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L'imposture dans la littérature

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Arlette Bouloumié

Cinquième partie : Compte-rendu d'ouvrages

François Taillandier : Un réfractaire. Barbey d'Aurevilly

Paris, éd. Bartillat, 2008, 120 p.

Alain Néry

Texte intégral

1Cet essai, tout d’aperçus et d’intuitions, prend acte, en se détachant des a priori, de la liberté d’esprit d’un auteur certes rebelle aux conformismes, en son temps et en tout temps. Barbey, rappelons le à François Taillandier, a glosé lui-même sur ce terme de « réfractaire », dans un article où précisément il rend compte des Réfractaires de Jules Vallès, avec qui certains seraient surpris qu’il fût lié d’amitié, comme il l’était avec Rochefort : les asociaux font entre eux société. Barbey prend cependant hauteur sur les « petits réfractaires » de Vallès, trop parisiens et bourgeois à ses yeux, en leur opposant les « beaux réfractaires » qu’il connaît dans l’Histoire. Il n’en donne pas les noms mais on pourrait assez aisément les proposer, tant sont constants les objets de son admiration. Car si, tel que le définit François Taillandier, le réfractaire s’éloigne d’instinct de tout ce qui prédomine (cf. p. 19), la pluralité d’attitudes qui en résulterait de sa part appellerait, en général et remarquablement en l’espèce, plus que des nuances d’approche. Barbey n’est point étranger à soi-même, ni intrinsèquement ni dans le temps. Aussi bien pourrait-on le désigner par la fidélité, et par la cohérence de sa pensée. Le présent commentateur l’a senti, tout en réitérant les lieux communs sur Barbey « dévot et impie » (cf. p. 106), ou sur la mutation quasi magique d’un jeune homme libéral et moderniste en contre-révolutionnaire implacable et rassis, aux alentours de la quarantaine (cf. p. 21 sq et 53). Le propos n’est pas nouveau et signale d’ailleurs sa dette à l’ouvrage de Jean Canu sur Barbey, poétique mais riche en affirmations invérifiables et en approximations hasardeuses. Ne sont pas tout à fait nouvelles non plus quelques remarques sur la création littéraire aurévillyenne (le retour de la scène originelle, le récit dans le récit, la prédominance de l’énigme et de l’incompréhension…).

2Plusieurs notations sont plus intéressantes et originales. Ainsi l’idée que la préface des Prophètes du passé voit se faire jour au xixe siècle une conception nouvelle du temps, l’angoisse de l’avenir et l’impatience d’en hâter l’avènement (p. 25 et 26), ou le rapprochement entre le « moi dilaté », stigmatisé déjà par Barbey à son époque, et « l’individu ego » posé par des penseurs d’aujourd’hui (p. 31). Serait aussi actuel le constat certes prophétique par Barbey d’une course infernale entre la consommation et la production, le conflit mortel entre l’abîme du désir et l’épuisement du sol. François Taillandier observe combien la peinture aurévillyenne des passions charnelles prend distance des topoï libertins ou romantiques ; nul, au xixe « n’a mis à nu cet Eros profond, nocturne, qui est un trouble et un vertige, qui ébranle l’identité même, qui met l’âme en danger de ne plus se reconnaître » (cf. p. 45-49). Il est bien rapide de s’étonner ensuite que l’auteur d’Une vielle maîtresse soit bien « le même homme et dans la même période de sa vie, que le catholique intransigeant des Prophètes du passé » (ibid.). Et de sembler perdre de vue qu’on a en fait suggéré son unité, à toutes les périodes de sa vie… Barbey d’Aurevilly, catholique, est habité par le sentiment de la profondeur abyssale de la Chute ; son propre « vertige » éventuel ne va pas là contre. En somme François Taillandier le constate lui-même plus loin dans son propos : « Barbey est paradoxalement plus étranger à l’Eros apaisé que notre temps se donne pour horizon (…) qu’au message du judéo-christianisme, quand celui-ci n’est pas réduit à un moralisme de chaisière » (p. 81) ; nous lui laissons la responsabilité de ce préjugé de classe.

3Passons sur les réticences assez gratuites à ce qui serait une pente d’époque au « régionalisme », artificielle d’ailleurs chez un Barbey citadin et dandy (p. 94 à 98) : une lecture un peu attentive de l’œuvre – et des Memoranda – prouve amplement le contraire ; au reste, que Barbey ait ou non posé le pied sur la lande de Lessay, celle-ci prend dans l’Ensorcelée la dimension d’un suprême topos, d’un mythe, au rebours, absolument, du régionalisme décrié. Guère plus convaincante est la réserve concernant l’œuvre critique, qui serait en quelque sorte datée par la vétusté de ses objets (p. 90) ; c’est peut être son caractère volumineux qui ici a fait obstacle car elle mérite infiniment mieux que l’oubli : félicitons-nous de sa savante réédition en cours aux Belles-Lettres ; c’est une mine inestimable pour les études littéraires en même temps qu’une somme, exhaustive et circonstanciée, de la pensée aurévillyenne. De sorte que la critique de Barbey éclaire grandement le reste de son œuvre.

4La consultation de l’œuvre critique de Barbey, de sa correspondance (déjà publiée aux Belles-Lettres), de ses Memoranda (qui figurent dans l’édition de la Pléiade des Œuvres romanesques complètes de Barbey) sont à mes yeux les seuls éléments sérieux permettant une juste appréciation de l’évolution éventuelle de sa pensée. Je crois celle-ci fort stable dans ses postulations fondamentales. Je n’en fournis qu’un exemple ; l’un de premiers articles de Barbey, publié dans le Journal de l’Instruction publique en 1838, et réuni tardivement en recueil (dans les Premiers articles, Belles-Lettres, 1973, p. 27 sq.) a pour sujet l’« Histoire de la Papauté pendant les xvie et xviie siècles » par l’Allemand Léopold Ranke. Barbey, séparé alors de la quarantaine par une bonne décennie, donc en plein dans sa période de ribauderie et de libéralisme supposés, n’y mentionne pas seulement la préférence de l’Eglise pour la monarchie (loc. cit., p. 33) ; il double l’éloge de saint Pie V de celui de Philippe II d’Espagne dont « l’intégrité de la foi » et « le dévouement sublime » eussent dû « faire pâlir devant la beauté du sien le glorieux nom de Ferdinand le Catholique » (ibid., p. 32) ; il se plaît à évoquer, comme si souvent par la suite, la fermeté et la « superbe physionomie » du duc d’Albe (ibid.), ainsi que « la vieille Inquisition » (ibid. p. 30), et surtout les Jésuites, « ces énergiques défenseurs du Saint-Siège, cet arrière-ban sacrifié et tué à son poste » : après eux « il n’y a plus d’espérance, le plus beau et le meilleur génie le la papauté est détruit » (ibid., p. 36). L’inespérance est le premier et le dernier mot du jugement de Barbey sur l’Histoire au regard de ses convictions et de ses attachements. De ses phantasmes, si on le désire, de ses passions poussées jusqu’à l’aberration par ses personnages (cf. p. 70 sq.) : l’investigation n’en est pas de notre propos, ni nécessaire, nous semble-t-il, à circonscrire la problématique.

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