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Les frontières du politique

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Lionel Arnaud
, 
Christine Guionnet

5. À propos des luttes de définitions de la politique locale

Discours et représentations des maires ruraux et périurbains en Ille-et-Vilaine1

Gildas Tanguy

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Les éléments présentés ici s’appuient sur notre travail, Tanguy (G.), Le Local introuvable. Discou (...)
  • 3 Nous pensons aux études classiques sur le sujet. Voir par exemple, Becquart-Leclerc (J.), Paradoxe (...)
  • 4 Ce terme renvoie ici à ce que nous avons appelé le « noyau dur » du politique, la politique instit (...)
  • 5 Kesselman (M.), Le consensus ambigu…, op. cit.
  • 6 Chambron (N.), Hervieu (B.) (dir.), Le Pouvoir au village, Université Paris X-Nanterre, Groupe de (...)
  • 7 Cf. par exemple, Faure (A.), Le village et la politique. Essai sur les maires ruraux en action, Pa (...)

1Les monographies et la majeure partie des études réalisées au milieu des années soixante-dix évoquent le local comme un lieu où le politique joue un rôle très particulier. Des thèses telles que l’apolitisme, le consensus généralisé, l’absence de clivage partisan furent largement développées3. Le local est présenté comme une micro-société imperméable aux enjeux de la « grande politique4 ». L’apolitisme fut longtemps le paradigme dominant de la définition structurelle du local. Il est possible d’expliquer cette situation par plusieurs raisons. Dans le cadre d’une définition du local à travers le prisme des relations centre-périphérie, la configuration politique extrêmement centralisée du milieu des années soixante-dix a sans aucun doute favorisé des réactions contre le pouvoir central. Ainsi, le rejet de « la grande politique » ou de « la politique politicienne » exprime une réaction défensive localiste et territoriale contre le centre. Cette conception rejoint les hypothèses avancées par Mark Kesselman pour qui l’absence de rivalités partisanes s’explique par la volonté des populations de préserver leur identité vis-à-vis de toutes les agressions extérieures5. Les imaginaires politiques furent largement marqués par cette approche univoque du local. C’est ce que soulignaient notamment Nicole Chambron et Bertrand Hervieu dans leur étude sur le pouvoir au village au milieu des années soixante-dix. Fréquemment, « des représentations unanimistes de la vie du village nourrissant des professions de foi “apolitiques” de “défense des intérêts communaux” apparaissent à travers le discours de groupes qu’oppose pourtant la lutte pour le pouvoir. La rupture de l’unité apparente est toujours considérée comme un mal dont la responsabilité est rejetée sur l’adversaire6 ». Dans toutes les études réalisées, le concept d’apolitisme recouvre une acception bien particulière. L’absence de rivalités partisanes fondées sur des revendications idéologiques permettait d’affirmer que le local était « traversé » par l’apolitisme. Il a longtemps été défini comme un lieu ou s’exerçait « la petite politique » par rapport à la politique dite nationale, lieu de la « politique politicienne », la « grande politique ». Tel fut le type d’image véhiculée par les monographies et les études réalisées sur l’espace local. D’autres travaux se sont efforcés, au contraire, de contester ou de relativiser ces conceptions7.

  • 8 On emprunte cette définition à l’article de C. Le Bart dans le présent ouvrage.
  • 9 Collovald (A.), « Identités Stratégiques », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 73, 1989, (...)
  • 10 Boltanski (L.), « L’espace positionnel. Multiplicité des positions institutionnelles et habitus de (...)
  • 11 Collovald (A.), « Identités Stratégiques », art. cité, p. 29.

2Loin de vouloir fournir au lecteur les clefs de ce que pourrait être une bonne définition du local, notre propos vise beaucoup plus à replacer cet échelon dans des configurations multiples. Notre objectif, on l’aura compris, est de s’éloigner d’une définition essentialiste du politique. Le local n’est jamais politique ou apolitique en soi. Il peut être « labellisé » comme tel à certains moments par les acteurs. « Ces labellisations sont des artifices sociaux, elles varient au gré des contextes sociaux, des rapports de force, elles sont donc provisoires8. » La frontière entre ce qui est considéré comme politique ou apolitique est mouvante. La question devient celle-ci : pourquoi ces frontières sont-elles fixées de telle ou telle façon par les acteurs ? Dans quelle mesure constituent-elles un enjeu stratégique de la part des élus locaux ? Selon cette perspective, les édiles se trouvent dans un perpétuel jeu de construction et de déconstruction de leur identité politique, cherchant à ne jamais se laisser enfermer dans une acception claire et solidifiée de leur situation institutionnelle. « “Marque” symbolique par laquelle l’acteur politique se distingue de ses pairs, son identité est donc une identité construite et redéfinie à chaque fois dans les différents [lieux et instants qui la mettent en scène]9 ». On ne peut donc pas affirmer en soi que le local est politique ou apolitique. Il se définit plus que jamais comme un lieu ou la définition « de ce qui est politique » est en renégociation permanente. Les maires construisent et redéfinissent leur identité et l’identité de l’espace local en fonction de stratégies de mise en scène bien particulières. Ainsi, c’est l’ensemble des postures et des positions prises par les acteurs locaux qui définit le local10. S’intéresser aux édiles « suppose de prendre en considération l’ensemble de ces différents modes d’existence publique. L’objet de l’analyse devient du même coup, l’ensemble de ces “identités” qui s’inventent dans la relation entre les instances locales et l’enjeu proprement politique que constitue la présentation de soi […]11 ».

3L’objet de ce travail est précisément de mettre en exergue le fait que les acteurs jouent sur les ambiguïtés du local, qu’ils construisent la dimension politique ou apolitique du local à des fins de légitimation ou de recherche du pouvoir. Telle est notre hypothèse de départ.

  • 12 Pour une approche générale du concept, voir Mabileau (A.), Le système local en France, Paris, Mont (...)

4Les luttes symboliques de définition de la sphère locale (politique ou pas) sont très souvent utilisées par les édiles comme une ressource, visant ici ou là à brouiller le jeu dans lequel elles s’insèrent sans jamais caractériser de façon certaine le local. C’est donc en investissant la multiplicité des positions institutionnelles de ces « marginaux-sécants » que nous pourrons mieux comprendre la/les constructions sociales de l’échelon local. Pour ce faire, nous nous sommes penchés sur des situations-limites sur lesquelles il n’y a pas de consensus a priori. Le local12 demeurerait ainsi « cette zone de la politique infra-institutionnalisée », à la fois en interaction avec la politique institutionnelle mais encore non institutionnalisée totalement dans les mentalités et les pratiques politiques des élus et donc toujours objet de discussion quant à son caractère politique ou apolitique.

Entre interconnaissance villageoise et « urbanité rurale »

5Les maires n’hésitent pas à jouer de stratégies d’étiquetage et de présentation très diverses. Elles évoluent selon la configuration dans laquelle ils se situent. Ainsi, ils ont la volonté de cumuler les profits symboliques liés à une approche apolitique de leur fonction et ceux liés à des revendications de politisation.

Se présenter comme un « homme politique » : une stratégie d’étiquetage a priori très porteuse

  • 13 Nous utilisons de ce terme dans l’acception de éLias (N.), La dynamique de l’occident, Paris, Calm (...)
  • 14 Les ressources dont dispose l’élu seront d’autant plus importantes dans les zones plus urbanisées (...)
  • 15 Au sens de Abélès (M.), Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, P (...)
  • 16 Cf. Gaxie (D.) & Lehingue (P.), Enjeux municipaux : la constitution des enjeux politiques dans une (...)

6En se définissant souvent d’emblée comme des hommes politiques à part entière, les édiles souhaitent légitimer leur position dans l’espace public local. La labellisation « homme politique » constituerait a priori dans l’imaginaire édilitaire une symbolique suffisante, voire une ressource majeure de l’exercice du pouvoir. Il s’agit cependant beaucoup plus d’une stratégie de présentation et d’étiquetage que d’un véritable processus d’intériorisation de la norme « homme politique ». Par exemple, les édiles font remarquer que pour majorer leurs « chances13 » dans la compétition politique locale, le laisser-passer notabiliaire ou partisan ne suffit plus. L’image idéale typique de l’enfant du pays ayant une implantation familiale locale depuis des générations ne s’observe plus que dans des cas isolés. Pour avoir des « chances » d’être élu dans une petite commune, il faut que les candidats présentent un véritable programme électoral et accumulent le plus de ressources possibles (capital de voix, nombre de mandats, étendue de ses réseaux…). C’est ce que nous ont confirmé la plupart des élus rencontrés14. La dimension notabiliaire ne serait désormais plus suffisante pour obtenir l’assentiment populaire et par conséquent la position d’éligible15. Elle doit être cumulée avec une approche fondée à partir d’un programme précis et parfois, le soutien d’un parti politique ayant une forte lisibilité dans l’espace public (par exemple, Parti socialiste, Parti communiste, Verts, UDF…). Les élus sont nombreux à contester la perception d’un échelon local où la compétition électorale demeurerait encore inexistante. Celle-ci se caractériserait, au contraire, par une importance croissante des enjeux politiques16. La pluralité des opinions et des tendances est notamment représentée au moment des élections municipales. Aujourd’hui,

  • 17 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.
  • 18 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Mordelles.
  • 19 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Bourg-des-Comptes.

« il y a vraiment beaucoup de listes, il y a donc une forte différenciation partisane. Les gens sont très passionnés par les élections municipales. Aux dernières élections, il y avait trois ou quatre listes en présence. C’était serré17 » ; « Lors des dernières élections, il y avait trois listes en course. Une était clairement proche de l’UDF, une regroupant des gens très divers (une liste d’intérêt communal comme on dit je crois !) et la nôtre plus proche du parti socialiste […]18 » ; « Vous savez, à mon avis, il y a de moins en moins de liste unique, c’est sûr autrefois, quand je suis arrivé en 1959 à la mairie, les maires se suivaient de père en fils, aujourd’hui c’est fini, en tout cas, c’est de moins en moins vrai. Par exemple, chez nous, depuis une dizaine d’années, il y a toujours au moins deux listes en présence, certes pas toujours politisées, mais “ça se bat sec”, il y a une véritable campagne19. »

  • 20 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Janzé.
  • 21 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.
  • 22 Sur cette « rhétorique du maire-entrepreneur », nous renvoyons par exemple à Le Bart (C.), La rhét (...)

7Les édiles semblent accepter l’idée que l’échelon local puisse intégrer des vecteurs de politisation efficaces. Selon les nouvelles valeurs défendues par les acteurs locaux, la vision d’un local apolitique où le consensus généralisé régnerait n’aurait plus aucun sens aujourd’hui. La politique locale longtemps marquée par une idéologie et une volonté d’apolitisme qui se traduisait concrètement par des listes d’intérêt local, des plates-formes centrées sur des enjeux pratiques et souvent par une cohabitation de fait entre personnes de tendances politiques différentes, aurait vécu. Le soutien des grands appareils politiques nationaux et l’échafaudage de campagnes électorales fondées sur le modèle national témoigneraient de cette évolution. Les programmes politiques et les « professions de foi » font dorénavant partie de « l’apprentissage de la grande politique » au niveau local. « […] Oui, il faut un programme. Quand je me suis présenté il y a six ans, il fallait un programme. Aujourd’hui, il faut se montrer gestionnaire, les concitoyens vous jugent sur un véritable bilan […] Le laisser-passer notabiliaire, ne suffit plus, sauf peut-être au niveau de l’ancienne génération. Les gens vont vous juger sur le bilan et un programme20. » La plupart des affirmations vont dans le même sens. « Aujourd’hui pour faire de la politique au niveau local, il faut un véritable programme. Être un bon gestionnaire des affaires publiques est indispensable. Les concitoyens élisent une équipe mais également un maire qui apparaît compétent pour gérer les affaires communales21. » Loin de souhaiter devenir des « élus comme les autres », ils sont néanmoins conscients que l’accroissement de leur poids et de leur lisibilité politique passe par une « institutionnalisation » de leur fonction. Les enjeux municipaux participent ainsi aux évolutions de la fonction. La spécificité de la politique locale, parfois si jalousement préservée par les édiles semble néanmoins de plus en plus contestée par les pressions politiques qui s’exercent sur eux. Certes, les préoccupations quotidiennes des citoyens doivent être prises en considération. Cependant, la légitimité politique se construit aujourd’hui autant, sinon davantage dans les projets que les édiles réaliseront au cours de leur mandat22. Il y aurait là une rupture entre le maintien d’une certaine tradition politique et le développement d’une politique fondée sur des enjeux structurels importants.

La réaffirmation d’un repli identitaire par rapport au champ politique

8Les réflexions des élus sont cependant loin d’être toujours aussi univoques. Ils sont nombreux à nuancer leurs propos et à ne pas donner des arguments aussi clairs :

  • 23 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.

« Je suis convaincu que le maire ne peut se faire élire que grâce à un programme et des capacités gestionnaires. On peut se faire élire par hasard, on se fait pas réélire par hasard. Le parachutage ne fonctionne pas en milieu rural comme en milieu urbain. Dans le milieu rural, les gens ont beaucoup plus de distance vis-à-vis de cela23. »

9Le maire de la commune de Janzé, qui insistait sur l’importance des programmes électoraux à l’échelon local, soutient le contraire quelques instants après :

  • 24 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Janzé.

« Vous savez, on n’exerce pas un mandat local comme une fonction nationale. Il faut être proche des gens, ils sont surtout intéressés par les problèmes de la vie quotidienne. Les rivalités politiques, les enjeux nationaux des grands partis, ils s’en foutent ! J’ai été élu car on me connaissait, j’ai juste dit que j’allais faire ça ou ça mais je n’avais pas de programme précis et détaillé avec de grandes priorités comme il y a au niveau national. Les maires ont le boulot des curés d’il y a vingt-cinq, trente ans et même des notaires ! On est proche des gens, c’est tout, on ne balance pas un programme qu’on ne pourrait pas respecter de toute façon […]24. »

10Malgré les affirmations de certains, la gestion politique au niveau local conserverait des particularités considérables. La coexistence entre la mise en scène d’une posture identitaire de légitimation de la fonction mayorale et l’héritage de réflexes et de comportements politiques plus anciens apparaît nettement dans le discours des édiles. La fonction exige que l’on se présente d’abord comme un « politique » rigoureux gérant sa commune selon des modalités préalablement définies (cf. la notion de « programme électoral ») et non comme un « amateur ». Cependant, les pratiques de la « petite politique » (rhétorique du dévouement, de la médiation…) ressurgissent souvent au fil des discours comme pour mieux évacuer tout ce qui pourrait briser le « consensus ambigu ». Le terme de « médiation » revient dans les paroles des élus comme un leitmotiv :

  • 25 Extrait de l’entretien du 22/05/2000 avec le maire de Chartres-de-Bretagne.
  • 26 Extrait de l’entretien du 8/04/2000 avec le maire de Cancale.
  • 27 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.
  • 28 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.

« La fonction de maire, c’est d’abord une fonction de médiation au sens noble du terme. Comment essayer de gérer au mieux la vie quotidienne de nos concitoyens25 ? » ; « Je me considère comme un médiateur. Je dois régler les conflits, les querelles de voisinages. Oh là, les querelles sont une des préoccupations majeures des maires26 » ; « Je suis un médiateur. Cela a beaucoup évolué depuis dix ans. Le rôle de médiation est très important. Nous sommes aussi jugés sur la capacité à régler un certain nombre de problèmes à l’amiable par le dialogue et la concertation27 » ; « Il ne se passe pas un mois sans que j’intervienne dans des querelles de voisinages. La dernière en date, c’était des aboiements intempestifs d’un chien et j’ai reçu des pétitions, je suis allé voir le propriétaire du chien pour trouver des solutions ensemble, une autre fois c’était un voisin, alors je me déplace, je suis un recours, un médiateur28. »

  • 29 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.

11Le travail politique est fait d’activités relationnelles dans la mesure où le rôle d’un élu est celui d’un médiateur, d’un courtier ou d’un intermédiaire qui établit une communication, au sens large du terme, entre différents réseaux ou segments différenciés de la société. Le rôle du maire consiste à assurer les relations entre différents champs ou sous-systèmes d’action très largement autonomes. La fonction mayorale apparaît alors comme la clé de voûte et le régulateur d’un système d’action municipale. Beaucoup d’élus soulignent la nécessité d’être en contact permanent avec les habitants et, dans ce but, mettent en place un ensemble de pratiques : réceptions personnelles des administrés, mise en œuvre de multiples cérémonies, réunions, banquets, etc. Ces pratiques sont liées à une représentation collective du rôle de maire, et, d’une certaine manière, l’élu est contraint d’intérioriser cette norme s’il veut manifester son aptitude à représenter la communauté locale et espérer conserver le pouvoir municipal. Le maire de Saint-Briac-sur-mer, Brice Lalonde, ancien ministre et ancien député affirme qu’il a « été élu comme un enfant du pays [sa grand-mère est née dans la commune] [et estime que les gens] vont beaucoup plus [le] juger sur des détails que sur la réalisation d’un programme. En effet, la maison de leurs enfants va-t-elle pouvoir être construite à côté de chez eux29 ? » Aussi, cet autre élu faisant remarquer :

  • 30 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

« Les gens ne sont pas très sensibles au côté gestionnaire, aux grands projets politiques. Vous faites un chantier de trois millions de francs, les gens s’en foutent. Par contre les trous qui sont sur leur trottoir et qu’ils voient tous les matins, le ramassage scolaire qui ne passe pas devant chez eux, alors ça ils vous le font savoir rapidement haut et fort. C’est clair. C’est la vie quotidienne qui compte. Les grands projets de la commune, ça les dépasse. Seulement 15 % de la population s’y intéresse. C’est le quotidien et le relationnel qui prime. Nous ne faisons pas encore le même métier que nos collègues qui ont des mandats nationaux30. »

  • 31 Il faut noter que Pierre Méhaignerie était alors député, maire de Vitré (sous-préfecture du départ (...)
  • 32 Notons que la communauté d’agglomération de Rennes constitue un poids politique et économique de p (...)
  • 33 Alain Madelin était alors député-maire de Redon (sous-préfecture du département), président d’un m (...)
  • 34 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.
  • 35 Nous entendons par-là le cadre strict de la commune.

12Les ambiguïtés traversent le discours des édiles. La politique institutionnelle est encore perçue de façon négative. Selon les acteurs locaux, la « grande politique » se définit surtout par son côté abstrait, « loin des préoccupations quotidiennes du citoyen ». Les valeurs véhiculées par la politique institutionnelle sont utilisées avec une infinie précaution. Les élus locaux doivent donc jouer de manière très habile entre ces deux rhétoriques de gouvernement municipal afin de présager de leur futur politique. Le maire ne doit pas apparaître trop distant, trop politicien au risque de déplaire à une partie de son électorat tout en entretenant son réseau de figures locales nécessaire pour mener à bien certains projets. L’édile doit jouer au gré des circonstances sur des registres très différents. Il y aurait ainsi des stratégies de politisation ou de dépolitisation plus ou moins organisées et choisies en fonction des circonstances de gouvernement. Prenons cet exemple particulièrement saillant : le maire de la commune de Bain-de-Bretagne située à une trentaine de kilomètres au sud de Rennes et qui compte environ 4 500 habitants avait fait, au début des années quatre-vingt-dix, une demande de construction d’un lycée sur le territoire de sa commune qui possédait déjà un collège. Cependant, cette décision administrative qui relève d’une commission spéciale du conseil régional fut dans un premier temps refusée. En effet, Cesson-Sévigné, une commune de 16 000 habitants, limitrophe de Rennes et membre de la communauté d’agglomération, effectua une demande équivalente à la même époque et obtint gain de cause. La bataille administrative et politique entre les deux communes que tout séparait a priori au départ (l’une relativement éloignée de Rennes et ne faisant pas partie de la communauté d’agglomération, l’autre au contraire aux abords de la « grande ville », membre du « district » et ayant un poids démographique sensiblement supérieur) fit rage pendant plusieurs années. Les deux maires en place jouèrent alors de leur « notabilité » pour faire basculer la décision de la commission du conseil régional en leur faveur. Le « réseau relationnel » du maire de Cesson-Sévigné semblait toutefois plus important à cette époque. En effet, outre sa fonction de maire, il était vice-président du Conseil général d’Ille-et-Vilaine présidé par Pierre Méhaignerie31. Le maire de Bain-de-Bretagne était au contraire plus isolé politiquement. D’une part, il n’avait pas l’appui de la communauté d’agglomération32 et d’autre part, il avait une lisibilité politique sans doute moins favorable car il n’exerçait que ses fonctions de maire. C’est à ce stade, pour des réalisations qui dépassent l’espace politico-institutionnel communal, que nous observons l’importance de la mobilisation du « réseau relationnel » dans la mise en forme politique de projets de grande ampleur. Le maire de Cesson-Sévigné a ainsi obtenu l’aval de la commission du conseil régional pour la construction du lycée. Notons que le maire de Bain-de-Bretagne obtint finalement gain de cause quelques années plus tard. Là il dut batailler contre une commune rurale plus proche, Janzé, située également à plus de vingt-cinq kilomètres de Rennes et qui souhaitait l’implantation d’un lycée. Le « réseau relationnel » a encore joué un rôle majeur dans le suivi du projet. La commune de Janzé est membre de la communauté de communes dont la ville centre est Vitré et qui a pour maire Pierre Méhaignerie. Le maire de Janzé fait état de « nombreuses rencontres avec Pierre Méhaignerie ». Le maire de la commune Bain-de-Bretagne, très proche de la ville de Redon, a des liens étroits avec « son » maire : « Je connais Alain Madelin33. Sur le lycée, les relations avec Madelin ont été décisives pour l’attribution du marché34 ». Les positions acquises dans le champ politique peuvent se révéler d’une importance capitale dans l’élaboration et l’aboutissement de projets de grandes envergures qui dépassent le « micro-espace public local35 ».

13Les élus cumulent souvent leur mandat avec une ou plusieurs fonctions dans des institutions locales :

« Je suis président d’un SIVOM » ; « Je suis président d’un syndicat d’assainissement » ; « Je suis vice-président de la communauté de communes » ; « Je suis également président de plusieurs SITCOM » ; « Outre ma fonction de maire, je suis également président du syndicat des eaux et président de plusieurs associations pour l’emploi (PAE) et pour le logement » ; « Je suis président de plusieurs syndicats intercommunaux, du syndicat départemental des pompiers, du syndicat des eaux, du conseil d’administration du lycée… »

  • 36 Pour une présentation des répercussions et des perceptions politiques du cumul des mandats, voir p (...)

14Les élus locaux n’évoquent jamais au premier abord ces fonctions connexes, ils se définissent avant tout comme maire, ce n’est qu’au fil de l’entretien qu’ils dévoilent les positions institutionnelles qu’ils occupent par ailleurs. En effet, ce n’est très souvent qu’en recoupant les informations, en mettant à jour les silences et les non-dits que l’on comprend que les acteurs de la vie municipale ne souhaitent pas donner une image de « cumulard », trop péjorative voire trop « politique » à leur goût36.

  • 37 Extrait de l’entretien du 18/03/2000 avec le maire de Pacé.

15Il y aurait ainsi comme une certaine réticence à affirmer son ancrage politique local. Ainsi, en évoquant leur participation à des syndicats d’économie mixte, des établissements publics (office public d’HLM, etc.) ou plus simplement à des associations d’intérêt local, les édiles redoutent l’image d’une institutionnalisation sur la perception que se forgent les citoyens de leur fonction : « Je vois déjà les critiques, je les entends déjà, il ne se concentre plus sur la commune, il recherche les présidences de ci, de ça pour avoir les soutiens de telle ou telle “pointure locale” en vue des prochaines élections37 ». Les édiles sont toujours dans un perpétuel jeu de construction et de déconstruction de leur identité politique, cherchant à ne jamais évoquer une acception claire de leur situation institutionnelle. L’objectif non avoué des élus est toujours de demeurer vis-à-vis de l’électorat à la frontière de l’institutionnalisation en s’insérant dans des instances de pouvoir peu « représentatives ou lisibles » pour un public profane. Cette posture les conduit parfois dans une stratégie de dénégation du professionnalisme ou du carriérisme et, pour le dire autrement, à tout ce qui renvoie dans leur imaginaire à la « grande politique ». Ils espèrent ainsi retirer de cette multi- positionnalité non affichée des avantages politiques substantiels (pour les projets communaux par exemple). L’art consiste donc à éviter de s’afficher comme un « professionnel de la politique » tout en usant des arcanes des systèmes décisionnels locaux pour mieux affirmer son pouvoir municipal. Loin de vouloir ici tirer des conclusions trop hâtives, les limites de l’institutionnalisation acceptée sont variables d’un acteur à l’autre ; on repère néanmoins quelques lignes directrices. Selon les cas, il peut s’agir simplement de se forger une image d’élu engagé dans la vie locale (l’édile privilégie alors la sphère associative plus lisible), de chercher à étendre son autorité locale à quelques gratifications supplémentaires, d’utiliser ces espaces comme un moyen de s’affirmer politiquement ou beaucoup plus directement d’entrer en politique. Il est donc très difficile de déceler la réelle efficience de l’engagement des édiles dans ces lieux de gouvernement parallèles.

Un art certain de la mise en scène : se montrer proche du citoyen

16Les élus n’hésitent pas à proclamer la proximité comme un art du gouvernement local. Outre les attributions « traditionnelles » qui leur sont dévolues par le pouvoir législatif et réglementaire, nous remarquons que la fonction dépasse généralement le cadre « réglementaire ». L’élu local exerce un mandat, mais également des fonctions d’assistant social, de médiateur, de « confesseur laïque » ou de préservation du lien social. Nombreux sont les édiles qui nous ont affirmé que dans leurs communes, les habitants « ramenaient tout au maire ». Il serait en quelque sorte une autorité « morale » capable de régler tous les problèmes :

  • 38 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

« Il m’est arrivé d’avoir un coup de téléphone à huit heures du soir pour me signaler un problème de baignoire dans un logement qui appartenait à la commune ! À la fois c’est “vachement sympa”, parce qu’on est susceptible de tout régler, mais ça va peut-être trop loin quelques fois. On est responsable de tout, pour les gens le maire est responsable de tout38. »

  • 39 Nous entendons ici le terme « dépolitiser » au sens de politique partisane. Dans les propos des éd (...)
  • 40 Cf. Bourdieu (P.), Propos sur le champ politique, Lyon, PUL, 2000. Ce terme, auquel nous avons sou (...)
  • 41 Cf. Becquart-Leclerc (J.), « Réseau relationnel, pouvoir relationnel », Revue française de science (...)

17Les acteurs jouent à merveille de l’ubiquité de leur position dans la sphère politique locale. En effet, on s’aperçoit à certains égards qu’ils cherchent à « dépolitiser39 » leur fonction en évoquant dans leur discours une rhétorique de la proximité comme valeur essentielle et fondamentale de l’ordre politique local. Par ailleurs, ils n’hésitent pas à construire ou insérer leur fonction mayorale dans le champ politique40 en reconnaissant l’importance de leurs réseaux dans le jeu politique non seulement local, mais également départemental, voire national41. Le local serait ainsi le reflet de la cohabitation de différentes dimensions du politique, qui, si à première vue sur un plan discursif, peuvent apparaître comme contradictoires, forment dans la réalité une modalité d’articulation entre des nécessités pratiques, des structures en évolution, des représentations sociales et la volonté de préserver une acception mythique du local. Lorsque les édiles font régulièrement référence à des valeurs traditionnelles telles que l’apolitisme, la bonne gestion communale, l’importance du consensus, le désir de prendre en considération les opinions de chaque habitant et d’éviter les divisions « claniques », ils cherchent, avant tout, à accumuler des ressources afin de légitimer leur position dans l’espace public local. L’apolitisme devient ici une valeur essentielle dans l’art de gouverner. En quelque sorte, les édiles jouent sur l’ensemble des registres. Des extraits d’entretiens pris au hasard justifient largement ces propos :

  • 42 Extrait de l’entretien du 24/05/2000 avec le maire de Montgermont.
  • 43 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.
  • 44 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.
  • 45 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.
  • 46 Extrait de l’entretien du 8/06/2000 avec le maire de Paimpont.

« Tout le monde me connaît. Je pense que ce que les gens apprécient, c’est ma disponibilité. Je suis toujours là, on peut toujours me voir quand on veut. Quelqu’un rentre à la mairie et on peut me voir42 » ; « […] Il faut dépasser les clivages politiques, je souhaite un développement du local harmonieux43 » ;« Je suis sollicité pour les cantonales de 2001 et je me pose véritablement des questions […] Est-ce qu’en prenant un engagement à un échelon politique clair et supérieur, je ne vais pas politiser le débat ici dans la commune. C’est peut-être le risque aussi. Les gens savent bien de quel côté je me situe […] je veux simplement être un maire proche des citoyens44 » ; « Pratiquer la concertation est très important. Quand on veut mettre en place un projet, on crée des groupes de travail qui vont jusqu’à quatre-vingts personnes. Cela a été le cas sur la piscine et le centre culturel […] il y avait souvent un consensus qui s’établissait. Il m’est arrivé de retirer un projet lorsqu’un consensus n’avait pas été trouvé. Le dialogue est perpétuel45 » ; « Dans les réunions du conseil municipal, il y a souvent un consensus qui s’établit, les votes sont à main levée, les conflits sont réglés par la discussion et le dialogue […] il n’y a pas de politique ici, la politique et moi c’est deux choses différentes46. »

18La référence à des thèmes localistes, apolitiques, gestionnaires permet une dissociation des critères de perceptions et d’évaluation de l’action politique à l’échelon local. L’apolitisme tend ainsi à renouveler, en dehors de tout a priori idéologique et de tout réflexe partisan, les soutiens dont toute édile a besoin pour durer. Sa fonction attendue est de créer de nouvelles fidélités et allégeances qui viendront consolider son ancrage territorial. En justifiant ses interventions dans l’espace public, par des critères exclusivement locaux, l’élu dissocie clairement le local du national et rejette ainsi clairement l’image négative de la « politique politicienne ». À en croire les édiles, nous observons que :

  • 47 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », Politix, n° (...)

« La population ne se prononce en définitive que dans le cadre des catégories de perception et d’évaluation qui lui sont proposées voire imposées. Ces croyances sont tout d’abord celles que les élus s’efforcent de mobiliser [dans l’espace public] pour consolider leur implantation et constituer le capital de voix nécessaire pour espérer être élu ou réélu. Elles les conduisent à mettre en scène leur action municipale, à jouer sur sa politisation ou, au contraire, sa dépolitisation en fonction des conjonctures politiques, des positions acquises, des rapports de concurrence, etc., à s’efforcer de répondre aux “besoins” des habitants47. »

  • 48 La conjoncture du terrain politique (commune dans un environnement très rural ou, au contraire, pl (...)

19Il est très difficile de caractériser clairement les règles qui « conduisent certains élus à “politiser”, ou, au contraire, “dépolitiser” […] leur action municipale ». Les stratégies de mise en scène des acteurs varient en fonction de la configuration politico-institutionnelle dans laquelle ils se situent48. En effet,

  • 49 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », art. cité, p (...)

« tout élu aspirant à être réélu doit quasi obligatoirement s’efforcer de [persuader] l’opinion qu’il agit au mieux de l’intérêt général de la population, que les réalisations mises à la disposition des habitants sont le produit d’une action personnelle et que nul autre n’aurait été capable de parvenir aux mêmes résultats. Il lui faut accréditer l’idée que sa gestion est particulièrement “rigoureuse”, son action particulièrement “dynamique” et “efficace” et se conformer à des représentations socialement reconnues qui peuvent lui valoir de nouveaux soutiens. Ces pratiques conduisent à privilégier le maire et son image dans un processus d’identification dont les effets sont sans doute tout autant sinon plus mobilisateurs que ceux engendrés par des discours politiques abstraits et difficilement compréhensibles pour des électeurs inégalement dotés de “compétence politique”49. »

L’intercommunalité : une remise en cause de la spécificité du jeu politique local ?

  • 50 Cf. Weber (E.), La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale 1870-1914, Paris, Fayard (...)
  • 51 Sur les enjeux et répercussions de l’intercommunalité au plan local, voir Michel (H.), Intercommun (...)

20L’intercommunalité est un révélateur des jeux de constructions et de déconstructions des modèles du gouvernement local et des stratégies des acteurs. Des contradictions apparaissent nécessairement entre un discours critiquant l’intercommunalité et qui fonctionne à la nostalgie (rhétorique de la petite politique et de la « fin des terroirs50 ») et une pratique qui va en sens inverse en rapprochant les maires de la « grande politique ». En effet, la profonde réorganisation des systèmes de décisions locaux introduit des ruptures dans les processus d’élaboration des politiques publiques locales. Les principes de gouvernement s’en trouvent alors très largement bouleversés. Les édiles savent particulièrement jouer des subtilités et des méandres de ce nouveau contexte politico-administratif pour mieux légitimer leur poids et leur influence dans l’espace public local51.

Intercommunalité et démocratie locale : une coexistence difficile ?

21Certes, les maires font remarquer que l’intercommunalité est nécessaire au développement social et économique du local mais en soulignent parfois les insuffisances et les risques pour « l’environnement local ». Ils construisent et déconstruisent en permanence l’image du local qu’ils souhaitent présenter. L’intercommunalité en constitue un exemple hautement symbolique. Aussi, en contestant avec véhémence le développement des réseaux intercommunaux (rhétorique de la perte d’identité, de la fin d’un monde rural idyllique), ils s’affirment d’emblée comme les derniers ambassadeurs d’un idéal démocratique. Cette rhétorique de la proximité qui renvoie ici à la perception d’un local « berceau de la démocratie » demeure l’argument privilégié des édiles pour s’attacher l’adhésion de la population. Elle fonctionne comme une stratégie d’identification visant à réinscrire les acteurs en dehors du politique, afin de respecter et de protéger l’image traditionnelle de la figure du maire défendant sa « petite patrie ». En effet, dans l’imaginaire des édiles, l’intercommunalité renvoie à la « bureaucratisation » et à la professionnalisation de l’espace local et par conséquent à sa politisation. Telle est l’équation avancée par les élus. Leur légitimité s’exercerait avant tout en préservant à tout prix cette image d’Épinal de la « place du village » comme vecteur principal de l’exercice de la démocratie :

  • 52 Extrait de l’entretien du 19/05/2000 avec le maire de Montreuil-sur-Ille.
  • 53 Extrait de l’entretien du 18/03/2000 avec le maire de Pacé.

« J’ai l’impression que les lieux de discussions se sont particulièrement réduits, moi quand je suis arrivé il y a trente ans, je ne pouvais pas faire un pas dans la rue sans que les gens m’interpellent pour un oui ou pour un non. Le café, la place du village était de vrais lieux de discussions. Aujourd’hui, avec l’intercommunalité et la multiplication des échelons politiques et administratifs, je vais de réunions en commissions et j’ai peut-être moins le temps d’être sur le terrain pour discuter avec les gens, pour dialoguer52 » ; « Les décisions majeures se prennent lors des réunions de la communauté de communes, le conseil n’est plus maître de tout. C’est le citoyen qui se trouve dépossédé de son pouvoir d’appréciation. En effet, regarder son vote n’a alors plus grande signification, car les élus qui représentent la commune aux réunions de la communauté sont désignés par le conseil municipal. C’est là que j’affirme que la démocratie locale est en danger si on ne réforme pas au plus vite les procédures de désignations des représentants de la communauté de communes. Il faut à mon avis réintroduire un vote pour faire participer le citoyen53 ! »

22Pour certains, l’entité communale et les mandats qui l’accompagnent vont perdre toute la signification symbolique qu’ils détenaient. C’est le rôle et la fonction de maire qui sont en péril selon certains interlocuteurs :

  • 54 Extrait de l’entretien du 16/05/2000 avec le maire de Cesson-Sévigné.

« Il y a un autre danger, […] c’est l’intercommunalité. Moi, je dis que je suis heureux de partir. On sera juste bon à inaugurer des chrysanthèmes et à faire des mariages. Tout se passera en haut lieu avec la pensée unique. Je ne serai pas resté dans ces conditions. Se faire imposer de l’extérieur ceci ou cela, moi je ne tolère pas. Je ne suis pas plus individualiste qu’un autre, c’est moi qui ai été à la création du district, alors vous voyez. […] Les organisations communautaires ont leurs limites54. »

  • 55 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.

23D’autres sont encore plus vindicatifs. « Je pense que l’intercommunalité, c’est du vent. Le trésor de la France, c’est le bénévolat, ce sont les quelque 400 000 conseillers municipaux55 ». La proximité entre l’élu et le citoyen demeure un argument souvent invoqué par les élus pour évoquer la vitalité du débat démocratique. La participation citoyenne à la gestion des affaires de la cité est présentée comme un modèle cher aux élus. Dans La vie communale et départementale, principale revue d’information des élus locaux, les critiques sur l’intercommunalité furent très vives au moment du vote de la loi sur l’Administration Territoriale de la République (ATR) du 6 février 1992. Un combat pour la défense de la « petite commune » est alors né. On relève par exemple :

  • 56 Point de vue d’un maire d’une petite commune (anonyme), « Statut de l’élu et budget des plus petit (...)

« … les petites communes restent souvent le seul exemple réel de la démocratie au quotidien, le creuset local d’une collaboration fructueuse et le lieu où les motivations pour sauver ou entretenir le patrimoine national, sont les plus ancrées. Le futur, néanmoins, sera marqué, certainement, par d’obligatoires regroupements. Puissent-ils intervenir en parfaite connaissance de cause, avec la conscience des valeurs en jeu et hors de toute obligation extérieure à se regrouper56. »

  • 57 Massardier (G.), « L’intercommunalité pour s’isoler. Quelques réflexions sur la construction concu (...)
  • 58 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.
  • 59 On comptait 2195 communautés de communes au 1er janvier 2003 contre 193 au 1er janvier 1993 ! Le s (...)

24Si le local réussit encore à rester un lieu d’expression démocratique (espace public discursif, proximité élus-citoyens, importance de la concertation…), il n’en subsiste pas moins que les élus locaux sont de plus en plus préoccupés par l’expansion des réseaux d’intercommunalité et leurs répercussions sur l’image de la démocratie locale. Il y aurait une antinomie entre la « politisation » du local et le maintien d’une véritable « démocratie de proximité ». Selon « un conseiller municipal de la Ciotat, [la communauté d’agglomération] Marseille-Provence Métropole “est une institution qui fonctionne selon des principes opposés à la démocratie : les décisions sont prises entre secrétaires généraux des mairies et les séances plénières ne sont que des lieux d’enregistrement”57 ». Un autre élu fait ainsi remarquer qu’« aujourd’hui les gens se perdent dans le dédale des structures administratives et sociales alors que la mairie devrait constituer ce guichet unique ou le citoyen doit pouvoir trouver un maximum d’aides et de renseignements58 ». Ce type d’argument confronte deux rhétoriques : un idéal de « vraie » démocratie quasi-directe (registre de la « petite politique ») et une démocratie de délégation « dévoyée » qui devient l’apanage des « technocrates » et des professionnels (registre de la « grande politique »). Là encore, les élus jouent sur les polysémies du rôle. En présentant la multiplication des schémas intercommunaux comme « une OPA sur les petites communes [et] une [nouvelle] forme de colonialisme […] », certains édiles inscrivent encore leur argumentation dans une dialectique politisation/dépolitisation. Alors que la loi ATR a dorénavant plus de dix ans59, le débat est loin d’être clos. Dans un récent numéro de Le courrier des maires et des élus locaux, un article faisait encore état des questions que soulevait le développement des réseaux intercommunaux. Les maires évoquent notamment deux écueils notables : d’une part, la barrière entre l’élu et le citoyen se creuse aujourd’hui rapidement (les décisions sont prises à des niveaux administratifs et institutionnels de moins en moins lisibles pour un public profane), d’autre part, les élections municipales ou cantonales ne jouent plus leurs rôles de mobilisation ou de catalyseur démocratique. Ainsi, Michel Guidi, maire de Catarau, commune limitrophe de l’agglomération niçoise dresse une « très longue liste d’inconvénients » :

  • 60 Le courrier des maires et des élus locaux, juin-juillet 2003, n° 159-160, p. 28-29.

« Il y a une suprématie de la ville de Nice par rapport aux autres communes et nous avons craint que cette disproportion ne conduise à une perte d’identité pour la commune ». [Autre inconvénient des grandes structures aux yeux de l’élu : l’augmentation des intermédiaires dès qu’il s’agit de faire remonter les besoins de la population ou de retourner les ordres de mission] « C’est une régression […] Alors que le maire est sur place quand il le faut, dans les grandes structures la population a désormais affaire à des fonctionnaires. En agissant ainsi, on risque encore de détourner encore un peu plus les citoyens de la vie publique60. »

25La formule est lancée ! La thématique du rejet par les citoyens de la politique professionnelle et politicienne est ici clairement exposée. La rhétorique argumentaire de ces élus ne laisse planer aucun doute. Ils n’hésitent pas à dénoncer « la perte d’identité pour les communes », « la régression », « les nouvelles formes de colonialisme » […]. L’intercommunalité serait ainsi la cause de tous les maux. En défendant l’image d’une démocratie locale toujours à préserver, ils considèrent le développement des schémas intercommunaux comme un frein à l’épanouissement de l’idéal démocratique qu’ils envisagent ici comme « apolitique ». La dimension participative se serait aujourd’hui largement effacée au profit d’un déplacement du pouvoir de décision vers des organes institutionnels « extra communaux ». En termes de symbolique territoriale, les élus s’accordent à reconnaître le problème de la confusion engendrée par la superposition des échelons communaux, intercommunaux, nationaux et européens.

26Nombreux sont les élus qui « se révoltent » contre l’incursion d’une certaine technicité politique au sein du local. Ils dénoncent les nouvelles formes d’abstraction du politique et la « mise à distance » du citoyen dans son rôle politique. Pour les élus :

  • 61 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.
  • 62 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Chantepie.
  • 63 Extrait de l’entretien du 19/05/2000 avec le maire de Montreuil-sur-Ille.

« à l’avenir si on ne veut pas complètement déconnecter le citoyen de l’activité politique, des réalisations politiques, il faudra repenser les schémas d’aménagements intercommunaux pour favoriser au mieux le dialogue61 ». « Avec l’intercommunalité, le citoyen ne s’y retrouve plus, la multiplication des échelons politiques rend de plus en plus illisible les décisions pour les gens62 » ; « Les habitants sont incapables de vous dire que tel projet est l’œuvre de la communauté de communes, pour eux, tout ce qui est réalisé sur le territoire de la commune est l’œuvre de la politique du conseil municipal. Par exemple, on a construit une salle de sport entre trois communes, mais qui se trouve sur notre territoire communal, eh bien, les gens me félicitent dans la rue en me disant que j’ai pris la bonne décision […] Je n’ai même pas eu l’initiative sur ce projet, c’est mon collègue d’à côté qui a développé cette idée et c’est moi qui vais en retirer un bénéfice politique important63. »

27Cette attitude leur permet surtout de se différencier du jeu politique national et partisan si décrié pour mieux légitimer leur position dans l’espace public local.

L’intercommunalité comme levier des décisions politiques

  • 64 Extrait de l’entretien du 27/06/2000 avec le maire de Châteaubourg.

28Cependant, ils n’omettent pas de rappeler que l’essor de l’intercommunalité a constitué un formidable vecteur pour « sortir de l’ornière et de l’isolement dans lesquels baignaient parfois certains élus64 ». L’importance stratégique des postes occupés dans les institutions locales constitue un moyen de peser sur les processus décisionnels et de parfaire son réseau relationnel. Par exemple, la communauté de communes demeure un lieu stratégique pour rencontrer d’autres élus ayant un vécu politique ou qui sont de par leur mandat (par exemple député ou sénateur, maire d’une grande agglomération, proche d’un membre du gouvernement…) des interlocuteurs « nécessaires » pour faire « aboutir des revendications ». Ainsi,

  • 65 Extrait de l’entretien du 27/03/2000 avec le maire de Pacé.
  • 66 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.
  • 67 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.
  • 68 Extrait de l’entretien du 26/05/2000 avec le maire d’Arbrissel.
  • 69 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

« les réunions d’assemblées intercommunales ne sont pas uniquement des lieux où l’on vote et prend des décisions pour la communauté de commune mais surtout des séminaires de rencontres où [les élus font leur « marché politique »] et nouent des relations souvent primordiales pour la bonne gestion de leur commune ou de leur collectivité65 » ; « Nous avons besoins de relais et c’est un jeu normal de la démocratie. Il ne s’agit pas d’obtenir quelque chose dont on n’aurait pas droit mais des choses dont on peut bénéficier et qui ont du mal à se concrétiser66 » ; « J’ai eu des contacts avec des ministres et cela m’a permis d’avoir des relations de travail intéressantes et de mieux aborder certains dossiers67 » ; « vous rencontrez telle personne qui va vous permettre de rencontrer telle autre et ainsi de suite… C’est comme cela que se forgent les relations et cela prend beaucoup de temps. Moi je suis maire depuis longtemps, donc je connais du monde, mais ce n’est pas le cas de tous les élus locaux. Il y en a qui galèrent68 ! » ; « L’aide d’une personnalité politique peut-être intéressante dans l’appui d’un dossier et sa constitution. Elle peut vous conseiller pour un certain nombre de filières que vous auriez omises de par votre inexpérience politique au niveau national69. »

  • 70 Ibidem.

29Les édiles ont pour objectif de maximiser leurs réseaux de relations dans l’optique de satisfaire les « exigences politiques » de leurs concitoyens. Ils n’hésitent pas alors à s’immiscer dans le jeu politique en participant à des réunions avec des « institutionnels ». C’est aussi parce qu’ils jouent de leurs relations dans le champ politique qu’ils peuvent satisfaire les demandes de leurs concitoyens, être à leur écoute et donc proférer le discours de la proximité et de l’apolitisme. Ainsi « la formation d’un réseau de relations est très importante pour une bonne administration du local. À mon avis c’est indispensable. Avec le député de la circonscription, on a pu obtenir une subvention exceptionnelle de l’État (trois cent mille francs pour une passerelle). Pour le collège et la gendarmerie, cela a été la même chose, il faut donc jouer sur toutes les subtilités administratives et politiques70 ». Les édiles jouent de ces frontières mouvantes entre l’image de l’élu défendant « corps et âme » sa cité au prix d’un investissement à toute épreuve qu’ils mettent en scène et les réalités d’un nécessaire travail de mobilisation d’un réseau d’interconnaissance.

  • 71 « Dans la France rurale, les protagonistes se retrouvent tout naturellement autour de l’église et (...)

30Il y a donc un déplacement des centres de décisions politiques. La tension entre la préservation des acquis « traditionnels » (image de la place du village et du clocher comme vecteur principal de la discussion et de la formation « d’une opinion publique locale71 ») et l’essor de nouvelles formes du politique (développement des réseaux d’intercommunalité par exemple) devient particulièrement visible.

Un « flou institutionnel » largement orchestré par les édiles

31Dans son ouvrage sur le maire de la commune rurale, Charles Schmitt ouvre son propos en dressant un portrait de « l’élu local » :

  • 72 Schmitt (C.), Le Maire de la commune rurale, op. cit., p. 21.

« Cet homme qui traverse le bourg juché sur son tracteur et qui se rend au travail des champs, pourquoi donc l’arrête-t-on si souvent au lieu de le laisser passer son chemin ? Il est armé d’une belle patience car, pour chacun de ses interlocuteurs, il a un sourire, alors que cependant, tout prouve qu’il est pressé d’en finir avec cette traversée du bourg qui doit lui paraître interminable. Mais voici le garde champêtre qui l’aborde et lui tend un papier. Il semble lui indiquer qu’il s’agit d’une affaire urgente. Une signature… Il espère enfin avoir gagné la partie ; mais au moment de dépasser les dernières maisons, on l’appelle encore ; dernière halte, le temps d’empocher une enveloppe qu’on lui remet. C’est le maire de la commune72. »

32Ce portrait de l’élu local qui se veut idéal typique relève cependant aujourd’hui plus de l’image d’Épinal ou de la caricature que d’une réalité observée sur le terrain. Notons néanmoins que cette image fut très longtemps ancrée dans les imaginaires politiques et le demeure d’une certaine façon encore aujourd’hui. « La professionnalisation de l’espace politique local » est sujette à beaucoup de réflexions, de débats, de contradictions, de paradoxes. Les acteurs locaux ne parviennent pas ou plutôt ne souhaitent pas élaborer une définition claire des activités politiques locales. En s’évertuant ainsi à « brouiller les pistes », ils cherchent tantôt à insérer l’entrepreneur politique qu’ils sont dans le champ politique tantôt à l’en « extraire ».

  • 73 Lehingue (P.), « Vocation, art, métier ou profession ? Codification et étiquetage des activités po (...)

« À la manière des activités artistiques analysées par Nathalie Heinich […], l’activité politique, “parfois revendiquée comme un art, largement perçue comme un métier, mais ne possédant que partiellement les propriétés d’une véritable profession”, demeure largement indéterminée, et comme bénéficiaire et victime d’une sorte de flottement social entourant sa définition, ses contours, son identité propre73. »

  • 74 Schmitt (C.), Le maire de la commune rurale, op. cit., p. 17-18.
  • 75 Fontaine (J.) & Le Bart (C.) (dir.), Le Métier d’élu local, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques pol (...)

33Longtemps, l’élu local fut présenté comme un citoyen dévoué, enraciné dans sa commune ou sa collectivité et exerçant sa fonction « parce que personne ne voulait reprendre le flambeau ». Cette vision clochemerlesque nous est encore décrite par Charles Schmitt : « A-t-on suffisamment songé au visage réel du maire rural […] à cet homme dévoué et scrupuleux, plein de bon sens mais point grand lecteur, car il n’en a pas souvent le goût et pratiquement jamais le temps, à qui incombe pourtant la charge de présider aux destinées de la commune74 ? » Cette représentation de l’élu local participe largement à la définition apolitique et consensuelle du local. Elle demeure encore prégnante dans les imaginaires politiques. Le métier d’élu local est toujours marqué par une symbolique propre. Les « clichés » mettent en scène un spectacle « archaïque » essentiellement focalisé sur les fonctions politiques légitimes de l’élu local. Les évolutions récentes de la territorialité du local (cf. le développement de l’intercommunalité) ont contribué à professionnaliser l’élu même si certains ont pu s’interroger sur la singularité du métier d’élu local75. Les acteurs locaux sont partagés entre la volonté d’engager la vie politique locale dans « l’ère du professionnalisme » (vote d’un véritable statut, formation juridique indispensable des règles du jeu politique…) et le désir de préserver une certaine « intimité politique » (valeurs « traditionnelles » de l’engagement associatif pour le bien des citoyens, dévouement pour la collectivité, bénévolat…). En ne choisissant pas catégoriquement une des deux voies, ils développent des stratégies de contournement et d’adaptation à la marge.

Des édiles en quête d’un statut : un processus d’institutionnalisation à la marge

  • 76 Extrait de l’entretien du 27/06/2000 avec le maire de Châteaubourg.
  • 77 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’admini (...)

34Les maires sont largement d’accord pour souhaiter le vote d’un statut de l’élu local qui demeure indispensable à la reconnaissance de ce métier. Le lieu de la « grande politique » « mériterait un salaire76 » alors que l’exercice de la « petite politique » se caractériserait par un dévouement citoyen relatif ne nécessitant aucun statut particulier. La codification de l’activité politique des élus locaux constitue un véritable serpent de mer des débats législatifs et politiques français. Les édiles sont unanimes pour dénoncer que « … près de dix ans après le vote des grandes lois de décentralisation, les élus locaux vivent encore, pour ce qui concerne les conditions d’exercice de leur mandat, dans une situation de non droit, porteuse de difficultés réelles, d’inégalités et d’obscurité77 ». Au gré des entretiens, ils affirment par exemple :

  • 78 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

« Lorsque cette indemnité vient en complément d’une retraite, moi je dirais que c’est honnête. À partir du moment où quand vous faites des sacrifices professionnels, je dirais que cela n’est pas suffisant au regard des responsabilités qui sont les nôtres et du temps que l’on y passe et des obligations financières que cela nous impose. Je suis maire pour 1 500 francs par mois. La fonction est trop prenante pour assumer les deux. […] À la mairie il y a 35 salariés, c’est un vrai travail qui est sous estimé. Est-ce qu’un chef d’entreprise de 35 salariés travaillerait à mi-temps et accepterait de gagner 8 000 francs par mois ? Sûrement non. Nous sommes dans une situation paradoxale. Il faudrait voter un véritable statut de l’élu local qui n’existe pas actuellement78. »

  • 79 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne. (Il est médecin généralist (...)

35Nombreux sont les élus qui estiment avoir sacrifié leur carrière professionnelle pour « leur carrière politique locale ». « J’ai sacrifié une partie de ma profession et de ma clientèle à ma fonction de maire. Il faudrait relever les indemnités pour permettre peut-être à certains de pouvoir se désengager quelque peu de leur vie professionnelle79. » D’autres sont encore plus vindicatifs :

  • 80 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.

« … Il y a une vraie hypocrisie sur les indemnités de maires. Il y a une vraie hypocrisie sur ce sujet-là et je ne suis pas pour l’hypocrisie. Moi, actuellement mes indemnités me permettent de vivre parce que j’ai effectivement deux mandats, ils ne m’assurent pas ma retraite ni ma couverture sociale. Mon statut officiel, c’est chômeur. C’est ce qui me permet actuellement d’avoir une couverture sociale parce que nous sommes dans une commune de moins de 10 000 habitants. J’ai 7 500 francs par mois en tant que maire plus mon indemnité de conseiller général, je suis d’une famille ouvrière, populaire et donc je n’ai pas particulièrement de patrimoine. Il faut que je me fabrique ma retraite. Si je suis battu l’année prochaine je me retrouverais dans une situation difficile. Je pense qu’il faut un vrai statut de l’élu, il faut que les élus soient payés correctement80. »

  • 81 Selon Max Weber, les professionnels de la politique sont des individus qui vivent pour et de la po (...)
  • 82 L’article L. 123.1 du code des communes en vigueur depuis la loi du 5 avril 1884 (que l’on a pu dé (...)
  • 83 Mathus (D.), op. cit., p. 9.
  • 84 Ibid.
  • 85 Ibid.
  • 86 La codification se définit ici comme une forme de rationalisation et de normalisation d’un état, e (...)
  • 87 Voir sur ce point, Roubieu (O.), « Le modèle du “manager”. L’imposition d’une figure légitime parm (...)
  • 88 Les élus sont de plus en plus nombreux à parfaire et s’approprier un « savoir savant » dans des li (...)

36Les acteurs locaux regrettent que les gouvernements de la Cinquième République ne se soient jamais véritablement penchés sur le statut de l’élu local. En effet, les fonctions politiques locales furent davantage régies par des règles du jeu tacites, non écrites ou informelles que par des normes juridiquement objectivées. Ce flou juridique ne posa guère de problème tant que les activités politiques n’étaient l’apanage que des « notables » qui vivaient, selon la fameuse distinction wébérienne, « pour la politique » et non « de la politique »81. Le principe de gratuité constitua, jusqu’aux lois de décentralisation, la règle unique qui régissait les mandats locaux82. Le rapport parlementaire relatif aux conditions d’exercice des mandats locaux présenté par Didier Mathus devant la commission des lois à l’Assemblée Nationale souligne très bien que « le principe de gratuité porte la marque d’une époque83 ». Il cite notamment le rapporteur du texte de la loi de 1884, M. de Marcère, qui affirmait avec force ce principe de gratuité : « Ce serait défigurer la commune et dénaturer le caractère des fonctions municipales que de rétribuer, par un traitement, les services désintéressés des notables qui sollicitent et qui reçoivent l’honneur de donner une part de leur temps et de leurs activités à la Cité84 ». Didier Mathus ajoute alors que « […] cette conception n’est évidemment plus celle de notre temps, où il paraît heureusement que tous les citoyens ont également vocation à détenir des mandats électifs, quelle que soit leur catégorie socio-professionnelle, pour employer un terme d’aujourd’hui85 ». Les édiles revendiquent « un statut général et complet » pour les mandats locaux. Beaucoup s’estiment victimes de discrimination politique. Plus que le statut, c’est la différence de traitement entre élus nationaux et élus locaux qui révoltent certains. On s’aperçoit de nouveau que c’est le contenu de l’activité qui définit en ce sens le politique. La codification86 ne suffit pas, elle doit nécessairement s’accompagner d’un travail de légitimation sociale et politique dans l’espace public. Les élus parfont, par exemple, leur « éducation civique » dans des associations ou des lieux comme le Centre National de la Formation des Personnels Territoriaux (CNFPT) basé à Fontainebleau. « L’appropriation d’un savoir savant » et la diffusion d’une rhétorique de « management public » sont dorénavant nécessaires à la bonne administration du local87. L’apprentissage des techniques de management local constitue également une pratique légitimante. Certains élus insistent sur le rôle que jouent les réseaux associatifs dans l’apprentissage de la politique et la formation des élus locaux88.

  • 89 Le Mouvement national des élus locaux est une association à forte polarisation politique, bien que (...)
  • 90 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.

« Comme je n’ai pas de formation particulière au départ sur le plan politique, il a bien fallu que je m’informe et donc j’allais souvent à des réunions d’informations. Par exemple, je me suis très souvent rendu aux réunions du Mouvement national des élus locaux (MNEL89) et j’ai créé ici l’Association régionale d’information des collectivités locales (ARIC). Toutes ces réunions m’ont permis de participer à la formation. Il y a ceux qui ont une formation classique (droit, sciences humaines, c’est le cas de la plupart des élus nationaux) et ceux qui viennent du terrain et qui ont besoin d’une formation sur le tas, ce fut mon cas90. »

37Selon Philippe Garraud :

  • 91 Garraud (P.), « Le métier politique : dimensions et transformations », Congrès de l’Association fr (...)

« Le métier politique peut être concrètement appréhendé au travers d’activités qui se développent ou s’insèrent dans un champ d’action relativement spécifique et spécialisé, et ont pour but de conserver ou de conquérir le pouvoir politique. […] Ces activités demandent des compétences, nécessitent des techniques ou des savoir-faire qu’on peut estimer relativement communs à la plupart des hommes politiques, du moins ceux qui réussissent à se maintenir durablement dans ce champ d’action particulier, et dont l’intériorisation en tant que savoir-faire pratique résulte d’un apprentissage91. »

38L’objectif demeure toujours de conquérir ou de conserver le pouvoir en mobilisant un maximum de soutiens. Ainsi, l’hétérogénéité de la fonction, l’importance des compétences gestionnaires, l’investissement dans la fonction ferait de l’activité des élus locaux un véritable métier politique. Le temps passé à la fonction illustre parfaitement cette idée.

  • 92 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.
  • 93 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.
  • 94 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.
  • 95 Extrait de l’entretien du 19/04/2000 avec le maire de Combourg.

« Je suis maire à plein temps et ce n’est pas 35 heures92 » ; « Il n’est pas facile de mesurer le temps que je passe à ma fonction de maire car ce n’est pas une fonction de bureau. C’est toute la semaine93 » ; « J’y consacre sept jours sur sept et plus de 14 heures par jour. Je suis peut-être atypique. Je considère que pour être un bon maire, il faut en savoir plus que les autres94 » ; « Je consacre un temps complet même plus que complet […] Il faut souvent être présent sur le terrain le dimanche95. »

39Le vote d’un statut de l’élu local constituerait un pas important dans le processus d’institutionnalisation. S’il demeure aujourd’hui une revendication majeure des édiles, on peut néanmoins s’interroger sur les enjeux de ce vote.

40Il s’agit beaucoup plus dans l’esprit des élus d’une protection juridique et sociale que d’un véritable processus d’intégration du champ politique, souhaitant ainsi toujours y demeurer à sa marge. Le terme d’identité revient à maintes reprises dans le discours édilitaire :

  • 96 Expression que l’on retrouve dans plusieurs entretiens dans des formes voisines.
  • 97 Ibid.
  • 98 Extrait de l’entretien du 8/04/2000 avec le maire de Cancale.
  • 99 Extrait de l’entretien du 8/06/2000 avec le maire de Paimpont.

« On doit à tout prix conserver cette identité si porteuse d’élu local96 » ; « je crois que personne ne peut le nier, il y a une vraie identité des élus locaux97 » ; « les citoyens, les gens que je croise dans mes activités quotidiennes d’élu de terrain se reconnaissent dans mon travail, non je ne pense pas que l’on puisse dire qu’il y ait une si grande spécificité de l’élu local, euh…, enfin bon je crois quand même qu’on a notre propre identité et il faut la défendre98 » ; « je ne pense pas qu’il faille aller trop loin dans la professionnalisation, sinon on va perdre notre identité99. »

  • 100 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire d’Amanlis. Sur ce thème, voir par exemple, Lefe (...)

41Cette rhétorique identitaire est ici employée pour mieux stigmatiser les dérives d’une institutionnalisation redoutée mais aussi les règles du jeu politique institutionnel. Elle fonctionne comme un bouclier imaginaire, une valeur refuge contre les empiétements et les « assauts » des pratiques empruntées au champ politique. La construction d’une « identité locale » permet de se dissocier du jeu politique institutionnel. Elle renvoie encore ici à la thématique de la proximité, du lien indéfectible de l’élu avec le citoyen, de la relation individualisée et personnalisée entre représentant et représenté, bref à un ensemble de valeurs aujourd’hui dévoyées [selon les édiles] dans un champ politique toujours aussi « éloigné des préoccupations quotidiennes des citoyens100 ».

Des édiles aux marges du champ politique : entre stigmatisation et intégration

  • 101 Lagroye (J.), François (B.) & Sawicki (F.), Sociologie politique, Paris, Presses de la FNSP et Dal (...)
  • 102 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer.

42L’apprentissage d’un rôle est « inséparable de ses usages, et notamment des usages qui permettent de s’acquitter correctement des tâches qu’il implique sans subir les effets négatifs d’une identification absolue des tâches101 ». Les édiles cherchent justement à ne pas s’enfermer dans un nouveau rôle, celui du professionnel de la politique. C’est le risque que certains n’hésitent pas à évoquer, parfois du bout des lèvres, tant le combat pour le statut est devenu un leitmotiv. Ils ne souhaitent pas demeurer à la marge des préoccupations de la communauté édilitaire. Ils évoquent, cependant, dans leur discours, les dangers d’une professionnalisation excessive. La question devient celle-ci : l’institutionnalisation de la fonction d’élu local ne risque-t-elle pas d’entraîner une trop grande modification du champ politique local ? Comment accepter de nouvelles règles du jeu sans trahir les conceptions si chères aux élus ? S’agit-il, comme certains édiles l’ont prétendu, de « prendre ce qu’il y a de bien dans la politique institutionnelle [ils font notamment référence au statut] » tout en restant aux marges du jeu politique ? Ils ne souhaitent pas devenir des « professionnels de la politique à part entière ». La préservation d’une certaine « tradition politique » est toujours mise en avant. Les transformations du politique au niveau local sont pour certains élus excessives, elles risquent de [le] « dénaturer ». L’institutionnalisation progressive de leur fonction n’est pas sans répercussion sur l’évolution des mentalités. Alors qu’ils espèrent une reconnaissance institutionnelle rapide, les élus souhaiteraient néanmoins conserver une certaine identité, voire une certaine authenticité du mandat local. Certains sont même réfractaires à l’idée d’une professionnalisation : « Je crois que la politique au niveau local, […] ce n’est pas un métier, et si on en fait un métier ce n’est pas bon. Si on “paie” beaucoup plus, on va finir par voir arriver des gens de l’ENA qui ne sont pas du terroir et qui ne connaissent pas les réalités du terrain102. » Alors que l’on observe des facteurs indéniables de professionnalisation chez les élus locaux, nombreux encore sont ceux qui ont ce « réflexe » de contester cette nouvelle image en se réfugiant derrière la posture d’un homme qui ne fait pas de politique ou pas la « même politique ».

  • 103 N’oublions pas de rappeler cependant qu’ils n’hésitent pas à mobiliser les ressources partisanes e (...)
  • 104 P. Dauvin note à ce propos : « Stigmatisé et fascinant, [l’homme politique] fait figure d’extrater (...)
  • 105 Hughes (E. C.), The sociological eye, New York, Adline, 1971, p. 74.
  • 106 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », in Revue franç (...)
  • 107 Sur la notion de « métier politique », voir Weber (M.), « Le métier et la vocation d’homme politiq (...)
  • 108 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », art. cité, p. (...)

43Beaucoup plus que la pratique, c’est l’image que renvoie l’homme politique que rejettent les élus locaux. Ils demeurent réticents à l’idée d’affirmer leurs convictions politiques. Lors des entretiens, ils furent peu à se présenter sous la « bannière » de tel parti ou tel syndicat comme si les enjeux stratégiques des grands partis politiques nationaux ne devaient pas s’immiscer au sein du local. Derrière la figure « nouvelle » de l’entrepreneur politique, l’image de l’apolitisme est affichée. Ils construisent encore à certains moments la légitimité politique du local à travers un processus de dédifférenciation politique103. Lorsque nous les avons interrogés sur leur affiliation politique, nombreux sont ceux qui réagirent plutôt agacés ou surpris à l’évocation de ce thème : « Oh non ! Il n’y a jamais eu de politique ici et il n’y en aura jamais. Pour moi, la politique c’est plutôt malsain, regardez toutes les affaires qui entachent aujourd’hui notre vie démocratique. Je souhaite que le local reste en dehors de tout cela ». Ils rejettent avant tout la politique dans sa dimension partisane104. Les élus auraient encore une forme de réticence à se définir comme des hommes politiques à part entière, reflétant ainsi la difficulté qu’ils ont à offrir d’une acception claire et précise de l’environnement politique dans lequel ils exercent leur fonction. En clair, ils ont la prétention de s’approprier quelques propriétés du métier politique tout en demeurant des non professionnels de la politique. Les édiles jouent sur l’ambivalence. L’exercice du « métier d’élu local » n’implique pas d’être un professionnel de la politique. L’un serait noble, l’autre renverrait immanquablement aux propriétés du champ politique. Décrire les caractéristiques génériques d’un métier comme « faisceau de tâches105 » suppose de relever des facteurs « cohérents, socialement organisés, éléments d’une division du travail reposant à la fois sur des compétences et sur des vocations…106 ». La plupart des recherches ont défini le concept de métier107 à partir du seul critère de la rémunération. « Le métier implique que l’on s’assure un revenu par l’exercice d’une compétence productive, l’accomplissement d’un faisceau de tâches produisant des biens ou des services auxquels les autres attribuent une valeur. C’est l’exercice d’une compétence spécialisée dans une division du travail108. » Mais si le métier était uniquement défini par le principe de rémunération, les mandats locaux pourraient difficilement entrer dans cette catégorie. Une approche beaucoup moins restrictive du concept de métier permet d’y associer les fonctions politiques locales. Comme le note Jacques Chevallier à propos du « métier politique »,

  • 109 Chevallier (J.), « Présentation », in Poirmeur (Y.) & Mazet (P.) (dir.), Le métier politique en re (...)

« … la notion de métier permet de dévoiler les différentes facettes de l’activité politique : activité concrète, qui procure des moyens d’existence, le métier exige en effet la possession de certains savoir-faire techniques et suppose la référence à certaines valeurs ; l’analyse du métier politique impliquera donc de se pencher sur ce qui fait la spécificité de l’activité politique [locale], à la fois dans ces modalités d’exercice, les compétences requises de la part de ceux qui s’y livrent (capacité de médiation et d’intégration de demandes sociales contradictoires) et l’axiologie à laquelle ils vont se référer109 ».

44Par exemple, le maire du Vivier-sur-Mer a dû user de toutes les démarches administratives et politiques possibles pour construire son port qui a aujourd’hui un impact national :

  • 110 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer. [La commune du Vivier-sur-Me (...)

« Pour le port, les études qui ont été faites n’ont pas forcément été bonnes, il y a eu des “conneries” de faites. […] Nous sommes dans la baie du Mont Saint-Michel (classé patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco) et donc on n’avait pas le droit de tout faire. Nous ne pouvions pas construire de bâtiments, il a donc fallu négocier. Ensuite, les pouvoirs publics voulaient installer le port de l’autre coté de la route nationale, sachant que nos engins passeraient sur cette route, il y avait un danger réel pour la population. C’était une question de bon sens. Après, la commission des sites n’avait pas pris en compte le niveau des marées, ce qui paraît encore incroyable aujourd’hui. Il a fallu quinze ans pour les convaincre et tout d’un coup se rendre compte que les maçons avaient les pieds dans l’eau pour que l’on fasse évoluer le projet. Pour faire avancer les projets, il faut passer des centaines d’obstacles administratifs et juridiques. On doit s’investir à fond, rencontrer les gens compétents, convaincre la population, se démener tous les jours et suivre les travaux110. »

  • 111 Philippe Garrraud définit la notion « d’entreprise politique » comme « une structure d’organisatio (...)

45La fonction du discours édilitaire consiste à demeurer dans l’ambivalence et la confusion des rôles. Sur quels critères pourra-t-on les considérer comme des entrepreneurs politiques susceptibles de s’inscrire durablement dans le champ politique ? La réponse des élus est volontairement floue et ambiguë. Il s’agit, pour eux, d’apparaître avant tout comme des élus aux marges du jeu politique. Ils valorisent l’image de l’entrepreneur politique111 au détriment de celle du professionnel :

  • 112 Extrait de l’entretien du 17/03/2000 avec le maire de Saint-Brieuc-des-Iffs.

« Nous, enfin, je parle au nom des élus de petites communes, on réalise un vrai travail politique de terrain, le terrain ça nous connaît, dans ce sens, on peut dire qu’on est des entrepreneurs, on passe des heures pour monter des dossiers, et on connaît tout de A à Z, ce n’est pas comme certains qui délèguent sans fin à des collaborateurs, des conseillers techniques de ci de là, le travail et qui viennent juste signer pour la photo et dire c’est moi alors qu’ils ne se sont jamais impliqués […] On s’investit, on discute tout, on fait des réunions avec les habitants pour débattre des projets, bref, on s’implique, on est pas dans l’abstrait, on est donc de vrais entrepreneurs contrairement à d’autres qui prétendent l’être112. »

  • 113 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », art. cité, p. (...)

46L’activité de cet élu doit être considérée comme un métier si l’on se fie à la définition d’Eliot Friedson. « Il faut concevoir le métier comme une entreprise humaine organisée visant à l’accomplissement de tâches spécialisées auxquelles on reconnaît une valeur sociale113. » Ces activités peuvent conduire à une spécialisation plus ou moins prononcée. Elles sont donc susceptibles d’entraîner une professionnalisation plus ou moins grande, selon que les tâches qui en découlent constituent une occupation accessoire et secondaire aux yeux des élus ou, au contraire, centrale et quasi unique :

  • 114 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

« La réalisation, c’est un parcours du combattant. Par exemple, pour les vitraux cela a été difficile. Les vitraux de l’église ont été posés en 1850 et n’ont jamais été refaits. Le conseil municipal a décidé de les refaire. Nous nous sommes mis d’accord pour les faire en deux tranches. Une première tranche à moins de trois cent mille francs, ce qui nous a évité les marchés d’une part et une autre tranche divisée en deux fois. C’est là que les choses commencent à se compliquer. On fait faire un estimatif à trois entreprises qui font les vitraux. Une était en faillite, on ne l’a pas prise. On avait donc deux devis. On demande les subventions. Pour les vitraux, vous avez trois types de subventions : la région, le département et l’État (DRAC). Pour la région, on fait les dossiers. Cela passe à peu près bien. Dès que c’est l’État cela ne va plus. Il faut tel type de dossier, telles photos, il faut qu’ils viennent voir sur place… Vous attendez des mois avant d’avoir un accord. Les travaux sont enfin exécutés. Depuis un an on n’a toujours pas touché l’argent alors que j’ai passé un temps fou à monter les dossiers114 ! »

  • 115 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », art. cité, p (...)

47Philippe Garraud note que « les élus qui parviennent à exercer durablement le pouvoir municipal paraissent partager sous une forme ou sous une autre, à un degré ou à un autre, des pratiques, des savoir-faire, des aptitudes, voire des “postures” pouvant être constitutifs d’un “métier politique”. Leur maîtrise pratique est une nécessité pour prétendre être élu et conditionne donc largement l’appartenance au personnel politique115 ». Cependant, si l’on en croit certains acteurs eux-mêmes, les difficultés à appréhender la figure de plus en plus complexe de l’entrepreneur politique correspondrait à une hypothèse plus structurelle : l’implication dans la vie politique locale de ces nouveaux entrepreneurs ne suffirait pas à les assimiler comme de vrais professionnels de la politique. Malgré leur profond désir d’émancipation, les édiles demeureraient dans des cadres comportementaux prédéterminés ou traditionnels redoutant ainsi les conséquences d’une trop « vertigineuse » professionnalisation. Ils ont également l’impression qu’en devenant des entrepreneurs politiques à part entière, ils vont perdre une partie de leur légitimité aux yeux de la population.

48Ainsi, ils insistent sur l’importance de « l’assistance politique ». Les élus demeurent très marqués par l’image d’un local périphérique.

  • 116 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.
  • 117 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Chantepie.
  • 118 Extrait de l’entretien du 19/04/2000 avec le maire de Combourg.

« On a un projet de centre culturel et on l’a mené à bien avec différentes associations pour élaborer les programmes. Quand on s’est aperçu que l’on tournait en rond, on a alors fait appel à un “programmiste” pour nous aider à finaliser le projet. Cette aide extérieure a été nécessaire lorsque les compétences internes à la commune n’étaient plus suffisantes pour un projet d’une telle importance. Un conseil extérieur s’est [donc] avéré indispensable116 » ; « La mairie ne peut pas se permettre d’avoir tous les services techniques à sa disposition117 » ; « … on n’a pas les moyens d’avoir les services internes qui permettent de répondre à tous les problèmes internes de la commune118. »

49En effet, l’illusion d’une dépendance politique et économique du local demeure très répandue dans les consciences édilitaires. Les acteurs ne pourraient se résoudre à opérer un choix entre une « autonomie » politique et la « nécessaire » préservation du lien avec l’État. Ils évoquent alors le rôle des services déconcentrés de l’État, de la hiérarchie administrative dans la gestion politique locale. Ainsi, ils rappellent à plusieurs reprises qu’ils ne sont pas des professionnels de la politique et que les soutiens politiques extérieurs sont indispensables à une gestion saine du local :

  • 119 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

« On utilise de plus en plus des partenaires privés parce que les communes investissent beaucoup et que la DDE ne peut plus palier à tout. À la DDE, ils n’arrivent plus à suivre, il aurait fallu qu’ils étoffent leurs services, ce qui n’a pas été fait. Faire appel à des cabinets privés a des avantages et des inconvénients. Ce n’est pas la perfection notamment en terme de coût. Les réponses sont souvent plus rapides. Les communes moyennes ne peuvent avoir de services compétents. Nous, on a un technicien, c’est tout. Il faut faire appel à de l’aide extérieure. On ne peut pas administrer tout seul, les connaissances ne sont pas suffisantes119. »

  • 120 Extrait de l’entretien du 16/04/2000 avec le maire de Liffré.

50Les propos des élus ne sont jamais clairement affirmés, il faut souvent repérer les inquiétudes des élus au détour d’une phrase : « … on se défausse sur l’État les responsabilités que l’on ne veut pas prendre. […] Aujourd’hui dans certaines collectivités on en est à redemander à des percepteurs de refaire des budgets tant la complexité est importante120 ». L’assistance politique encore nécessaire à la gestion locale est un frein à la légitimation politique.

  • 121 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.
  • 122 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer.

« Nous sommes obligés de faire appel à de l’aide extérieure. On est obligé de revoir tous les quatre ans les contrats d’assurances. Des cabinets nous font gagner beaucoup d’argent en nous refaisant les contrats et en les négociant121 » ; « On ne fait rien sans les études. Quand on est sur place, on ne peut pas forcément analyser tout, on ne voit pas les défauts, il faut donc une vision extérieure et les deux visions réunies, on arrive à prendre la bonne décision. L’appel extérieur est nécessaire. Nous n’avons jamais pu mener à bien des projets de façon totalement autonome, de toute façon je n’ai pas la science infuse122 ! »

  • 123 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.

51Un élu faisait remarquer « qu’à la fin des années cinquante, le maire dans les communes moyennes faisait des relations publiques, le budget était fait par le trésor public, les travaux c’était la DDE, bref, c’était l’État et le maire assurait la liaison avec les concitoyens, je force le trait mais c’est pour faire comprendre l’évolution. Aujourd’hui les responsabilités se sont accrues123 ». Un autre élu confirme cette vision des choses :

  • 124 Extrait de l’entretien du 13/04/2000 avec le maire d’Iffendic.

« … par exemple, nous avons une carrière dans le pays, il y avait renouvellement de bail ou abandon, nous n’étions pas aptes à régler ce problème juridique, en tout cas je n’étais pas apte, j’ai donc préféré prendre un intermédiaire précis, un conseiller juridique. Pour la construction de l’école maternelle, nous avons également pris des conseils extérieurs124. »

52Dans les toutes petites entités communales, le recours aux services déconcentrés de l’État se substituent à l’expertise privée. Ainsi, dans cette commune de 300 habitants, la DDE est l’interlocuteur unique de la commune :

  • 125 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Saint-Gonlay.

« Tous mes travaux, que ce soit routes, parkings, demande de renseignement pour telles ou telles choses, je fais appel à la DDE. J’ai les renseignements qu’il faut dans la ville la plus proche, à Monfort-sur-Meu et j’ai souvent un rendez-vous. Par exemple, pour l’assainissement, il est obligatoire dans les communes avant 2003. Aujourd’hui, il faut un assainissement autonome. Nous, on n’a pas de compétences là dessus. Alors le conseil municipal a pris la décision de faire appel à la DDE pour vérifier le bon déroulement de l’assainissement autonome. Cela nous coûtera trois cents francs par vérification mais c’est nécessaire. […] Nous faisons également appel aux services de la sous-préfecture quand nous avons un problème à régler125. »

  • 126 Nous ne pouvons nous appuyer que sur les discours des édiles. Pour confirmer plus amplement cette (...)

53Alors que les édiles ponctuent régulièrement leurs discours de critiques, parfois sévères, de l’État, qui « étouffe l’esprit d’initiative politique » et qui « pèse sur les consciences », elles demeurent néanmoins imagées et abstraites. Il s’agit beaucoup plus d’une stratégie de présentation (l’idée de décentralisation est à la mode) que d’un réel volontarisme politique. Comme le faisait remarquer cet élu, « les services déconcentrés de l’État ont et auront toujours autant de travail ». Il est difficile d’analyser cette rhétorique de la dépendance politique. On peut cependant avancer une hypothèse qui mériterait une analyse beaucoup plus approfondie126 : l’apprentissage des règles du jeu politique, parfois très codifiées, constituerait un obstacle majeur à l’affirmation des édiles dans le champ politique. La marginalité serait ici beaucoup plus subie que voulue. La difficulté de ces nouveaux prétendants est d’intégrer les valeurs imposées par le jeu politique. Certes, la plupart d’entre eux sont déjà ritualisés aux débats, à la prise de parole en public, au dialogue avec des autorités institutionnelles mais le champ politique nécessite un apprentissage particulier :

  • 127 Extrait de l’entretien du 15/05/2000 avec le maire de Bléruais.

« Pour monter les dossiers, je pense que je suis compétent, en tout cas mon équipe municipale se débrouille très bien […] La difficulté arrive quand il faut aller défendre ce dossier devant une commission du Conseil général ou régional, le présenter à un député pour avoir des financements, là on rencontre des difficultés. On rencontre parfois, je ne dis pas tout le temps, mais souvent des gens, des technocrates qui vous prennent de haut et qui vous dise qu’il aurait fallu faire comme ci, comme ça, qu’il manque ceci, cela, alors que vous venez de passer parfois des mois à monter le projet ! Ils n’ont qu’à venir sur le terrain, plutôt que de rester dans leur bureau en décidant de tout sur tout ! Je pense qu’il y une forme de mépris, je suis peut-être un peu excessif en vous disant tout ça, mais c’est une certaine réalité que j’ai observée pendant toutes ces années d’élu local127. »

  • 128 Nous empruntons ces propos à la présentation des journées d’études, « “La proximité” dans le champ (...)

54Cet édile oppose la rhétorique du terrain à celle du technocrate comme pour bien différencier son rôle politique de celui du « professionnel ». Il s’agit d’opposer deux visions de « faire de la politique », l’une serait noble, l’autre dévoyée. Cette rhétorique du terrain renvoie à celle de la proximité qui n’est, certes, pas nouvelle. Elle constitue l’idéologie professionnelle traditionnelle des élus locaux et des maires en particulier. Elle fonctionne ici cependant comme un outil de stigmatisation efficace contre le jeu institutionnel auquel le discours édilitaire a largement recours. « Moderniser la vie politique, [“lui redonner ses lettres de noblesse”], ce [serait] au contraire aujourd’hui, pour ses thuriféraires, apporter des réponses “en temps réel” aux problèmes “là où ils se posent” et multiplier les relations individualisées et les contacts entre représentants et représentés, entres institutions et citoyens128 ». Elle préfigure néanmoins beaucoup plus un manque de confiance, une « résignation assumée », qu’une véritable idéologie :

  • 129 Extrait de l’entretien du 20/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

« Lorsqu’on a eu l’idée et que le projet est viable, on laisse la finalisation du dossier à des gens beaucoup plus compétents que nous, on ne peut pas répondre à tout, vous savez, quand vous avez mis les pieds une fois à la Direction départementale de l’équipement, ou au Conseil général, vous comprenez, le nombre incroyable des services administratifs, des bureaux, nous, on préfère déléguer et laisser tranquillement faire traiter le dossier, et ayant bien sûr toujours notre mot à dire129. »

55On peut néanmoins observer que cette impression de dépendance politique est aujourd’hui moins affirmée dans les communes périurbaines que dans les zones plus rurales. D’une part, les maires périurbains bénéficient très souvent des avantages de la communauté d’agglomération (consultation de services spécialisés) et de l’attraction de la « grande ville ». Elles se sont souvent dotées de leur propre Direction générale des services qui leur permet de faire face très efficacement à l’ensemble des obstacles qu’elles peuvent rencontrer. L’impression de dépendance risque d’autant plus de s’affirmer dans les communes rurales qu’elles sont plus isolées structurellement et politiquement. D’autre part, la socialisation politique s’avère plus intense en zone urbaine (les édiles sont souvent amenés à rencontrer des « professionnels de la politique » très chevronnés) que dans les aires plus ruralisées.

Conclusion

  • 130 Extrait de l’entretien du 26/05/2000 avec le maire d’Arbrissel.
  • 131 Cf. Balme (R.), « La participation aux associations et le pouvoir municipal », Revue française de (...)
  • 132 Bailey (F. G.), Les règles du jeu politique. Étude anthropologique, Paris, PUF, 1971.
  • 133 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-mer. Sur ce point, on renverra au (...)
  • 134 Extrait de l’entretien du 13/04/2000 avec le maire d’Iffendic.
  • 135 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.
  • 136 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.
  • 137 Le Guirriec (P.), Le pouvoir en campagne : formes locales du politique en Bretagne, Rennes, Éd. Ap (...)

56À travers l’analyse des discours édilitaires, on constate que les processus d’interprétations et de définitions du local sont loin d’être définitivement arrêtés. Les acteurs ne se situent qu’à de très rares exceptions près dans une stigmatisation ou une dénonciation unilatérale de telles ou telles pratiques locales. La construction sociale de la sphère politique locale apparaît alors comme le fruit d’opérations de transactions constantes, d’avancées et de retraits, de comportements multiples de la part des acteurs locaux. Cette mosaïque de définitions est toujours l’objet de stratégies de mise en scène, de présentation de soi dans une perspective légitimante. L’objectif des édiles est constamment de se situer dans un entre-deux en évitant d’affirmer des positions trop tranchées. La politisation et la dépolitisation se trouvent au cœur de leurs discours, leur permettant de s’extraire du jeu institutionnel, et donc de pouvoir renégocier en permanence leur propre vision du jeu politique local. On constate qu’il est néanmoins difficile d’interpréter le jeu édilitaire. Pourquoi choisissent-ils, à certains moments, de s’insérer dans le champ politique ? Pourquoi cherchent-ils, au contraire à d’autres instants, à préserver le local du jeu politique institutionnel ? On peut avancer quelques explications. Dans une période de crise des institutions politiques, les édiles souhaitent demeurer les « derniers élus encore proches du citoyen ». Le local demeurerait ce bastion encore inviolé par les dérives du champ politique. L’image, aujourd’hui négative que renvoie l’homme politique professionnel, le « politicien » constituerait un frein certain à une intégration plus affirmée du local dans le jeu institutionnel. Ce n’est pas un hasard si la rhétorique de la proximité, du terrain et du lien social sont toujours mis en avant par les édiles comme pour mieux affirmer la spécificité du lieu. « Nous ne sommes pas des militants au service d’un groupe, d’un parti ou de je ne sais quelle organisation, non, nous sommes les militants de la citoyenneté, de la proximité, oui, je vous le dis d’un certain idéal démocratique130. » La majeure partie de [nos] élus sont issus du « milieu associatif131 » et sont arrivés à la politique communale par une action militante souvent localisée (associations de parents d’élèves ou de quartier) et circonstanciée (engagement dans des collectifs pour défendre le maintien d’une usine locale, contre la fermeture de classe dans une école publique, pour la préservation du service public de proximité, pour la défense du patrimoine culturel local…). Cette culture du militantisme de proximité lié à des enjeux conjoncturels locaux peut expliquer en partie leur difficulté à s’initier aux règles très codifiées du jeu politique132, à « franchir le pas » mais aussi leur réticence à s’impliquer plus en avant dans un jeu par rapport auquel ils désirent demeurer distants (rhétorique de l’apolitisme, ne pas devenir des professionnels de la politique). Si certains sont atteints par le « virus de la politique », ils préfèrent encore s’investir dans le militantisme de proximité plutôt que de privilégier d’autres mandats. D’une part, ils ont l’intime conviction que l’acte militant local sera un atout majeur de leur « probable réélection », d’autre part, ils demeurent convaincus que le cumul de mandats leur fera perdre toute « crédibilité politique aux yeux de leurs concitoyens ». Le passage du militantisme de proximité au militantisme politique ne va pas de soi, « il peut être lourd de conséquence133 ». Cela ne les empêche pas toutefois, de souhaiter une reconnaissance des pouvoirs publics plus affirmée. Afin d’éviter un désengagement, un désintérêt civique encore plus prononcé (dans certaines communes, des édiles nous ont affirmé la difficulté de « boucler les listes » lors des consultations municipales ou cantonales), il convient de réformer le flou identitaire entourant les fonctions d’élu local en « faisant tout pour inciter les jeunes générations à s’investir dans la vie politique locale134 ». Le vote d’un statut demeure à cet égard une revendication incontournable. « Seules les gratifications matérielles et morales sont susceptibles de réinscrire durablement le local dans une dynamique positive135. » Selon certains édiles, « il est fini le temps ou les élus locaux participaient généreusement à la vie de la cité, partageaient des moments de convivialité lors de réunions du conseil municipal sans se soucier des conditions de travail […] Il s’agissait d’un geste citoyen136 ». L’enjeu, dans ces temps de « crise de confiance de la politique » consiste, pour les édiles, à investir le jeu politique à la marge tout en essayant d’inventer des « formes locales du politique137 ».

Notes

1 Les éléments présentés ici s’appuient sur notre travail, Tanguy (G.), Le Local introuvable. Discours et représentations des maires ruraux et périurbains en Ille-et-Vilaine, mémoire pour le DEA Sociologie politique sous la direction de M. le Professeur Pierre Birnbaum, Université Paris I, septembre 2000. Nous avons travaillé essentiellement à partir d’une trentaine d’entretiens semi-directifs auprès de maires ruraux et péri-urbains dans le département d’Ille-et-Vilaine. Ce travail de terrain visait à mieux définir les contours politiques du local, à comprendre comment les acteurs de la vie publique locale construisaient la dimension politique ou apolitique de cet échelon.

3 Nous pensons aux études classiques sur le sujet. Voir par exemple, Becquart-Leclerc (J.), Paradoxes du pouvoir local, Paris, Presses de la FNSP, 1976 ; Bernot (L.), Blancart (R.), Nouville : un village français, Paris, Institut d’ethnologie, 1953 ; Kesselman (M.), Le consensus ambigu. Étude sur le gouvernement local, Paris, Cujas, 1972 ; Kryn (J.), Lettres d’un maire de village, Paris, Le Seuil, 1971 ; Lüthy (H.), À l’heure de son clocher. Essai sur la France, Paris, Calmann-Lévy, 1955 ; Schmitt (C.), Le maire de la commune rurale, Paris, Berger-Levrault, coll. L’administration nouvelle, 1967 ; Thabault (R.), Mon village. Ses hommes, ses routes, son école, préface Siegfried (A.), Paris, Presses de la FNSP, 1982 (1943) ; Wylie (L.), Un village du Vaucluse, Paris, Gallimard, (1) 1968 et Chanzeaux, village d’Anjou, Paris, Gallimard, 1970.

4 Ce terme renvoie ici à ce que nous avons appelé le « noyau dur » du politique, la politique institutionnelle, sur lequel il existe un consensus social (a priori). Ainsi, l’imaginaire collectif entend par « grande politique » l’ensemble des processus, des facteurs, des lieux ou des événements qui sont perçus par le corps social ou « l’opinion publique » comme étant politiques. Par exemple, chez les élus locaux, la « grande politique » renvoie presque exclusivement à la politique dite « politicienne », aux querelles partisanes, à la « démocratie des partis », et plus généralement à l’État (on se reportera à la définition qui est proposée dans l’introduction générale).

5 Kesselman (M.), Le consensus ambigu…, op. cit.

6 Chambron (N.), Hervieu (B.) (dir.), Le Pouvoir au village, Université Paris X-Nanterre, Groupe de sociologie rurale, 1974, p. 242.

7 Cf. par exemple, Faure (A.), Le village et la politique. Essai sur les maires ruraux en action, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 1992. Dans une perspective de politiques publiques, l’auteur tente de « réconcilier le village et la politique » et de mettre fin à l’image du maire rural « plouc et bouseux ». Le maire devient un « véritable entrepreneur politique ».

8 On emprunte cette définition à l’article de C. Le Bart dans le présent ouvrage.

9 Collovald (A.), « Identités Stratégiques », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 73, 1989, p. 29-40.

10 Boltanski (L.), « L’espace positionnel. Multiplicité des positions institutionnelles et habitus de classe », Revue française de sociologie, 14 (1), janvier-mars 1973, p. 3-26.

11 Collovald (A.), « Identités Stratégiques », art. cité, p. 29.

12 Pour une approche générale du concept, voir Mabileau (A.), Le système local en France, Paris, Montchrestien, coll. « clefs », 1994 et À la recherche du local (dir.), Paris, L’Harmattan, 1993 (cf. également, Politix, L’espace du local, n° 7-8, 1989).

13 Nous utilisons de ce terme dans l’acception de éLias (N.), La dynamique de l’occident, Paris, Calmann-Lévy, 1975, p. 31. La référence « aux chances » nous sert ici à caractériser un processus : celui de la monopolisation des ressources [autres que notabiliaire] comme moyen d’accéder à la fonction mayorale.

14 Les ressources dont dispose l’élu seront d’autant plus importantes dans les zones plus urbanisées (communes péri-urbaines) où le contact régulier avec les « hommes politiques » (nous entendons ici par « homme politique » des individus « médiatiquement représentatifs » ayant un ancrage politique régional ou national. [maires de grandes agglomération, députés, membres ou anciens membres de gouvernements]…) favorise sans aucun doute une acculturation politique plus rapide.

15 Au sens de Abélès (M.), Jours tranquilles en 89. Ethnologie politique d’un département français, Paris, Éditions Odile Jacob, 1989.

16 Cf. Gaxie (D.) & Lehingue (P.), Enjeux municipaux : la constitution des enjeux politiques dans une élection municipale, Paris, PUF, 1984.

17 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.

18 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Mordelles.

19 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Bourg-des-Comptes.

20 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Janzé.

21 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.

22 Sur cette « rhétorique du maire-entrepreneur », nous renvoyons par exemple à Le Bart (C.), La rhétorique du maire-entrepreneur, Paris, Pédone, coll. « vie locale », 1992 ; Muller (P.), Faure (A.), Gerbaux (F.), Les entrepreneurs ruraux. Agriculteurs, artisans, commerçants, élus locaux, Paris, L’Harmattan, coll. Alternatives rurales, 1989 (on se réfère plus particulièrement au chapitre 3, « les maires entrepreneurs », p. 103-156).

23 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.

24 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire de Janzé.

25 Extrait de l’entretien du 22/05/2000 avec le maire de Chartres-de-Bretagne.

26 Extrait de l’entretien du 8/04/2000 avec le maire de Cancale.

27 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.

28 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.

29 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.

30 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

31 Il faut noter que Pierre Méhaignerie était alors député, maire de Vitré (sous-préfecture du département) et président du Conseil général. Il avait déjà été ministre de l’Agriculture quelques années auparavant. Il fut à nouveau ministre de la Justice entre 1993 et 1995. Le maire de Cesson-Sévigné était très proche de sa sensibilité politique.

32 Notons que la communauté d’agglomération de Rennes constitue un poids politique et économique de première importance dont n’a pu bénéficier le maire de Bain-de-Bretagne.

33 Alain Madelin était alors député-maire de Redon (sous-préfecture du département), président d’un mouvement politique (Démocratie Libérale). Il fut ministre à plusieurs reprises depuis 1986.

34 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.

35 Nous entendons par-là le cadre strict de la commune.

36 Pour une présentation des répercussions et des perceptions politiques du cumul des mandats, voir par exemple, Olivier (L.), « La perception du cumul des mandats : restrictions contextuelles et politiques à un apparent consensus », Revue française de science politique, 1998, n° 6, p. 756-771. Dans une acception plus juridique, on pourra se reporter à Allies (P.), « Les effets du cumul des mandats sur le personnel politique », in Le cumul des mandats et des fonctions, Notes et études documentaires, septembre 1998, La Documentation française, n° 5085, p. 63 sq.

37 Extrait de l’entretien du 18/03/2000 avec le maire de Pacé.

38 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

39 Nous entendons ici le terme « dépolitiser » au sens de politique partisane. Dans les propos des édiles, la politisation renvoie ici uniquement à la dimension partisane, au jeu des partis et non au sens « classique » du terme entendu dans les rapports directs avec les citoyens-électeurs.

40 Cf. Bourdieu (P.), Propos sur le champ politique, Lyon, PUL, 2000. Ce terme, auquel nous avons souvent recours, qui se définit par des règles codifiées et des pratiques bien particulières est « un microcosme, c’està-dire un petit monde social relativement autonome à l’intérieur du grand monde social » (ibid., p. 52) que les édiles investissent à la marge (en travaillant notamment leur « culture du réseau ») afin qu’ils puissent augmenter leurs « chances » dans l’espace public local.

41 Cf. Becquart-Leclerc (J.), « Réseau relationnel, pouvoir relationnel », Revue française de science politique, 1979, n° 1, p. 102 sq.

42 Extrait de l’entretien du 24/05/2000 avec le maire de Montgermont.

43 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.

44 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.

45 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.

46 Extrait de l’entretien du 8/06/2000 avec le maire de Paimpont.

47 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », Politix, n° 5, 1989, p. 16.

48 La conjoncture du terrain politique (commune dans un environnement très rural ou, au contraire, plutôt péri-urbain), le type de personnalité en présence, les structures du pouvoir, etc., sont autant de facteurs qui ne permettent pas d’établir des règles précises. Par exemple, l’analyse des structures du pouvoir peut s’avérer riche d’enseignement. Les trois types d’approches, développées notamment par la sociologie américaine (analyse positionnelle, réputationnelle et décisionnelle) constituent des outils intéressants pour comprendre les stratégies des édiles. Voir, par exemple, Hunter (F.), Community Power Structure, University of North Carolina Press, 1953 ou Dahl (R.), Qui gouverne ?, Paris, Armand Colin, 1971.

49 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », art. cité, p. 15. Il faut comprendre la notion de « compétence politique » dans le sens défini par Gaxie (D.), Le cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Le Seuil, 1978.

50 Cf. Weber (E.), La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale 1870-1914, Paris, Fayard/Éditions Recherches, 1983 (1976).

51 Sur les enjeux et répercussions de l’intercommunalité au plan local, voir Michel (H.), Intercommunalités et gouvernements locaux. L’exemple des départements de l’ouest de la France, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques Politiques, 1999 ; Moquay (P.), Coopération intercommunale et société locale, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 1998 ; Faure (A.) & Roché (S.), Les maires ruraux et l’intercommunalité, rapport d’enquête établi pour le compte de Mairies-Conseils, CDC, novembre 1994 ; Logie (G.), La coopération intercommunale en milieu rural, Paris, Syros, 1992 ; Caillosse (J.) (dir.), Intercommunalités. Invariance et mutation du modèle communal français, Rennes, PUR, 1994 ou encore Le Saout (R.), Intercommunalité, démocratie, pouvoir politique, Thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes, 1996 et l’ouvrage qu’il a dirigé, L’intercommunalité, logiques nationales et enjeux locaux, Rennes, PUR, 1997.

52 Extrait de l’entretien du 19/05/2000 avec le maire de Montreuil-sur-Ille.

53 Extrait de l’entretien du 18/03/2000 avec le maire de Pacé.

54 Extrait de l’entretien du 16/05/2000 avec le maire de Cesson-Sévigné.

55 Extrait de l’entretien du 15/04/2000 avec le maire de Saint-Briac-sur-mer.

56 Point de vue d’un maire d’une petite commune (anonyme), « Statut de l’élu et budget des plus petites communes », in La vie communale et départementale, juin 1992, p. 109. (p. 107-109).

57 Massardier (G.), « L’intercommunalité pour s’isoler. Quelques réflexions sur la construction concurrentielle des territoires politiques locaux », in Gaxie (D.) (dir.), Luttes d’institutions. Enjeux et contradictions de l’administration territoriale, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 1997, p. 150-151.

58 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.

59 On comptait 2195 communautés de communes au 1er janvier 2003 contre 193 au 1er janvier 1993 ! Le succès de cette loi est donc indéniable.

60 Le courrier des maires et des élus locaux, juin-juillet 2003, n° 159-160, p. 28-29.

61 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.

62 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Chantepie.

63 Extrait de l’entretien du 19/05/2000 avec le maire de Montreuil-sur-Ille.

64 Extrait de l’entretien du 27/06/2000 avec le maire de Châteaubourg.

65 Extrait de l’entretien du 27/03/2000 avec le maire de Pacé.

66 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

67 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.

68 Extrait de l’entretien du 26/05/2000 avec le maire d’Arbrissel.

69 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

70 Ibidem.

71 « Dans la France rurale, les protagonistes se retrouvent tout naturellement autour de l’église et de son clocher, « véritable centre du village et symbole de sa personnalité » », Le Bras (G.), L’Église et le village, Paris, Flammarion, p. 47 cité in Fougère (L.), Machelon (J.-P.), Monnier (F.) (dir.), Les communes et le pouvoir de 1789 à nos jours, Paris, PUF, 2002, p. 435. Jean-Pierre Machelon cite cette expression de Jules Méline quelques lignes plus loin en notant que « [pour] la communauté villageoise, il était le point de repère par excellence, « l’incarnation extérieure et comme le phare de la commune elle-même » », Ibid., cité in Corbin (A.), Les Cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1994, p. 205. On pourra également se reporter à Boutry (P.), « Le clocher », in Nora (P.) (dir.), Les lieux de mémoires III. Les France, vol. 2, Traditions, Paris, Gallimard, 1992, p. 77 sq. ou encore à IHL (O.), La fête républicaine, Paris, Gallimard, 1996, p. 193 sq.

72 Schmitt (C.), Le Maire de la commune rurale, op. cit., p. 21.

73 Lehingue (P.), « Vocation, art, métier ou profession ? Codification et étiquetage des activités politiques. Les débats parlementaires sur le statut de l’élu local (décembre 1991-janvier 1992) », in Offerlé (M.) (dir.), La Profession politique XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 1999, p. 93.

74 Schmitt (C.), Le maire de la commune rurale, op. cit., p. 17-18.

75 Fontaine (J.) & Le Bart (C.) (dir.), Le Métier d’élu local, Paris, L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 1994.

76 Extrait de l’entretien du 27/06/2000 avec le maire de Châteaubourg.

77 Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi (n° 2270) relatif aux conditions d’exercice des mandats locaux, présenté par le député Didier Mathus en décembre 1991, AN 9e Législature, n° 2415, p. 8. Nous nous sommes appuyés sur des sources connexes telles que le rapport de M. Thyraud, Sénat n° 238, janvier 1992 ou encore certains comptes rendus des débats à l’Assemblée Nationale parus au JORF, 1991, p. 7593-7610, 7894-7940 ; 1992, p. 202-277, 280-287. Pour une présentation générale de ces débats sur le statut de l’élu local, voir Lehingue (P.), « Vocation, art, métier ou profession ? Codification et étiquetage des activités politiques […] », op. cit et Scanvic (F.), Le statut de l’élu local, (textes présentés par), Paris, Dalloz, 1994.

78 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

79 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne. (Il est médecin généraliste en retraite).

80 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.

81 Selon Max Weber, les professionnels de la politique sont des individus qui vivent pour et de la politique. Ils n’ont donc pas besoin d’exercer d’activité professionnelle annexe. Voir Weber (M.), Le savant et le politique, Paris, Plon, 1959 (1920), 10/18, p. 137 sq.

82 L’article L. 123.1 du code des communes en vigueur depuis la loi du 5 avril 1884 (que l’on a pu définir parfois comme un véritable « code de l’administration municipale ») s’articulait ainsi : « Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, les fonctions de maire, d’adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ». Pour une présentation plus détaillée des débats, des propositions et des modifications relatives aux indemnités des élus municipaux au cours de la première moitié du XXe siècle, on se reportera aux travaux de Payre (R.), À la recherche de la « science communale ». « Les mondes » de la réforme municipale dans la première moitié du XXe siècle, Thèse de doctorat en science politique, Université Grenoble II (Institut d’Études Politiques), décembre 2002, p. 564-574 et de Ollivier (D.), L’impossible statut de l’élu local, Mémoire de DEA de Sociologie politique, Université Paris I, septembre 2000. Renaud Payre note, par exemple, que « la question de l’indemnité des maires, adjoints et même conseillers municipaux traverse de nombreuses propositions de loi déposées régulièrement sur les bureaux de la Chambre des députés et du Sénat entre la fin du XIXe siècle et le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Ces propositions cherchent toutes à modifier l’article 74 de la loi du 5 avril 1884 qui affirme la gratuité des fonctions municipales », Ibid., p. 564. « La loi du 9 avril 1947, complétée par celle du 29 septembre 1948, autorise [enfin] l’adoption de frais de mission et surtout d’indemnités de fonction pour les maires et adjoints [en conformité avec un barème des maxima fixé par la loi du 29/09/1948] et même pour l’ensemble des conseillers municipaux pour les communes de plus de 110 000 habitants », Ibid., p. 565.

83 Mathus (D.), op. cit., p. 9.

84 Ibid.

85 Ibid.

86 La codification se définit ici comme une forme de rationalisation et de normalisation d’un état, en l’occurrence, celui de l’élu local. « Codifier, c’est mettre en forme et mettre des formes. […] L’objectivation qu’opère la codification introduit la possibilité d’un contrôle logique de la cohérence, d’une formalisation. Elle rend possible l’instauration d’une normativité explicite, celle de la grammaire et du droit […] », Bourdieu (P.), « La codification » in Choses dites, Paris, Éditions de Minuit, 1987, p. 96 à 98.

87 Voir sur ce point, Roubieu (O.), « Le modèle du “manager”. L’imposition d’une figure légitime parmi les hauts fonctionnaires des collectivités locales », Politix, n° 28, 1994.

88 Les élus sont de plus en plus nombreux à parfaire et s’approprier un « savoir savant » dans des lieux comme le Centre national de la formation des personnels territoriaux (CNFPT) basé à Fontainebleau ou des séminaires sont régulièrement organisés sur des thèmes précis. Sur ces questions, voir notamment, Petaux (J.), « L’École des maires : les associations d’élus locaux », Politix, n° 28, 1994.

89 Le Mouvement national des élus locaux est une association à forte polarisation politique, bien que ses dirigeants s’en défendent parfois. Il édite une revue mensuelle, L’élu local dont nous avons pu consulter plusieurs numéros. Il se veut apolitique, « Fondé en 1953, le Mouvement national des élus locaux rassemble des maires, des conseillers municipaux, des conseillers généraux de toutes tendances, à l’exclusion des seuls totalitaires » ; et d’ajouter « qu’il n’a pas non plus l’intention de rivaliser avec les associations d’élus locaux émanant de partis politiques », in L’élu local, n° 80, mai 1978. Le MNEL regroupe en réalité un mouvement d’élus locaux proche de l’UDF et du RPR (aujourd’hui UMP) qui propose notamment des réunions de formation aux techniques d’action municipale et locale par l’intermédiaire du Centre de formation des élus locaux (CEFEL). Il a joué un rôle de contre-pouvoir important dans les années quatre-vingt au moment du débat sur la décentralisation.

90 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.

91 Garraud (P.), « Le métier politique : dimensions et transformations », Congrès de l’Association française de science politique, Bordeaux, octobre 1988, p. 59.

92 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.

93 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Châteaugiron.

94 Extrait de l’entretien du 14/04/2000 avec le maire de Liffré.

95 Extrait de l’entretien du 19/04/2000 avec le maire de Combourg.

96 Expression que l’on retrouve dans plusieurs entretiens dans des formes voisines.

97 Ibid.

98 Extrait de l’entretien du 8/04/2000 avec le maire de Cancale.

99 Extrait de l’entretien du 8/06/2000 avec le maire de Paimpont.

100 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire d’Amanlis. Sur ce thème, voir par exemple, Lefebvre (R.), « Rhétorique de la proximité et crise de la représentation », Cahiers lillois d’économie et de sociologie, février 2001, n° 37.

101 Lagroye (J.), François (B.) & Sawicki (F.), Sociologie politique, Paris, Presses de la FNSP et Dalloz, 2002, p. 144. Sur la notion et l’usage du concept de rôle, on pourra également se reporter à Haegel (F.), Un maire à Paris. Mise en scène d’un nouveau rôle politique, Paris, Presses de la FNSP, 1994, p. 12 sq.

102 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer.

103 N’oublions pas de rappeler cependant qu’ils n’hésitent pas à mobiliser les ressources partisanes et relationnelles ou à afficher publiquement le soutien de « personnalités politiques » dans les processus d’élaboration de politiques publiques locales (Cf. les analyses sur les construction de collèges, p. 5-6) afin d’accroître leur implantation locale et a fortiori leurs chances de succès dans leur politique municipale.

104 P. Dauvin note à ce propos : « Stigmatisé et fascinant, [l’homme politique] fait figure d’extraterrestre dans l’univers local. Définir l’homme politique, c’est d’emblée marquer sa différence et écarter tout signe de connivence avec ceux qui méconnaissent les codes reconnus localement. Définir l’homme politique, c’est ensuite se référer au parti et au discours. Réduit à sa dimension partisane, l’homo politicus apparaît comme un consommateur de pouvoir friand de jeux d’appareils et prisonnier d’un marquage idéologique qu’il s’évertue à revendiquer […] En bref, l’homme politique est entendu comme un homme de parti disponible pour les combats fratricides… » ; « Être élu dans une commune rurale, paroles croisées sur le métier politique », in Poirmeur (Y.), Mazet (P.), Le métier politique en représentations, op. cit., p. 167. Interrogeant deux maires de communes rurales en Bretagne, l’auteur évoque notamment le refus des deux élus de se définir comme « homme politique », Ibid., p. 167-172.

105 Hughes (E. C.), The sociological eye, New York, Adline, 1971, p. 74.

106 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », in Revue française de sociologie, juillet-septembre 1986, XXVII-3, p. 431. Voir également son étude « classique », La profession médicale, traduit de l’américain par Andrée Lyotard-May et Catherine Malamoud, Paris, Payot, 1984 [1970].

107 Sur la notion de « métier politique », voir Weber (M.), « Le métier et la vocation d’homme politique » in Le Savant et le politique, op. cit, p. 123-222. Max Weber fait également du critère de la rémunération un élément majeur de la définition du « métier politique ». Il note cependant que cet élément n’est pas le seul.

108 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », art. cité, p. 439-440.

109 Chevallier (J.), « Présentation », in Poirmeur (Y.) & Mazet (P.) (dir.), Le métier politique en représentation, op. cit., p. 9. L’auteur note également que la « notion de métier est plus large que celle de profession, qui implique la transformation du métier en activité permanente et stable, dont l’exercice est encadré par des normes, ce qui produit un double effet de différenciation/intégration : la professionnalisation progressive du monde de la politique, décrite par M. Weber, reste incomplète et relative, du fait notamment des vicissitudes de l’élection ; la référence au métier politique autorise une prise de vue plus complète, en partant de l’activité elle-même plutôt que des degrés différents de professionnalisation de ceux qui s’y consacrent, Ibid., p. 9-10. Voir également, Lagroye (J.), « Être du métier », Politix, n° 28, 1994.

110 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer. [La commune du Vivier-sur-Mer située dans la baie du Mont Saint-Michel est le premier site français de production de moules de bouchots. Dans une commune de 1 000 habitants, on compte plus de 268 entreprises liées directement à l’industrie mytilicole dont plus de 80 % sur le port du Vivier.

111 Philippe Garrraud définit la notion « d’entreprise politique » comme « une structure d’organisation et d’action collective qui n’est réductible ni à l’activité d’un seul homme, aussi personnalisée que soit le pouvoir attribué au « notable », ni à celle d’un parti ». Il note par ailleurs « qu’à côté des grandes entreprises politiques nationales ou régionales, il existe en effet de nombreuses, bien que modestes, entreprises politiques locales ne recoupant que rarement les clivages partisans mais tout aussi intéressantes – sinon plus – à observer », in Garraud (P.), Congrès de l’AFSP, op. cit., p. 61. Sur cette notion, voir aussi, Offerlé (M.), Les partis politiques, Paris, PUF, 1996 [1987].

112 Extrait de l’entretien du 17/03/2000 avec le maire de Saint-Brieuc-des-Iffs.

113 Friedson (E.), « Les professions artistiques comme défi à l’analyse sociologique », art. cité, p. 440.

114 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

115 Garraud (P.), « Savoir-faire et mobilisation des croyances dans le métier de maire », art. cité, p. 16.

116 Extrait de l’entretien du 17/04/2000 avec le maire de Vern-sur-Seiche.

117 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Chantepie.

118 Extrait de l’entretien du 19/04/2000 avec le maire de Combourg.

119 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

120 Extrait de l’entretien du 16/04/2000 avec le maire de Liffré.

121 Extrait de l’entretien du 12/04/2000 avec le maire de Bain-de-Bretagne.

122 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-Mer.

123 Extrait de l’entretien du 12/05/2000 avec le maire de Saint-Jacques-de-la-Lande.

124 Extrait de l’entretien du 13/04/2000 avec le maire d’Iffendic.

125 Extrait de l’entretien du 21/04/2000 avec le maire de Saint-Gonlay.

126 Nous ne pouvons nous appuyer que sur les discours des édiles. Pour confirmer plus amplement cette hypothèse, un travail d’observation participante, notamment lors des assemblées intercommunales ou des réunions réunissant des élus plus « chevronnés » et rompus aux règles du jeu politique (députés, conseillers régionaux, maires d’agglomérations moyennes…) conviendrait d’être mené pour comprendre les mécanismes qui se jouent dans une telle configuration (analyse notamment des prises de paroles, de l’implication dans les débats…).

127 Extrait de l’entretien du 15/05/2000 avec le maire de Bléruais.

128 Nous empruntons ces propos à la présentation des journées d’études, « “La proximité” dans le champ politique : usages, rhétoriques, pratiques », Université Lille 2, 18-19 septembre 2003.

129 Extrait de l’entretien du 20/04/2000 avec le maire de Sens-de-Bretagne.

130 Extrait de l’entretien du 26/05/2000 avec le maire d’Arbrissel.

131 Cf. Balme (R.), « La participation aux associations et le pouvoir municipal », Revue française de sociologie, 1987, p. 601 sq.

132 Bailey (F. G.), Les règles du jeu politique. Étude anthropologique, Paris, PUF, 1971.

133 Extrait de l’entretien du 11/04/2000 avec le maire du Vivier-sur-mer. Sur ce point, on renverra aux analyses de Ion (J.), La fin des militants ?, Paris, Éditions de l’Atelier, 1997. L’auteur évoque le déclin du militantisme partisan et syndical « classique » au profit d’un « nouveau militantisme » plus individualiste privilégiant des domaines d’action plus restreints dans le temps et dans l’espace. Ainsi, dans les départements bretons, beaucoup d’élus sont venus à la politique, par le biais d’associations de défense de l’eau, du littoral [post-marées noires !], de la pêche, associations parfois éphémères liées à des circonstances particulières mais très entreprenantes dans l’espace politico-médiatique.

134 Extrait de l’entretien du 13/04/2000 avec le maire d’Iffendic.

135 Extrait de l’entretien du 6/05/2000 avec le maire de Chavagne.

136 Extrait de l’entretien du 28/04/2000 avec le maire de Montauban-de-Bretagne.

137 Le Guirriec (P.), Le pouvoir en campagne : formes locales du politique en Bretagne, Rennes, Éd. Apogée, 1994.

© Presses universitaires de Rennes, 2005

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