.
26 Castells, M., Le pouvoir de l’identité, L’ère de l’information, T2, op. cit.
27 Bettelheim, B., Survivre, Paris, Pluriel, 1986, p. 25.
28 Jaspers, K., La philosophie, 1936.
29 Voir Ricœur, P. Soi-même comme un autre., op. cit.
30 Cette idée est également exprimée chez Fischer, GN, Le ressort intime. Vivre l’extrême, op. cit, p. 110, où l’auteur tente de décrire les situations extrêmes au-delà du paradigme concentrationnaire. La notion s’en trouve partiellement dégagée de son caractère purement biologique (mort physique).
31 Honneth, A, La lutte pour la reconnaissance, op. cit., p. 110.
32 Boltanski, L., La souffrance à distance.op. cit., p. 58.
33 Nous avons été très étonné de l’ampleur que ce mouvement peut prendre, certains proches goûtent ainsi « en douce » les résidus de médicament restant dans le verre du malade à la fois pour partager leur destin mais également pour tenter de saisir de l’intérieur ce que vivent les malades. Voir Muller, I., Un amour sérodifférent, op. cit.
34 Ehrenberg, A., La fatigue d’être soi, op. cit., p. 242.
35 Baqué, M. F., Le deuil à vivre, Paris, Odile Jacob, 1992.
36 Thomas, L. V., La mort en question ; traces de mort, mort des traces, Paris, L’Harmattan, 1992.
37 Le Patchwork des noms est l’équivalent français du Names’ Project lancé en 1985 à San Francisco. Sur l’histoire difficile de son importation, voir « Sida, deuil, rituels et mémoire », Actes de la 23e rencontre du CRIPS et du musée des ATP, 9 Décembre 1995, 45 p. Sur le même thème, voir aussi Broqua, C., Loux, F., « Soins et lien social. A propos du Patchwork des Noms », Anthropologie et Sociétés, Vol 23, n° 2, p. 79-99. Pour une vue plus générale sur le thème du deuil et des rituels en temps de sida, voir Ethnologie Française, n° spécial, « Sida : deuil, mémoire et nouveaux rituels », Janvier-Mars 1998.
38 Baudry, P. La place des morts. Enjeux et rites, Paris, Armand Colin, 1999.
39 Simmel, G., « Métaphysique de la mort » in La tragédie de la culture, Paris, Rivage, 1988.
40 Jankélévitch, V., La mort, Paris, Flammarion, 1977.
41 Voir Hoggart, R., La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.
42 Pour cette thèse, voir Eribon, D., Réflexion sur la question gay, op. cit.
43 On pourrait même dire que la production d’un humour caractérisé et par ailleurs la mise en forme spécifique du souvenir de ses morts, constituent deux traits culturels universellement partagés.
44 Voir Stora Sandor, J., « Le rire minoritaire », Autrement, L’humour, un état d’esprit, n° 131, septembre 1992, p. 172-182.
45 Bignand, T., op. cit., p. 12.
46 « c’est sous une transposition hégélienne du christianisme que Marx se représente le mouvement moderne d’émancipation. De même que le dieu chrétien s’est abaissé au plus bas de l’humanité souffrante pour relever toute l’humanité entière, de même que le Sauveur, pour sauver tous les hommes a dû se réduire à ce degré de dénuement proche de l’animalité (…) de même que l’abaissement infini de Dieu était la condition infinie de l’homme, de même dans la dialectique de Marx, le prolétariat, le sauveur moderne a dû être dépouillé de toute garantie, dévêtu de tout droit, abaissé au plus profond du néant historique et social pour relever, en se relevant, toute l’humanité ». Jaurès, J. Etudes socialistes, cité in Lindenberg D., « La France allergique à la réforme ? Archéologie d’un échec », Esprit, mars-avril, 1999, p. 138-145.