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Républiques sœurs

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Pierre Serna

Quatrième partie. Les patriotes européens et les modèles républicains en miroir

Les patriotes italiens devant le modèle directorial français

Antonino De Francesco

Texte intégral

1Il est traditionnel, dans la culture politique transalpine, de souligner combien la France directoriale marqua la naissance de l’Italie moderne. Il n’en demeure pas moins que la reconnaissance de ce rôle a été de tout temps accompagnée de lourdes critiques et que les années du Triennio – de l’arrivée de Bonaparte en 1796 jusqu’à l’écroulement des Républiques sœurs en 1799 – ont été considérées sous l’angle d’une prépondérance française largement méprisable. Les troupes de la République mère exploitèrent la péninsule par la ponction fiscale, le pillage des richesses, les réquisitions, les taxes arbitraires, et elles interdirent toujours, aux patriotes italiens, l’unification du pays, inaugurant ainsi la domination napoléonienne.

  • 1 Giuseppe Sorge, Interpretazioni italiane della Rivoluzione francese nel secolo decimonono, Rome, E (...)
  • 2 Voir à ce propos les réflexions développées par Giuseppe Galasso, « La Rivoluzione incompresa ? St (...)

2Cependant, entre les deux lignes d’accusation, il existe des différences profondes : la première, qui relève surtout de la polémique contre-révolutionnaire, se maintint toujours minoritaire, même si elle est revenue alimenter les courants politiques actuels qui contestent la légitimité de l’État unitaire né du mouvement national au XIXe siècle ; la seconde, en revanche, qui a nourri la culture politique du patriotisme italien tout au long du Risorgimento, a été dominante pendant les premières décennies de l’État unitaire, car son effort pour classer les années du Directoire comme une époque de minorité politique devant la France révolutionnaire, disposait d’un large consensus parmi toutes les composantes, à droite comme à gauche, du mouvement national1. Cette unanimité interprétative face à la période directoriale représentait, tout bien considéré, une sorte de parcours obligé, car le refus de toute filiation de la période révolutionnaire permettait de légitimer d’un point de vue culturel autant qu’historique, la prétendue dimension autochtone, et donc tout à fait originale, du mouvement national dans la péninsule2.

  • 3 Pour ne prendre que quelques exemples, je renvoie, à ce propos, à Augusto Franchetti, Storia d’Ita (...)
  • 4 À cet égard, Je prends la liberté de renvoyer à Antonino De Francesco, Mito e storiografia della G (...)

3À ce propos, il est important de noter combien l’historiographie italienne, largement empruntée aux fondements culturels du discours étatique, valorisé au lendemain de l’unification, s’est largement appuyée sur la seconde ligne interprétative, inscrivant longtemps l’éveil intellectuel et politique de la péninsule dans une dimension indépendante de toute influence française3. Ceci explique pourquoi, à cheval sur les XIXe et XXe siècles, en un temps où les rivalités commerciales et coloniales avaient déclenché de fortes tensions entre la France et l’Italie, les références de plus en plus nationalistes aux origines de l’unité italienne ont comporté des remarques sévères envers le Directoire, dont la politique répressive face aux aspirations des patriotes, était constamment mise en évidence et lourdement exécrée. Il va de soi que les accusations de défendre les intérêts de la France aux dépens du peuple voisin étaient destinées à monter la preuve formelle de la constante et profonde inimitié française par rapport à l’Italie durant les années de l’entre-deux-guerres, lorsque les historiens liés au régime fasciste les manièrent4.

  • 5 Voir à ce propos le compte rendu sur les nouvelles tendances de l’historiographie italienne à chev (...)
  • 6 Les fortunes de cette ligne interprétative peuvent être suivies au travers de l’attention réservée (...)

4C’est pourquoi, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’effondrement du régime comporta la mise à l’écart de toute lecture nationaliste de l’unité italienne et la nécessité d’en réinterpréter, en profondeur, le processus de formation. Il s’ensuivit, par conséquent, une forte réévaluation du Triennio, qui restait bien sûr une période politique sous la tutelle de la domination française, mais dont on soulignait, cette fois-ci, combien la présence de l’Armée d’Italie avait apporté un élan certain à la cause de l’unité italienne5. Il y avait, dans cette lecture, une contradiction proposant comme un élément de progrès, un système politique – celui de la Constitution de 1795 – que l’historiographie révolutionnaire française avait depuis longtemps classé au registre de la réaction contre la période démocratique de l’an II. La nouvelle historiographie italienne essaya de résoudre le problème, en instaurant un lien direct entre les origines du Risorgimento et 1793 et proposa de rapprocher les patriotes unitaires italiens des Jacobins de l’an II par le biais d’un programme commun fondé sur l’adhésion totale aux valeurs du robespierrisme6.

  • 7 Sous cet angle, les recherches les plus pertinentes restent celle de Giorgio Vaccarino, I patrioti (...)
  • 8 À ce propos, je renvoie aux considérations désormais classiques de Delio Cantimori in Giacobini it (...)

5En séparant de cette manière les Jacobins italiens de toute affiliation à la politique du Directoire, le bilan pouvait somme toute tenir la route ; et la défaite des Jacobins italiens trouvait une fois de plus son bouc émissaire dans le gouvernement de Paris. Les historiens italiens pouvaient en effet soutenir que c’était grâce à la politique extérieure fort conservatrice de la France, que ses tenants italiens, installés au pouvoir par la force des baïonnettes et bien protégés par les agents civils du Directoire, avaient réussi à empêcher qu’une véritable révolution sociale pût avoir lieu7. Curieusement, au bout de ce parcours, la critique traditionnelle du nouvel ordre venu de France se maintenait, mais elle allait aussi s’inscrire dans un cadre interprétatif tout à fait opposé. Ainsi, l’opposition des patriotes italiens au Directoire n’était plus d’ordre tout simplement nationaliste, mais prenait une connotation de radicalisme social et politique, largement empruntée à la tradition révolutionnaire de l’an II. Les conséquences de cette ligne interprétative ne doivent pas être sous-estimées, puisque les Jacobins italiens incarnaient l’expression d’une Italie des meilleurs cependant minoritaire. Leur défaite mina la possibilité de tout progrès démocratique et ouvrit la voie à la formation d’un mouvement national, qui était destiné, dès le début, et de façon irréversible, à une dimension rétrograde, agressive et belliciste, dont le fascisme devait ensuite offrir la traduction politique la plus appropriée8.

  • 9 Pour lire le parcours historique de Carlo Zaghi, l’on renvoie ici à La Rivoluzione francese e l’It (...)
  • 10 Antonino DeFrancesco, Mito e Storiografia, op. cit., p. 159-169.

6Toutefois, force est de souligner combien, tout au long du XXe siècle, tandis que l’interprétation des années françaises évoluait, l’image du Directoire restait, en revanche, figée sous les traits d’un pouvoir occupant et répressif, animé par une politique autoritaire et corrompue, de conquête et de spoliation. Ceci apparaît de façon éclatante dans la parabole interprétative de Carlo Zaghi, l’historien ayant le plus rigoureusement approfondi les rapports entre le Directoire et les Républiques sœurs de la péninsule. Ce dernier aborda le sujet, dès les années Trente, en soulignant, d’après le schéma nationaliste, l’action heureuse des Italiens qui s’étaient battus pour la liberté et l’indépendance de leur pays contre la prépondérance française. Ensuite, au lendemain de la défaite du fascisme, il épouse l’interprétation « jacobine » du patriotisme de la péninsule et achève son travail, après des décennies de recherches, en 1992, dans deux volumineux tomes consacrés aux rapports entre Paris et la République cisalpine, dans lesquels il magnifie l’action unitaire des robespierristes italiens face à un Directoire, présenté comme un système de pouvoir tout simplement réactionnaire et antidémocratique9. Ces divergences interprétatives ne parviennent pas à cacher que Zaghi demeura tout le temps, fasciné par le même schéma explicatif – à savoir la mort, en l’espace de trois ans seulement, d’un esprit révolutionnaire – ce qui lui permettait de percer (et de motiver) les vraies raisons des défaites du radicalisme politique entre les XIXe et XXe siècles, d’abord lors de l’unification politique, puis au lendemain de la Grande Guerre, et ensuite, après l’expérience du fascisme, à l’occasion de la naissance de la République10.

  • 11 À ce propos, s’impose le renvoi au Directoire comme une belle période républicaine, et donc à Pier (...)

7Il s’agit d’un itinéraire qui résume d’une manière exemplaire les interprétations de la période jacobine par l’historiographie italienne du XXe siècle, mais qui révèle également une lecture du Directoire, réduit à son hostilité à l’égard des révolutionnaires italiens. De ce point de vue, peu importe que Zaghi propose, dans les années du fascisme, le système politique sorti de la Constitution de l’an III comme un bloc de pouvoir animé par la méfiance à l’égard des patriotes italiens et qu’à partir de la seconde moitié du siècle, en accord avec les perspectives de recherches de l’école historique révolutionnaire, il aille proposer ce même Directoire comme un système politique tout simplement réactionnaire. Au fond de ces représentations, de l’une comme de l’autre, il y a une idée du Directoire qui nuit à la complexité de l’action politique du gouvernement de Paris et en mésestime soit l’impact sur la naissance et les développements des pratiques révolutionnaires dans la péninsule, soit l’attitude que prirent à son égard les patriotes italiens11.

  • 12 À cet égard, voir Franco Venturi, « La circolazione delle idee », Atti del XXIII Congresso di stor (...)

8Les motivations de cette interprétation largement simpliste du rôle du Directoire dans l’Italie des Républiques sœurs sont de divers ordres, mais il paraît évident, d’après le tableau ci-dessus esquissé, que le souci de réserver aux patriotes italiens une dimension politique propre, finit par interdire toute dimension révolutionnaire à l’action du Directoire. Les résultats de cette perspective, dominée par le désir de souligner l’indépendance de jugement des patriotes italiens face aux directives de France, ont donc fini par faire obstacle à la possibilité d’appréhender la signification concrète de l’invasion de Bonaparte, qui détermina (rappelons-le) tout d’abord l’élargissement du processus révolutionnaire à l’ensemble de la péninsule et dans ce contexte-là, lui assura par conséquent, une forme de politisation calquée sur l’exemple de la France de l’an IV12.

9Ceci explique pourquoi, en un temps où les historiographies nationales ont désormais terminé leur parabole, il semble important de revenir sur la période révolutionnaire en Italie, en soulignant ce qui unit les patriotes italiens à la politique de la France directoriale, et non pas – comme on l’a fait jusqu’à présent – ce qui les distinguerait du système politique implanté à Paris. En d’autres termes, il s’agit de revenir sur les effets de l’invasion révolutionnaire, en la pensant comme un tournant décisif dans le processus de démocratisation de la péninsule et en minimisant, par conséquent, le poids de l’expérience culturelle précédente, dans la formation révolutionnaire des patriotes italiens. Il s’agit, tout simplement, de souligner que l’irruption des nouvelles pratiques, dominées par le recours à l’opinion publique, représente un passage destiné à effacer toute trace du rôle précédemment joué par la politique au temps des Lumières.

  • 13 Vincenzo Ferrone, La società giusta ed equa. Repubblicanesimo e diritti dell’uomo in Gaetano Filan (...)
  • 14 Voir Luciano Guerci, Istruire nelle verità repubblicane : la letteratura politica per il popolo ne (...)

10Toutefois, avouons-le : il s’agit là d’une considération préliminaire qui n’est pas du tout partagée par les historiens italiens qui insistent, pour la plupart, sur l’opportunité de rechercher dans la période réformatrice de la fin du XVIIIe siècle, les conditions nécessaires à l’engagement révolutionnaire des patriotes de la péninsule. Dans ce cas-là aussi, il n’est pas difficile de remarquer combien cette perspective de recherches, née à son tour dans un contexte nationaliste, constitue désormais un ensemble d’interprétations qui visent à aborder d’une manière bien différente la valeur politique du Triennio. Ainsi, pour n’évoquer que les plus récentes interprétations, l’invasion française, d’après Vincenzo Ferrone, aurait violemment empêché les progrès d’une culture politique radicale et constitutionnelle que les Lumières italiennes avaient à leur tour promue13. Luciano Guerci et plus récemment encore Vittorio Criscuolo, sont revenus sur la question, en équilibrant l’influence des Lumières avec celle de la Révolution de France pour insister, une fois de plus, sur l’importance de la Constitution de 1793, dans la formation d’une culture politique propre aux patriotes italiens14.

  • 15 Voir à ce propos Pasquale Villani, Rivoluzione e diplomazia : agenti francesi in Italia (1792-1798 (...)

11Il s’agit de deux positions qui me paraissent également insoutenables, car toutes deux, même si elles le font sous des angles opposés, nient la valeur fondatrice du régime directorial, expression de la Constitution de l’an III, dans la formation de la nouvelle identité politique italienne. Selon Ferrone, l’arrivée de Bonaparte aurait bouleversé jusque dans ses moindres détails une voie autonome vers la démocratie qui était déjà bien en place ; tandis que d’après la mise au point de Guerci et de Criscuolo, la naissance de Républiques sœurs sur le calque de la Constitution de l’an III aurait « encapsulé » l’action révolutionnaire des patriotes les plus prononcés, qui n’oublièrent jamais la charte montagnarde de l’année 1793. En revanche, s’il est vrai que certains Italiens, en refusant l’Ancien Régime, ne se considéraient pas comme des imitateurs des Français et s’il n’est pas douteux que d’autres se soient passionnés pour la Révolution, bien avant l’année 1796, il est encore plus évident que, jusqu’à l’arrivée de Bonaparte, la liberté d’action des patriotes italiens était presque nulle, que c’était la France qui donnait le ton aux conspirations des années immédiatement précédentes. Enfin, ce n’est qu’après les triomphes de l’Armée d’Italie, que s’ouvrit un espace politique révolutionnaire15.

  • 16 Cité dans Criscuolo, « L’idée de République chez les Jacobins italiens », Annales historiques de l (...)
  • 17 Dans Guerci, op. cit., p. 203-205.
  • 18 Renata De Lorenzo, Un regno in bilico. Uomini, eventi e luoghi nel Mezzogiorno preunitario, Rome, (...)

12Il va de soi dès lors, qu’au lendemain de l’arrivée des Français, il n’était pas question pour les patriotes italiens de repousser la Constitution de l’an III, mais tout simplement de l’accepter entièrement ou, selon les plus radicaux, de l’amender et de la corriger d’après la ligne politique proposée par les Jacobins de France. La convergence des extrémistes italiens avec les républicains démocrates transalpins était d’ailleurs en droite ligne de continuité avec leurs précédentes attitudes face aux progrès de la Révolution. Il ne faut pas oublier que les patriotes italiens furent brissotins à l’occasion de la guerre contre l’Empereur, qu’ils se rangèrent du côté de la Gironde, au lendemain de la chute de la monarchie, car ils étaient enthousiasmés par son bellicisme cosmopolite. Il ne passèrent avec armes et bagages à la Montagne que lorsqu’il parut évident que les robespierristes avaient gagné la partie et qu’ils étaient devenus les maîtres des fortunes révolutionnaires. Les preuves nous sont rapportées par les patriotes piémontais réfugiés en France, tel que Giovanni Battista Ranza, qui publia en 1793, à Monaco, un journal en langue italienne où il prônait les positions de la Gironde, puis celle des Montagnards et qui enfin condamna la tyrannie de Robespierre pour se ranger du côté des opposants au gouvernement révolutionnaire16. La même perspective est assumée par Vincenzo Gianelli, un Niçois qui, encore en 1798, tout en appréciant les bienfaits du gouvernement révolutionnaire de l’an II, ne manquait pas d’énumérer les nombreux mérites révolutionnaires du Directoire et de la Constitution de l’an III17. La même trajectoire se dessine enfin pour le cas napolitain, car il est prouvé que la politisation des nouvelles générations méridionales s’inscrivait dans une ligne politique de totale adhésion aux progrès révolutionnaires de la France. Ainsi, Carlo Lauberg, le fondateur des clubs napolitains, était encore favorable à la Gironde en 1792, avant de rejoindre la Montagne en 1793, et passer ensuite au soutien d’une politique anti-terroriste au lendemain de la chute de Robespierre18.

  • 19 Je me distingue ici des considérations de Anna Maria Rao, qui en se rapprochant des réflexions déj (...)

13Ces exemples d’un « opportunisme politique », souvent évoqués par Guerci et Criscuolo quand les parcours révolutionnaires des patriotes radicaux s’écartent du bon chemin robespierriste, sont le témoignage le plus évident de la crainte (pour des patriotes visant à révolutionner l’Europe entière, grâce cependant au seul soutien des armées françaises…) de faire le mauvais choix, à l’occasion des nombreux conflits qui causèrent la rupture de l’unité des républicains français. C’est pourquoi, tout en confirmant la nécessité de mettre à part des interprétations formulées à partir de cas particuliers nullement généralisables, il me paraît préférable d’insister sur l’année 1796 telle quelle, c’est-à-dire sur les effets concrets de l’invasion de la péninsule, qui assuraient au début la simple satisfaction, mais avec le temps l’utilisation originale aussi, de nouvelles catégories et de nouvelles pratiques politiques. Il s’agit à cet égard de mettre en évidence comment la parution des idées nouvelles reposa, d’une manière aussi soudaine qu’imprévisible, sur les pratiques institutionnelles des troupes françaises, implantées dans la péninsule et comment, par conséquent, l’invasion militaire noua des solidarités révolutionnaires, qui ne peuvent se comprendre que si elles sont resituées dans l’horizon concret aussi bien de la pratique politique de l’Italie libérée que de la France directoriale19. En effet, il me paraît important de souligner comment une pluralité de perspectives politiques, autant que leurs fortunes ultérieures, a pu naître de la confrontation entre les nécessités des occupants et les aspirations de leurs alliés italiens et de remarquer, par conséquent, que c’est dans ce contexte-là qu’il faut situer l’attitude des patriotes transalpins face au Directoire.

  • 20 Voir deux exemples bien importants à cet égard : Eugenio Di Rienzo, « Néo-jacobinisme et question (...)
  • 21 Voir Bernard Gainot, « I paradossi della democratizzazione delle repubbliche sorelle », in Antonin (...)
  • 22 Bernard Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ?, Paris, CTHS, 2001, p. 400-448.

14La médiation des occupants est donc à ce propos, fondamentale, car dès le début, ce sont les militaires encore, plus que les agents civils qui organisent la vie politique dans l’Italie libérée sous la forme de création d’une presse patriotique et d’ouverture de cercles constitutionnels20. L’antinomie de ces deux pouvoirs implantés dans l’Italie occupée par les troupes françaises détermina, par conséquent, la création d’autant de partis politiques dans les Républiques sœurs de la péninsule, car il va de soi que les agents civils mirent tout en œuvre pour rallier les nouvelles autorités locales aux indications de Paris et qu’en revanche les militaires passèrent à leur tour au soutien des patriotes qui étaient restés exclus du pouvoir21. De ce point de vue, donc, l’on ne doit pas mésestimer le rôle, tout à fait fondamental, joué par les militaires français dans la radicalisation du processus politique de la péninsule. D’ailleurs, comme on le sait, Bonaparte et, ensuite, les autres généraux français de l’Armée d’Italie, dans leurs rapports concurrentiels avec les autorités de Paris, ne dédaignèrent jamais de s’appuyer aussi bien sur les opposants français que sur les groupes politiques locaux pour imposer au Directoire une politique de plus en plus belliciste22.

  • 23 Pierre Serna, Antonelle, aristocrate revolutionnaire, 1747-1817, Paris, Éditions du Félin, 1997, p (...)
  • 24 Bernard Gainot, « Être républicain et démocrate entre Thermidor et Brumaire », Annales historiques (...)

15C’est sous cet angle qu’il faut prendre en compte l’action politique des patriotes italiens et que l’on peut, par conséquent, comprendre comment ils se rapportaient au Directoire. À cet égard, rappelons tout d’abord que les progrès de la vie politique révolutionnaire en Italie se situent entre l’arrestation de Babeuf (Bonaparte arrive à Milan au moment même de la découverte de la conspiration, mai 1796) et Fructidor an V (septembre 1797) (qui se déroula quelques semaines après l’imposition, par Bonaparte lui-même, à la Cisalpine et à la Ligurienne d’une Constitution qui était l’authentique traduction de celle de l’an III). La phase de l’invasion militaire proprement dite correspond donc au moment le plus difficile pour les démocrates français qui reprochaient à la Charte de l’an III, bien des restrictions au libre exercice de la souveraineté populaire et qui visaient à renforcer les liens avec certains milieux de l’armée, qu’ils considéraient comme le dernier rempart pour empêcher un dérapage réactionnaire de la politique du Directoire23. À ce propos, l’Italie paraissait fournir une confirmation des attentes des opposants de gauche au Directoire, car l’armée de Bonaparte pouvait imposer, contre la volonté de Paris, la centralité de la guerre dans le cadre d’une reprise révolutionnaire de la politique française. D’où la prise de contacts et la naissance d’une entente entre les démocrates français et les patriotes italiens que la reprise des opérations militaires aurait ensuite contribué à cimenter24.

  • 25 Antonino De Francesco, « La constitution de l’an III et les républiques jacobines italiennes », Me (...)
  • 26 Bernard Gainot, « La notion de démocratie représentative : le legs néo-jacobin de 1799 », L’image (...)
  • 27 Voir Giuseppe Compagnoni, Elementi di diritto costituzionale democratico, ossia principi di giuspu (...)

16Ces observations nous permettent de mieux comprendre pourquoi, par rapport à la Constitution de 1795, les réserves des patriotes italiens ont persisté jusqu’à la Révolution de Fructidor, pour s’évanouir rapidement au lendemain du remaniement du Directoire et de l’extension aux Républiques cisalpine et ligurienne de la Charte de l’an III25. Encore une fois, plutôt que de mettre l’accent sur l’opportunisme qui cacherait mal la passion des patriotes radicaux italiens à l’égard de la Constitution de 1793, il vaudrait bien mieux souligner combien le débat politique italien s’inscrivait dans les lignes directives de la politique française. Ce n’est donc pas un hasard si, au lendemain de Fructidor an V, la Constitution de l’an III devint un des points principaux de la reprise démocratique. Parallèlement à ce qui était en train de se passer en France, les patriotes italiens allaient accentuer une ligne politique devenue respectueuse du nouvel ordre constitutionnel. En effet, vers la fin de l’année 1797, le revirement politique est largement accompli et il paraît encore une fois dans le droit fil des processus politiques de la France révolutionnaire, quand les néo-Jacobins appellent à l’union autour de la Constitution de l’an III pour en faire le bouclier d’un jeu démocratique organisé par le biais des élections26. De la même manière, à Milan, les cercles patriotiques structurent leurs débats d’idées et la création d’un espace politique autour de l’affirmation de principes démocratiques qui sont néanmoins énoncés et placés dans le cadre constitutionnel. C’est ainsi, par exemple, qu’il nous faut appréhender la parution, à la fin de l’année 1797, des leçons de droit constitutionnel démocratique par le patriote Giuseppe Compagnoni. C’est en ce sens que nous devons lire les dernières pages de l’ouvrage, où l’on insiste sur l’importance de la démocratie représentative, en relevant de quelle manière, contre toute prétendue démocratie pure, elle peut garantir la défense des prérogatives du peuple souverain27.

17De plus, il n’est pas inutile de signaler que l’ouvrage est dédié aux Directeurs cisalpins, députés par le peuple souverain – d’après les paroles de Compagnoni – à la défense de la liberté et à la garantie de l’ordre constitutionnel. Cet exergue en dit long sur l’attitude des patriotes italiens face au système politique français, à condition que la Cisalpine soit modelée, comme on le sait, d’après le schéma de la République mère. Loin de toute grille idéologique propre à une historiographie dont il a déjà été question, il n’est plus possible de soutenir l’existence d’un conflit acharné entre les patriotes italiens et le Directoire. Il n’est pas non plus inutile de remarquer que les rapports franco-italiens, tout au long du Triennio, démentent la vision de la lutte contre un pouvoir perçu comme modéré ou (encore pire) comme réactionnaire et donc inévitablement adversaire de l’unité de la péninsule. La dynamique politique de l’Italie libérée impose néanmoins de différencier le Directoire, tel que le système politique de la Constitution de l’an III l’a voulu, des différentes équipes de directeurs en place parfois opposées.

18L’attention des patriotes italiens vis-à-vis de la lutte politique qui se déroulait en France, l’appui qu’ils cherchèrent auprès des généraux français pour réclamer la continuation des hostilités dans la péninsule, la politisation démocratique qui les amena à se ranger du côté des néo-Jacobins, lesquels s’opposaient à leur tour à une politique extérieure de plus en plus marquée par la guerre de conquête et de spoliation, sont donc autant d’éléments qui révèlent le poids de la question italienne sur les équilibres de la politique française et qui sont à prendre en considération d’une manière conjointe et indivisible, afin de saisir la dynamique concrète des rapports entre les patriotes transalpins et le gouvernement de Paris.

19C’est une perspective qui permet tout d’abord de redéfinir les différences politiques existantes à l’intérieur du mouvement patriotique italien entre les modérés et les radicaux : les uns, favorables à une paix qui confirmait le pouvoir qu’ils venaient de prendre sous les auspices des autorités civiles françaises, se ralliaient à la ligne politique du Directoire, ligne de plus en plus méfiante par rapport à l’expansionnisme révolutionnaire prôné par l’Armée d’Italie. Les autres, qui réclamaient à leur tour le pouvoir local, se rangeaient du côté des autorités militaires et dès qu’ils furent majoritaires, mirent tout en œuvre pour s’affranchir de la tutelle directoriale en souhaitant en même temps que le parti de la guerre révolutionnaire prît le dessus en France. Bref, tandis que le Directoire et ses alliés dans la péninsule ne voulaient pas avancer un seul pion sur l’échiquier italien, car la reprise des hostilités impliquait un dérèglement de l’équilibre si difficilement acquis, à leur tour, le parti favorable à la guerre révolutionnaire et ses alliés italiens se déplaçaient en sens contraire.

  • 28 Antonino De Francesco, Rivoluzione e costituzioni : saggi sul democratismo politico nell’Italia na (...)
  • 29 De Francesco, 1799, op. cit., p. 45-57.
  • 30 Baldo Peroni, « La Costituzione o la morte ! Il colpo di stato dell’ambasciatore Trouvé nella repu (...)

20Alors se comprennent mieux et d’une manière plus précise, les moments de tension intervenus entre les patriotes italiens et le gouvernement de Paris : l’invasion de la péninsule avait élargi la géographie de la politique révolutionnaire, intégrant la Cisalpine dans le schéma d’une pratique empruntée à la guerre révolutionnaire, dont l’illustration est rapportée par les initiatives insurrectionnelles organisées au Tessin, à Lucques et en Piémont, par des réfugiés italiens à Milan28. Enfin, l’extension du conflit à la péninsule entière, destinée à nourrir les ambitions territoriales de Milan, était bien le spectre que, depuis le printemps de l’année 1798, le Directoire redoutait le plus, car la reprise de la guerre en Italie impliquait l’impossibilité de stabiliser le nouvel ordre français en Europe29. Ce n’est donc pas un hasard si la crise entre Paris et Milan éclate au printemps 1798, lorsque le Directoire, pour bloquer les ambitions territoriales de la République sœur, pousse tout d’abord à la création de la République romaine et, après avoir imposé un humiliant traité d’alliance à la Cisalpine, y réalise, en août, par son ambassadeur Trouvé, un coup d’État qui implique une révision de la Constitution sur le modèle, bien plus restrictif, de celle précédemment rédigée pour Rome30.

  • 31 Archives nationales, AF III 71, d. 290, lettre de Rivaud au Directoire exécutif datée de décembre (...)
  • 32 Zaghi, Il Direttorio francese, op. cit., vol. II, p. 473-536 sur la prétendue offensive directorial (...)

21Depuis ce moment, une géométrie de correspondances strictes, réglées par tous les historiens du Triennio, pèse impitoyablement sur l’interprétation de la dynamique politique qui s’ensuit ; une lecture qui dépasse les limites chronologiques des événements qu’on vient de rappeler, pour déterminer une vision globale des rapports entre le Directoire et les patriotes italiens, dont les intérêts sont toujours définis comme inconciliables avec la ligne politique du gouvernement de Paris. Ainsi, cette divergence expliquerait pourquoi les patriotes italiens se seraient résolument rangés du côté de l’Armée d’Italie, dont les commandants déclenchèrent, à leur tour, une véritable offensive contre toute politique de statu quo dans la péninsule. Au mois d’octobre 1798, Brune, commandant en chef de l’Armée d’Italie, en accord avec le nouvel ambassadeur Fouché, opéra un contrecoup d’État dans la Cisalpine qui ramena au pouvoir ceux qui avaient été écartés par Trouvé ; puis, au mois de décembre, Joubert, qui avait entre-temps remplacé Brune, intervenait manu militari contre le roi de Sardaigne en démocratisant le Piémont, et Championnet, à son tour, après avoir repoussé l’offensive du roi Ferdinand de Bourbon, marchait sur Naples où il instaura, au mois de janvier 1799, à l’insu de Paris, encore une autre République. Le Directoire, de son côté, redoutant le triomphe en Italie de ses opposants, réagit au défi des militaires en continuant son commerce de la nation alliée et en intervenant encore une fois d’une manière brutale dans la vie politique de la République cisalpine. À la mi-décembre, le nouvel ambassadeur français à Milan, Rivaud, remaniait le Directoire cisalpin, en excluant ceux qui étaient proches du général Brune – « impatiens de secouer ce qu’ils appellent le joug des Français », d’après ses propres paroles31 – pour les remplacer avec des hommes fiables et aux ordres de Paris32.

  • 33 Anna Maria Rao, « Républiques et monarchies à l’époque révolutionnaire : une diplomatie nouvelle ? (...)
  • 34 Voir à cet égard les pages de Anna Maria Rao, « Les exilés italiens et Brumaire », Annales histori (...)

22Ainsi, exploitant les Républiques sœurs et refusant de se plier aux faits accomplis par Joubert et Championnet, le Directoire avait désormais jeté le masque : il démontrait sa recherche d’un accord de paix avec les monarchies et sa volonté d’en finir avec des Républiques, réputées alliées, mais qui n’étaient et ne devaient rester que subordonnées33. Sur cette interprétation classique du rôle du Directoire en Italie, pèsent d’une manière évidente les défaites militaires qui, au printemps 1799, provoquèrent l’écroulement des Républiques italiennes, la fuite en France de nombreux patriotes, leur ralliement à l’offensive politique des néo-Jacobins contre un Directoire tout de suite accusé de n’avoir pas réalisé les buts révolutionnaires indissolublement liés à l’invasion de la péninsule. Ces éléments expliquent paradoxalement l’enthousiasme éprouvé par bien des patriotes, à l’occasion de Brumaire et de la prise du pouvoir par Bonaparte34.

23En revanche, il ne faudrait pas oublier qu’auparavant, dans les premiers mois de l’année 1799, la reprise obligée de la guerre avec l’Autriche avait comporté un bouleversement des équilibres italiens. La création d’un gouvernement provisoire à Turin, la naissance de la République napolitaine et l’occupation de la Toscane, sont autant d’épisodes qui semblèrent marquer des points pour le parti italien et en quelque sorte obliger le Directoire à accepter le fait accompli d’une coopération des Républiques sœurs à la politique révolutionnaire.

  • 35 Archives nationales, AF III 71, d. 290, lettre de Rivaud au Directoire exécutif datée 30 frimaire (...)

24La preuve nous en est donnée par les événements politiques de la Cisalpine au lendemain du coup d’État de l’ambassadeur Rivaud. Celui-ci dut faire marche arrière devant la levée de boucliers d’autres patriotes qui, en condamnant fermement la violence perpétrée à la nation cisalpine et en en appelant à Joubert, obtinrent la création d’un exécutif où tous les courants étaient représentés au nom du soutien à la guerre révolutionnaire35.

  • 36 Archivio di stato di Milano, Fondo Testi, b. 308, convention entre la République française et la R (...)

25Le 17 janvier 1799, à la veille de la chute de Naples, Rivaud, de plus en plus inquiet, adressait au Directoire, un mémoire rédigé par le nouveau Directoire milanais qui prêchait l’élargissement de la Cisalpine à l’ouest, en lui intégrant des territoires qui appartenaient à la République piémontaise nouvelle-née. Ainsi, l’exécutif mis en place par le coup d’État de Rivaud – le gouvernement soi-disant marionnette par excellence, d’après l’historiographie italienne – pouvait exercer, grâce aux opérations militaires, désormais inévitables, une pression considérable sur le Directoire. En effet, le 18 mars 1799, une convention secrète était rédigée entre les deux Républiques, qui ratifiait comment pourvoir à tous les besoins de l’armée destinée à la défense commune de l’Italie. Dans cette intention, la Cisalpine promettait de payer six millions de lires italiennes, mais Paris s’engageait à son tour à obtenir du gouvernement provisoire du Piémont la cession en faveur de Milan d’une quantité de biens nationaux de valeur équivalente, situés dans les territoires limitrophes du Novarais et de la Lomelline36.

26Le Piémont, qui venait de refuser l’union avec Milan, devenait donc le destinataire de l’addition à la table de la guerre révolutionnaire : en revanche, il est évident que les victoires militaires promettaient de renforcer l’indépendance de Milan, car la paix victorieuse aurait, d’un côté, éloigné l’Autriche de la péninsule, et de l’autre, aurait assuré, par des avantages territoriaux à la Cisalpine, la création d’une grande République italienne dans le nord de la péninsule, soucieuse d’établir sur des bases politiques bien plus solides, son alliance avec la France.

27La défaite militaire effaça tout, et la fuite du Directoire cisalpin à Chambéry à la suite de l’ambassadeur français Rivaud fit éclore les critiques des patriotes italiens face à une politique directoriale qui avait conduit à la perte de la péninsule. De prairial an VII jusqu’à brumaire an VIII, la question italienne resta ainsi au centre du débat politique français et la haine à l’encontre du Directoire, responsable de l’écroulement des Républiques italiennes, joua un rôle très important dans l’enthousiasme pour Bonaparte – ce que plusieurs patriotes italiens confirmèrent à l’occasion du coup d’État de Brumaire.

28Ainsi, prenait forme l’image d’un Directoire toujours contrecarré par les patriotes italiens, dont les conséquences ont été esquissées au début de cette intervention. Toutefois, il semble que les argumentations ici proposées laissent entrevoir un rapport politique entre le Directoire et les patriotes italiens que l’on ne peut réduire sous les termes de la seule confrontation et qu’il faudrait énoncer de façon bien plus nuancée. À ce propos, une piste de recherche nous est indiquée par les considérations imprimées en 1798, lors de son exil allemand, par le général Dumouriez. Ce dernier, grand spécialiste de surenchères révolutionnaires, interprétait d’une manière brillante la polémique des patriotes italiens par rapport au Directoire comme le résultat d’une discorde-concorde. Il notait, de ce fait, que la Cisalpine,

  • 37 Charles-François Dumouriez, Tableau spéculatif de l’Europe, Hambourg, s.n.t., 1798, p. 72 et 75.

« […] déjà elle entretient une armée, déjà elle avance une dette de 63 millions, déjà elle montre l’inquiétude des peuples libres, déjà elle a besoin de la guerre pour subsister, déjà elle a besoin de piller et de s’agrandir […] les Français semblent avoir dit aux Cisalpins : nous voulons que vous soyez libres, nous vous l’ordonnons, mais nous vous défendons de vous arroger le droit d’incorporation réservé à la République mère. La sévérité de cette loi diminuait de beaucoup la reconnaissance des Cisalpins, qui s’émanciperont dès qu’ils le pourront, et deviendront un jour les ennemis des fondateurs de leur liberté37 ».

29Des considérations, comme celles de Dumouriez, confirment, à l’encontre des perspectives à la racine nationaliste évoquées précédemment, combien les tensions du côté italien n’étaient que la conséquence directe de l’application des règles du jeu révolutionnaire dans la péninsule. Le temps est donc venu de reprendre en main le dossier directorial en Italie pour suggérer que les divergences entre les patriotes italiens et la France surgirent par un esprit d’émulation révolutionnaire et non par une attitude d’opposition dans un jeu de miroir.

Notes

1 Giuseppe Sorge, Interpretazioni italiane della Rivoluzione francese nel secolo decimonono, Rome, Edizioni dell’Ateneo, 1973.

2 Voir à ce propos les réflexions développées par Giuseppe Galasso, « La Rivoluzione incompresa ? Storiografia italiana e Rivoluzione francese », Prospettive Settanta, XII, 1990, p. 27-39, contre la lecture de Furio Diaz, L’incomprensione italiana della Rivoluzione francese, Turin, Bollati Boringhieri, 1989, qui souligne un déficit d’ordre conservateur dans la culture politique de l’Italie du Risorgimento.

3 Pour ne prendre que quelques exemples, je renvoie, à ce propos, à Augusto Franchetti, Storia d’Italia dal 1789 al 1799, Milan, Vallardi, 1878 ; Carlo Tivaroni, L’Italia durante il dominio francese, Turin, Roux, 1889 ; Arrigo Solmi, L’idea dell’unità italiana nell’età napoleonica, Modène, Società tipografica modenese, 1934 ; Ettore Rota, Le origini del Risorgimento, Milan, Vallardi, 1938 ; et à Renato Soriga, Le società segrete, l’emigrazione politica e i primi moti per l’indipendenza, Modène, Tipografia modenese, 1942.

4 À cet égard, Je prends la liberté de renvoyer à Antonino De Francesco, Mito e storiografia della Grande Rivoluzione. La Rivoluzione francese nella cultura politica italiana del ‘900, Naples, Guida, 2006, p. 171-286.

5 Voir à ce propos le compte rendu sur les nouvelles tendances de l’historiographie italienne à cheval sur la Seconde Guerre mondiale proposé par Pia Onnis, « Les études italiennes sur l’histoire de la Révolution française de 1940 à 1949 », Annales historiques de la Révolution française, XXII, 1950, p. 358-361.

6 Les fortunes de cette ligne interprétative peuvent être suivies au travers de l’attention réservée par les historiens italiens à Philippe Buonarroti. Voir Pia Onnis Rosa, Filippo Buonarroti e altri studi, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1971 (mais certains articles recueillis remontent à la fin des années trente) ; Filippo Buonarroti, La congiura per l’uguaglianza o di Babeuf, a cura di G. Manacorda, Turin, Einaudi, 1946 ; Armando Saitta, Filippo Buonarroti : contributi alla storia della sua vita e del suo pensiero, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1950-1951 ; Alessandro Galante Garrone, Buonarroti e Babeuf, Turin, Da Silva, 1948 ; id., Filippo Buonarroti e i rivoluzionari dell’Ottocento, 1828-1837, Turin, Einaudi, 1951.

7 Sous cet angle, les recherches les plus pertinentes restent celle de Giorgio Vaccarino, I patrioti « anarchistes » e l’idea dell’unità italiana, 1796-1799, Turin, Einaudi, 1955.

8 À ce propos, je renvoie aux considérations désormais classiques de Delio Cantimori in Giacobini italiani, Bari, Laterza, 1956, vol. I, p. 407-416. Sur le parcours historique de ces réflexions, qu’il me soit permis de renvoyer à Antonino DeFrancesco, « Crises politiques et changements d’opinion dans l’Italie contemporaine : l’exemple de l’historiographie sur le Jacobinisme, 1943-1956 », Politix, no 56, 2001, p. 123-133.

9 Pour lire le parcours historique de Carlo Zaghi, l’on renvoie ici à La Rivoluzione francese e l’Italia, Naples, Cymba, 1966 (articles publiés depuis 1934) et à Il Direttorio francese e la Repubblica cisalpina, Rome, Istituto storico per l’età moderna e contemporanea, 1992, 2 vol. Pour l’analyse de son interprétation du jacobinisme italien, voir Anna Maria Rao, « Il Giacobinismo italiano nell’opera di Carlo Zaghi », Studi storici, 45, 2004, p. 47-82.

10 Antonino DeFrancesco, Mito e Storiografia, op. cit., p. 159-169.

11 À ce propos, s’impose le renvoi au Directoire comme une belle période républicaine, et donc à Pierre Serna, « Le Directoire… Un non lieu de mémoire à revisiter », in Philippe Bourdin et Bernard Gainot (éd.), La République directoriale, Paris, Société d’études robespierristes, 1998, t. I, p. 37-64. Mais voir aussi Pierre Serna, La République des Girouettes, Paris, Champ Vallon, 2005, p. 414-466.

12 À cet égard, voir Franco Venturi, « La circolazione delle idee », Atti del XXIII Congresso di storia del Risorgimento (Florence, 9-12 septembre 1953), Rome, Vittoriano, 1954, p. 33-42. Selon les grands historiens des Lumières, il n’y aurait jamais eu un mouvement jacobin italien, car au moment de l’arrivée de Bonaparte à Milan, Robespierre et la Terreur avaient déjà disparu. Les critiques qui lui furent réservées en disent long sur la tendance des historiens italiens à se lier en toute conscience à l’historiographie de la Révolution française. Voir à propos du débat qui s’ensuivit Antonino De Francesco, « Aux origines du mouvement démocratique italien : quelques perspectives de recherche d’après l’exemple de la période révolutionnaire, 1796-1801 », Annales historiques de la Révolution française, 1997, p. 336-337 ; Eugenio Di Rienzo, « L’“histoire de si” et l’“histoire des faits”. Quelques perspectives de recherche à propos de l’historiographie italienne sur la période révolutionnaire, 1948-2000 », ivi, no 334, 2003, p. 119-138.

13 Vincenzo Ferrone, La società giusta ed equa. Repubblicanesimo e diritti dell’uomo in Gaetano Filangieri, Rome/Bari, Laterza, 2003. La perspective de Ferrone, qui semble reprendre les thèses de Furio Diaz, Dal movimento dei lumi al movimento dei popoli : l’Europa tra illuminismo e rivoluzione, Bologne, il Mulino, 1986, a ouvert un débat, dont les passages sont représentés par les considérations de Carlo Capra, « Repubblicanesimo dei moderni e costituzionalismo illuministico : riflessioni sull’uso di nuove categorie storiografiche », Società e Storia, no 100-101, 2003, p. 355-371, qui confirment le prétendu équilibre entre Lumières et Révolution (« come non è possibile ridurre i Lumi a prologo o annuncio della Rivoluzione, così non è giusto ridurre la Rivoluzione ad appendice o ad antitesi dei Lumi »). Voir à propos de ces considérations, le soutien offert par Vittorio Criscuolo, Albori di democrazia nell’Italia in Rivoluzione, 1792-1802, Milan, Angeli, 2006, p. 31-68, qui en partage en tout et partout les critiques, et la réplique accordée à Ferrone, « Risposta a Carlo Capra », Società e Storia, no 104, 2004, p. 401-407.

14 Voir Luciano Guerci, Istruire nelle verità repubblicane : la letteratura politica per il popolo nell’Italia in Rrivoluzione, 1796-1799, Bologne, il Mulino, 1999 et Vittorio Criscuolo, Albor, op. cit. Les deux travaux s’inscrivent dans un débat qui anima longtemps l’historiographie italienne (voir à ce propos Anna Maria Rao, « Lumières et révolution dans l’historiographie italienne », Annales historiques de la Révolution française, no 334, 2003, p. 83-104) et qui informe encore le numéro spécial dédié au Triennio par les Annales historiques de la Révolution française (n ° 313, 1998) : importantes à cet égard sont les pages introductives de Anna Maria Rao (L’expérience révolutionnaire italienne, ivi, p. 387-407), qui semblent proposer que les Lumières ne furent pas du tout annihilées par la fracture révolutionnaire, car elles soulignent d’une part la continuité culturelle et de l’autre l’originalité des pratiques politiques. Il reste, à mon avis, que si le Triennio fut une période révolutionnaire – et personne n’en doute – il devrait aller de soi que la pratique eût bien évidemment le dessus sur les idées.

15 Voir à ce propos Pasquale Villani, Rivoluzione e diplomazia : agenti francesi in Italia (1792-1798), Naples, Vivarium, 2002, p. 1-51.

16 Cité dans Criscuolo, « L’idée de République chez les Jacobins italiens », Annales historiques de la Révolution française, no 296, 1994, p. 279-296 et dans id., Albori, op. cit., p. 239-241.

17 Dans Guerci, op. cit., p. 203-205.

18 Renata De Lorenzo, Un regno in bilico. Uomini, eventi e luoghi nel Mezzogiorno preunitario, Rome, Carocci, 2001, p. 17-37 et Antonino De Francesco, 1799. Una storia d’Italia, Milan, Guerini, p. 29-31.

19 Je me distingue ici des considérations de Anna Maria Rao, qui en se rapprochant des réflexions déjà citées de Venturi, propose d’aborder le Triennio moins en termes d’exportation révolutionnaire que sous l’angle de la circulation des hommes et des idées. Voir à ce propos Anna Maria Rao, « Les républicains démocrates italiens et le Directoire », La République directoriale, op. cit., t. II, p. 1057-1090.

20 Voir deux exemples bien importants à cet égard : Eugenio Di Rienzo, « Néo-jacobinisme et question italienne à travers les manuscrits de Marc Antoine Jullien de Paris (1796-1801) », Annales historiques de la Révolution française, no 313, 1998, p. 493-514 et Bernard Gainot, « I rapporti franco-italiani nel 1799 : tra confederazione democratica e congiura politico-militare », Società e storia, no 76, 1997, p. 345-376.

21 Voir Bernard Gainot, « I paradossi della democratizzazione delle repubbliche sorelle », in Antonino De Francesco (éd.), La democrazia alla prova della spada. Esperienza e memoria del 1799 in Europa, Milan, Guerini, 2003, p. 33-43.

22 Bernard Gainot, 1799, un nouveau jacobinisme ?, Paris, CTHS, 2001, p. 400-448.

23 Pierre Serna, Antonelle, aristocrate revolutionnaire, 1747-1817, Paris, Éditions du Félin, 1997, p. 241-388.

24 Bernard Gainot, « Être républicain et démocrate entre Thermidor et Brumaire », Annales historiques de la Révolution française, no 308, 1997, p. 193-198.

25 Antonino De Francesco, « La constitution de l’an III et les républiques jacobines italiennes », Mededelingen van het Nederlands Instituut te Rome, no 57, 1998, p. 100-104.

26 Bernard Gainot, « La notion de démocratie représentative : le legs néo-jacobin de 1799 », L’image de la Révolution française, Congrès mondial du Bicentenaire, Oxford, Pergamon Press, 1989, vol. I, p. 523-529 ; Pierre Serna, Antonelle, op. cit., p. 343-385.

27 Voir Giuseppe Compagnoni, Elementi di diritto costituzionale democratico, ossia principi di giuspubblico universale, Vénétie, Curti, 1797, chap. 14.

28 Antonino De Francesco, Rivoluzione e costituzioni : saggi sul democratismo politico nell’Italia napoleonica, 1796-1821, Naples, Esi, 1996, p. 29-50.

29 De Francesco, 1799, op. cit., p. 45-57.

30 Baldo Peroni, « La Costituzione o la morte ! Il colpo di stato dell’ambasciatore Trouvé nella repubblica cisalpina », Miscellanea in onore di Roberto Cessi, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1958, vol. II, p. 503-516.

31 Archives nationales, AF III 71, d. 290, lettre de Rivaud au Directoire exécutif datée de décembre 1798.

32 Zaghi, Il Direttorio francese, op. cit., vol. II, p. 473-536 sur la prétendue offensive directoriale contre la démocratie cisalpine.

33 Anna Maria Rao, « Républiques et monarchies à l’époque révolutionnaire : une diplomatie nouvelle ? », Annales historiques de la Révolution française, no 296, 1994, p. 267-278.

34 Voir à cet égard les pages de Anna Maria Rao, « Les exilés italiens et Brumaire », Annales historiques de la Révolution française, no 318, 1999, p. 713-725 et, plus en détail, Esuli. L’Emigrazione Politica Italiana in Francia, 1792-1802, Naples, Guida, 1992.

35 Archives nationales, AF III 71, d. 290, lettre de Rivaud au Directoire exécutif datée 30 frimaire an VII (20 décembre 1798).

36 Archivio di stato di Milano, Fondo Testi, b. 308, convention entre la République française et la République cisalpine, datée 28 ventôse an VII (18 mars 1799).

37 Charles-François Dumouriez, Tableau spéculatif de l’Europe, Hambourg, s.n.t., 1798, p. 72 et 75.

Auteur

Professeur d’histoire moderne à l’université de Milan. Son domaine actuel de recherches est l’histoire comparée de la France et des États-Unis à l’époque révolutionnaire. Son dernier ouvrage est Mito e storiografia della « grande rivoluzione ». La Rivoluzione francesce nella cultura politica italiana del ‘900, Naples, Guida, 2006.

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