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Le port de Nantes au XVIIIe siècle

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Bernard Michon

Conclusion générale

Texte intégral

1Cette étude permet d’éclairer plusieurs aspects essentiels et complémentaires de l’influence exercée par un grand port comme Nantes sur les littoraux localisés à proximité. La confrontation de ces différentes démarches conduit à dessiner les contours de l’aire portuaire nantaise.

2Le premier cercle, le noyau dur, de cet espace est représenté par les havres de l’estuaire de la Loire. Milieu particulier, soumis au régime des marées atlantiques, « la rivière de Nantes » abrite les avant-ports de la cité ligérienne, puisque cette dernière est dans l’incapacité technique de recevoir des navires de haute mer au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle. La relation privilégiée entre Nantes et Paimbœuf, principal avant-port utilisé pour les armements transatlantiques, doit être soulignée. D’après les sondages réalisés dans les registres de l’amirauté, Paimbœuf accueille au XVIIIe siècle entre 87 et 96,5 % du tonnage total des navires revenant de voyages transocéaniques sur la Loire.

3Toutefois, l’existence de ce duo ne doit pas masquer la contribution d’autres sites estuariens au bon fonctionnement du commerce nantais dans le cadre des échanges européens ; les plus importants sont Saint-Nazaire (port de relâche à l’entrée de l’estuaire et station de pilotage), la rade de la Bonne-Anse (lieu de chargement de sel), Mindin (antichambre de Paimbœuf de plus en plus sollicitée dans le courant du XVIIIe siècle), Le Pellerin (havre de mouillage et de radoub en déclin), enfin Couëron et Port-Launay (véritables avant-ports de la partie haute de l’estuaire très fréquentés par les navires étrangers). Ces différents avant-ports de Nantes constituent avec le pôle de commandement un véritable complexe portuaire, c’est-à-dire un ensemble pouvant être regardé de l’extérieur comme un seul et même port. Le site même de Nantes se modifie de manière importante entre le début de l’époque moderne et la fin du XVIIIe siècle. Pour conserver une partie du trafic maritime de cabotage à l’échelle de l’Europe et du royaume, une extension du port se produit vers l’aval, du Port-au-Vin vers la Fosse puis la Chézine, l’Hermitage et Chantenay. La poussée démographique que connaît cette paroisse située aux portes de Nantes à la fin des années 1770 annonce la banlieue portuaire et industrielle du XIXe siècle.

4L’un des aspects marquants du complexe portuaire de Nantes est la tutelle exercée par les habitants de la cité ligérienne sur cet espace. Les Nantais entendent contrôler étroitement les havres de l’estuaire pour empêcher tout développement concurrentiel en aval. Ils sont parvenus à leurs fins durant la période étudiée ; il suffit pour s’en convaincre d’évoquer comme les négociants de Nantes se sont opposés aux velléités d’émancipation des Paimblotins dans les dernières années de l’Ancien Régime.

5Ensuite, l’étude des registres portuaires nantais du XVIIIe siècle a mis en évidence un espace où les échanges par voie de cabotage sont particulièrement denses : des ports du Blavet jusqu’aux Sables-d’Olonne et même l’île d’Yeu. Malgré une progression du tonnage des arrivées de bâtiments en provenance de ces havres de plus de 40 % (de 22 000 tx environ en 1702 à 31 000 tx en 1772), la part de ces trafics de proximité dans l’activité globale du port de Nantes diminue de manière sensible : de 46 % en 1702 à 25 % en 1772. L’envolée que connaît le mouvement du port de Nantes au XVIIIe siècle résulte donc de la forte hausse des armements transatlantiques et de l’augmentation du commerce avec les ports étrangers. La fonction nantaise d’approvisionnement et de redistribution s’inscrit de plus en plus dans une échelle nationale et européenne.

6À l’intérieur de cette zone, les échanges sont largement portés par des des productions de secteur primaire selon des circuits qui se placent dans la continuité de ceux mis en évidence dans les tableaux du commerce nantais dressés par H. Touchard et J. Tanguy pour le Moyen Âge et les XVIe et XVIIe siècles. Aux entrées, on relève en premier lieu la présence de sel provenant des marais de la baie de Bourgneuf surtout et du pays guérandais dans une moindre mesure, de céréales issues des ports du golfe du Morbihan, plus largement d’ailleurs du littoral sud de la Bretagne, et même ponctuellement de la Baie, enfin de poissons (des sardines salées à vert principalement) apportés par des chaloupes de Belle-île, Carnac, Houat et Hoëdic. Aux sorties, les vins de Loire et du pays nantais sont toujours au XVIIIe siècle des produits importants des échanges à court rayon. Il en est de même pour les eaux-de-vie et la chaux. Le différentiel entre les entrées et les sorties à vide ou sur lest – les premières étant plus élevées que les secondes – se constate à Nantes. Cependant, cette remarque n’est pas applicable aux échanges de proximité : les départs pour les ports du littoral poitevin, de la baie de Bourgneuf, de l’estuaire de la Loire et du pays guérandais se font davantage sur lest que les entrées. La situation est différente pour les ports de la Vilaine, du golfe du Morbihan et surtout le pôle lorientais.

7Arrêtons-nous sur les relations privilégiées entre les deux grands ports de commerce du sud de la Bretagne. Lorient, port de la compagnie des Indes, ville neuve en plein essor démographique au XVIIIe siècle, dispose de suffisamment d’atouts et de moyens propres pour ne pas être compris dans l’aire portuaire de Nantes. Mais les ventes de la compagnie des Indes se font un temps à Nantes et, après le transfert des ventes à Lorient, les négociants de la cité ligérienne conservent un rôle clé. Les flux de cabotage sont en partie alimentés par les produits orientaux dont certains, les fameuses guinées bleues et les cauris, sont ensuite embarqués pour des voyages négriers au départ de Paimbœuf. D’autre part, G. Le Bouëdec a bien mis en évidence l’importance de l’hinterland nantais pour l’approvisionnement de la compagnie. Si les liens privilégiés entre les deux places constituent un aspect majeur de l’économie maritime bretonne du XVIIIe siècle, par leur intensité et par la mobilisation des flottilles de cabotage, toutefois la thèse selon laquelle Lorient participe au second cercle de l’aire portuaire de Nantes ne paraît pas soutenable.

8D’autre part, l’étude des cahiers des greffes d’amirauté de plusieurs ports de la façade atlantique apporte un contrepoint aux conclusions tirées des fonds nantais, en nuançant l’emprise de la cité ligérienne, en particulier sur les ports exportateurs de sel. Les ports céréaliers comme Vannes entretiennent également des échanges soutenus avec d’autres ports que Nantes, tel Bordeaux. Par ailleurs, la capitale de la Guyenne constitue la grande destination pour la sardine pressée. Malgré tout, l’analyse fournie par l’étude des acteurs dans le secteur du sel montre un rôle de la place nantaise, en tant que lieu d’implantation de négociants d’origines étrangères participant au commerce international de ce produit.

9Les recherches conduites sur les ports d’attache des embarcations fréquentant le port de Nantes révèlent encore l’importance des unités des ports situés à proximité de Nantes. Au XVIIIe siècle, les tonnages des bâtiments des sites compris entre le pôle lorientais et Les Sables-d’Olonne cumulent 26 500 tx environ des entrées en 1702 et 39 100 tx en 1772, soit une croissance de plus de 47 %. On peut mettre en parallèle ce chiffre avec celui observé pour les provenances des arrivées de ces mêmes lieux (40 % entre ces deux dates). À l’instar de ce qui se passe pour les courants d’échanges, la part des flottes des ports proches de Nantes baisse dans le volume total des entrées du port ligérien : de 55 % en 1702 à 31 % en 1772.

10Les flottilles de service des ports du golfe du Morbihan emmenées par les unités de la presqu’île de Rhuys surtout, et des îles du Golfe dans une moindre mesure (exception faite de l’île d’Arz en 1732 qui occupe la première position des ports du Golfe), dominent en additionnant 11 600 tx aux entrées en 1702 et 12 000 tx en 1772. Arrivent ensuite les bâtiments de la Baie, parmi lesquels les embarcations de Noirmoutier jouent un rôle majeur. L’ensemble des unités de la Baie totalise 8 500 tx en 1702 et 6 800 en 1772. Ce déclin est explicable surtout par l’effacement au fil du siècle des bâtiments de sites comme La Bernerie ou Bourgneuf, malgré une compensation partielle par la hausse des embarcations de Bouin. Force est donc de constater la progression des bâtiments des ports du Blavet, en premier lieu ceux de Lorient. Le port de la compagnie se constitue une véritable flottille de cabotage dans la seconde moitié du siècle. Au cours du siècle, les embarcations de Montoir jouent un rôle croissant alors qu’arrivent en nombre des unités de l’île d’Yeu en 1772.

11La spécialisation de la plupart de ces embarcations dans le cabotage de proximité à destination ou au départ du port de Nantes doit être soulignée. Les unités du golfe du Morbihan assurent prioritairement les relations entre les ports comme Vannes (durant tout le XVIIIe siècle) et Auray (essentiellement dans la première moitié du siècle) avec la cité ligérienne ainsi qu’une partie des liaisons Lorient-Nantes. Les flottilles de la Baie s’occupent essentiellement des liaisons entre cet espace et le port ligérien. Il en est de même pour la flottille de Lorient-Port Louis par la prise en charge prioritaire des flux entre le Blavet et la Loire. Les bâtiments de Méan, quant à eux, assurent un service de proximité en participant aux liens entre la Baie et Nantes dans les années 1770. Finalement, les embarcations des deux seuls sites qui remplissent un cabotage à plus long rayon pour le port ligérien sont celles de Penerf et surtout de l’île d’Yeu. La flottille insulaire paraît passer, en partie, dans l’orbite nantaise au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle.

12Une logique de partage des tâches est observable entre le pôle de commandement nantais, se réservant le trafic transatlantique des colonies de plantations, et les ports situés le long de la proche façade atlantique, assurant le cabotage de concentration et de redistribution ; dans le cas nantais, il s’agit essentiellement des flux de cabotage à court rayon.

13Le développement des échanges transocéaniques constitue l’un des aspects majeurs de l’évolution de l’économie maritime durant l’époque moderne et le moteur de la croissance des grands ports de commerce français du Ponant. Deux domaines sont à distinguer : la pêche morutière en Amérique septentrionale et surtout les armements en droiture et pour la traite négrière. Nantes est une place de décharge morutière aux XVIIe et XVIIIe siècles, principalement pour la morue verte. Le port est approvisionné en grande partie par les vaisseaux des havres situés à proximité : ces derniers pèsent entre 60 et 80 % du tonnage des navires morutiers déchargeant sur la Loire au XVIIIe siècle. Le Croisic joue un rôle important jusqu’à la fin du XVIIe siècle, les ports de la baie de Bourgneuf déclinent au cours des années 1720, seul le site des Sables-d’Olonne poursuit ses activités tout au long de la période. Sa place sur le marché nantais est essentielle. Il convient de souligner également l’importance des retours effectués à Nantes par rapport aux armements réalisés par ces ports.

14Si la contribution des ports de la proche façade atlantique au ravitaillement de la cité ligérienne en poissons est essentielle, la situation est radicalement différente dans le secteur des produits coloniaux (sucre, coton, café, tabac). Le système de l’Exclusif mis en place par la monarchie limite les armements vers les colonies d’Amérique centrale à quelques ports privilégiés ; il en est de même pour la traite négrière. Pour les ports proches de Nantes, seuls Vannes et plus tardivement Les Sables-d’Olonne obtiennent cette autorisation. Le premier participe faiblement au trafic en droiture et en traite tandis que le second équipe quelques unités vers les Îles sans prendre part directement au commerce négrier. Quelques tentatives d’armements pour les Îles ont lieu dans les anciens ports morutiers comme Pornic où l’on constate une véritable tentative de reconversion de la flotte à la fin des années 1720 ; Le Croisic voit aussi se mettre en place quelques initiatives, principalement à la fin des années 1730 et au début des années 1740. Mais les Nantais restent maîtres dans le domaine du ravitaillement en produits coloniaux et profitent des quelques tentatives menées, généralement avec le soutien de négociants de la cité ligérienne, puisque les armements et les retours doivent légalement se faire dans un port autorisé ; le plus proche pour les ports du pays guérandais et de la baie de Bourgneuf étant Nantes.

15Les armements transatlantiques offrent également un exemple de partage des tâches entre le pôle de commandement et les ports environnants. En effet, les Nantais équipent très peu de navires pour la grande pêche au XVIIIe siècle. Rappelons que ce secteur a joué un rôle majeur au siècle précédent en permettant aux Nantais de participer directement à l’armement maritime. Tout se passe comme si les Nantais désormais délèguent l’armement morutier, dont les profits sont plus faibles que ceux engendrés par les armements en droiture ou en traite, aux ports situés à proximité.

16La tutelle exercée par Nantes sur les ports situés à proximité est également observable par les relations que les entrepreneurs de ces havres entretiennent avec la place commerciale nantaise. Certes, il se maintient dans la plupart des sites, au moins pendant une partie de la période étudiée, une catégorie de négociants autochtones suffisamment puissants pour continuer à équiper des navires principalement pour la grande pêche, mais aussi en direction des Îles à sucre et même des côtes de l’Afrique. Cette remarque est valable pour Vannes et Les Sables-d’Olonne, mais inclut également les ports du Croisic, du Pouliguen, de Pornic, de La Bernerie et de Bourgneuf. Certains de ces acteurs, marchands, négociants, capitaines de navires ou officiers navigants, viennent même investir dans les vaisseaux nantais équipés principalement en droiture et en traite, signe tangible de leur volonté de tirer profit du commerce colonial. Une évolution est sensible dans ce domaine entre la fin du XVIIe siècle et la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cependant, si des personnes résidant dans des ports proches de Nantes peuvent investir aux côtés de négociants appartenant à l’élite négociante de la cité ligérienne à la fin du règne de Louis xiv, il n’en est plus de même passé le milieu du XVIIIe siècle.

17En ce qui concerne la propriété des navires des ports de la proche façade atlantique équipés au long cours, une propriété autochtone se maintient. Toutefois, durant l’ensemble de la période étudiée, les Nantais augmentent leurs participations dans les navires des ports environnants ainsi que les rachats d’unités. Les Nantais disposent également d’autres moyens d’investissement comme les prêts à la grosse aventure ou les assurances maritimes. Dans ces domaines, place nantaise est régulièrement sollicitée par les négociants des ports environnants, même si l’ampleur de ces phénomènes reste difficilement mesurable à partir de la documentation existante.

18Reste à préciser les différentes trajectoires des ports situés à proximité de Nantes au XVIIIe siècle et à les expliquer. On note une diversité de situations. La démographie constitue une bonne entrée pour mesurer la vitalité d’une ville. Dans ce domaine, Paimbœuf connaît un développement spectaculaire, intimement lié à la dynamique nantaise (3 000 habitants en 1735, 6 700 à la fin de l’Ancien Régime, peut-être 9 000 en comptant la population flottante) ; Couëron et Port-Launay progressent également, mais de manière plus modérée (3 000 habitants à la fin du XVIIe siècle, un peu plus de 3 800 en 1795). La presqu’île de Rhuys représente également un solide terroir avec, par exemple, 5 400 habitants à Sarzeau à la fin des années 1760. En revanche, des ports comme Le Pellerin, Le Croisic, Pornic, Saint-Gilles, Les Sables-d’Olonne et l’île d’Yeu subissent des baisses de population parfois importantes. Le Croisic compte autour de 5 600 habitants en 1690, 4 000 en 1770 et moins de 2 500 en 1831 ; la ville des Sables-d’Olonne abrite peut-être 10 000 âmes en 1700 et un peu plus de 5 000 en 1800.

19Progression ou déclin trouvent leurs explications dans le fonctionnement de l’aire portuaire nantaise : Le Pellerin est victime de la réorganisation de l’estuaire, l’ancien avant-port étant coincé entre Nantes, Paimbœuf et Couëron/Port-Launay, sites en expansion. L’impact des événements a pesé de tout son poids sur certains ports : la flotte de l’île d’Arz est largement victime des conséquences de la guerre de Sept Ans. La difficulté à redéployer une activité est une cause de déclin. Il en est ainsi pour les ports morutiers de la façade atlantique où les armements connaissent une forte baisse, victimes, tout à la fois, des multiples difficultés que connaît cette pêche au XVIIIe siècle, de la faiblesse des infrastructures de leurs havres, et de la montée en puissance du commerce colonial : les armements en droiture et en traite représentant pour les négociants des ports environnants une perspective de profits plus importante que la pêche.

  • 1 Bouyer M., Les gens de mer…, op. cit., t. II, p. 542-543.

20En outre, M. Bouyer a mis en évidence l’importance du nombre des marins enrôlés sur les navires nantais originaires des espaces proches de Nantes, dévoilant au passage un aspect essentiel de l’aire portuaire, celui d’un bassin de main-d’œuvre. Les marins de l’estuaire de la Loire composent entre 16 et 24 % des équipages. Additionnés aux effectifs de Nantes (21,8 %), ils fournissaient entre un tiers et la moitié des équipages marchands selon les années. Le littoral de la région nantaise est sollicité et assure entre 19 % et 23 % des effectifs (la partie nord, surtout autour du Croisic, fournissant en moyenne 8,4 % des hommes et, au sud, la baie de Bourgneuf, 12,3 %. Les équipages sont complétés par les marins de Bretagne (12,2 % dont les principaux centres de recrutement sont : le golfe du Morbihan, les aires lorientaise, briochine et malouine), du bas Poitou (6,4 %), et surtout de France, hors du quart nord-ouest, et de l’étranger1. Ces recrutements nantais constituent une concurrence à la mise en place d’armements dans les ports situés à proximité d’autant que les besoins nantais sont croissants au fil du XVIIIe siècle.

21Toutefois, l’explication décisive réside dans la réduction des milieux entrepreneuriaux des ports situés le long de la façade atlantique. Le retrait de certains négociants en vue par une « sortie par le haut » du négoce et l’accès à la noblesse, ajouté à la migration de certains acteurs en direction de la cité ligérienne, a porté un coup parfois fatal aux capacités d’initiatives de certains lieux ; d’autant plus que, ces ports n’étant guère attractifs, le renouvellement des élites marchandes s’y fait mal, tant l’attractivité de Nantes est forte en raison des possibilités qu’elle offre aux candidats à l’ascension sociale. A contrario, la cité ligérienne offre une perspective intéressante pour tous les candidats à l’ascension sociale.

22La structure et les dynamiques internes de l’aire portuaire de Nantes se dessinent. À l’intérieur de celle-ci l’influence de Nantes ne s’exerce pas toujours de la même façon et des évolutions interviennent au cours du XVIIIe siècle, dans et aux marges de cette aire.

23Les ports de la Baie de Bourgneuf sont davantage sous l’emprise nantaise que les havres du pays guérandais, dont la situation géographique les place en position de carrefours des échanges à l’échelle de la Bretagne, du royaume et de l’Europe du Nord. Au-delà, l’influence nantaise est moins prégnante sur les ports proches de la Vilaine et du golfe du Morbihan ; ces sites, disposant d’une certaine autonomie (Redon approvisionne le marché rennais, Vannes est une ville relativement importante tout au long du XVIIIe siècle), sont également attirés par le pôle lorientais.

24Au sud, l’absorption de Saint-Gilles par Nantes intervient dans la seconde moitié du XVIIe siècle et n’est pas remise en cause par le regain du cabotage gillocrucien à la fin du XVIIIe siècle qui se fait en direction de Bordeaux. Les liens entre Les Sables-d’Olonne et la cité ligérienne sont très étroits tout au long de la période. Toutefois, la ville, malgré son déclin, continue de disposer d’un milieu négociant constituant un solide îlot de résistance à l’emprise nantaise ; elle est par ailleurs attirée par le port de La Rochelle, où des navires sablais sont équipés à destination des îles de l’Amérique au milieu du siècle, et aussi par celui de Bordeaux. Les Sables-d’Olonne conservent un armement local, comme le site de Vannes mais subit incontestablement l’influence, voire la tutelle, de Nantes.

  • 2 Pétré-Grenouilleau O., Les négoces maritimes…, op. cit., p. 59-61.

25Le fonctionnement de l’aire portuaire de Nantes permet de nuancer plusieurs affirmations formulées par O. Pétré-Grenouilleau2. D’après les éléments réunis, le port des Sables-d’Olonne paraît davantage sous l’influence de Nantes que de La Rochelle. En outre, dans la carte du complexe portuaire nantais qu’il dresse pour la fin du XVIIe siècle, Le Croisic et Pornic sont des ports relativement importants dans les secteurs de la pêche et du commerce, qui deviennent ensuite les principaux « ports émissaires » de Nantes. Le terme de port émissaire renvoie à la notion de service rendu au port principal, soit pour le flux de marchandises, la mobilisation de la flottille locale, ou la réponse au besoin de main-d’œuvre. Pornic ne correspond à aucun de ces critères ; passées les années 1730 caractérisées par la fin des armements transatlantiques, le port entre dans une phase de déclin accéléré. Quant au Croisic, il fournit des marins aux navires ligériens, les flux de marchandises entre le port et Nantes sont faibles et la flottille croisicaise est relativement peu présente dans le port ligérien. C’est plutôt du côté de la presqu’île de Rhuys et de Noirmoutier qu’il faut rechercher les principaux ports émissaires de Nantes dans le secteur du cabotage au XVIIIe siècle. Le système morutier quant à lui se recentre sur Les Sables-d’Olonne. Enfin, les ports du sud de la Baie, de Redon et de Vannes apparaissent comme des fournisseurs importants de Nantes.

  • 3 Hyde F. Y., Liverpool and the Mersey. An Economic History of a Port, 1700-1900, Newton Abbot, 1971
  • 4 Exposición de Sevilla (1994), Puertos espagñoles en la historia, Madrid, Ministerio de Obras Públi (...)

26Le modèle nantais d’aire portuaire est à comparer à d’autres à l’échelle de la France et de l’Europe. Le « complexe portuaire marseillais », étudié par G. Buti, attire à lui des flottilles de cabotage en provenance de sites comme Arles et Saint-Tropez. Bordeaux étend pour sa part son influence aux ports de l’estuaire de la Gironde dont les flottilles de cabotage sont largement accaparées par son commerce ; de plus, la capitale de la Guyenne dépend largement des zones maritimes proches pour les équipages de ses navires armés au long cours. Rouen et les ports de la Seine-Maritime présentent une organisation proche de celle de Nantes ; en effet, Rouen délègue très tôt la fonction d’armement aux ports situés à l’embouchure de la Seine dans le domaine morutier : d’abord au Havre puis, une fois que ce port fait le choix du commerce colonial, à Honfleur, Dieppe et Fécamp. À l’échelle de l’Europe, Bristol résiste mal à la croissance de Liverpool, tiré en avant par la modernité de ses docks installés à l’embouchure du large et profond estuaire de la Mersey3. En Espagne, Séville est littéralement déclassée par la baie de Cadix4.

  • 5 Le Bouëdec G., « Le réseau portuaire… », op. cit., p. 125-126.

27Au XIXe siècle, l’aire portuaire de Nantes connaît d’importantes transformations avec la Révolution industrielle. Elles se matérialisent par une concentration des activités dans un avant-port plus maritime : Saint-Nazaire qui remplace Paimbœuf. Cette situation résulte de la montée du poids relatif du charbon puis des hydrocarbures dans le transport maritime. Les outils portuaires doivent s’adapter pour suivre l’augmentation des tonnages avec les navires à vapeur puis à coque d’acier. L’arrivée de la vapeur dans les transports maritimes et terrestres bouleverse le réseau portuaire breton. Son application précoce sur les lignes de cabotage provoque le déclin de ces activités d’échanges de concentration et de redistribution, qui constituaient jusque-là le « socle de l’économie portuaire bretonne »5.

28Les ports de la façade atlantique, tels Nantes et Bordeaux, qui avaient fondé leur développement sur le commerce colonial, entrent alors dans un processus de déclassement à l’échelle nationale et européenne. Ce déclin s’explique en partie par la situation de ces places, mal positionnées vis-à-vis des grandes zones industrielles concentrant les activités et la population. Le « siècle d’or » du port de Nantes n’est plus qu’un souvenir.

Notes

1 Bouyer M., Les gens de mer…, op. cit., t. II, p. 542-543.

2 Pétré-Grenouilleau O., Les négoces maritimes…, op. cit., p. 59-61.

3 Hyde F. Y., Liverpool and the Mersey. An Economic History of a Port, 1700-1900, Newton Abbot, 1971.

4 Exposición de Sevilla (1994), Puertos espagñoles en la historia, Madrid, Ministerio de Obras Públicas, Transpórtes y Medio Ambiante, 1994.

5 Le Bouëdec G., « Le réseau portuaire… », op. cit., p. 125-126.

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