1 Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 1985, p. 14.

2 Ibidem.

3 Voir notamment sur ce point Éric Peuchot, L’Obligation de désintéressement des agents publics, thèse dact., Paris II, 1987 ; Vassilios Kondylis, Le principe de neutralité dans la fonction publique, Paris, LGDJ, 1994.

4 Robert Catherine et Guy Thuillier remarquent que « du fait de sa formation mentale, de son milieu, l’administrateur – sauf rarissime exception – transpose spontanément dans l’exercice de sa fonction et avant même d’y ajouter ses propres valeurs, la plupart des principes généraux de comportement du corps auquel il appartient, renforcés à l’occasion par les valeurs plus spécifiques, plus directement philosophiques, laïques ou religieuses propres à son environnement personnel. Ainsi ces diverses données collectives intégrées par l’individu constituent-elles une certaine infrastructure morale moyenne dont l’action de l’administrateur sera, dès le départ, plus ou moins tributaire. Ainsi certaine exigence diffuse, spontanée, variable dans ses critères, se trouve-t’elle véhiculée dans tous les organes de l’État du seul fait qu’il faut bien des hommes pour les diriger et que l’administrateur apporte avec lui le “préjugé” moral de la société et du milieu d’où il sort et dans lequel le plus souvent il continuera de baigner », Science administrative, conscience et pouvoir, Paris, Montchrestien, 1974, p. 13 ; id., Introduction à une philosophie de l’administration, Paris, A. Colin, 1969. Pierre Bourdieu constate que « la meilleure attestation du fait que la pensée du penseur fonctionnaire est traversée de part en part par la représentation officielle de l’officiel, est sans doute la séduction qu’exercent les représentations de l’État qui, comme chez Hegel, font de la bureaucratie un “groupe universel” doté de l’intuition et de la volonté de l’intérêt universel ou, comme chez Durkheim, pourtant très prudent en la matière, un “organe de réflexion” et un instrument rationnel chargé de réaliser l’intérêt général », Raisons Pratiques. Sur la théorie de l’action, p. 105 et plus particulièrement, la partie 4, « Esprits d’État. Genèse et structure du champ bureaucratique ».

5 Robert Catherine et Guy Thuillier, Science administrative, conscience et pouvoir, op. cit., p. 4.

6 Pierre Legendre, Jouir du pouvoir. Traité de la bureaucratie patriote, Paris, Minuit, 1976, p. 131-132. Et comme le note plus loin l’auteur : « Un fonctionnaire n’a pas figure humaine, il est un autre, il est une espèce de saint, reflet de la sainte-image du pouvoir invisible et cependant partout répandu. Le fonctionnaire donne corps au pouvoir, mais en tant qu’humain lui-même ne convoite rien, il ne sait pas s’il a un désir », ibid.,p. 132. Robert Catherine et Guy Thuillier parlent quant à eux de « clercs laïques », Introduction à une philosophie de l’administration…, op. cit., p. 29-30. Sur les mystères de l’État dont parle Pierre Legendre, cf. Ernst H. Kantorowicz, Mourir pour la patrie, Paris, PUF, 1984. Dans un tout autre contexte, voir aussi Étienne Balazs, La bureaucratie céleste. Recherches sur l’économie et la société de la Chine traditionnelle, Paris, Gallimard, 1968.

7 Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, op. cit. p. 111 et suivantes.

8 Max Weber, Sociologie des religions, Paris, Gallimard, 1996, p. 311.

9 Max Weber distingue l’ascèse extramondaine (hors du monde) de l’ascèse intramondaine (dans le monde) où : « Dans ce dernier cas, le monde devient un “devoir” […] notamment dans le sens où la tâche consiste à remodeler le monde selon les idéaux ascétiques. L’ascète devient alors un réformateur ou un révolutionnaire rationnel agissant au nom du “droit naturel”… », ibidem, p. 194.

10 Ibid., p. 311. Max Weber note par ailleurs que le propre de l’administration est « sa précision, sa permanence, sa discipline, son rigorisme, la confiance qu’elle inspire », Économie et société, Paris, Plon, 1971, p. 229.

11 Sur cette acception de la généalogie, voir Pierre Legendre, Leçons IV, L’inestimable objet de la transmission. Étude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1985 ; id., Leçons VII Le désir politique de Dieu. Étude sur les montages de l’État et du droit, Paris, Fayard, 1988, p. 44-45 notamment.

12 L’emploi des guillemets semble de rigueur tant le jansénisme fut, ainsi que nous le verrons, pluriel et parce que ce qualificatif fut récusé par les « jansénistes » eux-mêmes, ce terme étant souvent employé par leurs détracteurs.

13 Michel de Certeau a déjà noté combien « les institutions politiques utilisent les institutions religieuses, y infiltrent leurs critères, les dominent de leur protection, les destinent à leurs objectifs » et ainsi comment on peut passer « d’une organisation religieuse à une éthique politique ou économique », L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975, p. 165. Voir aussi Vincent Bernard et Jean-Philippe Genet, État et église dans la genèse de l’État moderne : actes du colloque, Madrid, Casa de Velázquez, 1986. Dans une perspective plus large, dépassant le seul cadre de l’Occident, on pourra se reporter aux travaux de Arthur M. Hocart, Rois et courtisans, op. cit., et notamment p. 231 et suivantes sur les rapports Église/État.

14 Formation qui n’est pas la mienne, étant sociologue. Or la démarche historienne ne s’improvise pas, elle exige un long apprentissage aux règles précises que la seule bonne volonté ne permet pas d’acquérir. J’espère donc ne pas avoir trop malmené l’histoire, même si, malheureusement, des contresens, oublis, méprises ont certainement été commis. C’est pourquoi, on me permettra, toute comparaison gardée bien entendu, de citer ces quelques mots de Marc Bloch : « Parmi les personnes qui me liront, beaucoup sans doute seront choqués par des erreurs et surtout par des omissions ; il est des travaux que l’on garderait éternellement en portefeuille, si l’on voulait s’astreindre à y éviter, non seulement les lacunes imprévues, mais encore celles-là même que l’on pressent, sans pouvoir les combler ; celui que je présente aujourd’hui au public est du nombre », Les Rois thaumaturges. Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale particulièrement en France et en Angleterre, Paris, Gallimard, 1983, p. XL. Afin d’ailleurs d’éviter toute confusion, s’il faut qualifier ce travail, on lui préférera l’épithète de sociologie des temps passés à celui de sociohistoire ou de sociologie historique reprenant ainsi les termes de Norbert Elias, « Le repli des sociologues dans le présent », Genèse,n ° 52, sept. 2003, p. 133-151.

15 Au risque d’avoir peut-être un peu trop négligé le contexte et d’avoir préféré la logique du discours aux circonstances et événements politiques.

16 Bien évidemment, comme l’ont montré nombre d’historiens, l’émergence et le développement de l’administration est concomitante, en Occident du moins, de ceux de l’État et de la centralisation des fonctions militaires, fiscales, juridiques. On pourra se reporter notamment aux travaux de Jean-Philippe Genet et Michel Le Mené, Genèse de l’État moderne : prélèvement et redistribution : actes du colloque de Fontevraud, 1984, Paris, CNRS éditions, 1987 ; Neithard Bulst et Jean-Philippe Genet, La ville, la bourgeoisie et la genèse de l’État moderne (XII^e-XVIII^e siècles) : actes du colloque de Bielefeld, 29 nov. -1^er dec. 1985 , Paris, éd. du CNRS, 1988 ; Jean-Philippe Genet, L’État moderne : genèse, bilan et perspectives : actes du colloque tenu à Paris les 19-20 sept. 1989, Paris, CNRS éditions, 1990 ; Joseph R. Strayer, Les origines médiévales de l’État moderne, Paris, Payot, 1979 ; Charles Tilly, The formation of national States in Western Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975. Sur le terme même de bureaucratie Catherine Kawa rappelle dans son étude sur le ministère de l’Intérieur, que le mot date du XVIII^e siècle et serait sorti de la plume de l’économiste Gournay. L’auteur montre combien le terme va être très tôt chargé de sens, généralement de façon péjorative, à tel point que « la bureaucratie est devenue un personnage collectif, doué d’une puissance abusive, d’un comportement répréhensible, d’une attitude hautaine, de sentiments politiques douteux, en un mot d’une personnalité maligne autant que mystérieuse », Les ronds-de-cuir en Révolution. Les employés du ministère de l’Intérieur sous la Première République, 1792-1800, Paris, éd. du CTHS, 1997, p. 10. La représentation caricaturale du bureaucrate prenant forme avec Fouilloux et sa « Grande Indignation du Père Duchêne. Contre les bureaucrates, tous sacrés jean-foutres » (cité par C. Kawa, ibidem, p. 16). En plus de cet ouvrage, on consultera ses nombreux articles sur les employés de bureau de la période révolutionnaire même si, en ce qui nous concerne, nous traiterons davantage dans les pages qui suivent des administrateurs (c’est-à-dire de ceux qui ont des fonctions délibératives) que des commis et employés.

17 Alexis de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, Paris, Flammarion, 1988.

18 Françoise Dreyfus, L’invention de la bureaucratie. Servir l’État en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis (XVIII^e-XX^e siècle),Paris, La Découverte, 2000, p. 10.

19 Ibidem, p. 11.

20 Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 1997, p. 31. L’auteur note également que « la mise en suspens de la nécessité économique et sociale est ce qui autorise l’émergence de champs autonomes, sortes d’“ordres” (au sens de Pascal) ne connaissant et ne reconnaissant que la loi qui leur est propre… », ibid., p. 27. Relativement à ce processus d’autonomisation et conséquemment à l’imbrication initiale des différents « champs » entre eux, Norbert Elias remarquait que : « Dans les sociétés des États dynastiques, avec les élites de la cour, on considère encore comme allant de soi dans la vie sociale que les domaines privés et officiels ou professionnels se confondent dans une très large mesure. L’idée que l’on aurait pu ou dû les séparer ne se manifestait que de façon sporadique et sous une forme assez rudimentaire », La société de cour, Paris, Flammarion, 1985, p. XXIX.

21 Pour une approche critique de cette posture, Alain Caillé, Don, intérêt et désintéressement : Bourdieu, Mauss, Platon et quelques autres, Paris, La Découverte, 2005.