Introduction générale1
p. 13-27
Texte intégral
Ordre, (Métaph)
« La notion métaphysique de l’ordre consiste dans le rapport ou la ressemblance qu’il y a, soit dans l’arrangement de plusieurs choses coexistentes, soit dans la suite de plusieurs choses successives [...].
Tout ordre détermine donc la place de chacune des choses qu’il comprend, et la maniere dont cette place est déterminée, comprend la raison pourquoi telle place est assignée à chaque chose. Que l’ordre d’une bibliothèque soit chronologique, c’est-à-dire, que les livres se suivent conformément à la date de leur édition, aussi-tôt chacun a sa place marquée et la raison de la place de l’un contient celle de la place de l’autre.
Cette raison énoncée par une proposition s’appelle regle. Quand la raison suffisante d’un certain ordre est simple, la regle est unique ; quand elle peut se résoudre en d’autres, il en résulte pluralité de regles à observer [...]. Dans ce dernier cas l’observation des regles les plus importantes doit précéder celle des moins considerables. Les regles qui doivent être observées ensemble, ne sauroient être en contradiction, parce qu’il ne sauroit y avoir deux raisons suffisantes opposées d’une même détermination, qui soient de la même force. Il peut bien y avoir des contrariétés de regles, ou collisions qui produisent les exceptions ; mais dans ce cas, on sent toujours qu’une regle est plus etendue et plus forte que l’autre [...].
Il y a défaut dans l’ordre, toutes les fois qu’une chose n’est pas à la place que les regles lui destinent. Mais si certaines choses sont susceptibles d’être rangées de diverses manieres, ce qui est défaut dans un ordre, ne sauroit être censé tel dans un autre ordre. L’opposé de l’ordre, c’est la confusion, dans laquelle il n’y a ni ressemblance entre l’arrangement, les simultanés et l’enchainure des successifs, ni regles qui determinent les places [...].
Celui-là seul qui est derrière le rideau et qui connoît les moindres ressorts de la vaste machine du monde, l’Être suprême qui l’a formé et qui le soutient, peut seul juger de l’ordre qui y règne2. »
1L’article « ordre » de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert cité ci-dessus permet de réfléchir à cette notion structurante de l’Ancien Régime3. Il renvoie d’abord à un mode de rangement, où chaque chose trouve sa place par rapport à une autre composante. Dans ce sens, l’ordre renvoie à l’harmonie, assise sur l’énonciation de règles claires qui permettent de comprendre les présupposés du classement. Ainsi conçu, l’ordre urbain, terrain d’étude de cet ouvrage, comporte l’analyse des logiques qui donnent corps et unité aux différentes composantes de la ville, des règles de vie et de comportements en son sein, dans une lecture transparente et immédiatement accessible. Pourtant, la seconde partie de la définition apporte d’autres éléments. D’abord, les règles peuvent entrer en conflit, voire être contradictoires, il convient alors de les hiérarchiser pour repenser l’ordre, lui redonner une lisibilité. La ville moderne devient le paysage de ces contradictions et de ses intrications de logiques différentes et parfois conflictuelles entre le religieux et le politique, le forain et le bourgeois, le militaire et le civil, entre le catholique et le protestant, l’honnête et le délinquant, entre autres ! Ainsi l’ordre est relatif et peut changer. Il n’y a donc pas d’absolu de l’ordre, mais ce dernier résulte de pratiques et de compromis incessants. Comprendre l’urbain n’est donc pas seulement définir des règles générales et des cadres, mais s’interroger sur leur recomposition et les configurations qu’ils entraînent et/ou qui les remettent en cause dans la pratique quotidienne. De fait, l’ordre urbain est une polis, la police, c’est-à-dire la capacité à projeter une vision du vivre en commun qui puisse reproduire de l’harmonie ou tout du moins réguler les formes de tensions qui pourraient résulter des remises en cause de l’organisation générale des structures sociopolitiques. La police moderne nait de cette dualité qu’implique la complexité de sociétés de plus en plus diverses dans l’espace des villes. Surveiller et punir, ou plutôt, pour le dire avec des mots d’historien, prévenir et réprimer, anticiper et juger, construire et rétablir le bien-vivre ensemble, ou du moins le pouvoir-vivre ensemble. Enfin, entre les XIIe et XVIIIe siècles, l’ordre revêt une dimension religieuse et théologique. Cette conception renvoie à une vision hiérarchisée du monde qui incorpore une rationalité et une vision englobante4. De ce fait, la composante religieuse est demeurée longtemps majeure dans la lecture de l’ordre urbain. Or, cette part recule et fait place à une vision plus laïcisée et sécularisée, mouvement dont il faut rendre compte en marquant l’une des reconfigurations de l’ordre urbain.
2Ce dernier n’a pas fait l’objet d’analyse d’ensemble en Histoire, alors qu’il est d’usage assez fréquent en sciences politiques notamment5. Dans le domaine de l’Histoire, cette notion fait place à deux autres aspects croisés : l’ordre social et l’ordre public6. Le premier renvoie à l’organisation de la société, aux rapports de force qui l’animent, dans une approche d’ensemble qui mêle discours et pratiques et le croisement des différents types de classements sociaux, dont les divisions en ordres, pour une même société7. La pratique et la symbolique sociales y prennent alors toute leur place, notamment au travers des querelles de préséances, des privilèges ou des relations de civilité. À ce titre, elles sont une composante de l’ordre urbain.
3Il en est de même pour l’ordre public, centré sur la sécurité et la pacification ou la prévention des conflits. Son histoire a été totalement renouvelée, notamment pour l’époque moderne, au travers de relectures fondamentales des institutions qui garantissent cet ordre public tant du point de vue de l’action que du point de vue de la théorie8. Signe des temps ? Alors que durant les années 1960-1980 les préoccupations se portaient sur les mondes à la marge, les délaissés de la croissance urbaine, les délinquants et les dissidents, les petites gens du début de l’exode rural, les hommes et les femmes à la peine dans un monde urbain déjà sans pitié pour les plus démunis9, les années 1980-2000, et les travaux se poursuivent en cette première décennie du XXIe siècle (signe des temps décourageant ? désenchantement des nouvelles générations d’historiens quant à la capacité insurrective de ces classes populaires souffrantes), s’intéressent plutôt à la dimension sécuritaire de l’espace commun et aux histoires des corps professionnels que les corps de ville ou l’État tentent de mettre en place pour répondre à des délinquances multiformes ou des désordres qui s’accroissent en proportion de la mutation des villes et de leur extension après le XVe siècle en un mouvement de croissance plus jamais démenti dès lors10. Désormais une bibliographie importante est venue éclairer cette construction de l’ordre public, sa fonction, son personnel, ses outils, sa réception, ses méthodes, ses projets et ses métiers.
4L’approche proposée s’enracine dans ces développements mais ne s’y réduit pas. Cet ordre urbain ici entendu revêt en effet deux dimensions essentielles. D’une part, il ne s’agit pas d’un état de l’espace urbain à un moment donné, mais d’une construction, d’une dynamique, d’une mise en ordre continuellement recommencée et repensée. De ce fait, et d’autre part, l’ordre urbain peut être approché par le quotidien et par la pratique sociale, ceci s’oppose à une approche par l’institutionnel. L’historiographie des guerres de religion offre par exemple une forte réflexion sur ces notions, tant par l’analyse de la pacification que par celle des affrontements internes aux villes11. Le cas de l’action de pacification menée par les commissaires au temps de Charles IX est ainsi exemplaire. Ils tentent de renouer les fils du temps ordinaire de part et d’autre de l’événement que constitue la guerre civile12. Pour ce faire, ils définissent en creux les fondements de l’ordre urbain, faits d’entente, d’interconnaissance, de garantie de propriété et de rencontre autour du bien commun qui s’impose alors au-dessus des partis confessionnels. Cependant, en tentant ce retour en arrière, les commissaires innovent et imposent une nouvelle harmonie qui fait place à la sécularisation et à l’autorité de l’État, puisque « le recours traditionnel au religieux pour restaurer la paix s’avérant impuissant, les commissaires font ainsi du politique le lieu privilégié de recréation du consensus social13 ». Transparaît ici l’un des fondements de l’ordre urbain, l’entente et l’union dans un consensus, à défaut d’une concorde. Ces éléments, mis en valeur pour un temps particulier et extra-ordinaire qui est celui de la guerre civile, se retrouvent dans la pratique sociale quotidienne. Il s’agit alors d’analyser les « diverses formes de règlement de la cité » (A. Cabantous) faites d’un ensemble de négociations et de compromis. Ainsi, une idée forte porte le projet : la volonté d’inscrire l’ordre public et urbain dans une histoire qui ne se réduise pas à celle des forces de l’ordre, de la police ou de la justice14. La volonté consiste à ne point s’arrêter ni à la conception de l’ordre urbain sous la forme d’un cadre formel incarné par les forces de prévention ou de répression policière, ni à la représentation de cet ordre à partir des archives judiciaires normatives et souvent produites en fonction d’une cité idéale, sans conflits ni délits. Une cité du droit15.
5En effet, la part de l’institutionnel est importante et reste sous-jacente à de nombreuses analyses de ce recueil qui le saisissent comme voie de réglementation et de contrôle, mais les institutions, qu’elles soient urbaines, policières, étatiques ou religieuses, ne résument pas la totalité de l’ordre urbain, fait d’ajustements et d’équilibres sociaux. Nous retrouvons ici le basculement que connaît la signification même du terme de police autour du XVIe siècle, tel que le relève Vincent Milliot, d’une police qui recouvre la gestion du quotidien à une police qui désigne les moyens de faire appliquer la loi16.
6Le projet repose plutôt sur une lecture libre de l’expression ordre urbain renvoyant tout aussi bien aux archives classiques de la police et de la justice, certes point délaissées, mais ouvrant le concept à d’autres acceptions, renvoyant à une réalité vécue par les communautés de confession, les corporations de métiers et religieuses, les genres, les générations, les partis, les syndics, les ordres d’abord, les classes sociales ensuite composant la trame riche et hétéroclite de l’espace urbain en recomposition permanente depuis le temps des cathédrales et des fortifications urbaines jusqu’au temps de la seconde révolution industrielle et de la destruction de ces enceintes fortifiées et médiévales au XIXe siècle, lorsque les mails ou les grands boulevards périphériques devinrent aussi de grands lieux de marchés au contact du centre et des faubourgs ne cessant plus de s’étendre.
7Dans les pages qui suivent, un point de vue autre a été abordé : l’ordre public ne devant pas se résumer à la construction d’une institution de prévention ou de répression, à une description urbaine des forces de l’ordre en charge d’y maintenir la sureté. L’expression a été saisie dans le sens de la construction complexe mais bien réelle d’un vivre ensemble dans un espace urbain divisé géographiquement, socialement, religieusement et politiquement17.
8Impalpable, invisible en soi, indéfinissable parfois, l’ordre consisterait en une articulation possible, repérable par indices discrets, ou manifestation « spontanée » des relations entre différents groupes dans certains espaces urbains, à certains moments de la journée, à certaines époques de l’année, évoluant au gré des générations et des mutations dépassant le simple cadre urbain. L’ordre pourrait se résumer à un vivre ensemble dans une configuration urbaine de plus en plus complexe et tendue du fait de l’extension des fonctions de la ville. L’ordre deviendrait insensiblement un possible, un arrangement tacite, une contrainte sue de tous, mais non dite du « moindre mal vivre ensemble » : les femmes avec les hommes, les riches avec les pauvres, les catholiques avec les protestants, les élites avec le peuple, les militaires et les civils, les négociants et les boutiquiers, les hommes du pouvoir et les métiers libéraux, les laïcs et les ecclésiastiques, chacun avec l’autre18. Cette conception de l’invisibilité, voire de la fluidité, d’un ordre urbain intégré par chacun dominant et dominé, dominant toujours dominé par d’autres contraintes de reconnaissance, dominés toujours ayant l’impression de pouvoir s’en sortir ou de dominer un encore plus faible (Jacques le fataliste ne dit-il pas à son maitre que l’on « est toujours le chien de quelqu’un » ?) repose sur un hiatus à ne pas cacher en cette introduction mais au contraire qu’il faut bien mettre en valeur : c’est l’incident, c’est le dysfonctionnement, c’est la rupture, c’est la sédition, quelques soient les formes que prennent ces déchirures ou reconfigurations de l’ordre, qui le donnent à voir le mieux. La conflictualité née de la rupture d’un accord, semblant fonctionner jusqu’à son blocage, constitue une borne témoin pour l’historien repérant au moment du conflit le désordre et la nécessité posée le plus souvent aux garants de l’ordre, aux élites, de repenser les conditions du changement ou de l’amélioration de l’ordre ancien19.
9Voilà pourquoi un des paradoxes des communications qui suivent est d’évoquer les incidents, les accidents, les oppositions, les traumatismes que subit l’espace public traversé par des attentes, des espoirs et des volontés si différentes. Cependant, le projet d’écriture et de recherches présenté dans les textes qui suivent ne veut pas s’arrêter au constat de l’échec d’un ordre, mais veut souligner la façon dont, dans l’urgence ou la réflexion, sous la contrainte ou par la réforme, des mutations, des transformations, des évolutions se jouent socialement, politiquement mais même architecturalement en ville, comme le montre Alain Cabantous. Ainsi, cela permet de dépasser la crise et de retrouver par la voie du compromis ou des tensions retenues une nouvelle forme d’être ensemble, une nouvelle « convivance » pour reprendre le concept riche de potentialités développé par Céline Borello au cours de son observation des relations entre communautés protestantes et catholiques dans le Marseille du XVIIIe siècle.
10Dans cette construction pratique du vivre ensemble, les différends et aspérités s’effacent au profit du bien commun qui prend dans le Marseille du XVIIIe siècle le visage de la défense du rôle économique de la ville, mais qui s’affirme plus largement comme une des valeurs clés des communications ici rassemblées autour de la question des moyens de construire ce vivre ensemble, toujours fragile et remis en cause. Dans ce cas, le désordre public pourrait convenir plus justement à une réflexion initiale et féconde. Il ne s’agit plus de penser de façon quelque peu naïve la matière urbaine dans une forme de civile fluidité mais de bien la saisir dans sa diversité hostile parfois de façon irréductible.
11Le désordre à l’œuvre quotidiennement, des situations les plus banales jusqu’aux moments de guerre civile (Communes médiévales, XVIe, fin XVIIe, fin XVIIIe, Révolution française, début de la Restauration, et de nouveau la « Commune » de 1870-1871), trace en creux un ordre jamais atteint, toujours espéré et renvoyé à un passé sans cesse enjolivé ou bien à un futur toujours davantage utopique20.
12Cette recherche ou revendication du bien commun (qui est souvent la solution momentanée ou durable au conflit) est alors importante, car elle place l’ordre urbain dans le domaine de l’unité et en fait un idéal partagé fondateur même de la ville21. Partager suppose en effet d’avoir quelque chose en commun et que l’on souhaite conserver, comme l’indique l’article de l’Encyclopédie :
« PARTAGE, s. m. (Jurisprud.) est la séparation, division, et distribution qui se fait d’une chose commune entre plusieurs co-propriétaires qui jouissoient par indivis. On peut partager des meubles meublans, des grains, des deniers, et autres choses mobiliaires ; on partage aussi des immeubles, soit réels ou fictifs.
Personne n’est tenu de jouir par indivis, quelque convention qui ait été faite de ne point demander de partage, parce que la communauté de biens est ordinairement une source de discussions.
Quand les choses sont indivisibles de leur nature, comme un droit de servitude, un droit honorifique, & c. ou qu’elles ne peuvent commodément se partager, si les co-propriétaires ne veulent plus en jouir en commun, il faut qu’ils s’accordent pour en jouir tour-à-tour, ou qu’ils en viennent à la licitation. Voyez LICITATION.
Le partage se fait en formant différens lots proportionnés au droit que chacun a dans la chose.
On peut faire cette opération à l’amiable ou par justice. La maniere de procéder à un partage à l’amiable, c’est de convenir devant un notaire du nombre des lots qu’il s’agit de faire, de ce qui doit entrer dans chaque lot, et de la destination de chacun des lots.
Lorsqu’on ne s’accorde pas sur la destination des lots, on les tire au sort.
Le partage s’ordonne par justice, lorsque les copropriétaires ne s’accordent pas sur la nécessité ou possibilité du partage, ou sur les opérations qui sont à faire en conséquence. Alors on nomme des experts pour priser les biens, et pour procéder ensuite au partage ; les experts font les lots, et ces lots sont tirés au sort.
Celui qui a fait des frais pour parvenir au partage, peut obliger ses co-héritiers d’y contribuer chacun pour leur part et portion ; il a même un privilége pour répéter ces frais sur les biens qui font l’objet du partage.
La bonne foi et l’égalité sont l’ame de tous les partages ; desorte que si l’un des co-partageans souffre une lésion du tiers au quart ; il peut revenir contre le partage, en obtenant dans les dix ans des lettres de rescision... »
13C’est à escient que le verbe Partager se trouve dans le titre de cet ouvrage. La seule lecture du début de l’article « partage » dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert montre de suite la bipolarité constitutive, l’ambivalence, et, pourquoi ne pas l’écrire sûrement, l’ambiguïté qui découle du sens du mot, entre positivité d’un acte parfaitement intégré dans un processus de civilisation répondant à un progrès constant de « l’amiabilité », et une négativité qui au mieux se règle devant la justice, au pire divise et constitue un brandon de tourment voire d’affrontement civil.
14La polysémie contradictoire de ce terme de partage, relation à la base même de tout contrat social fondant une quelconque civilisation urbaine, a constitué un aiguillon constant, de l’imagination de cette recherche à la publication des deux journées d’études.
15Partager renvoie littéralement à une inter-réciprocité, qui commande don et contre-don, porteuse en soi d’une égalité et d’une reconnaissance de l’un et de l’autre, tels des vecteurs de paix civile et de concorde entre les habitants d’un même lieu22. On partage le pain, on partage un bien, en accord, à l’amiable.
16Une autre acception du terme partager convient pareillement. Elle renvoie plutôt à l’idée de la césure, de la division et de la séparation23. On partage un espace par obligation, pour délimiter des zones au delà desquelles l’insécurité règne pour ceux qui n’en font pas ou plus partie. On partage un bien afin de signifier clairement la propriété effective de l’un qui exclut celle d’un autre.
17Ce sont ces deux sens ouverts et librement abordés qui ont été expérimentés en donnant lieu aux communications suivantes autour de l’ordre urbain comme figure d’organisation de l’espace de la ville dans un vaste temps chronologique du Moyen Âge au XIXe siècle, mais davantage centré sur le siècle des Lumières.
18Dans cette interprétation, le mot renvoie alors à une multiplicité de registres, qu’il s’agisse du social, bien sûr, mais aussi du juridique, du politique, du culturel, du religieux ou encore de l’esthétique qui sont croisés ici24. La dimension juridique est en effet une composante essentielle de l’ordre quel qu’il soit et lui donne un référentiel par lequel ou contre lequel il se construit. L’ordre est une norme, le plus souvent inscrite dans des registres, affichée sur les murs des villes, proclamée au coin des rues, enseignée dans les écoles de droit, au cœur des modes de recrutement des corporations. Cette norme s’incarne le plus souvent dans des personnages qui ont pour fonction honorifique de la représenter (échevins, consuls, corps municipal) ou pour profession de la faire respecter (corps à pieds et à cheval, guet de police, commissaires, inspecteurs, gens d’armes). La ville est verrouillée par la règle. En même temps la transgression de la loi, de l’interdit est permanente, par omission, par ignorance, par volonté subversive, par délinquance assumée ou désespérée. Michel Pertué nous apporte cet éclairage, notamment autour de la définition précise de l’ordre public qui souligne l’importance de l’expérience urbaine dans cette élaboration.
19Les communications de Noëlle Dauphin et Pierre Serna soulignent davantage l’apport du politique, plus précisément des changements de régimes et des oscillations gouvernementales, dans le rapport à la ville, que ce soit le passage d’un ordre royal à un ordre municipal à Versailles ou le changement que note l’abbé Pataud à Orléans au cours des années 1814-1816. Ces basculements laissent notamment une trace dans l’espace urbain par les changements urbanistiques et particulièrement les plus ténus comme les enseignes ou les emblèmes politiques, ce que Pierre Serna appelle justement « l’ordre des signes ». Le politique ouvre ici sur un autre aspect, l’ordre visuel, voire l’ordre sensuel dans son entier. Les travaux sur les bruits à la campagne d’Alain Corbin sont bien connus. Ces messages ou agressions sonores existent bel et bien en ville aussi25. D’autres sens que la vue ou l’ouïe peuvent être convoqués. L’odeur de brûlé qui plane sur Orléans lors de l’autodafé des objets napoléoniens propage littéralement un ordre retrouvé où le feu signifie la purification d’un monde souillé par la révolution et son enfant naturel. L’odeur âcre signifie le fondement religieux de la Restauration. Fut-elle inquisitoriale... Le paysage urbain avec son ordre sont aussi fumée, odeurs, spectacles, sons et mouvements. Ils se trouvent au cœur de la composition de l’espace de la cité et de son appréhension comme le montre l’analyse de Bernard Gainot sur la police dans les colonies. L’auteur souligne une élaboration pratique de la police qui se manifeste par une transformation profonde de l’espace urbain, une mise en ordre. Les composantes en sont l’hygiène, la sécurité et l’organisation des marchés. Le propre et le sale, au tournant du siècle des Lumières se constituent comme des vecteurs essentiels de rationalisation puis d’ordonnancement des rues, des venelles, des cours, des allées et des promenades26.
20L’espace urbain est en effet un enjeu et une manifestation du bien commun. Sa maîtrise fut un objectif fondamental des affrontements religieux, mais également des rapports de pouvoir entre clergé et institutions laïques de manière plus politique27. La procession extérieure devient ainsi un support d’opposition et concrétise dans l’espace urbain l’harmonie du bien public ou les fêlures qu’il subit. Tous ces aspects se retrouvent dans les communications de Céline Borello, d’Alain Cabantous et de Gaël Rideau, relatives à l’ordre religieux. En effet, qu’il s’agisse de la coexistence entre catholiques et protestants à Marseille au XVIIIe siècle, des critiques des chanoines de Metz contre l’aménagement de la place ou des rapports entre municipalité et clergé au sujet des processions à Orléans au XVIIIe siècle, à chaque fois se pose la question de la place du religieux dans la ville et dans l’ordre urbain. Il ressort de ces communications que ce dernier connaît au XVIIIe siècle une sécularisation. Le religieux qui constituait une composante majeure du vivre ensemble au XVIe siècle est ici remis en cause au profit de nouvelles valeurs. Mieux, l’ordre laïc s’affirme et influence même le discours ecclésiastique dans les processions orléanaises par l’intégration des notions de commodité et de décence, une sorte de transfert de sacralité à l’envers28.
21Nous retrouvons ici la lecture de Philippe Goujard. Ce dernier montre nettement un basculement de l’ordre religieux autour de différents conflits qui donnent corps à une autonomie des laïques dans un apprentissage de la politique. Ceci se concrétise notamment par la remise en cause de l’autorité de la parole et du corps ecclésiastiques dans un passage de la croyance à l’opinion29. Philippe Goujard s’appuie notamment sur les analyses de Bernard Groethuysen qui souligne la recomposition des pratiques et croyances religieuses par l’esprit bourgeois30. Ce dernier porte un affadissement du contenu théologique et oriente vers une moralisation : le rôle du péché diminue, la place de la mort recule au profit de la vie, la charité n’est plus centrale, la prévoyance est préférée à la providence. Ceci souligne que les catégories religieuses sont sujettes à réinterprétation et que la relation entre ordres social et religieux relève d’une dialectique. Dès lors, la religion participe à la construction d’un ordre urbain par son articulation avec les réalités sociales, politiques et économiques de la ville. L’analyse de la composante religieuse de l’ordre urbain suppose ainsi d’articuler dimensions politique, sociale et culturelle.
22Le discours est en effet une composante à part entière de l’ordre urbain. Il prend un aspect théorique dans le traité de Delamare, étudié par Nicole Dyonet, qui s’interroge sur les fonctions de la police et les contours de son action. Mais cette élaboration résulte d’une synthèse de nombreuses pratiques ponctuelles qu’illustrent parfaitement les fiches de d’Hémery analysées par Jean-Pierre Vittu. Elles mettent en ordre, selon des classifications diverses, le monde de la librairie et des auteurs et construisent ainsi des stratégies de surveillance. L’écrit est en effet un facteur de désordre, tant par les idées qu’il véhicule que par sa portée même et sa fonction juridique. La contribution de Chantal Senséby souligne ainsi les enjeux de pouvoirs qui se manifestent autour du témoignage des moines bénédictins de Saint-Aubin d’Angers et de Marmoutiers au XIIe siècle. Les faits sont constitutifs d’un ordre, mais le récit lui-même le confirme ou le recompose, comme le montrent la confrontation des différentes versions et les enjeux de la détention des pièces juridiques. Les observateurs de l’ordre urbain se trouvent alors en position d’acteurs, par le récit qu’ils laissent. Pataud en constitue un bon exemple pour le début du XIXe siècle orléanais. Il faut alors puiser dans sa double dimension d’homme d’Église et d’instituteur pour saisir son approche de la ville. Il en est de même pour Jozon, exemple développé ici par Pierre Allorant. Ingénieur et technicien, Jozon apporte en Amérique sa vision de la ville européenne, mais revient transformé de son voyage par la prise en compte de l’explosion urbaine et de l’existence d’une ville différente où les loisirs sont moins présents par exemple. Le professionnel de la ville trace ici un discours propre qui mêle réflexion personnelle et approche technique, deux angles de saisie du partage urbain à l’œuvre.
23Il ne saurait être question ici d’aborder toutes les problématiques soulevées dans cette introduction. Nous avons au contraire privilégié trois observatoires de cette mise en ordre et de ce partage de la ville. L’approche par l’écrit nous a semblé première, dans la mesure où elle construit une définition théorique et pratique de l’ordre urbain et ce sous divers angles complémentaires. Se posent d’abord les questions de la constitution, de la conservation et de la destruction de ces marqueurs. L’article de Chantal Senséby interroge ces éléments au travers de la conservation des chartes seigneuriales et de la mise en récit des exactions d’un pouvoir seigneurial et de leur règlement par le pouvoir comtal. Dans un aller-retour entre capitale provinciale et petite ville, s’impose un ordre que l’on peut qualifier d’urbain et qui s’incarne dans la procession d’entrée à Angers et dans le contrôle de la production écrite. Autant de problématiques que nous retrouvons à l’époque moderne. Le classement de d’Hémery le complète en effet par une mise en ordre du monde de l’écrit et de l’espace culturel, elle-même image d’un partage de la ville. Surtout, l’écrit se fait le porteur d’une réflexion sur la ville et le support de l’énonciation d’une vision de l’ordre. Le Traité de police de Delamare et le récit de voyage de l’ingénieur Jozon participent ainsi d’une même dynamique dans une interrogation sur la police pour le premier, dans une réflexion technique et esthétique pour le second. Médiateur réflexif, l’écrit constitue un stade de la théorisation de la ville qui aurait pu terminer l’étude de l’espace urbain. Il n’en est rien. C’est délibérément que ces travaux sur l’écrit ont été placés en entrée de livre, car loin de constituer une analyse bouclée, ils ouvrent sur un réel, des pratiques, une épaisseur factuelle qui viennent sans cesse les compléter ou les contredire, les enrichir à tout coup. Ces quatre communications structurent la première partie du présent recueil, présentant le choix délibéré de construire un raisonnement historique en partant d’une conceptualisation, et en la détricotant, par sa confrontation avec le réel. Dans cette perspective, l’écrit construit, induit, fixe, bâtit, consolide l’ordre urbain et le partage de la ville, mais ne saurait en épuiser la vitalité multiple.
24Cet ordre a été marqué pendant les siècles étudiés ici par la dimension religieuse qui a contribué à bâtir la ville dans ses dimensions architecturale, spatiale, symbolique et sociale. Or, cette prégnance reflue en partie entre XVIIIe et XIXe siècles. La seconde partie interroge cette réalité au travers de trois approches distinctes. Celle d’Alain Cabantous porte sur l’urbanisme à Metz et met en valeur deux visions de la ville et plus largement de la société qui s’affrontent et s’incarnent dans la question de la place. Le partage entre religieux et profane est l’une des constituantes de la ville. Céline Borello le montre pour Marseille, sur un plan social cette fois, par l’analyse de la communauté protestante marseillaise et de ses stratégies. Entre contrainte légale et pragmatisme local, s’affirme au croisement des sphères politique, urbaine et religieuse, une convivance, expression heureuse et concept novateur, sous la forme d’une pratique qui conforte le partage de la ville. Cette mobilité des frontières se retrouve à Orléans autour de la question des processions publiques dans l’article de Gaël Rideau. Le rapport à l’espace de la rue se modifie, mais, surtout, les logiques à l’œuvre au sein même de ces cortèges connaissent une recomposition au profit des valeurs plus séculières de décence et de police. Le cadre urbain change et le sens des processions également. De ce fait, cette deuxième partie met en valeur l’un des axes de l’ordre urbain et des recompositions qui passent en partie par des logiques institutionnelles, mais en partie seulement, dans un dialogue des normes et des pratiques sans cesse recommencé.
25Ce dernier connaît des moments particuliers que sont les périodes de désordre national ou, pour le dire autrement, de mutations politiques : les guerres de religion, la révolution française, les révolutions de 1830 et 1848 par exemple. Or, ces grands mouvements nationaux ont des incidences lourdes sur les équilibres urbains. La grande histoire rencontre de façon problématique la culture politique locale. Idéologie et querelles partisanes dessinent alors les contours complexes d’un espace où enjeux politiciens, carriéristes et rhétoriques ronflantes s’entrelacent de façon parfois confuse, toujours révélatrice de ce qu’est la « République en ville », pour pasticher le titre de Maurice Agulhon. Ces événements nationaux répercutés en ville provoquent des recompositions locales plus ou moins rapides, plus ou moins fidèles aux oscillations générales. L’étude de cette interaction, de cette reconstruction de partages sociaux en réaction aux désordres nationaux, constitue l’objet de la troisième partie autour de l’exemple d’Orléans en 1814-1816 et de Versailles au XIXe siècle étudiés respectivement par Pierre Serna et Noëlle Dauphin. Dans les deux cas, les clivages urbains (politiques et/ou sociaux) se modifient et se reconstruisent avec des logiques propres qui mettent à jour la dialectique entre local et national et les lignes de force internes à chaque ville. L’article de Bernard Gainot sur les colonies souligne également cette interaction entre transport d’un ordre métropolitain et réinterprétation locale qui, par un choc en retour, amène à s’interroger sur l’ordre urbain en général.
26Grâce à ces trois éclairages complémentaires, se construit une approche polysémique, complexe, irréductible à un modèle, de la ville ordonnée et partagée mêlant constamment normes et pratiques, textes réglementaires et invention quotidienne du partage, élites et petit peuple, représentant de l’État et communautés locales, société et espace, en un face à face quelques fois conflictuel, parfois brutal, mais aussi souvent pacifique.
27Il a été tenté dans un premier temps de dépasser la représentation et la contre-représentation révolutionnaire ou libérale de la société urbaine comme un reflet forcé de conflits et de ruptures. Il ne s’agit pas de nier la violence, voire la brutalité des rapports observés dans la ville au travers de nouvelles formes de construction et de représentation de l’autre, voire de l’étranger devenu la menace en ville et ghettoïsé ailleurs, dans les enclaves invisibles des grandes métropoles ou loin des centres urbains.
28D’un point de vue historique et dans une chronologie longue et voulue en tant que telle, les rédacteurs d’articles ont décidé de ne point se contenter d’un horizon de recherches un peu trop attendu et influencé par un système d’information et de médiatisation visant à déployer une vision quelque peu manichéenne de l’espace urbain selon des systèmes de valeurs réducteurs de la complexité des situations vécues par les acteurs. Construire l’incident ou l’accident comme la norme ne constituait pas le but avoué, mais plutôt la recherche du banal et du simple vivre comme facteurs également constitutifs mais moins visibles des sociétés, comme premiers éléments d’une recherche d’un mieux vivre, sans nier les possibilités de blocage ou de révolte, voire de révolutions et donc de répression et de construction d’un nouvel ordre qui peuvent en résulter31.
29Dans un second temps, il a été tenté de penser aussi une forme d’autonomisation des rapports en ville, sans la sur-présence des forces de l’ordre, omniprésentes dans les études récentes sur les dynamiques urbaines. Il ne s’agit pas de nier l’importance du fait policier en tant que tel dans la ville au fur et à mesure que la chronologie approche de l’époque contemporaine, et bien des interventions font référence à ce phénomène de surveillance, de prévention et de punition que les autorités policières acquièrent toujours davantage depuis le XVIe siècle. Une autre voie a été préférentiellement suivie ici. Tout ordre est irréductible à un appareil policier et les sociétés d’Ancien régime surtout le rappellent, mais point seulement les sociétés d’avant 1789. Il existe des forces autonomes dans les sociétés civiles et urbaines qui « savent », qui « peuvent », fortes de leurs expériences, de leurs savoirs, régler les problèmes qui ne manquent pas en ville sans forcément l’apport des forces de l’ordre. Étonnamment, élites et peuples se retrouvent parfois dans cette « convivance », en une ébauche, une esquisse d’un ordre et d’un partage urbain sans autorité de l’État, sans le passage par le pouvoir des uniformes.
30Afin de parvenir à cette hypothèse, l’observation de l’espace urbain a été privilégiée. De nombreux lieux ont été scrutés, de multiples lieux d’échanges conflictuels ou apaisés, des lieux de confrontations ou de partage, pour les penser et les comprendre comme des lieux de compromis ou des lieux de mutations permanentes, sans normes véritables que celles que leur inventent a posteriori le policier d’abord, le juge ensuite, l’historien enfin... dans une chaine de représentations à comprendre et tenir à distance, pacifiquement, mais sans concession méthodologique, dans la discussion et l’écriture de ce recueil d’interventions devenues des articles.
31Dans ce parcours, de l’oral à l’écrit, des journées au livre, les collaborations institutionnelles et personnelles sont nombreuses et importantes. Voici le moment de les remercier : Jean-Patrice Boudet, directeur du laboratoire Savours, Christine Lebeau directrice du CRHM, l’EA 127 et l’Institut d’Histoire de la Révolution Française (IHRF/CNRS/UMS 622), qui ont soutenu les journées et la publication, Josée Bouyer dont l’aide a été précieuse et permanente. Michel Pertué et Claude Michaud ont accepté de remplir l’office de discutants au cours des deux journées et de prolonger cette participation par l’écriture de textes qui remettent en perspective les contributions, qu’ils soient vivement remerciés de ces collaborations.
Notes de bas de page
1 Ce livre est le fruit de deux journées d’étude organisées conjointement par les universités de Paris-I Panthéon Sorbonne et d’Orléans en janvier et mars 2009 et plus précisément par le département d’Histoire d’Orléans, l’EA 3272 SAVOURS et au sein de l’EA 127 Révolutions et Modernités, le Centre de Recherches en Histoire Moderne et l’Institut d’Histoire de la Révolution française/Ums CNRS 622. Ces deux journées avaient pour but d’analyser la place de l’ordre en ville, de ce que l’on peut résumer par la notion d’ordre urbain qui revêt à la fois une dimension spatiale, sociale et institutionnelle.
2 Encyclopédie ou Dictionnaire raisonnée des Sciences, des arts et des métiers, 3e édition, Genève, Jean-Léonard Pellet, 1779, article « ordre ».
3 Pour une réflexion sur la notion d’ordre au sens social : Fanny Cosandey, éd., Dire et vivre l’ordre social en France sous l’Ancien Régime, Paris, EHESS, 2005, notamment l’introduction.
4 Yves Durand, L’Ordre du monde. Idéal politique et valeurs sociales en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 2001.
5 Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre, les transformations de la violence d’État en régime démocratique, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
6 Pour une réflexion récente sur un autre « ordre » voir Jean-Pierre Jessenne (dir.), Vers un ordre bourgeois ? Révolution française et changement social, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
7 Fanny Cosandey, éd., Dire et vivre, op. cit.
8 Paolo Napoli, Naissance de la police moderne. Pouvoir, normes, société, Paris, La Découverte, 2003 ; Vincent Milliot (dir.), Les Mémoires policiers, 1750-1850 : Écritures et pratiques policières du Siècle des Lumières au Second Empire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006 ; Vincent Milliot, « Historiographie des polices : l’ouverture d’un moment historiographique », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 54-2, avril-juin 2007, p. 162-177 ; Catherine Denys, Brigitte Marin et Vincent Milliot (dir.), Réformer la police : les mémoires policiers en Europe au XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009. Pour une vision différente, proposant l’ouverture d’un nouveau chantier croisant l’ordre social et politique voir, Déborah Cohen, Les formes de l’imaginaire social (XVIIIe-XXIe siècle), Seyssel, Champ Vallon, 2010.
9 Arlette Farge, Vivre dans la rue à Paris au XVIIIe siècle, Paris, Gallimard, 1979, réed. 1992.
10 De façon symbolique, Foucault n’est pas étranger lui-même à ce tournant, concentrant son attention au lien entre espace et pouvoir, depuis son Histoire de la folie et de l’emprisonnement comme invention d’un partage normé entre les sains d’esprit libres et les déviants à enfermer dans un partage de la ville prison/monde libre, jusqu’à ses leçons au Collège de France sur la notion de sécurité sur les territoires. Bien évidemment, le parcours de Foucault ne signifie aucunement des années Soixante aux années Quatre-vingts du XXe siècle, un renoncement du philosophe à penser la dissidence comme un des moteurs de l’activité la plus digne des minorités chassées, cachées. La parabole de ses études montre plutôt un changement méthodologique qui doit permettre de continuer à penser l’écart, la révolte, au sein même de l’étude des forces de l’ordre et de leur conception dans le rôle de l’organisation urbaine qu’elles jouent. Voir Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Gallimard, 1972 et du même auteur, Sécurité, territoire, population, Cours au collège de France, 1977-1978, Paris, Gallimard/Seuil, 2004.
11 Olivier Christin, La Paix de religion. L’autonomisation de la raison politique au XVIe siècle, Paris, Seuil, 1997 ; Pierre-Jean Souriac, Une Guerre civile. Affrontements religieux et militaires dans le Midi toulousain (1562-1596), Seyssel, Champ Vallon, 2008 ; Yann Lignereux, Lyon et le roi : de la bonne ville à l’absolutisme municipal, 1594-1654, Seyssel, Champ Vallon, 2003.
12 Jérémie Foa, « Making Peace : The Commissions for Enforcing the Pacification Edicts in the Reign of Charles IX (1560-1574) », French History, 18 (2004), p. 256-275 et « “Reconcilier les cueurs des subjects cy-devant divisez” : les commissaires des édits de pacification au temps des premières guerres de religion », in Les Affrontements religieux en Europe (1500-1650), Paris, PUPS, 2009, p. 61-88.
13 Idem, p. 81.
14 Le rapport ici proposé entre partage de la ville et encadrement policier est du même ordre que celui tracé par Benoît Garnot entre infrajudiciaire et judiciaire. Cette pratique du règlement infrajudiciaire participe en effet à l’élaboration et à l’entretien d’un vivre ensemble où l’entente l’emporte. Dans cette perspective de recherche de compromis, d’autres voies sont explorées ici. Benoît Garnot (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 1996, notamment p. 69-76 et 467-468.
15 Comme l’illustre le numéro des Annales de Bourgogne intitulé : « Ordre et désordre en Bourgogne au XVIIIe siècle », Annales de Bourgogne, t. 81, 2010.
16 Vincent Milliot, art. cit., p. 167.
17 Vincent Milliot a relevé ces deux aspects au sujet de l’historiographie de la police : « Le paysage qui se dessine de plus en plus franchement est celui d’une histoire sociale des institutions, attentive aux hommes et à leurs pratiques, à leurs itinéraires et à la construction de leurs identités professionnelles, soucieuse de mieux rendre compte des compromis sur lesquels se fondent l’ordre public, le « vivre ensemble » à travers une appréhension nuancée et critique des rapports entre la population et les diverses forces de police ». Idem, p. 163-164.
18 Judith Rainhorn et Didier Terrier (dir.), Étranges voisins. Altérité et relations de proximité dans la ville depuis le XVIIIe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010. Notamment le chapitre 2 : « Se rencontrer, pratiquer le vivre ensemble ».
19 N’est ce pas ce que montre l’étude monumentale de Jean Nicolas étudiants plus de 8000 émeutes, colères, rébellion entre 1660 et 1789 ? L’ordre, contrairement à une idée reçue, se voit sans cesse contesté au village mais surtout en ville, lieu « rébelliogène » par excellence. La qualité de la police et son perfectionnement ne peuvent empêcher la dégradation des rapports au sein des enceintes urbaines, avec une montée des confrontations tendues dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, culminant une première fois durant la Guerre des Farines au printemps 1775 et se terminant par les pics de 1788 et du début de l’année 1789 jusqu’à l’ouverture des États-Généraux du Royaume. L’étude montre les différents visages de la contestation, certes violente et directe, mais aussi subtile et judiciarisée lorsque les communautés décident de contourner la violence en attaquant en justice leurs « seigneurs » ou « maîtres » peu délicats, traces, preuves, d’autres expressions de la conflictualité et de ses formes de régulation. Cf. Jean Nicolas, La Rébellion française, Paris, Seuil, 2002.
20 Cf. Louis-Sébastien Mercier, Tableau de Paris, (1781, 1re édition), Paris, Mercure de France, 1994, et L’An 2440, rêve s’il en fut jamais, 1771, réed. Paris, La découverte, 1999. Science fiction d’une ville parfaite avec son ordre hygiénique et spacieux, son architecture saine et aérée, double métaphore d’une société en bonne santé et pareillement apaisée autour de l’accord sur les répartitions des fonctions urbaines et sociales de chacun.
21 Patrick Boucheron, « ‘ Tournez les yeux pour admirer, vous qui exercez le pouvoir, celle qui est peinte ici’. La fresque du bon gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti », Annales. Histoire, Sciences sociales, 2005/6, p. 1137-1199 et Gisela Naegle, « Vérités contradictoires et réalités constitutionnelles. La Ville et le roi en France à la fin du Moyen Âge », Revue Historique, no 632, 2004, p. 727-762.
22 Olivier Christin, La Paix de religion, op. cit. Sur le don, Nathalie Zemon-davis, Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, Paris, Seuil, 2003.
23 Didier Boisson et Yves Krumenacker (dir.), La coexistence confessionnelle à l’épreuve. Études sur les relations entre protestants et catholiques dans la France moderne, coll. Chrétiens et sociétés. Documents et Mémoires, no 9, Lyon, 2009.
24 Selon les démarches mises en place pour l’analyse de l’ordre bourgeois, dans un aller-retour permanent entre les différents domaines où se constitue et s’impose la référence bourgeoise. Jean-Pierre Jessenne (dir.), Vers un ordre bourgeois ?, op. cit., notamment la quatrième partie autour de « l’embourgeoisement de la société française ». Ce croisement est aussi la seule solution pour approcher l’ordre social : « La tendance actuelle est plutôt de croire qu’aucune société ne répond à un principe classificatoire unique ; reste alors la question de savoir comment pourraient s’articuler les divers “mondes communs” qui coexistent dans une formation sociale à un moment historique donné et si cette articulation est dotée d’une stabilité relative qui assure l’équilibre des valeurs en compétition ou confère à une vision du monde particulière une position hégémonique durable », Fanny Cosandey, Dire et vivre l’ordre social, op. cit., p. 11.
25 Violaine Sébillote-Cuchet, Nicolas Offenstatd, Didier Lett, Haro ! Noël, Oyé ! Pratiques du cri au Moyen Âge, Paris, Publications de la Sorbonne, 2003. Sur l’importance des bruits et des odeurs dans la perception des espaces, Jérémie Foa, « “Ils mirent Jesus Christ aux fauxbourgs”. Remarques sur la contribution des guerres de Religion à la naissance d’un espace privé », Histoire urbaine, no 19, 2007, p. 129-143.
26 Alain Corbin, Le miasme et la jonquille. L’odorat et l’imaginaire social, XVIIIe, XIXe siècles, Paris, Champ-Flammarion, 1982, réed. 2008.
27 Paul d’Hollander, La Bannière et la rue. Les processions dans le Centre-Ouest au XIXe siècle (1830-1914), Limoges, PULIM, 2003 ; « Clergé et politique en France, XVIe-XIXe siècles », Parlement(s), revue d’histoire politique, HS no 6, 2010.
28 Alain Cabantous, Entre fêtes et clochers. Profane et sacré dans l’Europe moderne XVIIe-XVIIIe siècles, Paris, Fayard, 2002.
29 Philippe Goujard, L’Europe catholique au XVIIIe siècle. Entre intégrisme et laïcisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004.
30 Bernard Groethuysen, Origines de l’esprit bourgeois en France, t. 1 : L’Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1977. Voir l’analyse de Philippe Boutry dans Jean-Pierre Jessenne (dir.), Vers un ordre bourgeois, op. cit., p. 301-303.
31 L’ouvrage de Michel Vovelle, Les sans-culottes marseillais. Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2010, montre cette intrication complexe en temps de crise entre ressentiments anciens et postures nouvelles, fondus dans une dimension de conflictualité paroxystique qui fonde des solidarités ou des conflictualités exagérées laissant de longues traces, une fois les divisions canalisées.
Auteurs
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008