La conscription des années sombres (1813-1815)
p. 293-294
Texte intégral
1Les conscrits de 1813 ont donné leur nom à une œuvre littéraire qui traduit bien l’association dans la mémoire collective d’une époque où la conscription devient dévoratrice d’hommes avec la fin de l’épopée impériale, laquelle, de défaite en défaite, aboutit à la chute de l’Empereur.
2En réalité, il vaudrait mieux dire les conscrits levés en 1813 puisqu’aussi bien sont mis à disposition de l’État ceux qui appartiennent à la classe de 1814, voire à la classe de 1815.
3La machine conscriptionnelle est en plein emballement et c’est alors que Napoléon justifie pleinement sa réputation « d’ogre de Corse1 ». On observe une recrudescence de l’insoumission que provoquent des levées concomitantes à l’affaiblissement des mécanismes répressifs qui avaient pu masquer temporairement et partiellement le refus de la conscription et même fait croire à son acceptation progressive. Le fragile consensus vole en éclats2.
4À ne considérer que la conscription ordinaire, les exigences quantitatives de l’Empereur s’accroissent. Ce sont désormais cent cinquante mille hommes que la classe de 1814 doit fournir, et, à la fin de l’année 1813, cent soixante mille conscrits de 1815 sont à leur tour mis à la disposition du gouvernement pour être mobilisés au début de 1814.
5Mais le terme de conscription ordinaire a-t-il encore un sens ? L’essentiel du recrutement s’opère par le biais d’appels rétroactifs sur des classes antérieures à celle de 1814. On rétorquera que ces abus étaient devenus monnaie courante avant 1813 et que la période précédente avait quasiment institutionnalisé les entorses au système légal de la conscription. Ainsi l’utilisation de la garde nationale n’était-elle plus qu’une fiction masquant un appel effectif pour l’armée active. À cet égard cependant, l’année 1813 apporte du nouveau. Tout d’abord, la cadence des appels s’accélère puisque ce ne sont pas moins de cinq levées qui sont ordonnées. La rétroactivité s’étend fort loin désormais puisqu’en novembre 1813, c’est la classe de l’an XI qui est touchée au cours de ce qu’on a appelé « la levée des trois cent mille hommes ». Quantitativement parlant, les appels rétroactifs sont fort lourds : en janvier 1813, cent mille hommes des classes de 1809 à 1812 sont demandés, en avril les mêmes classes, ainsi que celles de 1806, 1807 et 1808, doivent fournir quatre-vingt mille hommes, en octobre la classe de 1814, qui quelques mois auparavant avait fourni son contingent ordinaire, se trouve ponctionnée d’un nombre presque égal à celui-ci, c’est-à-dire cent vingt mille hommes. Enfin, quelques semaines plus tard, c’est la levée des trois cent mille hommes qui englobe les classes de l’an XI à 1814. Cette fois, pour acquitter l’impôt du sang, il faut prélever des hommes du dépôt de droit.
6En outre, il convient de mentionner les levées spéciales qui frappent la Seine-et-Marne, d’abord une levée de cavaliers puis un appel de gardes d’honneur. On comprend pourquoi un auteur traitant de la conscription dans le Var a pu avancer l’idée qu’à peu près la moitié des conscrits levés en France pendant l’époque napoléonienne ont été enrôlés en 18133.
7En 1814, l’effondrement du régime enraie rapidement le fonctionnement de la conscription, rendant difficile une comparaison avec celui de l’année précédente, bien que certains traits l’en rapprochent, telles l’augmentation du contingent ordinaire et la multiplication des levées « spéciales » sous la forme de légions départementales.
8Mais un événement vient tout changer pour certains départements dont la Seine-et-Marne, celui de l’invasion. Le département est le théâtre d’une partie des opérations militaires de la campagne de France et il est confronté aux réalités de la guerre qu’il n’avait pas connues depuis l’époque de la Fronde. Cette fois, il ne s’agit plus de lever des hommes en vue de combats plus ou moins lointains mais de défendre son propre sol. Il s’agit donc étudier les réactions de l’opinion publique, non plus seulement face aux appels d’hommes mais face à une guerre nationale. Par ailleurs, l’effort de guerre revêt de nouveau les caractères d’une mobilisation économique comme lors de la Révolution, mobilisation largement amorcée il est vrai dès 1813.
9L’impression dominante pour l’année 1814 est celle de la résignation de l’opinion publique française devant la chute d’un régime devenu impopulaire. L’attitude d’un département touché par l’invasion est donc particulièrement significative et il est nécessaire d’étudier si elle est conforme à la lassitude générale que les historiens ont cru pouvoir déceler.
10Enfin, le terme de cette étude est l’épisode des Cent-Jours qui exige de la Seine-et-Marne un ultime effort, bien qu’il n’y ait pas de levée conscriptionnelle au sens strict du terme mais plusieurs rappels d’hommes. Il s’agit de ceux qui avaient accompli une certaine période sous les drapeaux. L’accueil fait à ces rappels est à mettre en étroite corrélation avec l’évolution de l’esprit public pendant la première Restauration.
Notes de bas de page
1 Jean Tulard note que « l’image est née spontanément dans les campagnes françaises devant les grandes levées de conscrits en 1813 » et que, reprise par les pamphlétaires, « elle triomphe en 1814 lorsque s’écroule l’Empire », Le mythe de Napoléon, Paris, A. Colin, 1971, p. 45. Mais il montre bien que cette image n’émerge qu’à cette date.
2 Annie Crépin, « La guerre et le nord de la France… », op. cit. ; Id., « L’apprentissage de la défense nationale… », op. cit.
3 Michel Marguerite, La conscription napoléonienne…, op. cit., p. 100.
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