Héritages, identités, fortunes : l’argent des Bonaparte entre spoliations et restitutions
p. 21-33
Texte intégral
1La seconde abdication de l’empereur ouvrit la plus difficile période de l’histoire des Bonaparte : ayant déjà fui le royaume ou sur le point d’en être bannis, la plupart se réfugièrent en Italie, à l’exemple de Mme Mère, tandis que les autres lui préférèrent l’Autriche telle Caroline, ou les États-Unis comme Joseph. Un clan qui avait – ô combien ! – profité de la gloire de Napoléon, s’était parfois déchiré, mais pour lequel les liens du sang demeuraient toujours des liens indéfectibles. Et qui était (et se savait observé) par toutes les polices d’Europe, comme en témoigne ce rapport français aux couleurs certes criardes, et aux angles bien accusés, mais d’un ton fort savoureux et qui dépeint l’état de la famille impériale en exil1.
2Il présente d’abord Mme Mère, Lætitia Bonaparte, qui, « malgré son avarice est prête à sacrifier ses trésors pour voir son fils hors de Sainte-Hélène, et son petit-fils sur le trône de France : elle n’est bonne qu’à cela ». Puis les frères et sœurs : Louis dépeint « revêtu de ses illusions […] plus philosophe que jamais », tandis que Jérôme serait toujours « aussi sot et incapable qu’il l’a été pour le passé ». Madame Baciocchi, c’est-à-dire Élisa Bonaparte, ci-devant, princesse de Lucques et Piombino, et grande-duchesse de Toscane, déchue en 1814, est désignée comme une « intrigante en théorie et nulle en pratique », pendant que sa sœur, Pauline, comtesse Borghèse, « ne s’occupe que de ses amours qu’elle met à profit en en faisant autant de partisans de son frère ». En revanche, Caroline Murat aurait « plus de finesse de caractère que le reste de la famille », le rapport lui attribuant d’avoir ourdi un plan mis en échec par son frère, Joseph, pour faire monter un de ses enfants sur le trône du Mexique. Joseph pour sa part est croqué en « nul et débauché comme toujours », et on lui attribue le projet de devenir empereur du Mexique, avec l’appui des États-Unis. Enfin, reste Lucien, « intrigant, comme à son ordinaire, dévoré d’ambition », et très attendu par Joseph « pour bouleverser l’Amérique méridionale ». D’autres rapports évoquent en sus la reine Hortense, femme séparée de Louis Bonaparte, sa suite démesurée de trente personnes et ce foyer de conspiration que serait devenu son château d’Arenenberg (sur les bords du lac de Constance), tandis que son frère, le prince Eugène, paraîtrait complètement détaché de la politique. Quant aux douze neveux et nièces de l’empereur déjà nés en 1820, ils étaient encore trop jeunes pour faire l’objet d’une surveillance particulière2.
3Dès le Consulat, les Bonaparte disposaient de beaucoup d’argent et procédèrent à de nombreux achats et placements qu’il ne s’agit pas de récapituler ici3. Aussi s’est-on appuyé sur les très « riches » archives Napoléon (série 400 AP) pour considérer uniquement la dynamique des spoliations et restitutions d’un Empire à l’autre. En effet, spoliations et restitutions sont devenues des enjeux de mémoire comme l’ont mis en évidence de plus récentes opérations, tant cette problématique est au cœur des rapports entre puissance publique et sphère privée, ou plus fondamentalement entre justice et droit, avec son enchaînement de deux ou trois séquences invariantes : le temps de la dépossession, celui de l’action en réparation, et dans le meilleur des cas, celui du dédommagement.
Le temps des spoliations
Des garanties du premier traité de Paris…
4Les Bonaparte ayant renoncé à « tout droit de domination tant sur l’Empire français que le royaume d’Italie et tout autre pays », le traité de Fontainebleau du 11 avril 1814, leur offrait, en principe, de solides garanties. Outre des dispositions relatives à l’île d’Elbe et la liste civile de l’empereur, l’article 6 stipulait bien qu’il
« sera réservé, dans les pays auxquels l’empereur Napoléon renonce, pour lui et sa famille, des domaines ou donné des rentes sur le Grand Livre de France, produisant un revenu annuel, net […] de 2 500 000 F. Ces domaines ou rentes appartiendront en toute propriété […] aux membres de sa famille, et seront répartis entre eux […] dans la proportion suivante, Savoir,
À Mme Mère : 300 000 F ;
Au roi Joseph et à la Reine : 200 000 F ;
Au roi Louis : 200 000 F ;
À la reine Hortense et à ses enfants : 400 000 F ;
Au roi Jérôme et à la Reine : 500 000 F ;
À la princesse Élisa : 300 000 F ;
À la princesse Pauline : 300 000 F ;
Les princes et les princesses conserveront en outre tous les biens […] qu’ils
possèdent à titre particulier, et notamment les titres de rente sur le grand
livre de France ou sur le Monte-Napoleone de Milan ».
5En revanche, l’article 9 conservait à la Couronne toutes les propriétés de l’empereur relevant du domaine extraordinaire ou du domaine privé. Notamment ses fonds en numéraire et en valeurs, soit un total de 233 millions de francs (dont une créance sur Joseph Bonaparte de 800 000 F en 1814, sur les 1 600 000 F que l’empereur lui avança au début de 1814, ainsi qu’une autre créance de 312 165 F sur Louis destinée à régler ses dettes). Un procès aurait fatalement dégénéré : on préféra éviter tout risque de débordement politique en les leurs abandonnant.
6Le 11 avril 1814, le gouvernement provisoire garantissait « en tout ce qui concerne la France, l’exécution des stipulations renfermées dans le traité ». Et une déclaration au nom de Louis XVIII, signée de Talleyrand confirmait « qu’il a plu à Sa Majesté de déclarer en son nom que les clauses du traité à la charge de la France seront fidèlement exécutées ». En outre, le traité de Paris du 30 mai 1814 promettait en son article 22 que « les Français qui auraient versé de l’argent dans les trésors des pays étrangers ser[aient] fidèlement remboursés ».
7Or, en annexe du traité « ostensible », un second traité avait été conclu, mais secret : aux termes de son article 5, le gouvernement français renonçait « à toute réclamation qu’il pouvait former contre les puissances étrangères à titre de dotations, de donations etc.4 ». En clair, toutes les dotations et pensions accordées par Napoléon en territoires étrangers ou annexés étaient restituées à leurs précédents propriétaires. Normal : ce que les lois de la guerre avaient fait, elles pouvaient tout aussi bien le défaire. Mais cela montre aussi la duplicité de Talleyrand et le peu de cas qu’il faisait de la parole royale associée à cette félonie. Toutefois, la famille impériale restait, en principe, créancière des arrérages de revenus échus à la date du traité de Paris et, au contraire de Napoléon, gardait ses biens en France.
8En outre, l’ordonnance du 19 août 1814, en violation du traité de Fontainebleau suspendait tous les paiements dus à la famille impériale, même si la loi de finances du 23 septembre 1814 prévoyait de régler l’arriéré de dépenses antérieures au 1er avril 1814 par « des moyens extraordinaires » : des obligations du Trésor hypothéquée sur la vente de 300 000 ha de bois de la Couronne et des biens communaux. Et celle du 18 décembre 1814 plaçait les biens de la famille Bonaparte sous séquestre au mépris de l’article 6 du traité de Paris affirmant leur droit à la « toute propriété » de leurs biens. La privant ainsi de tout moyen d’existence en France, au mépris de la parole d’État.
… aux spoliations de la seconde Restauration
9Ce qui fournit à Napoléon une parfaite justification pour quitter l’île d’Elbe, et en vertu du principe « do ut des, facio ut facias », s’estimer délié du traité de Fontainebleau. Or, dès le 3 mai 1815, il décrétait que « les sommes dues aux princes et princesses de la famille impériale, sur leurs apanages pour arrérages échus leur seront payées conformément aux règles établies antérieurement au 1er avril 1814 » et du 1er avril 1814 au 20 mars 1815, « seront réglées conformément au traité de Fontainebleau du 11 avril 1814 ». Au total, un peu plus de 12 millions de francs, dont 8 millions revenant à l’empereur en personne, plus de 800 000 F à la reine Hortense avec ses enfants et à Joseph, plus de 600 000 F à Joséphine, un peu moins de 500 000 F à Jérôme, autour de 300 000 F à Mme Mère, à Pauline et à Élisa, et un peu moins de 200 000 F à Louis. Le 8 mai suivant, il décida de convertir les obligations sur les ventes de bois créées par Louis XVIII en délégations, mises à la disposition du Trésor pour lui permettre de régler ses dépenses les plus urgentes notamment militaires. Admises en paiement comme numéraire ou échangeable au Trésor contre liquidité, elles devenaient donc de véritables lettres de change et, par conséquent, « la propriété particulière des porteurs qui ont acquis ces effets dans le commerce ». Et le 31 mai, afin de ne pas priver le Trésor de numéraire, Napoléon décida que les arrérages dus à sa famille seraient payés par ce moyen, tout en abandonnant les 8 millions qui lui revenaient5. On connaît la suite : Waterloo, le second traité de Paris, l’exil de Napoléon et des siens.
10Louis XVIII – qui avait négocié à Gand les obligations du Trésor sur les bois pour payer son voyage – trouva donc deux hypothèques sur les mêmes gages. Afin de soutenir le crédit des obligations escomptées en Belgique, il annula par une ordonnance du 16 juillet 1815 le paiement des 12 millions en indiquant très précisément quelles délégations devaient être rapportées au Trésor, tout en maintenant les ventes. Autrement dit, les créances représentées par ces ventes de bois étaient purement et simplement confisquées, puisque comme le soulignait la réclamation des créanciers lésés : « confiscation d’une créance et annulation du papier-monnaie qui a servi à la payer ne sont qu’un seul et même synonyme ». Pensant ainsi priver les Bonaparte de leurs droits, c’est en fait une masse de particuliers qui se voyait lésée, puisque, selon eux, sur les 12 millions, « il en reste encore en circulation pour environ 7 millions non réalisés, non payés, non remboursés ». De la sorte, écrivait Jérôme Bonaparte : « la Restauration s’imaginait pouvoir rayer d’un trait de plume, les textes les plus formels de nos lois, ainsi que l’histoire, les faits accomplis », cette confiscation ne pouvant qu’être subie « comme un acte de spoliation placé sous l’empire de la force ».
11Enfin, le sort réservé à la famille impériale fut définitivement fixé par la loi d’amnistie du 12 janvier 1816, bannissant du royaume dans un délai d’un mois « les ascendants et descendants de Napoléon Bonaparte, ses oncles et ses tantes, ses neveux et nièces, ses frères, leurs femmes et leurs descendants, ses sœurs et leurs maris », et surtout leur confisquant « leurs biens, titres et pensions accordés à titre gratuit » et les obligeant à vendre dans les six mois, « les biens de toute nature » qu’ils posséderaient à titre onéreux. Enfin, pour bien enfoncer le clou, l’ordonnance du 24 juillet 1816, manquant encore une fois aux engagements de l’État, spécifiait que les annuités payées par les titulaires de dotations et converties en rentes versées dans un fonds d’accroissement, étaient tout bonnement annulées ! Alors qu’il s’agissait d’une épargne forcée, prélevée sur leurs propres revenus, et ce antérieurement au 1er traité de Paris ! Pourtant, le protocole du Congrès d’Aix-la-Chapelle allait théoriquement reconnaître le 16 novembre 1818 que
« les Français qui jouissaient de dotations dont ils ont été dépossédés […] sont dans le droit de réclamer les revenus de ces dotations jusqu’au 30 mai 1814. Et dans le cas ou tout ou partie de ces arrérages auraient été versés dans des caisses publiques, on prendra des arrangements entre le gouvernement français et le gouvernement intéressé pour appliquer en faveur des anciens donataires, autant que les circonstances le permettront, le principe ci-dessus arrêté ».
12Outre ces spoliations « politiques », Jérôme fut, quant à lui, victime d’un véritable racket. Sa femme, Catherine de Wurtemberg, fut d’abord attaquée dans sa voiture par un dénommé Guerry dit « de Maubreuil » (vétéran des troupes de Westphalie), et délestée d’une partie de ses bijoux et de 84 000 F en or. Pour sa défense, Guerry expliqua avoir été chargé par Talleyrand et le comte d’Artois de s’assurer que la princesse de Wurtemberg ne disparaissait pas en emportant des trésors français, dont une voiture renfermant 4 millions de francs6. Arrêté, mis au secret, il fut condamné. Mais, alors qu’elle arrivait en Autriche, nouvel avatar : voilà Catherine conduite de force chez son père, le roi de Wurtemberg, qui, pour mieux lui prouver son amour paternel, la séquestra tout en refusant de l’informer du sort de son mari, jusqu’à ce que ce dernier puisse la rejoindre. Le roi s’en empara alors comme prisonnier d’état : « on leur croit des trésors » expliquait Catherine7. Et, pour mieux montrer son sens de la famille, son père poussa même l’obligeance jusqu’à se proposer d’administrer la fortune du ménage. Devant leur refus, les époux furent embastillés et dépouillés de leurs cassette et bijoux8. Aussi, quand les ci-devant roi et reine de Westphalie purent enfin rejoindre Rome, leur situation était loin d’être ce qu’elle avait été aux beaux jours de la « fête impériale ».
Le temps des réclamations
La nouvelle fortune des Bonaparte
13La condition de fortune des Bonaparte avait donc considérablement diminué, même s’ils continuaient à se donner du roi Jérôme, du roi Joseph, etc. Napoléon, le premier, se trouva dans une telle gêne que Las Cases dut, comme en février 1818, véritablement supplier, les membres de la famille de lui transférer des fonds tandis que Marchand se chargea de vendre son argenterie par lots sur la place de Londres : 12 000 F en 1816, 20 000 F en 18179. En revanche, on attribuait au prince Eugène – à vrai dire pas vraiment un Bonaparte, loin s’en faut, mais reconnu par Napoléon comme fils de France, une fortune de 100 millions de francs, cependant que sa sœur et lui avaient chacun hérité pour moitié des 4 600 000 F de l’héritage de Joséphine10. On créditait aussi la famille impériale de sommes considérables, déposées sous des prête-noms, par exemple chez le banquier Oesterreicher à Trieste pour Élisa, ou en ce qui concerne Joseph à la banque Baring de Londres et chez Hope d’Amsterdam, tandis que Jérôme aurait eu des fonds à Vienne et Lucien à Rome11. De leurs côtés, Mme Mère, comme son frère, le cardinal Fesch, avait placé des fonds substantiels à Rome où l’un et l’autre vivaient sur un pied plus que confortable, Lætitia au palais Rinuccini, le Cardinal Fesch (grâce, à ses trafics d’intendance militaire et ses spéculations en Corse) au palais Lancelloti avec sa galerie de 30 000 toiles de premier ordre estimée à plus de 2 millions de francs à sa mort. De même Joseph, enrichi par son mariage avec une Clary (d’une riche famille de négociants marseillais), et par la guerre de course, avait sauvé les meubles, en s’achetant non seulement le château de Prangins dans le pays de Vaud, mais aussi son domaine de « Point Breeze » à Bordentown dans le New Jersey (un parc de 1 000 acres et dix fermes) d’une valeur de 2 500 000 F où il recréa une petite cour française, réputée pour sa pompe. De plus, il avait conservé, sous le nom de madame de Villeneuve, ses deux fermes en France. Lui-même avouait avoir fait « assez de placements en fonds américains pour avoir ici un revenu net » lui permettant « de vivre aussi bien que le Président de l’Union12 ».
14En revanche, Lucien Bonaparte, prince de Canino par la grâce du pape et naguère réputé pour l’indécence de son âpreté au gain – il se serait fait remettre 10 millions par les Portugais au moment de la paix de Badajoz – aurait été riche de 50 millions selon Frédéric Masson, et de 15 selon Constant, dont trois en diamants et tableaux. Il s’était acheté d’ailleurs de très belles propriétés en Italie, comme le palais Nuñez à Rome, la villa de la Rufinella dans la Latium, le domaine de Canino de 8 000 ha (d’une valeur d’un demi-million). En outre, il avait réussi à se faire remettre le 21 juin 1815 à la Malmaison, 200 000 F par son frère, ainsi que 2 millions en bons sur les bois. Toutefois, il fut contraint de revendre peu à peu ses biens d’Italie, dont sa somptueuse collection de peintures estimées à 1 300 000 F. Et de racheter une villa moins onéreuse aux portes de Bologne, tandis que les années suivantes le virent poursuivi par ses créanciers. Puis la découverte miraculeuse de vases étrusques dans son domaine de Canino lui rapporta, selon Stendhal, plus de 1 200 000 F, grâce à la revente du produit de ses fouilles. Louis, surnommé comte de Saint-Leu, semble quant à lui n’avoir eu aucun souci à Rome, tandis qu’Hortense menait grand train à Arenenberg avec une fortune propre de plus d’un million et demi de francs13. « Elle s’amuse étant riche » écrivait amèrement son beau-frère Jérôme. Du reste, il semblerait qu’Hortense ait bel et bien dépensé l’héritage de Joséphine soit plus de deux millions de francs14. Quant à Élisa, installée à Trieste, après avoir recouvré des créances sur son majorat de Lucques, elle avait pu s’acheter une villa et une maison de campagne. Caroline Murat, elle, s’établit à Fröhsdorf en Autriche, où elle arriva avec plus de deux millions dont des diamants et des objets d’art, revendus en partie pour faire face à une certaine gêne dans les années 1822-1825, avant de partir s’installer à Florence en 1831. Pauline était à Rome aussi avec 500 000 F, et sans être dans le besoin, elle réussit néanmoins à obtenir une pension de 14 000 écus de Borghèse. Enfin, Jérôme, prince de Montfort, se sentit toujours dans une situation de fortune cruellement humiliante, comme en témoignent ces lignes de son conseil Odilon Barrot, qui reflètent l’amertume de son client : après avoir expliqué que ses frères « jouissent d’une existence à peu près conforme à la position que les événements leur ont faite », tandis que lui-même a été « privé par des revers successifs de toute sa fortune personnelle, dépouillé de ses dotations », n’ayant « plus d’autre perspective pour sa vieillesse qu’une honorable pauvreté », avec une fille et deux fils à établir. D’ailleurs Jérôme n’écrivait-il pas à son frère Joseph en 1828 : « Je ne vous parlerais pas de ma position particulière de fortune, ayant absolument tout perdu, et ne vivant que des pensions de la Reine, qui finissent naturellement avec elle15… » ?
Le combat des Bonaparte pour leurs droits
15Pour autant, les Bonaparte ne cessèrent jamais de faire valoir ce qu’ils estimaient être leurs droits légitimes, chargeant des intermédiaires plus ou moins recommandables de s’en occuper en France. Ainsi Jérôme confia cette tâche au douteux docteur Abatucci, puis à un certain Charus, qui aurait été l’agent secret d’un ministre, avant de s’attacher d’éminents avocats, comme, on l’a vu, Odilon Barrot, futur chef du gouvernement en 1849, tandis que Joseph choisissait le jeune Adolphe Crémieux. Mme Mère donna, pour sa part, mandat à son petit cousin Arrighi de Casanova, duc de Padoue, de récupérer des fonds en son nom, et chargea l’avocat Ravioli de réclamer les arrérages de son apanage16. Quant à la princesse Borghèse, elle obtint même l’appui du Vatican et ce fut le nonce apostolique en personne, Mgr Macchi, qui intercéda en sa faveur.
16En effet, les Bonaparte avaient quatre sujets de réclamation :
« 1. La liquidation des délégations sur les bois et les arrérages des apanages échus jusqu’en 1816 ; demandes rejetées par ordonnances royales en 1817, 1821, 1822, et 1826,
2. Les arrérages d’une rente de 750 F souscrite en l’an VI par Napoléon, d’un montant de 15 000 F et héritée par Mme Mère,
3. Les arrérages de 670 000 F de rentes, soit un million et demi de francs dus jusqu’à la loi d’amnistie, les intérêts encourus depuis, ainsi que le capital de la rente et ses intérêts depuis la loi. Demande rejetée, malgré l’avis positif du Comité des Finances, par le gouvernement en 1821, en opposant que la loi d’amnistie englobait les arrérages échus. Le Conseil d’État, saisi, se borna à répondre que la décision relevait du politique (en admettant implicitement le bien-fondé de la réclamation). Après l’intervention du nonce, Villèle répondit simplement que ‘‘l’état des choses n’avait point permis jusqu’alors qu’il fut statué sur la réclamation de la princesse Borghèse’’, en expliquant que le crédit nécessaire étant épuisé, il eut fallu faire procéder au vote d’un nouveau crédit législatif, et ‘‘que le gouvernement ne croyait pas le moment opportun pour faire cette proposition’’. Mais sans essayer d’interpréter la loi dans un sens restrictif comme on l’avait fait en 1821,
4. Les arrérages de cent actions des Canaux du midi et autant des Canaux d’Orléans et du Loing, appartenant à la dotation de Pauline Borghèse, soit 168 500F, échus depuis le second semestre 1813. Mais le Trésor exigea que lui soit versé 116 500 F en argent et le reste en mandat. En 1823, Villèle en ordonna la restitution. Les mandats furent remis à la compagnie des Canaux, tandis qu’aucune démarche ne put faire rendre par le Trésor les fonds perçus. »
17En outre, Jérôme réclamait pour sa femme les arrérages d’une moitié de la rente de 500 000 F constituée par le traité de Fontainebleau. Son conseil, Odilon Barrot arguait que les droits constitués à la femme par le contrat de mariage, et convertis en rente par le traité, sont « ceux que la loi garantit et protège avec la plus grande sollicitude […] car c’est sur ces droits que la femme a comptés, c’est sur eux que repose l’avenir de la famille » et que, même si Jérôme avait violé le traité de Fontainebleau, « la conduite du mari ne peut jamais rendre nul les droits de la femme17 ». Il en concluait que ces spoliations étaient « non des actes politiques, mais des crimes politiques » et qu’« il y avait entre le pays et les Bonaparte […] un compte à régler ou, pour mieux dire, un compte à solder18 ».
18Aussi, la Révolution de Juillet ramena l’espoir de restitutions possibles. Les héritiers de la princesse Borghèse se portèrent devant le Conseil d’État, un rapport positif rappelant le principe sacré de la non-rétroactivité fut rédigé par le conseiller Maillard. Casimir Périer allait demander un crédit législatif quand la participation des fils de Louis aux événements d’Italie refroidit ses velléités. Puis, le Tribunal civil de la Seine devant lequel fut assigné le Trésor se défaussa en 1835 sur le Conseil d’État pour lui demander d’interpréter son ordonnance de 1822. Sur quoi le Conseil se déclara en 1838 incompétent en rejetant la décision sur le gouvernement.
19Les demandes sur les bois, se virent, pour leur part, opposer la déchéance par le ministre des Finances en 1834, décision annulée en 1838 par le Conseil d’État, ce dernier renvoyant comme toujours à une décision politique.
20En 1835, Mme Mère, comme seule héritière de Napoléon, avait demandé les arrérages de la rente de 750 F. Mais le ministre des Finances lui opposa le traité de Fontainebleau, par lequel son fils renonçait à son domaine. Lætitia lui répondit que le traité avait été rendu caduc par la non-exécution des clauses. Le ministre, tout en reconnaissant le fait, répondit qu’il n’avait pas le pouvoir de rétablir une rente.
21Enfin, si le Conseil d’État rendit un arrêt ordonnant la restitution des 50 000 F dus à la princesse Borghèse, le ministre des Finances fit savoir, en 1839, qu’au cas où le Trésor aurait des réclamations à exercer contre la Princesse, il ne pouvait donner aucune suite à sa demande.
22Jérôme, comme seul frère survivant, continua son combat tant et si bien qu’une nouvelle commission fut créée par la Seconde République. Laquelle rendit son verdict après une longue analyse juridique : la famille Bonaparte ne pouvait se voir refuser les arrérages des apanages, mais par contre les délégations annulées l’étaient irrévocablement, les lois de déchéance étant « absolues » et des lois « essentiellement politiques qui ne s’apprécient point d’après les règles du droit privé ». En ce qui concerne la rente de 750 F, la Commission estimait que si les Bonaparte y avaient droit, seul un acte de gouvernement pouvait la rétablir par une demande de crédit législatif. De même que pour les arrérages de la rente de 670 000 F, réclamés trop tard pour être remboursés dans les formes régulières. En revanche, elle était tout à fait d’avis que les 50 000 F sur les canaux devaient être restitués par le Trésor public.
23Or, les Bonaparte, au contraire des Rothschild, étaient loin d’être une « famille bien ordonnée19 », capable de soumettre les intérêts personnels à la fortune du clan. Bien au contraire ! Ainsi était-il notoire que Lucien était en froid avec Louis et Jérôme tout en étant eux-mêmes au plus mal avec Mme Mère en raison notamment de sa célèbre avarice. C’est ainsi qu’elle répondit plusieurs fois aux sollicitations de Lucien qu’elle avait juste de quoi vivre et aider autant qu’elle pouvait Napoléon. Quant à Louis et Jérôme, ils ne s’entendaient guère mieux. Jérôme également mécontent de Caroline, d’Hortense, mais aussi de Lucien dont il se plaignait des indélicatesses auprès de Joseph, tout en accusant sa famille « d’avoir toujours été une peste pour celle de l’empereur20 ». Joseph, pour sa part, récriminait contre les turpitudes de Jérôme, cherchant à faire annuler les testaments du Cardinal Fesch, notamment les dons aux enfants de son benjamin. Enfin, Joseph fut accusé par Achille Murat de conserver des sommes que Napoléon lui aurait passées à destination de la famille.
Le temps des restitutions
Étapes et formes des restitutions
24Une note anonyme conservée dans les archives Napoléon souligne qu’après avoir lu « l’importante publication Progrès de la France sous le gouvernement impérial d’après les documents officiels […] il convient de rappeler que la famille de Napoléon à la suite des désastres de 1815 a été violemment dépossédée d’une fortune noblement acquise ». Puis un commentaire suit cette citation : « depuis 1815, c’est à peine si quelques personnes se souviennent des spoliations dont ont été victimes les membres de la famille impériale qui se sont vus confisqués tous leurs biens mobiliers et immobiliers ».
25En janvier 1850, Jérôme écrivit à son neveu Louis-Napoléon pour lui rappeler que les demandes de restitution dépendant d’une décision politique, il fallait réexaminer la question, non sans lui rafraîchir un peu la mémoire :
« il n’est pas inutile de rappeler que les dispositions favorables de la Monarchie de Juillet ont été paralysées par les événements d’Italie à cause de la part que vous et votre frère, Monsieur le Président, y avez prise21 ».
26Or un peu plus d’un mois après le coup d’État, ce dernier lui répondit le 26 janvier 1852, qu’il était d’accord pour « dédommager autant qu’il le pourra[it] chacun de ceux qui ont des droits22 ». En échange de quoi, les membres de la famille impériale devaient renoncer à toutes leurs créances sur l’État français. Aussi prit-il une série de décisions verbales les 1er avril (ce dont il prévint son cher oncle dès le lendemain), 15 et 31 décembre 1852, qui furent définitivement approuvées l’année suivante23.
27Elles répartissaient 7 000 000 de F en capital et intérêts entre les membres de la famille avec notamment 2 000 000 F pour Jérôme, et autant au prince Lucien Murat – ce dernier ayant demandé que sa pension initiale soit capitalisée en raison de sa nombreuse famille, avec placement d’un million en nue-propriété sur la tête de son fils Joachim – tandis que ses deux filles, respectivement comtesse Rasponi et marquise Pepoli, recevaient 200 000 F chacune24. Tout comme sa belle-sœur la princesse Achille Murat. Par contre, un million était accordé à la tante de l’empereur, princesse Baciocchi. De même, pour les quatre fils de Lucien Bonaparte, Charles, Louis-Lucien, Pierre et Antoine, leur sœur Marie-Alexandrine Valentini étant dotée de la moitié tandis que leur aînée Lætitia Wyse se contentait d’une rente viagère, mais que leur demi-sœur, Charlotte Centamori, recevait elle aussi 100 000 F en capital.
28Il était entendu que toutes ces sommes ne devaient pas être imputées sur le Trésor public mais sur la Cassette personnelle de Napoléon III, laquelle en vertu d’un décret du 23 mars 1853 était une « dotation de la liste civile elle-même ». Deux motifs étaient avancés. L’un à l’usage du grand public consistant à dire que l’empereur ne voulait pas charger le budget de l’État. L’autre destiné à éviter que les « Princes puissent être fondés à croire qu’ils tiennent cette libéralité de l’État et en dehors de l’autorité de l’Empereur25 ». Ce qui nous pousse à nous demander quelles étaient les véritables raisons de l’Empereur.
Des restitutions politiques et/ou familiales ?
29On pourrait certes imaginer qu’en première analyse, Napoléon III avait le sens de la famille, et qu’il distribuait aux siens des récompenses, avant tout soucieux de leur bien-être. Peut-être, pensait-il, comme son oncle, que les Bonaparte devaient être à même de soutenir dignement leur rang. Et puis ne fallait-il pas venger l’honneur du clan et laver l’affront, réparer l’injustice autrefois faite aux siens. D’ailleurs, Napoléon III obtint même de la jeune Italie le remboursement des créances sur le Monte-Napoleone26.
30Pourtant, on sait que les rapports de l’empereur avec ses oncles et cousins n’étaient pas toujours empreints d’une franche cordialité ; on connaît sa réponse lorsqu’on lui fit observer qu’il n’avait rien d’un Bonaparte : « si, hélas, sa famille ». Autrement dit, l’empereur aurait tenu tant à ce que les sommes versées soient prélevées sur ses propres deniers, afin de mieux tenir ses turbulents cousins, leur faisant bien comprendre qu’il pouvait toujours leur enlever ce qu’il leur accordait.
31C’était certes s’asseoir dans son rôle « naturel » de chef de la famille impériale, mais c’était en même temps ramener ces histoires de spoliations et de réparations au niveau, justement d’une intrigue de famille, d’un problème privé, distinct des affaires publiques. Or exonérer l’État de toute responsabilité revenait à en postuler la neutralité, à le définir habilement comme émanation du peuple souverain, plutôt que comme appareil de pouvoir au service des gouvernants, et à en rendre du coup illégitime toute utilisation à des fins privées : un des principaux reproches faits à l’oncle, dont on ne peut tenir rigueur au neveu. Lequel a, au contraire, soigneusement refusé aux autres Bonaparte de trop hautes responsabilités. En outre, induire que la France n’était pas coupable de ces spoliations n’en soulignait que mieux la félonie personnelle du Bourbon.
32Enfin, passer par la Cassette permettait également – last but not the least – d’éviter ce qu’avait pourtant pu parfois recommander le Conseil d’État, c’est-à-dire le vote d’un crédit législatif, avec toutes les difficultés prévisibles d’une discussion publique, la presse qui s’en mêle etc. D’autant plus qu’il eût fallu le renouveler chaque année, et donc affronter chaque année les mêmes campagnes d’opposition et autres mouvements d’opinion préjudiciables à l’autorité impériale.
33Ainsi les spoliations et restitutions successives dont les Bonaparte furent victimes illustrent de façon très crue les rapports de l’argent et du politique. Relations plus ou moins occultées selon les périodes mais qui, en l’occurrence, « collent à la peau » du Second Empire, et qui ont fourni à la polémique un de ses meilleurs angles d’attaque, à l’image de la brochure de Jules Ferry sur les comptes fantastiques d’Haussmann. Napoléon III se chargeant des restitutions à sa famille le savait bien (au demeurant, les fonds de sa Cassette provenaient en bonne partie de ressources publiques). En même temps, ces indemnisations répondaient à des spoliations réelles que ne nièrent jamais les diverses instances judiciaires et administratives sollicitées. En effet, ce fut bien le régime de la Restauration qui porta directement atteinte à des droits de propriétés réels – sans parler de ceux qui provenaient soit de la guerre, soit de fonctions politiques – au mépris des principes les plus sacrés, dans un mouvement de réaction proprement symétrique aux pratiques confiscatoires de l’ennemi révolutionnaire. Et qui oubliait un peu vite que le Premier Consul avait permis à maints émigrés de recouvrer leurs domaines. Enfin, sans nier certains des mérites et services rendus par les Bonaparte à la France, il est vrai que ceux-ci n’auraient jamais pu bénéficier de telles fortunes sans les libéralités de Napoléon.
34Le problème, au fond, est que la véritable nature de la propriété, c’est-à-dire la possession, écrivait Marx, est un fait et non un droit. En matière d’argent justement, la frontière entre sphère publique et domaine privé est bien plus mouvante qu’on ne le dit. Et, en dernier ressort, ce droit personnel se trouve entièrement dépendant des garanties offertes par la puissance publique selon les configurations successives des rapports de force en son sein, comme l’illustrent toutes les questions de spoliation (notamment celles ayant frappé la communauté juive du temps de Vichy). Mais il est difficile de l’admettre et infiniment plus commode de se prévaloir de la prétendue neutralité de l’État. Or faire valoir ce droit face aux faits ne peut que procéder d’une inlassable exigence de justice. Ou plus modestement de son commencement : la reconnaissance d’une dette.
Notes de bas de page
1 Archives nationales, 400 AP 5, dossier 1 : « Archives de la liste civile ».
2 Sur les Bonaparte, on consultera Jean-Pierre Rioux, Les Bonaparte, Bruxelles, Complexe, 1982, 406 p. ; Charles Napoléon, Les Bonaparte, des esprits rebelles, Paris, Perrin, 2006, 292 p. ; Frédéric Hulot, Les frères de Napoléon, Paris, Pygmalion, 2006, 321 p. Et sur l’argent : Pierre Branda, Le prix de la gloire ; Napoléon et l’argent, Paris, Fayard, 2007, 634 p.
3 En effet, retracer la fortune privée des Bonaparte d’après les minutes de leurs notaires est une tâche trop dévoreuse de temps pour avoir été entreprise ici. En outre, on n’aurait que la part « visible » de leurs fortunes, puisque les liquidités énormes dont ils disposaient ne laissent par nature, comme tous les « fonds spéciaux », pas de traces.
4 Arch. nat., 400 AP 22, dossier 1 : « Biens de la famille Bonaparte ».
5 Ibid.
6 Arch. nat., 400 AP 89, dossier 4 : « Affaire Guerry de Maubreuil ».
7 Arch. nat., 400 AP 100, « Correspondance de la reine Catherine ».
8 Arch. nat., 400 AP 101, « Correspondance de la reine Catherine (suite) ».
9 Arch. nat., 400 AP 80, dossier 1 : « États des ventes de l’argenterie de l’empereur… »
10 Arch. nat., 400 AP 8 dossier 4 : « Masse active dans la succession de l’impératrice Joséphine ».
11 Arch. nat., 400 AP 22, dossier 1 : « Biens de la famille Bonaparte ».
12 Arch. nat., 400 AP 131, « Papiers de Joseph Bonaparte ».
13 Arch. nat., 400 AP 34, dossier 2 : « Testament de la reine Hortense ».
14 Arch. nat., 400 AP 38, dossier 1 : « États de fortune de la reine Hortense ».
15 Arch. nat., 400 AP 96 : « Correspondance du roi Jérôme ».
16 Arch. nat., 400 AP 9 : « Action de Madame contre l’État français ».
17 Ibid., dossier 4 : « Réclamations de Jérôme Bonaparte, mai 1848 ».
18 Ibid., dossier 5 : « Rapports sur les créances dues sur les bois ».
19 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Les Rothschild, une famille bien ordonnée, Paris, La Dispute, coll. « Instants », 1998, 91 p.
20 Ibid.
21 Arch. nat., 400 AP 96 : « Correspondance du roi Jérôme ».
22 Ibid.
23 Arch. nat., 400 AP 54, dossier 2 : « Dons verbaux de Napoléon III ».
24 Arch. nat., 400 AP 92, dossier 2 : « Réclamations contre le Trésor français ».
25 Arch. nat., 400 AP 96 : « Correspondance du roi Jérôme ».
26 François Lalliard, La fortune des Wagram : de Napoléon à Proust, Paris, Perrin, 2002, p. 198.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008