Améliorer ou réformer la police de Bruxelles à la fin du XVIIIe siècle : le mémoire de l’amman Rapédius de Berg de 1783
p. 47-68
Texte intégral
1Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, nombre de bonnes – ou mauvaises – fées se penchent sur la police de Bruxelles. Simples particuliers « faiseurs de projets », chefs divers des diverses polices intervenant dans la capitale ou dans le pays, administrateurs issus des sphères gouvernementales ou municipales, tous ont leur mot à dire sur la question et aucun ne se décourage du peu de succès de ses propositions1. Parmi ces réformateurs acharnés, au moins sur le papier, Ferdinand Rapédius de Berg occupe la première place, par la récurrence et la longueur de ses mémoires réformateurs. Il est vrai qu’il était, en tant qu’amman de Bruxelles, de 1775 à 1786, le premier, sinon le plus puissant, responsable de la police de la capitale des Pays-Bas autrichiens. Mais ce poste apparemment prestigieux s’était rapidement révélé difficile, ingrat et très décevant en termes de promesse de carrière ultérieure. Rapédius de Berg n’avait donc pas tardé à compenser sa déception en se livrant à une activité d’écriture intense, dont le texte proposé ici n’est qu’un échantillon. Pour le comprendre et en apprécier les particularités dans la littérature de réforme policière du temps, une immersion dans les méandres institutionnels de Bruxelles s’impose au préalable ainsi qu’une rapide mise en perspective de cet écrit dans un contexte policier complexe. On pourra alors dégager du mémoire de 1783 ses points saillants : la spatialisation de la surveillance policière qu’il propose, les incohérences financières et humaines qui l’affaiblissent et les influences étrangères qui semblent le traverser.
Bruxelles au XVIIIe siècle : la ville et sa police
2Au XVIIIe siècle, Bruxelles est la capitale des Pays-Bas autrichiens (méridionaux). Le dénombrement de 1783 recense 74 227 âmes2. Dans ces régions où les gouvernements étrangers se sont succédé depuis les Bourguignons3, la police urbaine relève de plusieurs autorités : le Magistrat de la ville, le gouvernement des Pays-Bas et les États de Brabant représentant les élites provinciales (clergé, noblesse et représentants des grandes villes). Cette situation complexe résulte de stratifications institutionnelles depuis le Moyen Âge. La composition du Magistrat urbain reflète également une stratification sociale ancienne de la ville.

Fig. 1. – L’organisation du pouvoir à Bruxelles au XVIIIe siècle.
3Deux élites d’origine médiévale se partagent le pouvoir dans la cité : le patriciat urbain (lignages) et les corporations (nations). Les premiers ne peuvent être des travailleurs manuels, les seconds sont organisés en 49 corporations (ambachten). Depuis le XIIIe siècle, le patriciat domine légèrement mais les corporations restent un contre-pouvoir important. D’où un Magistrat composé de trois corps : un conseil élargi, un collège composé de 19 membres, dont 10 relèvent des lignages patriciens et 9 des corporations des métiers, et une représentation du « peuple » – en réalité les doyens des corporations. Au XVIIIe siècle, ces deux groupes proposent une liste annuelle de représentants fonctionnaires, parmi lesquels le gouvernement choisit les deux bourgmestres, les sept échevins, les deux trésoriers et les deux rentiers ou receveurs. À côté de ce système de balance qui empêche les corporations de prendre le pouvoir mais oblige les patriciens à obtenir leur aval, un conseil économique témoigne de la splendeur passée de l’industrie drapière.
4Face au Magistrat, le pouvoir souverain, le duc de Brabant, est représenté depuis le XIIIe siècle par l’amman de Bruxelles. Il est assisté par un lieutenant-amman depuis le XVe siècle. Il semonce les échevins en matière criminelle, enquête et instruit, surveille les exécutions, mais ne juge pas. Avec ses sergents, il assure l’ordre dans l’ammanie (vaste zone rurale centrée sur la capitale). Il collecte les amendes pénales, arrête les vagabonds et délinquants. Il requiert le Magistrat d’édicter les ordonnances de police et en assure l’exécution. Au XVIIIe siècle, il représente le gouvernement autrichien successeur en droit du duc de Brabant. Il n’a plus guère de compétence que comme officier criminel dans la cité4, et n’a guère d’autorité sur les habitants de Bruxelles qui relèvent d’une autre juridiction que celle du Magistrat, tels les militaires, les suppôts du Conseil de Brabant ou les fonctionnaires de la Cour et assimilés.
5Au dehors des remparts, deux officiers princiers dirigent deux compagnies de maréchaussée, devenues au XVIIIe siècle compétentes et souvent concurrentes pour la chasse aux vagabonds et déserteurs. Le drossard de Brabant aux ordres des États provinciaux est compétent dans le plat-pays de la Province du Brabant5. La compagnie du Prévôt de l’Hôtel, aux ordres du gouvernement est compétente pour l’ensemble des Pays-Bas6. En 1779, l’ouverture d’une maison de force à Vilvorde modifie les pratiques d’expulsion des vagabonds et mendiants. Ceux-ci sont désormais l’objet de deux politiques nouvelles voulues par le gouvernement habsbourgeois : l’enfermement en maison de force ou l’intégration dans les régiments nationaux des sans travail7. Cette politique s’impose progressivement aux échevinages urbains, autonomes en matière criminelle8. En effet, la caractéristique principale de la justice pénale dans les Pays-Bas est de relever quasi exclusivement des pouvoirs locaux, échevinages urbains ou seigneurs haut-justiciers. Au XVIIIe siècle, le gouvernement autrichien tente de réduire ce pouvoir, surtout en matière criminelle. Concurrence de police, pression sur le financement de prisons modernes, lutte contre l’incurie seigneuriale9, contrôle de la procédure, multiplication du recours aux juridictions supérieures, promotion de maisons de force provinciales. C’est dans ce contexte d’absolutisme éclairé, initié par les souverains Marie-Thérèse (1740-1780) et Joseph II10 (1780-1790), que s’inscrivent les débats sur la police urbaine et rurale11. Ceux-ci prennent une vigueur nouvelle après le voyage de Joseph II aux Pays-Bas en 1781 qui fut l’occasion d’une vague de pétitions, témoignant des espoirs placés par une partie des élites dans la volonté de réforme du jeune souverain12. Bruxelles est le point central de ces réformes. Mosaïque de juridictions, elle est le siège d’un gouvernement traversé de velléités modernisatrices face à un Magistrat urbain conservateur. L’amman de Bruxelles, représentant du gouvernement, mais obligé à collaborer avec le Magistrat, symbolise ces contradictions et ces ambitions13.
6La structure du personnel chargé de la police urbaine reflète également la stratification des rapports de force successifs de la ville et du gouvernement14. Comme ailleurs en Europe, la garde bourgeoise (organisée par quartier) et les serments (organisés par type de compétence militaire : arquebusiers, canonniers, etc.) sont en crise. Les habitants s’en exemptent ou paient la composition qui rachète le service. La ville accepte d’ailleurs, en fait, sinon en droit, cette pratique, puisqu’elle salarie des stipendiaires (huerlingen) pour monter la garde aux portes. Les 40 centeniers des gardes bourgeoises doivent tenir à jour les listes des bourgeois en âge de servir. De très nombreux agents municipaux assurent la surveillance des marchés, du nettoyage des rues, de la circulation, la police des pauvres. La nuit, des veilleurs de nuit (handuyten) patrouillent dans les rues, accompagnés par des soldats de la garnison ou des archers du drossard de Brabant, en mainforte. Leur poste de garde se situe à l’Amigo, derrière la grand-place où sont conduits les gens arrêtés par les patrouilles. L’amman et le lieutenant-amman commandent des sergents, théoriquement 16, mais rarement plus de 10 en réalité, et sont aidés par un clerc d’office, surnommé clerc du sang. Depuis l’accession de Rapédius de Berg à l’ammanie en 1775, les officiers de police disposent d’un budget conséquent pour salarier des « mouches » ou espions de police, employés afin d’obtenir discrètement des renseignements sur les personnes suspectes15.
« Officiers » de police | Fonction | Nombre |
Handuyten | Veille de nuit | 12 |
Gardes bourgeoises | Garde des portes de nuit | 10 compagnies |
Serments | Garde des portes de nuit | 5 serments |
Centeniers | Contrôle des gardes bourgeoises | 40 (1 par quartier) |
Directeur de l’illumination | Contrôle des lanternes | 1 |
Commissaire aux étrangers | Formation de la liste des étrangers | 1 |
Commissaires des Étrangers aux portes | Inscription des étrangers à l’entrée aux portes | 8 |
Officiers et sergents de la Charité Contrôle des mendiants | Contrôle de mendiants | 6 sergents |
Directeurs des pompes à feu | Police de l’incendie | 1 directeur |
Inspecteurs des marchés, du canal | Police alimentaire | ? |
Maleur et commissaires des boues (1780) | Police des immondices et des rues | 1 maieur, 10 commissaires |
Commissaire des fiacres | Police du stationnement | 1 |
Sergents de l’amman et de la ville | Police judiciaire | 16 |
Amman, lieutenant-amman et Clerc du sang | Enquêtes judiciaires | 3 |
Officiaux de l’amman | Tenue des registres | 2 |
Mouches | Surveillance | ? |
Fig. 2. – Le personnel de police à Bruxelles vers 1783.
7On peut donc donner une estimation grossière du personnel affecté aux tâches de police à Bruxelles dans la seconde moitié du XVIIIe siècle : environ 60 à 100 personnes de formations et de compétences différentes sont disponibles pour des fonctions de contrôle, de patrouille, mais aussi d’enregistrement administratif ou de procédure judiciaire. S’y ajoutent, en nombre variable selon les temps, les soldats de la garnison ou des maréchaussées. L’effectif policier est donc moins négligeable que l’on pourrait croire à première vue, mais sa diversité d’origines et d’allégeances administratives ne facilite pas la tâche des ammans dans l’organisation concrète de la police bruxelloise. L’auteur du mémoire de 1783, l’amman Rapédius de Berg, en est douloureusement conscient.
L’auteur du mémoire : Ferdinand Rapédius de Berg
8Ferdinand Rapédius de Berg (Bruxelles 1740-Vienne 1800) est devenu amman de Bruxelles à la suite d’un parcours professionnel très classique de fonctionnaire belge au service du gouvernement autrichien16. Son père et son frère aîné sont conseillers à la Chambre des comptes, lui-même fait des études de droit, puis un voyage qui le mène en France, en Italie et à Vienne. De retour au pays, il entre au Conseil de Brabant comme substitut du procureur en 1770. Il se fait remarquer par son travail au comité contre l’épizootie en Brabant et Limbourg ainsi que par ses rapports sur les finances de Louvain et de Bruxelles. C’est d’ailleurs à la suite d’un rapport rendu sur l’administration de la ville de Bruxelles, en mai 1775 qu’il est nommé, en septembre, amman de Bruxelles.
9La fonction semble a priori prestigieuse, mais la réalité de son influence très amoindrie le déçoit vite. En conflit permanent avec un Magistrat très indépendant qui ne veut pas reconnaître ses prérogatives et avec un lieutenant-amman beaucoup plus actif que lui sur le terrain, il perd aussi la confiance du gouvernement autrichien. Aussi sa demande pour devenir procureur général de Brabant est-elle rejetée en 1777 et des reproches lui sont-ils adressés sur sa manière d’exercer son emploi. Pour lui c’est une vraie catastrophe, car en échouant dans la fonction d’amman, Rapédius de Berg perd toute chance de promotion administrative. Face à cette impasse dans sa carrière, et pour se justifier, Rapédius de Berg commence alors à se réfugier dans l’écriture et les recherches savantes. Il devient un véritable polygraphe qui traitera du droit romain (1783), du gouvernement de Bruxelles (1784), de la charge d’amman (1784), des chefs-justiciers (1788).
10Entre-temps, sa carrière aura pris un tournant radical lié aux réformes joséphistes. Joseph II impose aux Pays-Bas un train de réformes audacieuses, afin d’unifier les systèmes administratifs disparates de ses États. Rapédius de Berg est appelé à participer à ces grandes réformes. En 1786, Joseph II le fait venir à Vienne pour recevoir des instructions sur l’établissement des intendances et d’une direction générale de la police aux Pays-Bas. Rapédius de Berg est de retour à Bruxelles en janvier 1787, non plus comme amman, mais comme intendant du cercle de Bruxelles et directeur général de la police des Pays-Bas. Mais ces grandes innovations, à la suite des autres réformes joséphistes, provoquent la colère des Brabançons, et Rapédius de Berg, extrêmement impopulaire, doit s’exiler en France en juin, sans avoir réellement commencé à mettre en œuvre quoi que ce soit. Après l’abandon des réformes et le retour à l’ordre, le gouvernement lui propose, fin août, de reprendre ses fonctions d’amman, mais Rapédius de Berg refuse et préfère une place au Conseil de gouvernement général. Pendant la Révolution brabançonne, Rapédius de Berg est de nouveau à Vienne. Il ne revient à Bruxelles qu’en décembre 1790 en qualité de membre du Conseil privé. La conquête française de 1794 le chasse définitivement et il achève sa vie à Vienne en 1800.
11Rapédius de Berg est souvent présenté comme l’archétype du fonctionnaire joséphiste, tout dévoué aux idées du despote éclairé. Pourtant, à côté des aspects « éclairés » que reflètent sa bibliothèque ou ses correspondances avec les sociétés littéraires et scientifiques du temps, il conserve un attachement sincère aux traditions locales des Pays-Bas, et souhaite concilier l’efficacité attendue des réformes avec le respect du droit brabançon. Il adhère tout à fait au modèle politique du despotisme éclairé, mais pour lui, la modernisation doit respecter, au moins en partie, les privilèges du pays et les formes judiciaires. Comme le dit très justement Frédéric Kisters, cette ambivalence fait de Rapédius de Berg un « réactionnaire réformiste ». Sans son attachement indéfectible à son maître Joseph II, Rapédius de Berg aurait pu rejoindre le camp vonckiste dans la révolution brabançonne17. Cette ambiguïté intrinsèque ne fait qu’ajouter à la difficulté de la position personnelle de l’amman de Bruxelles. Les contradictions entre les mémoires successifs rédigés par Rapédius de Berg en sont le reflet.
Les mémoires policiers de Rapédius de Berg
12Parmi les nombreux écrits de Rapédius de Berg, les mémoires qui concernent la police se retrouvent dispersés, souvent en plusieurs exemplaires, dans les grandes séries d’archives issues de l’administration autrichienne aux Pays-Bas, soit les fonds du Conseil privé, de la Secrétairerie d’État et de guerre ou dans les papiers des officiers comptables. Les archives de la ville de Bruxelles en conservent également quelques-uns. Le tableau ci-dessous, en donnant un état de la situation et un résumé très succinct de leur contenu, permet de situer le mémoire de juin 1783 dans la succession des mémoires policiers de l’amman.
Février-mars 1777 | Mémoire « L’amman de Bruxelles a appris avec douleur… » | AGR CP PBA 263 A | 6 fos | Se défend contre le Magistrat qui le juge négligeant. Veut montrer son action et les freins. Annonce le suivant |
Mars 1777 | « Apperçu de l’état actuel de la police de la ville de Bruxelles » | AGR CP PBA 263 A | 27 fos | Divisé en 10 mémoires sur la propreté des rues, les marchés, l’éclairage, les noyés, les incendies, les étrangers, etc. Suit liste des affaires poursuivies |
16 juin 1783 | « Il a plu à vos Altesses Royales de notifier… » | AGR CP PBA 261 A | 18 fos | Se justifie de l’abandon de la direction des patrouilles Propose un Projet d’instruction et direction pour les gardes, patrouilles et inspecteurs… Carte jointe. Feuilles de calcul des coûts |
7 août 1783 | « Plan de la Réforme de la Police de Sûreté et de bon ordre dans Bruxelles » | AGR Off. Compt. 868 | 26 fos | Idem, avec quelques détails supplémentaires Rapédius de Berg lance la bataille |
27 déc. 1783 | « Ma charge me fait un devoir et l’intérêt particulier… » | AGR CP PBA 263 B | 7 fos | Rapédius de Berg lance la bataille constitutionnelle sur la définition des fonctions de l’amman et les devoirs de police du Magistrat. Annonce le suivant |
22 mars 1784 | « Description du gouvernement civil de la ville de Bruxelles » | AVB 2902 ou 2903 | 18 fos | Gros mémoire historico-juridique pour expliquer que l’amman n’a pas à s’occuper de la police de Bruxelles, c’est la tâche du Magistrat |
6 nov. 1784 | « Liste des droits et devoirs d’office de l’Ammanie de Bruxelles » | AGR CP PBA 263 B ou AVB 2904 | 133 fos | Très gros mémoire très juridique. Ne parle pratiquement plus de police, mais s’acharne à prouver les pouvoirs étendus de l’amman |
28 déc. 1786 | « Projet de police générale des Pays-Bas » | AGR SEG 1899 | 71 fos | Organisation d’une police uniformisée dans tout le pays et centralisée sous les ordres du directeur général de la Police à Bruxelles |
Fig. 3. – Les mémoires policiers de Rapédius de Berg.
13Depuis le début des années 1760, le gouvernement autrichien cherche à améliorer la police de Bruxelles, qu’il juge très sévèrement. Des projets sont étudiés, quelques changements sont tentés, mais sans grand succès face à l’inertie du Magistrat. Le gouvernement de Marie-Thérèse n’insiste guère face aux résistances rencontrées et les réformes se perdent alors les unes après les autres18. Ainsi la nomination de Rapédius de Berg en 1775, assortie de gages très supérieurs à ceux de ses prédécesseurs, marquait une nouvelle tentative du gouvernement pour donner une direction dynamique et efficace à la police de la capitale. De fait, Rapédius de Berg s’était mis au travail avec un bel enthousiasme, n’hésitant pas à bousculer les habitudes du Magistrat et des divers employés de la police. Mais, manquant visiblement de charisme et peu diplomate, Rapédius de Berg ne réussit cependant qu’à indisposer contre lui la population de Bruxelles, le Magistrat et même les autorités militaires. Mal soutenu par le gouvernement, il freine, dès 1777, son zèle policier, laissant de plus en plus souvent le lieutenant-amman se charger de la police judiciaire, lui-même se consacrant à la surveillance des suspects, et abandonnant à l’incurie traditionnelle tout ce que nous appellerions aujourd’hui la police administrative. Le gouvernement autrichien n’avait pourtant pas renoncé à tout espoir d’amélioration de la police bruxelloise. Relayant peut-être une demande populaire19, les gouverneurs Marie-Christine et Albert écrivent au Magistrat et à l’amman, le 30 avril 1783, pour leur demander leur avis sur un renforcement de la police nocturne. Il s’agirait de faire accompagner les handuyten par des soldats du drossard de Brabant. Cette mesure toute simple, et pratiquée depuis bien longtemps à Bruxelles, est moins innocente qu’il paraît. En fait, depuis 1782, le gouvernement qui tente de supprimer les gardes bourgeoises sans y parvenir depuis une bonne vingtaine d’années, s’est engagé dans une manœuvre subtile. Puisque le Magistrat défend l’utilité des gardes bourgeoises et s’oppose à leur remplacement par une milice professionnelle, le gouvernement a obligé les échevins à rétablir le service personnel des bourgeois. Le tollé a été immédiat, personne n’ayant envie d’aller monter la garde, et le major des gardes bourgeoises fait état d’incidents graves et de désobéissance générale. De plus, on ne peut plus compter sur l’aide de la garnison, Bruxelles n’étant plus considérée comme place forte à partir de 1782, les militaires en service y sont beaucoup plus rares. Chacun sait bien que cette situation n’est pas tenable, mais le gouvernement compte sur cette pression pour faire aboutir les projets qui traînent depuis des années. À la fin de l’année 1782, le Magistrat accepte enfin le principe d’une milice professionnelle qui assurerait l’ordre dans la ville, au moins pendant la nuit. Reste à l’organiser, et surtout, à la financer, ce qui provoque de nouvelles discussions. Le verrou du Magistrat ayant en quelque sorte sauté, les faiseurs de projet s’engouffrent dans la porte ouverte, tel le drossard de Brabant, Van der Stegen, qui élabore un vaste plan de police nocturne, assuré par 110 hommes de sa compagnie, tandis que le Magistrat rétorque par un contre-projet de « milice municipale » de 130 hommes20. Mais alors que ces projets sont en pleine discussion, le gouvernement abandonne la réforme, en avril 1783, pour revenir à la solution traditionnelle des handuyten accompagnés par quelques soldats du drossard. Le Magistrat, alors questionné uniquement sur l’organisation pratique de ces patrouilles, présente ses observations. Et Rapédius de Berg, également sollicité, entre un peu tardivement dans le débat, par ce grand mémoire de juin 1783, qui critique les projets antérieurs et propose un plan original. Le texte de Rapédius s’inscrit donc à la fois dans la généalogie de ses propres écritures sur la police et au sein des projets élaborés par divers acteurs depuis les années 1760. Pour autant, ce mémoire de 1783 s’en distingue nettement par une approche originale de la sécurité urbaine.
Une nouvelle approche spatiale de la police de la ville
14La dimension spatiale n’était pas très apparente dans la plupart des mémoires sur la police de Bruxelles. Les auteurs se contentaient souvent de dire que les patrouilles devaient passer dans toutes les rues, faire des rondes régulières. Le dispositif ordinaire, sous-entendu dans la plupart des textes, était une sécurité relativement renforcée au centre-ville, dont la grand-place et l’Amigo étaient le centre névralgique, et une sécurité plus lâche dans les secteurs périphériques, interrompue cependant par les contrôles aux portes de la ville. Dans les années 1770-1780 pourtant, la prise en compte de l’espace se développe dans la réflexion administrative aux Pays-Bas, en relation probablement avec les progrès de la cartographie initiés par l’entreprise du comte de Ferraris21. La réflexion sur la police générait également une réflexion sur la territorialisation des moyens policiers22. Lors de la traque organisée à Bruxelles dans la nuit du 29 au 30 janvier 1779, un document technique sur la répartition des quartiers entre l’amman et le lieutenant-amman fait allusion, sans y insister, à une carte de la ville, ce qui tendrait à montrer que la préparation de cette opération de police s’accompagnait d’un recours ordinaire au plan23. Le comte Van der Stegen, de son côté, était attentif à la répartition de ses hommes dans le duché de Brabant. Deux ans après le mémoire de 1783, il devait présenter au gouvernement un découpage territorial du duché, extrêmement élaboré, autour d’une double idée : la création de 500 stationnaires disposés sur une base rationnelle, au cœur d’un quadrilatère de taille équivalente et des procédures de circulation de l’information, issue des techniques militaires24. Dans son projet de 1783 pour Bruxelles, auquel il avait également annexé un plan, malheureusement disparu, Van der Stegen avait imaginé un croisement de patrouilles montantes et descendantes, entre l’Amigo et les portes, sans cependant aller jusqu’à une prise en compte plus poussée de l’espace bruxellois25.
15Le projet de Rapédius s’inscrit donc dans cette veine de territorialisation policière. Une de ses innovations principales est de raisonner lui aussi sur une carte précise de Bruxelles, qu’il annexe à son mémoire. La carte divise la cité en cinq districts intégrant les dix quartiers traditionnels de garde bourgeoise. Le plan proposé par Rapedius s’appuie ouvertement sur une conception raisonnée de l’espace : « À cet effet je crois devoir proposer le plan que j’ai essayé de tracer et de rendre à l’aide de la Carte figurative ici jointe plus clair et plus intelligible que je ne saurois le faire par une simple exposition par écrit. » Rapédius propose la création d’une « milice de police » composée de 106 miliciens répartis en cinq postes de gardes et 30 guérites. Cette milice doit être commandée par le capitaine et ses deux lieutenants, tandis que cinq bas-officiers résident dans chaque corps de garde. Deux groupes d’hommes constituent la base du dispositif : les « soldats » de la milice (63) et les « stationnaires » (30 + 526) :
« L’établissement de cinq corps de garde perpétuels, dont l’un de 15 hommes de Milice ou Soldats et un bas-officier, et les quatre autres de douze hommes de Milice et un bas-officier, assistés de nuit par 30 stationnaires, tous commandés par un officier de Police Capitaine du guet assisté de deux Lieutenans. »
16Il y a donc trois échelles de présence policière dans la ville : le poste central de l’Amigo, le plus important, quatre postes de garde en couronne, également occupés par un effectif conséquent, puis 30 hommes dispersés, individuellement, dans 30 guérites. L’ensemble est articulé sur les dix quartiers de la garde bourgeoise, regroupés deux par deux. Outre le poste traditionnel de l’Amigo, derrière la grand-place, les quatre nouveaux postes de garde, désignés sur la carte par les lettres BCDE se situent sur des places importantes : B quai Sainte-Catherine, C place de Louvain, D place des Wallons, E petit Sablon. Les guérites sont articulées autour de chaque poste de garde. Par exemple, autour du poste B Sainte-Catherine on trouve les guérites 15 à 20.
17La répartition de ces postes de police s’accompagne d’une organisation temporelle du service plus sophistiquée encore, autour de deux principes : la combinaison d’un quadrillage territorial et d’une circulation spatiale, la distinction des rythmes : jour/nuit, été/hiver. Rapédius de Berg explique d’abord son dispositif nocturne. En cela il répond à la question du gouvernement, ainsi qu’à l’urgence provoquée par la démilitarisation de Bruxelles. Le dispositif imaginé par l’amman repose sur deux éléments : une surveillance fixe (d’où le nom de « stationnaires »), et une surveillance mobile, par l’organisation de patrouilles dans les rues de la cité. Les 30 « stationnaires », en effet, ne bougent qu’au moment de rejoindre puis de quitter leurs guérites, tandis que 30 miliciens (sur 63) font des patrouilles, dans la soirée et le matin, à raison de six hommes pour chacun des cinq corps de garde. Les 33 miliciens qui ne patrouillent pas restent dans les mêmes corps de garde. Cette police nocturne s’organise ainsi : à 22 h 30, rassemblement des 30 stationnaires à l’Amigo pour les consignes du guet. Les stationnaires numérotés de 1 à 15 se rendent directement aux guérites, les stationnaires numérotés de 16 à 30 se déplacent en deux temps : les hommes correspondant aux numéros 16 à 20 se rendent au corps de garde B, pour y donner les instructions centrales au bas officier (et ses 12 hommes) et recevoir ses instructions particulières, les hommes des numéros 21 à 25 font de même au corps de garde C, ceux des numéros 26 et 27 au corps de garde D, 28 et 30 au corps de garde E. À 23 h 30, tous ont rejoint leur guérite27. À la tombée de la nuit, 19 heures en hiver, et 21 heures en été, de chaque corps de garde sortent deux patrouilles de trois hommes, pour circuler dans les deux quartiers de l’arrondissement. Ces patrouilles battent les rues jusqu’au lever du jour, soit 5 heures en été et 7 heures en hiver. Les six autres hommes restent au corps de garde avec le bas-officier. Rapédius précise ici son propos :
« Prenant pour exemple le district de la place de Louvain, dépendant du corps de garde C. Les deux patrouilles sortant de cette garde l’une battra le premier quartier de ce district, savoir la rue de Louvain, la rue Ducale, celle de Belle vue, la rue Royale, la montagne du Parc, la rue du Parchemin, celle des Paroissiens, la plaine de Ste Gudule, la Chancellerie et rentrera au Parc pour rebattre les mêmes rues tantôt dans la même direction, tantôt dans une direction différente, jusqu’à la rentrée au corps de garde fixée à une heure précise. Et dans le même tems l’autre patrouille du district de la place de Louvain battra l’autre quartier de ce district qui comprend la rue de l’Assaut, la rue d’or, celle du Marais, celle des Épingles, celle de Schaerbeeck et les rues intermédiaires. »

Fig. 4. – Les patrouilles dans le quartier de la place de Louvain.
18Au milieu de la nuit, à 3 h 30 du matin, le service des stationnaires s’interrompt, suivant une procédure inverse de celle de leur prise de service : les hommes des numéros 1 à 15 se rendent directement à l’Amigo, tandis que ceux des numéros 16 à 30 transitent par leurs corps de garde auxiliaires respectifs, où ils rendent compte des incidents éventuels de la nuit.

Fig. 5. – Les cinq postes de gardes et les deux circuits de guérites.
19Visualisée sur la carte, la circulation nocturne est articulée sur les nouveaux corps de garde et s’effectue en cercles englobants. Ce modèle rompt avec la traditionnelle articulation entre des corps de garde aux portes et un corps de garde central. La police nocturne combine donc mobilité des patrouilles et présence des stationnaires pour maîtriser l’ensemble de l’espace urbain à une échelle jusque-là inconnue. Ce réseau des guérites ne correspond cependant pas réellement à un circuit spécifique, car outre cette organisation inhabituelle du quadrillage policier, le projet de Rapédius de Berg construit une dynamique à partir de laquelle s’explique et s’éclaire l’originalité de ce projet, comme le montre la carte suivante :

Fig. 6. – Le déploiement de la garde de nuit en deux temps.
20Les stationnaires 1 à 15 se rendent directement à leur poste. Les stationnaires 16 à 30 passent d’abord par les corps de garde auxiliaires B.C.D.E avant de rejoindre leur guérite. À partir du cœur constitué par l’Amigo, une seconde couronne est constituée par rayonnement autour de places majeures : le parc et la place de Louvain, la place Sainte-Catherine et les quais du canal, la place des Wallons et le Petit Sablon
21Remarquons que la symétrie des guérites (15 et 1) n’est pas respectée. Les corps de garde B et C rayonnent vers cinq guérites chacun, tandis que les cinq dernières se partagent entre les corps de garde D et E.
22Rapédius de Berg continue ensuite son exposé par l’organisation de la police durant la journée. De 5 heures en été et 7 heures en hiver : six hommes par corps de garde, armés de fusil, iront occuper les 30 guérites jusqu’à 7 heures du soir en hiver, 9 heures en été. Ils seront relevés de deux en deux heures. De 7 heures du soir ou 9 heures en été : ils abandonnent les guérites et retournent aux postes de garde. Commencent alors les dix patrouilles de nuit.
23Sur le papier, et à première lecture, cette complexe organisation, avec son ballet d’hommes rejoignant postes et patrouilles à toutes heures, semble parfaite. En réalité, en y regardant de plus près, des confusions et imperfections apparaissent. Les guérites ne sont pas occupées entre 3 h 30, moment où les stationnaires reviennent vers l’Amigo et 7 heures où arrivent les miliciens de jour. Il est vrai que la plupart des désordres, vols et bagarres avaient lieu, d’après les archives judiciaires, en début de nuit, et que ces heures correspondent probablement à un moment très calme. Néanmoins, Rapédius de Berg passe ce vide horaire sous silence. Par ailleurs, comment compte-t-il faire patrouiller de nuit les deux patrouilles de trois hommes par district pendant huit heures d’affilée ? On imagine qu’une alternance de sorties et de repos au corps de garde doit être organisée. Enfin, l’utilisation des hommes entre service de jour et de nuit pose problème. Sur les 63 miliciens disponibles, 30 patrouillent toute la nuit pendant que les 33 autres restent au corps de garde. Durant la journée, 30 hommes vont stationner dans les guérites, tandis que 15 hommes restent à l’Amigo, ce qui ne laisserait que 3 hommes disponibles par poste de garde. Néanmoins, la relève toutes les deux heures (sept périodes) suppose de disposer de 42 hommes. Or seuls 33 hommes n’ont pas marché la nuit, il n’est donc pas possible d’assurer les patrouilles de jour sans forcer une partie des patrouilleurs de nuit à reprendre du service la journée. Même pour ceux qui ne marcheraient pas le jour, l’alternance présence au corps de garde/patrouilles suppose une disponibilité constante et des moments de repos pris sur le service, ce qui semble peu réaliste. De plus, à la fin du mémoire, Rapédius de Berg propose de confier aux stationnaires de nombreuses fonctions de police administrative durant la journée, comme on le verra plus loin. Il semble donc utopique d’assurer le roulement des patrouilles et des gardes avec si peu de personnel. Or c’est bien le nombre d’hommes qui détermine le coût de la réforme, et même en compressant ainsi, à la limite du raisonnable, l’effectif de son projet, les calculs de Rapédius de Berg semblent très approximatifs.
La faiblesse du financement de la réforme
24La plupart des mémoires réformateurs policiers du XVIIIe siècle sont accompagnés d’annexes financières destinées à prouver la facilité de financement du projet. Par là les auteurs s’attachent à donner des gages de sérieux, mais bien souvent ces calculs relèvent plus de la fantaisie que de la rigueur comptable. Or c’est bien là que le bât blesse, et c’est sur cette épineuse question du financement que les projets de réforme ont échoué jusqu’à présent à Bruxelles, d’autant plus que les privilèges de la ville imposent le consentement des représentants du peuple (les Nations, en réalité les doyens des métiers) à tout nouvel impôt. Il n’est donc pas surprenant que Rapédius de Berg ait particulièrement soigné ses arguments comptables, sans être, on le verra, totalement convaincant. D’emblée il se montre conscient du coût élevé de sa milice de 106 hommes : « La dépense qu’exigeroit l’exécution de ce plan paraît au premier coup d’œil au delà du double plus forte que celle que nécessite le plan proposé par le Magistrat. » Il espère cependant convaincre les représentants du peuple des bienfaits de son projet. Il écarte la possibilité d’un nouvel impôt proposée par le plan du Magistrat, au profit d’une refonte des multiples caisses de la ville en matière de police et invite le gouvernement à faire examiner le volet financier par la Jointe des Administrations. Rapédius envisage donc la suppression de tous les emplois de police salariés par la ville, au profit de sa nouvelle milice. Dans cette perspective de réduction des doubles emplois, son plan s’appuie d’abord sur la réforme des patrouilles bourgeoises, des serments et de la milice. Il propose de fusionner ces différents corps en les remplaçant par la nouvelle milice, seule force de police civile (en dépit de son nom) désormais. Les dix capitaines des gardes bourgeoises seront donc supprimés, seuls seront conservés le major et les lieutenants comme « capitaine et lieutenants du guet », tandis que les soldats seront salariés. L’avantage de cette milice unifiée et permanente est d’éviter toute dépense spécifique (garde des marchés, des remparts ou des quais) ou occasionnelle (police du carnaval).
25L’autre composante de sa réforme est le remplacement des 12 handuyten (ou veilleurs de nuit) par les 35 stationnaires baptisés « Inspecteurs de police ». En réduisant leurs fonctions nocturnes à 4 heures, Rapédius suggère de les employer également, cinq à six heures par jour, aux différentes fonctions de la police diurne qu’assurent les commissaires aux boues, ceux de la mendicité, du marché et du canal, de l’illumination, des remparts, de l’incendie et les sonneurs aux portes. Quant aux mayeur des boues, commissaire aux fiacres et chef inspecteur de la police des étrangers, leurs fonctions pourraient être assurées par les major et lieutenants des gardes bourgeoises devenus capitaine et lieutenants du guet. Enfin, les huit commissaires aux portes, rendus sans doute inutiles par la démilitarisation de la ville et la destruction des remparts, sont, dans ce projet, purement et simplement supprimés. Les seuls personnels de police qui échappent à cette grande opération de remplacement par l’unique milice sont les sergents de l’amman, dont Rapédius de Berg ne tient sans doute pas à perdre la direction…
26Sur ce plan d’une rationalisation des services de police, le projet de Rapédius de Berg est séduisant. Il articule une police de surveillance et de patrouille reposant sur la nouvelle milice, dont les responsables contrôlent également la circulation des biens, des véhicules, et des hommes. Ces responsables contrôlent aussi les inspecteurs, davantage orientés vers le contrôle d’un territoire dans la ville, sous tous ses aspects (immondices, éclairage, incendies, foires et marchés, réjouissances).
27Mais sur un plan purement comptable, les calculs de l’amman se révèlent désastreux. On comprend bien que la suppression d’une cinquantaine d’emplois, d’ailleurs très peu payés, ne suffira jamais à salarier décemment 106 hommes plus 3 supérieurs. De plus, Rapédius de Berg est incomplet dans sa description du coût réel de la police bruxelloise : il n’y intègre pas les dépenses de son office (amman, lieutenant-amman, clerc et sergents) et ignore les émoluments de certains employés. Les mauvaises relations entre l’amman et le Magistrat peuvent expliquer que les trésoriers ne lui aient pas fourni ces éléments.
Nombre | Coût/personne (en florins) | Dépense par poste (en florins) | Observations | |
Handuyten | 12 | 130 | 1 560 | dont deux surnuméraires |
Maieur des boues | 1 | 363 | outre émoluments, logement gratuit | |
Commissaire des fiacres | 1 | 300 | environ | |
Commissaire aux étrangers (official) | 1 | 366 | ||
Commissaires aux portes | 8 | 182,75 | 1462 | |
Commissaires aux boues | 10 | 150 | 1500 | |
Officiers de mendicité | 6 | 182,5 | 1095 | |
Inspecteurs du marché et canal | ? | ? | émoluments non connus | |
Inspecteurs de l’illumination | ? | ? | émoluments non connus | |
Sonneurs aux portes | 2 | 126 | 352 | |
Crieurs au feu, pompiers, employés à la police des incendies | ? | ? | émoluments non connus | |
Total (identifié) | 41 | 6998 |
Fig. 7. – Le coût annuel de l’encadrement policier à Bruxelles d’après Rapédius de Berg.
28Au-delà donc de l’intérêt financier de la réforme, bien mal assuré en vérité, ce que souhaite Rapédius de Berg, c’est une police uniformisée, qui ne soit plus un conglomérat de petites fonctions spécialisées, mais une police polyvalente, des policiers qui peuvent dresser des contraventions pour des encombrements de rue ou des défauts d’hygiène, tout comme arrêter des voleurs ou des mendiants. D’autre part, Rapédius de Berg souhaite que cette nouvelle police ne soit plus dirigée que par un seul chef, lui-même ou un échevin. En cela il rejoint une tendance visible dans de nombreuses villes à l’époque, c’est-à-dire l’attaque contre la direction collégiale de la police issue de la matrice judiciaire28. Dans ce genre de critique des polices collégiales, les critères d’efficacité, de promptitude sont souvent mis en avant. Cette revendication d’une spécificité du travail policier, fondé sur la rapidité de décision, d’exécution est souvent opposée aux lenteurs nécessaires, à la pondération du travail judiciaire. Elle participe à l’émancipation progressive de la police par rapport à la justice, émancipation qui est plus lente dans les anciens Pays-Bas qu’en France puisque les échevins y sont toujours en charge à la fois de la police et de la justice. D’après les réformateurs, la responsabilité de police peut être assumée par un homme seul, l’efficacité, la rapidité d’exécution, le secret, toutes choses nécessaires à la police, s’accommodent mieux d’une direction unique. Par ce biais, le projet de Rapédius de Berg s’affilie à des courants de pensée liés aux discussions sur la police, qui naissent et se diffusent un peu partout en Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Un modèle parisien en question
29Vers la fin du mémoire, Rapédius de Berg, conscient de l’opposition du Magistrat à son projet, tente de l’expliquer. Avec son aplomb habituel, il affirme que la qualité de son projet est telle qu’il faut chercher ailleurs les raisons de cette attitude. Si les échevins bruxellois s’opposent à cette réforme de la police nocturne, ainsi qu’à toutes celles qui l’ont précédé, c’est parce que, structurellement, le rôle du Magistrat bruxellois consiste à défendre l’organisation traditionnelle des pouvoirs à Bruxelles, autrement dit : « la manutention des anciens usages et privilèges qui établissent la constitution politique de cette ville ». Or, depuis la nomination de Rapédius de Berg en 1775, le Magistrat a senti que le gouvernement essayait de lui enlever partie de ses prérogatives au profit de l’amman, représentant du prince. Preuve en est, en 1775, le transfert de la nomination des handuyten, des mains du Magistrat à celles de l’amman. D’après Rapédius de Berg, le Magistrat craint que peu à peu, tout ce qui concerne la police « de sûreté et de bon ordre » lui soit retiré, comme cela s’est passé à Paris :
« Ainsi et de la même manière que ces pouvoirs et moyens (de police) ont été enlevés à l’hôtel de ville ou aux Magistrats municipaux de Paris au XVIIe siècle, sont passés au Prévôt de Paris, et ont été soumis et confiés à la direction d’un des lieutenants de cet officier du Roi connu depuis lors sous le titre de Lieutenant général de Police. »
30Cette lecture « belge » de l’histoire policière parisienne mérite quelque attention. Peu importe, au fond, qu’elle soit pour le moins fantaisiste, que le lieutenant de police parisien n’ait aucun rapport direct avec le prévôt ni que l’hôtel de ville de Paris ait été depuis bien longtemps dépassé en matière de police par le Parlement. Les configurations politico-institutionnelles respectives de Paris et Bruxelles ont bien peu en commun au XVIIIe siècle. À Bruxelles, l’hôtel de ville reste un véritable pouvoir, que même le gouvernement traite avec respect. Les échevins sont chefs et juges de police dans la ville. Ils sont considérés comme un corps puissant et prestigieux, auquel on ne peut s’opposer frontalement, Rapédius de Berg s’en plaint d’ailleurs assez souvent. Si Rapédius de Berg feint de confondre le prévôt de Paris, chef de la juridiction royale, avec un prévôt tel qu’en connaissent les Pays-Bas sous les noms équivalents de bailli, écoutète ou amman, c’est parce que cette confusion historique lui permet de poursuivre sur une assimilation de sa position d’amman avec celle du lieutenant général de police. Rapédius de Berg en tire la conclusion selon laquelle la résistance du Magistrat provient de leur crainte de voir l’amman devenir une sorte de lieutenant de police, ce qui ferait de la fière et libre capitale du Brabant une ville royale soumise, « à la française ». Cette évolution dangereuse pour la « constitution » du pays, inquiète les échevins, ce pourquoi Rapédius de Berg propose, afin de les tranquilliser, de confier la direction et la manutention de la nouvelle police à un membre du Magistrat, soit le bourgmestre, soit le premier échevin, soit l’ancien des trésoriers, qui serait directement responsable devant le gouvernement. Rapédius de Berg ajoute encore que puisque le renouvellement annuel du Magistrat dépend du gouvernement, ce serait un bon moyen de pression pour promouvoir un chef de police zélé. Mais après cette suggestion, Rapédius de Berg achève son mémoire en proposant, s’il le faut, de se dévouer pour devenir le chef de la nouvelle police, et promet de tout faire au mieux si on lui confie le poste.
31Qu’en est-il, au vrai, de cette interprétation de l’amman ? Le Magistrat craint-il réellement une dérive parisienne de la police bruxelloise, ou s’agit-il d’une explication commode fournie par Rapédius pour se dédouaner de ses maladresses personnelles dans ses relations avec les échevins. Il est certain, en tout cas, que la configuration policière parisienne n’a pas bonne presse du côté du Magistrat. Par de brèves, mais fréquentes allusions, à chaque avis demandé par le gouvernement sur tel ou tel changement dans la police, le Magistrat s’insurge contre la comparaison entre la police de Paris et celle de Bruxelles. Il réfute vigoureusement l’idée d’une supériorité policière de la capitale française et vante son organisation policière, mieux adaptée aux traditions et aux habitants du pays. Au-delà de cette position de principe, assortie d’un solide conservatisme institutionnel, le Magistrat de Bruxelles ne semble guère inquiet de voir l’amman devenir une sorte de lieutenant de police. En revanche les échevins reprochent surtout à Rapédius de Berg de ne pas s’occuper de la police de la ville, de prendre de grands airs et de refuser de collaborer avec eux, alors qu’il est l’amman le mieux payé de l’histoire de Bruxelles. D’après eux, l’amman n’est plus un grand représentant du prince, ni l’instrument de sa politique, mais le chef d’une police qui dépend surtout, et avant tout, du Magistrat. Rien ne permet non plus d’envisager de la part du gouvernement autrichien une manœuvre tendant à transformer l’amman en lieutenant de police. Marie-Thérèse a demandé des renseignements sur la police parisienne pour s’en inspirer à Vienne, mais pas à Bruxelles. Et plus tard, lorsque Joseph II crée la Direction générale de la police des Pays-Bas en 1787, il crée une police uniformisée et centralisée pour l’ensemble du pays, qui n’avait jamais été envisagée en France sous la monarchie. L’explication que donne Rapédius de Berg de l’opposition du Magistrat semble donc pour le moins exagérée, les échevins ne craignant pas sérieusement une importation du modèle parisien à Bruxelles.
32En revanche, la prégnance d’un modèle parisien de police, ou du moins de l’idée que l’on s’en fait en Europe au XVIIIe siècle, n’est sans doute pas absente du mémoire de Rapédius, au moins en ce qui concerne une partie du vocabulaire. En effet, le vocabulaire employé pour décrire la nouvelle police proposée renvoie nettement au domaine militaire : « milice », « soldats », « bas-officiers », « corps de garde », « patrouilles », etc. Cette contamination du vocabulaire militaire dans la police n’est en rien originale. Elle se rencontre en France où de nombreuses forces de police tout à fait civiles sont militarisées au XVIIIe siècle, à commencer par le guet de Paris29 ou la maréchaussée30, mais aussi les polices urbaines31. Elle n’a rien d’étonnant non plus aux Pays-Bas, où une grande partie des services policiers étaient rendus par des soldats du drossard de Brabant, par la garnison ou par la garde bourgeoise, institution d’origine militaire. La militarisation de fait des polices au XVIIIe siècle conduit à utiliser de plus en plus souvent un vocabulaire militaire. En revanche l’expression « inspecteurs de police » utilisée par Rapédius de Berg pour désigner les surveillants stationnaires, à partir du moment où il suggère de les utiliser à des tâches diverses de police de jour, tranche avec les traditions sémantiques policières des Pays-Bas. Non que le terme d’inspecteur y soit inconnu, ainsi trouve-t-on des inspecteurs des marchés, mais l’expression « inspecteur de police » y est beaucoup plus rare, et vient peut-être, cette fois, de Paris.
*
33Séduit par le projet de Rapédius de Berg, le gouvernement parvient à convaincre le Magistrat, d’ailleurs recomposé avec des hommes plus coopératifs, d’étudier les moyens de le mettre en œuvre. Après de nouvelles discussions, le Magistrat propose, à la fin du mois d’août 1783, une organisation très proche du projet de l’amman, avec la création d’une milice de 190 soldats et de 35 stationnaires. En augmentant le nombre d’hommes, l’organisation des patrouilles et gardes, le projet de Rapédius de Berg devient plus réaliste, mais le coût en augmente d’autant. Pour financer cette nouvelle police, une capitation sur tous les habitants de Bruxelles est donc prévue. Mais alors que l’obstacle principal du Magistrat était enfin dépassé, le gouvernement fait marche arrière et, en octobre, ordonne d’en revenir aux traditionnelles patrouilles d’handuyten et de soldats du drossard de Brabant. Ce dernier engage un officier et 24 soldats à pied supplémentaires32. Il faut attendre 1786 pour que le gouvernement décide de remplacer ces 24 surnuméraires par 30 hommes que la ville se doit d’engager33. Sur le point d’aboutir, le projet de Rapédius de Berg a donc été finalement désavoué par le gouvernement lui-même, qui n’a sans doute pas osé se lancer dans l’établissement d’une nouvelle taxe locale, dans un pays où tout nouvel impôt doit être accepté par les représentants des ordres, y compris les corporations urbaines. Par la suite, les nouvelles réformes de la police de Bruxelles restent très modestes, jusqu’aux bouleversements institutionnels de Joseph II en 178634. Le mémoire de Rapédius de Berg de 1783 a donc rejoint dans les archives d’autres projets non réalisés. Les échecs répétitifs des réformes de la police expliquent sans doute pourquoi la plupart des historiens de Bruxelles n’en font guère mention, quand ils ne les utilisent pas à contresens, prenant pour un état de fait ce qui n’est qu’un projet. Pourtant ces textes sont des témoins, non des réalisations, mais des réflexions des responsables policiers du XVIIIe siècle, en un temps où l’on débat beaucoup de l’organisation sociale et politique des États comme des villes. Bruxelles, entre Londres et Paris, Amsterdam et Vienne, était un des centres de ce débat, les mémoires de Rapédius de Berg en sont un des témoins.
Notes de bas de page
1 Sur les écritures de la police d’Ancien Régime, voir V. Milliot (dir.), Les Mémoires policiers, 1750-1850, Écritures et pratiques policières du Siècle des Lumières au Second Empire, Rennes, Presses universitaires de Rennes/Maison de la recherche en sciences humaines de l’université de Caen Basse-Normandie, 2006.
2 A. Cosemans, De bevolking van Brabant in de XVIIe en XVIIIe eeuw, Bruxelles, Commission royale d’histoire, 1939, p. 211 ; C. Bruneel et L. Delporte, « Approche socio-professionnelle de la population bruxelloise en 1783 », Revue du Nord, LXXIX, 1997, p. 463-494. Sur Bruxelles au XVIIIe siècle voir R. Mortier et H. Hasquin (éd.), Bruxelles au XVIIIe siècle, Études sur le XVIIIe siècle, Bruxelles, Éd. de l’ULB, 1977 ; R. De Peuter, Brussel in de achttiende eeuw, Bruxelles, VUB Press, 1999 ; C. Bruneel, « La localisation du commerce et de l’artisanat à Bruxelles au milieu du XVIIIe siècle », dans Ph. Guignet (éd.), Le peuple des villes dans l’Europe du Nord-Ouest (fin du Moyen Âge – 1945), t. I, Lille, université Charles-de-Gaulle – Lille 3, 2002, p. 167-191.
3 Pour une vision d’ensemble : C. Denys et I. Paresys, Les anciens Pays-Bas à l’époque moderne (1404-1815). Belgique, France du Nord, Pays-bas, Paris, Ellipses, 2007.
4 F. Vanhemelryck, De criminaliteit in de ammanie van Brussel van de Late Middeleeuwen, tot het einde van het Ancien Regime (1404-1789), Bruxelles, Koninklijke Academie van België, 1981.
5 A. Smolar-Meynart, La justice ducale du plat-pays, des forêts et des chasses en Brabant (XIIe-XVIe siècles). Sénéchal, maître des bois, gruyer, grand veneur, Bruxelles, 1991 (Annales de la Société royale d’Archéologie de Bruxelles, t. 60) ; A. Crivits, De drossard van Brabant in de vijftiende eeuw, Leuven, 1971 (KU Leuven, mém. de lic., inédit) ; G. Vrolik, De Drossaard van Brabant (1765-1794), Louvain, 1977 (KUL, mém. de lic. en hist., inédit).
6 A. De Schauwers, De provoost-generaal van het Hof en van de Nederlanden (1719-1794), Louvain, 1982 (KUL, mém. de lic. en hist., inédit). Pour une vision d’ensemble : A. Deroisy, La répression du vagabondage, de la mendicité et de la prostitution dans les Pays-Bas autrichiens durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, thèse de doctorat, ULB, 1965 ; A. Deroisy, « Aspects du vagabondage dans le plat pays de Brabant dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle », Revue de droit pénal et de criminologie, 38e an., 1957, p. 331-337.
7 Sur la maison de force R. Vanderwiele, Het provinciaal correctiehuis te Vilvoorde (1773-1794), Louvain, 1971 (KUL, mém. de lic. en hist., inédit) ; C. De Pauw, Het tuchthuis van Vilvoorde (1772-1794), Gand, 1981 (RUG, mém. de lic. en hist., inédit) ; M. Rombaux, Les détenus de la maison de correction de Vilvorde, Louvain-la-Neuve, 1983 (UCL, mém. de lic. en hist., inédit).
8 Par exemple pour Nivelles, M. S. Dupont-Bouchat, « Criminalité et mentalités à Nivelles au XVIIIe siècle », dans N. d’Arras et alii, La criminalité en Wallonie sous l’Ancien Régime, Louvain, recueil des travaux de la faculté de philosophie et lettres de l’université de Louvain, 1976, p. 49-174.
9 Voir l’intéressant débat soulevé par la faillite d’une seigneurie haut-justicière non loin de Bruxelles, X. Rousseaux, « Le coût de la justice dans les Pays-Bas autrichiens. Un procès ruineux à Orp-le-Grand, Brabant wallon (1750-1759) », Cornua Legum, Acta Falconis, 87/7, 1987, p. 181-205.
10 C. L. Mueller, « Enlightened Absolutism », Austrian History Yearbook, vol. 35, 1994, p. 159-183. P. P. Bernard, The Limits of Enlightenment. Joseph II and the Law, Urbana/Chicago/Londres, University of Illinois Press, 1979; D. Beales, Joseph II, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 (rééd.); W. W. Davis, Joseph II: an Imperial Reformer for the Austrian Netherlands, La Haye, Martinus Nijhoff, 1974.
11 X. Rousseaux, « L’activité judiciaire dans la société rurale en Brabant wallon (XVIIe-XVIIIe siècle) : indice de tensions sociales ou instrument de pouvoir ? », Les structures du pouvoir dans les communautés rurales en Belgique et dans les pays limitrophes (XIIe-XIXe siècle), Actes, Bruxelles, Crédit communal, 1988, p. 311-344 ; id., « Doctrines criminelles, pratiques pénales, projets politiques : le cas des possessions habsbourgeoises (1750-1790) », dans M. Porret (éd.), Cesare Beccaria (1738-1794) et la culture juridique des Lumières. Actes du colloque européen de Genève, 25-26 novembre 1994, Genève, Droz, 1997, p. 223-252.
12 E. Hubert, Le voyage de l’empereur Joseph II dans les Pays-Bas (31 mai 1781 – 27 juillet 1781). Étude d’histoire politique et diplomatique, Bruxelles, J. Lebègue, 1900.
13 F. Vanhemelryck, « De tweestrijd tussen de amman en de luitenant-amman van Brussel, De naijver tussen de gerechtsambtenaren in het Ancien Régime », Eigen Schoon en de Brabander, 57, 1974, p. 89-111.
14 G.-L. Duquesne, Histoire de la police à Bruxelles de 1715 à 1794, Bruxelles, 1982 (ULB, mém. de lic. en hist.).
15 Sur l’activité policière à Bruxelles à la fin du XVIIIe siècle, voir C. Bruneel, « Sous l’œil de la police : Bruxelles dans les années 1775-1786 », dans J. Ockeley et alii, Recht in Geschiedenis. Een bundel bijdragen over rechtsgeschiedenis van de Middeleeuwen tot de Hedendaagse Tijd, aangeboden aan Fernand Vanhemelryck, Louvain, Davidsfonds, 2005, p. 111-130.
16 P.-A.-F. Gérard, Ferdinand Rapédius de Berg. Mémoires et documents pour servir à l’histoire de la Révolution brabançonne, Bruxelles, Demanet, 1842-1843 ; J. Cuvelier, « Rapédius de Berg », Biographie nationale, t. 18, Bruxelles, 1905 ; « Rapédius de Berg, Ferdinand-Pierre », dans C. Bruneel et J.-P. Hoyois, Les grands commis du gouvernement des Pays-Bas Autrichiens. Dictionnaire biogra phique du personnel des institutions centrales, Bruxelles, Archives générales du Royaume, p. 515-518 ; F. Kisters, Ferdinand Rapédius de Berg (1740-1800), polygraphe et officier d’État, un réactionnaire réformiste. Essai historiographique (Université catholique de Louvain-la-Neuve, mém. de lic. en hist. inédit, 1992) ; F. Kisters, « Ferdinand Rapédius de Berg, amman de Bruxelles et polygraphe », Cahiers bruxellois, t. XXXIII, 1992, p. 17-68.
17 La révolution brabançonne a vu l’union contre le gouvernement autrichien de deux tendances qui se sont opposées une fois l’indépendance acquise : le camp « statiste », du nom des États de Brabant, incarné par Henri Van der Noot et le camp « vonckiste », du nom de son leader Jean-François Vonck. Les premiers veulent le maintien des privilèges et des usages traditionnels du pays, les seconds sont des démocrates modérés, qui souhaitent une constitution moderne. La meilleure étude sur le vonckisme reste : S. Tassier, Les démocrates belges de 1789, Étude sur le vonckisme et la Révolution brabançonne, Bruxelles, Lamertin, 1930. Pour une vue générale sur la révolution brabançonne, voir J.-J. Heirwegh, « La fin de l’Ancien Régime et les révolutions », dans H. Hasquin (dir.), La Belgique autrichienne, 1713-1794. Les Pays-Bas méridionaux sous les Habsbourg d’Autriche, Bruxelles, Crédit communal, 1987, p. 841-926.
18 C. Denys, « Les projets de réforme de la police à Bruxelles à la fin du XVIIIe siècle », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 115-2, 2003, p. 807-826.
19 C’est en tout cas ce que prétend Rapédius de Berg au début de son mémoire : « Le peuple ne cesse de demander cette sûreté, ses représentants l’ont formellement demandée aux Magistrats municipaux en 1782 par une députation à laquelle je suis intervenu d’office. »
20 Archives générales du royaume (désormais AGR), Conseil privé autrichien (désormais CPA), 261A : 1er février 1783 ; les gouverneurs généraux remettent au Magistrat, pour avis, le mémoire du comte Van der Stegen, drossard de Brabant à propos de l’augmentation de sa compagnie. Le projet en question commence par ces mots : « Le comte Van der Stegen, toujours attentif aux moyens de rendre sa compagnie plus utile… »
21 La carte levée sous les ordres du comte de Ferraris de 1771 à 1778 est la première qui couvre l’ensemble des Pays-Bas. La cartographie au XVIIIe siècle et l’œuvre du Comte de Ferraris (1726-1814), actes du colloque tenu à Spa, Bruxelles, Crédit communal, 1978.
22 Voir le numéro de la Revue d’histoire moderne et contemporaine dirigé par C. Denys et V. Milliot, consacré aux « Espaces policiers, XVIIe-XVIIIe siècles », 50-1, janvier-mars 2003. Et dans ce numéro : C. Denys, « La territorialisation policière dans les villes au XVIIIe siècle », p. 13-26.
23 AGR, CPA, 677B. Pour éviter les problèmes entre l’amman et le lieutenant-amman, on a tiré les quartiers au sort, cinq pour l’un et cinq pour l’autre. Chacun s’occupera des gens arrêtés dans l’un de ses cinq quartiers : « Cinq qui sont exprimés dans le Plan sub no 2. » Les traques étaient des grandes opérations de police visant à purger la ville de ses mauvais sujets. On fermait les portes et toutes les forces de police étaient mobilisées pour faire la visite des quartiers et arrêter tous ceux qui semblaient suspects. En général, ces traques ne permettaient d’arrêter qu’un nombre minime de délinquants mineurs. Voir A. Deroisy, « Les traques en Brabant dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Cahiers bruxellois, 1957, t. II, fasc. III, juillet-septembre 1957, p. 213-229.
24 Projet de police ressortissant des intérêts du Roi, la Patrie et de l’État, Bruxelles, 1785 (Bibliothèque royale, Manuscrits, no 4744). Le projet est édité par J.-L. Van Belle, Le premier Projet de Police ou l’histoire des van der Stegen, derniers drossards de Brabant (XVIIe-XIXe s.), Braine-le-Château, La Taille d’Aulne, 1997 (édition du projet p. 203-231).
25 AGR, CPA, 261A.
26 Rapédius de Berg prévoit cinq surnuméraires pour remplacer les défaillants.
27 Le projet prévoit que les stationnaires portent leur numéro attaché au chapeau ou à l’habit, tandis que le numéro sera indiqué également sur la guérite.
28 Sous l’Ancien Régime, les institutions de police sont souvent issues, ou plus souvent encore accolées, aux institutions judiciaires. De ce fait, elles reproduisent la collégialité des juges siégeant dans les tribunaux.
29 J. Chagniot, Paris et l’armée au XVIIIe siècle. Étude politique et sociale, Paris, Economica, 1985 ; J. Chagniot, « Le guet et la garde de Paris à la fin de l’Ancien Régime », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1973, p. 58-71.
30 P. Brouillet, La maréchaussée dans la généralité de Paris au XVIIIe siècle (1718-1791). Étude institutionnelle et sociale, thèse EPHE, 2002.
31 C. Denys, Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge, Paris, L’Harmattan, coll. « Police et Société », 2002 ; J.-L. Laffont, Policer la ville, Toulouse capitale provinciale au siècle des Lumières, thèse de doctorat de l’université Toulouse II Le Mirail, 1997, 3 vol.
32 Bruxelles, AGR, Drossarderie de Brabant, 25, cité dans G. Vrolix, De Drossard…, op. cit., p. 102.
33 Recueil des Ordonnances des Pays-Bas, 3e série, 1700-1794, t. XII, p. 488, cité par G. Vrolix, De Drossard…, op. cit., p. 103.
34 C. Denys, « La tentative de réforme de la police des Pays-Bas par Joseph II (janvier-juin 1787 », dans B. Bernard (éd.), Lombardie et Pays-Bas autrichiens. Regards croisés sur les Habsbourg et leurs réformes au XVIIIe siècle, Études sur le XVIIIe siècle, 2008, no 36, Éditions de l’université de Bruxelles, p. 183-199.
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