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Les frontières du politique

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Lionel Arnaud
, 
Christine Guionnet

4. Désappareiller la politique

Syndicalisme de contre-pouvoir et dévaluation du politique

Gildas Renou

Entrées d'index

Géographique :

France

Texte intégral

  • 1 Pour un coup de projecteur approfondi sur la loi de 1884, notamment sous le prisme de l’opposition (...)
  • 2 Ce vote a donc eu lieu peu de temps après l’installation définitive de la III e République suite à (...)

1Il serait aisé de circonscrire les relations entre le syndicalisme et le politique – et plus précisément leurs zones frontalières – si les pratiques concrètes des institutions sociales correspondaient, même de façon approximative, à ce que prescrivent les textes juridiques qui les encadrent. La genèse de la forme juridique syndicale en France est bien connue1. Les associations professionnelles ont été portées sur les fonds baptismaux de la République en 1884, par la loi Waldeck-Rousseau, du nom de cet avocat modéré alors ministre de l’Intérieur2. Le syndicat n’était alors, théoriquement et juridiquement, qu’un groupement d’intérêt de travailleurs, autorisé à se constituer sans autorisation préalable et à ester en justice, sous la simple contrepartie d’une déclaration en préfecture. Mais le statut politique des syndicats ne peut être réduit à celui de groupe d’intérêt. Même s’il est déclinant, le mouvement syndical a longtemps été une force sociale dotée d’une légitimité politique propre, concurrençant partiellement celle des organes institués de la République.

  • 3 « Dans l’œuvre revendicative quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvrier (...)

2Si l’on consulte le texte fondateur de la Confédération générale du travail (CGT), la finalité de l’organisation syndicale est de « défendre les intérêts moraux, matériels et économiques des salariés ». Cette prise en charge des destins ouvriers par des instances autonomes, donc non-étatiques, trouvait une partie de sa nécessité dans le traumatisme de la sanglante répression, en mai 1871, de la Commune de Paris par l’armée de la République fraîchement proclamée. L’objectif de « défendre des intérêts moraux » d’un groupe social, le salariat, – qui n’est à l’époque que faiblement objectivé – a impliqué, pour les représentants des travailleurs, qu’ils participassent à la définition sociale de formes de dignité et de justice auxquelles peuvent légitimement et pratiquement prétendre les membres du groupe. Les représentants contribuèrent à l’élaboration d’une échelle de valeurs et, par conséquent, à l’objectivation progressive de l’identité du groupe représenté. En France, davantage que dans d’autres États européens, la fonction instrumentale et matérielle des groupements syndicaux pour l’amélioration de la condition salariale a été presque toujours été articulée à une ambition plus large de « transformation sociale »3.

  • 4 Comme la version hard de Becker (G. S.), prix Nobel d’économie en 1992, dans The Economic Approach (...)
  • 5 Comme contre-modèles aux hypothèses utilitaristes de la formation des groupes sociaux : Thompson ( (...)

3Plus généralement, on peut douter de la possibilité pour un groupe d’intérêt de rester un simple groupement d’intérêts. Les lectures strictement utilitaristes de l’action collective4, qui considèrent la poursuite combinée de la maximisation individuelle du bien-être comme premier ciment des groupes humains, s’aveuglent sur ce fait capital. Les discours des porte-parole, les valeurs promues et les images valorisées modèlent en partie le groupe, le font exister et activent en retour des investissements subjectifs de désir d’appartenir au groupe. Ils instaurent et réactivent des ethos caractéristiques, au sens wébérien, c’est-à-dire renvoyant à des manières d’être, d’évaluer et de penser5. Les préférences et projets des individus ne préexistent pas totalement des contextes sociaux dans lesquels ils sont inscrits et évoluent quotidiennement. La découverte sociologique collective (Tarde, Weber, Elias entre autres) de l’existence de mécanismes de production sociale des désirs et des stratégies individuelles est un apport capital permettant d’échapper aux limites des modèles anthropologiques anhistoriques, notamment véhiculés par la diffusion des schèmes conceptuels de l’économie standard ou de l’individualisme philosophique utilitariste. Des horizons de mobilisation ont été entretenus puis abandonnés en fonction des époques ; ils ont été autant d’horizons de politisation, tout aussi mobilisateurs que les lentes améliorations matérielles. Ainsi l’objectif de la « disparition du salariat et du patronat » ou la « fin de la lutte des classes » ont pu incarner, à certaines époques, des imaginaires politiques extrêmement puissants.

  • 6 Pour une synthèse concernant les enjeux de la prééminence de politisation ouvrière par les thémati (...)

4Par l’intermédiaire de ses différents porte-parole, le mouvement ouvrier français a ainsi été une instance de contestation des formes politiques socialement dominantes jusqu’au milieu des années soixante-dix. La manifestation et surtout la grève ont, longtemps et dans de nombreuses situations, davantage constitué ses expressions politiques privilégiées que la participation électorale par le vote. La sociabilité politique ouvrière a aussi progressivement établi un fort lieu de socialisation politique et électorale des couches populaires6. Ces deux faits ne sont contradictoires qu’en apparence. L’essentiel est d’apprendre à parler politique, d’être intégré dans des réseaux sociaux où l’on « en » parle, où l’on est sollicité pour aller voter et plus généralement pour donner son opinion.

  • 7 « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte (...)
  • 8 Voir Pelloutier (F.), Histoire des bourses du travail. Origine, institutions, avenirs, préface de (...)
  • 9 Sewel (W.), Gens de métier et révolution. Le Langage du travail de l’ancien régime à 1848, Paris, (...)
  • 10 Ainsi que le montrent les études d’Alain Cottereau : « Justice et injustice ordinaires sur les lie (...)
  • 11 Ranciere (J.), Aux bords du politique, Paris, La Fabrique, 1996.
  • 12 Notamment le double ouvrage de Branciard (M.) : Syndicats et partis : autonomie ou dépendance (tom (...)

5Avant même l’adoption de la charte d’Amiens par la Confédération générale du travail, le syndicalisme semble être dépositaire d’une réelle forme de politisation, concurrente de l’expression de la volonté générale par les représentants élus de la Nation, en un mot de la « politique moderne ». La charte d’Amiens, adoptée au congrès de la CGT de 1906, affirme l’indépendance du mouvement syndical de tout parti politique7. De facto, ce texte ratifie l’existence d’une politique ouvrière non-partisane, non-parlementaire et par conséquent non-étatique. Cette forme de politisation non-étatique s’incarnera essentiellement dans l’idée internationaliste, qu’il ne faut pas réduire aux différentes internationales socialistes ; elle renvoie à l’idée du partage d’une relative communauté de condition avec les travailleurs appartenant à d’autres États-nations. Néanmoins, l’internationalisme n’est pas le seul cadre ayant permis la politisation ouvrière. L’épopée des Bourses du Travail (1887-1906) constitue une manifestation institutionnelle importante de l’aspiration à l’autonomie politique du mouvement ouvrier vis-à-vis de tout pouvoir institué, y compris les partis politiques ouvriers8. Dès le début du mouvement ouvrier français, c’est-à-dire avant le second Empire, on retrouve une prétention à l’originarité de la revendication, indépendante des catégories de généralité forgées par la révolution française (« souveraineté », « nation », etc.). Les travaux historiques de W. H. Sewell montrent ainsi l’avènement de formes de politisation ouvrières antérieures à l’instauration routinisée de la démocratie représentative et de la forme juridique du « syndicat » et du droit du travail9. La parole de la revendication ouvrière est d’emblée politique, en ce qu’elle constitue un appel à une justice concrète – même indépendamment de tout droit du travail formalisé10 –, à un nouveau partage de l’ordre social entre, comme le dit J. Rancière, ceux qui ont droit à la parole et ceux qui en sont privés11. Même s’ils ne sont pas habilités par le prestige social, le suffrage universel ou la compétence scolaire, les porte-parole ouvriers font résonner un discours dissensuel qui remet en question les façons établies et convenues d’émettre une parole politique, notamment le statut social des personnes habilitées à énoncer ce genre très particulier de parole. Aussi, c’est pourquoi les relations entre représentants « ouvriers » (puis « salariés ») et les partis politiques sont caractérisées en France par une extraordinaire complexité, qui est autant faite de liens objectifs (les multi-appartenances) que de désirs d’autonomie cycliques12.

  • 13 Tixier (P.-E.), Crise ou mutation du syndicalisme ?, Paris, PUF, 1993 ; Mouriaux (R.), Crises du s (...)
  • 14 Sur les contradictions intrinsèques à la démocratie sociale française, voir Nezosi (G.), « La cris (...)
  • 15 Pour une analyse économique du nouveau capitalisme tenant compte de la place des croyances, voir P (...)
  • 16 Voir notamment les études sociologiques proposées par deux livraisons d’Actes de la recherche en s (...)

6Avec le déclin contemporain de la légitimité des organisations syndicales et la chute du nombre de salariés français syndiqués (9 % en 2004, contre 25 % en 1975, moment du début du déclin), les syndicats de salariés se voient fortement contestés dans leur prétention à faire de la politique, voire à émettre une parole politique légitime. « Crise » et « syndicalisme » deviennent des termes inséparables13. Les gouvernements des deux bords et les organisations patronales les invitent, avant tout, à être des « partenaires sociaux », autrement dit des agents gestionnaires responsables des fonctions qui leur incombent en tant qu’institutions représentatives. La première de ces fonctions est la gestion, souvent alternée avec les syndicats patronaux, des instances paritaires (UNEDIC, Sécurité sociale, etc.) de la démocratie sociale française14. La seconde est la signature d’accords (d’entreprise ou de branche) avec les responsables patronaux – et parfois l’État – dans le cadre de la contractualisation des relations professionnelles. Dans ce domaine, les organisations syndicales se retrouvent cantonnées à un rôle de négociation des relations sociales, dans un contexte général délicat de faiblesse relative du salariat par rapport aux dirigeants des entreprises, tant les manageurs que les actionnaires. Ces transformations sont bien sûr liées aux nombreuses et rapides évolutions du capitalisme contemporain15 notamment au moins trois faits majeurs : le développement du chômage de masse (formant une « armée de réserve ») ; l’essor des marchés financiers internationaux ; les transformations structurelles de la gestion du personnel dans les entreprises (individualisation, précarisation des contrats de travail, développement du travail intérimaire, nouveau management16…).

7C’est dans ce contexte historique précis que notre objet d’étude prend place. Nous verrons que la dépolitisation du syndicalisme est devenue aujourd’hui une quasi-institution sociale. Cependant, l’analyse des discours et des pratiques d’une petite formation appartenant à une mouvance syndicale en plein essor, les syndicats Sud, va mettre en évidence une forme d’assomption inattendue par des syndicalistes de « faire de la politique », contournant du même coup cette quasi-institution. Plusieurs questions se posent alors. Dans quel univers sémantique et dans quels contextes sociaux précis cette assomption a-t-elle pu avoir lieu et se développer ? Quelles en sont les logiques sociales et intellectuelles ? Quelles redéfinitions des frontières entre travail syndical et travail politique y sont impliquées ? Enfin, ces discours et ces pratiques de re-politisation explicite du syndicalisme sont-ils univoques et homogènes, ou renvoient-ils à des desseins potentiellement divergents ?

La dépolitisation du syndicalisme français, un processus social ambivalent

  • 17 Il existe des rayonnages entiers de bibliothèque sur l’essence du politique, de Platon à Foucault. (...)

8Tout d’abord, nous pensons devoir distinguer deux phénomènes de dépolitisation qui sont souvent confondus dans les commentaires courants sur le syndicalisme. Le premier aspect est la dépolitisation politique du militantisme syndical. Cette expression signifie que, dans la société, les syndicats de salariés et leurs représentants sont de moins en moins habilités et socialement reconnus comme qualifiés à produire une parole mettant en débat les fins et les principes généraux de la vie collective. Le deuxième phénomène est la disqualification du « politique » dans les univers syndicaux, y compris les milieux réputés « politisés ». Les syndicats se défient de toute politisation, c’est-à-dire de proximité avec le champ politique, envisagée comme un risque d’hétéronomie et aussi de connotation négative risquant de faire fuir les éventuels nouveaux adhérents. Le sens du terme « politisation » est différent dans chacun de ces constats. Il est philosophique dans un premier sens : ce qui concerne les choses de la cité et les fins dernières de la vie commune dans la tradition qui remonte à l’Athènes de Périclès17. Il est institutionnel dans le second : la politique comme champ des activités et des rôles spécialisés dans l’organisation et la gestion du pouvoir. Les deux aspects ne sont pas nécessairement liés. Le premier renvoie à l’ordre de l’articulation d’un discours portant sur la revendication de justice, l’autre à la fonction d’encadrement juridique des activités sociales. Les États ont certes quelque prétention à dire la justice et la légitimité, mais ils ne sont pas les seuls. En revanche, ils sont les seuls à pouvoir user de moyens de coercition socialement légitimes pour faire appliquer les lois.

Des cloisons devenues étanches

  • 18 Pudal (B.) & Pennetier (C.), « Évolution des méthodes d’analyse du militant ouvrier, archétype du (...)

9La dépolitisation du syndicalisme comme fait social ? Les domaines du syndicalisme et de la politique peuvent aujourd’hui apparaître comme des sphères d’activités sociales nettement séparées. Comme indicateur minimal de ce diagnostic, on peut solliciter, par exemple, le fait que ces sphères d’activité ne se retrouvent pas aux mêmes pages des grands quotidiens d’informations. Le lecteur suit la vie des organisations syndicales dans les rubriques « Entreprises » (Le Monde), « Économie » (Le Figaro) ou « Société » (Libération). La vie dite politique se trouve recensée en page « France » (Le Monde) ou bien « Politique(s) » (au singulier à Libération, au pluriel dans Le Figaro). On y lit d’ailleurs le plus souvent des informations concernant les stratégies, opinions et ambitions individuelles des professionnels de la politique. Entre les domaines du politique et celui du syndicalisme des salariés, il y eut cependant, durant la plus grande partie du XXe siècle, un lien socialement évident. Le syndicalisme était généralement envisagé comme l’expression privilégiée du « mouvement ouvrier », des « travailleurs » voire du « peuple ». Il était considéré comme un facteur essentiel des avancées du salariat : la réduction du temps de travail, le développement des congés payés et des réglementations du travail en matière de sécurité et de santé, la hausse du salaire minimum légal, les retraites de fin d’activité, la protection des enfants contre le travail… Plus généralement, le syndicalisme était ordinairement conçu comme la condition de la possibilité même du « progrès social », de la « lutte contre l’exploitation du travail par le capital » et aussi comme l’interlocuteur légitime du pouvoir lors des grandes négociations sociales (1936, 1945, 1968…). Dès le XIXe siècle, le rapport avec le mouvement ouvrier et ses grandes manifestations politiques (1830, 1848, 1871), les qualifications portées sur le monde ouvrier (« classes laborieuses », « classes dangereuses ») vont constituer le paramètre essentiel de la structuration de l’ordre politique. Durant tout le siècle, le militant ouvrier sera envisagé comme la figure emblématique de l’individu politisé : c’est lui qui est désigné comme l’agent essentiel du « parti de masse », agent dont on sait qu’il a constitué un modèle, même pour les organisations les moins dotées en adhérents. Nous souscrivons à l’hypothèse de B. Pudal et C. Pennetier selon laquelle le militant ouvrier a servi de modèle stylisé et imaginé pour de nombreux mouvements18 : les mouvements estudiantins de mai 1968 et d’après, mais aussi pour tous les mouvements qui revendiquent la figure du militant (le RPR chiraquien en 1976, le FN après son avènement public en 1984, etc.).

  • 19 Durkheim (E.), Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1990 (1895), p. 7.
  • 20 De nombreux travaux de science politique se sont attachés à identifier les modalités du rejet des (...)
  • 21 La transformation des propriétés sociales des professionnels de la politique depuis l’avènement de (...)

10Si l’on suit cette hypothèse, le syndicalisme aurait été un acteur politique mais ne le serait plus. Les marqueurs de catégorisations sociales que sont les rubriques des journaux semblent sanctionner cette hypothèse. Il est par conséquent possible de considérer la dépolitisation du syndicalisme comme un fait social au sens classiquement durkheimien. En effet, une « puissance de coercition externe19 » très largement intériorisée semble contribuer à rendre hautement improbable la revendication de « politique » par les militants syndicaux pour désigner leurs activités quotidiennes de mobilisation et de défense des salariés. Il est ainsi devenu rare, pour un porte-parole syndical, d’assumer le caractère politique de la finalité de l’existence de son organisation. Indépendamment du contenu qui y est projeté, c’est le terme, le vocable lui même qui est dévalué, comme socialement démonétisé. Ce processus se retrouve dans les discours des acteurs syndicaux qui, dans leur immense majorité, rejettent toute forme de connexion avec le politique. Le contexte général serait par conséquent celui d’une dévaluation de la catégorie « politique ». Le citoyen se retrouverait en face d’un ordre réifié – celui de la « politique politicienne » – caractérisé par l’autonomie des logiques de champ. Les stratégies de carrières et des routines, qui seraient coupées des aspirations et de la chaleur du « terrain social », pour reprendre une expression fortement connotée couramment utilisée par les journalistes et les élus depuis une dizaine d’années. Le terme « politique » est victime d’une connotation négative dont il s’agit de se déprendre, presque un stigmate20. Ce mouvement date de la première moitié des années quatre-vingt et charrie des déterminations multiples et difficiles à hiérarchiser. Elles touchent autant le champ de l’économie (le déclin des industries traditionnelles, la revalorisation politique de l’entreprise, notamment à gauche), des évolutions du champ politique (l’installation de la gauche au pouvoir), la mollesse relative de la contestation syndicale sous les septennats présidentiels de F. Mitterrand, l’homogénéisation progressive du recrutement des professionnels de la politique (notamment le cursus honorum ENA – haute fonction publique21), l’organisation du travail (le développement des techniques de management et d’individualisation du travail dans le secteur privé comme dans les services publics), les orientations dérégulatrices de l’Union européenne, etc..

  • 22 Sur toutes les questions, voir l’ouvrage déjà ancien de René Mouriaux qui présente de façon fort u (...)
  • 23 Voir entre autres : Mischi (J.), « Travail partisan et politisation populaire. Observations locali (...)
  • 24 Voir Dreyfus (M.), Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995 ; Labbé (D.), La CGT, organisatio (...)
  • 25 Organisation communiste internationale, couramment désigné sous le vocable « lambertiste », en réf (...)

11La crise de légitimité des syndicats français par sur-politisation ? Une complémentarité unissait le mouvement syndical et les organes politiques représentant le mouvement ouvrier, c’est-à-dire les partis politiques socialistes et communistes, eux-mêmes porteurs de référence à la classe ouvrière depuis leurs origines22. Il faut faire mention des liens de dépendance réciproque entre la première organisation syndicale du pays (chronologiquement et en nombre d’adhérents) : la CGT et le Parti communiste français, principale formation politique revendiquant la représentation ouvrière. Ils étaient notoires autant localement23 – la bi-appartenance était généralement encouragée – qu’au niveau des appareils centraux de direction. Ainsi le secrétaire général de la CGT était traditionnellement membre du bureau politique du Parti24. Le cas des liens CGT-PCF est emblématique, en particulier par son ampleur. Mais, il est loin d’être isolé. De façon plus opaque, on peut noter, depuis plus d’une vingtaine d’années, la proximité de nombreux cadres militants de Force Ouvrière (CGT-FO) avec l’OCI25, un parti trotskiste devenu le Mouvement pour un parti des travailleurs (MPPT) puis Parti des travailleurs (PT). Mentionnons aussi les liens très étroits de la CFDT avec le PSU (durant les années 1965-1970) puis après le congrès d’Epinay, avec le PS (la majorité confédérale, construite autour d’Edmond Maire, était proche du courant rocardien [1975-1993]). Ces proximités sont bien connues des milieux syndicaux et l’enquêteur de terrain rencontre fréquemment des références à ces liens dans les discours des militants qu’il approche. Mais les formes et la nature de ces proximités ont peu fait l’objet d’enquêtes approfondies décrivant précisément le degré d’influence, d’interdépendance et d’autonomie entre les diverses bases locales et professionnelles et les appareils exécutifs confédéraux, dans lesquels une extrême discrétion est de rigueur. Cette absence n’est sans doute pas due au hasard. Elle découle probablement du fait essentiel que ce lien entre syndicat et parti pose problème depuis l’aurore du syndicalisme français. La charte d’Amiens de 1906 – le texte de référence du syndicalisme français – stipule l’impératif de séparation du syndicat et de l’organisation politique. Ab ovo, une forme de dénégation instituée des proximités partisanes des syndicats français est devenue de mise, alors même que dans de nombreux autres pays européens, les relations entre syndicat et organisations sociales-démocrates sont avouées sinon officialisées. C’est le cas au Royaume-Uni où le parti travailliste était traditionnellement envisagé comme la prolongation naturelle, dans l’espace de la représentation nationale, du trade-unionism.

  • 26 Tixier (P.-E.), Crise ou mutation du syndicalisme ?, Paris, PUF, 1993 ; Mouriaux (R.), Crises du s (...)
  • 27 Le « corporatisme » – qui est cependant souvent articulé avec l’excès de politisation – constitue (...)

12La situation française, imposant la dénégation des proximités partisanes, a souvent débouché sur une dénégation complète du politique, en raison de la mise en équivalence de plus en plus forte, dans le langage ordinaire, de l’ordre du politique et de celui du partisan (ou du partidaire). Ce fait a longtemps rendu délicate toute enquête sur ce phénomène dont les agents sociaux refusaient jusqu’à peu d’en accréditer la réalité. Les syndicalistes en parlent traditionnellement entre initiés, mais ils ne l’expriment que rarement publiquement. Si les liaisons entre syndicats et partis politiques sont considérées comme l’un des facteurs de désaffection des salariés pour les syndicats26, elles ne sont pas les seules27. La conséquence de l’intériorisation de la critique d’excès de politisation du syndicalisme est la baisse de la prétention des syndicats à peser sur les grands choix de société extérieurs à leurs domaines d’activité.

Stratégies de dénégation : les discours syndicaux sur les relations au politique

  • 28 Rassemblement non confédéral de syndicats unitaires professionnels non affiliés depuis la scission (...)
  • 29 Voir notamment l’article de S. Syfuss-Arnaud, « Dans la galaxie Sud », L’Expansion, 10 mai 2001. L (...)
  • 30 L’historien Yves Santamaria analyse l’essor de Sud sous l’angle de l’activisme de militants d’extr (...)
  • 31 L’autre mouvance syndicale en plein essor durant les années quatre-vingt-dix est l’UNSA, l’Union s (...)

13La dévalorisation de la qualification de « politique » dans l’univers syndical français engendre une volonté croissante des responsables syndicaux de déconnecter le syndicalisme et l’action politique, pour se défaire d’un « stigmate » presque infamant. Pour mesurer cette coercition sociale, nous allons examiner et comparer les discours des plus grandes organisations syndicales. Puis, nous analyserons un discours atypique qui ne correspond pas aux grandes tendances dégagées ailleurs : celui de la fédération Sud des PTT. Pour ne pas en rester au simple niveau de l’analyse de discours, nous essaierons de comprendre les logiques sociales qui peuvent expliquer la singularité de ce rapport entre politique et syndical. À cette fin, nous nous appuierons sur une enquête ethnographique et documentaire réalisée dans cette organisation syndicale. Cette organisation, née en janvier 1989, compte, en 2005, 15 000 adhérents. Elle est affiliée à l’union fédérale G10-Solidaires28. Elle s’avère intéressante dans le cadre de la réflexion évoquée, en ce qu’elle s’inscrit dans une mouvance syndicale en essor, alors même qu’elle est souvent caractérisée, par les journalistes29 mais aussi par les universitaires30, comme étant une organisation extrêmement « politique ». Ce trait peut, par conséquent, apparaître paradoxal dans une période de démonétisation du politique31.

  • 32 Quatrième de couverture.
  • 33 Blondel (M.), Qu’est-ce que FO ?, Paris, L’Archipel, 2002.

14Commençons ce repérage par des discours d’institution des organisations syndicales décrivant leur « rapport au politique ». La source qui sera utilisée a l’avantage d’être standardisée : il s’agit du contenu d’une série de livres de poches parus en 2002. Les éditions de l’Archipel ont lancé une collection intitulée « l’information citoyenne », dirigée par Claude Perrotin, dans laquelle « les responsables des principales organisations syndicales y exposent l’histoire, le fonctionnement et les buts de leur organisation »32. Ce support va permettre de comparer les discours officiels des organisations syndicales françaises sur les liens politique/syndical. Commençons par Marc Blondel qui s’exprime au nom de Force ouvrière, une confédération qui, rappelons-le, est née en 1947-1948, d’un départ des militants de la CGT opposés à l’influence croissante du PCF dans la CGT de l’immédiat après-guerre. Pour M. Blondel : « une conviction : le syndicat n’a pas vocation au pouvoir, son rôle est d’être un contrepoids au pouvoir ». « Depuis ses origines, le principe et la pratique de l’indépendance sont au cœur de son comportement, de ses analyses et de son rôle. Cette indépendance vaut à l’égard des partis politiques, de l’État, du patronat et des églises. Ainsi FO ne prend pas position à l’occasion des consultations politiques électorales »33. FO fait valoir son attachement à la gestion paritaire des instances de la démocratie sociale et met en avant son poids actif dans « l’élaboration de la protection sociale ».

15François Chérèque, le successeur de Nicole Notat à la tête de la CFDT, est le leader syndical qui tient le discours le plus nettement apolitique dans la présentation qu’il propose de son organisation.

  • 34 Chéreque (F.), Qu’est-ce que la CFDT ?, Paris, L’Archipel, 2002.

« La nature du militant syndical et politique ne sont pas les mêmes. Ne pas mélanger les genres justifie l’incompatibilité que nous pratiquons depuis longtemps entre mandats politiques et syndicaux. Les militants politiques sont candidats au gouvernement du pays, nous ne le sommes pas. Ils veulent incarner l’intérêt général, nous voulons concourir à sa définition. Ils veulent acquérir la légitimité du législateur, nous ne voulons que celle de partenaires sociaux écoutés et de négociateurs respectés34. » (nous soulignons).

16On voit que le discours de la CFDT est celui qui correspond le plus exactement au processus historique de dépolitisation du syndicalisme. En accordant aux partis politiques l’incarnation de l’intérêt général, la CFDT se détache de toute ambition politique. Le domaine syndical ne peut être qu’un domaine de négociation (le contrat entre patronat et salariés), alors que la politique est du domaine de la loi. La CFDT partage avec FO l’affirmation de l’importance des relations bilatérales et négociées entre le patronat et les syndicats. L’État est invité à se montrer plus discret, à donner de plus grandes marges d’action aux négociations sociales, et, même, à assouplir l’encadrement législatif d’ensemble, surtout à la CFDT. Il existe cependant davantage qu’une différence de ton entre les deux centrales. Là où FO se réserve le droit d’appeler à la grève (comme en 1995), la CFDT considère la grève comme un « moyen d’action dépassé ». La « négociation directe » entre représentants responsables devrait lui succéder.

17Du côté de la CGT, son secrétaire général, Bernard Thibault, tient un discours plus nuancé, qui s’explique bien sûr par les liens intimes qui ont uni la CGT et le PCF. À présent, les relations doivent selon lui s’effectuer sur le mode du débat. Mais le discours de la CGT est de plus en plus marqué par le rapprochement avec la CFDT, qui s’explique vraisemblablement par la stratégie européenne de la CGT.

  • 35 Thibault (B.), Qu’est-ce que la CGT ?, Paris, L’Archipel, 2002.

« Un peu partout dans le monde, des syndicats font reposer leurs espoirs sur l’accès au pouvoir politique dont ils s’estiment le plus proche ou peuvent même être des instruments manifestes du pouvoir en place. Ce sont là des conceptions qui ne correspondent ni à la société française, ni à la CGT. Il est clair que, pendant une longue période, la CGT a entretenu une relation particulière avec le Parti communiste français […]. La crise du politique nous concerne et notre conviction de la nécessité d’une démarche syndicale indépendante ne signifie pas notre indifférence au contexte politique […]. Dans ce cadre, la CGT est donc pleinement disposée à débattre en permanence avec tous les partis démocratiques, d’organisation à organisation, dans le respect des prérogatives et de l’identité de chacun35. »

Exploration d’un contre-exemple Une revalorisation de la politisation de l’action syndicale

  • 36 Voir notamment Levi (G.), « Les usages de la biographie », Annales ESC, 44, 1989, p. 1325-1336.
  • 37 Sud Solidaires, Qu’est-ce que Sud-Solidaires ?, Paris, L’Archipel, 2002.

18Les micro-historiens italiens – notamment G. Levi et E. Grendi36 – ont démontré la valeur heuristique de l’étude systématique des pratiques et discours minoritaires, voire exceptionnels, pour comprendre les logiques d’ensemble qui travaillent une société donnée, mettant même en débat les idées courantes sur la représentativité d’une recherche en sciences sociales. Il semble que, après le travail de contextualisation qui vient d’être balisé, l’analyse systématique de l’exception incarnée par les syndicats Sud puisse s’autoriser de cette méthode originale, en vue de saisir plus précisément les conditions empiriques et les contextes pratiques qui rendent possibles la subversion – objectivement rare – des relations entre les ordres socialement institués (mais changeants) du politique et du syndical. En effet, à côté de ces discours très largement convergents et majoritaires, l’ouvrage consacré aux syndicats Sud37 fait figure de cas limite largement inclassable.

  • 38 Syndicat national unifié des impôts.
  • 39 Syndicat national des journalistes.
  • 40 Syndicat national unifié de la Banque de France.
  • 41 Elle comprend trente-six syndicats autonomes ou fédérations syndicales.
  • 42 « D’un commun accord avec Claude Perrotin, nous avons décidé de remplacer la biographie centrale d (...)

19D’emblée, il présente deux particularités. D’abord, il est le seul qui ne soit pas consacré à une formation ayant une claire existence statutaire. En effet, l’entité « Sud-Solidaires » n’existe pas. Les syndicats Sud sont certes rassemblés, mais dans une union syndicale (et non pas une confédération) qui réunit en outre de nombreux syndicats non-confédérés beaucoup plus anciens (comme le SNUI38, le SNJ39, le SNUIBF40), dont la coordination (le Groupe des Dix ou G10) préexistait à la création des Sud (elle date de 1981). Le nouveau nom de cette structure est « Union syndicale G10-Solidaires »41. La reprise de l’appellation « Solidaires » est riche de connotations. Elle est à comprendre comme la marque de la présence des jeunes syndicats Sud dans le G10. C’est aussi plus généralement une référence aux slogans utilisés lors des grandes mobilisations salariées de novembre-décembre 1995 contre le plan du Premier ministre (A. Juppé) portant sur la réforme des régimes de retraites. Par là, la nouvelle organisation opère un investissement symbolique dans un vocable marquant l’appel à une phase de reconquête du mouvement syndical ouvrier, après une douzaine d’années de reculs (puisque le plan Juppé fut finalement largement retiré). Cette symbolique est explicitement en rupture avec la stratégie de négociation choisie par la CFDT, dirigée par Nicole Notat, lors de ce conflit. La seconde particularité est que l’ouvrage ne porte pas de nom d’auteur. À la différence des autres ouvrages de la collection qui voient les secrétaires généraux signer l’ouvrage, la photo d’identité de la porte-parole du G10-Solidaires n’est pas portée sur la couverture, ni même son nom mentionné. Dans une même logique, la biographie du porte-parole est remplacée dans ce volume par une galerie de portraits de militants42. Ces caractéristiques expriment le refus de la personnalisation des responsabilités syndicales vue comme un leadership.

  • 43 Op. cit., p. 60.
  • 44 Op. cit., p. 61.

20Concernant les « relations avec la politique », question rituelle de l’intervieweur à des interlocuteurs, le discours de Sud-Solidaires est le suivant : le syndicat « doit être indépendant et ne pas être la courroie de transmission de tel parti, du patronat, du gouvernement ou de telle église. […] Le manque d’indépendance est à mon sens une des raisons de la crise du syndicalisme. Nous disposons d’exemples négatifs, qu’il s’agisse des relations qu’entretenait la CGT avec le PCF ou bien l’étreinte mortelle entre le mouvement syndical et le mitterrandisme. Notre démarche s’inspire de la charte d’Amiens : défense immédiate des salariés, transformation sociale et contre-pouvoir43 ». Très clairement, Annick Coupé décrit le mouvement G10 solidaire comme un mouvement apolitique au sens où il n’a aucun lien avec une organisation partisane. Ici, ce sont explicitement les relations entre le PCF et le CGT qui sont visées et implicitement les relations CFDT-PS dans l’expression « étreinte mortelle avec le mitterrandisme ». […] Cela se traduit par l’interdiction de « cumul de mandats syndicaux et politiques » (nous soulignons). Cette interdiction de cumul n’est pas valable pour les engagements associatifs qui sont au contraire encouragés. « Nos militants sont souvent engagés […] dans des mouvements sociaux locaux. Ils privilégient le fonctionnement en réseau et les engagements pluriels44 ».

  • 45 Brochure de présentation de Solidaires, octobre 2003.

21On comprend que Sud se conçoit comme un syndicat apolitique. À la différence des « mauvais exemples » de la CGT et de la CFDT, il interdit tout rapprochement avec une quelconque force partisane. L’Union syndicale G10-Solidaires met en œuvre un fonctionnement différent des autres confédérations. Il s’agit de mieux s’organiser pour mieux agir ensemble et d’« éviter les phénomènes d’institutionnalisation, de délégation du pouvoir, d’experts, de superstructures que connaissent les grandes confédérations dans leur fonctionnement actuel45 » (nous soulignons). On touche ici un deuxième aspect du modèle valorisé par les Sud : l’importance accordée à l’invention de formes organisationnelles non-hiérarchiques et non-bureaucratiques. Les syndicats Sud-Solidaires souhaitent à la fois éviter la spécialisation institutionnalisée des fonctions de représentation et valoriser les relations informelles et non autoritaires. Ceci vaut tant au niveau des individus qu’à celui des structures.

  • 46 Idem.

22Cette optique correspond d’abord aux conditions de naissance des Sud, et de Sud-PTT en particulier. Leurs fondateurs ont été exclus autoritairement par une direction politique (cf. infra). Ce traumatisme explique l’absence de volonté d’intégration verticale au sein des Sud. Au niveau des fédérations, les syndicats départementaux disposent d’une liberté d’orientation et d’organisation quasi-complète. Ainsi, le bureau fédéral (BF) n’est qu’un organe mandaté par l’instance souveraine qui est la réunion des syndicats départementaux en congrès. Au niveau interfédéral (celui du G10-Solidaires), l’intégration s’effectue a minima, selon des modes décisionnels où prime toujours l’unanimité des décisions. Le G10-Solidaires se refuse à se voir transformer en confédération, c’est-à-dire, selon eux à voir se constituer une bureaucratie interprofessionnelle. Mais, ce choix d’un modèle organisationnel « mou » correspond aussi à une considération plus stratégique de facilité d’agrégation en vue de finalités plus importantes. « L’Union syndicale G10-Solidaires a l’ambition de favoriser l’unité d’action et les convergences avec toutes les forces syndicales qui s’opposent au libéralisme46 ». On voit poindre dans cette dernière phrase une dimension qui détonne avec ce qui a pu être identifié dans les autres ouvrages.

23En effet, dans cet ouvrage on peut lire une assomption que l’on ne lit nulle part ailleurs, dans la collection mentionnée. « Le syndicalisme est politique par définition, au sens où il agit sur des questions sociales qui elles sont très politiques ». Et plus loin :

  • 47 Sud Solidaires, Qu’est-ce que Sud-Solidaires ?, op. cit., p. 117-118.

« Nous avons la responsabilité d’imaginer et de construire un outil syndical utile dans la défense immédiate et quotidienne, capable de porter un projet social émancipateur sans perdre son rôle de contre-pouvoir en toute circonstance, de se situer sur un terrain politique, de maîtriser les choix de société, sans perdre son indépendance ou devenir la courroie de transmission, la force d’appoint de tel ou tel parti, le relais de telle ou telle politique gouvernementale. Il ne peut y avoir de projet syndical qui réponde vraiment aux difficultés vécues chaque jour par les travailleurs sans remise en cause du fonctionnement actuel de la société. Il nous appartient de montrer et de convaincre les salariés que d’autres choix sociaux sont possibles. […] En construisant des réponses alternatives, le syndicalisme redonnera du sens aux batailles collectives et permettra de sortir de la désespérance et de l’individualisme. Les désordres internationaux actuels doivent nous pousser dans cette détermination47. » (nous soulignons).

  • 48 En effet, outre les syndicats Sud, seule la « petite » CNT (Confédération nationale du travail) re (...)

24La porte-parole du Groupe des 10 ne renonce pas à remplir une mission politique qui touche au choix de société. Ce qui signifie que le Groupe des 10 dénie aux partis politiques le monopole de l’expression des paroles politiques. En tant qu’union syndicale, il se propose d’émettre des « réponses alternatives » aux solutions apportées par les partis au pouvoir. Il constitue la seule force syndicale d’envergure à revendiquer la remise en question des définitions admises du « syndical » et du « syndicalisme »48.

  • 49 Le terme est publiquement employé par Marie-Claude Beaudeau, sénatrice du Val d’Oise, vice-préside (...)
  • 50 Concernant le malaise social à La Poste, on peut consulter deux études universitaires. L’une porte (...)

25Il faut rappeler que Sud-PTT est née en 1988-1989, en pleine crise du syndicalisme suite à une exclusion de plusieurs animateurs de la CFDT-PTT d’Île-de-France. Cette exclusion était en réalité un prodrome de la réforme des PTT par le gouvernement Rocard, que la CFDT de Jean Kaspar puis de Nicole Notat allaient soutenir. Depuis sa création, dans ses discours et son positionnement, cette organisation approfondit un discours particulier. La politique gouvernementale est désespérante, en ce qu’elle prend des mesures contre lesquelles la plupart des agents des anciens PTT s’insurgent, toujours en vain. Le terme même de « démocratie » est manié avec un fort scepticisme par les salariés que nous avons rencontrés. Pour l’expliquer, il faut avoir à l’esprit que, depuis la loi Quilès qui a démembré l’administration des PTT. Beaucoup d’agents de la Poste et de France Télécom vivent très mal l’évolution de leur activité professionnelle et, tout particulièrement, la quasi disparition de la logique de service public, qui structurait subjectivement le rapport au travail et aux usagers de beaucoup d’entre eux. Les phénomènes de privatisation progressive les laissent largement désorientés. La politique des opérateurs s’est caractérisée par un tarissement presque total des concours de fonctionnaires titulaires, par un blocage des mutations géographiques, par des embauches systématisées de contractuels et d’intérimaires, par l’introduction d’incitation au rendement commercial des agents (facteurs, guichetiers, etc.), par le découpage en branches des opérateurs postaux et télécoms et des restructurations permanentes de l’organigramme. La situation est particulièrement difficile à France Télécom qui a supprimé 16 000 emplois en 2003 sans licencier. Cette entreprise se caractérise par les restructurations pluriannuelles d’organigrammes et les suppressions d’emplois utilisant notamment la pression voire le harcèlement moral49. À la Poste, les objectifs managériaux sont comparables. Mais la condition psychique des agents semble avoir, pour le moment, été moins éprouvée certainement parce que les restructurations se sont déroulées à un rythme beaucoup moins rapide qu’à France Télécom50.

Un au-delà politique au syndicalisme ?. « L’interprofessionnel » et « le mouvement social »

26Notre enquête sur la fédération Sud-PTT a confirmé les singularités visibles dans les discours et les modes de fonctionnement de cette organisation, lisibles dans les extraits présentés, par rapport aux grandes confédérations auxquelles nous avons fait allusion (FO, CGT, CFDT). Nous avons identifié des modalités de réinvestir la parole politique (sens 1), tout en contournant la contrainte discursive de l’usage dévalué du terme politique par la politique institutionnelle (sens 2). En effet, le discours public de l’institution Sud-PTT s’inscrit dans un ensemble de discours où se redéfinit la légitimité des pratiques des militants syndicaux. Si, les textes de Sud le montrent à l’envi, l’organisation est fondée sur un double refus de la politisation, par les partis (comme traditionnellement à la CGT) et par la bureaucratie (comme à la CFDT), elle n’est pas sans promouvoir une certaine forme de politisation. Le terme est même ouvertement assumé. Quelles sont les domaines où la politique redevient digne pour le syndicat ? Pour répondre à cette question, il faut signaler que, au sein de Sud-PTT, il existe une synonymie conventionnelle entre les termes suivants : politique, transformation sociale et interprofessionnel. L’action politique du syndical renvoie avant tout à un engagement en dehors de la sphère traditionnelle d’action syndicale professionnelle.

Domaines d’implication extra-professionnelle par les militants de Sud-PTT

  • 51 Entretien avec Pierre J., militant syndical au syndicat Sud-PTT des Côtes d’Armor, 1999.

27De façon schématique, à Sud-PTT, politiser l’engagement syndical, c’est participer, en syndicaliste, à des « actions interprofessionnelles », terme indigène qui renvoie en réalité au domaine de l’extra-professionnel. Un extrait d’entretien avec un militant fortement impliqué dans un syndicat départemental montre que les pratiques habituellement dévolues aux responsables syndicaux peuvent être connotées négativement. À la question adressée « vous considérez-vous comme un syndicaliste ? », voici la réponse obtenue : « Syndicaliste moi ? Jamais de la vie ! Appelez-moi comme vous voulez : “gauchiste”, “bricoleur”, mais pas syndicaliste. Syndicaliste, c’est celui qui profite du comité d’entreprise pour bénéficier gratis des meilleurs centres de vacances pour ses gamins. C’est tout ce que je déteste. Moi je suis là pour aider les gens et embêter les puissants, les patrons et les politiciens. C’est ça qui me plaît dans la vie51. » Cette réaction n’est certainement pas statistiquement représentative ; de nombreux militants engagés de longue date revendiquent, eux, le terme de syndicalisme en renvoyant à des exemples connotés positivement, notamment l’expérience autogestionnaire des Lip. Mais, cette citation est emblématique d’un besoin de redéfinir à nouveaux frais une activité socialement discréditée, en la faisant correspondre à des pratiques moins institutionnelles et gestionnaires, mais davantage engagées dans la promotion toute empirique (le locuteur se présente comme un « bricoleur ») de l’émancipation sociale. La (re)politisation du syndicalisme observable dans les syndicats Sud se révèle ici par le refus d’une fonction de cogestion des relations sociales, à la différence des confédérations, pour assumer une fonction inédite et non-institutionnelle de résistance voire contrepouvoir (au « démantèlement du service public », à « la vague néolibérale », etc.). Cette stratégie utilise la forme syndicale de façon tactique, en la détournant de leurs modalités habituelles pour en faire un acteur, permettant d’agir en amont des difficultés rencontrées dans le strict secteur professionnel dans lequel les organisations syndicales évoluent.

28Nous avons recensé, au cours de l’enquête, les principales activités militantes dites « interprofessionnelles » dans lesquelles la fédération Sud-PTT s’est impliquée fortement. Elles sont nombreuses. Ce qui est frappant est non seulement leur nombre, mais aussi deux faits essentiels. D’abord, ces activités touchent des domaines objectivement très éloignés du domaine professionnel des PTT. Ensuite, elles sont fortement encouragées par les instances fédérales. Dans les journaux et tracts envoyés de la fédération parisienne aux adhérents de toute la France, ces engagements sont fortement publicisés comme faisant intrinsèquement partie de l’activité de l’organisation. Les adhérents sont invités à apporter leur soutien à ces manifestations. La liste que nous proposons ici n’est pas exhaustive, mais relève les principaux domaines d’action qu’à Sud-PTT, les syndicalistes appellent « interprofessionnels ».

Liste des mobilisations interprofessionnelles promues par Sud-PTT
– Organisation des Marches européennes contre le chômage, la précarité et les exclusions. Pendant le printemps et l’été 1997, des milliers de militants convergent vers Amsterdam. La grande manifestation du 14 juin 1997 rassemble 50 000 personnes. En 1999, l’opération est renouvelée. Des milliers de marcheurs quittent Bruxelles pour Cologne. La manifestation de Cologne du 29 juin 1999 rassemble 40 000 marcheurs.
– Implication dans le mouvement des chômeurs de l’hiver 1997-1998 dans de nombreuses villes de France.
– Participation aux actions de soutiens aux sans-papiers (1996-1997). Madjiguene Cissé, Aboubacar Diop sont invités au congrès de Sud-PTT de décembre 1996.
– Organisation du colloque sur l’Avenir du service public (économistes, sociologues, syndicalistes, représentants d’associations d’usagers, etc) organisé par Pierre Khalfa et Francine Bavay, secrétaires fédéraux de Sud-PTT, en 1997.
– Actions de soutiens à la Bosnie-Herzégovine (convois humanitaires, associations femmes), au Kosovo (condamnation publique des frappes de OTAN, cette position fédérale a été contestée par une majorité de syndicats).
– Participation active à des contre-sommets européens et contre-sommets du G10 : Lisbonne (2000), Nice (2000), Göteborg (2001), Gênes (2001), Barcelone (2002), Séville (2002), Evian (2003). Christophe Aguiton est particulièrement actif dans ce domaine. Envoi de représentants aux contre-sommets de l’OMC à Seattle (1999) et à Doha, au Qatar (2003).
– Participation aux Forums sociaux européens (FSE) : Florence (2002), Paris/Ivry/Saint-Denis/Bobigny (novembre 2003).
– Participation aux Forums sociaux mondiaux (FSM) de Porto Alegre (Brésil) : 2001, 2002, 2003, 2004, 2005.

  • 52 Texte fondateur de Copernic (www. fondation-copernic. org). Parmi les animateurs de Sud-PTT, Chris (...)
  • 53 Association pour la taxe Tobin et l’aide aux citoyens fondée en 1998 sous les auspices du Monde Di (...)

– Participation à la grande mobilisation altermondialiste du Larzac (été 2003), organisée par la Confédération paysanne, syndicat d’agriculteurs.
– Implication dans AC ! (agir ensemble contre le chômage) : Il s’agit d’une association de lutte contre le chômage et non d’une association de chômeurs. Il faut y noter l’importance du rôle de Christophe Aguiton, co-fondateur d’AC ! avec Claire Villiers (CFDT-ANPE).
– Participation à la création de la Fondation Copernic « pour remettre à l’endroit ce que le libéralisme fait fonctionner à l’envers » « afin que s’y côtoient et élaborent des praticiens divers, syndicalistes et chercheurs, féministes, militants associatifs et responsables politiques »52 anciennement Ressy, fondée par Jacques Kergoat et présidée par Yves Salesse. Dans ce cadre, Pierre Khalfa a coordonné la rédaction du « contre-rapport Charpin » sur les retraites. Ce rapport issu de réflexions entre économistes universitaires et syndicalistes (CGT et Sud) a paru sous le titre Les retraites au péril du libéralisme, Paris, Syllepse, 2000.
– Investissement dans l’institutionnalisation de l’union syndicale G10-solidaire. L’ancienne secrétaire générale de Sud-PTT, A. Coupé, en est devenue porte-parole.
– Participation à ATTAC53 depuis sa fondation. Sud-PTT fait partie des « membres fondateurs ». Christophe Aguiton puis Pierre Khalfa en furent représentants au conseil d’administration. Serge Le Quéau, représentant les comités locaux Attac et ancien élu fédéral Sud-PTT, est aussi membre du bureau national d’ATTAC.

  • 54 Sur l’apparition de l’acteur « mouvement social » en France dans l’après novembre-décembre 1995, n (...)

29Ce fort investissement interprofessionnel peut être analysé comme une forme particulièrement active de politisation au premier sens identifié : celui de la participation à la définition des finalités de la vie collective. Avec le temps Sud-PTT s’est inscrit dans un champ d’action qui dépasse de beaucoup son domaine d’activité. Il a connu deux phases d’accélération majeures. La première phase est l’après 1995, où Sud-PTT devient la tête de pont du « mouvement social »54. Le deuxième temps est la phase qui débute en 1999-2000, à partir de laquelle ce sont les militants de Sud, et non leur organisation, qui deviennent des agents majeurs de l’altermondialisation, notamment par l’intermédiaire de leurs responsabilités dans ATTAC.

  • 55 Il n’est qu’à relire les journaux de l’automne 1988 pour se rendre compte de l’omniprésence journa (...)

30Pour comprendre, les singularités de l’engagement interprofessionnel dans la fédération Sud-PTT, il faut se souvenir que cette organisation est née en 1988 suite à l’exclusion de militants réputés « trotskistes »55 par la direction de la CFDT-PTT. Ces exclusions eurent lieu suite à un désaccord sur la conduite à mener dans un conflit social postal, en octobre-novembre 1988. Les syndicats CFDT-PTT Île-de-France et leur direction régionale étaient favorables au soutien des travailleurs en grève, alors que les directions fédérale et confédérales appelaient les postiers à la reprise du travail. Elle considérait que les propositions de règlement du conflit par le gouvernement de M. Rocard étaient satisfaisantes. Les principaux militants franciliens occupant des fonctions de responsabilité syndicale (et ayant désobéi aux consignes) furent exclus de la CFDT. Une grande partie d’entre eux se réunirent pour constituer un syndicat dont la naissance n’était absolument pas prévue. Contrairement aux prévisions de la direction de la CFDT-PTT, ils furent rejoints par les équipes syndicales avec lesquelles ils avaient l’habitude de travailler (près d’un millier de personnes). Ce soutien a permis aux listes nouvelles listes Sud de réaliser des résultats surprenants aux élections professionnelles paritaires de mars 1989. Elles obtinrent un score supérieur à 15 % dans de nombreux endroits d’Île-de-France, ramenant souvent la CFDT à des scores inférieurs à 10 %. Au niveau national, les listes Sud frôlèrent la barre des 5 %, qui constitue le seuil de la représentativité syndicale.

31Pour comprendre les raisons profondes de la constitution de Sud-PTT, il peut être utile, à titre d’exemple, de citer in extenso un tract envoyé, lors de sa création, par le syndicat Sud-Bretagne aux agents des PTT.

  • 56 Tract de SUD-fédération syndicale des PTT, intitulé « Pourquoi nous avons quitté la CFDT PTT et po (...)

« En désaccord avec les prises de position de leurs instances nationales concernant le projet de loi du gouvernement qui prévoit la scission et le démantèlement des PTT en deux exploitants autonomes de droit public, des militants de la région Bretagne ont décidé de quitter la CFDT pour créer un syndicat régional Bretagne affilié à la nouvelle fédération syndicale des PTT SUD (“solidaires, unitaires et démocratiques”). Ces militants refusent de cautionner plus longtemps une organisation qui dans sa démarche et dans ses propositions, apporte un soutien actif à un projet qu’ils estiment contraires aux intérêts des usagers et des travailleurs du service public que sont les PTT56. »

32Le tract reproduit alors l’argumentaire fourni pur justifier la création d’une nouvelle organisation syndicale.

« La fédération a pour objectif la construction d’un syndicalisme
1) qui défend des intérêts moraux et matériels des travailleurs et travailleuses des PTT (allusion au texte fondateur de la CGT, NdA)
2) de transformation sociale dans le cadre du socialisme autogestionnaire (il s’agit d’un engagement de fidélité au programme politique de la CFDT d’après mai-1968 jusqu’à l’avènement d’Edmond Maire en 1975, NdA)
3) indépendant de l’état, du patronat et de tout parti et groupe politique (référence à la charte d’Amiens et à la proximité CFDT-PS depuis le milieu des années 1970 NdA)
4) pluraliste et fédéraliste, c’est-à-dire acceptant en son sein la pluralité des opinions ». (Allusion à l’exclusion dont ces oppositionnels à la ligne confédérale de la CFDT ont été exclus, NdA).

  • 57 Ces résultats sont le fruit d’un travail d’observations et d’entretiens mené sur plusieurs années (...)

33Notre enquête57 a permis d’identifier les propriétés sociales partagées par la quarantaine de militants fondateurs. Ils ont sensiblement le même âge : le plus souvent entre 32 et 36 ans en 1989. Ils sont entrés durant la même période dans les PTT (entre 1974 et 1978, en moyenne), le plus souvent après avoir entamé des études supérieures. Ils ont été syndicalement socialisés durant l’âge d’or du syndicalisme PTT, qui va de 1974 à 1981, l’arrivée de la gauche au gouvernement. Jamais autant de préavis de grèves n’ont été déposés dans toute l’histoire des PTT. Pour la plupart, ils ont fait partie de groupes politiques d’extrême gauche ou s’y sont intéressés. Notons que le militantisme anti-discriminatoire (féministe et homosexuel surtout, mais aussi antiraciste) et de solidarité avec le Tiers-monde fait partie de leurs préoccupations partagées depuis les années soixante-dix. Il constitue un liant essentiel, tant la CFDT-PTT s’est développée via la syndicalisation de catégories encore sous-syndiquées dans les années soixante-dix : les femmes, les salariés venus d’outre-mer et aussi des homosexuel (le) s. Un groupe social relativement homogène quant à ses modes de vie et ses habitudes de la contestation politique s’est donc constitué avant même de s’investir à Sud. C’est pourquoi, ces militants ont pu, malgré leurs divergences, constituer une frange contestataire importante dans la CFDT-PTT, quoique très esseulée dans la confédération. Cette frange était notamment opposée au recentrage et à la stratégie de « re-syndicalisation », initiée par Edmond Maire à partir du Congrès de Brest de 1978, qui s’appuyait sur d’autres couches sociales, donc d’autres syndicats. Mais elle n’a à aucun moment trouvé des alliés pour constituer une opposition confédérale forte.

34Après l’institutionnalisation de l’organisation par la reconnaissance gouvernementale de sa représentativité en 1994, Sud-PTT connaît une soudaine médiatisation. Lors des mouvements de novembre et décembre 1995, Sud-PTT apparaît en première ligne dans la contestation du plan Juppé sur les retraites. La mobilisation précoce des centres de tri postaux, stratégiquement essentielle dans les conflits sociaux visant une ampleur nationale, est en grande partie à mettre à l’actif des équipes de Sud-PTT. Au même moment, la direction de la CFDT animée par Nicole Notat rencontre des difficultés internes. Ses positions défavorables aux grèves opposition au plan Juppé sont impopulaires dans de larges pans de la centrale cédétiste. La conséquence est que des militants depuis longtemps oppositionnels au sein de la confédération décident alors de sauter le pas. Ils quittent la CFDT pour fonder des syndicats Sud. Ainsi naissent Sud-Rail, Sud-Éducation, Sud-Aérien, etc.

35Au congrès fédéral de Forges-Les-Eaux, en décembre 1996, et plus encore à ceux du Cap d’Agde en décembre 1999 et de Batz-Sur-Mer en mai 2002, des militants fondateurs quittent leurs fonctions. Ce faisant, ils appliquent une disposition qu’ils avaient eux mêmes exigée en 1988, dans le traumatisme de leur exclusion de la CFDT : ne pas construire un syndicat bureaucratique. Des règles très strictes de limitation de durée des mandats de permanents ont été instaurées pour éviter ce type de dérive. Le but était que les permanents ne se coupent pas du terrain, et qu’au bout de neuf années de permanence syndicale, ils retournent au travail. Depuis plusieurs années, l’enjeu récurrent des réunions fédérales était devenu la recherche de moyens honnêtes de contourner ces dispositions statutaires, de façon à ne pas se passer de l’expérience – souvent jugée irremplaçable – de militants de premier plan, auxquels l’organisation en outre doit beaucoup. Mais ces tentatives de contournements sont parfois très mal vécues par les militants des syndicats départementaux. Ces derniers sont prompts à y voir une envie coupable de s’accrocher aux confortables sièges fédéraux pour éviter les désagréments du retour au travail.

  • 58 Voir Renou (G.), « L’institution à l’état vif. Sociabilité et constructions des groupes dans un sy (...)

36Beaucoup d’anciens permanents fédéraux sont en effet amenés à reprendre leur activité professionnelle, en réintégrant leurs services de rattachement. La rupture contrainte avec un investissement militant qui date de douze à vingt ans est difficile voire douloureuse. Ces militants, qui n’ont pas encore cinquante ans pour la plupart, disposent de savoir-faire militants très affûtés, notamment dans l’usage de la parole et de l’expression écrite. Ils sont comme décalés dans un retour sur le terrain professionnel qui a beaucoup changé depuis les années 1988 et qui, de plus, ne leur offre aucune perspective d’ascension professionnelle dans ces entreprises où la montée en grade ne passe plus par des concours nationaux anonymes. Ils envisagent donc l’investissement interprofessionnel comme un moyen de poursuivre un engagement militant. Ce choix leur permet en outre de rester inscrits dans les groupes de sociabilité indissociablement militante et amicale, dont ils font partie depuis parfois deux décennies58. On peut faire l’hypothèse que certains d’entre eux ont anticipé leur « retraite syndicale » et ont préparé leur avenir en s’investissant dans d’autres organisations, en vue d’obtenir d’autres mandats représentatifs : à ATTAC, à l’Union syndicale Groupe des Dix-Solidaires, voire dans des partis politiques (chez les Verts notamment).

37On pourrait ainsi expliquer l’explosion des investissements interprofessionnels de Sud par trois raisons non exclusives. D’abord, une raison culturelle : l’ethos contestataire de beaucoup de ses animateurs, forgé par le militantisme révolutionnaire de leurs vingt ans, les pousse à une pratique élargie du syndicalisme, pour laquelle des ponts de solidarité sont établis entre des conditions sociales disparates (sans-papiers, chômeurs, minorités discriminées, etc.) dont les luttes sont articulées discursivement avec les enjeux professionnels rencontrés par les salariés par l’intermédiaire de tracts ou de vive voix. Engagés dans des luttes multiples depuis le milieu des années soixante-dix, ils ne peuvent complètement s’épanouir dans une vision corporatiste du travail syndical. L’engagement dans les mouvements sociaux des années quatre-vingt-dix pourrait être une réactivation de dispositions militantes révolutionnaires dans ce nouveau contexte de conflictualité sociale que sont les mouvements rassemblés sous l’étendard « anti-néolibéral ». Ensuite, une raison institutionnelle : l’organisation syndicale ayant quitté la phase dangereuse durant laquelle son existence même était en danger, le défi de la lutte militante sur d’autres fronts est apparue stimulante à beaucoup, surtout à un moment où les climats professionnels internes à la poste et à France Télécom se dégradaient rapidement et rendaient, par là même, le syndicalisme de terrain extrêmement difficile. Enfin, une raison matérielle : nous émettons l’hypothèse d’un effet des règles statutaires sur la durée limitée des détachements syndicaux sur l’intensité de l’engagement des militants fédéraux de Sud-PTT dans les actions du mouvement social. Pour poursuivre leur trajectoire syndicale, ces militants ont misé sur l’émergence et l’institutionnalisation de nouvelles organisations dont ils pourraient devenir des représentants mandatés. Cela permet d’éviter un brutal et complet retour dans un service qui a de fortes chances de se révéler une « placardisation ».

Une politique sans appareil ni institution ?. Visions divergentes d’une repolitisation syndicale

  • 59 Rappelons que Jules Guesde, adversaire des associationnistes, valorisait une relation forte entre (...)
  • 60 Ce qui peut s’expliquer par l’hétérogénéité des deux électorats qui semblent répugner à s’agréger.

38Le modèle de syndicalisme élaboré et théorisé à Sud-PTT à partir des années 1995-2000 voit, selon nous, surgir le vieux débat entre l’anarcho-syndicalisme et le guesdisme59. Plusieurs raisons sont à invoquer. Les syndicats ouvriers sont plus faibles que jamais. Aux dernières élections européennes de juin 2004, l’audience du Parti communiste est à 5 % (3,4 % à la présidentielle de 2002). Celle de l’union LCR-LO est 2,5 % (même si le résultat des deux candidatures à l’élection présidentielle de 2002 donne un résultat de 10 %60). L’audience du PT est marginale (0,5 % en 2002). La participation du PCF au gouvernement de Lionel Jospin (1997-2002) a beaucoup fait décroître sa légitimité parmi les militants salariés, ce qui a renforcé la méfiance pour la forme partisane. Dans le secteur des Postes et Télécommunications, le fait que l’ouverture du capital de France-Télécom et le démembrement de l’administration postale en branches commerciales ait été menées par des partis politiques de gauche (PS, PC, Verts) a beaucoup contribué, chez les salariés qui en ont pâti, au rejet pour la politique représentative en général et les partis en particulier.

Un nouvel anarcho-syndicalisme ?

  • 61 Cf. l’ouvrage de Julliard (J.), Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action direct (...)

39Rappelons quelques repères sur l’anarcho-syndicalisme. La première Internationale des travailleurs naît à Londres en 1864. La légende du mouvement ouvrier veut que, dès ce moment fondateur, le socialisme révolutionnaire ait été clivé entre deux tendances : celle de Karl Marx et celle de Michel Bakounine. Le congrès de 1872 de l’Association internationale du travail à La Haye vit le départ des libertaires (menés par Bakounine et Guillaume). Une nouvelle Internationale, se voulant anti-autoritaire, fut fondée à lors du congrès de Saint-Imier (septembre 1872). Les libertaires se retrouvent le plus souvent dans la source anti-autoritaire des textes de Bakounine. Mais le courant libertaire français doit autant à la critique bakouninienne du marxisme qu’à l’importance d’un anarcho-syndicalisme de métier à l’origine de la CGT et aussi des partis ouvriers, au sein desquels le marxisme a longtemps été minoritaire. Les animateurs des Bourses du Travail (F. Pelloutier, P. Monatte, etc.) se reconnaissent dans cette appellation et ces principes61. Le point central est le suivant : le pouvoir appartient en dernière instance à la base ouvrière. Les conséquences pratiques sont simples. Les assemblées générales du personnel sont souveraines. Les organes exécutifs doivent être soumis aux assemblées générales, seules sources de légitimité politique. Les délégués doivent recevoir des mandats précis et doivent pouvoir être à tout moment révocables. L’anarcho-syndicalisme (ou le syndicalisme libertaire pour être plus large) se caractérise avant tout par la démocratie directe. Toute forme de spécialisation politique et de délégation politique est tenue pour suspecte. La médiation institutionnelle (délégué du personnel, élus du personnel) n’est pas une priorité mais un danger. Quant aux partis politiques, en tant qu’ils participent à la perpétuation de l’ordre politique et économique, ils ne sont envisageables que s’ils renoncent à se présenter aux élections. Ils ne peuvent qu’être révolutionnaires.

40D’un point de vue méthodologique, il semble important d’envisager la tradition anarcho-syndicaliste non pas comme une réalité historique cohérente, mais bien plutôt comme un ensemble de repères cognitifs et discursifs comme la valorisation de l’assemblée générale souveraine. Réactivés en situation, ces repères permettent à des pratiques de s’inscrire dans une longue tradition intellectuelle. Envisagé selon ce mode ethnométhodologique, l’anarcho-syndicalisme devient une forme de « grandeur » relativement plastique, à laquelle est attaché tout un ensemble de symboles identificatoires, d’histoires plus ou moins exactes transmises verbalement, d’emblèmes et de thèmes rassembleurs (les Bourses du travail, la Guerre d’Espagne et la « trahison stalinienne »), voire d’ennemis communs (le PCF accusé d’avoir accaparé l’aspiration communiste)…

41Même si de nombreux militants rencontrés ont expliqué avoir été marqués par la lecture adolescente de Bakounine et de Fernand Pelloutier, il serait erroné de réduire la mouvance libertaire de Sud à des militants uniquement marqués par l’anarcho-syndicalisme. En effet, au moins des représentants de trois tendances sont identifiables, d’après nos recherches.

  1. Les syndicalistes communistes-libertaires. Quelques-uns parmi eux, dont Thierry Renard, l’un des fondateurs de Sud-PTT, étaient rédacteurs d’un journal inspiré des idées libertaires, Le Postier Affranchi, qui parut quelques temps entre 1973 et 1977. Ces militants qui se disent, dans les entretiens, « plus syndicalistes que politiques » ont formé Union des travailleurs communistes libertaires (UTCL aujourd’hui Alternative libertaire), suite à une scission de l’organisation politique mère, l’Organisation révolutionnaire anarchiste (ORA). Cette mouvance se voulait une synthèse entre communisme et l’anarchisme et visait avant tout une réinscription de l’anarchisme dans le mouvement syndical Elle fut notamment marquée par la personnalité intellectuelle de Daniel Guérin62.
  2. Les militants issus du gauchisme. Parmi ces militants syndicaux, on retrouve des membres de deux traditions marxistes anti-staliniennes. D’abord, la branche luxemburgiste (ou plus largement « conseilliste ») qui se retrouve dans la prééminence des luttes ouvrières de base. Ses références historiques sont le mouvement spartakiste de K. Liebknecht et R. Luxembourg, mais aussi le mouvement hollandais conseilliste incarné par les écrits d’Anton Pannekoek. Ensuite la branche bordiguiste : il s’agit d’une mouvance caractérisée par la critique de l’URSS et le refus de se présenter aux élections. Ces deux aspects ont été théorisés par l’Italien Amadeo Bordiga (1889-1971), fondateur du Parti communiste international (PCI).
  3. Les militants issus des groupuscules maoïstes. Cette frange est très minoritaire, encore que Annick Coupé, première secrétaire fédérale en est issue. Mais il ne semble pas y avoir eu de réseau maoïste véritablement structuré à l’intérieur du milieu des PTT, alors qu’il y a eu des réseaux trotskistes ou des réseaux communistes-libertaires (comme celui du journal Le Postier affranchi).

42Ces indications ne doivent pas être comprises comme décrivant les syndicalistes de Sud-PTT comme des militants hyper-idéologiques et poursuivant l’intérêt de leur organisation politique à l’intérieur des organisations syndicales dont ils firent et font encore partie. D’abord, la plupart des moments d’appartenance des militants de Sud-PTT à l’extrême gauche reste cantonnée à la période 1972-1980. Après 1980, de nombreux militants arrêtent complètement la politique « révolutionnaire » pour le syndicalisme à la CFDT. Ils ont en partie abandonné leurs convictions, mais surtout l’époque a changé : l’espérance révolutionnaire a vécu. En outre, les entretiens que nous avons eus avec des militants montrent un spectre très large de rapport à l’idéologie. Nombreux sont ceux qui ont « testé » différentes organisations et ne sont plus aujourd’hui proches d’aucune. D’autres ne s’intéressaient pas aux clivages théoriques et militaient avant tout dans leurs réseaux amicaux.

  • 63 Comme Claude Taleb et Francine Bavay, anciens membres du bureau fédéral de Sud-PTT.

43Cependant, il existe aujourd’hui, dans Sud-PTT, un clivage entre les partisans de la prolongation partisane du mouvement social et leurs opposants. Ce clivage trouve une logique dans un clivage d’appartenance qui date des années soixante-dix. C’est celui qui sépare les anciens et actuels militants de la LCR et les militants de la mouvance libertaire lato sensu présentée précédemment. Majoritaires au sein du bureau fédéral, les militants proches de la sensibilité LCR ont poursuivi leur investissement partisan parallèlement à leur engagement syndical, soit à la LCR (c’est le cas, parmi d’autres, de Christophe Aguiton), soit pour d’autres, chez les Verts63. Les militants syndicaux réticents à toute prolongation de la revendication syndicale vers l’univers partisan ont peu à peu nourri une inquiétude, lorsque le label Sud est devenu une valeur politique « porteuse ». Leurs camarades membres de partis politiques n’allaient-ils pas instrumenter leur capital militant acquis en tant que Sud – figure emblématique du « Mouvement Social » né des grèves de 1995 – à des fins électorales ? Il est impossible à établir la pertinence de cette crainte. Les acteurs sociaux – comme les chercheurs en sciences sociales – ont tendance à hypostasier le comportement des acteurs collectifs à des fins de clarification cognitive permettant l’éviction de zones d’incertitudes. En l’occurrence, rien ne permet de dire que tous les proches et les membres de la LCR dans Sud-PTT poursuivaient le même objectif, celui du macro-acteur LCR.

  • 64 La livraison n° 11 de Contretemps (septembre 2004) revue animée par Daniel Bensaïd et Philippe Cor (...)

44Les études sur ce parti politique sont hélas remarquablement rares, quant ils ne reproduisent pas des clichés sur les « sous-marins » et le « noyautage » imputant au parti trotskiste un hyperstratégisme et une parfaite discipline collective. Mais, des entretiens informels effectués avec des membres de Sud-PTT ayant été membres de la LCR incitent à nuancer fortement ces clichés et à ne pas homogénéiser a priori la stratégie de ce parti. Plus précisément, l’expérience des divers syndicats Sud et leurs réussites relatives a eu un effet interne fort qui a ébranlé la culture léniniste du parti, dominante jusqu’au début des années quatre-vingt-dix. D’après de nombreux entretiens que nous avons réalisés, il semble presque certain que les militants de la LCR qui ont lancé le syndicat Sud-PTT en 1988, notamment Christophe Aguiton, l’aient décidé malgré le désaccord de la direction du parti, et notamment d’Alain Krivine. Par rétroaction, le pari s’étant avéré gagnant, les syndicalistes Sud ont été vus comme l’incarnation d’une tendance « libertaire » dans leur parti (eux qui sont parfois vus comme « léninistes » dans Sud !). Ils ont eu une influence certaine sur l’évolution de ce parti, notamment dans la relativisation des schèmes traditionnels de la Quatrième Internationale et la progressive prise en compte de thématiques – libertaires, féministes, environnementalistes, anti-productivistes – massivement présentes dans les syndicats Sud depuis leur création64.

45En 1998, le PCF prépare les listes européennes, en jouant de la connotation du mouvement social, en intégrant à ses listes des « personnalités issues du mouvement social ». C’est alors qu’un appel est publié par le quotidien Libération qui va objectiver un clivage qui passe à l’intérieur même de Sud-PTT.

  • 65 Libération, 14 octobre 1999.
  • 66 L’intégralité de l’appel est consultable dans les archives du site de samizdat. net. Pour complexi (...)

Appel pour l’autonomie du mouvement social65
Au sortir de la décennie 80, qui aura vu triompher une révolution conservatrice, une dynamique de mouvements qui relèvent globalement du cadre associatif et syndical – mais avec une présence militante de citoyen (ne)s qui ne s’identifient à aucune organisation – se crée à partir de la volonté d’agir pour l’égalité d’accès aux droits et de lutter contre les exclusions et le chômage. Nous sommes parmi beaucoup d’autres des acteurs et actrices de ce mouvement social militant(e) s d’associations et de réseaux de lutte contre le chômage, la précarité, les exclusions. […] Ces luttes convergentes traversent le champ politique sur des thèmes essentiels : la dégradation structurelle de l’accès à l’emploi et la précarisation des conditions de travail dans une économie de marché en constante dérégulation ; l’abandon progressif de l’idée même de service public […] Cette régression sociale est au cœur de la crise de la représentation politique institutionnelle. Ce qui nous motive et qui nous réunit dans la diversité de nos interventions, c’est le désir de participer à un projet de transformation sociale sans lequel il n’y aura pas d’alternative possible au libéralisme, c’est la volonté d’agir, au quotidien pour inscrire cette alternative dans la réalité, au prix d’immenses difficultés que nous ne saurions ignorer. Ce qui permet de rendre crédible ce débat totalement ouvert sur un projet de transformation sociale est la non-instrumentalisation des mouvements qui le portent, seule condition pour qu’il devienne à terme un réel débat public. Or, il semble que les prochaines échéances électorales, notamment les élections européennes de juin 1999, inciteraient certains à se poser la question de l’utilisation politique de ces mouvements et à envisager des listes intégrant des militant(e) s associatifs, des syndicalistes, des intellectuel (le)s… Certains proposent cette perspective en étant persuadés de suivre la seule voie possible à l’élaboration de cette alternative, d’autres n’imaginent pas d’autre issue que le soutien critique à la gauche plurielle, voire à un centre gauche.
Dans tous les cas nous faisons pourtant le constat d’une même conception d’un rapport hiérarchisé et instrumentalisé du mouvement social vis-à-vis du mode de représentation politique institutionnel. Cette voie risque fort de mener rapidement à une impasse. Nous ferons donc le pari de l’autonomie des mouvements de lutte contre toute forme de domination et de relégation sociale, non pas comme un dogme, mais comme une dynamique encore à construire pour explorer d’autres pistes d’accès à une société solidaire et égalitaire66.

  • 67 Proche du mouvement communiste libertaire Alternative libertaire.
  • 68 D’après plusieurs informations recoupées, P. Bourdieu aurait lui-même contribué à la rédaction du (...)

46Il s’agit d’un texte que l’on peut concevoir comme une piqûre de rappel libertaire à la dérive de reconnexion des mouvements de contestation sociale et syndicale par des institutions participant à la démocratie représentative. La crainte est exprimée en toutes lettres : c’est la hiérarchisation et l’instrumentation (sur un mode guesdo-léniniste) des mouvements de lutte autonome par des porte-parole institutionnels dont la logique sociale est le parasitage, ou comme le dit le texte en question « l’instrumentalisation ». Les membres des syndicats Sud sont majoritaires parmi les signataires. Sud-PTT arrive en tête mais on dénombre beaucoup de membre de Sud-Rail, Sud-Douanes et Sud-Culture. On peut noter une dizaine de membres de la CNT. Parmi les personnalités signataires, on peut identifier les sociologues A. Bihr67 et P. Bourdieu68, Mgr J. Gaillot, la militante du DAL et de Droits-devants Annie Pourre qui se déclare ouvertement « libertaire ». Parmi les militants de Sud signataires, on peut identifier une forte proportion de militants issus de syndicats investis dans la contestation interne à la fédération (Côtes d’Armor, Auvergne, Doubs, Val de Marne). Beaucoup peuvent être assimilés à des militants de sensibilité libertaire ou communiste-libertaire, mais pas tous. Certains ont été membres d’Alternative libertaire (AL), d’autres de la Fédération anarchiste (FA). D’autres n’en ont été que « proches par les idées » (dixit l’un d’entre eux). Tous se déclarent opposés à la récupération par les partis politiques, implicitement : le PCF, Les Verts et la LCR.

47Il y eut une réponse publique à l’Appel pour l’autonomie du mouvement social. Dans Mouvements, une revue intellectuelle, un dossier est consacré à la question des nouveaux mouvements militants. Le premier article est le fruit d’une collaboration entre un syndicaliste de Sud-PTT, Christophe Aguiton, et un universitaire en science politique, Philippe Corcuff, tous deux sont publiquement membres de la LCR. Il est intitulé « Mouvements sociaux et politique ». En voici un extrait significatif.

  • 69 Aguiton (C.) & Corcuff (P.), « Mouvements sociaux et politique : entre anciens modèles et enjeux n (...)
  • 70 Ibid.

« Le retour de l’anarcho-syndicalisme : de la juste autonomie à la pureté illusoire69 »
« Il est bon dans la perspective d’un projet démocratique en mouvement, que les professionnels de la politique n’aient pas le monopole de la légitimité de l’intervention sur le terrain politique. […] Toutefois, dans le modèle anarcho-syndicaliste, l’autonomie risque de se retourner en son contraire : l’unification par le syndical. Le syndicalo-centré risque de se substituer au politico-centré. […] On tend à faire comme si les mouvements sociaux généraient nécessairement et seuls, par leur logique propre, leurs réponses politiques. Et l’on arrive à la situation paradoxale où l’autonomie des mouvements sociaux conduit à abandonner la place, sur le plan électoral, aux formations traditionnelles […]. De l’autonomie légitime au retrait de l’action politique officielle il n’y a qu’un pas. L’inspiration libertaire peut tomber dans ce que Marx appelait “l’indifférentisme politique”. Ainsi ceux que Marx nommait les “apôtres de l’abstentionnisme politique” auraient méconnu le fait que les “moyens de combat doivent être pris dans la société actuelle” […]70. »

  • 71 Voir Beaud (S.) & Pialoux (M.), Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1998 (troisième p (...)

48Cette réponse constitue une critique de fond du modèle anarcho-syndicaliste à l’œuvre dans l’Appel pour l’autonomie du mouvement social. Cet appel serait un renoncement au politique (ici synonyme de partisan) et une absolutisation de la « pureté illusoire » de l’action syndicale non entachée de risque politique. Selon eux, le risque est de mener tout droit à l’abstentionnisme électoral. Cette remarque révèle un point très important. Ce qui fait clivage entre les libertaires et les mouvementistes est le positionnement droite/gauche des militants syndicaux. Les libertaires attachés à l’autonomie du mouvement social semblent renoncer à se reconnaître dans les partis de gauche et à viser, à terme, l’exercice du pouvoir. Selon leur logique, les résultats des gouvernements de droite et de gauche sont comparables sur le plan de leur champ syndical. Selon une phrase souvent entendue dans l’enquête de terrain : « C’est Jospin et les socialistes qui ont réussi à faire ce que Balladur puis Juppé n’avaient pas réussi : la privatisation de France Télécom en 1997 ». Dans ces milieux professionnels très durement éprouvés par la déréglementation du service public et des organisations de travail, ce fait est loin d’être anodin. A contrario, le texte mouvementiste met l’accent sur la nécessité de ne pas participer au désenchantement du politique, qui s’aveugle, selon eux, sur l’utilité du champ de la représentation politique dans l’expression du mécontentement voire de la détresse sociale. Implicitement, cette argumentation fonde une partie de la légitimité de cette approche en ce qu’elle offre un débouché électoral (dans les listes LCR principalement) plus constructif, plus porteur d’espérances positives, que le vote pour le Front national, dont on sait qu’il se nourrit en grande partie de la désespérance économique et sociale des catégories populaires71.

La division entre travail politique et travail syndical en débats

49Le débat sur les formes sociales et institutionnelles de « l’anti-néo-libéralisme » ne se fait pas entendre uniquement dans les revues intellectuelles et militantes ou par le biais de pétitions publiées par les quotidiens nationaux. Au sein même des débats syndicaux Sud-PTT, le débat suscite de nombreuses discussions, depuis 1996, sur le retour du « mouvement social ». Ainsi, lors des séances du bureau fédéral – l’organe collégial exécutif de la fédération – on a pu noter de nombreuses interventions critiques. Elles s’appuyaient sur différents registres.

50La critique de la construction institutionnelle du Mouvement Social comme neutralisation. Le débat interne à Sud-PTT dépasse l’opposition stratégique entre les tenants de la logique de l’étanchéité entre syndicats et partis, et ceux qui militent pour la circulation et la collaboration des engagements. À ce clivage, s’en superpose un autre, qui ne le recoupe que très partiellement : il s’agit de la place des appareils dans le militantisme syndical. Pour beaucoup de militants, certes minoritaires à Sud-PTT, l’investissement dans la constitution de structures représentatives et fédératives constitue une faute stratégique et politique, en ce que l’essentiel des énergies militantes risque d’être happé par des réunions visant à rapprocher les organisations préexistantes. En outre, les logiques de déperdition d’énergie sont augmentées par les conflits internes inéluctables entre militantismes de traditions différentes. Au final, c’est l’intensité des « luttes sur le terrain » (terme indigène essentiel) qui en pâtit. Dans cette optique, les militants syndicaux qui, prioritairement, orientent leur activité dans l’institutionnalisation du G10-Solidaires ou d’ATTAC, reproduisent « l’erreur des confédérations » : la spécialisation des tâches politiques (ici organisationnelles) dévolues à quelques militants brillants, laissant les militants moins chevronnés confrontés à la dureté des conflits professionnels à La Poste ou à France Télécom (la négociation des retraites, les privatisations progressives, la dégradation des conditions de travail).

  • 72 Cette interrogation émise par un membre du Bureau fédéral date d’août 1998. Elle a suscité la cris (...)
  • 73 Pour le Forum social mondial organisé par le Parti des travailleurs du Rio Grande do Sul, au Brési (...)
  • 74 Pour un sommet de l’OMC, automne 2001.
  • 75 Pour le sommet du G8, juillet 2001.
  • 76 « Le mouvement des chômeurs en France », Les Temps Modernes, n° 600, été 1998.
  • 77 « Une perspective mondiale », entretien avec C. Aguiton, Politis, 17 février 2003, n° 740.
  • 78 Édition du 15 juillet 2001.

51La critique de la personnalisation de mouvement social. La question de la légitimité à prendre la parole au nom de Sud dans d’autres lieux est ainsi devenue ces dernières années un enjeu capital. La secrétaire générale doit-elle demander la permission au bureau fédéral avant d’aller discuter du mouvement social à l’université d’été d’un parti politique appartenant à la coalition au gouvernement (les Verts)72 ? Christophe Aguiton, l’un des fondateurs de Sud-PTT, peut-il parler à Porto Alegre73, Doha74, ou Gênes75 sans que le Bureau Fédéral l’y ait autorisé et lui ait donné un mandat clair ? Comment déterminer le statut de ses nombreuses prises de position et interviews dans la presse ? Comment éviter le brouillage sémantique généré par sa multipositionnalité (responsable d’AC !, de la LCR, des Marches Européennes contre le chômage et l’exclusion, de Sud-PTT, du conseil d’administration de France-Télécom, des relations internationales à ATTAC) ? Les difficultés organisationnelles générées par la personnalité de C. Aguiton sont probablement proportionnelles avec le bénéfice que Sud-PTT en a retiré et en retire encore. Ainsi le fait qu’il soit un « excellent client » pour les journalistes, grâce à des capacités analytiques et oratoires rares chez un syndicaliste, conduit à la surreprésentation médiatique de Sud. En retour, ses contributions écrites à des publications (Les Temps Modernes76, Politis77, Le Figaro78) génèrent parfois chez d’autres militants l’impression d’une recherche personnelle de vedettariat.

52L’opposition à la politisation comme spécialité d’experts. Même si cet aspect est lié au précédent, il constitue un motif de débats officiels et officieux intenses dans l’organisation. Nous ne traiterons que d’un épisode officiel qui eut lieu publiquement lors du congrès fédéral de 2002, à Batz-Sur-Mer. La lecture des textes du congrès de la fédération de Sud-PTT pourrait pourtant laisser penser que ce débat n’aurait pas de raison d’être. La mémoire du contre-exemple cédétiste y est trop présente. Ainsi, le projet syndical de la fédération se présente d’emblée comme un syndicalisme visant la dissémination de contre-pouvoirs pour contrecarrer les « avancées du capitalisme néolibéral » :

  • 79 Voir la section 2 (« Un syndicalisme de transformation sociale ») de la résolution sur l’investiss (...)

« Notre projet syndical se situe en rupture avec le capitalisme. […] Notre projet est de lier les revendications immédiates des salariés et le projet de transformation sociale. Le syndicalisme que nous prônons a pour objectif de construire des contre-pouvoirs dans l’entreprise et la société. Ce projet suppose notre indépendance par rapport aux partis politiques et aux gouvernements79. »

53Le premier jour du congrès fédéral de Batz-Sur-Mer, il y eut cependant un vigoureux débat sur la résolution interprofessionnelle de la fédération, d’où sont extraites ces dernières lignes. À la satisfaction exprimée par le texte fédéral, se félicitant du développement des mouvements altermondialistes et de la forte implication de Sud-PTT en leur sein, un amendement déposé par deux militants de la Seine-et-Marne apportait un bémol. L’amendement était rédigé comme suit :

  • 80 Amendement n° 7 à la « Résolution sur notre investissement interprofessionnel ». Amendement déposé (...)

« Néanmoins, ces mouvements anti-mondialisation n’ont pas encore été en capacité de délégitimer et d’ébranler le capitalisme réel. Le renforcement d’une telle démarche implique que ces mouvements élargissent leur champ d’action au-delà du niveau symbolique, des débats, des forums et des rendez-vous internationaux. Il importe qu’ils soient plus en lien avec les lieux où se jouent encore le quotidien et les rapports de force basiques du capitalisme : notamment les entreprises. Sans construction au quotidien de dynamiques sociales et d’enracinement local, il y a risque pour ce mouvement de rester enfermé dans une simple logique de protestation et/ou d’être politiquement récupéré80. »

54J.-L. Marziani est l’animateur de la commission fédérale « centres de tri ». Au cours d’un entretien réalisé à la fin du congrès, il accepta d’expliquer les ressorts fondamentaux de ce dépôt d’amendements.

  • 81 Guichetière au bureau de poste de Vincennes (Val-de-Marne).
  • 82 Entretien avec J.-L. Marziani, délégué du syndicat Sud-Poste Val-de-Marne, 30/05/2002.

« On a déposé toute une série d’amendements à la résolution interpro avec Madeleine (Stéfani81), en nos deux noms, pas au nom du syndicat. Il y en a eu qu’un qui a été finalement présenté en congrès, les autres ont été intégrés au texte sans vote. On aurait bien aimé qu’il y ait un vrai débat. Madeleine a fait la présentation de l’amendement. Il y a pas eu de “contre”. […] On est un peu en colère. On aurait bien aimé que la position “contre” soit défendue pour que le débat soit lancé, là c’est pas vraiment lancé, tout le monde est d’accord, mais sans avoir beaucoup discuté82. »

55En effet, mardi en fin de matinée, l’amendement des deux membres du Bureau fédéral est adopté par vote à main levée. Madeleine Stéfani a regretté que le Bureau fédéral ne s’en soit pas chargé jusqu’à maintenant, et espère que le prochain stage du BF sera l’occasion de discuter à fond de ces questions. « Sud PTT ne peut plus se satisfaire d’un réformisme radical » a-t-elle notamment souligné. Elle invite en outre à une affirmation de la volonté de rupture avec le capitalisme. Et ajoute :

« Il faut donner un sens à l’expression anti-capitalisme. Les mouvements anti-mondialisation n’ont pas vraiment d’idées sur toutes ces questions, on ne peut pas, et on ne doit pas se reposer sur eux. Toute cette question doit être travaillée à tous les niveaux de la fédération. L’anti-mondialisation est critiquable, si on en reste à ce niveau balbutiant. Seuls des échanges concrets sur la base des luttes quotidiennes de terrain peuvent donner les moyens de lutter et de construire un contre-modèle au capitalisme. »

56Personne du bureau fédéral n’est monté à la tribune pour s’opposer à l’amendement Marziani-Stéfani. Mais la grande majorité du BF a voté contre l’amendement. Au sein du Secrétariat Fédéral – la structure exécutive permanente – la situation était encore plus claire. Pas un n’a voté en faveur de l’amendement, une minorité s’est abstenue et la majorité a voté contre.

57Lors de l’entretien, J.-L. Marziani explicita le sens de sa préoccupation.

« Notre idée, c’est qu’il faut réfléchir syndicalement sur notre action avec tous les mouvements sociaux, les mouvements anti-mondialisation, tout ça. C’est pas que c’est pas bien tout ça. Mais le risque, pour nous, c’est que le syndicat soit seulement solidaire avec tout ça, et qu’il ne soit pas un lieu pour l’élaboration d’une alternative au capitalisme actuel. C’est ça le danger. Dans notre syndicat, c’est ce qu’on voit. Les salariés sont en attente de formulation de réponse idéologique à la politique qui se passe dans nos Boîtes. Il faut travailler au niveau de l’élaboration idéologique. Sinon, les gens, ils trouveront ça seulement dans des trucs comme Attac, et nous on sera à la traîne de ces organisations-là. Et que, au niveau du syndicalisme, eh bien, on soit un peu “sec” là-dessus, tu vois, et c’est grave. Parce que ce qu’on pense avec Madeleine, c’est que ces réflexions politiques plus globales, ce sont des outils de mobilisation quotidienne pour nous tous dans nos Boîtes. On a besoin de ça, les gens sont en attente des syndicats et nous, faut pas dire, “on sait pas trop, mais on soutient Attac et DAL ou AC, mais on sait pas trop comment on articule tous ces soutiens avec notre boulot syndical”. C’est la situation actuelle. Nous on bricole des trucs dans notre syndicat. Mais il y a pas de mise en commun des éléments de mobilisation du personnel sur des bases politiques plus larges. C’est le travail des syndicats et de la fédération. Sinon on risque d’aller vers un syndicalisme corporatisme qui lutte au cas par cas sur des événements ponctuels qui se passent dans la Boîte. Avec un côté seulement réactif. Alors qu’il faut un mouvement plus global pour mobiliser le personnel et proposer de vraies alternatives au capitalisme.
– Q : Crains-tu, comme certains, que les questions interpro soient un peu laissées à des membres du SF, un peu comme une “chasse gardée”, et qu'ils ne rendent pas de comptes aux syndicats ?
– C’est vrai, il y a un peu ça dans les actions comme Porto Alegre, etc. Mais c’est pas le plus important à notre avis. Cela, c’est un problème du BF. Avant tout, ce qu’on voit, nous, c’est que l’alternative idéologique, eh bien c’est un élément essentiel de mobilisation dans les services. On peut perdre la motivation des militants et des adhérents et du personnel si on reste dans une réaction au cas par cas. Le projet idéologique des boîtes, il est clair. Mais il se limite pas à nos boîtes, il est plus large, on le retrouve partout dans la société. Donc nous on doit démonter ça avec nos contre-projets à nous. C’est pas tant le risque d’avoir nos intellectuels dans notre fédé qui vont là-dedans on sait pas trop pourquoi. C’est dommage, mais c’est pas trop grave. Ce qui est grave, c’est que les éléments idéologiques, les choix politiques ne sont pas au cœur de notre fédération, c’est ça qui pose problème. »

  • 83 Voir l’ouvrage d’un militant de Sud-PTT et de la mouvance altermondialiste : Aguiton (C.), Le mond (...)

58L’émergence de deux optiques apparraissent nettement parmi les pratiques militantes du syndicat. La première est celle d’un investissement dans les actions du mouvement social, que l’on peut considérer comme étant la participation à la construction symbolique d’un macro-acteur opposé aux politiques néolibérales. Cette stratégie peut être analysée selon deux perspectives, pas nécessairement contradictoires. D’un premier abord, il peut être analysé comme une stratégie de repli. Puisque les syndicats sont en recul permanent dans leurs entreprises, les syndicalistes préfèrent s’investir dans un engagement plus valorisant et moins désespérant : la participation à une mouvance des opposants et/ou des victimes du néolibéralisme. C’est l’optique mouvementiste et altermondialiste qui désigne, comme moments de militantisme essentiels, les contre-sommets internationaux83. L’enjeu est la constitution d’acteurs collectifs nationaux et internationaux de plus en plus tangible dans l’espace symbolique contemporain, notamment dans les médias. En faisant exister le « mouvement social » et « l’altermondialisation », les syndicalistes construisent des lieux inter-organisationnels et interprofessionnels dans lesquels les critiques de l’idéologie néolibérale peuvent être approfondies et diffusées. D’un autre abord, cette stratégie peut être conçue comme un calcul judicieux à terme. Il s’agit de prévenir les politiques de démembrement des services publics avant qu’elles ne s’abattent sur les secteurs menacés. Ainsi l’AMI (Accord multilatéral sur les investissements) a été repoussé par la médiatisation des propositions les plus outrancières de ce projet d’accord de l’OMC. En 2004, cet accord est à nouveau débattu sous le nom de l’AGCS (Accord général sur les commerces et les services). L’association ATTAC promeut des dispositifs anti-AGCS en mobilisant les instances électives sur cet enjeu.

  • 84 Pour un point de vue d’intellectuel engagé dans ce débat, voir l’article de Poupeau (F.), « Reveni (...)

59La deuxième optique est la défense du service public, en l’occurrence celui des PTT, et les droits et conditions des salariés. Cette optique se caractérise par la valorisation de localisation de l’investissement politique du syndicaliste. Elle vise à éviter les restructurations, les suppressions d’emplois, à scandaliser les opinions publiques et les élus sur ces trois thèmes : 1°) la baisse de la qualité de service public et la hausse des prix pour les consommateurs-usagers, 2°) l’enrichissement contestable par des actionnaires privés de moyens de production et de savoir-faire publics et, enfin, 3°) le développement de politiques managériales destructrices de la santé psychique des personnels, tant des cadres que des techniciens (individualisation, pression commerciale, demande de disponibilité 7j/7). C’est une approche qui peut être analysée comme uniquement défensive. Force est de constater que cette optique, quoique active, rencontre pour l’heure des obstacles tellement importants, que seuls les militants, dont l’ethos ouvriériste est solidement chevillé au corps, parviennent, à poursuivre leur travail de contestation localisée des « avancées du néolibéralisme ». De nombreux militants syndicaux de Sud-PTT (et sans doute d’ailleurs) ont renoncé à ce qui ressemble à un travail de Sisyphe. Sans doute préfèrent-ils s’investir, le soir et le week-end, dans des réunions pour imaginer « un autre monde possible »84. Ou plutôt n’ont-ils plus que ce choix-là, étant donnée la dégradation des conditions empiriques de la pratique syndicale dans les ex-PTT, et le degré de socialisation incorporée nécessaire pour militer à contre-courant. C’est évidemment pour ces raisons que les militants syndicaux sont quasiment tous des anciens militants politiques révolutionnaires.

60L’étude des débats internes à la fédération Sud-PTT constitue un observatoire d’analyse intéressant pour saisir les effets de la crise de la politique partisane en dehors de son lieu d’exercice traditionnel. En effet, ces débats sont des conséquences d’une crise de croyance en la valeur et le pouvoir effectif de la démocratie représentative fondée sur la médiation partisane. La critique de la politique traditionnelle est certes au cœur des discours structurant de Sud-PTT. Mais la singularité des débats et des tensions animant cette organisation syndicale émergente réside dans l’élaboration implicite d’une nouvelle politique et un nouvel usage du terme de « politique ». L’enjeu principal est de ne plus laisser la traduction partisane en situation de monopole d’énonciation de la parole politique, pour se (ré) approprier une marge de manœuvre et une parole socialement légitime en vue de peser sur les choix collectifs. Ce mouvement est loin d’être homogène, on l’a vu. Il existe un large spectre entre ceux qui aspirent à l’intercession entre syndicat et politique, et ceux qui veulent rompre toute forme de lien, même ténu.

61Il faut noter que les deux perspectives dégagées divergent fortement sur l’issue de la re-politisation du syndicalisme. La seconde vision implique de fusionner des domaines d’actions militantes qui ont été traditionnellement fortement distingués à Sud-PTT et dont le partage en a longtemps constitué l’essence : le domaine du professionnel (catégoriel donc non-politique) et le domaine de l’interprofessionnel, explicité précédemment, qui, lui, incarne une nouvelle forme de politisation syndicale. La première perspective est la systématisation de la séparation entre le domaine professionnel et le domaine interprofessionnel (devenu peu à peu le domaine « altermondialiste »). La deuxième vision – que l’on peut qualifier de libertaire – part du principe de la politisation originelle des enjeux les plus concrètement professionnels. Il n’y a, selon cette vision, qu’un seul domaine d’investissement militant dont peut dériver une parole syndicale légitime : le syndicalisme de terrain. Le développement de « l’interprofessionnel » risque de n’être, au mieux, qu’un refuge provisoire pour militants syndicaux découragés par une impuissance collective concrète du monde salarié face à ses défaites. Au pire, il constitue une offre de rentes de situation pour des professionnels de la représentation, voire le lieu de leur éventuelle instrumentation par les partis politiques en vue des élections à venir.

62L’avenir de la coexistence de ces deux formes, peut-être antagoniques, de repolitisation du syndicalisme constitue un enjeu d’étude très intéressant, au-delà même du cas de Sud-PTT. Néanmoins on peut poser la question suivante. Leur coexistence n’aurait-t-elle pas une vertu fonctionnelle pour ces milieux militants ? L’une des visions donnant un horizon et entretenant une foi et des objectivations et institutions manifestes des forces collectives des salariés, l’autre incitant à l’action collective hic et nunc comme première condition pratique du changement.

63Le cas que nous avons étudié met en avant qu’un désenchantement et une forte dévalorisation historique d’une forme dominante politique – la démocratie représentative à base partisane – conduisent à des stratégies de dé-connotation de ce label démonétisé par des organisations d’un champ d’activité voisin (le syndicalisme) longtemps connexe et devenu majoritairement hétéronome par rapport au champ politique. Ce travail socialement imposé sur les catégories de sens et les définitions croisées des ordres de pratiques (Qu’est-ce que le politique ? Qu’est-ce que le syndical ?) peut aboutir paradoxalement, comme à Sud-PTT, à assumer le terme « politique ». Mais cette assomption est le résultat d’une réémergence – ou d’une réélaboration ? – de catégories issues d’une distinction sémantique plus ancienne. En l’occurrence, il s’agit des schèmes qui préexistaient à l’imbrication du politique et du syndical par le marxisme-léninisme, et que la disparition de ce dernier laisse resurgir. Il est ainsi possible d’identifier la reprise et la réactivation de schèmes issus de la tradition anarcho-syndicale.

  • 85 Au sens que Castoriadis (C.) donne à ce terme (L’institution imaginaire de la société, Paris, Seui (...)

64Cette revivification de l’usage du terme « politique » semble n’avoir pu avoir lieu qu’en instillant le ferment de la politique (au sens 1) dans l’attribution collective de signification aux pratiques ordinaires. Les transformations de la politisation pourraient peut-être alors s’analyser au travers des inventions de formes inédites, indissociablement pratiques et imaginaires85, qui seraient susceptibles de contrebalancer ou de différer le désenchantement produit par la réification inscrite dans la logique de l’institutionnalisation des rôles – et donc du déclin tendanciel de la croyance politique.

Notes

1 Pour un coup de projecteur approfondi sur la loi de 1884, notamment sous le prisme de l’opposition entre l’ordre du syndical par rapport à l’ordre politique, cf. l’étude de Barbet (D.) : « Retour sur la loi de 1884. La production des frontières du syndical et du politique », Genèses, n° 3, 1991. Pour une histoire des débats politiques ayant abouti à l’avènement de la notion de syndicat de travailleurs : Soubiran-Paillet (F.), L’invention du syndicat (1871-1884). Itinéraire d’une catégorie juridique, Paris, LGDJ, 1999.

2 Ce vote a donc eu lieu peu de temps après l’installation définitive de la III e République suite à la « constitution Grévy » de 1879. La naissance du syndicat est, par conséquent, contemporaine de l’invention empirique des organisations partisanes françaises (le premier congrès du parti ouvrier français eut lieu en 1880) et la naissance formelle des associations (la fameuse loi de 1901).

3 « Dans l’œuvre revendicative quotidienne, le syndicat poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. Mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme » (« charte d’Amiens », congrès de la CGT 1906, nous soulignons).

4 Comme la version hard de Becker (G. S.), prix Nobel d’économie en 1992, dans The Economic Approach of Human Behavior, Harvard University Press, 1976, celle plus soft, de Olson (M.), dans Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1986 ou de Elster (J.), Nuts and Bolts for Social Science, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

5 Comme contre-modèles aux hypothèses utilitaristes de la formation des groupes sociaux : Thompson (E. P.), La formation de la classe ouvrière anglaise, Paris, Gallimard-Seuil, 1992 et Boltanski (L.), Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Minuit 1982.

6 Pour une synthèse concernant les enjeux de la prééminence de politisation ouvrière par les thématiques et réseaux militants communistes, voir : Pudal (B.), « Politisations ouvrières et communisme », in Dreyfus (M.) & alii (dir.), Le siècle des communistes, Paris, Éditions de l’Atelier, 2000, p. 513-526.

7 « La CGT groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat. […]. Le Congrès affirme l’entière liberté pour le syndiqué de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu’il professe au dehors […] Afin que le syndicalisme atteigne son maximum d’effet, l’action économique doit s’exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n’ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre, en toute liberté, la transformation sociale ». Nous soulignons.

8 Voir Pelloutier (F.), Histoire des bourses du travail. Origine, institutions, avenirs, préface de G. Sorel, Paris, Alfred Costes, 1921.

9 Sewel (W.), Gens de métier et révolution. Le Langage du travail de l’ancien régime à 1848, Paris, Aubier, 1983.

10 Ainsi que le montrent les études d’Alain Cottereau : « Justice et injustice ordinaires sur les lieux de travail d’après les audiences prud’homales (1806-1866) », Le Mouvement Social, avril-juin 1987 et « Droit et bon droit : un droit des ouvriers instauré puis évincé par le droit du travail (France, XIXe siècle) », Annales, vol. 57, n° 6, 2002.

11 Ranciere (J.), Aux bords du politique, Paris, La Fabrique, 1996.

12 Notamment le double ouvrage de Branciard (M.) : Syndicats et partis : autonomie ou dépendance (tome 1 : 1879-1947, tome 2 : 1948-1981), Paris, Syros, 1984. Mais aussi Capdevielle (J.) & Mouriaux (R.), Les syndicats ouvriers en France, Paris, Armand Colin, 1982.

13 Tixier (P.-E.), Crise ou mutation du syndicalisme ?, Paris, PUF, 1993 ; Mouriaux (R.), Crises du syndicalisme français, Montchrestien, 1996 ; Labbé (M.) & Croisat (M.), La fin des syndicats ?, Paris, L’Harmattan, 1994 ; Courtois (S.) & Labbé (D.) (dir.), Regards sur la crise du syndicalisme, Paris, L’Harmattan, 2002.

14 Sur les contradictions intrinsèques à la démocratie sociale française, voir Nezosi (G.), « La crise du paritarisme », Problèmes politiques et sociaux, n° 844, 2000. Voir aussi Adam (G.), Relations professionnelles, année zéro, Paris, Bayard, 2000.

15 Pour une analyse économique du nouveau capitalisme tenant compte de la place des croyances, voir Plihon (D.), Le nouveau capitalisme, Paris, La Découverte, 2002. Sur les transformations des entreprises suite au développement de la finance (« corporate governance » ou gouvernement par les conseils d’administration), voir Coutrot (T.), Critique de l’organisation du travail, Paris, La Découverte, 2000.

16 Voir notamment les études sociologiques proposées par deux livraisons d’Actes de la recherche en sciences sociales intitulées « Les nouvelles formes de domination au travail » (n° 114 et n° 115, 1996).

17 Il existe des rayonnages entiers de bibliothèque sur l’essence du politique, de Platon à Foucault. Notre optique n’est pas d’en choisir une vision parmi d’autres, mais de repérer l’usage de termes indifférenciés dans des visées sémantiques différentes, et d’en proposer un distinguo minimal à des fins heuristiques.

18 Pudal (B.) & Pennetier (C.), « Évolution des méthodes d’analyse du militant ouvrier, archétype du militant », in Gotovitch (J.), Morelli (A.) (coord.), Militantisme, militants, Bruxelles, EVO, 2000, p. 13-26.

19 Durkheim (E.), Les règles de la méthode sociologique, Paris, PUF, 1990 (1895), p. 7.

20 De nombreux travaux de science politique se sont attachés à identifier les modalités du rejet des professionnels de la politique dans les sociétés occidentales. Parmi les entreprises les plus originales, citons une étude de Paul Bacot qui, sur la base d’entretiens avec citoyens ordinaires dans des lieux ordinaires, tente un travail d’« ethnopolitologie » consistant à repérer les figures discursives récurrentes du rejet ordinaire des politiciens : Bacot (P.), « En haut et du mauvais côté. Les professionnels de la politique au miroir des citoyens », in Offerlé (M.) (dir.), La profession politique. XIXe-XXe siècles, Paris, Belin, 1999. Voir aussi l’analyse de Gaxie (D.), « Les critiques profanes de la politique. Enchantements, désenchantements, réenchantements », in Briquet (J.-L.) & Garraud (P.), Juger la politique. Entreprises et entrepreneurs critiques de la politique, Rennes, PUR, 2001.

21 La transformation des propriétés sociales des professionnels de la politique depuis l’avènement de la Ve République est aujourd’hui bien connue. Sur le développement de la figure du technocrate en France, voir l’ouvrage collectif dirigé par Dubois (V.) & Dulong (D.), La question technocratique. De l’invention d’une figure aux transformations de l’action publique, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1999. Sur le développement des experts à l’intérieur même des partis politiques, voir, sur le cas du PS : Bachelot (C.), « Les experts du Parti socialiste. Réseaux et modalité de recours à l’expertise », Actes du colloque de l’AFSP : Les tendances récentes de l’étude des partis politiques, Paris, IEP, 31 janvier-1er février 2002.

22 Sur toutes les questions, voir l’ouvrage déjà ancien de René Mouriaux qui présente de façon fort utile les différentes conceptions du rapport au politique et au parti politique tel qu’elles furent théorisées et pratiquées par les grandes traditions syndicales françaises : Syndicalisme et politique, Paris, Les Éditions ouvrières, 1985.

23 Voir entre autres : Mischi (J.), « Travail partisan et politisation populaire. Observations localisées de la politisation communiste », Politix, n° 63, 2003.

24 Voir Dreyfus (M.), Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995 ; Labbé (D.), La CGT, organisation et audience depuis 1945, Paris, La Découverte, 1995.

25 Organisation communiste internationale, couramment désigné sous le vocable « lambertiste », en référence à « Lambert », pseudonyme de son principal dirigeant : Pierre Boussel.

26 Tixier (P.-E.), Crise ou mutation du syndicalisme ?, Paris, PUF, 1993 ; Mouriaux (R.), Crises du syndicalisme français, Paris, Montchrestien, 1996 ; Labbé (M.) & Croisat (M.), La fin des syndicats ?, Paris, L’Harmattan, 1994.

27 Le « corporatisme » – qui est cependant souvent articulé avec l’excès de politisation – constitue l’autre grande stigmatisation du syndicalisme français. Pour en rendre compte le plus rapidement, il n’est besoin que de mentionner les succès de pamphlets anti-syndicaux comme ceux de Closets (F.) (Tous ensemble, pour en finir avec la syndicratie, Paris, Seuil, 1987) hier, ou de Zimmern (B.) (La dictature des syndicats, Paris, Albin Michel, 2003) aujourd’hui, qui constituent des indicateurs de la force de la vague anti-syndicale parmi certains pans de la population française. Pour donner une idée de ce type de critique, on peut citer ce petit texte : « Qui dirige Bercy ? Matignon ? Le ministre ? Non : le SNUI, le syndicat maison. Et l’Éducation nationale ? Le SNES et la FSU. Et la liste est longue. Car ils font la loi. […] Nulle part ailleurs un gouvernement démocratiquement élu n’est forcé de s’incliner devant leur diktat. […] Quels intérêts préservent ces lobbies qui, derrière la conservation des “avantages acquis”, bloquent la France ? D’où vient leur argent ? Que peuvent faire les citoyens et les entreprises victimes de cette dictature pour s’en défendre ? Autant de questions auxquelles ce livre apporte des réponses précises et claires dans cet essai sur les nouveaux maîtres de la France. » Extrait de la quatrième de couverture de l’ouvrage de Zimmern (B.).

28 Rassemblement non confédéral de syndicats unitaires professionnels non affiliés depuis la scission de 1947 (comme le syndicat national de la Banque de France ou le syndicat national unifié des impôts) qu’ont rejoint, depuis janvier 1998, tous les syndicats Sud qui se sont créés, notamment suite au départ de la CFDT après le mouvement social de l’automne 1995. Aujourd’hui le G10 Solidaires compte une majorité de syndicats Sud. Ses dirigeants – dont Annick Coupé fondatrice de Sud est aujourd’hui la porte-parole du G10 – se refusent à adopter le modèle confédéral suspecté de favoriser les tendances bureaucratiques et centralisatrices.

29 Voir notamment l’article de S. Syfuss-Arnaud, « Dans la galaxie Sud », L’Expansion, 10 mai 2001. Le chapeau de présentation de l’enquête est le suivant : « Discours radical, méthodes musclées. Qui sont ces nouveaux militants, trublions du syndicalisme, terreur des DRH et des patrons ? ».

30 L’historien Yves Santamaria analyse l’essor de Sud sous l’angle de l’activisme de militants d’extrême-gauche, et plus précisément de « stratégies trotskystes » particulièrement habiles. Voir Santamaria (Y.), « Sud. Syndicalisme rouge et recomposition syndicale », Communisme, n° 57-58, 1999.

31 L’autre mouvance syndicale en plein essor durant les années quatre-vingt-dix est l’UNSA, l’Union syndicale des syndicats autonomes, née en 1992. Cette collection fédérative a intégré la FEN (la fédération de l’Éducation Nationale, est devenue UNSA-éducation). Si l’on lit attentivement l’ouvrage signé par son secrétaire général et fondateur, Olive (A.), Qu’est-ce que l’UNSA ?, Paris, L’Archipel, 2003, on peut identifier un certain nombre de tropes communs aux discours de Sud et de l’UNSA, dont la critique de la bureaucratie syndicale. Mais, il n’y a pas, dans le discours d’Alain Olive, l’idée de « faire de la politique autrement », idée présente en filigrane dans les écrits des syndicats Sud. L’UNSA compterait, en 2004, 370000 adhérents, ce qui en fait la 4 e formation syndicale derrière la CGT, la CFDT et FO.

32 Quatrième de couverture.

33 Blondel (M.), Qu’est-ce que FO ?, Paris, L’Archipel, 2002.

34 Chéreque (F.), Qu’est-ce que la CFDT ?, Paris, L’Archipel, 2002.

35 Thibault (B.), Qu’est-ce que la CGT ?, Paris, L’Archipel, 2002.

36 Voir notamment Levi (G.), « Les usages de la biographie », Annales ESC, 44, 1989, p. 1325-1336.

37 Sud Solidaires, Qu’est-ce que Sud-Solidaires ?, Paris, L’Archipel, 2002.

38 Syndicat national unifié des impôts.

39 Syndicat national des journalistes.

40 Syndicat national unifié de la Banque de France.

41 Elle comprend trente-six syndicats autonomes ou fédérations syndicales.

42 « D’un commun accord avec Claude Perrotin, nous avons décidé de remplacer la biographie centrale d’un responsable par quelques mini-portraits de différents militant-e-s, rédigés par Stanislas Maillard, journaliste. Ils donneront une idée des personnes qui animent aujourd’hui notre courant syndical », « avant propos » par Annick Coupé, p. 8, in Sud Solidaires, Qu’est-ce que Sud-Solidaires ?, op. cit.

43 Op. cit., p. 60.

44 Op. cit., p. 61.

45 Brochure de présentation de Solidaires, octobre 2003.

46 Idem.

47 Sud Solidaires, Qu’est-ce que Sud-Solidaires ?, op. cit., p. 117-118.

48 En effet, outre les syndicats Sud, seule la « petite » CNT (Confédération nationale du travail) refuse la séparation fonctionnelle et complémentaire des tâches entre le parti et le syndicat. La CNT, organisation présente sur presque tout le territoire français mais dont les effectifs sont groupusculaires, est membre de l’Association internationale des travailleurs (AIT) fondée à Berlin en 1922. Elle s’oppose à toute tendance et organisation centraliste notamment inspirée par le léninisme. Refusant toute relation avec les organisations étatiques, elle se revendique comme « anarcho-syndicaliste » et reprend l’idée de « l’action directe » comme mode d’action privilégié, modalité politique qui n’a rien à voir avec les moyens utilisés par l’organisation terroriste du même nom. De façon révélatrice, la CNT n’est pas représentée dans la collection des éditions de l’Archipel.

49 Le terme est publiquement employé par Marie-Claude Beaudeau, sénatrice du Val d’Oise, vice-présidente de la Commission des finances du Sénat, lors d’une question au gouvernement. Lire le communiqué de presse du 4 février 2004 et la conférence de presse donnée au Sénat par M me Beaudeau, le 23 juin 2004. Voir aussi l’ouvrage de Deceze (D.), La machine à broyer. Quand les privatisations tuent : France Télécom, Paris, J. C. Gawsewitch éditeur, 2004. Cet ouvrage journalistique cite des témoignages de médecins du travail et de salariés en vue de montrer que, à France Télécom, « le mal de vivre au travail est une réalité quantifiable : stress, dépression, maladies, suicides, fichage, mutations d’office, pressions hiérarchiques, placardisation, harcèlement ».

50 Concernant le malaise social à La Poste, on peut consulter deux études universitaires. L’une porte sur les facteurs : Cartier (M.), Les facteurs et leur tournée, Paris, La Découverte, 2003 (p. 188-198), l’autre sur les agents de centres de tri : Merle (P.) & Le Beau (B.), « Alcoolisation et alcoolisme au travail. Ethnographie d’un centre de tri », Revue française de sociologie, n° 45-1, janvier-mars 2004.

51 Entretien avec Pierre J., militant syndical au syndicat Sud-PTT des Côtes d’Armor, 1999.

52 Texte fondateur de Copernic (www. fondation-copernic. org). Parmi les animateurs de Sud-PTT, Christophe Aguiton, Francine Bavay, Annick Coupé et Pierre Khalfa sont des membres fondateurs de cette association.

53 Association pour la taxe Tobin et l’aide aux citoyens fondée en 1998 sous les auspices du Monde Diplomatique. Au président fondateur, l’universitaire Bernard Cassen, a succédé, en 2002, Jacques Nikonoff, haut fonctionnaire et ancien membre du PCF.

54 Sur l’apparition de l’acteur « mouvement social » en France dans l’après novembre-décembre 1995, nous renvoyons à l’ouvrage de Béroud (S.), Mouriaux (R.) & Vakaloulis (M.), Le mouvement social en France, Paris, La Dispute, 1998. Voir aussi notre contribution : Renou (G.), « Social Movement or Red Left. A New Actor in the French Political Space », 28th joint-sessions of workshops of the European Consortium of Political Research (ECPR), workshop n° 8, Copenhague (Danemark), 14-19 avril 2000. Ce texte est disponible à l’adresse suivante : www.essex.ac.uk/ecpr/events/jointsessions/paperarchive/copenhagen/ws8/renou.pdf.

55 Il n’est qu’à relire les journaux de l’automne 1988 pour se rendre compte de l’omniprésence journalistique de l’adjectif « trotskiste » pour expliquer les grèves de la « rentrée sociale » mouvementée. Dans les faits, cette appellation est en grande partie inexacte : seule une petite minorité des syndicalistes contestataires de la CFDT-PTT étaient membres ou proches des réseaux de la Ligue communiste révolutionnaire, le parti animé par Alain Krivine. L’adjectif trotskiste a largement fonctionné comme adjectif dévalorisant connotant une manipulation politique des mouvements sociaux. L’importance des réseaux de militants membres de la LCR au sein de la CFDT-Santé, à l’époque également en prise à des désaccords interne aboutissant pareillement à des exclusions des minoritaires, est davantage justifiée.

56 Tract de SUD-fédération syndicale des PTT, intitulé « Pourquoi nous avons quitté la CFDT PTT et pourquoi nous avons créé un syndicat régional SUD en Bretagne », novembre 1989.

57 Ces résultats sont le fruit d’un travail d’observations et d’entretiens mené sur plusieurs années dans la fédération Sud-PTT (congrès, comité fédéral, bureau fédéral, travail du secrétariat fédéral) et dans plusieurs des syndicats qui la composent (les Côtes d’Armor surtout, et de façon plus ponctuelle l’Oise, l’Ille-et-Vilaine, les Postaux Paris).

58 Voir Renou (G.), « L’institution à l’état vif. Sociabilité et constructions des groupes dans un syndicat de salariés », Politix, n° 63, 2003.

59 Rappelons que Jules Guesde, adversaire des associationnistes, valorisait une relation forte entre parti et syndicat. Selon lui, le mouvement ouvrier devait tout autant investir la forme partisane et la forme syndicale, et surtout, il devait viser l’accession au pouvoir de ses partis.

60 Ce qui peut s’expliquer par l’hétérogénéité des deux électorats qui semblent répugner à s’agréger.

61 Cf. l’ouvrage de Julliard (J.), Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d’action directe, Paris, Seuil, 1974.

62 Né en 1904, D. Guérin fut militant « pivertiste » au sein de la SFIO, puis proche de Trostki. Il défendit ensuite, après 1945, une combinaison d’anarchisme et de marxisme. Il est l’auteur d’une anthologie de l’anarchisme en deux volumes, intitulée Ni Dieu, ni maître, Paris, La Découverte, 1999.

63 Comme Claude Taleb et Francine Bavay, anciens membres du bureau fédéral de Sud-PTT.

64 La livraison n° 11 de Contretemps (septembre 2004) revue animée par Daniel Bensaïd et Philippe Corcuff, deux universitaires membres de la LCR apporte à la fois un témoignage d’acteur sur l’ébranlement de la culture léniniste au sein de la LCR et une analyse réflexive sur ses conséquences sur la gauche française et ce qu’il est aujourd’hui convenu d’appeler le « mouvement social ».

65 Libération, 14 octobre 1999.

66 L’intégralité de l’appel est consultable dans les archives du site de samizdat. net. Pour complexifier l’analyse, il faut noter que Léon Crémieux, militant de Sud-Aérien et membre du bureau politique de la LCR a signé ce texte. Ce fait milite pour une approche plus nuancée de l’identification d’une ligne idéologique propre à la LCR qui en araserait les divergences internes. Les études sur ce parti politique sont remarquablement rares. Les entretiens effectués avec des membres de SUD-PTT ayant été membres de la LCR incitent à ne pas hypostasier a priori « la » stratégie de ce parti.

67 Proche du mouvement communiste libertaire Alternative libertaire.

68 D’après plusieurs informations recoupées, P. Bourdieu aurait lui-même contribué à la rédaction du texte. Cela est possible, tant certains passages du texte semblent imprégnés des idées de l’auteur « La délégation ou le fétichisme politique », paru dans Actes de la recherche en sciences sociales, n° 52-53, 1984.

69 Aguiton (C.) & Corcuff (P.), « Mouvements sociaux et politique : entre anciens modèles et enjeux nouveaux », dans Mouvements, n° 3 : « Crise de la politique et nouveaux militants », mars-avril 1999, p. 10.

70 Ibid.

71 Voir Beaud (S.) & Pialoux (M.), Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1998 (troisième partie) et Bizeul (D.), Avec ceux du FN, Paris, La Découverte, 2002.

72 Cette interrogation émise par un membre du Bureau fédéral date d’août 1998. Elle a suscité la cristallisation de conflits au sein du bureau fédéral.

73 Pour le Forum social mondial organisé par le Parti des travailleurs du Rio Grande do Sul, au Brésil.

74 Pour un sommet de l’OMC, automne 2001.

75 Pour le sommet du G8, juillet 2001.

76 « Le mouvement des chômeurs en France », Les Temps Modernes, n° 600, été 1998.

77 « Une perspective mondiale », entretien avec C. Aguiton, Politis, 17 février 2003, n° 740.

78 Édition du 15 juillet 2001.

79 Voir la section 2 (« Un syndicalisme de transformation sociale ») de la résolution sur l’investissement interprofessionnel. Textes du Sixième congrès de la fédération Sud-PTT, 27-31 mai 2002.

80 Amendement n° 7 à la « Résolution sur notre investissement interprofessionnel ». Amendement déposé par J.-L. Marziani et M. Stéfani, du Bureau Fédéral, visant la création d’un paragraphe 9-2 à la page 15 des textes du congrès. Voir Sud-PTT, Sixième congrès fédéral, brochure : Amendements retenus au débat, contributions, candidatures, mai 2002.

81 Guichetière au bureau de poste de Vincennes (Val-de-Marne).

82 Entretien avec J.-L. Marziani, délégué du syndicat Sud-Poste Val-de-Marne, 30/05/2002.

83 Voir l’ouvrage d’un militant de Sud-PTT et de la mouvance altermondialiste : Aguiton (C.), Le monde nous appartient, Paris, Plon, 2000.

84 Pour un point de vue d’intellectuel engagé dans ce débat, voir l’article de Poupeau (F.), « Revenir aux luttes. Éléments pour une critique de la contestation », Revue Agone, n° 26-27, 2000.

85 Au sens que Castoriadis (C.) donne à ce terme (L’institution imaginaire de la société, Paris, Seuil, 1975) et de sa reprise par Bayard (J.-F.), L’illusion identitaire, Paris, Fayard, 1996.

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