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Gaullisme et gaullistes

 | 
François Audigier
, 
Frédéric Schwindt

Troisième partie. Personnel politique et élections

Le général Gilliot, député RPF de la Meuse (1951-1956)

Bernard Lachaise

Texte intégral

  • 1 Éric Duhamel, « De l’épée à la toge. Les officiers au Palais-Bourbon de 1945 à 1962 », dans O. For (...)

1Le général Auguste Jean Gilliot n’a pas, dans l’histoire du gaullisme pas plus que dans l’histoire de France, la place et la notoriété du général Koenig voire du général Billotte. Il est pourtant, comme Koenig et Billotte, un des dix officiers généraux élus à l’Assemblée nationale en 1951, – soit un record sous la IVe République –, un des huit élus sous l’étiquette RPF, Gilliot dans le département de la Meuse1.

Gilliot avec de Gaulle lors de la visite du président de la République à Mont-de-Marsan (12 avril 1961) (collection privée)

Gilliot avec de Gaulle lors de la visite du président de la République à Mont-de-Marsan (12 avril 1961) (collection privée)
  • 2 Les seules notices biographiques publiées, à ce jour, sur le général Gilliot, figurent dans : Dict (...)

2La place occupée par le général Gilliot dans l’histoire du gaullisme et dans la vie politique nationale et meusienne est modeste car ce militaire n’est entré en politique – en gaullisme – qu’en 1949 et en est sorti en 1958 après avoir occupé pendant une législature seulement un mandat de député de la Meuse (1951-1955) et durant quelques années, de 1951 à 1958, un mandat de conseiller général de Bar-le-Duc2. Bien oublié de nos jours, un colloque sur le gaullisme dans l’Est ne pouvait pas ne pas l’évoquer surtout pour expliquer… l’oubli, la singularité du parcours de Gilliot dans l’histoire du gaullisme par comparaison avec celle des autres officiers généraux élus en même temps que lui.

  • 3 Une partie de ces précieux Souvenirs nous a été très aimablement communiquée, lors de nos recherch (...)
  • 4 Sur le rôle du général Gilliot dans le gaullisme dans les Landes, voir Bernard Lachaise, Le gaulli (...)

3L’homme n’a guère de goût pour la politique – c’est un euphémisme – et il l’a montré avant, pendant et après ses mandats, ses « souvenirs » inédits en témoignent sans langue de bois3 ! Il s’agira de comprendre comment cet homme, né à Hagetmau dans les Landes, Saint-Cyrien, entre en politique à près de soixante ans, devient délégué départemental du RPF dans les Landes… puis député de la Meuse, pourquoi son action politique est aussi brève et enfin, ce qui le rapproche et le distingue des autres officiers généraux gaullistes élus en 19514.

Un homme de l’Est

  • 5 Témoignages écrit de Paul Gilliot et oral de Marie-Thérèse Gilliot-Magescas (fils et fille du géné (...)
  • 6 Fondation Charles de Gaulle (= FCDG). RPF 564. Meuse. Lettre de Gilliot à Terrenoire. 11 mars 1952

4Par son père, Gilliot est issu d’une famille de l’Est. Du côté de sa mère – Marie-Thérèse Sentilhes –, le général Gilliot est issu d’une famille gasconne (Chalosse) ce qui explique la naissance à Hagetmau (Landes), les attaches landaises, en particulier à partir du début du XXe siècle (1907), avec l’héritage reçu de sa marraine par la mère du général d’une belle demeure « Larrigade » à Hagetmau qui devient dès lors une maison de vacances pour la famille Gilliot5. Du côté paternel, la famille est lorraine à l’origine puis installée en Alsace. Dans une lettre écrite en 1952 à Louis Terrenoire, secrétaire général du RPF qui lui demande des renseignements sur son cousin Pierre Gilliot, le général Gilliot explique les origines géographiques de sa famille : « Notre famille, comme son nom l’indique, est originaire de Lorraine et s’est installée en Alsace au début du règne de Louis XV, au moment où notre aïeul a été nommé notaire royal à Benfeld6. » [NB : Bas-Rhin]. Il poursuit : « En 1802, mon trisaïeul… a fondé à Saverne (NB : Bas-Rhin) un journal qui a paru sans interruption jusqu’en juin 1940. Notre famille a toujours soutenu en Alsace les idées françaises. » Saverne devient le berceau de la famille Gilliot et une partie de la famille y demeure jusqu’à la fin du XXe siècle, les autres s’installant à Strasbourg. La branche dont est issu le général Gilliot n’est pas restée en Alsace. Le père du futur général, Marie-Rodolphe Auguste Paul est né en 1853 à Saverne mais quitte, avec ses parents, l’Alsace en optant pour la France en 1871. Après des études à Polytechnique (promotion 1872), il devient ingénieur des Ponts et Chaussées et c’est par ses affectations dans le Sud-Ouest (Tarbes, puis Bordeaux en 1890) qu’il rencontre sa femme, née Sentilhes.

Généalogie simplifiée de la famille Gilliot

Généalogie simplifiée de la famille Gilliot

Sources : état-civil ; informations familiales ; notices biographiques publiées

  • 7 « Gilliot », notice dans Bernadette Suau (dir.), Dictionnaire biographique. Mémoire des Landes, Mo (...)
  • 8 Selon le témoignage de la fille aînée du général, Madame Magescas, le père du futur général voulai (...)
  • 9 Archives départementales de la Meuse (= ADM). Nous remercions très chaleureusement la direction de (...)
  • 10 Tous les renseignements précis sur la carrière militaire du général Gilliot sont issus du dossier (...)
  • 11 FCDG. RPF 564. Dossier Meuse.

5Cette origine suffit-elle pour créer un lien personnel fort entre Gilliot et l’Est ? Avant d’être « physique », le lien de Gilliot avec l’Est, la terre de ses ancêtres paternels, a été oral. Le futur général a vécu « une enfance bercée par des récits sur les provinces perdues d’Alsace et Lorraine7 ». Sans doute, cela a-t-il contribué au désir « dès sa prime jeunesse de servir son pays et d’œuvrer pour rétablir la souveraineté de la France sur les Marches de l’Est » et à son choix d’une carrière militaire8. C’est dans l’Est que le jeune lieutenant Gilliot, sorti de Saint-Cyr en 1911, connaît son baptême du feu à Mangiennes, dans la Meuse, le 10 août 19149. Durant la guerre de 14-18, il est blessé sur la Marne et en Argonne. Le lien culturel avec le monde germanique et l’Alsace est fort. Gilliot a appris l’allemand et il est germanophone depuis ses études et Saint-Cyr. Il a acquis une connaissance personnelle de l’Allemagne en tant que prisonnier en Allemagne entre juillet 1915 et décembre 1918. Puis il est chef de bataillon dans l’armée d’occupation en Allemagne au lendemain de la Grande Guerre et en 1925, il est stagiaire au Centre d’études germaniques de Mayence10. En 1939, il est colonel au 152e RI à Colmar. Enfin, lors de la Seconde Guerre mondiale, Gilliot est déporté au camp du Struthof en Alsace et à Flossenburg (Bavière) entre le 13 juin 1943 et le 16 mai 1945. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, les affectations rapprochent réellement Gilliot de l’Est quand le général exerce les fonctions de commandant de la 20e région militaire à Nancy (20 juillet 1945-15 mars 1946) puis la 6e région militaire de Metz, à compter du 15 mars 1946 et enfin, de gouverneur militaire de Metz. Nommé le 24 mai 1946, Gilliot occupe cette dernière fonction jusqu’en juin 1949, date à laquelle, atteint par la limite d’âge, il est placé dans la 2e section, avec rang et prérogatives de général de corps d’armée par décret du 26 septembre 1949. C’est en tant que gouverneur militaire de Metz qu’il participe aux côtés du général de Gaulle aux cérémonies en hommage à la vallée de la Saulx le 28 juillet 1946 puis surtout, à la commémoration du 32e anniversaire de la bataille de Verdun le 20 juin 194811.

  • 12 FCDG. RPF 564. Dossier Meuse.
  • 13 Archives Nationales (=AN). F1cIII 1 300 et F1c II 150.
  • 14 Témoignage de Madame Magescas.

6Cette proximité ancienne avec l’Est n’évite pas au général Gilliot d’être perçu comme un candidat étranger en juin 1951. Les attaques sont multiples et les premières émanent du RPF, dès que le bruit de la candidature de Gilliot commence à courir. Quelques exemples en témoignent. Dès le 25 octobre 1950, le délégué du canton de Montmédy, ancien chef résistant dans la Meuse nord, Fernand Antoine, écrit « au directeur du RPF » pour dire sa « stupéfaction » en lisant dans L’Est républicain du 23 octobre que le nom de Gilliot « a été mis en avant comme tête de liste aux prochaines élections législatives » et exprimer sa vive préférence pour « le général Marchal, meusien 100 %12 ». Le préfet de la Meuse écrit dès novembre 1950 : « la désignation du général Gilliot ne semble pas avoir reçu une approbation unanime et enthousiaste » puis, plus clairement, en décembre : « la désapprobation qui a suivi la désignation du général Gilliot n’est pas apaisée13 ». Les critiques viennent aussi, à compter du printemps 1951, des adversaires politiques de Gilliot et conduisent le candidat à répondre Gilliot utilise plusieurs arguments dont les plus sérieux rappellent l’histoire de sa famille, ses combats dans l’Est en tant que soldat du 91e RI (depuis octobre 1911) à Mézières et « les longs mois dans la Meuse », ainsi que la fraternité de sang des soldats. D’autres sont moins crédibles comme l’explication : « je porte un nom lorrain : Maginot… Jacquinot… Gilliot14 ! » Quoi qu’il en soit, c’est le général Gilliot qui dirige la liste du RPF aux élections législatives de juin 1951 dans la Meuse. Mais est-il gaulliste ou un homme de droite engagé pour des raisons conjoncturelles aux côtés du général de Gaulle ?

Réponse de RPF à propos des candidats étrangers au département de la Meuse en juin 1951

Réponse de RPF à propos des candidats étrangers au département de la Meuse en juin 1951

Source : Le Rassemblement, édition de la Meuse II, Supplément au No 214 de juin 1951

Un homme engagé dans le gaullisme au temps du RPF

  • 15 Une preuve de l’absence de relations est fournie par le témoignage de la fille aînée du général Gi (...)

7La rencontre avec de Gaulle est certes très précoce et très antérieure au gaullisme : Gilliot est un condisciple de Charles de Gaulle à Saint-Cyr où il est entré en 1909 (promotion Fès). Un lien personnel se crée alors, en particulier, au moment du décès du père de l’aspirant Gilliot (décembre 1910). Très choyé jusqu’à son entrée à l’École spéciale militaire – il est enfant unique -, Gilliot trouve dure la discipline de Saint-Cyr et la mort de son père (âgé de 57 ans) le choque. Il trouve du réconfort auprès de Charles de Gaulle. Mais, par la suite, les relations entre les deux hommes, au-delà du tutoiement, n’existent pas, « par discrétion » écrit Gilliot, même s’il approuve, semble-t-il, les idées de son condisciple15.

  • 16 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au combat. De l’appel du 1 (...)

8Une chose est sûre pourtant : Gilliot n’appartient pas aux gaullistes de guerre. Il ne rejoint pas la France libre et poursuit sa carrière militaire sous Vichy, comme chef d’État-major de la 13e région militaire, à compter du 29 juin 1940, puis de la 13e division militaire, à partir du 15 novembre 1940. Nommé directeur adjoint des services de l’armistice le 1er février 1942, promu général de brigade en février 1942, Gilliot entre dans la Résistance en 1943 et devient une des têtes de l’ORA (Organisation de la Résistance Armée) jusqu’à son arrestation en juin 1943 et sa déportation16.

  • 17 Sur Georges et Pierre Gilliot, voir les notices établies par Jean-Noël Grandhomme, dans Bernard La (...)

9L’engagement gaulliste du général Gilliot date de l’époque du RPF. Les motivations sont claires : Gilliot est, par tempérament et par tradition, un homme de droite et il considère que le mouvement créé par le général de Gaulle est le mieux placé pour « rétablir l’autorité de l’État » et « mettre à la raison le parti communiste inféodé à l’URSS et qui est devenu un agent fidèle et espion attitré de l’URSS ». La concrétisation de son adhésion au gaullisme s’effectue immédiatement peu de temps après juin 1949, c’està-dire la fin de sa carrière militaire, et se caractérise par l’acceptation de plusieurs responsabilités dans « l’appareil » du Rassemblement. Gilliot est nommé au Conseil national du RPF en octobre 1949, délégué départemental du RPF dans les Landes – département où il s’est retiré, dans sa demeure d’Hagetmau – en novembre 1949 et membre du comité directeur de l’UPANG (Union pour l’action nationale du général de Gaulle) en décembre 1949. Comme pour de nombreux autres « compagnons », cet engagement est familial. Veuf, le général Gilliot retrouve au RPF une partie de sa famille : son cousin Pierre Gilliot, les cinq enfants de Pierre décrits comme « cinq enragés du RPF », son neveu Georges et sa fille aînée17. Cet engagement se traduit aussi par une reprise de relations personnelles plus étroites avec Charles de Gaulle. Gilliot a revu son condisciple en 1945, puis en 1946, lors des cérémonies en hommage à la vallée de la Saulx (juillet 1946) et surtout l’a reçu, contre l’avis du gouvernement, lors du 32e anniversaire de Verdun le 20 juin 1948. En acceptant de conduire la liste RPF en 1951, dans la Meuse, Gilliot franchit un pas supplémentaire qui fait de lui un élu gaulliste.

Un élu gaulliste de la Meuse

  • 18 Sur le gaullisme et les gaullistes de la Meuse sous la IVe République, voir les notices établies p (...)

10Deux candidatures en 1951, l’une aux législatives, l’autre aux cantonales, font du général Gilliot un député (1951-1955) puis conseiller général (1951-1958). Pourtant, les succès de Gilliot étaient loin d’être écrits à l’avance18.

  • 19 Dans Pierre Marizier, Le coup de Bar. Chronique d’une époque (1958-1970) (côte AD Meuse : 8o 3 451 (...)

11Au printemps 1951, Gilliot est candidat contre son gré. C’est à la demande du général de Gaulle, exprimée très tôt, dès les premiers mois de 1950, que Gilliot accepte de conduire la liste RPF. De Gaulle avait d’abord pensé pour son condisciple à une candidature dans les Landes mais Gilliot considère qu’il n’a aucune chance et qu’il faut soutenir la candidature du radical-gaulliste Robert Besson, maire de Mont-de-Marsan ce qui fut fait. Gilliot n’est pas plus enthousiaste à l’idée d’être candidat dans la Meuse car il n’a que peu d’attrait pour le Parlement et il entretient des relations cordiales avec la principale figure politique du département, Louis Jacquinot19. La candidature de Gilliot est un choix du général de Gaulle, motivé par plusieurs raisons. De Gaulle veut présenter une liste contre Jacquinot. Le RPF meusien est divisé depuis les sénatoriales de 1948 et sans personnalité de poids face au ministre Jacquinot. Le profil de Gilliot offre de nombreux atouts pour une candidature en Lorraine : ses origines familiales, le prestige de l’ancien combattant (prisonnier de la Grande Guerre, déporté) et le passé récent de gouverneur militaire de Metz.

12Gilliot doit donc conduire la bataille face à Jacquinot à la tête d’une liste « d’Union des Républicains indépendants, Paysans, Républicains nationaux et du RGR ». Le combat électoral s’annonce difficile. Le premier et plus grand obstacle est constitué par la personnalité de l’adversaire. Jacquinot n’est-il pas député depuis 1932, président du Conseil général, ministre des Anciens Combattants et un Résistant qui, à Alger, a figuré dans les proches du général de Gaulle ? Le 15 juin, le Républicain lorrain présente ainsi le rapport de forces : « la position de Jacquinot est inattaquable ». De plus, la liste Jacquinot a conclu un apparentement avec la liste MRP conduite par Jean Guillaume, député sortant, conseiller général et sur laquelle figure Maurice Rochette, ancien sénateur. Enfin, elle est habilement composée avec deux conseillers généraux : en deuxième position figure Rousselot, président de la CGA dans la Meuse et en troisième position, Madoux, un des fondateurs du RPF dans le département. Pour gagner, Gilliot envisage lui aussi un apparentement que de Gaulle refuse. Il choisit deux équipiers qui renforcent sa candidature : Louis Mourot, représentant le monde catholique et agricole et doté, selon Gilliot de « bagout » et Marcel Hector, représentant le monde ouvrier et les familles nombreuses. La campagne est courte : elle ne dure qu’une quinzaine de jours mais elle est active et Gilliot mène, selon sa propre expression, « une vie de chien ». Le programme met en avant les objectifs de réconciliation, l’Allocation-éducation et l’intéressement de tous les salariés ainsi que la constitution d’un État solide et la stabilité de la monnaie soit autant d’objectifs qui, tout en montrant la spécificité du gaullisme (sur l’Association capital-travail ou les institutions), ne peuvent que rassurer voire convaincre les électeurs de droite.

  • 20 AN. F1c 150/Meuse. Bilan des élections cantonales de 1951 (s.d.)

13Les efforts de Gilliot sont récompensés. Au soir du 17 juin 1951, la liste RPF recueille 26 614 voix (soit 29,5 % des suffrages exprimés) ce qui la place en deuxième position, talonnant celle de Jacquinot (28 876 voix soit 32 %) et lui permet d’avoir un élu, le général Gilliot tandis que la liste Jacquinot en obtient deux (Jacquinot et Rousselot). Les autres listes arrivent loin derrière, le PCF en troisième position (17,1 %), le MRP (9,9 %) la SFIO (8,4 %) et une liste du groupement national de défense des libertés professionnelles et des contribuables (1,2 %). La liste RPF est en tête dans neuf cantons sur vingt-huit, principalement dans des cantons urbains dont ceux de Verdun où elle devance la liste Jacquinot de 1 250 voix et celle du PCF de près de 1 000 voix et de Bar-le-Duc. La première des clés de cette victoire du RPF qui parvient à faire élire un député sur les trois élus de la Meuse est à rechercher chez l’adversaire, dans la « nonchalance de Jacquinot », selon Gilliot. Tout indique, en effet, que le ministre-député sortant a été trop confiant et n’a pas mené une énergique campagne. Mais les gaullistes ont tiré profit de la popularité du général de Gaulle sur ces terres frontalières de l’Est, de ce que l’on pourrait appeler « l’effet Vaucouleurs-Verdun », du choix du général Gilliot comme tête de liste, de l’habile composition de l’équipe Gilliot et du recul du MRP et du PCF. Cette victoire est confirmée et confortée quelques mois plus tard quand Gilliot ajoute, en octobre 1951, à son titre et à son ancrage local de député de la Meuse, celui de conseiller général de Bar-le-Duc. Gilliot peut se réjouir de ce succès contre Jeukens, maire de Bar-le-Duc et ancien fondateur – comme Madoux – du RPF local. La victoire est d’autant plus belle que dans cette campagne des élections cantonales, Gilliot est présenté, selon ses termes, comme « l’homme à abattre ». Le préfet l’explique en qualifiant la personnalité du général-député Gilliot de « pôle d’attraction qui lui a fait remporter un succès très net au second tour20 ».

Meusiens, voici vos candidats

Meusiens, voici vos candidats

Source : Le Rassemblement, édition de la Meuse, Supplément au No 213 de juin 1951

Françaises, Français…Programme de la liste RPF dans la Meuse

Françaises, Français…Programme de la liste RPF dans la Meuse

Source : le Rassemblement, édition de la Meuse, Supplément au No 213 de juin 1951

Carte des résultats du RPF par canton lors des élections législatives du 17 juin 1951

Carte des résultats du RPF par canton lors des élections législatives du 17 juin 1951

Source : carte établie à partir des chiffres fournis par Les élections du 17 juin 1951, Paris, La Documentation française, 1951

14L’intérêt du parcours du général Gilliot en politique dépasse le seul cadre de l’histoire meusienne et du gaullisme dans l’Est de la France. Il mérite d’être mis en perspective afin de mesurer en quoi il est, à la fois singulier et très représentatif, dans l’histoire du gaullisme.

  • 21 Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets 1951-1958, Paris, Plon, 1985. Lettre du 22 décembre 1 (...)
  • 22 Voir Bernard Lachaise, « Itinéraires des parlementaires gaullistes de la IVe République », Parleme (...)

15Force est de souligner, d’abord, que « le moment politique gaulliste » dans la longue vie et dans la carrière du général Gilliot est très court et ne constitue pas les années les plus appréciées. Les écrits ultérieurs du général montrent sans ambiguïté que cette « vie politique » a été subie plus que choisie et qu’elle ne laisse guère de bons souvenirs. De Gaulle en est conscient quand il écrit à son ami : « je pense à toi dans le cloaque où je t’ai poussé par devoir et, où, je le vois, tu ne te saliras pas21 ». Gilliot n’a fait qu’un bref passage au Parlement et dans le gaullisme politique. Il appartient au quart des élus gaullistes de la IVe République qui n’a siégé que durant une législature (1951-1956) comme, par exemple, Michel Carlini, Alfred Chupin, Irène de Lipkowski, Jean Nocher, Léon Noël ou chez les militaires, le contre-amiral Commentry ou le général de Montsabert22. Aux élections de 1956, lassé – pour ne pas dire écœuré –, Gilliot n’est pas candidat à un nouveau mandat sous l’étiquette des républicains sociaux – à la différence de Montsabert, dans les Basses-Pyrénées ou de Koenig dans le Bas-Rhin – et il soutient… Jacquinot. Durant ses années d’élu, il s’implique peu dans la vie politique meusienne et son absentéisme, sa non-résidence, sa faible activité est dénoncée par ses adversaires et même une partie de ses amis.

  • 23 Voir Bernard Lachaise, « Les militaires et le gaullisme au temps du Rassemblement du peuple frança (...)

16Pourtant, l’histoire du député Gilliot est, à plusieurs titres, profondément typique de celle du gaullisme en général et du gaullisme sous la IVe République en particulier. Elle est éclairante sur les difficultés de fonctionnement du RPF. Le mouvement gaulliste a beaucoup souffert de querelles internes, de clivages entre les instances nationales (« la rue de Solférino ») et la base et d’une organisation autoritaire où tout descend du sommet vers la base. Il a aussi connu, dans sa vie quotidienne, une vraie faiblesse des moyens matériels c’est-à-dire pas de voiture, peu d’argent etc. Le choix de Gilliot comme candidat en 1951 est révélateur des conditions de sélection du personnel gaulliste. Le notable est préféré au militant pour des raisons de prestige, d’assise qui lui donnent plus de chances d’être élu mais aussi de disponibilité et d’aisance financière pour contribuer à la campagne. Un militaire – surtout un officier général – est très recherché sur les terres de frontières comme en témoignent, en plus de Gilliot, les exemples de Koenig en Alsace ou de Montsabert dans les Basses-Pyrénées23. Enfin, le général Gilliot est représentatif des hommes de droite entrés au RPF. Dans ses souvenirs, Gilliot exprime sans détours son positionnement : « le RPF avait inclus dans son programme un train de réformes sociales ce qui, à vrai dire, ne m’emballait nullement. Conservateur et traditionaliste, ayant toujours eu le goût d’une société fortement hiérarchisée, j’eus sans doute du mal à m’adapter au jargon démocratique en l’honneur au Rassemblement et c’est sans grand enthousiasme que je me laissai convaincre des beautés de l’Association capital-travail et des bienfaits d’une certaine promotion ouvrière, toutes choses dont je m’étais fort peu soucié jusque-là… Il faut accepter ce que l’on ne peut empêcher… » En 1956, quand, sollicité par les républicains sociaux pour être leur candidat, il répond à Jacques Chaban-Delmas, dans un mouvement d’humeur révélateur : « je ne suis ni républicain, ni social ! »

  • 24 FCDG. RPF 253. Assises nationales de Paris. 9-10-11 novembre 1952.
  • 25 AN. F1cIII. 1 301. Meuse.

17Les combats du député Gilliot à l’Assemblée nationale correspondent parfaitement à ceux des gaullistes, notamment dans son engagement très vigoureux contre la CED. Lors des assises du RPF de Paris, en novembre 1952, Gilliot s’exprime en tant que rapporteur sur la Défense Nationale24. Il déclare à ses compagnons, à propos du traité de Paris signé le 27 mai 1952 et instituant la CED, « de ce traité, nous ne voulons à aucun prix… » et il développe les principaux griefs des gaullistes envers la CED. Il s’oppose au traité « parce qu’il organise face à l’ennemi le régime des Conseils de l’Anarchie… ; parce que la France perd son armée… ; parce que cette organisation constitue un pas décisif vers la reconstitution de la Wehrmacht tout en assurant faussement le contraire… ; parce qu’en l’absence de l’Angleterre et de l’Espagne, la CED qu’il institue n’est pas l’Europe… et parce que l’Europe que l’on prépare est une Europe à prépondérance germanique ». Puis il conclut : « quand un peuple a le goût de l’effort, il réussit… Ce qu’il faut, c’est ne pas s’abandonner… » et cite le cardinal Mercier à Foch : « la France, Monsieur le Maréchal, est une grande nation, mais pour le demeurer, il faut qu’elle s’en souvienne. » En 1954, Gilliot participe activement à la campagne contre la CED dans la Meuse, en animant, notamment, à Verdun (16 mai) et à Bar-le-Duc (17 mai), des réunions avec Philippe Barrès25. En privé, dans ses souvenirs, le général Gilliot a des mots très durs contre les « pères français de l’Europe », Robert Schuman, Georges Bidault et René Pleven.

  • 26 La date exacte n’est pas précisée par Gilliot mais correspond à la veille d’un « congrès du Rassem (...)

18Enfin, si la « carrière » politique gaulliste du général Gilliot est brève, son gaullisme est durable et se manifeste surtout par le lien tissé, en dehors des organisations politiques, entre de Gaulle et ses compagnons. Il se caractérise par une grande fidélité accrue encore par le lien personnel ancien qui existe entre les deux généraux. Au temps du RPF, la relation personnelle est renforcée : ainsi, le général Gilliot accueille et héberge, Charles de Gaulle dans sa demeure de Larrigade, à Hagetmau, en avril 1950 puis en mai 1952 et a le privilège – rare – de dîner et de coucher à la Boisserie, au moment où sa candidature dans la Meuse est envisagée26. La fidélité de Gilliot est attestée par de nombreux actes au temps du RPF : son engagement financier personnel important (10 000 F mensuels) en faveur de l’Union privée pour l’aide à l’action nationale du général de Gaulle, à compter de décembre 1949 ; ses votes au sein du groupe RPF jusqu’à la mise en sommeil parlementaire du mouvement en 1953 et son retrait de la vie politique en 1956. Plus tard, les signes de confiance réciproques entre le général Gilliot et le général de Gaulle sont clairs au début de la Ve République. Gilliot contribue à la fondation de la section des Landes de l’Association nationale pour le soutien au général de Gaulle et le président de Gaulle le nomme membre du haut-tribunal militaire (28 avril 1961) puis en avril 1962 et enfin, membre de la Cour militaire de justice (septembre 1962) dont Gilliot devient le président suppléant.

  • 27 La formule du lieutenant-colonel Boudhors est citée par Philippe Foro, L’antigaullisme. Réalités e (...)

19Sans pouvoir dire, comme le lieutenant-colonel Boudhors – chef du capitaine de Gaulle en 1916 – : « je suis gaulliste depuis 1916 », Auguste Jean Gilliot ne se doutait pas, quand il était condisciple de Charles de Gaulle à Saint-Cyr, qu’il serait un jour « gaulliste » et encore moins « député gaulliste27 ». « Embarqué dans cette galère » de la politique – pour reprendre son expression –, il s’y montra fidèle et sut mettre les atouts de son parcours militaire et de sa personnalité au service du gaullisme. Si cela n’a pas suffi à le faire entrer dans la mémoire meusienne et dans le panthéon des illustres gaullistes, le général Gilliot n’en est pas moins un compagnon, à maints égards représentatif des cadres gaullistes de la IVe République.

Notes

1 Éric Duhamel, « De l’épée à la toge. Les officiers au Palais-Bourbon de 1945 à 1962 », dans O. Forcade, E. Duhamel, Ph. Vial (dir.), Militaires en République 1870-1962, Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 361-362.

2 Les seules notices biographiques publiées, à ce jour, sur le général Gilliot, figurent dans : Dictionnaire de biographie française, Paris, 1985, tome 16, p. 78-79 ; Bernadette Suau (dir.), Mémoire des Landes. Dictionnaire biographique, Mont-de-Marsan, Cehag, 1991 ; Dictionnaire des parlementaires français 1940-1958, Paris, La Documentation française, tome 4, 2001, p. 188-189 ; Pierre Denis, Gouverneurs de Metz et commandeurs (1552-2002), Metz, Éditions serpenoises, 2005, p. 306-310.

3 Une partie de ces précieux Souvenirs nous a été très aimablement communiquée, lors de nos recherches sur le gaullisme dans le Sud-Ouest au temps du RPF, par l’un des fils du général Gilliot, le général Antoine Gilliot lors de notre entretien à Hagetmau, le 28 septembre 1994. Les citations du général Auguste Jean Gilliot qui figurent dans cette étude en sont issues sauf mention contraire.

4 Sur le rôle du général Gilliot dans le gaullisme dans les Landes, voir Bernard Lachaise, Le gaullisme dans le Sud-Ouest au temps du RPF, Talence, Fédération historique du Sud-Ouest, 1997.

5 Témoignages écrit de Paul Gilliot et oral de Marie-Thérèse Gilliot-Magescas (fils et fille du général Gilliot). Avril 2007.

6 Fondation Charles de Gaulle (= FCDG). RPF 564. Meuse. Lettre de Gilliot à Terrenoire. 11 mars 1952.

7 « Gilliot », notice dans Bernadette Suau (dir.), Dictionnaire biographique. Mémoire des Landes, Mont-de-Marsan, CEHAG, 1991, p. 163.

8 Selon le témoignage de la fille aînée du général, Madame Magescas, le père du futur général voulait que son fils fasse Polytechnique – comme lui – et n’a accepté l’orientation militaire qu’à une seule condition : qu’il ne choisisse pas la cavalerie.

9 Archives départementales de la Meuse (= ADM). Nous remercions très chaleureusement la direction des archives de la Meuse et tout particulièrement Madame Hussenot pour son aimable collaboration et les informations transmises. Dossier A 4 Mangiennes. Le Républicain lorrain, 9 août 1951.

10 Tous les renseignements précis sur la carrière militaire du général Gilliot sont issus du dossier de l’État des services conservé par le département de l’armée de Terre du Service historique de la Défense (côte 14 Yd 513), consulté grâce à une dérogation. La plupart des autres renseignements biographiques sont issus du dossier du général Gilliot aux archives de l’Assemblée nationale.

11 FCDG. RPF 564. Dossier Meuse.

12 FCDG. RPF 564. Dossier Meuse.

13 Archives Nationales (=AN). F1cIII 1 300 et F1c II 150.

14 Témoignage de Madame Magescas.

15 Une preuve de l’absence de relations est fournie par le témoignage de la fille aînée du général Gilliot, Mme Magescas, qui, après le 18 juin 1940, demande à son père : « Qui est ce de Gaulle ? » Mais elle s’entend répondre : « Un type épatant. »

16 François Broche, Georges Caïtucoli, Jean-François Muracciole, La France au combat. De l’appel du 18 juin à la victoire, Paris, Perrin, 2007, p. 464.

17 Sur Georges et Pierre Gilliot, voir les notices établies par Jean-Noël Grandhomme, dans Bernard Lachaise (dir.), Dictionnaire des gaullistes 1947-1958, à paraître chez Honoré Champion.

18 Sur le gaullisme et les gaullistes de la Meuse sous la IVe République, voir les notices établies par Frédéric Schwindt dans B. Lachaise (dir.), Dictionnaire… op. cit.

19 Dans Pierre Marizier, Le coup de Bar. Chronique d’une époque (1958-1970) (côte AD Meuse : 8o 3 451), l’auteur raconte l’anecdote selon laquelle quand de Gaulle demande à Gilliot d’être candidat à la députation dans l’Est, celui-ci lui répond : « d’accord, mon Général, mais, s’il vous plaît, pas dans la Meuse ». Et de Gaulle, d’un ton qui n’admet pas la réplique, lance : « c’est dans la Meuse que je vous envoie, Gilliot ». La véracité de l’anecdote est douteuse, ne serait-ce que par l’usage du vouvoiement alors que les deux hommes se tutoient.

20 AN. F1c 150/Meuse. Bilan des élections cantonales de 1951 (s.d.)

21 Charles de Gaulle, Lettres, notes et carnets 1951-1958, Paris, Plon, 1985. Lettre du 22 décembre 1953.

22 Voir Bernard Lachaise, « Itinéraires des parlementaires gaullistes de la IVe République », Parlement(s). Revue d’histoire politique, 2007, No 7, p. 47-63.

23 Voir Bernard Lachaise, « Les militaires et le gaullisme au temps du Rassemblement du peuple français (1947-1955) », dans O. Forcade, E. Duhamel, Ph. Vial (dir.), op. cit., p. 455-465.

24 FCDG. RPF 253. Assises nationales de Paris. 9-10-11 novembre 1952.

25 AN. F1cIII. 1 301. Meuse.

26 La date exacte n’est pas précisée par Gilliot mais correspond à la veille d’un « congrès du Rassemblement meusien à Saint-Mihiel ». Il s’agit donc sûrement du 18 mai 1950.

27 La formule du lieutenant-colonel Boudhors est citée par Philippe Foro, L’antigaullisme. Réalités et représentations (1940-1953), Paris, Honoré Champion, 2003, p. 21.

Table des illustrations

Titre Gilliot avec de Gaulle lors de la visite du président de la République à Mont-de-Marsan (12 avril 1961) (collection privée)
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 144k
Titre Généalogie simplifiée de la famille Gilliot
Légende Sources : état-civil ; informations familiales ; notices biographiques publiées
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-2.jpg
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Titre Réponse de RPF à propos des candidats étrangers au département de la Meuse en juin 1951
Légende Source : Le Rassemblement, édition de la Meuse II, Supplément au No 214 de juin 1951
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 179k
Titre Meusiens, voici vos candidats
Légende Source : Le Rassemblement, édition de la Meuse, Supplément au No 213 de juin 1951
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 178k
Titre Françaises, Français…Programme de la liste RPF dans la Meuse
Légende Source : le Rassemblement, édition de la Meuse, Supplément au No 213 de juin 1951
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 138k
Titre Carte des résultats du RPF par canton lors des élections législatives du 17 juin 1951
Légende Source : carte établie à partir des chiffres fournis par Les élections du 17 juin 1951, Paris, La Documentation française, 1951
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122811/img-6.jpg
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