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Gaullisme et gaullistes

 | 
François Audigier
, 
Frédéric Schwindt

Deuxième partie. L'implantation : structures départementales RPF et action militante

Le RPF dans l’Aube

Pascal Girard

Texte intégral

  • 1 En 1950, Jacques Fauvet estime que l’Aube fait partie des départements de « forte influence » du R (...)

1Cette communication porte sur un département qui constitue à certains égards un cas limite dans le cadre de ce colloque. En effet, l’Aube est le plus à l’ouest des départements de l’Est, dont elle ne partage pas véritablement l’identité. De plus, au contraire de ce qui s’est généralement passé dans l’Est, le RPF n’y a pas connu des résultats triomphants1. Nous essaierons donc d’éclairer ces particularités en nous concentrant sur la problématique de cette demi-journée. Nous analyserons d’abord la façon dont le RPF s’est implanté dans le département en dépit du poids du contexte local. Ensuite, nous nous pencherons sur les forces et les faiblesses de cette implantation pour examiner enfin quelles furent les formes de l’activité militante.

Une implantation difficile

Des débuts laborieux

  • 2 Rapport sur l’Aube, 4 juillet 1947, Élections Municipales, Dossier Aube, Fondation Charles de Gaul (...)
  • 3 S’il est impossible de connaître le chiffre des inscrits au RPF – le groupement départemental adhè (...)
  • 4 Témoignage de Jacques Foccart, 14 février 1996, dans Fondation Charles de Gaulle, Avec de Gaulle. (...)
  • 5 Archives Nationales (AN), F1 a 4020, Rapport du préfet de l’Aube au Commissaire de la République p (...)
  • 6 Il prend le titre de délégué départemental le 23 décembre 1947.

2De l’avis même du chargé de mission ayant visité le département au début de l’été 1947, « le départ [du RPF] est manqué2 ». Tandis que les premiers mois du RPF sont le plus souvent prometteurs dans le reste de la France, l’implantation dans l’Aube est alors décevante3. Les premiers problèmes interviennent très tôt, avec le choix du premier secrétaire départemental (plus tard appelé délégué départemental). Il s’agit du colonel Émile Alagiraude, dit Montcalm, ancien chef départemental des FFI. Il envoie spontanément son adhésion dès le 16 avril 1947 au Centre national, et ouvre le 26 la première permanence RPF dans les locaux de sa compagnie d’assurance, où il reçoit des adhésions. Sur le papier, l’homme semble convenir : comme le rappelle Jacques Foccart, pour occuper le poste de délégué départemental on cherchait des « anciens résistants, notoirement connus, ayant une certaine popularité », « susceptibles de ramener du monde4 ». Mais en fait, Alagiraude est politiquement très marqué. À la Libération, il avait eu une grave discorde avec les FTP qui avaient rejoint les FFI, et le préfet de l’époque le qualifiait de « malade de l’anticommunisme », « qui dénie la qualité de Français à quiconque n’est pas de droite5 ». Le Centre National revient donc rapidement sur cette nomination de fait qui risquait de faire repoussoir, pour nommer secrétaire provisoire le 15 juin 1947 Hervé Mathieu6, ancien du BOA sans attache politique notable et très estimé.

3Avec la victoire électorale d’octobre 1947 (au plan national et dans le département avec des listes non homogènes de Rassemblement du Peuple Français et de Coalition Républicaine) le RPF aubois connaît un certain élan et semble être désormais sur de bons rails. Pourtant, durant l’année 1948, il subit une crise profonde : au cours de l’automne, le délégué à la propagande André Tisserand et le délégué départemental Hervé Mathieu démissionnent successivement, et à la fin de l’année, le groupement n’a pratiquement plus aucune activité. Ces problèmes pourraient paraître la conséquence de questions de personnes, mais ils sont en fait largement imputables à deux autres facteurs.

Le contexte politique local

4Le premier de ces facteurs est la situation politique auboise. Avant guerre, l’Aube était un département certes nettement orienté à gauche, mais en fait la vie politique était dominée par le centre, avec un parti radical très puissant (trois députés sur quatre, présidence du Conseil Général), tandis qu’à droite l’Alliance Démocratique constituait une force respectable (trois sénateurs), ces deux mouvements disposant en outre des deux principaux quotidiens aubois.

  • 7 Archives Départementales de l’Aube (AD Aube), SC 4273, rapport des Renseignements Généraux de Troy (...)

5Leurs positions sont littéralement balayées à la Libération, en particulier à cause du discrédit de leurs dirigeants, et ils perdent leurs journaux ainsi qu’une partie des municipalités et de leurs sièges de conseillers généraux. Toutefois si le centre et la droite ont beaucoup reculé, ils n’ont pas disparu : lors des élections cantonales des 23-30 septembre 1945, les petites formations ou les candidats modérés indépendants (radicaux-socialistes, radicaux indépendants, républicains sociaux, républicains modérés, républicains indépendants, etc.) conservent 12 des 24 sièges détenus avant guerre (sur 26 à pourvoir au total7). À l’issue des élections municipales des 29 avril-13 mai 1945, le nombre de municipalités radicales est de peu inférieur à celui de la SFIO et du PCF réunis, et la moitié des mairies reste aux mains de républicains plus ou moins modérés, ou encore des radicaux comme Nogent ou Arcis-sur-Aube.

6Mais il est vrai que lorsque les Républicains Sociaux (ex-Alliance Démocratique) et les radicaux s’allient lors des élections législatives du 10 octobre 1945, ils obtiennent seulement 3,6 % des voix. Le MRP aubois, au rebours de ce qui se passe dans le reste de la France, ne parvient pas non plus à capter cet électorat : le RGR et le MRP additionnés font à peine 11 % des voix en novembre 1946.

  • 8 Lors des élections de 1936, alors que les forces de gauche l’avaient largement emporté lors des pr (...)

7Malheureusement pour le RPF, quand il tente de s’implanter, la place est déjà prise par un parti de droite, le Parti de Rénovation Républicaine (PRR), agrégé en janvier 1946 au PRL8. Il est dirigé par la figure politique auboise la plus marquante de l’après-guerre, André Mutter. Ancien membre du PSF et du mouvement Dorgères, il entre dans la résistance en 1940. À la Libération, il est président du Mouvement Ceux de la Libération, et à ce titre non seulement il est membre du CDL de l’Aube, mais aussi vice-président du CNR puis membre de l’Assemblée Consultative. C’est lui crée le PRR, premier parti du département (32,5 % des votes en novembre 1946). En 1947, ce parti avait déjà capté l’électorat modéré et la légitimité résistante de la droite locale, disposant de deux des quatre députés et d’un conseiller de la République.

  • 9 En 1958, il est nommé Ministre de l’Algérie du gouvernement Pflimlin en remplacement de Robert Lac (...)

8Comme l’a souligné le professeur Jean El Gammal, les relations de la droite avec le RPF ont oscillé entre coopération et rivalité. Il est difficile de savoir quelles furent les intentions de Mutter vis-à-vis du RPF, mais il est certain qu’il n’était pas prêt à abandonner une position aussi prépondérante pour se mettre entièrement au service du général de Gaulle. Et s’il s’était réclamé de ce dernier en 1945, voyant sans doute en lui un rempart contre le communisme, il n’en partageait pas ou plus forcément les idées, en particulier concernant le « régime des partis9 ».

  • 10 Mutter est exclu du PRL le 8 mai 1947.
  • 11 Pour être juste, il convient cependant de remarquer que cette orientation en faveur de l’amnistie (...)

9De plus, à ce moment-là, Mutter est un personnage qui à tort ou à raison, « sent le souffre ». Au début de l’année 1947, il est successivement exclu de Ceux de la Libération Victoire et du PRL10, à cause des sérieux doutes sur son attitude durant l’Occupation et de la campagne pour l’amnistie dans Nouvelles Paroles Françaises11. De fait, le RPF ne voulait pas d’un tel personnage en son sein, et lorsque Mutter (sans doute alléché par les profits électoraux qu’il pourrait tirer d’un rapprochement avec le RPF) tente d’assister à la réunion des cadres du RPF avec le général de Gaulle à Fresnoy le 28 janvier 1950, le général l’éconduit publiquement.

10Or, Mutter a et garde pendant toute la période qui nous occupe une influence décisive sur les personnalités politiques modérées du département. Le Conseiller de la République Gustave Alric, le député Henri Roulon, le maire de Troyes Henri Terré ou encore le colonel Alagiraude sont tous des membres du PRL. Avec Jean Bruley et Roger Paupe, deux modérés membres du CDL, c’est Mutter qui dirige l’Est-Eclair, le principal quotidien de droite du département.

11Retenant d’abord ses troupes en les dissuadant d’adhérer au Rassemblement, ce qui handicape les débuts du RPF, il les autorise à le rejoindre à titres divers. Mais les ex-PRL n’y ont aucune part active et ne respectent pas les consignes (comme Roulon lors de l’investiture Bidault) et sèment même la perturbation : la démission du délégué départemental est par exemple liée à la rupture du maire de Troyes avec le RPF. De fait, il est très vite patent que la fidélité à Mutter est prioritaire, et dès 1949, ces élus quittent un par un le RPF pour se ranger à nouveau entièrement à ses côtés et même s’opposer aux gaullistes lors d’élections cantonales en 1950. Avec la rupture définitive au sujet des apparentements lors des élections de 1951, le RPF ne dispose d’aucun candidat véritablement connu, et son unique élu devra son succès uniquement au prestige du Rassemblement.

Les dissensions avec le Centre National

  • 12 Lettre de Garric à Desanges (chargé de mission 1947), 24 septembre 1947, Dossier départemental Aub (...)

12Il semble que cette situation ait été aggravée selon les militants par l’attitude des premiers délégués régionaux – ce qui n’a rien d’original. Ne connaissant sans doute pas très bien la région, les premiers chargés de mission ont contacté des résistants très marqués à droite et proches du PRL, notamment les plus prestigieux d’entre eux, Émile Alagiraude et Georges Wauters. Au grand dépit des compagnons aubois12, ils ont ainsi précocement entretenu des relations étroites avec les personnalités PRL, en particulier le Conseiller de la République Gustave Alric ou le préfet Pierre-Henri Rix qui devait œuvrer en faveur d’une liste commune lors des élections municipales de 1947.

André Diethelm et Gustave Alric

André Diethelm et Gustave Alric
  • 13 Témoignage du Dr Mahée.

13Tout au long de son adhésion au RPF jusqu’à son exclusion (sur la demande des militants locaux) en juin 1951, Alric correspond directement avec le Centre National sans en référer au RPF local. Les compagnons aubois se méfient des membres du PRL, y compris ceux qui devaient entrer dans le RPF par la suite. Ils accusent aussi le Centre National, et en particulier Soustelle, d’être trop complaisants, de faire trop de compromis avec des parlementaires douteux et d’être dans le même temps négligent et lointain avec les véritables militants gaullistes13. Cette incompréhension sinon ce désamour des délégués au sujet de l’attitude à avoir avec le PRL explique pour une bonne part la démission du délégué de la propagande André Tisserand et la crise de l’automne 1948. Quant à la faible attention portée à l’Aube, elle se caractérise notamment par la rareté des réunions publiques avec des orateurs nationaux (et pas des plus prestigieux : Fribourg, Nocher, Billotte). En 1950 encore, le Conseil départemental destiné à préparer les Assises n’a pas lieu à cause du refus du Conseil de Coordination et de Soustelle de dépêcher une personnalité – théoriquement indispensable. Cependant, le général de Gaulle lui-même viendra en janvier 1950 puis deux fois au printemps 1951.

De Gaulle et le docteur Mahée

De Gaulle et le docteur Mahée
  • 14 Par manque de fonds, la délégation régionale est supprimée en 1952.

14Pour ce qui est des relations avec le PRL, elles finiront par force par se distendre. L’envoi d’un chargé de mission destiné à reconstituer le groupement en janvier 1949, puis l’arrivée en avril 1949 d’André Astoux (à la fois très actif et aussi intransigeant que les militants locaux) en tant que délégué régional en charge de l’Aube, contribueront aussi à améliorer les relations avec le Centre National14.

Une implantation contrastée

Les structures départementales

  • 15 Note du général de Gaulle du 26 novembre 1948.

15Les structures déliquescentes du RPF aubois sont reconstituées au moment même où l’organisation du Rassemblement est modifiée15. Au plan départemental, on passe alors d’un Secrétariat puis Comité départemental à une organisation double. D’une part la Délégation départementale – en fait presque entièrement composée des anciens membres du Comité départemental qui assurait l’essentiel de l’activité – et un Conseil départemental (chargé de la gestion financière et ayant un rôle consultatif) élu sur la base géographique (cantonale) et professionnelle.

16Au plan local, il y a quatre délégués d’arrondissement (Troyes, Bar-sur-Aube, Bar-sur-Seine, Nogent) et des délégués cantonaux (26 cantons dans l’Aube). C’est à eux que revient réellement le rôle de fortifier l’implantation ; concrètement il s’agit de créer des groupes d’arrondissement, des sections cantonales, de susciter des adhésions, de récupérer les cotisations, de placer des abonnements au Rassemblement et de préparer les réunions de propagande.

17Qui sont les cadres du RPF aubois ? Sans surprise, on trouve de nombreux résistants dans les instances dirigeantes, en particulier la délégation départementale, pour une proportion de 40-50 % suivant les années. Les quatre délégués d’arrondissement sont tous d’anciens résistants. Les résistants sont aussi représentés au sein du Conseil et parmi les délégués cantonaux – cela est conforme aux cas de nombreux autres groupements. Sans surprise, ils viennent de Ceux de la Libération, du BOA, mais surtout des FFI et de l’Armée Secrète auboise, un seul ayant été membre des FTP.

18Ceci renvoie aux origines politiques de ces responsables ; en effet, le RPF aubois n’a pas recruté de personnalités réellement ancrées à gauche. Toutefois, si l’on exclut les ralliés temporaires du PRL, les personnalités ont deux types de profil. Une partie est issue de la droite (ex-PSF comme Chandon de Briailles, Vigo) mais plus encore des indépendants et du parti radical, en particulier en ce qui concerne les petits notables locaux devenus délégués cantonaux. C’est d’ailleurs au sein du parti radical que se trouverons les plus fidèles, même après la rupture du parti avec le RPF, comme le député Louis Briot et le délégué cantonal le plus actif, Demussy. Les autres – parmi lesquels les membres les plus importants comme les délégués Mathieu, Mahée ou Danésini – n’avaient pas eu d’engagement politique avant la guerre, et ils ne sont venus à la politique que par la résistance et le gaullisme. Pour eux, tel Hubert Danésini, cet engagement s’inscrit dans la continuité de leur action dans la Résistance. Fidèles aussi en cela à l’objectif initial du Rassemblement, ils se piquent, comme le Dr Mahée l’affirme au lendemain de son élection comme premier adjoint à Troyes, de ne pas faire de politique.

19La délégation départementale auboise, bien que difficilement constituée, a donc un visage conforme aux vœux du Centre national, avec à sa tête pour une bonne part des hommes peu marqués politiquement et des résistants parmi les prestigieux et les plus unanimement respectés comme Mathieu ou Mahée. Hélas, ce manque d’expérience politique a son pendant, à savoir le manque d’activité et de rayonnement politique, que le double-jeu des élus PRL ne permet pas de compenser.

20Toutefois, cette homogénéité assure la cohésion du groupement. Quand les différents élus ou délégués venus du PRL démissionneront au printemps 1951 suite à la décision de non-apparentement, il n’y aura pas de crise au sein d’une délégation qui s’était déjà signalée dans les années précédentes par son intransigeance à leur égard. Sans surprise, les quelques flottements sont à mettre au débit des « radicaux » du RPF aubois (Briot, Demussy) mais ils ne quitteront pas pour autant le RPF, et lors du discours de de Gaulle le 13 juin 1951 à Sainte-Savine, les responsables locaux demandent même au général de s’en prendre aussi aux Indépendants…

Une implantation inégale

  • 16 Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent. Le Parti communiste français à la Libération, Paris (...)

21N’en déplaise aux compagnons qui réclament alors plus d’attention de la part du Centre National, l’Aube constitue un groupement modeste. Eu égard aux débuts difficiles et à la retenue initiale du PRL, le maximum des adhésions est atteint à l’été 1949, avec 1800 adhérents environ, même si la police a cru qu’il avait beaucoup plus recruté dès 1947. Il faut toutefois mettre cela en rapport avec les chiffres des autres partis du département. Selon les rapports de police en général optimistes, le PRL, le MRP ou le Parti Radical ne comptent pas plus de quelques centaines de membres. Quant au Parti Communiste, après un pic de 5 500 adhérents en 1946, il n’en compte qu’environ 4 000 en 194716, et ce chiffre a sans doute décru par la suite. Il faut donc relativiser la faiblesse des effectifs dans un département à faible mobilisation militante. Passé 1949, le RPF aubois tombe brutalement à 500-600 adhérents, et après 1953, il cesse de solliciter les adhésions.

  • 17 Basé sur l’échantillon de membres du RPF que nous avons pu identifier à partir de nos travaux d’ar (...)

22Une faiblesse plus importante du RPF est l’étroitesse relative de sa base sociologique. Nous n’avons pas pu établir de statistique sur l’ensemble des compagnons aubois, mais l’échantillon d’adhérents à notre disposition17 montre que le cas aubois ne contredit pas les estimations faites au niveau national ou dans d’autres groupements départementaux. En effet, les catégories prédominantes sont celles que l’on pourrait qualifier de classes moyennes, avec une sur-représentation des artisans et commerçants, des employés et des patrons. Par contre, les deux catégories qui forment la plus grande partie de la population active auboise à cette époque, à savoir les ouvriers (plus de 42 %) et les agriculteurs et salariés agricoles (17,9 plus 7,1 % soit 25 %) sont sous-représentés.

23Le RPF semble avoir eu du mal à s’implanter dans des milieux ouvriers aubois ayant une tradition syndicale et politique relativement forte – en 1945-1946, PCF et SFIO totalisent autour de 50 % des votes aux législatives. Dans ce département comme dans d’autres, le RPF fait l’objet d’un tir de barrage immédiat de la part de la gauche, et son programme ne parvient pas à arracher un nombre significatif de membres au PCF ou à la SFIO.

  • 18 En 1936, il était candidat sous l’étiquette des Comités d’Action et de Défense Paysanne.

24Plus surprenante est la faible audience au sein des milieux agricoles, en dépit de l’action de Louis Briot, négociant en grain. En fait la FDSEA conserve une forte influence – elle présente parfois ses propres candidats – et n’a pas été séduite par le RPF. Comme la majeure partie du monde paysan, elle lui préfère André Mutter, ex-membre du Mouvement Dorgères avant guerre18, qui met toujours sur ses listes les candidats paysans les plus populaires comme le député Henri Roulon dit « la betterave » ou le conseiller général Labonde.

Les disparités géographiques

  • 19 Nous avons utilisé un indice d’implantation, calculé en divisant le pourcentage des adhérents du c (...)

25Les disparités dans l’implantation géographique sont encore plus spectaculaires. Nous avons établi deux cartes, la première est celle des résultats des élections législatives de 1951, la seconde est celle de l’implantation militante19, qui font apparaître une assez grande concordance dans les importantes inégalités de l’implantation tant militante qu’électorale.

Résultat des législatives de 1951 dans l’Aube

Niveau d’implantation du RPF dans l’Aube

26Apparaissent nettement deux types de zones de faiblesses. Ce sont d’abord les secteurs correspondant aux villes ouvrières : Troyes et son agglomération (à l’exception notable de Sainte-Savine), Romilly-sur-Seine, ainsi que le pays d’Othe (qui comprend de nombreuses entreprises textiles ou forestières) au Sud-Ouest. Ce sont des zones ancrées à gauche, de forte implantation PCF-SFIO, sur lesquelles le RPF n’a pas réussi à vraiment à mordre. Si Troyes passe au centre-droit en 1947, c’est grâce à l’union des modérés et à la division entre PCF et SFIO, mais cela ne suffira pas pour enlever Sainte-Savine ou à Romilly.

  • 20 Arcis, Nogent, Chavanges, Marcilly, Méry, Ramerupt, Romilly, Villenauxe.
  • 21 Le candidat du parti agraire Gustave Magnan se désistant pour lui au second tour. Denis Coton, Un (...)

27Le second grand espace est le Nord/Nord-Ouest du département, qui est la zone d’influence privilégiée d’André Mutter et coïncide grossièrement avec la circonscription20 dans laquelle il s’était déjà présenté en 1936. C’est aussi là que se concentre le vote des céréaliers et betteraviers dont il était déjà le candidat avant-guerre21. En juillet 1947, aucun des cantons dans cette zone n’a d’ailleurs de secrétaire cantonal RPF.

28Quant à aux régions de forte implantation, il s’agit avant tout de l’Est et plus encore du Sud-Est du département – la petite région du champagne aubois… Comment l’expliquer ?

  • 22 Bar-sur-Aube, Bar-sur-Seine, Brienne, Chaource, Essoyes, Mussy, Les Riceys, Soulaines, Vendeuvre.
  • 23 Michel Baroin, Les Aubois et la politique sous le IIIe et IVe Républiques, Paris, Esper, 1970, pag (...)

29D’abord par l’héritage politique. La circonscription des Deux-Bars22 qui correspond peu ou prou à cette zone, était certes acquise à la gauche depuis les années vingt, mais se distinguait cependant, y compris en 1936, par des scores plus faibles qu’ailleurs de la part de la SFIO et du PCF. Depuis le vote par circonscription (1 928) elle était de fait dominée par les radicaux, mais en 1936, les voix avaient été quasiment également partagées entre le radical et le modéré au second tour23. Cette place des notables modérés et du parti radical explique sans doute qu’après-guerre cette zone ait été moins rétive à l’implantation du RPF, d’autant plus que les radicaux n’ont alors plus de vrai chef de file et que la fédération locale se montre tardivement mais résolument en faveur de l’alliance avec le RPF (que certains rejoindront définitivement, comme Briot). À noter qu’aux législatives de 1951, c’est dans ce secteur que l’on compte le moins d’abstentionnistes, que le Rassemblement a sans doute aussi su attirer à lui.

30Une autre explication est l’influence des diverses personnalités de la délégation. Les cantons où l’implantation est la plus forte sont globalement ceux où de rares secrétaires cantonaux sont établis dès juillet 1947, alors que l’organisation est encore squelettique. On remarque ainsi que les cantons solides du Sud-Est correspondent à la présence de personnalités et de délégués cantonaux vraiment actifs : Demussy, Tisserand à Mussy, Briot à Essoyes, Gauthier aux Riceys.

  • 24 En sont par exemple issus Briot (chef de section) et Danésini (capitaine).
  • 25 Même s’il faut toujours se méfier des perceptions partisanes, les responsables RPF que nous avons (...)

31Dernier élément d’explication : l’héritage de la forte présence de maquis FFI. Si l’on esquisse brièvement la géographie des différentes organisations résistantes dans le département, on remarque une coïncidence entre la zone de force du Sud-Est – le Barséquanais – et le grand maquis FFI « Montcalm » (du nom de son chef) de Mussy-Crancey24, bien organisé et ayant dû faire face à de durs combats. Dans l’Est, également plus « gaulliste » que le reste du département, il y a là à la fois l’implantation de FFI, faisant suite à celle de l’Armée Secrète auboise pour l’essentiel, et du BOA. Par opposition, le pays d’Othe, le Nogentais et la région de Romilly sont des zones de – relative – prépondérance des FTP25.

  • 26 Étant bien entendu que la légitimité résistante a été de fait capitalisée par plusieurs partis, et (...)
  • 27 AD Aube, NA 10 106.

32De plus, dans le Sud-Est, certains de ces FFI avaient déjà directement investi les lieux du pouvoir local26. Par exemple, dans l’Aube, il y eut peu de CLL, et assez tardifs. Le seul qui ait fait montre d’une réelle existence et d’une modeste activité comme en témoignent les PV est celui des Riceys, constitué en janvier 1945 et élu à main levée par une assemblée de résistants, essentiellement FFI et CLV, mais aussi communistes FTP27. Son vice-président n’est autre que Maître Henri Gauthier, membre de Ceux de la Libération, puis du CDL, élu conseiller général des Riceys en octobre 1951 (et ennemi personnel de Mutter au sein de Ceux de la Libération…)

  • 28 AD Aube, SC 4197, Rapport du préfet de l’Aube au Ministre de l’Intérieur, Bureau Politique, 14 fév (...)
  • 29 Évidemment, le phénomène n’est pas observable en ces termes dans tous les cas : à Méry-sur-Seine, (...)

33Dans le même ordre d’idée, si l’on examine les délégations municipales destinées, dans les communes de plus de 2000 habitants et dans les chefs-lieux de canton, à remplacer les municipalités de l’occupation, les résistants sont loin d’entrer partout en nombre. Dans les grandes villes, c’est avant tout une affaire de dosage politique entre les trois grandes formations PCF-SFIO-PRL. En ce qui concerne les chefs lieux de canton, on note un renouvellement important par apport de résistants à Nogent-sur-Seine, à Villenauxe-la-Grande, à Aix-en-Othe, ainsi qu’à Lusigny-sur-Barse, Piney, Mussy-sur-Seine et aux Riceys28. Mais alors que dans les premières communes citées (de l’Ouest et du Nord-Ouest) il s’agit plutôt de résistants de gauche, dans celles de l’Est ou du Sud-Est, ce sont surtout des modérés et des gaullistes venus du maquis FFI29.

34À noter que ce partage entre zones de force et de faiblesse perdurera : aux élections du 2 janvier 1956, les Républicains Sociaux s’écroulent mais les points de relative « résistance » sont l’Est et plus encore le Sud-Est, tandis que les scores les plus bas sont atteints dans les villes de Troyes, Romilly et Nogent.

Les formes de l’action militante

Un petit noyau de militants réellement actifs

  • 30 Si on compare au sein des archives du RPF (FCDG) les paragraphes des rapports régionaux rendant co (...)

35De l’avis même des différents chargés de missions et délégués régionaux, le groupement aubois est composé de militants dévoués et sérieux, mais dont l’activité est bien trop faible à leur goût30. Il y a en fait seulement un petit noyau de militants et plus encore de cadres départementaux dynamiques. Les membres du Conseil départemental n’ont guère qu’un rôle de gestion et de consultation dont ils ne s’acquittent même pas.

36Concernant les délégués cantonaux, ils sont souvent rappelés à l’ordre pour leur passivité, et de fait, seuls les personnalités résistantes du Barséquanais ont une action réelle – qui n’est sans doute pas pour rien dans l’importance de l’implantation militante comme nous l’avons vu. Quant aux élus (députés, conseiller de la République, conseillers généraux et maires), en particulier ceux qui étaient venus du PRL ou qui ont la double appartenance, ils n’ont pas ou peu de contacts avec le groupement, et n’ont aucune activité au sein ou au service du RPF, au grand dépit des compagnons.

37Comment expliquer cette faiblesse de la vitalité militante ? Il faudrait selon nous, comme nous l’avons fait pour l’implantation, mettre cela en rapport avec les us politiques du département. À droite et au centre, le PRL ou les radicaux sont peu actifs et constituent des partis modérés essentiellement bâtis sur l’influence de leurs personnalités. Même le PCF aubois, plus nombreux et héritier de fortes traditions ouvrières locales, en particulier à Troyes et Romilly, est stigmatisé par le Parti à cause de son manque de combativité et d’activité.

Compagnons du RPF de l’Aube lors des assises de 1952

Compagnons du RPF de l’Aube lors des assises de 1952
  • 31 À la tête du Centre National depuis septembre 1954 en remplacement de Louis Terrenoire.

38Soulignons néanmoins que ce groupe restreint de militants fait preuve d’une belle constance. Lorsque les effectifs du Rassemblement aubois décroissent après l’échec de 1951, c’est lui qui continue à se réunir, y compris après 1952 quand le RPF aubois cesse tout effort de recrutement. Le délégué départemental, le Dr Mahée ne résilie le bail de la permanence RPF faute d’activité qu’en 1955. Il prolonge sa correspondance avec Jacques Foccart31 et la diffusion du Courrier d’Information jusqu’à la fin totale et définitive du Rassemblement à l’été 1955. Ce petit groupe de fidèles constituera même, autour du député Louis Briot, les Républicains Sociaux de l’Aube – en tout une quinzaine d’anciens compagnons…

L’action des différents groupements

39Le RPF a à partir de la réforme de l’automne 1948 une double base : l’une territoriale, que nous venons d’analyser brièvement, et l’autre professionnelle (APS, Action Professionnelle et Sociale), qui regroupe les compagnons suivant leurs catégories sociales. Ce sont ces groupements qui ont finalement le plus grand rôle.

40Nous passerons vite sur l’Action Agricole, qui n’est pas une grande réussite au plan national, et est un échec cuisant dans l’Aube : nous l’avons vu, le RPF ne réussit pas à contrecarrer l’influence de Mutter dans le monde paysan.

  • 32 Jacques Soustelle s’emporte contre « l’inaction des responsables de la Marne et de l’Aube en matiè (...)
  • 33 Cahier de l’Action Ouvrière no 1, Le groupe d’entreprise RPF, édité par le Rassemblement Ouvrier, (...)

41Le bilan de l’Action Ouvrière est plus appréciable. Le démarrage est lent32, sans doute à cause des difficultés initiales du RPF aubois, mais aussi à cause du désintérêt de ses membres pour l’AO et des réticences du patronat local vis-à-vis de l’Association Capital-Travail. L’Action Ouvrière débute vraiment avec le ralliement d’un ouvrier métallurgiste secrétaire de l’Union Départementale des Syndicats CFTC de l’Aube, André Bugnot, nommé délégué à l’Action Ouvrière à partir de mai 1949. Son principal rôle est alors de mettre en place des groupes d’entreprises, « cellule politique du Rassemblement dans l’usine33 », sorte de bases avancées du RPF en milieu ouvrier ou professionnel qui ne doivent pas jouer de rôle syndical et sont donc vouées à agir en fonction des objectifs politiques du Rassemblement. Fin 1948, il n’y a qu’un seul groupe d’entreprise, le maximum étant atteint en janvier 1950 avec sept groupes (soit peut-être 200 à 250 membres) implantés dans trois entreprises métallurgiques, une dans le verre, une dans l’alimentation, une dans la banque et une seule dans le textile (cinq à Troyes, deux dans l’Est – Bayel et Bar-sur-Aube – aucun à Romilly…) Cela confirme le fait que le RPF ne réussit pas à s’enraciner dans le monde ouvrier, y compris dans le textile pourtant pléthorique à Troyes et Romilly.

42De plus, les compagnons de l’AO membres de groupe d’entreprise restent isolés – aucun groupe ne publie de journal d’entreprise à notre connaissance – et même ostracisés : la CGT est depuis le début ouvertement hostile, la CFTC finira par l’être et Bugnot devra démissionner de son poste de Secrétaire des Syndicats des Métaux CFTC fin 1949.

43Finalement, le groupement APS le plus dynamique est sans doute celui du RJF, fondé en février 1948 par Hubert Danésini et ayant une activité plutôt régulière, malgré le manque de fonds et l’indifférences des délégués cantonaux. Ses membres sont pour la plupart des enfants de militants RPF (entre 50 et 70), surtout des étudiants, avec une représentation dans la moitié des cantons du département environ. Les membres du RJF sont organisés en un Comité, avec des responsables à l’organisation, la propagande, à la solidarité, aux groupes d’entreprises, aux sports. Ils se réunissent régulièrement pour parler des directives, prendre des décisions, discuter de divers sujets. Ces jeunes sont à l’origine du premier groupe d’entreprise aubois, et créent même des groupes de solidarité (envoyant des colis, journaux, mandats pour les compagnons en Corée ou en Indochine). Ils pratiquent en outre le sport (judo, tir) et des sorties champêtres. La disparition du RJF en octobre 1950 n’entame pas l’ardeur de ces jeunes, qui continuent à fournir une intense activité au service du Rassemblement, y compris après 1951, reconstituant même des Comités de Diffusion du Rassemblement (CDR) entre 1952 et 1954.

L’activité principale du groupement : la propagande

44Les militants les plus entreprenants, c’est-à-dire certains délégués du RPF aubois, les militants de l’AO ou les jeunes du RJF ont pour emploi principal la propagande au service du Rassemblement. Celle-ci est essentiellement destinée à préparer les échéances électorales, municipales, cantonales et bien entendu législatives. De fait, quand l’espoir de parvenir au pouvoir par les élections s’évanouit en 1951, l’activité du groupement s’effondre.

45Le problème de la propagande du Rassemblement est tout d’abord de ne pas disposer d’un journal en propre. De fait, le RPF est obligé de compter sur la bienveillance des journaux déjà existants. Le journal qui pouvait les aider est bien entendu l’Est-Eclair, le grand journal de droite du département, mais il est d’obédience PRL (André Mutter fait partie du comité de rédaction). Sans s’engager ouvertement aux côtés du Rassemblement, il passe les communiqués et articles du RPF (venu du Centre National en général) de façon hebdomadaire, et apporte un soutien important lors de la campagne du Timbre de 1948, des élections ou des réunions (les réactions et les commentaires étant d’ailleurs d’autant plus longs et élogieux que les réunions ont une tonalité anti-communiste…). Quand les relations se brouillent de façon définitive en 1951, le RPF n’a plus accès aux pages du journal. Même si les relations du RPF avec le petit monde catholique aubois ne sont pas très étroites, L’Indépendant de l’Aube, journal catholique favorable au MRP, continue, lui, à faire passer la propagande du RPF jusqu’en 1954, en particulier dans des tribunes libres, mais sa diffusion est beaucoup plus limitée.

46Les compagnons n’ont pas les moyens et le dynamisme suffisants pour fonder leur propre journal, et à l’instar de ce qui se passe au PCF, des équipes de CDR (surtout des jeunes ou des membres de l’AO) se chargent de vendre l’édition nationale. Les abonnements ne semblent d’ailleurs pas avoir été bien nombreux. La propagande est donc essentiellement passée par deux vecteurs.

47Le premier est basé sur les tracts et les affiches, qui sont d’émanation nationale, souvent issues des journaux, dont la distribution ou le collage est avant tout assuré par les jeunes du RPF. Ces affiches, tracts, papillons sont collées essentiellement à Troyes, et par soucis d’efficacité, dans les grandes artères et en général pour les élections ou avant les réunions publiques. Cette tâche s’accompagne de la lacération, du sur-affichage et du goudronnage des affiches adverses, mais les rencontres nocturnes avec leurs homologues du Parti Communiste ne vont pas plus loin que quelques horions selon les mots même de Hubert Danésini qui mène alors les jeunes.

  • 34 André Astoux, L’Oubli, page 256 et L’Est-éclair, 14 juin 1951. C’était le 13 juin, le soir même où (...)

48Le deuxième biais est celui des réunions. Nous ne reviendrons pas sur les voyages du général de Gaulle sur lesquels Elisabeth Yverneau a fait une communication très complète. En dehors des réunions épisodiques d’orateurs nationaux peu prestigieux, l’essentiel des réunions sont des réunions publiques locales. Là encore, les premiers efforts sont initiés en octobre 1949, avec des réunions d’information hebdomadaires destinées à faire connaître la position politique du Rassemblement dans les différentes communes du département. Dès la fin de 1950, en vue des législatives, cet effort est particulièrement poussé, la sorte de dépression qui touchera le groupement par la suite se répercutant aussi sur la tenue des réunions. Celles-ci sont publiques (au contraire des réunions des autres partis modérés, souvent privées) et même parfois contradictoires. De ce point de vue, le RPF se montre beaucoup plus audacieux que le PRL, les radicaux ou le MRP, en tenant plus de réunions, y compris dans des zones acquises aux communistes dans lesquelles nul autre, même pas les socialistes, ne vont. Toutefois, André Astoux raconte que la seule fois où il s’est fait vertement reconduire à la sortie d’une réunion électorale, c’était celle des Indépendants auxquels il venait apporter la contradiction après le refus des apparentements34

49Au total, le RPF produit un effort de propagande qui n’apparaît pas constant, mais qui, compte tenu de son extension géographique et de son intensité par rapport aux pratiques en cours dans le département, le place effectivement en seul véritable concurrent du Parti communiste.

Conclusion

50Le RPF aubois constitue donc un groupement classiquement composé à la fois de ralliés issus de la droite ou du radicalisme, et de résistants venus à la politique par gaullisme. Il se révèle d’ailleurs assez intransigeant avec la droite – ce qui pose problème au Centre National, même si cela correspond en théorie à l’idéal recherché et assurera finalement sa cohésion ultérieure. Cependant, en dehors d’un noyau de responsables, de militants et de jeunes, il est relativement peu actif. Son but est essentiellement de soutenir l’effort électoral du Rassemblement par la propagande, et après 1951, le RPF aubois entre dans un rapide déclin.

51Il faut cependant se garder d’un jugement trop sévère pour un groupement plus modeste que ceux des autres départements de l’Est de la France. D’abord parce que le RPF s’est implanté dans un département peu militant, où il tranche avec la culture de comités et parvient malgré tout à faire figure de principal concurrent au PCF. Ensuite car avec le retard accumulé au début et les problèmes posés par le PRL, le RPF aubois n’aura finalement fonctionné pleinement qu’un an et demi. Enfin, parce que si les principaux responsables ne sont pas assez politiques pour ancrer durablement le mouvement, ce sont des gaullistes convaincus qui maintiendront la flamme durant les années 1950.

Louis Briot, du RPF à l’UNR

Louis Briot, du RPF à l’UNR
  • 35 Selon Raymond Wadel, les militants reviennent cependant moins nombreux qu’à l’époque du RPF.

52De fait, ce sont pour la plupart des ex-membres RPF qui reprendront du service en 1958 – en particulier Louis Briot et ses proches et formeront les premiers cadres UNR dans le département (Raymond Wadel devient secrétaire fédéral de l’UDR de 1967 à 1973). Mais certains militants ou responsables du RPF, au premier chef le Dr Mahée, ne reviendront pas35 et se tiendront désormais éloignés de la politique. L’enracinement électoral et militant du gaullisme aubois sous la Ve République découle certes pour partie de l’expérience du RPF, mais l’Aube ne deviendra un bastion gaulliste qu’avec la fin des années 1960 et le début des années 1970.

Notes

1 En 1950, Jacques Fauvet estime que l’Aube fait partie des départements de « forte influence » du RPF, au même titre que la plupart des départements d’Alsace-Lorraine (Les forces politiques en France, Paris, Éditions Le Monde, 2e édition, 1950, pages 231-232). Basée sur une lecture comptable des résultats électoraux de 1948-1949, cette appréciation est, comme nous le verrons, à nuancer fortement.

2 Rapport sur l’Aube, 4 juillet 1947, Élections Municipales, Dossier Aube, Fondation Charles de Gaulle (FCDG).

3 S’il est impossible de connaître le chiffre des inscrits au RPF – le groupement départemental adhère aux statuts nationaux le 20 juillet 1947 – la faible structuration sur le territoire aubois est évidente.

4 Témoignage de Jacques Foccart, 14 février 1996, dans Fondation Charles de Gaulle, Avec de Gaulle. Témoignages. Tome 2 : Le temps du Rassemblement (1946-1958), Paris, Nouveau Monde Éditions, 2005, page 202.

5 Archives Nationales (AN), F1 a 4020, Rapport du préfet de l’Aube au Commissaire de la République pour la Champagne, 24 septembre 1944.

6 Il prend le titre de délégué départemental le 23 décembre 1947.

7 Archives Départementales de l’Aube (AD Aube), SC 4273, rapport des Renseignements Généraux de Troyes sur la vie politique, avril 1946, page 93.

8 Lors des élections de 1936, alors que les forces de gauche l’avaient largement emporté lors des précédents scrutins, la droite progresse – tout en restant toutefois minoritaire face aux candidats de la gauche.

9 En 1958, il est nommé Ministre de l’Algérie du gouvernement Pflimlin en remplacement de Robert Lacoste, et contre la volonté du groupe des Indépendants d’Algérie, il se fait fort de partir à Alger pour ramener les insurgés à la raison…

10 Mutter est exclu du PRL le 8 mai 1947.

11 Pour être juste, il convient cependant de remarquer que cette orientation en faveur de l’amnistie et de la réhabilitation de Vichy semble s’être faite en dépit de Mutter, sous la pression d’ex-collaborateurs qui financent alors son journal. Ceux-ci évincent d’ailleurs Mutter en septembre 1949 et fusionnent le titre avec Réalisme en novembre 1951. Voir AN, 4 AG 99.

12 Lettre de Garric à Desanges (chargé de mission 1947), 24 septembre 1947, Dossier départemental Aube, FCDG.

13 Témoignage du Dr Mahée.

14 Par manque de fonds, la délégation régionale est supprimée en 1952.

15 Note du général de Gaulle du 26 novembre 1948.

16 Philippe Buton, Les lendemains qui déchantent. Le Parti communiste français à la Libération, Paris, Presses FNSP, 1993, page 326.

17 Basé sur l’échantillon de membres du RPF que nous avons pu identifier à partir de nos travaux d’archives.

18 En 1936, il était candidat sous l’étiquette des Comités d’Action et de Défense Paysanne.

19 Nous avons utilisé un indice d’implantation, calculé en divisant le pourcentage des adhérents du canton par rapport au total des adhésions par le pourcentage représenté par la population du canton par rapport à celle de l’ensemble du département. Inférieur à 1, le canton a proportionnellement moins d’adhérents pour sa population que dans la moyenne du département, supérieur à 1 il en a proportionnellement plus.

20 Arcis, Nogent, Chavanges, Marcilly, Méry, Ramerupt, Romilly, Villenauxe.

21 Le candidat du parti agraire Gustave Magnan se désistant pour lui au second tour. Denis Coton, Un député-maire de Troyes. René Plard, 1888-1946, Langres, Éditions Dominique Guénot, 2005, pages 393-394.

22 Bar-sur-Aube, Bar-sur-Seine, Brienne, Chaource, Essoyes, Mussy, Les Riceys, Soulaines, Vendeuvre.

23 Michel Baroin, Les Aubois et la politique sous le IIIe et IVe Républiques, Paris, Esper, 1970, pages 211-213.

24 En sont par exemple issus Briot (chef de section) et Danésini (capitaine).

25 Même s’il faut toujours se méfier des perceptions partisanes, les responsables RPF que nous avons interrogés nous ont rapporté qu’ils avaient été frappés par le grand nombre d’adhésions de la part des FFI.

26 Étant bien entendu que la légitimité résistante a été de fait capitalisée par plusieurs partis, et ce dans de nombreuses communes du département.

27 AD Aube, NA 10 106.

28 AD Aube, SC 4197, Rapport du préfet de l’Aube au Ministre de l’Intérieur, Bureau Politique, 14 février 1945.

29 Évidemment, le phénomène n’est pas observable en ces termes dans tous les cas : à Méry-sur-Seine, canton rétif à l’influence gaulliste, entrent plusieurs résistants modérés, tandis qu’à Bar-sur-Seine, canton où l’on vote fortement RPF, il s’agit exclusivement d’hommes de gauche, principalement socialistes.

30 Si on compare au sein des archives du RPF (FCDG) les paragraphes des rapports régionaux rendant compte de l’activité de l’Aube par rapport à ceux concernant la Marne ou aux Ardennes, ils sont en effet bien plus brefs.

31 À la tête du Centre National depuis septembre 1954 en remplacement de Louis Terrenoire.

32 Jacques Soustelle s’emporte contre « l’inaction des responsables de la Marne et de l’Aube en matière d’organisation ouvrière », jugée « absolument intolérable ». Note de Soustelle à Desanges, 20 mai 1948, Dossier départemental Aube, FCDG.

33 Cahier de l’Action Ouvrière no 1, Le groupe d’entreprise RPF, édité par le Rassemblement Ouvrier, 1949.

34 André Astoux, L’Oubli, page 256 et L’Est-éclair, 14 juin 1951. C’était le 13 juin, le soir même où le général de Gaulle parlait à Sainte-Savine.

35 Selon Raymond Wadel, les militants reviennent cependant moins nombreux qu’à l’époque du RPF.

Table des illustrations

Titre André Diethelm et Gustave Alric
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-1.jpg
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Titre De Gaulle et le docteur Mahée
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-2.jpg
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Légende Résultat des législatives de 1951 dans l’Aube
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-3.jpg
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Légende Niveau d’implantation du RPF dans l’Aube
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-4.jpg
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Titre Compagnons du RPF de l’Aube lors des assises de 1952
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 55k
Titre Louis Briot, du RPF à l’UNR
URL http://books.openedition.org/pur/docannexe/image/122781/img-6.jpg
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