La diffusion du court métrage dans les réseaux de ciné-clubs : les exemples de la Fédération française des ciné-clubs et de l’Ufoleis
p. 115-132
Texte intégral
1La période 1945-1968 qui correspond à un moment extrêmement faste pour le court métrage français, en terme de production et de qualité, contient dans ces mêmes limites le noyau central de l’histoire des principales fédérations de ciné-clubs : leur naissance, leur extension et leur « âge d’or ». Il semblait donc normal que les deux se rencontrent. Au vu de leur catalogue et répertoires, les ciné-clubs s’affirment, en effet, durant ces années, comme des diffuseurs privilégiés du court métrage. Et pourtant ce rôle de défense et de promotion a rarement été envisagé. Pour comprendre les origines de ce lien privilégié et tenter de dresser un panorama des différentes modalités de programmation des films courts, il serait utopique d’espérer étudier les cas de toutes les fédérations de ciné-clubs. On n’en compte pas moins d’une quinzaine pour cette période ! J’ai donc choisi de restreindre volontairement cette étude à deux exemples de fédérations de ciné-clubs, les deux principales : la Fédération française des ciné-clubs (FFCC) et l’Union française des œuvres laïques de l’enseignement par l’image et le son (Ufoleis) dont les objectifs étaient complémentaires. Elles ont, de surcroît, publié chacune un mensuel de cinéma où les chroniques sur le court métrage tenaient une place significative, rendant ainsi plus aisée l’étude de leur politique de diffusion.
Vocation des ciné-clubs
2Le mouvement des ciné-clubs trouve son origine au début des années 1920. Sans en retracer l’histoire complète, précisons juste quelques détails relatifs à sa constitution afin de mieux saisir par la suite les raisons de son implication dans la défense et la valorisation du court métrage. Les ciné-clubs furent fondés par diverses personnalités du monde de la critique et de la réalisation désireuses de montrer des œuvres de qualité, d’avant-garde ainsi que des films censurés autour desquels des discussions étaient organisées. Dès les origines, le but des ciné-clubs était instructif, il s’agissait d’étendre la connaissance du cinéma chez les adhérents. Toute une dynamique gagna bientôt la capitale où se créèrent successivement le Club des amis du septième art (CASA) fondé par Canudo en 1921, le Club français du cinéma dû à Léon Poirier en 1923, la Tribune libre du cinéma de Charles Léger en 1925 ou encore les Amis de Spartacus institué par Léon Moussinac, Francis Jourdin et Jean Lods en 1928. Ce premier mouvement permit d’aboutir en 1929 à la création de la Fédération des ciné-clubs de langue française présidée par Germaine Dulac. L’arrivée du parlant qui lança le cinéma dans une ère d’industrialisation radicale fut relativement mal accueillie au sein de cette communauté de cinéphiles qui focalisa alors son attention sur le muet auquel les clubs assurèrent ainsi une certaine survivance dans les années 1930. De nouveaux groupements furent malgré tout créés durant cette décennie. En 1932, ce fut le Club Cendrillon de Sonika Bo, spécialisé dans la diffusion de films pour le jeune public. En 1933 et 1936, deux mouvements placés sous le patronage de la Ligue de l’enseignement et orientés vers la diffusion de films culturels, récréatifs et pédagogiques furent également fondés. Il s’agissait, respectivement, de l’Union française des œuvres du cinéma éducateur laïque (Ufocel) et de Ciné-jeunes de Marie Lahy-Hollebecque. En 1935, mentionnons encore l’Alliance du cinéma indépendant puis, dans son sillage Ciné-Liberté en 1936. Citons enfin, le Cercle français du cinéma d’Henri Langlois et Georges Franju créé en 1935 dont l’importance n’est pas à négliger puisqu’il aboutit deux ans plus tard à la création de la Cinémathèque française. Toutes les activités de ces associations furent stoppées pendant l’Occupation. Il fallut attendre la Libération pour que des ciné-clubs se reforment enfin et qu’en mars 1945 soit fondée la Fédération française des ciné-clubs (FFCC), héritière directe de la Fédération des ciné-clubs de langue française. Dans l’immédiat après-guerre, l’Ufocel reprit parallèlement sa mission pédagogique et publia son bulletin de liaison, Informations Ufocel.
3À partir de ce moment, l’extension des ciné-clubs est fulgurante. Cette véritable « explosion » se traduit en termes de chiffres. En deux ans et demi, la seule FFCC voit son réseau s’étendre de façon impressionnante. Un premier club est fondé en novembre 1944 quatre autres en mars 1945. Ils se regroupent à cette date pour former la FFCC. Selon les sources, on dénombre ensuite douze ou vingt clubs en juin 1945, vingt-trois en juin 1946 et cent trente en juin 19471. En 1965, la revue Cinéma fait mention de 520 ciné-clubs affiliés à la fédération. Jacques Robert, directeur adjoint de la FFCC se félicite de ce succès dans les Cahiers du cinéma : « Ça ne fait que s’amplifier. On assiste à une création permanente des ciné-clubs2. » En termes de fréquentation, cet accroissement se traduit par une augmentation rapide du nombre des adhérents. On passe de 400 en novembre 1944 à plus de 100 000 en juin 19473. Les chiffres dont nous disposons pour rendre compte du développement de l’Ufocel sont loin d’être aussi précis mais selon Vincent Pinel dans Introduction au ciné-club, c’est cette organisation qui « regroupe le plus d’adhérents et d’associations (une dizaine de milliers)4 » en 1963. Notons au passage qu’elle change de nom en 1953 et devient l’Ufoleis. Rapidement donc, la FFCC et l’Ufoleis s’affichent comme les deux plus importantes fédérations de ciné-clubs en France.
4Elles ne se font pas véritablement concurrence et ont chacune des ambitions particulières. Vers 1947, la FFCC définit ainsi sa vocation :
Le but essentiel poursuivi par les ciné-clubs est la diffusion de la culture cinématographique. Il faut donc les distinguer d’autres organismes qui donnent des séances cinématographiques dans un but strictement distractif.
Le but culturel des ciné-clubs s’affirme par le fait que les films sélectionnés, projetés, sont précédés d’une présentation ayant pour but d’attirer l’attention du spectateur sur la place qu’occupe l’œuvre dans l’évolution de l’art cinématographique ; sur la qualité, les influences subies, l’apport original du metteur en scène et des différents collaborateurs de réalisation.
Cependant, les ciné-clubs ne sont pas de petites chapelles consacrées à la défense de telle ou telle technique. On ne considère jamais celle-ci que pour autant qu’elle contribue à renforcer ou à souligner les intentions du réalisateur. Si du point de vue esthétique, il est nécessaire de tenir compte de la technique, les ciné-clubs s’attachent davantage au fond et portent plus spécialement leurs efforts sur l’étude de ce dernier.
En outre, la projection des films est suivie de débats dirigés par l’animateur du club et au cours desquels est procédé à une libre discussion.
La formation du spectateur est complétée par des conférences, par la constitution de bibliothèques dont les ouvrages sont mis à la disposition des adhérents, par des expositions, par des cercles d’études, etc.5.
5La FFCC forme donc des cinéphiles parmi les spectateurs de tous horizons. La vocation culturelle de l’Ufoleis n’est pas de même nature et son terrain d’action est également plus ciblé. Ses deux noms successifs l’indiquent, l’Ufocel puis l’Ufoleis s’intéresse à l’utilisation du cinéma comme loisir distractif, intelligent et sain – pour reprendre un terme abondamment employé à l’époque – dans les amicales laïques des écoles. Son public est essentiellement regroupé dans les milieux péri et post-scolaires. Ses animateurs sont des pédagogues, des instituteurs, des professeurs de l’enseignement secondaire qui souhaitent organiser des séances à destination des adultes comme des jeunes. Voici comment Jean-Jacques Camelin, l’un de ses membres qui la représente à un stage de formation en 1959, définit son rôle :
Ses origines la lient profondément à l’école publique française qui sut accueillir, dans le cadre d’amicales laïques, existant parallèlement à l’établissement scolaire, le cinéma nouveau venu, complément indispensable et naturel du film d’enseignement utilisé dans la classe même. Là où aucune société locale d’éducation populaire n’existait, le cinéma a souvent été à l’origine de sa création.
C’est la Ligue française de l’enseignement, Confédération générale des œuvres laïques qui groupe toutes ces associations de base et possède l’habilitation à diffuser la culture par le film. Sur ce point, il importe d’apporter tout de suite une précision : alors que d’autres fédérations habilitées, elles aussi, à diffuser la culture par le film, sont spécialisées dans cette branche et ne possèdent aucune activité annexe, la Ligue française de l’enseignement, elle, est un organisme polyvalent qui traite en premier lieu les problèmes les plus divers touchant à l’enseignement et vise ensuite, par l’intermédiaire de ses sections spécialisées, à fournir à ses membres des distractions saines, cette utilisation intelligente des loisirs qui les fait moyens de culture6.
6Si les intérêts de la FFCC et de l’Ufoleis semblent parfois se recouper, si la formule type de la séance de ces ciné-clubs comprenant une présentation, une projection puis une discussion tend à être identique, deux tendances se dessinent cependant. Les ciné-clubs ne se confondent pas, en effet, avec le cinéma éducateur. L’Ufoleis accorde ainsi au cinéma une valeur en tant que loisir que la FFCC n’envisage jamais en ces termes. Pour cette dernière, le ciné-club est un regroupement de spectateurs que l’on oserait dire « qualifiés » ou en voie de l’être grâce à l’intervention d’un ou de plusieurs animateurs compétents sur les questions d’histoire et d’esthétique du cinéma. Dans le texte de la FFCC précédemment cité le mot « formation » du spectateur était d’ailleurs explicitement employé. Pour l’Ufoleis la séance de cinéma possède la vertu première de « développer la personnalité7 » des adhérents. Il s’agit d’apprendre à organiser intelligemment son temps libre, en dehors du travail ou de l’école. C’est l’idée sociale d’une éducation populaire permanente dont l’étude du cinéma est l’un des pans essentiels mais non une fin en soi. Camelin est clair à ce sujet :
Puisque le film, moyen d’expression, aborde des problèmes qui sont ceux de la vie quotidienne, il faut exploiter les ressources qu’il nous fournit. Le film sera mis au service de l’action éducatrice du groupe de base. Il sera mis sur le même plan que le roman, que l’exposition, etc. Il entrera même avec l’œuvre littéraire, le disque, le document, dans le montage culturel8.
7Pour reprendre les termes employés par Pinel dans son ouvrage de référence, il faudrait donc dire que la FFCC considère le cinéma davantage comme « objet de culture » alors que l’Ufoleis en fait un « moyen de culture9 » car son dessein dépasse de beaucoup la seule étude des films. Pour preuve, l’Ufoleis invite ses membres à tourner des documents audiovisuels au cours de stages et à les diffuser. Elle suit également les projets de réalisations dans les écoles et colonies de vacances, ce que la FFCC refusera, elle, longtemps d’envisager par souci de préserver son action culturelle en faveur d’un cinéma de répertoire.
Une politique de diffusion en faveur du court métrage
8Pour comprendre ce qui va suivre, il convient d’abord de définir deux notions : celle de films non commerciaux et celle de cinéma non commercial. Le premier terme désigne, selon Paul Léglise, tous films « réalisés dans le but d’enseignement et, d’une manière générale, des films non commerciaux réalisés à la demande de certains services publics10 ». Ce sont par exemple les films subventionnés par le ministère de l’Éducation nationale en vue d’une diffusion en milieu scolaire pour parfaire la leçon de mathématiques, de géographie, d’histoire, de sciences naturelles, etc. Ce sont aussi les films commandités par les ministères dans un but de communication et d’information auprès des populations nationales ou étrangères : ministère du Tourisme, de l’Agriculture, etc. Ajoutons à cette liste les films amateurs. L’expression « cinéma non commercial » sert, elle, à désigner certains circuits d’exploitation qui échappent à la législation du cinéma commercial de par leur vocation éducative et culturelle. Ce statut a été établi par un décret daté du 21 septembre 1949 qui stipule que sont concernées : les séances organisées par les réseaux de ciné-clubs, les manifestations ponctuelles des associations (comités d’entreprises par exemple) dans la limite de quatre par an et sous garant de l’autorisation préalable du CNC, celles des services publics (comme toutes les activités de développement en milieu rural organisées par le ministère de l’Agriculture par exemple), les séances gratuites, etc. Pour simplifier à l’extrême, disons tout bonnement que, qu’ils diffusent des films sortis en salles ou non, les ciné-clubs échappent, dans tous les cas, à la législation du cinéma commercial grâce à ce décret de 1949 qui connaîtra ultérieurement quelques modifications qu’il n’est cependant pas utile de préciser ici.
9Par leur vocation à faire connaître et aimer la culture cinématographique, les deux mouvements de ciné-clubs s’accordent à diffuser tous les films témoignant d’un intérêt artistique, pédagogique ou documentaire indéniable et cela quels que soient leur genre, leur nationalité, leur provenance, leur destination ou leur durée. Ce principal critère de sélection est commun à la FFCC et à l’Ufoleis. Ainsi, tous les courts métrages de qualité sont-ils susceptibles d’être retenus par ces fédérations, qu’ils fassent partie du circuit commercial ou non. Si l’on étudie les catalogues de l’une ou l’autre de ces fédérations, on se rend vite compte que le nombre de courts métrages reste minoritaire par rapport aux longs métrages qui sont plus facilement programmés par les animateurs mais aussi, souvent, plus appréciés des spectateurs. Cependant, la FFCC comme l’Ufoleis ont toujours apporté une attention particulière à la diffusion et à la valorisation du court métrage. 1949 est à cet égard une année charnière. Alors que les ciné-clubs viennent d’être dotés d’un statut, la FFCC et l’Ufocel commencent à s’organiser et notamment à mettre au point leurs catalogues de programmation, donnant une place de choix au court métrage.
10Au mois de juillet 1949, la sous-commission à la programmation de la FFCC commence à soulever le problème des films de compléments. Jusque-là, la fédération, qui se fournit auprès des distributeurs du réseau commercial, recevait pour chaque long métrage dont elle acquérait les droits, le court métrage qui lui avait été associé en salle. La médiocre qualité de la plupart de ces films de compléments que le distributeur achetait lui-même en amont au meilleur prix auprès de producteurs et de commanditaires peu exigeants ne pouvait que desservir l’ambition des ciné-clubs et la sous-commission à la programmation préconise alors tout simplement « de supprimer les films de compléments automatiquement envoyés avec tel grand film11 ». Mais il ne s’agit pas, non plus, de desservir la production du court métrage dans son ensemble, ce à quoi cette mesure, si elle est appliquée de manière radicale, risque d’aboutir. Les membres de la sous-commission à la programmation prennent bien soin de préciser, plus loin dans le même texte, que le rejet du film de complément systématiquement envoyé par le distributeur ne signifie pas celui de l’ensemble de la production de court métrage. Il s’agit de privilégier une solution de remplacement et non d’effectuer une suppression pure et simple. La sous-commission recommande ainsi au service programmation de la FFCC de « rechercher le plus grand nombre possible de courts métrages de tous genres et soit d’en composer des programmes complets, soit de les mettre, dans la limite des disponibilités, à la disposition des clubs comme compléments de programme » et aux animateurs des clubs « de compléter leur programme de leur propre initiative, soit par les moyens dont ils disposent soit parmi les courts métrages du catalogue qui leur sera adressé12 ». Aucune solution satisfaisante n’est donc pour le moment envisagée et l’on compte davantage sur la bonne volonté individuelle des membres de la FFCC pour entreprendre la difficile tâche de programmer des courts métrages. En novembre cependant, la FFCC, forte de son nouveau statut déposé en septembre, envisage une solution plus satisfaisante. Elle fait circuler un questionnaire-référendum auprès de tous les ciné-clubs adhérents, leur demandant de préciser les films qu’ils souhaitent voir acquérir par la FFCC pour l’année 1950. Six catégories sont retenues, comprenant chacune un nombre variable de titres de films à inscrire. Les directeurs de ciné-clubs doivent faire la liste de six films muets français, six films parlants français, six films muets étrangers, six films parlants étrangers, de dix courts métrages de répertoire et de dix courts métrages récents. La place donnée au court métrage dans ce référendum est loin d’être négligeable. Sur six catégories, deux lui sont réservées. Alors que l’on demande de stipuler six titres de longs métrages pour les quatre premières catégories, on pousse le nombre de courts métrages à dix. Quoique, sur un total de vingt-quatre longs métrages et de vingt courts métrages, le budget alloué à l’achat des grands films soit donc supérieur à celui des courts, on observe tout de même un véritable souci d’équilibre, proportionnellement au nombre de titres. En février 1950, le bulletin intérieur de la FFCC fait mention de la participation très restreinte et décevante des ciné-clubs à ce questionnaire. Un premier catalogue de courts métrages parvient malgré tout à être constitué. Il comprend quarante-trois titres de films courts, anciens et récents, certains ayant été acquis sur l’avis des clubs, d’autres provenant d’organismes de prêts gratuits comme il en existe un certain nombre : l’Office national suisse du Tourisme, l’Institut suédois ou l’Ambassade du Danemark. Les films français sont au nombre de douze. Ainsi que les questions du référendum le laissaient prévoir, ils s’échelonnent de 1928 à 1949, donnant une place prépondérante à des cinéastes réputés et au film d’art alors en vogue : La Tour (René Clair, 1928), Henri Matisse (François Campaux, 1946), L’Évangile de la pierre (André Bureau, 1949), Maillol et Aubusson et Jean Lurçat (Jean Lods, 1942 et 1946), Rodin (René Lucot, 1941), Naissance du cinéma (Roger Leenhardt, 1946), Solutions françaises (Jean Painlevé, 1945), Les Petits Mystères de Paris (Pierre Gout, 1948), Autour d’un film de montagne (Alain Pol, 1944), Les Isles (Alfred Chaumel, 1949), Dileptus le tueur (Charles Métain, 1946). Progressivement, au cours des années, le catalogue de courts métrages de la FFCC va continuer d’être complété avec soin jusqu’à atteindre le nombre de cinq cents films en 1967 dont deux cent quatre-vingt-un courts métrages français (fiction, documentaire, animation).
11Il est beaucoup plus difficile d’obtenir des chiffres précis pour les films de l’Ufoleis car ce n’est pas un organisme centralisé comme la FFCC. L’Ufoleis fonctionne par délégations régionales (Oroleis) et départementales (Fol). Chaque région possède sa propre cinémathèque auprès de laquelle les clubs s’approvisionnent. Le nombre de ces cinémathèques régionales est important, s’élevant à dix-neuf en 1968. Ce système de décentralisation laisse une grande autonomie aux clubs et leur permet d’agir efficacement auprès de leurs adhérents. Mais cette organisation à échelle restreinte empêche, en revanche, les membres de l’Ufoleis d’avoir une vue d’ensemble des multiples activités des ciné-clubs et de leur programmation. Contrairement à la FFCC, l’Ufoleis ne diffuse pas de catalogue complet de son fonds cinématographique réparti entre toutes les cinémathèques. Elle publie d’abord un annuaire des films sortis dans l’année, La Saison cinématographique, puis un fascicule intitulé La Programmation Ufoleis qui rassemble les fiches filmographiques des principales œuvres diffusées. En 1948, les dirigeants de l’office avaient pourtant commencé à établir un premier inventaire de tous les films disponibles à la location, pour un public scolaire essentiellement, dans le bulletin Informations Ufocel. Cette tâche avait été facilitée, il est vrai, par le passage obligatoire des films concernés devant une commission ministérielle chargée de délivrer, au cas par cas, des visas portant la mention « films d’enseignement et d’éducation ». La liste de ces films figure d’ailleurs également dans les index de La Cinématographie française. Il s’agit surtout de courts métrages d’une dizaine ou d’une quinzaine de minutes dont le contenu et la durée ont été jugés idéaux par les commissionnaires d’un point de vue pratique et pédagogique. La forme courte permet d’intégrer aisément le film dans le cours de la leçon et correspond, de surcroît, au temps de concentration moyen des élèves. Les sujets en sont très variés : mathématiques, histoire, géographie, art et patrimoine, sciences naturelles, hygiène, enseignement pratique, etc. Ce catalogue montre que l’Ufocel est déjà très bien fournie puisqu’elle possède soixante-dix-huit films réalisés dans les années 1930 et 1940. Il est, par la suite, régulièrement complété : cent seize films en 1949, cent soixante en 1950, possédant tous un agrément ministériel. Selon les chiffres avancés par Charles Perrin et Raymond Borde, autour de 1970, les Oroleis possèdent chacun environ un millier de courts métrages dans leurs catalogues13. Il faut préciser que les films recevant ce visa ne sont pas forcément des films produits et réalisés exclusivement pour le public scolaire. Il peut tout aussi bien s’agir de courts métrages issus du réseau commercial auxquels les membres de la commission du cinéma d’enseignement ont reconnu une valeur pédagogique. Trois critères commandent cette sélection :
Créé par le décret arrêté du 29 décembre 1947, le visa « film d’enseignement et d’éducation » est attribué, sur la proposition de la Commission du cinéma d’enseignement : 1° aux « films d’enseignement » proprement dits ; 2° aux films documentaires susceptibles d’être utilisés pour illustrer une leçon ou une révision ; 3° aux séries de projections fixes sur support souple, jugées d’une valeur pédagogique et technique suffisante pour être acquises et utilisées dans les établissements d’enseignement public émanant du ministère de l’Éducation nationale14.
12À côté des films spécialisés de Marc Cantagrel, Jean Brérault, Jean Benoît-Lévy, se trouvent donc, par exemple, les documentaires de biologie animale de Jean Painlevé ou des films d’art ou de patrimoine comme Aubusson et Jean Lurçat de Jean Lods (1946), Henri Matisse de François Campaux (1946), Le Mont Saint Michel de Maurice Cloche (1935), etc. Lorsque, à la fin des années 1940, Informations Ufocel commence à publier parallèlement d’amples études sur le cinéma commercial, il n’est par contre pas fait mention de l’intégration de tous ces films, courts et longs métrages confondus, dans le répertoire des offices qui se cantonne toujours au seul domaine de l’enseignement. Il ne fait pourtant aucun doute qu’ils ont été, pour la plupart, programmés dans les ciné-clubs, mais il faut attendre la création du mensuel Image et Son en 1951 pour trouver des informations relatives à la vie du court métrage non spécialisé dans les offices.
Qualités et fonctions du court métrage
13La mise en perspective de la ligne idéologique de chacune de ces deux fédérations de ciné-clubs et l’étude de leurs catalogues ou répertoires permet, en outre, de dégager les qualités et fonctions qu’elles attribuent au court métrage. La programmation de films courts peut en effet se justifier par plusieurs critères de choix.
14L’Ufoleis n’en viendra que tardivement à considérer le court métrage, et le film en général, d’un point de vue artistique et esthétique. L’aspect éducatif du cinéma qui a présidé à la création de cette fédération prime jusqu’en 1949, c’est-à-dire jusqu’à ce que le statut non commercial des ciné-clubs soit enfin spécifié, permettant ainsi la diffusion en toute légalité des films issus du réseau de la distribution commerciale. D’une période allant de leur création à la Seconde Guerre mondiale, les offices projetaient, en effet, des copies de films muets dont la provenance était souvent douteuse, comme le précisent Borde et Perrin :
Les longs métrages distribués par les Offices étaient achetés pour la plupart dans le commerce de « films en stock ». C’est un type d’entreprise qui a disparu et qui serait aujourd’hui inconcevable. Des marchands qui avaient pignon sur rue, vendaient en toute liberté des copies en 35 millimètres, sans se soucier des ayants droit, et ils formaient une véritable conspiration15.
15Le procédé était le même pour les films courts, documentaires et burlesques essentiellement qui obtenaient un très grand succès auprès des spectateurs16. Après la guerre, un tel commerce devient inimaginable. En outre, les exploitants tolèrent de plus en plus mal les ciné-clubs qu’ils accusent de concurrence déloyale. L’Ufocel se replie donc, pour un temps, sur le marché légal du film d’enseignement dont la forme privilégiée est le court métrage. Mais, même lorsque cette période est passée, les offices continuent encore de considérer le film court comme un « moyen de culture ». C’est d’ailleurs le titre d’un article de Jacques Chevallier paru dans Image et Son en avril 1954 et repris par Charles Lebrun, commissaire général de l’Ufoleis, pour une allocution prononcée lors d’une soirée de projection. Il n’est pas surprenant de constater que pour Lebrun, par ailleurs directeur du Musée pédagogique, le terme court métrage est avant tout synonyme de documentaire. Sa valeur informative suffit à valider son existence et prouve sa nécessité :
Le terme court métrage est une expression technique par laquelle des textes officiels et le langage professionnel distinguent du grand film – en raison de sa longueur en mètres, mais non forcément en raison de sa valeur cinématographique – le film dont la durée de projection n’excède pas quarante-cinq minutes. Quelle est la valeur de ce film, le sujet qu’il traite ? Peu importe, à ceux qui, ne recherchant que le profit, envisagent le film comme une simple marchandise. Qui n’a pas maintes fois entendu l’ouvreuse répondre au spectateur incorrect qui arrive en retard à la séance, et qui gênant ses voisins, s’inquiète encore de savoir à quel point en est le programme : « Ne vous inquiétez pas, ce n’est que le documentaire ! »
Documentaire ! Terme général qui a pris pour beaucoup un véritable sens péjoratif alors qu’il se présente à nous, éducateurs, d’une façon bien différente car il trouve son étymologie dans le verbe latin docere qui signifie enseigner, apprendre. Il existe donc pour nous, non pas un documentaire, mais des documentaires qui tous, contribuent de façon diverse à la formation morale et intellectuelle de nos publics17.
16Évidemment, cette conception que l’on pourrait qualifier d’utilitariste du court métrage est réductrice. La Ligue de l’enseignement a tendance à penser que le court métrage est tout simplement prédestiné à s’inscrire dans son vaste projet d’éducation populaire et elle ne s’y intéresse donc souvent que pour sa valeur informative. C’est une méprise peut-être regrettable du point de vue artistique, mais qui peut se transformer en avantage du point de vue de l’exploitation. Grâce à l’Ufoleis, le court métrage documentaire connaît bien souvent une diffusion plus importante et plus durable dans le secteur non commercial que sur le marché de la distribution. Les films et leurs réalisateurs y acquièrent une réputation qui peut faciliter leur carrière, notamment dans les colonnes du mensuel Image et Son où ils sont très largement chroniqués et défendus.
17Mais la valeur pédagogique du court métrage n’est pas seulement appréciée par les animateurs de la Ligue de l’enseignement. Les ciné-clubs d’enfants et de jeunes affiliés à la Fédération française des ciné-clubs de jeunes (FFCCJ) marchent dans le même sillage. L’exemple du Club Cendrillon suffit à comprendre le bénéfice que ces structures retirent de la diffusion du court métrage et le succès qu’elles lui assurent en retour. Sonika Bo, fondatrice et programmatrice de cette association réservée aux enfants de six à douze ans, expérimente, depuis les années 1930, ses programmes sur le jeune public lors des séances qui ont lieu les jours de repos, le jeudi et le dimanche essentiellement. Si son ambition première est de nature pédagogique, elle refuse, en revanche, de dissocier le plaisir du développement personnel, de la découverte et de l’apprentissage : « Je trouve aussi que le cinéma pour enfants, doit être avant tout “récréatif”. Les petits ont le droit aussi de se distraire et je me refuse à les ennuyer avec des films documentaires spécialement éducatifs18. »
18Entre l’Ufoleis et Sonika Bo, c’est toute la conception de l’éducation qui varie. S’appuyant sur ses propres observations, mais aussi sur les travaux des psychologues tels qu’Henri Wallon, spécialiste de l’enfance qui avait participé à de nombreuses études sur l’apport du cinéma à la pédagogie, Sonika Bo s’est en effet rapidement rendue compte de ce que le court métrage avait d’idéal pour ces spectateurs, souvent trop jeunes pour rester attentifs durant un film long. Sa préoccupation majeure est de proposer des programmes récréatifs mais intelligents qui soient surtout adaptés au degré de maturité des enfants. Le court métrage a, dans ce sens, un immense avantage sur le long car il permet de modeler la séance sur les temps de concentration des jeunes spectateurs :
Pour composer les programmes sans ennuyer les enfants, j’ai trouvé qu’il fallait adopter la formule de la diversité : plusieurs courts métrages très différents dans une séance.
Si un film est triste, il faut ensuite en faire passer un gai. Après un film lent, s’impose un film rapide « dynamique », etc. […].
En général, je compose mes programmes avec six petits films sur les sports, des documentaires sur les fruits, les fleurs, tout ce qui peut éveiller l’idée du beau, les dessins animés, des Charlot, des films sur les animaux19.
19C’est parce que Sonika Bo considère que le plaisir qui doit forcément accompagner la projection des films est difficile à atteindre en raison de la pénurie de courts métrages destinés aux enfants qu’elle se lance elle-même dans l’écriture et la réalisation avec Ladislas Starevitch et l’opérateur Roger Moride. En 1948, elle signe avec le premier un film d’animation, Zanzabelle à Paris et avec le second La Vache donne deux choses et Elle est chez elle. Ses films seront non seulement diffusés au Club Cendrillon, mais ils intégreront également le secteur de la distribution commerciale. L’exemple de cette animatrice de ciné-clubs devenue réalisatrice en l’espace de trois films est peut-être exceptionnel, il n’en demeure pas moins intéressant en ce qu’il montre qu’une véritable dynamique autour de la création et de la diffusion de la forme courte a été impulsée par les clubs pour enfants, ce que d’autres études de clubs de jeunes tels que celui de Valence, dirigé par Jean Michel, viendraient confirmer.
20Mais les ciné-clubs ont aussi d’autres raisons de diffuser le court métrage. Au sein de la FFCC, beaucoup lui reconnaissent une valeur artistique particulière. Les ciné-clubs affiliés à la FFCC sont ainsi restés fidèles à l’héritage de leurs précurseurs des années 1920. Prenant modèle sur eux, ils considèrent qu’ils ont un rôle à jouer pour la défense des œuvres qui ne parviennent pas à s’imposer sur le marché commercial, comme le court métrage que les distributeurs et exploitants appellent, non sans mépris, le complément de programme. Georges Sadoul, secrétaire général de la FFCC de sa création à 1947, se fait le porte-parole de sa cause en précisant le rôle central du court métrage dans le développement et le dynamisme de l’art cinématographique :
Chaque perfectionnement du cinéma le rend plus onéreux : hier le son, aujourd’hui la couleur (demain peut-être l’écran panoramique) ont multiplié par dix, vingt, cent le prix d’un grand film. Jamais plus qu’aujourd’hui, le court métrage n’a eu davantage sa raison d’être. Sans lui, l’expérimentation, l’avant-garde, la jeunesse pourraient-elles apporter leur renouvellement à l’art cinématographique20 ?
21Les Buñuel, Chomette, Clair, Dulac, Epstein, Léger, Man Ray, Painlevé, Richter ou Vigo dont les films sont encore abondamment montrés dans les ciné-clubs, ont trouvé de dignes successeurs dans les années 1940 et 1950 en Franju, Godard, Leenhardt, Marker, Resnais, Rivette, Sée, Truffaut, Varda ou Vilardebo que les membres de la fédération ont à cœur d’aider et de faire connaître. La FFCC considère, en effet, depuis sa formation, qu’il est de son devoir d’aider la carrière des jeunes auteurs qui invariablement débutent par le court métrage et l’assistanat. Pour cela, il convient de programmer le court métrage avec soin car l’on insiste beaucoup dans les textes de cette époque sur les risques que de tels programmes encourent face à un public rendu récalcitrant par la confusion établissant une synonymie entre court métrage et documentaire de basse qualité. En 1964, Pinel est clair à ce sujet :
À première vue, la projection d’un court métrage en première partie de séance – habitude héritée du cinéma commercial – n’apparaît pas comme strictement indispensable pour le ciné-club. Il est même préférable de la rejeter purement et simplement si le « complément » joint au grand film est mauvais ou médiocre – à moins qu’on veuille le « démystifier » à titre d’exemple en le discutant après la projection21.
22Cet argument reflète la torpeur de tout le secteur du commercial qui se désintéresse toujours à cette époque du court métrage. Les ciné-clubs continuent pourtant de se battre et sont souvent les meilleurs promoteurs du court métrage, comme en témoigne la suite des propos de Pinel :
Parent pauvre du secteur commercial, le court métrage peut retrouver sa dignité et sa véritable importance au ciné-club. Il y a là un argument moral à ne pas négliger. Le court métrage répond, d’ailleurs, au désir et à la curiosité de la majorité des spectateurs.
Bien entendu, il peut avoir sa place autonome au sein du programme. Toutefois, je crois qu’il est possible d’en tirer un très grand parti pour préparer la venue du grand film et – au même titre que la présentation – mettre le public en réceptivité. […]
L’idéal, mais cela n’est que rarement réalisable, c’est de pouvoir faire précéder le long métrage d’un court métrage du même auteur. Il est ainsi possible d’approfondir la connaissance des thèmes et de la manière d’un créateur. […]
Des premières parties ainsi conçues apportent un indéniable enrichissement aux séances de ciné-club. Mais le meilleur hommage que celui-ci puisse rendre au court métrage, c’est encore de lui consacrer de temps à autre une séance complète. Il est aisé de composer d’excellents programmes autour d’un auteur ou d’un thème en sélectionnant quelques perles dans ce vaste domaine22.
23En annexe de son ouvrage, Pinel propose d’ailleurs des exemples de programmes de courts métrages constitués d’œuvres de référence. Sur des auteurs : Resnais ou Franju. Sur un thème : la mer, le travail ou la ville. Sur un genre : le film d’art. Il serait évidemment bien difficile de mesurer la portée réelle d’une telle directive dans les ciné-clubs car cela nécessiterait une étude des programmations au cas par cas. Mais il est en tout cas possible de répertorier de nombreux exemples de clubs qui ont, de tout temps, privilégié la forme courte, donnant ainsi raison à l’argumentation de Pinel. Ainsi relève-t-on, dans le numéro de Ciné-Club d’avril 1949, les actions du club de Levallois-Perret :
Nous poursuivons, en outre, cette recherche de l’unité dans nos programmes en choisissant des courts métrages qui, pour être appréciés, ne doivent pas être là seulement pour « allonger la sauce », mais venir en contrepoint jouer le rôle d’harmoniques du grand film – mettant en valeur le thème essentiel et présentant de l’œuvre d’un grand metteur en scène un aspect complémentaire23.
24La valeur artistique du court métrage semble donc unanimement reconnue par les adhérents de la FFCC. Les propos de cet animateur le prouvent, ici le film court cesse d’exister par son sujet, il devient une œuvre à part entière dont les qualités esthétiques sont privilégiées dans les débats.
25La troisième et dernière grande raison qui a incité ces deux importantes fédérations à valoriser la programmation du court métrage dans les ciné-clubs est d’ordre politique. Elle trouve ses racines dans les années 1953-1954, lors de la création du Groupe des Trente. Constitué en décembre 1953 par des cinéastes, des auteurs, des producteurs et des techniciens du court métrage qui s’opposent à l’adoption d’un décret-loi supprimant l’obligation pour les exploitants de projeter un film court avant le long, le Groupe des Trente va se battre durant des années pour la revalorisation du court métrage et sa diffusion. Il est vrai que la situation est préoccupante. Même lorsque la loi de 1940, interdisant le double programme, était en vigueur, le déséquilibre entre les chiffres de la production et ceux de la distribution étaient impressionnants. Jean Thévenot en témoigne en 1951 dans Informations Ufocel :
Désormais c’est au rythme de 4 à 500 par an que les projets sont déposés, qui se réalisent pour ainsi dire tous. Or, actuellement, le court métrage n’a de certitude d’être distribué que dans les limites de la loi du quota (l’« enclave » visée maintenant), qui oblige à accompagner tout long métrage français d’un court métrage français. Soit, dans la meilleure hypothèse, une centaine de films par an24.
26Avec le décret-loi du 21 août 1953, ce n’est même plus le quart ou le cinquième de la production qui peut espérer trouver un distributeur et le Groupe des Trente annonce la mort du court métrage : « Le court métrage avait du mal à vivre, mais enfin, il vivait. Aujourd’hui, sa mort est décidée25. » Très rapidement, la quasi-totalité des fédérations de ciné-clubs va se joindre au mouvement de contestation des professionnels. Les associations commencent par organiser le 10 mars 1954, un grand gala en faveur du court métrage dans la salle de la Mutualité. Les films suivants sont programmés au cours de cette séance exceptionnelle : La Rivière et les Hommes (Jean Hurault, 1951), Bruegel l’ancien (Alexandre Arcady, 1952), Forceurs de banquises (Étienne Lallier, 1953), À propos de Nice (Jean Vigo, 1930), Carnet de plongée (Jacques-Yves Cousteau, 1950), Aux frontières de l’Homme (Nicole Védrès et Jean Rostand, 1953), Arithmétique (Raymond Queneau et Pierre Kast, 1952) et L’École des facteurs (Jacques Tati, 1947). D’autres manifestations sont organisées à échelle plus réduite dans les ciné-clubs :
De nombreux clubs ont déjà organisé des séances s’inscrivant dans la campagne de défense du court métrage. […] Avec la participation du groupe des Trente […] ces séances ont connu le plus grand succès et ont permis au public d’affirmer que, contrairement, aux sentiments qu’on lui prête, il est très attaché à cette forme de production. […] Parmi les séances les plus importantes citons celles consacrées au « burlesque » et présentées par Paul Paviot au théâtre municipal de Grenoble et celles consacrées à diverses formes de courts métrages […] et présentées par Alain Resnais, René Lucot, Georges Rouquier, Marcel Ichac, Pierre Kast, Paul Grimault26.
27La défense du court métrage se trouve bientôt au centre de toutes les préoccupations et l’année 1954 voit se multiplier par dizaines les articles dans les revues des fédérations de ciné-clubs. En avril, dans Ciné-club, l’organe de la FFCC, Sadoul se félicite ainsi de voir des associations de tous bords, de toutes lignes politiques et de toutes confessions s’unir dans un but commun :
Aussi faut-il se féliciter qu’autour des Trente se soient déjà groupées, par centaines de mille et dans l’unanimité, toutes les grandes organisations culturelles cinématographiques. La FLECC catholique [Fédération loisirs et culture cinématographiques], unie à l’Ufocel laïque, groupent autour de leur unité Travail et Culture et notre Fédération française des ciné-clubs et quinze autres associations encore. Grâce à cette table ronde fraternelle, dans l’amour de la culture, de l’art, de la générosité et du bon cinéma, soyons certains que s’éveillera la vigilance de la nation toute entière et que notre court métrage loin de périr va connaître un essor neuf27.
28L’effort des dirigeants des fédérations de ciné-clubs est particulièrement diversifié. Hormis le nombre impressionnant d’articles généraux à la gloire du court métrage qui paraissent à partir de ces années-là, il se trouve également des enquêtes et des référendums organisés dans le but de démontrer l’attachement du public au film court. Ainsi, découvre-t-on dans le même numéro de Ciné-Club, la liste des « courts métrages qui ont attiré des spectateurs à eux seuls ». Y figurent de nombreux films d’art sous des titres souvent approximatifs qu’il nous a fallu compléter dans la mesure du possible : Combourg, visages de pierre (Jacques de Casembroot, 1948), Le Douanier Henri Rousseau (Lo Duca, 1950), L’Évangile de la pierre (André Bureau, 1949), Le Louvre (il peut s’agir là de Musée du Louvre d’Henri Membré, 1948, ou des Femmes du Louvre de Pierre Kast, 1951), Matisse (François Campaux, 1946), Picasso (il peut s’agir là de Visite à Picasso de Paul Haesaerts, 1950, ou du Picasso de Luciano Emmer, 1953), Renoir ( ?), Seurat : Les Dimanches parisiens (Jean-Marie Drot, 1954), Van Gogh et Guernica (Alain Resnais, 1948 et 1950), Vézelay (Pierre Zimmer, 1951), La Vie dramatique de Maurice Utrillo (Pierre Gaspard Huit, 1950). Sont également mentionnés des titres épars : Aubervilliers (Eli Lotar, 1946), Bim, le petit âne (Albert Lamorisse, 1949), Goémon (Yannick Bellon, 1948), La Montagne est verte (Jean Le Herissey, 1949), Pêcheur hollandais ( ?), Saint-Paul-de-Vence (Robert Mariaud, 1950), Le Tonnelier et Le Sel de la terre (Georges Rouquier, 1943 et 1950), les films du commandant Cousteau, etc. En vue de démontrer l’intérêt du public pour le court métrage, des questions sont également posées aux spectateurs sur leur fidélité au programme de complément dans les salles commerciales. Ceux-ci étant adhérents à la FFCC, il est vrai que leur opinion ne reflète pas forcément celle de l’ensemble des spectateurs français. Mais qu’importe, tous les arguments sont bons à mettre en avant :
Si vous arrivez en retard, que préférez-vous manquer : les actualités ou le court métrage ?
8 préfèrent ne rien manquer.
4 préfèrent manquer le court métrage.
6 précisent que cela dépend du court métrage.
60 préfèrent manquer les actualités. […]
Souhaiteriez-vous que les directeurs de salles affichent le titre de la 1re partie qui accompagne le grand film ?
98 spectateurs le souhaitent : « Ils ne feraient qu’y gagner du seul point de vue commercial. » « Le nom du réalisateur serait même parfois nécessaire : Hôtel des Invalides ne me dit rien, réalisé par Franju le renseigne mieux28. »
29Quoique l’objectivité de cet échantillonnage d’une centaine de spectateurs appartenant à un cercle déjà acquis à la cause du court métrage puisse être mise en doute, le journaliste finit par soutenir que cette opinion reflète celle de l’ensemble du public : « Ces conclusions montrent que sur le plan national, l’aide officielle à l’industrie du court métrage correspondrait au vœu du public sur le plan local, [et] que les distributeurs auraient tout intérêt à publier la nature exacte de leur 1re partie29. »
30Il serait vain d’essayer de mesurer les répercussions exactes de telles campagnes de sensibilisation et de promotion à long terme, mais il est bon de remarquer que les ciné-clubs ont contribué à donner de l’industrie du court métrage une image positive et engagée. C’est le constat principal qui ressort de toute la politique de programmation menée par les grandes fédérations au cours des années 1950 et soixante surtout. À la différence du grand film, on attribue au court métrage en général (fiction, documentaire, animation) des qualités humaines, des vertus éducatives en raison des nombreux sujets artistiques ou sociaux abordés par les cinéastes. En outre, pour les fédérations de ciné-clubs, le court métrage évoque aussi le désintéressement des professionnels qui le produisent et le réalisent sans avoir jamais la certitude d’en retirer des bénéfices financiers. Le court métrage est éducatif, il est expérimental mais non rentable. C’est du moins l’image que l’Ufoleis et la FFCC en véhiculent, une image qui correspond si parfaitement à leur ligne idéologique que l’on comprend qu’elles aient ainsi pu en faire leur cheval de bataille durant toutes leurs belles années.
31Nous nous interrogions sur les raisons qui ont empêché de considérer ces fédérations de ciné-clubs comme d’importants circuits de diffusion du court métrage alors que les politiques de programmation de la FFCC et de l’Ufoleis tendent à prouver qu’elles lui ont toujours réservé une place déterminante dans leurs séances qui étaient nombreuses et très fréquentées comme on le sait. La réponse à cette question paraît en définitive assez simple. La diffusion du court métrage commercial dans les ciné-clubs, qu’elle qu’ait été son efficacité, a certainement été considérée comme un pis-aller pour la profession qui n’a jamais imaginé pouvoir assurer sa survie grâce à ce secteur, tandis que les films non commerciaux, par définition spécialisés, n’ont eux jamais connu de reconnaissance critique. Cela explique que les efforts des mouvements de ciné-clubs en faveur du court métrage n’aient pas été appréciés à leur juste valeur. Pour autant, leurs politiques de programmation ont eu de multiples répercussions positives pour l’ensemble de la production. Grâce au travail de promotion effectué par leurs dirigeants et animateurs, plusieurs générations de spectateurs ont été familiarisées, sensibilisées au court métrage et nombre de cinéastes qui ont commencé par ce type de réalisation lui doivent leurs succès ultérieurs.
Notes de bas de page
1 Chiffres cités dans Fédération française des ciné-clubs (tapuscrit, Les Documents cinématographiques, Paris) p. 5, cités également par André Lang, Le Tableau blanc, Horizons de France, 1948, p. 234, et par Vincent Pinel, Introduction au ciné-club, histoire, théorie, pratique du ciné-club en France, Éditions ouvrières, 1964 ; cette dernière référence fait état de 20 clubs en juin 1945
2 Propos recueillis et cités par Gérard Guegan, « Le club des cinéphiles et le ciné des critiques », Cahiers du cinéma n° 171, octobre 1965, p. 11.
3 Ibid.
4 Vincent Pinel, Introduction au ciné-club, op. cit., p. 37.
5 La Fédération française des ciné-clubs, document tapuscrit de la FFCC, non daté (environ 1947), Les Documents cinématographiques, p. 3.
6 « Cinéma et ciné-club », dans Compte rendu des travaux du stage « loisirs actifs par le film », organisé par le service national de la Jeunesse, Namur, août, 1959, ministère de l’Instruction publique, p. 22.
7 Ibid., p. 24.
8 Ibid., p. 26.
9 Vincent Pinel, Introduction au ciné-club, op. cit., p. 43-44.
10 Le Droit du cinéma non commercial, Comité national du cinéma d’enseignement et de culture, non daté, p. 23.
11 Bulletin intérieur Fédération française des ciné-clubs numéro spécial, novembre 1949, p. 19.
12 Ibid.
13 Charles Perrin, Raymond Borde, Les Offices du cinéma éducateur et la survivance du muet : 1925-1940, Presses universitaires de Lyon, 1992, p. 114.
14 Index 1948-1949 de La Cinématographie française, p. 500.
15 Charles Perrin, Raymond Borde, Les Offices du cinéma éducateur, op. cit., p. 81.
16 Ibid., p. 57-61.
17 Charles Lebrun, « Le court métrage français, moyen de culture », Image et Son n° 73, juin 1954, p. 8-9.
18 André Lang, Le Tableau blanc, op. cit., 1948, p. 120.
19 Ibid., p. 119.
20 Georges Sadoul, « Défense et illustration du court métrage français », Ciné-Club n° spécial, avril 1954, p. 1.
21 Vincent Pinel, Introduction au ciné-club, op. cit., p. 81.
22 Ibid., p. 82-83.
23 « Au ciné-club de Levallois-Perret », Ciné-Club n° 7, avril 1949, p. 6.
24 Jean Thévenot, « Le problème du court métrage en France », Informations Ufocel n° 42, avril 1951, p. 13.
25 « Le groupe des Trente et la défense du court métrage français », Image et Son n° 70, mars 1954, p. 17.
26 « La Vie des ciné-clubs », Ciné-club n° spécial, avril 1954, p. 9.
27 Georges Sadoul, « Défense et illustration du court métrage français », op. cit., p. 1.
28 « Une enquête dans un ciné-club », Ciné-club n° spécial, avril 1954, p. 2.
29 Ibid.
Auteur
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