Fabrice Colin : Or not to be

1Après plusieurs ouvrages rattachés à des genres définis comme la fantasy (Winterheim, 1998-99) ou le steam-punk (Confessions d’un automate mangeur d’opium, co-écrit avec Mathieu Gaborit, 1999), Fabrice Colin réalise avec Or not to be un étonnant roman gigogne où la folie s’inscrit dans la raison, l’écriture dans la folie, et qui voit les mythes shakespeariens s’épanouir sous le regard insoutenable du Grand Pan.

2A la fin des années 50, le psychiatre Thomas Jenkins se souvient d’un jeune amnésique hospitalisé en 1916, Vitus Amleth de Saint-Ange, qui semblait possédé par Shakespeare et qu’il a soigné durant sept ans.

3En 1923, âgé de trente-cinq ans, Vitus apprend la mort de sa mère et quitte l’hôpital pour partir à la recherche de sa mémoire. C’est le récit de cette quête qui nous est conté, de la fuite du héros à son arrivée dans le mystérieux village de Fayrwood où il a séjourné quand il était enfant. Que s’est-il passé, durant ces vacances ? Lui-même ne s’en souvient pas. Mais un carnet qu’il a rédigé avant son hospitalisation nous livre une partie de l’énigme : sa rencontre au fond d’une forêt tellurique avec le Grand Pan, prodige qui débouche sur la révélation d’un livre : Le Songe d’une Nuit d’été de Shakespeare. Lequel Shakespeare, tel le spectre du roi dans Hamlet, ne le quittera plus.

4Revenu à Fayrwood, Vitus retrouve des témoins oubliés de son enfance, reprend son prénom d’Amleth, mais surtout s’attache à la mystérieuse Maryan, qui l’entraîne au cœur d’un terrifiant rituel païen où les figures familiales se dédoublent, s’affrontent et s’unissent pour mieux se détruire. Dans cette partie, qui prend la forme d’une Tragédie Fantôme que lui dicte (peut-être) l’ombre du poète, il oscille d’une question à une autre : Maryan est-elle un double de sa mère et/ou la fille du Grand Pan ? quel rôle joue Thelma, frère de Maryan et double tragique d’Amleth ? et le héros lui-même n’est-il qu’un fou ou la réincarnation médiumnique de Shakespeare ?

5Le plus remarquable, dans Or not to be, reste le fait que la fluidité de son écriture lui permet d’allier complexité et profondeur, au sein d’un récit constamment limpide où même les zones d’ombres demeurent lumineuses. Dans ce paradoxe se joue la question fondamentale du lien entre l’amour, la mort et l’art : une question qui constitue le sujet même de ce fascinant ouvrage.

6Rappelons pour finir que Fabrice Colin a obtenu le Grand Prix de l’Imaginaire 2004 dans les deux catégories roman (pour Dreamericana, J’ai Lu, « Millénaires », 2003) et jeunesse (pour Cyberpan, Mango, 2003).